Ce texte a été publié initialement dans "Ecole Polytechnique, Livre du Centenaire (1794-1894)", tome III, Gauthier-Villars, 1897. Il a été mis sur le web en 2002 par Robert Mahl. Les morceaux de biographies ont été séparés du document principal et sont accessibles par des hyperliens.. |
Institué avant l'Ecole Polytechnique, le Corps des Mines s'y est recruté depuis qu'elle a été créée. La situation du Corps et des membres qui le composent ne laisse pas de surprendre au premier abord. En outre des mines, pour lesquelles il a été formé, il s'occupe réglementairement d'usines, d'eaux minérales, de géologie, de machines à vapeur, de chemins de fer et d'enseignement technique. Son rôle normal en ces matières est de surveillance plus que d'action. Mais nombre de ses membres quittent le contrôle officiel pour la direction privée des entreprises; d'inspecteurs ils deviennent inspectés. D'autres, à peu près aussi nombreux, cultivent les sciences pures, sciences mathématiques, physiques et chimiques, sciences naturelles inorganiques, soit exclusivement, soit simultanément avec leurs services dans le Corps. Tout cela tient, d'une part, à la nature même des choses et à leur développement historique, et, d'autre part, aux conditions de recrutement du Corps. L'inspection des mines, qui est au demeurant sa raison d'être première, l'origine de ses autres occupations, est, du reste, d'une nature spéciale comme l'industrie extractive elle-même; et c'est ce qu'il ne sera pas inutile tout d'abord de rappeler.
L'exploitation des mines occupe une place à part dans les entreprises humaines; elle se distingue entre toutes par des caractères propres. Ces substances minérales, rares, indispensables au développement des sociétés, ne se reproduisant pas, que l'industrie extractive a pour objet de fournir, le mineur doit les atteindre et les sortir au jour par un travail de destruction de la croûte terrestre, qui entoure de dangers continus, spécialement graves, le personnel que l'on y emploie, aussi bien que les personnes et les choses de la surface; et ces dangers s'accroissent de l'obscurité profonde au milieu de laquelle l'oeuvre doit se poursuivre. A ces conditions techniques et matérielles de l'exploitation des mines vient s'ajouter le conflit d'intérêts résultant de la superposition de deux modes d'utilisation de la terre : la jouissance normale de la surface par l'un, et la destruction du tréfonds, pour son exploitation, par un autre.
Aussi, de tous temps et dans tous les pays où l'industrie extractive a pris quelque développement, les pouvoirs publics ont dû constituer une administration spéciale pour instituer la propriété minière et en surveiller l'exploitation dans le but d'atténuer, sinon de supprimer complètement les conséquences fâcheuses qui lui sont inhérentes. Le domaine du mineur ne peut, d'autre part, se restreindre à la seule extraction des substances minérales; il comprend de multiples travaux et opérations qui s'y rattachent. Les administrations constituées en vue principalement de l'exploitation des mines ont dû, de leur côté, étendre simultanément leurs fonctions dans des directions et pour des buts analogues.
Tout d'abord, l'essai des substances minérales, constituant l'analyse minérale ou la docimasie, et plus encore leur traitement, qui forme la métallurgie ou plus généralement la minéralurgie, font partie du domaine naturel du mineur. Il ne peut se passer, pour la recherche et l'exploitation des gîtes, de tout ce groupe de sciences placées entre les sciences physiques et les sciences naturelles : la minéralogie, la géologie, la paléontologie ; quelles que puissent être la grandeur et la portée de leur culture purement spéculative, ces sciences, dans leur application aux entreprises humaines, se rattachent plus spécialement et presque exclusivement à l'oeuvre du mineur. Si d'ailleurs elles peuvent être cultivées et si elles progressent, comme toutes autres, par le seul effort des individus qui s'y adonnent, on n'en obtient tous les fruits pratiques que lorsque certains de leurs résultats sont coordonnés dans des conditions de généralité et d'extension qui ne peuvent guère aboutir sans une intervention des pouvoirs publics et partant de ces administrations constituées pour la surveillance des mines.
A toutes ces choses qui rentrent dans le domaine des mines, qui ressortent immédiatement des conditions de leur exploitation, sont venues, par la suite des temps et le développement de l'industrie extractive, s'en adjoindre d'autres qui, nées pour et par les mines, sont parties de là pour faire dans le monde un chemin que leurs débuts dans l'industrie originaire n'auraient pas toujours permis de pressentir. Il suffira de mentionner que pour l'exploitation des mines ont été projetés et établis les premières machines à vapeur et les premiers chemins de fer. Dans un autre milieu, dont l'importance va toujours grandissant, les mineurs peuvent aussi rappeler que, par et pour les mines, ont été constituées les premières institutions de prévoyance en faveur des ouvriers, en vue de les garantir contre les accidents, la maladie et la vieillesse; c'est dans les mines qu'on a inauguré, et poursuivi d'une façon plus particulière, la solution de ce qu'on appelle aujourd'hui les questions sociales, c'est-à-dire la recherche des moyens les plus propres à rendre la vie plus facile et plus douce à ceux qui l'abordent dans les situations les moins heureuses.
Les conditions mêmes de l'exploitation des mines, les sciences et connaissances qui lui sont indispensables, forment tout un ensemble à la fois si particulier, si complexe et si étendu que de tout temps, quel qu'ait pu être l'état de l'instruction générale, un enseignement spécial aux choses des mines a été jugé nécessaire dans les pays qui se sont préoccupés du développement de leur industrie extractive, et ce dernier trait achève de caractériser comme de particulariser cette industrie. Cet enseignement est également un de ces objets qui ne peut généralement réussir qu'avec le concours des pouvoirs publics et l'intervention directe des administrations qui en dépendent.
A cette diversité et à cette spécialité des choses et des nécessités des mines correspond la multiplicité des attributions de ceux qui ont charge de leur surveillance. Leurs fonctions prennent une importance particulière par la nature de l'inspection qui leur est confiée. Il ne peut s'agir d'assurer l'observation littérale d'un règlement simple, qui suffit à tout prévoir et ne nécessite, pour le faire respecter, qu'un peu de conscience et de bonne volonté. Dans cet inconnu perpétuel sous les incertitudes duquel le mineur doit poursuivre un gîte qui, si fréquemment, se dérobe à lui, dans ces changements continus qu'amène dans la mine la destruction persistante de la croûte terrestre, il n'est pas de texte réglementaire pouvant s'appliquer à toutes les contingences. Il faut, dans l'innombrable variété des circonstances qui peuvent se produire, que, avec une liberté relative, l'inspecteur des mines devienne fréquemment, en quelque sorte, le collaborateur de l'exploitant. Leurs vues apparaissent pourtant comme distinctes; celui-ci se préoccupera surtout du prix de revient et du rendement ; celui-là ne devra veiller qu'à la sécurité ; l'inspecteur ne peut cependant pas et il ne doit pas oublier qu'il méconnaîtrait les intérêts les plus vitaux pour lesquels ses fonctions doivent s'exercer, s'il ne savait imposer que des solutions pouvant menacer gravement dans sa vitalité et par suite restreindre ou détruire l'industrie extractive. L'histoire des mines est du reste là pour montrer que, pour inconciliables qu'apparaissent a priori ces deux aspects d'une même chose, ils se résolvent bien souvent en une heureuse harmonie; on obtient fréquemment le plus de sécurité avec le moindre prix de revient, lorsque les solutions sont recherchées par gens d'égale bonne foi et de compétence éprouvée. Mais ce n'est pas tout de suite qu'on le reconnaît, ni sans froissements pour les uns comme pour les autres. Plus ardue est encore l'oeuvre de l'inspection lorsque, pour mieux atteindre son but, elle n'entend pas seulement remédier à des maux devenus évidents et intolérables, mais chercher, dans des vues d'avenir, à provoquer des améliorations, dont la nécessité immédiate n'apparaît pas encore, dont la convenance sera même discutée. Il faut alors plus de circonspection pour rassurer les intérêts et plus de science pour justifier les solutions.
Une tâche ainsi comprise n'est certes point sans grandeur; l'inspecteur n'y rencontre pas toutefois les satisfactions que tarit d'autres peuvent trouver dans leur travail. Le constructeur voit sortir son édifice du sol pour défier le temps dans la stabilité que ses calculs doivent lui assurer; l'artiste contemple l'inspiration de son génie matérialisée dans l'éternelle beauté du marbre ; l'officier, pour soutenir ses efforts quotidiens, peut rêver au jour où, avec la gloire, il obtiendra la réalisation de son continuel désir; l'inspecteur, si haute que soit sa mission, ne peut avoir que l'austère satisfaction du devoir accompli et du service rendu. A ceux qui ont la foi dans leur oeuvre, elle peut suffire.
Ainsi s'explique que nos pouvoirs publics aient entendu recruter à l'Ecole Polytechnique le Corps des Mines et, par là déjà, on comprend beaucoup de ses attributions; comment les autres lui sont advenues, comment il s'est acquitté de toutes, c'est ce que l'on verra en suivant les diverses branches sur lesquelles s'est portée son activité, après que nous aurons dit comment il s'est fondé et constitué.
HISTORIQUE DU CORPS.
Pour suivre avec utilité l'historique de l'industrie extractive en France, il n'est guère besoin de remonter beaucoup au delà du milieu du XVIIIeme siècle. Au XVIIeme siècle, quelques exploitations de houille, consistant en fouilles sans importance et sans profondeur, avaient été ouvertes sur divers bassins, la plupart exclusivement pour satisfaire à la consommation d'industries locales. Au milieu du XVIIIeme siècle, ce n'était encore que dans le Forez, et plus spécialement à Saint-Etienne, que le charbon de terre était employé pour les usages domestiques. Quelques bassins profitaient des facilités de transport que leur procuraient des rivières ou des canaux, pour acheminer des bateaux sur les grandes villes. Ainsi, depuis l'ouverture du canal de Briare, en 1644, et les droits continuellement croissants mis sur les houilles anglaises à partir de 1664, les charbons de Brassac, transportés par l'Allier et la Loire, alimentaient le marché de Paris, concurremment avec ceux du Bourbonnais (bassin de Fins) et du Forez (bassin de Saint-Étienne). Le bassin d'Aubin expédiait aussi, en temps de crues des rivières, quelques bateaux sur la ville de Bordeaux. Vers le milieu du XVIIIeme siècle, surtout après l'ouverture, en 1778, du canal de Rive-de-Gier à Givors, le bassin de Rive-de-Gier expédia des quantités relativement importantes sur Lyon, jusqu'à 36000 tonnes en 1763.
Dans la première moitié du XVIII-ème siècle, un événement important survenait pour l'histoire des mines de houille. En 1720, on découvrait, à Fresnes, dans le Nord, la continuation en France du bassin houiller de Mons; on n'avait rencontré que des houilles maigres; en 1734 seulement, la Compagnie Désandrouin, d'où devait sortir la célèbre Compagnie d'Anzin, trouva la houille grasse à Anzin. Dès 1756, on extrayait 100000 tonnes dans ce nouveau district; son importance allait égaler, dès la fin de la monarchie, celle du bassin de la Loire, qui avait été jusque-là le plus important de France.
Au demeurant, la France, à la fin de l'ancien régime, produisait quelque 600 000 tonnes de houille, dont 260 000 dans le bassin de la Loire (districts de Rive-de-Gier et de Saint-Etienne), 250 000 à Anzin et une centaine de mille dans tous les autres bassins, dont le plus important était celui de Littry dans le Calvados.
Les mines métalliques, à peu près complètement abandonnées depuis le moyen âge, ne furent guère reprises que dans le XVIIIeme siècle. Baïgorry dans le Béarn, Chessy et Sain-Bel dans le Lyonnais, avaient fourni, jusque vers la fin du siècle, quelques centaines de tonnes de cuivre. Les Blumenstein avaient travaillé, dès le début du siècle, sur les mines de plomb argentifère de Pontgibaud dans l'Auvergne et sur celles de Sainl-Martin-la-Sauveté dans la Loire. Mais on doit surtout citer les mines de plomb argentifère de Poullaouen et de Huelgoat, en Bretagne, ouvertes vers le milieu du siècle, et devant, pendant près de cent ans, conserver une importance spéciale pour la France. Toutes ces exploitations pouvaient produire un millier de tonnes de plomb vers la fin de l'ancien régime.
Il serait inutile de parler des mines de fer. Sauf quelques exploitations dans les Pyrénées, comme celle de Rancié, le minerai traité dans les usines venait de fouilles sans importance exécutées dans les minières du voisinage. Au moment de la Révolution, on comptait, jusqu'à deux cents de ces usines répandues sur tout le territoire ; elles donnaient environ 20 000 tonnes de fonte et 28 000 tonnes de fer.
Pour exploiter les mines métalliques, on avait toujours reconnu la nécessité d'une concession du Roi ou de son délégué ; le principe en remontait aux premiers actes publics sur les mines, à 1413. Au moment où l'attention commençait à se porter sur les mines de houille, au XVIIeme siècle, un arrêt du Conseil du Roi, de 1698, reconnut au contraire, en principe, aux propriétaires superficiaires la faculté de les exploiter librement, sans préjudice du droit que le Roi se réservait et qu'il appliqua d'en octroyer la concession à des tiers.
Jusqu'au milieu du XVIIIeme siècle, les pouvoirs publics ne s'étaient guère occupés des mines que pour ces octrois de concession. Certains des actes réglementaires relatifs à la matière contenaient bien les traces d'une administration constituée, ou mieux à constituer, à leur sujet. Il n'avait jamais été donné une suite effective à ces projets. Vers le milieu du XVIIIeme siècle, le développement acquis déjà par les exploitations, celui plus grand encore qu'elles annonçaient, avaient suscité plusieurs réclamations. A cette date, du reste, en dehors des conflits d'intérêts privés, soulevés par l'exploitation, on pouvait commencer à entrevoir l'utilité de pareilles entreprises pour les intérêts généraux et la convenance, par suite, pour elles d'une bonne direction. Or, l'art des mines n'était pour ainsi dire pas connu en France. Les exploitations de houille étaient les plus misérables du monde. Celles récemment ouvertes sur les mines métalliques étaient dues à des praticiens qu'on avait empruntés à l'Allemagne.
A ce moment (1789), Daniel Trudaine venait d'être appelé de l'intendance d'Auvergne à Paris, par le contrôleur général Orry, pour être chargé d'une intendance des finances. Le premier, il se préoccupa d'établir une réglementation sérieuse et utile des mines. Il commença par faire rendre l'arrêt du Conseil du Roi du 14 janvier 1744, qui rapporta l'imprudente concession octroyée aux propriétaires du sol par Louis XIV, en 1698, sur les mines de houille. Toutes les mines rentraient sous le régime des concessions à délivrer par le Roi. Il est vrai que, pour les combustibles, les usages créés par cet abandon devaient prévaloir pendant longtemps encore. Ce règlement édictait en outre les premières dispositions techniques imposées aux exploitants.
Pour réaliser ses vues sur les mines, pour en améliorer sérieusement les pratiques et le rendement, il fallait à Trudaine des inspecteurs compétents ; dans son idée, ils devaient donner des conseils techniques plus qu'ils n'exerceraient une surveillance de police. Ceux auxquels il destinait ce rôle devaient, d'après ses projets, suivre l'enseignement de l'Ecole des Ponts et Chaussées qu'il venait de créer en 1747 et, en outre, un cours spécial de chimie; après cet enseignement théorique, ils se seraient formés au métier par des voyages à l'étranger, surtout en Allemagne, ainsi que par des stages dans les plus importantes exploitations de ces pays, ou dans celles de France qui pouvaient leur être comparées, comme les exploitations de Poullaouen.
D'après ce plan furent formés Gabriel Jars le jeune, et Guillot-Duhamel père, qu'on peut considérer comme les deux premiers véritables inspecteurs des mines qu'ait eus la France, encore qu'ils n'aient effectué de tournées pour le service du Roi qu'en qualité de Commissaires du contrôleur général des finances. Avec eux, il faut mentionner Monnet, que Trudaine père avait envoyé se former en Allemagne, dans le même but, et qui fut aussi employé comme Commissaire du Roi, par Trudaine de Montigny, lequel avait succédé à son père, en 1769, dans les fonctions d'intendant des finances.
Entre temps, lorsque Bertin quitta, en 1763, le contrôle général des finances, on lui constitua un Département ministériel spécial, comprenant notamment les Mines, retirées à l'intendant des finances chargé des recettes générales. A ce Département ressortissaient l'institution des concessions et toutes les questions techniques ou administratives touchant aux exploitations minérales. Le Département des finances conservait une inspection des forges et des mines, à raison des droits sur la marque des fers et autres taxes analogues; par là, ce dernier Département continuait à exercer sur les exploitations minérales un contrôle d'une nature, il est vrai, plus spécialement fiscale.
En 1776, Bertin nommait Monnet inspecteur général des mines du royaume. Plus tard, il lui donnait un collègue en la personne d'un sieur Jourdan, que rien, semble-t-il, n'avait préparé à ses fonctions, mais qui ne laissa pas de contribuer puissamment, par son influence personnelle auprès de Bertin, à la création du premier rudiment d'Ecole des Mines établie en 1778, à la Monnaie, avec la chaire de chimie docimasique fondée en faveur de Sage.
En 1781, Bertin quittait le Ministère ; avec lui disparut le Département formé à son intention. Les Mines retournèrent au Département des finances, et comme Necker avait supprimé les intendants des finances, le Service des Mines fut remis aux quatre intendants du commerce qui étaient à cette date : de Montaran, Tolozan, de Colonia et Blondel. Ils avaient, dans leur ressort respectif, un certain nombre de provinces, et y connaissaient de l'Administration supérieure des matières rentrant dans la compétence des intendants de commerce.
Pour que chacun d'eux eût à sa disposition un Inspecteur des mines, l'arrêt du Conseil du Roi, du 21 mars 1781, créa quatre « Inspecteurs des Mines et Minières du royaume ». Cet acte, qui passe quelquefois, à tort, pour avoir établi l'inspection des mines en France, avait du moins le mérite de définir, en le généralisant, mieux qu'on ne l'avait fait depuis Trudaine, le rôle et les fonctions des Inspecteurs.
Les quatre Inspecteurs désignés à la suite de cet arrêt furent : Monnet et Guillot-Duhamel, que nous avons déjà rencontrés et que nous rencontrerons à nouveau, G. Jars l'aîné, le frère de Gabriel Jars, mort en 1769, et de Bellejean, qui est resté à peu près inconnu.
Joly de Fleury, qui avait pris les finances à la retraite de Necker, ne tarda pas à modifier cette organisation dont l'inconvénient était de rompre l'unité d'administration nécessaire à une semblable matière ; il créa une intendance spéciale des mines confiée à Douet de la Boullaye, antérieurement intendant à Aucli. Sous cette intendance et quelques jours avant la démission de Joly de Fleury, furent rendus simultanément, au rapport de ce dernier, à la date du 19 mars 1783, trois arrêts du Conseil du Roi, l'un sur l'établissement d'une Ecole des Mines et les deux autres portant règlement, le premier pour l'exploitation des mines métalliques, le second pour l'exploitation des mines de houille. Ces trois actes étaient les parties d'un même ensemble. L'exploitation des mines, tant de houille que de métaux, était désormais soumise d'une façon plus précise et plus étroite à la surveillance des Inspecteurs et Sous-inspecteurs du roi, lesquels ne pouvaient plus être pris dans l'avenir que parmi ceux ayant conquis à l'Ecole des Mines leur brevet de Sous-ingénieur. [Voir la composition de la première promotion de 5 élèves de l'Ecole des mines, en 1783-1784]
L'intendance des mines de Douet de La Boullaye, auquel on a reproché, non sans raison, d'avoir fait les choses plus largement que la situation ne le comportait, fut supprimée, en 1787, par Loménie de Brienne pour être réunie à l'intendance des Ponts et Chaussées, créée en 1781 et confiée dès lors à Chaumont de la Millière. Celui-ci resta chargé de la direction de ces deux services jusqu'au 10 août 1792, date à laquelle il crut devoir se démettre de toutes ses charges.
Au moment où l'ancien régime allait finir, le Corps des Mines comprenait : 5 Inspecteurs généraux, par l'adjonction de Gillet de Laumont aux quatre Inspecteurs de 1781; 2 Sous-inspecteurs: Besson [Alexandre-Charles Besson, né en 1725 près d'Altkirch, connu comme naturaliste] et Hassenfratz, et 6 Ingénieurs : Guillot-Duhamel fils, Lelièvre, Lefebvre d'Hellancourt, Lenoir, Miché et Brigaudie l'aîné. Il y avait, en outre, deux Commissaires du Roi à la visite des usines, des bouches à feu et des forêts du royaume, le baron de Diétrich et Faujas de Saint-Fond.
L'Assemblée constituante fixa, on le sait, le nouveau régime légal des mines et des usines minéralurgiques par la loi du 28 juillet 1791. Mais cette loi laissa en dehors la police et la surveillance des exploitations, l'organisation du Corps des Mines et l'enseignement relatif aux mines. Tous ces sujets devaient être traités dans des lois spéciales que l'Assemblée constituante, ni l'Assemblée législative n'eurent le temps de préparer. Le Corps des Mines de l'ancien régime subsista en fait, sans avoir jamais été supprimé en droit; une loi du 27 janvier 1792 était même rendue en vue de prescrire le payement des appointements, pour 1791, des Officiers et Elèves des Mines; la loi portait que ces appointements continueraient à être soldés jusqu'à l'époque où il serait prononcé définitivement sur l'organisation de ce Corps.
En dehors de quelques oeuvres comme les Voyages métallurgiques de Jars le jeune, la Description des gites de minerai et des bouches à feu du royaume de Diétrich, l'Atlas minéralogique de Monnet [C'est sous le ministère Bertin que fut conçue cette première idée de relevés minéralogiques qui devaient conduire aux cartes geologiques. Il est regrettable que Guettard, par lequel avait été commencé ce travail, n'ait pu le continuer; il avait entrevu les notions de continuité et de superposition sur lesquelles allait se créer la géologie moderne. Monnet sur ce point retardait plutôt qu'il n'avançait sur les notions du temps. ], il ne reste pas beaucoup de traces du rôle et de l'action de ces Inspecteurs, en dehors de leur intervention dans les affaires courantes d'administration. Ils devaient faire des tournées, dont ils rendaient compte au Gouvernement ; celui-ci était mis par là en mesure de mieux apprécier les ressources du pays; son inventaire minéralogique allait pouvoir ainsi s'établir peu à peu. Dans ces voyages, les Inspecteurs s'efforçaient d'éclairer les exploitants et les usiniers sur les améliorations à introduire dans les entreprises, sur les mesures propres à prémunir contre les dangers des travaux. Ils constituaient enfin un premier groupe de techniciens auxquels l'industrie privée pouvait utilement confier ses destinées. Il est en somme assez difficile aujourd'hui d'apprécier, avec les documents dont on peut disposer, l'utilité de leur rôle et la portée de leurs services. L'art des mines, on doit le reconnaître, ne présentait encore à la fin du siècle que de bien pauvres exploitations.
Lorsque la Convention et son Comité de Salut public durent bander toutes les forces du pays dans l'oeuvre grandiose qu'ils avaient à poursuivre, on dut se préoccuper spécialement d'assurer les approvisionnements en combustibles nécessaires à la fabrication des armes. Un arrêté du Comité de Salut public du 1erjuillet 1794 (13 messidor an II) créait, à cet effet, sous l'autorité de la Commission des armes et poudres d'abord, puis sous son autorité directe, en vertu de la loi du 24 août 1794 (7 fructidor an II) une Agence des Mines composée de trois membres nommés par le Comité de Salut public. L'Agence avait, sous sa direction immédiate, le Corps des Mines composé de 8 Inspecteurs et de 12 Ingénieurs qui leur étaient subordonnés [ La première liste du Corps comprenait : Inspecteurs : Guillot-Duhamel père, Monnet, Hassenfratz, Faujas de Saint-Fond, Schreiber, Vauquelin, Baillet du Belloy. Ingénieurs : Guillot-Duhamel fils, Lenoir, Miché, Laverrière, Odelin, Giroud, Blavier, Anfry, Muthuon, Mathieu (de Valenciennes), Mathieu(de Moulins), Brongniart (Alexandre) ] ; elle administrait et dirigeait directement l'Ecole des Mines, qui fut réinstituée sur des bases beaucoup plus larges et commença à fonctionner au début de frimaire an III (novembre 1794). Dès l'année suivante, en vertu de la loi du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795), l'École des Mines prenait, en ce qui concerne le recrutement du Corps des mines, la situation, qu'elle a gardée depuis, d'Ecole d'application subordonnée à l'Ecole Polytechnique. La promotion de l'Ecole des Mines de 1794-1795 fut donc la seule, depuis la création de l'Ecole Polytechnique et notre organisation moderne, qui n'ait pas passé par cette dernière École. Une particularité l'y rattache cependant intimement. Ses trente-huit élèves furent autorisés à suivre simultanément les cours et exercices de l'Ecole Polytechnique, ce que facilitait singulièrement le voisinage des deux établissements. A leurs débuts, le Corps et encore plus l'Ecole des Mines avaient reçu un développement qui dépassait les nécessités du pays. Deux raisons y avaient conduit les trois Agents, Gillet de Laumont, Lefebvre d'Hellancourt et Lelièvre.
Par cette extension du personnel placé sous leur autorité, ils ont voulu assurer un abri pendant la tempête à bien des personnes de science ou d'industrie; d'autre part, d'après des idées remontant à Gabriel Jars, le jeune, et qui devaient persister longtemps, tous ceux occupant alors et qui occupèrent ensuite une place prééminente dans le Corps des Mines, n'entrevoyaient l'industrie extractive que suivant une conception un peu spéciale; on s'inspirait de l'Allemagne, où, à cette époque et depuis plusieurs siècles, l'exploitation des mines et surtout celle des mines métalliques étaient autrement florissantes qu'en France. L'industrie extractive était considérée comme une industrie d'État; l'État devait la poursuivre lui-même directement, sinon en totalité, du moins dans la plus grande partie; pour les exploitations laissées aux particuliers, il devait les diriger indirectement plutôt que se borner à surveiller leurs travaux.
Au demeurant, hors de l'administration courante, qui, dans de tels temps, n'était guère de nature à occuper, les agences et comités de la période révolutionnaire et leurs inspecteurs ne firent pas grand'chose en matière de mines et ils n'obtinrent pas de résultats bien saillants. La houille n'arrivait plus à Paris, où l'on en avait pourtant un besoin pressant pour la fabrication des armes. Tout périclitait, exploitations et transports. Tandis que le représentant Le Bon allait en mission dans les mines du Boulonnais faire enlever les piliers et ruiner l'exploitation sous le prétexte de l'activer, le représentant Larcher, accompagné par Monnet, était envoyé sur place pour presser les envois de Brassac et de Saint-Étienne. A Brassac, ils avaient réquisitionné, pour le service de la République, les grandes mines, celles régulièrement ouvertes, en sorte que, de leur autorité, à côté, sinon même par violation de la loi de 1791, ils avaient dû pousser les propriétaires du sol à ouvrir de petites mines, pour satisfaire à la consommation publique. Cette première mission dut être rappelée ; on envoyait après, en mars-avril 1793, à Saint-Étienne, Duhamel avec quatre élèves Garro, Tristan, Malherbe et Faugeon, puis, plus tard, l'Ingénieur Blavier, dans le but de relever les plans de mines et de faire exécuter les travaux nécessaires au développement de l'extraction. Nulle part définitivement ne fut produit un effet sérieux au point de vue technique. Tout se borna à des réquisitions, soit pour se saisir de charbons extraits, soit pour construire des bateaux à expédier par la Loire. [A cette époque, les bateaux qui transportaient les houilles de Brassac et de Saint-Étienne ne revenaient jamais ; arrivés à destination, ils servaient de magasins flottants jusqu'à ce qu'ils fussent vides; le corps du bateau était alors débité et vendu comme bois.]
Avec la loi du 22 octobre 1795 (30 vendémiaire an IV), l'Agence des Mines disparaissait pour devenir le Conseil des Mines, simple comité consultatif, sous la dépendance du Ministre de l'Intérieur qui reprenait la direction du Service des Mines. Ce Conseil restait le centre du Corps des Mines. Il continua à administrer l'Ecole des Mines tant qu'elle fut à Paris. Il était en relations directes avec les Inspecteurs et Ingénieurs. Dans l'organisation primitive de 1794, ceux-ci devaient consacrer huit mois à des tournées dans un arrondissement, et ils passaient quatre mois à Paris, se réunissant régulièrement en conférence, sous la direction de l'Agence, plus tard du Conseil des Mines, pour y discuter toutes les questions techniques et administratives relatives à l'art des mines et de la Minéralurgie, dont le Corps des Mines pouvait avoir à s'occuper. Déjà, en 1796, le Ministre de l'Intérieur avait été autorisé à laisser les Ingénieurs des Mines en résidence là où le bien du service pouvait l'exiger.
La mesure devait être généralisée lors de la transformation que Chaptal, alors Ministre de l'Intérieur, fit subir, en 1802, au Corps et à l'Ecole des Mines. Le Conseil des Mines fut seul maintenu à Paris avec les quelques Ingénieurs qui constituaient un service central. Le système de la résidence générale dans la capitale et des grandes tournées annuelles disparut; les Ingénieurs furent affectés sur place à des arrondissements dans lesquels ils devaient résider. L'Ecole fut transportée de Paris à Moutiers, en Savoie ; on voulait que l'enseignement, qui, au fond, restait, avec les mêmes professeurs, celui donné à Paris, put profiter, au point de vue de la préparation directe au métier, de l'exploitation des mines de plomb de Pesey, situées à 25 km en amont de Moutiers, sous le glacier de Pépin, par 1300 m d'altitude; ces mines étaient affectées à l'Ecole non seulement pour servir à l'enseignement pratique, mais aussi pour procurer les ressources pécuniaires nécessaires à sa marche et au payement de son personnel. Il ne fallut rien moins que l'habileté consommée de Schreiber , qui avait la responsabilité de la direction, pour arriver à résoudre ce problème jusqu'à la disparition de l'Ecole en 1814, après l'invasion de la Savoie. L'Ecole fut alors rétablie définitivement à Paris.
Pendant tout le Directoire, le Conseil des Mines, par suite des idées que nous avons signalées, fut en lutte presque continue avec l'Administration sur l'assiette à donner à la propriété et à l'exploitation des mines en France. Il s'agissait moins, il est vrai, d'instituer des concessions sur des gîtes nouveaux par une simple application de la loi de 1791, que de statuer sur la destination de mines et d'usines que le Domaine pouvait réclamer, soit à titre de biens d'Eglise ou d'émigrés, soit, dès que le succès de nos armes accrut le territoire de la France, comme biens de souverains dépossédés. Avec les idées de la pratique allemande, le Conseil poursuivait l'attribution pour le Corps de toutes ces mines et usines, afin d'en assurer la gestion directe. Il ne put réussir dans ses vues. Il avait contre lui tous ceux qui entendaient se livrer au trafic des biens nationaux, avec l'aide des administrations locales et des représentants; d'autre part, l'administration des Domaines, appuyée le plus souvent par le Ministère, tenait, lorsqu'elle pouvait garder ses biens sous sa main, à les mettre immédiatement en vente, espérant en tirer ainsi, pour le Trésor obéré, des ressources plus immédiates et plus abondantes que celles que l'on croyait pouvoir attendre de la gestion du Corps des Mines. On le suspectait de vouloir faire de la théorie, sans se préoccuper du produit net. Le personnel du Corps se trouvait donc réduit à ses fonctions administratives normales, à son rôle de surveillance et de conseil, tel qu'on l'entendait à cette époque. Ce ne fut qu'à titre exceptionnel et par suite de circonstances spéciales qu'il assuma la gestion directe de quelques établissements.
Les résultats obtenus par Schreiber à la mine de Pesey ont pourtant montré que les objections faites au Conseil des Mines n'étaient pas absolument fondées. Lorsqu'on 1802 Schreiber arrivait à Pesey, l'entreprise, qui avait été florissante de 1745 à 1792, était abandonnée depuis dix ans; les galeries et les puits étaient éboulés, les bâtiments en ruines, le personnel dispersé. Pour commencer sa tâche, Schreiber ne disposait d'aucun crédit extraordinaire ; il fallut, pour avoir les fonds nécessaires aux premières dépenses, opérer une diminution sur les traitements des Ingénieurs de tout grade. De 1803 à 1805, Schreiber put réaliser un bénéfice net de 22214 fr, après avoir soldé 128720 fr de frais de premier établissement; et il avait un stock valant 46720 fr. En 1806, le bénéfice net fut de 80000 fr. Les années suivantes, jusqu'à la disparition de l'École en 1814, le produit brut fut d'environ 350000 fr et le produit net de 170000 fr à 180000 fr. La mine occupait 300 ouvriers et produisait 250 tonnes de plomb et 560 kg d'argent.
Un second établissement analogue devait être créé à Geislautern, à 12 km à l'ouest et à l'aval de Sarrebrück, sur la Rossel, près du confluent de cette rivière avec la Sarre. On y aurait formé une autre école pratique, suivant l'appellation consacrée à cette époque, où l'on se serait occupé d'exploitation de mines de houille et de sidérurgie au combustible minéral. L'établissement aurait reçu un district des houillères de la Sarre et des forges, que le Domaine français avait, les unes et les autres, reprises, en 1798, des princes de Nassau-Sarrebrück, qui en étaient les propriétaires. Le Domaine ne remit l'établissement au Service des Mines qu'en 1807. Guillot-Duhamel fils d'abord, puis Beaunier, qui en eurent successivement la direction, ne furent jamais mis en mesure de donner à l'entreprise projetée les développements qu'elle aurait pu comporter. Les hésitations, dans lesquelles resta l'Empereur jusqu'en 1814 sur le meilleur mode d'utiliser les houillères de la Sarre, ne permirent pas de céder à l'établissement de Geislautern les mines dont il aurait eu besoin. Les Ingénieurs se bornèrent à en assurer la marche, jusqu'en 1814, dans l'état où ils l'avaient reçu.
L'action normale du Corps des Mines s'étendait, en principe, dans les conditions réglementaires, sur les nouveaux territoires que les succès de nos armes rattachaient directement au pays, à titre de départements français. Les Ingénieurs intervinrent, en outre, occasionnellement, en dehors du territoire français, dans les contrées qui, sans être directement annexées, se trouvaient avoir leur fortune intimement liée à celle de la France par la nouvelle distribution que Napoléon donnait à la carte de l'Europe.
C'est ainsi que, en 1808, Héron de Villefosse fut choisi, à raison de ses brillantes qualités et de sa connaissance approfondie de l'allemand, pour aller à Clausthal, en qualité de Commissaire extraordinaire du Gouvernement, surveiller l'administration du groupe si intéressant des mines et usines fiscales du Hartz, dans le Hanovre, et assurer la continuité de leur marche. Il y resta jusqu'en 1805. Après diverses missions en Allemagne, il fut, au début de 1807, nommé Inspecteur général des mines et usines situées dans tous les pays compris entre la Vistule et le Rhin ; il devait plus spécialement maintenir le fonctionnement de tous les établissements miniers qui, à cette époque, avaient en Allemagne une importance relativement considérable. Son action s'exerça plus directement sur le Hartz. Il y eut sa résidence principale jusqu'à l'organisation, en 1809, de l'administration des mines du royaume de Westphalie, auquel ce district allait être rattaché. Les souvenirs laissés par de Villefosse au Hartz donnèrent aux mineurs le désir de frapper une médaille en son honneur; il s'y opposa et y fît graver l'effigie de l'Empereur.
De Gallois fut également un des Ingénieurs les plus mêlés à l'administration des pays conquis. En 1804, il était d'abord envoyé à l'île d'Elbe, pour surveiller l'exécution du décret qui avait concédé les mines de fer de cette île ; la déchéance des concessionnaires ayant été prononcée, il organisa le service de ces exploitations, qui firent partie de la dotation de la Légion d'honneur. En 1810, il fut chargé, comme Ingénieur en chef, avec le concours de deux Ingénieurs ordinaires, d'administrer les mines de la Carinthie et des provinces illyriennes; il prit en 1811 et garda jusqu'à la chute de l'Empire, en 1814, la direction des établissements d'Idria, dans la Carniole, qui avaient été affectés également à la Légion d'honneur. Cette vaste entreprise occupait 1200 ouvriers, donnait un produit brut de 2 millions et un produit net de 600000 à 700000 francs. De Gallois exécuta des travaux d'amélioration considérables et organisa notamment le flottage des bois dans des conditions qui n'ont pas été modifiées depuis.
Les souvenirs laissés par de Gallois et Héron de Villefosse dans les pays où ils étaient passés étaient tels que, ayant été présentés, en 1814, à Paris, à l'empereur d'Autriche, celui-ci crut devoir les féliciter de la situation dans laquelle ils avaient remis les établissements qui leur avaient été confiés. Les relations que Héron de Villefosse avait pu nouer, par suite de ses fonctions à l'étranger, le firent désigner, en 1815, pour aider le Préfet de la Seine dans ses rapports avec les chefs des troupes étrangères pendant l'occupation de Paris ; il put effectivement obtenir diverses atténuations aux conditions primitivement stipulées ; le Conseil général du département de la Seine reconnut ce service en lui offrant une boîte d'or aux armes de la Ville, et il rappelait que « le succès par lui obtenu devait être attribué à l'estime particulière des souverains pour le fonctionnaire public dont l'administration aussi sage qu'éclairée n'a laissé, dans les différentes parties de l'Allemagne où il a servi, que d'honorables souvenirs ».
Hors de circonstances analogues, qui se sont présentées pour plusieurs autres de ses membres, bien qu'avec beaucoup moins d'éclat, le Corps des Mines n'avait qu'à remplir son rôle administratif normal, sous l'autorité du Conseil des Mines, rôle de conseil pour l'industrie privée autant et plus que de surveillance. Bien que la loi du 21 avril 1810, qui constitua en France le système sous lequel les Mines sont encore placées, ait établi leur régime sur des bases tout autres que celles de la loi du 28 juillet 1791, au fond, il n'y eut pas de différence bien tranchée dans le fonctionnement du Corps avant et après cette date, si capitale, du 21 avril 1810.
Sous le Consulat, en effet, dès qu'on fut sorti des désordres du Directoire, le Gouvernement avait compris et appliqué la loi de 1791 dans des conditions qui rapprochaient singulièrement le régime des Mines et l'action de l'Administration des idées dans lesquelles la loi de 1810 fut tout d'abord appliquée en France. On sait que le principe qui forme la pierre angulaire de ce monument législatif est l'assimilation, aussi complète que le comporte la nature des choses, entre la concession d'une mine et un bien foncier de droit commun; l'exploitant, dans ce système, doit avoir pleine et entière liberté de gestion sous une simple surveillance administrative ne s'exerçant que pour des objets limités et définis, à savoir la conservation et la sécurité des hommes et des choses. Il est curieux d'avoir à constater que cette conception n'eut son plein et entier effet qu'à mesure qu'on s'est éloigné de 1810. Au début, on n'avait que trop de tendance à réduire la liberté de l'industriel ordinaire, qu'avait voulue le législateur, à celle bien plus restreinte d'un entrepreneur de travaux publics. L'Administration n'exerçait pas seulement sur les travaux du concessionnaire la surveillance définie et limitée de la loi ; elle se substituait à lui pour imposer à l'avance le puits à foncer, la galerie à percer, la méthode d'exploitation à suivre. C'était toujours la conséquence de cette notion d'une industrie d'Etat ou ne s'exerçant que sous la haute direction de l'Etat. Cette conception et cette interprétation de la loi résultaient aussi, il est vrai, de ce fait qu'à cette époque on ne trouvait guère, en dehors du Corps, que des praticiens fort arriérés en matière de mines et d'usines minéralurgiques. Le régime de la liberté ne pouvait devenir effectif, en même temps que fécond, qu'avec une industrie privée plus avancée, sûre d'elle-même, comme celle d'aujourd'hui. Cette transformation est due principalement à l'action et à l'enseignement du Corps des Mines; quand elle a été effectuée, le rôle de ce Corps et de l'Administration devait changer ; aussi bien, d'autres préoccupations allaient surgir : ce n'est plus aux difficultés matérielles qu'il faudra songer, mais aussi aux conflits d'intérêts entre le travail et le capital.
Quoi qu'il en soit, l'organisation actuelle du Corps et ses attributions n'en remontent pas moins à la loi de 1810 et aux actes qui l'ont accompagnée. Pour suivre le fonctionnement du Corps dans les différentes branches sur lesquelles devait porter son activité, il est utile de préciser le rôle qui lui fut alors assigné, puis d'indiquer les additions et modifications qu'il a pu recevoir dans la suite.
Constituer la propriété minière par l'institution des concessions, après que les gîtes minéraux ont été recherchés et découverts par des travaux appropriés, telle est la première opération dans laquelle les Ingénieurs des Mines sont appelés à jouer un rôle non moins décisif que délicat.
Sur les concessions instituées ou, plus exactement, sur toutes les exploitations de l'industrie extractive, sur les carrières qui dépendent du propriétaire de la surface comme sur les mines concédées par le Gouvernement, ils ont à exercer une surveillance continue avec un triple objectif : assurer la conservation de la richesse minérale, prévenir les dangers que l'exploitation des mines peut entraîner, soit pour le personnel qui y est employé, soit pour la surface. Dans ce but, les Ingénieurs de l'Etat n'ont généralement qu'à proposer à l'Administration, qui les prescrit à l'exploitant, les mesures occasionnelles que les circonstances locales peuvent nécessiter et qui habituellement ressortent avec une suffisante évidence, pour des gens compétents et désintéressés, des faits motivant l'intervention administrative. La tâche des Ingénieurs du Corps devient plus importante et plus délicate lorsqu'il faut rechercher et déterminer les mesures générales à prescrire à tout un groupe de mines ou à toutes les mines de France. Il s'agit, tantôt de généraliser simplement dans toutes les exploitations ce qui a été inauguré sur quelques-unes, tantôt d'introduire des procédés nouveaux; dans ce dernier cas, des recherches suffisamment attentives auront dû être poursuivies pour montrer que l'innovation atteindra le but que l'on se propose, qu'elle donnera la garantie que l'on cherche; et il faut établir, d'autre part, qu'elle répond aux nécessités de la pratique industrielle.
Avec le temps, à partir de 1810, c'est à ses fonctions de stricte surveillance en vue de la sécurité que le Corps des Mines s'est de plus en plus limité. Au début, au contraire, et en conformité, du reste, des termes mêmes du décret organique du 18 novembre 1810 (Art. 32), les Ingénieurs exerçaient simultanément et plus fréquemment même cette tâche de haut conseil sur lequel nous avons tant de fois insisté.
On conçoit que, dans la première notion des rôles respectifs du Corps des Mines et des exploitants, l'Administration ne vit aucun inconvénient, et même des avantages au mélange d'attributions administratives et d'occupations industrielles. Le décret organique du 18 novembre 1810 n'avait-il pas mis cette seule réserve (Art. 43), inutile à exprimer tant elle était évidente, que le fonctionnaire ne pouvait être industriel dans l'étendue de son ressort? On voyait les avantages multiples que la surveillance pouvait tirer de la pratique directe et immédiate des choses sur lesquelles elle devait s'exercer, plus que les inconvénients pouvant résulter soit de la concurrence entre ces industriels placés dans des situations si différentes, soit de l'opposition éventuelle entre les devoirs et les intérêts d'un Inspecteur qui était en même temps exploitant. A ces époques, il est vrai, la lutte commerciale n'avait pas l'acuité que devait lui donner la facilité actuelle des communications; et les idées sociales n'avaient pas pris l'orientation qu'elles ont suivie depuis.
Ainsi, sous la Restauration, Beaunier dirigeait le Service des Mines et l'École de Saint-Etienne, simultanément il fabriquait des aciers à la Bérardière et il construisait son chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire; de Gallois édifiait et exploitait l'usine de Terrenoire en étant Ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique de Clermont-Ferrand, à la résidence de Saint-Etienne ; Combes et Jabin professaient à l'Ecole des Mines de cette ville et dirigeaient, le premier les mines de Roche et Firminy, le second celles de Bérard ; plus tard, à la fin du Gouvernement de Juillet, Callon était à la tête de l'Ecole d'Alais et directeur des mines de la Grand-Combe.
Avec de pareilles idées, le passage de l'industrie au service de l'Etat, et réciproquement, était beaucoup plus fréquent. Nombreux furent les Ingénieurs, et d'aucuns à plusieurs reprises, qui, après quelques années écoulées dans la direction d'une exploitation, revenaient à l'Administration.
Lorsqu'ils sont attachés à son service, les Ingénieurs n'ont donc qu'un rôle de surveillance et non d'action. Ils n'ont pas de travaux à exécuter ou à diriger par eux-mêmes. Leur intervention ne devient directe qu'en cas d'accident, pour l'exécution des travaux nécessités par la recherche des causes de l'événement, le sauvetage des personnes et la prévention d'accidents ultérieurs. Il n'est pas une des catastrophes que les mines et les carrières aient eu à enregistrer depuis 1810, qu'elle provînt d'explosion, d'éboulement ou d'inondation, où les Ingénieurs des Mines n'aient eu à remplir ces devoirs. Généralement les travaux sont poursuivis avec les moyens de l'entreprise, le plus souvent par les soins immédiats de l'exploitant; l'Ingénieur de l'Etat n'a plus alors que la charge de la direction. Pénible mission en toute circonstance! Et surtout lorsque l'on n'a plus la pensée de retrouver quelqu'un vivant encore dans la mine ruinée et bouleversée qui menace de dangers incessants le personnel occupé au sauvetage. Quelques exemples sont de nature à montrer que l'on doit toujours garder l'espérance, ne fût-ce que comme encouragement à ces pénibles labeurs. Ces exemples ont été plus fréquents jadis parce que la nature des accidents collectifs a quelque peu changé; autrefois, avec de mauvaises méthodes d'exploitation, des implantations d'ouvrages vicieuses, survenaient des effondrements d'ensemble, des inondations générales; aujourd'hui il n'y a guère de catastrophes étendues que par explosion ou incendie et l'on ne peut plus, dans ces conjonctures, retrouver vivants ceux qui n'ont pas pu être secourus immédiatement. Ainsi s'expliquent certains sauvetages du passé, restés légendaires, d'aucuns réputés miraculeux à raison de la durée de l'emprisonnement des victimes.
En 1812, à Beaujonc, au pays de Liège qui était alors français, 70 ouvriers pris par un éboulement furent délivrés après 117 heures; en 1831, au Bois-Mouliz, à Saint-Etienne, 8 ouvriers restèrent enfermés 137 heures, et ils avaient jeûné 120 heures. Aux mines de Saint-Eloy (Puy-de-Dôme), en mai 1845, Burdin, Ingénieur en chef, et Chatelus, Ingénieur ordinaire, retrouvèrent sains et saufs cinq ouvriers qui étaient dans la mine depuis 243 heures. Ce sauvetage fut d'autant plus remarqué qu'on n'avait aucun plan des travaux qui s'étaient effondrés en entier sur près d'un hectare, par suite de l'écrasement des piliers. On fonça, à partir de la surface, un puits de 17m,30 de profondeur, et l'on dirigea du bas du puits une galerie vers la région située à la limite de l'effondrement, où l'on supposait que les ouvriers avaient pu trouver un abri. Ils y avaient rencontré un peu d'eau pour étancher leur soif et ils s'étaient partagé un morceau de pain de 200 gr dont ils avaient sucé les miettes trempées dans l'eau jusqu'au troisième jour.
Plus étonnant encore devait être le sauvetage effectué dans les mines de houille de Lalle (Gard), après qu'elles furent subitement inondées par les eaux d'une rivière voisine, le 11 octobre 1861, alors que 139 ouvriers y étaient occupés; 29 avaient pu fuir à temps ; il en restait 110 qu'on devait supposer enfouis à tout jamais. Tout d'abord, on put arriver à reconnaître, par les appels faits par eux (le rappel battu par le mineur et transmis par la roche), l'existence de quelques hommes dans les galeries les plus hautes. Sous la direction de M. Parran, alors Ingénieur ordinaire à Alais, qui, à ce titre, assura la conduite de tous ces travaux, plusieurs recherches furent entamées simultanément pour aller les délivrer, toutes menées avec cette ardeur fiévreuse que déploient les mineurs en pareilles circonstances. En soixante-dix-huit heures on avait fait un avancement de 22 m, ce qui, normalement, eût exigé un mois. On retrouva ainsi trois ouvriers, dont deux étaient encore vivants, après 102 heures de séjour dans le haut d'une galerie qui, faisant cloche d'air, les avait préservés contre l'inondation. Le travail d'abaissement des eaux, immédiatement entrepris, permit de réaliser un second sauvetage, resté unique dans les fastes des Mines, dont s'est emparé un roman célèbre dans le monde des lettres comme dans celui de l'industrie. A un niveau inférieur, au sommet d'une autre galerie en cul-de-sac, ayant aussi formé cloche d'air, on retrouvait, encore vivants, trois ouvriers, le samedi 25 octobre; ils avaient passé quatorze jours dans la mine, dont treize sans aliments. Les cinq ouvriers ainsi sauvés devaient être les seuls survivants de la première grande catastrophe survenue dans les mines françaises. [La plus forte catastrophe antérieure est l'explosion de grisou du 2 novembre 1840 aux mines de Gollenon et la Cape, près de Rive-de-Gier, qui fit périr 32 ouvriers. Après celle de Lalle, la première catastrophe importante par le nombre des victimes est l'explosion de Blanzy du 12 décembre 1867, où l'on compta 89 morts et 47 blessés.]
Un des rares services où les Ingénieurs des Mines ne soient pas confinés dans leur haute surveillance, est celui des carrières du département de la Seine ; c'est un service aussi ancien que celui même des mines ; on y procède à des travaux de consolidation de la surface par des méthodes assez particulières.
En dehors des dispositions des lois et règlements qui fixent le mode d'intervention des Ingénieurs au regard de l'industrie, des circonstances exceptionnelles peuvent se produire où un Ingénieur de l'Etat doit savoir assumer, pour la sauvegarde de grands intérêts menacés, des devoirs particuliers que sa situation ne lui permet pas de décliner. Les conjonctures qui l'auront amené là serviront d'excuse pour la tâche volontairement embrassée, si un succès éclatant justifie la solution et montre en même temps la valeur de celui qui l'a tentée. Sans s'occuper d'heures trop rapprochées de nous et pour ne pas toucher à des questions trop délicates, le passé nous offre bien des exemples de pareilles interventions aussi courageusement prises que sagement conduites et heureusement terminées. Peu seraient plus remarquables que le rôle de Coste au Creusot, en juin 1833. La Compagnie anonyme qui exploitait alors des établissements encore rudimentaires, mais destinés à une si grande prospérité, venait de tomber en faillite. 2000 ouvriers, formant une population de 4000 âmes, ne recevaient depuis longtemps leurs salaires qu'en bons. Les fournisseurs lassés menaçaient de ne plus les accepter. Une révolte était imminente. Coste, chargé du Service ordinaire, avait été envoyé sur place pour assurer l'épuisement des mines pendant l'interruption du travail qu'on prévoyait. Après examen de la situation, il crut devoir faire mieux. Il résolut de faire marcher l'entreprise, et il réunit à cet effet, sous sa garantie personnelle, les premiers fonds nécessaires. Quinze jours après, les ouvriers, ramenés à l'usine par tant d'autorité, recevaient leurs salaires en numéraire, ce qu'ils n'avaient pas vu depuis longtemps. Quatre mois plus tard, en septembre, Coste remettait aux syndics de la faillite, des ateliers en plein roulement, ayant reconquis leurs débouchés; et tous frais payés, cette courte gestion laissait des excédents en caisse. Un mois auparavant le Gouvernement avait reconnu tant de résolution, de maîtrise et d'habileté, en décorant un Ingénieur qui n'avait pas encore vingt-huit ans, à une époque où l'on n'était pas prodigue de pareilles distinctions.
Sur les mêmes lieux, avec une autre Société qu'attendait plus tard une destinée si brillante, un autre Ingénieur des Mines, dont le nom est devenu encore plus célèbre dans les choses des mines comme dans celles des chemins de fer, fut appelé, par des temps plus troublés, à exercer une action analogue, et il y réussit avec un égal succès. En 1848, les ouvriers mineurs du Creusot s'étaient mis en grève. Le Ministre des Travaux publics envoya comme Commissaire spécial, pour rétablir l'ordre, Sauvage, qui venait à peine de quitter le Service ordinaire de Mézières et était alors Ingénieur en chef du matériel de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon. Grâce à l'ascendant qu'il sut prendre, dès son arrivée, sur les délégués chargés de lui présenter la réclamation collective des ouvriers, il obtint, par leur intermédiaire, la reprise immédiate du travail. Des concessions modérées, qu'il sut obtenir de la Direction de l'établissement, firent tout rentrer dans l'ordre habituel. Le Commissaire spécial pouvait repartir presque immédiatement, après avoir conquis la confiance respectueuse des ouvriers et l'estime de leur chefs.
Rares sans doute - et heureusement doit-on dire - sont les circonstances où l'Ingénieur des Mines est amené à jouer de tels rôles. S'il veut être à la hauteur de la mission qu'il peut avoir un jour à remplir, il faut pourtant que, par le zèle, la compétence et l'impartialité déployés dans l'exercice quotidien de ses fonctions, il ait acquis sur les uns et les autres cette autorité morale et technique et cette indépendance qui puissent en imposer à tous, s'il en est besoin. Cette influence, alors même qu'elle n'a pas à s'exercer directement, doit lui permettre d'être constamment renseigné sur tout ce qui se rapporte aux exploitations de son service : données techniques et économiques; relations entre le capital et le travail; états d'âmes, pourrait-on dire, des uns et des autres, il ne doit rien ignorer et être toujours prêt à renseigner immédiatement, sûrement et complètement les pouvoirs publics; ces renseignements qu'on ne lui doit généralement pas, il doit savoir les réunir en les demandant avec tact et discrétion.
Pour compléter le tableau des occupations des Ingénieurs de l'État en matière d'exploitations minérales, nous devrions rappeler qu'ils ont chaque année à établir les redevances, c'est-à-dire la taxe que ces entreprises ont à payer sur leur produit net. C'est pour l'instant le seul exemple en France d'un véritable impôt sur le revenu; pour beaucoup, l'exemple n'est pas de nature à en susciter d'autres. Avec le temps, l'impôt a été de plus en plus contrôlé et minutieusement établi. D'aucuns pourront trouver que, tout justifié qu'il soit en principe, il ne vaut peut-être pas le lourd travail que nécessitent les trois à quatre millions de son produit actuel. L'exactitude à obtenir doit être tempérée par une grande légèreté de main, si l'on veut éviter de grosses pertes de temps et des froissements qui peuvent nuire à des parties plus importantes du service.
La loi et les règlements de 1810 n'avaient pas plus séparé, que la loi de 1791, les usines minéralurgiques des mines. Jusqu'à la loi du 9 mai 1866, qui a remis ces usines dans le droit commun industriel, les Ingénieurs du Corps ont dû intervenir, au même titre et dans les mêmes conditions que pour les mines, soit pour l'établissement des usines, soit pour leur surveillance et aussi pour les conseils à donner à leurs usagers. Seul l'impôt sur le revenu n'existait pas pour ces usines. Pour le restant, le milieu changeant, l'oeuvre se modifiait. Il n'y a plus là cet incertain contre lequel le mineur doit incessamment lutter, ni les dangers continus de son exploitation. Après l'appréciation toujours délicate des conditions de la création première, il n'y a plus guère que des questions de progrès industriel à réaliser. Le rôle de conseil l'emportait sur rôle de surveillance.
C'est en vue de développer ce système de conseil désintéressé de l'industrie cxtractive et minéralurgique, qui tenait une si grande place jadis dans le fonctionnement du Corps, que l'Administration avait provoqué la création de laboratoires départementaux dans les villes où résidaient des Ingénieurs des Mines. Le premier passe pour avoir été établi, en 1825, par Gueymard, à Grenoble. En 1833, la mesure se généralisa, et peu d'années après on en avait trente-trois en activité plus ou moins continue. Au début, on n'y faisait que des analyses pour les mines et les usines minéralurgiques. En 1853, on recommandait en outre d'y effectuer les essais d'engrais. Il y a soixante ans, si modestes que fussent beaucoup d'entre eux, ces laboratoires pouvaient rendre et ont rendu de très grands services à une époque où, à peu près nulle part, les intéressés ne pouvaient obtenir des déterminations de cette nature. Leur nombre est allé déclinant avec les facilités que le public a trouvées ailleurs. D'aucuns se demandent même s'il convient que les administrations publiques concurrencent ainsi ceux qui font actuellement leur profession de pareilles opérations. Le développement des mines et des usines minéralurgiques nous apparaît aujourd'hui avec évidence comme intimement lié à la Géologie. Elle n'est pourtant qu'une science assez récente, mais à la diffusion et surtout aux applications pratiques de laquelle le Corps des Mines a pris une part importante. Lorsque fut créée, en 1794, la première inspection des Mines, la Géologie n'existait pas, et l'arrêté organique du 6 juillet 1794 (18 messidor an II) s'était borné a prescrire aux Inspecteurs de réunir et de former des collections minéralogiques. Lors de l'organisation du Corps, en 1810, la Géologie, telle que nous la comprenons, n'était pas non plus très avancée, et le décret organique du 18 novembre 1810 n'en parla pas dans les attributions des Ingénieurs. En rétablissant l'École des Mines à Paris par l'ordonnance du 5 décembre 1816, le Gouvernent confia au Conseil de cette Ecole, en même temps que le soin de recueillir et de conserver des collections minéralogiques, la tâche de dresser des cartes géologiques ; ce fut effectivement d'après les propositions de ce Conseil que, quelques années après, Élie de Beaumont et Dufrénoy entreprenaient l'exécution de leur carte géologique, qui devait être complétée par les cartes départementales et les topographies souterraines, le tout pour être repris par le Service actuel de la Carte géologique détaillée.
Les Mines, la Minéralurgie et la Géologie, ainsi entendues, constituèrent donc au début les fonctions normales du Corps. Plusieurs autres occupations, de genres assez différents, devaient s'y ajouter à la suite des temps par la nature même des choses : les eaux minérales, les appareils à vapeur, les chemins de fer.
Les eaux minérales ne sont que la manifestation actuelle de phénomènes analogues à ceux d'où sont résultés anciennement les gîtes minéraux et les accidents de l'êcorce terrestre. Leur connaissance se lie de la façon la plus intime à la Géologie. Elles devaient donc rentrer, en fait, dans le domaine de ceux qui étaient à peu près seuls au courant de ces questions, lorsqu'on commença à s'en préoccuper, de même que plus tard elles furent comprises légalement dans les attributions du Corps. Un de ses membres, Jules-François de Neufchateau, a, d'ailleurs, rempli en cette matière un rôle d'une importance exceptionnelle, en même temps que d'une innovation ingénieuse et hardie.
Pour les appareils à vapeur, dès qu'ils commencèrent a se répandre dans la pratique industrielle, l'Administration, à la suite des premiers accidents de chaudières, dut se préoccuper des mesures que récalmait la sécurité publique, en même temps qu'elle s'efforçait de faire établir et de répandre les notions propres à la construction et au fonctionnement de ces appareils. Dans ce but, le Ministre de l'Intérieur, duquel dépendaient alors le Service des Mines et celui des Ponts et Chaussées, constitua, au début de 1823, une Commission des machines à vapeur, composée de quelques Ingénieurs des Mines et des Ponts et Chaussées. En 1843, cette Commission prenait la désignation, par elle conservée depuis, de Commission centrale des machines à vapeur, et, en 1873, aux Ingénieurs des Mines et des Ponts et Chaussées, qui l'avaient jusqu'alors constituée, vint s'ajouter un certain nombre d'industriels. A partir de 1843, avec la réglementation bien connue de cette époque, la surveillance des appareils à vapeur employés à terre entrait normalement dans les attributions des Ingénieurs des Mines; ils en sont exclusivement chargés depuis 1880.
Les Ingénieurs des Mines s'étaient aussi trouvés tout naturellement mêlés, dès le début, à la construction et à l'exploitation des chemins de fer. De même qu'en Angleterre les voies ferrées, établies d'abord à l'intérieur des mines, avaient été employées au jour pour le service exclusif des exploitations minérales, de même, en France, les premiers chemins de fer devaient desservir surtout les houillères. Un Ingénieur des Mines, Beaunier, dont la carrière fut si bien remplie en tant de directions si diverses, obtint, en 1823, la première concession d'un chemin de fer public, celui de Saint-Etienne à la Loire, dont il devait être le constructeur et le directeur. Depuis, les Ingénieurs des Mines, soit à titre personnel au service des Compagnies, soit par leurs fonctions réglementaires de contrôle, n'ont cessé de prendre une part active à l'exploitation des voies ferrées concurremment avec les Ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Telles sont les différentes branches spéciales dans lesquelles a dû s'exercer réglementairement l'activité du Corps des Mines. Il en est une autre qui les embrasse pour ainsi dire toutes, à raison de sa généralité, et où le Corps peut particulièrement se prévaloir des services qu'il a rendus, je veux parler de l'enseignement répandu par les Ecoles qui lui sont confiées : Ecole Nationale supérieure des Mines à Paris, École des Mines de Saint-Étienne, Écoles des maîtres-ouvriers mineurs d'Alais et de Douai. Si le but primordial de la première paraît être de former les Ingénieurs parmi lesquels se recrute le Corps, elle a une importance au moins aussi grande par les Ingénieurs du génie civil qu'elle crée avec ses élèves externes, et dont le nombre est allé toujours croissant. Quant aux Ecoles d'Alais et de Douai, les Ingénieurs des Mines se bornent à les diriger et à les administrer; l'enseignement y est donné par des Contrôleurs des Mines.
Pour apprécier à leur valeur les services rendus à l'industrie privée par les élèves externes de l'Ecole des Mines de Paris, depuis 1794, et par les élèves de Saint-Etienne depuis 1816, date de la fondation de cette seconde Ecole, on ne doit pas oublier que, jusqu'à la création de l'Ecole Centrale, en 1829, les deux premiers établissements étaient, pour tout ce qui touche aux industries extractive, minéralurgique et chimique, les seules Ecoles d'application existant en France. Leur importance reste de premier ordre, parce que l'expérience de tous les pays, qui ont une industrie extractive de quelque importance, montre la nécessité, à raison des particularités de cette industrie, d'un enseignement spécialisé qui ne peut guère recevoir tout son développement dans les écoles qui doivent embrasser simultanément toutes les branches du génie civil.
L'enseignement du Corps des Mines ne s'est pas donné seulement dans les Ecoles. En dehors de l'enseignement qui est résulté si longtemps de son rôle de conseil des exploitants, il l'a étendu et généralisé par ses publications, en y comprenant tant les ouvrages dus individuellement à certains de ses membres que le recueil officiel publié par le Corps depuis 1794. Il en a été de ces publications comme des Ecoles. Pour les apprécier en toute justice, il faut tenir compte des publications parues simultanément sur les mêmes sujets. Si, aujourd'hui, les Annales des Mines ne peuvent plus avoir que la prétention de garder un rang honorable au milieu de tant de revues technologiques que chaque année voit éclore, on ne doit pas oublier, en rappelant les plus anciennes seulement de langue française, que, en dehors du Bulletin de la Société d'Encouragement, qui date de 1802, mais diffère profondément des Annales des Mines, le Bulletin de la Société géologique remonte à 1830, celui de la Société des Ingénieurs civils à 1848, celui de la Société de l'Industrie minérale à 1855, la Revue universelle de Liège à 1867.
Nous n'entendons parler et nous ne nous occuperons en détail, ultérieurement, que de l'enseignement et des publications qui se rattachent directement aux matières pour lesquelles le Corps des Mines a été constitué et fonctionne. Nous devons laisser de côté l'enseignement et les travaux de ceux de ses membres qui ont jeté et jettent encore sur le Corps un éclat qui grandit, tant par la masse que par l'importance de leurs oeuvres, mais qui restent essentiellement personnelles ; certes, ces travaux honorent singulièrement le Corps, en montrant la valeur de nombre de ses membres; ils ne justifieraient pas son existence comme ne se rattachant pas à ses occupations professionnelles. Il faut aussi nous taire, pour ce motif, sur l'enseignement donné par des Ingénieurs des Mines au Collège de France comme à l'Ecole Polytechnique, à la Sorbonne comme dans nombre de Facultés des Sciences en province. Nous ne pouvons pas non plus parler des travaux de Géométrie des Lamé, Bertrand, Bour, Jordan, Poincaré et Humbert; de Mécanique des Delaunay, Phillips, Resal et Haton de la Goupillière; de Physique des Regnault, de Senarmont, Potier et Cornu; de Chimie pure des Berthier, Ebelmen, Rivot, Carnot, H. Le Chatelier, qu'ils soient restés simultanément dans les services de l'Administration, ou se soient exclusivement livrés à la Science.
Des raisons analogues nous feront écarter, encore qu'il s'agisse de matières se rattachant aux occupations du Corps, les travaux de Minéralogie et de Géologie d'ordre purement spéculatif tels que ceux des Elie de Beaumont et Marcel Bertrand sur la stratigraphie et la tectonique de l'écorce terrestre; des Cordier, Delesse et Michel-Lévy sur les roches; des Durocher et de Senarmont sur la reconstitution des substances minérales; des Daubrée sur la Géologie expérimentale et des Mallard sur la Cristallographie. Nous ne pourrons pas davantage retenir les spéculations philosophiques des Jean Reynaud, les éludes sociales des Le Play et les recherches économiques des Michel Chevalier.
Combien d'autres travaux ne sommes-nous pas obligé de négliger : les uns, se rattachant à des services permanents, tels que le service du Nivellement général de la France, où M. Lallemand a tout créé, les méthodes comme les appareils; les autres, occasionnels, comme le concours donné aux Expositions universelles auxquelles le souvenir de Le Play reste plus spécialement attaché.
Après cette sèche énumération, il nous sera toutefois permis de rappeler le nombre singulièrement important de ses membres que le Corps des Mines a vu entrer à l'Institut. Des 23 Ingénieurs de l'organisation primitive de 1794, 5 ont été Membres et 3 Correspondants de l'Institut. La promotion des 40 élèves, reçue directement à l'Ecole des Mines en 1794-1795, a compté 3 Membres et 1 Correspondant. Depuis le recrutement du Corps par l'Ecole Polytechnique on compte 27 Membres et 4 Correspondants; c'est pour cette dernière période une proportion d'environ 9 pour 100 de l'effectif total.
Nous donnons ci-dessous, pour les trois époques, que nous distinguons par I, II, III, la liste des Membres et des Correspondants avec la date de l'entrée de chacun à l'Institut, les noms des Membres libres étant en italique :
I. Membres : Vauquelin (1795), Guillot-Duhamel (1793), Lelièvre (1790),
Brongniart (Alexandre) (1815), Gillet de Laumont (1816). Correspondants : Giroud (1796), Picot de Lapeyrouse (1796), Schreiber (1796).
II. Membres : Brochant de Villiers (1816), Cordier (1822), Héricart de Thury (1824). Correspondant : de Morogues (1834). III. Membres : Héron de Villefosse (1816), Berthier (1827), Élie de Beaumont (1835), de Bonnard (1837), Regnault (1840), Dufrénoy (1840), Lamé (1843), Combes (1847), Michel Chevalier (1851), de Senarmont (1852), Delaunay(1855), Joseph Bertrand (1856), Clapeyron (1858), Daubrée (1861), Phillips (1868), Resal (1873), Cornu (1878), Delesse (1879), Jordan (1881), de Freycinet (1882, libre, 1890, titulaire), Haton de la Goupillière (1884), Poincaré (1887), Mallard (1890), Potier (1891), Carnot (1895), Marcel Bertrand (1896). Correspondants : Burdin (1842), Durocher (1858), de Vergnette-Lamothe (1865), de Marignac (1868). D'Aubuisson de Voisins, élu Correspondant en 1821, n'avait été d'aucune de ces trois catégories. Sauf de Morogues et Michel Chevalier, qui ont appartenu à l'Académie des Sciences morales et politiques, tous les Membres du Corps ont été de l'Académie des Sciences. M. de Freycinet, Membre libre de cette Académie en 1882, a été élu à l'Académie française en 1890. |
Le Corps des Mines ne retire pas un simple honneur de l'éclat avec lequel tant de ses membres ont cultivé les sciences. Un jour vient, et cela souvent, où les connaissances du savant profitent directement au service, et je ne parle pas de cette utilité indirecte qu'a pour tous les arts le progrès de toutes les sciences. Les questions importantes intéressant le service technique des Mines se sont toujours résolues d'après les avis des Conseils et Comités qui occupent les sommets de la hiérarchie administrative : Conseil général des Mines, Commission centrale des machines à vapeur, Comités des chemins de fer, à moins qu'elles ne soient étudiées par une Commission à ce spécialement constituée. On comprend la force que le concours de telles intelligences et de telles connaissances donne aux délibérations des Conseils et Comités où ceux qui les apportent entrent par la voie hiérarchique; on conçoit quelles ressources l'autorité, qui en dispose avec leur Corps, peut en retirer pour des recherches particulières. Là gît l'utilité de ces Corps recrutés à l'Ecole Polytechnique et surtout dans son élite. Pour en obtenir tout le profit possible, une administration avisée doit susciter la diversité des aptitudes de leurs membres au lieu de la combattre.
Parmi ces Conseils, il convient de s'arrêter plus spécialement au Conseil général des Mines; le Corps des Mines y ressortit en fait, sinon en droit. Après avoir compris parmi ses membres, à ses débuts en 1810, des représentants du Conseil d'Etat, le Conseil ne se compose plus, en dehors de son Secrétaire, que des Inspecteurs généraux du Corps. L'importance de son rôle a été d'autant plus grande que l'Administration des Mines n'a eu qu'à de bien rares exceptions un directeur qui lui fût spécial. Si, en matière de pure administration, les délibérations du Conseil restent des avis consultatifs que parfois, bien que rarement, l'Administration supérieure a pu ne pas suivre, elles se sont toujours imposées dans toutes les matières techniques, surtout lorsqu'elles intéressent la sécurité.
Le Conseil, en 1810, eut pour premier Président, ou, suivant la langue administrative, pour Vice-Président - car c'est le Ministre qui est le Président officiel, - Lefebvre d'Hellancourt, celui des trois membres de l'ancien Conseil qu'indiquait pour cette place son rôle prépondérant dans l'application des lois successives de 1791 et de 1810. Lorsque Lefebvre mourut en 1813, il fut remplacé par son collègue du premier Conseil, Lelièvre, désigné par sa compétence spéciale en administration. Lelièvre dirigea les délibérations pendant vingt ans, jusqu'au début du Gouvernement de Juillet, en 1832, à l'heure où les Pouvoirs publics comprirent la nécessité, à la veille de la transformation industrielle que l'on pressentait, de renouveler l'Administration et l'Ecole des Mines que la Restauration avait laissé s'endormir et quelque peu vieillir.
Guillot-Duhamel, qui succéda à Lelièvre, abordait la présidence en y apportant le souvenir de grands services personnels et le souvenir plus grand encore de ceux rendus par son père. Mais à peine nommé, la mort l'emportait.
Un membre du Conseil se trouvait alors indiqué par sa rare valeur, quoique relativement jeune encore, pour recueillir cette succession. Les vastes connaissances techniques et administratives dont Héron de Villefosse avait fait preuve dans la Richesse minérale, les hautes situations par lui occupées, sa forte culture littéraire, ses grandes relations, tout concourait à le mettre hors de pair. Il ne garda le poste que trois mois, de mai à juillet 1832. Le légitimiste ardent qu'il était devenu ne put se résoudre à servir le Gouvernement de Juillet dans un poste aussi en évidence. Nous avons dit les attaches que, par sa famille, Héron de Villefosse avait avec l'ancien régime; elles expliquaient les faveurs, du reste justifiées par le mérite, dont il fut comblé par la Restauration et particulièrement par Louis XVIII. Comme pour tant d'hommes éminents de ce temps, les liens avec le passé n'avaient pas empêché Héron de Villefosse de servir l'Empereur avec d'autant plus de dévouement qu'il n'était né à la vie publique que sous son autorité. Mais beaucoup, il fut de ce nombre et l'on ne saurait que l'en honorer, ne purent admettre de reporter sur Louis-Philippe la fidélité qu'ils venaient de renouer avec les Bourbons.
Les scrupules politiques de Héron de Villefosse amenèrent à la présidence Cordier, qui garda le poste pendant trente ans jusqu'à sa mort en 1861, à l'âge de 80 ans. Cordier, a pris ainsi l'industrie des Mines et celle de la Métallurgie presque encore dans l'enfance, pour les voir, après la révolution industrielle de ce siècle, à peu près à leur complet épanouissement moderne. Il a rempli ses fonctions, entre un point de départ et un point d'arrivée si différents, avec cette autorité féconde, encore que sans tapage, qui le mit à la hauteur de toutes les grandes situations par lui occupées et expliquait en même temps que l'Administration les lui confiât à l'envi, sans se soucier de critiques comme celles d'Alphonse Karr supputant que Cordier ne pouvait matériellement pas s'acquitter des devoirs de ses Présidences et Commissions sans ajouter quelques jours à la durée de la semaine. Avec lui, et nonobstant l'exemple heureux qu'il donna après Lelièvre, cessa le privilège, dont avait joui jusqu'alors le Président du Conseil des Mines, de ne pas être soumis à la loi fatidique de la retraite d'âge. Dès lors, les Présidents se succèdent avec la rapidité qu'entraîne cette règle aggravée souvent par la fragilité de la vie humaine. Alors que, de 1811 à 1861, le Conseil, pendant un demi-siècle, n'a pour ainsi dire connu que deux Présidents, huit se remplacent en un quart de siècle, de 1861 à 1886. C'est d'abord Élie de Beaumont (1861-1868), le plus grand nom géologique français; puis Combes (1868-1871), avec sa compétence exceptionnelle en exploitation de mines et en machines, où il a été un des maîtres les plus éminents, un savant doublé d'un praticien; de Billy (1871-1872) ne fait que passer dans ce poste qui fut pour lui le couronnement d'une carrière administrative bien remplie; Gruner (1872-1879) arrive à la Présidence avec sa maîtrise en Métallurgie, ses grandes connaissances géologiques et sa pratique des mines; puis viennent les noms, honorés par leurs services, de du Souich (1879-1882), Guillebot de Nerville (1882-1884), Tournaire (1884-1886) auxquels succèdent M. Jacquot (1886-1887) et M. Linder depuis 1887.
Si le Président dirige le travail du Conseil, le Secrétaire l'a de tout temps préparé avec un souci des traditions et de la jurisprudence qui ne contribue pas peu à maintenir l'autorité des délibérations, et il s'est toujours efforcé de traduire les pensées du Conseil avec an soin de la forme qui en accroît la clarté en en augmentant la force. Dans ces fonctions, non moins délicates qu'importantes, se sont succédé depuis 1811 : de Bonnard, auquel des travaux géologiques sérieux avaient ouvert les portes de l'Académie des Sciences, et qui a, chose rare, occupé ces fonctions pendant vingt ans, jusqu'en 1832, à côté du même Président, Lelièvre; Migneron (1832-1834), à qui l'on doit des études estimées sur l'administration; Garnier (1834-1840), auteur de travaux importants sur les puits artésiens; Thirria (1840-1848), géologue distingué; Levallois(1848-1852) qui, avant de se livrer également avec succès à la Géologie, avait dirigé les premiers travaux de reconnaissance et d'exploitation sur le gîte de sel gemme découvert en 1819, dans l'Est; Piérard (1852-1868), qui quitta le Secrétariat pour prendre la direction du chemin de fer de l'Ouest; M. Lamé Fleury (1868-1876), particulièrement indiqué par ses travaux sur le Droit minier, ancien et moderne, qui ne laissa le poste, après avoir traversé la Direction des Mines, que pour aller au Conseil d'Etat; Hanet-Cléry (1876-1879), enlevé trop rapidement pour avoir donné sa mesure; enfin, M. Lorieux (1879-1888), passé Inspecteur général et, depuis, M. Zeiller, dont on sait les remarquables travaux sur la Paléontologie végétale.
En dehors de son fonctionnement normal, en présence de circonstances spéciales et passagères, le Corps des Mines a dû parfois se modifier en quelque sorte, pour se plier à ces conjonctures. Déjà, lors de la guerre d'Italie, en 1859, deux membres du Corps furent appelés spécialement à concourir en Lombardie au rétablissement immédiat des Chemins de fer que les Autrichiens avaient désorganisés en se retirant au delà du Tessin. Tandis que M. Amilhau, des Ponts et Chaussées, réparait l'infrastructure, M. Linder devait reconstituer le matériel roulant sous l'autorité directe du maréchal Vaillant, et Diday, comme directeur des Chemins de fer lombards, assurer l'exploitation. On dut emprunter au P.-L.-M., en France, locomotives et tenders, les faire transporter par mer de Marseille à Gènes et les remonter sur place avec la hâte que nécessitent de pareilles circonstances.
Le concours demandé au Corps des Mines en 1870-1871 devait être plus général. La plupart de ses Membres ont dû participer à la défense nationale : les uns concurremment avec leur service normal; les autres exclusivement, soit pour marcher avec les troupes, soit pour des tâches spéciales réclamées par l'autorité militaire, sans parler de ceux auxquels incombaient des fonctions encore plus élevées, et notamment de celui auquel Gambetta avait remis la direction de la défense en province. Ceux-ci ont monté et dirigé des capsuleries, comme M. Linder à Bordeaux, ou des cartoucheries, comme Brossard de Corbigny à Angers; ceux-là surveillaient la fabrication des nouveaux canons en acier. Une mention spéciale doit être donnée à Tournaire pour sa présidence de la Commission instituée à Saint-Étienne, le 9 novembre 1870, en vue de l'armement de la Garde nationale mobilisée. En dehors des services importants rendus directement par lui dans ses fonctions à raison de sa compétence, de son activité et de sa vigilance, Tournaire en a accru la valeur, au point de vue professionnel et métallurgique, par le rapport dans lequel il a rendu compte des essais sur la composition, les propriétés, les qualités et les résistances de l'acier des 366 pièces de canon livrées de fin 1870 au mois de juin 1871, ainsi que des expériences de tir opérées sur 263 de ces pièces.
Parmi les Ingénieurs qui ont été encore utilisés directement par l'autorité militaire, hors de ceux qui servaient simplement comme officiers dans la troupe, il faut citer Mallard et Fuchs, revenus tous deux précipitamment d'une mission au Chili à la nouvelle de la guerre, et arrivés assez à temps pour être chargés des fonctions de Chefs du génie civil, le premier dans l'armée de Bourbaki et le second dans celle de Chanzy.
A Paris, l'autorité militaire, à raison des occupations en temps de paix des Ingénieurs des Mines du Service des carrières de la Seine, tira des avantages spéciaux de l'emploi du Bataillon des mineurs auxiliaires du génie, constitué le 10 septembre 1870, sous l'autorité de M. Jacquot, alors Ingénieur en chef du Service des carrières de la Seine. Dans ce bataillon furent enrôlés tous les jeunes Ingénieurs des Mines présents dans la Capitale : Jordan, Worms de Romilly, Michel-Lévy, Douvillé, Clérault, avec les Élèves-ingénieurs Zeiller, Henry, Heurteau, Amiot, Voisin, Boutan, Bertrand, de Grossouvre, Le Verrier. Descos, qui était Ingénieur du Service sous les ordres de M. Jacquot, prit une part exceptionnelle aux opérations du bataillon, notamment pour relier souterrainement à la Place les forts du Sud, en profitant des travaux existant dans les carrières en vue de gagner du temps avant tout bombardement; simultanément, il faisait disparaître les obstacles provenant de l'exploitation antérieure et qui auraient nui à la défense. Dès le 20 septembre, le fort de Montrouge était attaché souterrainement à la Place ; un puits de 24 m de profondeur avait été foncé à cet effet dans les fossés du fort. Plus tard une jonction aurait été établie de même entre la Place et les forts d'Ivry et de Vanves. Pendant la Commune, Descos dut, pour aider l'arrivée de l'armée de Versailles, fermer les communications qu'il avait ouvertes avec tant de peine et tant d'efforts. Un dernier souvenir doit être donné à Choulette, qui fut tué à Belfort, le 9 février 1871, par un éclat d'obus, alors que l'armistice, cette place exceptée, avait été conclu le 28 janvier et que, quelques jours après, l'armistice allait la comprendre. Pendant ce siège mémorable, Choulette avait rendu les plus grands services par son ingéniosité à établir les diverses installations, rentrant dans ses occupations professionnelles, qui lui avaient été demandées : fours à coke, lumière électrique, chemins de fer pour transport de canon, construction et expédition d'un ballon.
Nos dissensions civiles ont été plus cruelles pour le Corps des Mines. Lesbros, encore à l'Ecole en première année, meurt des blessures reçues le 24 juin 1848 dans la rue des Noyers, à l'attaque d'une barricade. De l'Espée, que M. Thiers venait d'envoyer comme préfet à Saint-Etienne, y est assassiné le 26 mars 1871, après un long martyre, par des émeutiers qui, s'étant rendus maîtres pour quelques instants de la préfecture, lui réclamèrent vainement sa capitulation et la proclamation de la Commune.
D'autres sont tombés dans la mine même, où un commun danger abat l'ingénieur aussi bien que l'ouvrier, de même qu'au champ d'honneur l'officier et le soldat.
Le 31 mars 1833, Jabin, qui était Professeur de Minéralurgie et de Docimasie à l'École de Saint-Etienne, assistait à l'essai d'une machine à vapeur qu'il venait de faire installer sur la mine de Bérard, qu'il dirigeait. Pour éviter une mise imminente aux molettes, Jabin, n'ayant pu réussir à fermer l'admission de vapeur, se précipitait sur le frein du volant; le choc contre les molettes ne put être évité; la chaîne de suspension rompue vint le frapper à la tête et le tuer sur le coup. Il n'avait que 31 ans. Pour honorer sa mémoire, son nom fut donné à un puits de la mine que la fatalité devait poursuivre en l'atteignant de deux de nos plus grandes catastrophes; quelque superstitieux aurait pu croire à un mauvais sort provenant de l'appellation et de sa cause.
Il semble au reste que la fatalité se soit plu à atteindre tout ce qui concernait Jabin. Son successeur dans la chaire de Métallurgie, Malinvaud, dut, peu de temps après, renoncer au professorat, dont il ne pouvait supporter les fatigues, pour le Service ordinaire de Saône-et-Loire. Il visitait, en juillet 1886, le puits Curier de la mine d'Épinac ; la benne dans laquelle il descendait fut accrochée par la benne montante jusqu'à être amenée à l'horizontale. Malinvaud reçut des blessures sérieuses dont sa constitution affaiblie ne put se remettre; il mourait quelques mois après, à 29 ans.
Vingt-sept ans plus tard, Famin (promotion de 1857 de Polytechnique), sortant à peine de l'Ecole des Mines, est tué avec le Directeur de la mine de Monthieux (Loire), le 17 juin 1863, au Puits neuf de cette mine, où il faisait une visite réglementaire. La benne par laquelle ils remontaient vint buter contre une pierre qui se détacha et tomba sur eux.
Le 28 mai 1881, Bonnefoy (promotion de 1878 de Polytechnique, né le 18 octobre 1854), procédant à l'enquête légale à la suite d'un accident de grisou aux mines de Champagnac (Cantal), tombe victime d'une nouvelle explosion, qui foudroya autour de lui deux ingénieurs de la mine et deux maîtres mineurs, sans qu'on ait jamais pu expliquer les circonstances de cette lamentable catastrophe.
Presque en même temps que Bonnefoy était ainsi frappé dans une mine de l'Auvergne, Roche, son ancien, était massacré à Bir El Gahrama avec la seconde mission Flatters.
L'Afrique devait être fatale à bien d'autres Ingénieurs sans qu'ils aient été les victimes de pareils drames. Brédif, un des rares survivants du naufrage de la Méduse, qui avait fait preuve, dans ces lugubres circonstances, d'un sang-froid et d'un courage remarqués, meurt à Saint-Louis du Sénégal, le 1er janvier 1818, à 31 ans, après dix-huit mois de mission. Grandin, qui lui succéda comme membre de la Commission d'exploration de la colonie, succombe à la fièvre le 16 novembre 1821. En dehors des travaux de reconnaissance qu'il avait effectués et des plans qu'il avait levés, il avait rendu à la colonie les plus grands services par la recherche des matériaux de construction et la mise en train de la fabrication des briques et de la chaux. Beaucoup d'autres sont morts prématurément des fatigues subies dans les services coloniaux auxquels le Corps des Mines a été appelé à concourir avec son Service métropolitain ; mais, après cette vue d'ensemble sur l'Historique du Corps, il est temps d'aborder, avec la seconde partie de cette Note, l'étude détaillée de son fonctionnement.
L'OEUVRE DU CORPS.
Si le rôle direct de l'Administration, agissant en son nom, semble assez terne dans les recherches de mines, ce serait une erreur de croire que celui des Ingénieurs des Mines ne mérite pas d'être mentionné.
On peut ranger, on le sait, dans deux catégories, les découvertes de gîtes minéraux.
Les unes ne sont guère que l'effet d'un hasard qui amène la rencontre, aux affleurements, de premiers indices que des travaux appropriés devront suivre pour en reconnaître la valeur réelle. Tel est le cas de la plupart des gîtes de substances métalliques en filons. Plus d'une théorie a été faite sur la formation et les lois d'enrichissement de ces gîtes, comme celle de Rivot, un peu spéciale aux districts par lui observés, ou celles plus générales de M. Moissenet, pour ne parler ici que des systèmes d'une portée pratique immédiate, et sans rappeler les grandes théories géogéniques sur la formation des gîtes métalliques. Quelle qu'ait pu être l'utilité locale ou même générale de ces observations et, déductions, il faut bien reconnaître que c'est toujours fortuitement qu'on rencontre les premiers indices, dont la valeur réelle ne pourra être établie que par des travaux indispensables pour constituer une invention de mine. Bien des fois l'indication première sera sans valeur; la mine ne sera réellement découverte, ensuite, qu'après des recherches plus ou moins considérables. Parfois cependant, l'indication première elle-même dénote déjà un mérite réel. Tel a été le cas de ces affleurements stannifères du Limousin et de la Marche, signalés par Mallard, en 1865, au début d'une carrière qui, dans sa brièveté relative, devait être si pleine et si féconde. La réalité, pas plus ici qu'à Piriac et à la Villeder n'a confirmé, jusqu'à présent du moins, les espérances de la première heure. Le gîte de Montebras (Creuse) n'a pas répondu aux efforts qu'on y a déployés à grands frais.
La seconde calégorie de gîtes comprend les gisements sédimentaires qui se rencontrent à des niveaux géologiques déterminés, tels que des couches de houille ou de minerai de fer. Ici la science précède la découverte plus qu'elle ne la suit. C'est le cas notamment lorsqu'il s'agit de rechercher le prolongement d'un bassin au-dessous des morts terrains qui le recouvrent. Comme dans toutes les recherches de mines, la chance joue toujours son rôle; de multiples aléas menacent constamment toute entreprise du mineur. Mais des études géologiques spéciales peuvent diminuer considérablement le nombre des tentatives et les dépenses, en restreignant a priori le champ des recherches. Telle a été l'utilité, dans bien des circonstances, des occupations des Ingénieurs des Mines. Deux de ces travaux méritent d'être relevés plus spécialement; le premier, dont l'importance économique devait être si considérable, a contribué à la découverte du prolongement du bassin houiller du Pas-de-Calais ; l'autre, resté plus intéressant qu'important, se rapporte au prolongement du bassin houiller de la Sarre; au premier se rattache le nom de du Souich ; au second, celui de M. Jacquot.
Le bassin houiller qui affleure de Liège à Mons, en Belgique, disparaît sous les morts terrains avant la frontière française. A la suite des découvertes faites sur notre territoire, de 1720 à 1734, par les auteurs de la Compagnie d'Anzin, l'exploitation de la houille s'était étendue dans le département du Nord, de la frontière belge à l'est, jusqu'à la concession d'Aniche à l'ouest. La continuation du bassin houiller restait absolument inconnue au delà de Douai et de la Scarpe, qui limite à l'ouest cette dernière concession ; la difficulté de la découverte s'accroissait par le fait que les exploitations d'Aniche, dans le premier quart de ce siècle, ne portaient que sur l'extrémité est de la concession. Les recherches furent d'abord tentées dans le prolongement direct de la partie connue du bassin ; des puits furent foncés et des sondages forés entre Douai et Arras. On ne savait pas alors que le bassin houiller subit à Douai une brusque inflexion qui le rejette de 8 km vers le Nord. Une période de travaux, particulièrement active, accompagna le mouvement de rénovation industrielle qui marqua le début du Gouvernement de Juillet. De 1833 à 1840, on entreprit des puits et des sondages de tous les côtés ; quatre millions de francs furent inutilement dépensés; toutes les Compagnies d'exploration avaient fini par être mises en dissolution. Il semblait qu'on dût renoncer à réussir. L'une de ces associations, la Société des Canonniers de Lille, paraissait avoir voulu résoudre le problème par la multiplicité de sondages, éparpillés partout, au nombre de seize, sans aucune méthode, bien plus que par le choix judicieux de leurs emplacements; elle ne fut pourtant empêchée d'aboutir, dès le début, que par une de ces mésaventures qui menacent toujours de pareilles entreprises. Son sondage de Fiers, à 3 km au nord-ouest de Douai, aurait rencontré la houille, en faisant gagner douze ans et réaliser plusieurs millions d'économie, s'il n'avait été arrêté par un accident, le 3 août 1835, à 206 m de profondeur, dans le tourtia, quelques mètres seulement avant de recouper le terrain houiller.
Au moment où se terminait cette première période d'insuccès, du Souich, alors Ingénieur des Mines à Arras, achevait la Carte géologique du Pas-de-Calais, encore qu'elle ne dût être publiée qu'assez longtemps après. Il avait notamment reconnu et soigneusement relevé les pointements de terrain dévonien qui jalonnaient, de l'Est à l'Ouest, la bordure méridionale de ce bassin houiller tant recherché, depuis Rebreuve, à l'est, jusqu'à Audincthun, à l'ouest, en passant par La Comté, Bailleul, les Pernes, Febvin, Fléchin, Matringhem. La déviation autour de Douai devenait évidente. On ne pouvait plus hésiter sur l'emplacement ni l'ordre des recherches. Le mérite d'avoir résolu matériellement le problème revient à la Compagnie de la Scarpe, depuis Compagnie de l'Escarpelle, qui, sous la direction de son directeur, M. Soyez, trouva enfin la houille au delà de la Scarpe, le 7 juin 1847, à 158 m,90 de profondeur. Ce fut véritablement l'origine de la découverte du bassin du Pas-de-Calais. Sans doute le terrain houiller avait été auparavant rencontré dans un sondage fait à Oignies, en 1840, pour la recherche de l'eau. Mais les résultats de ce travail, bien qu'il eût été poussé à 400 mètres, étaient restés inconnus de tout le monde, et ceux qui l'avaient exécuté n'avaient paru y attacher aucune importance au point de vue de la découverte de la houille.
Pour avoir été singulièrement moins importante dans sa réalité et encore qu'elle ne dût finalement pas profiter au pays, la reconnaissance du prolongement du bassin houiller de la Sarre n'en est pas moins un bon exemple du résultat des études géologiques exécutées par les Ingénieurs des Mines.
La contrée de Sarrelouis, cédée à Louis XIV par le traité de Ryswik, contenait l'extrémité du bassin houiller de la Sarre qui apparaît au jour. Quelques exploitations y étaient en activité, notamment à Schwalbach et Hostenbach, aux environs même de Sarrelouis, en 1790, lors de la création du département de la Moselle où elles se trouvèrent placées. En 1798, le pays de Sarrebrück fut annexé à la France et les mines furent exploitées pour le compte de l'Etat jusqu'en 1814. La délimitation de 1814, en conservant au département de la Moselle les cantons de Sarrelouis et de Rehling, ainsi que ceux de Sarrebrück et de Saint-Jean, détachés de l'ancien département de la Sarre, nous laissait la moitié environ de la partie riche et utile du bassin. Les traités de 1815 en firent passer à la Prusse et à la Bavière la totalité apparente et nous enlevèrent même ce que nous en avions possédé, de Louis XIV à 1790.
On s'était immédiatement préoccupé, dans la Moselle, de rechercher sous les morts terrains le prolongement du gîte dont nous venions d'être ainsi privés. Les premiers travaux entrepris le plus près de la frontière et de Sarrebrück amenèrent, à la suite de recherches poursuivies de 1816 à 1820, sur les conseils de de Gargan, alors Ingénieur des mines du district, l'institution de la concession de Schoeneken sur la pointe formée par notre territoire entre Forbach, au sud, Stiring à l'est et la Rosselle à l'ouest. A la suite de divers insuccès, cette concession resta délaissée jusqu'en 1847, où de nouveaux travaux furent repris lorsque la mine eut passé entre les mains de la maison de de Wendel, dans laquelle de Gargan était entré depuis 1828; en 1852, sous son inspiration, on reconnaissait l'extension du terrain houiller au sud de Forbach, ce qui donnait lieu à l'institution, en 1856, de la concession de ce nom.
En 1853 commençait, sous l'inspiration de M. Jacquot, l'exploration de la plaine de Creutzwald. Des observations, recueillies de 1847 à 1850 sur le bassin houiller de la Sarre et publiées en 1853, lui avaient permis d'en reconnaître les grands traits et les accidents caractéristiques ; l'étude de leur continuité dans la direction 30o sud jusque dans le pays Messin lui avait fait choisir, dès 1849, cette plaine de Creutzwald et lui permirent d'indiquer, en 1853, avec la plus grande sûreté, les emplacements des sondages successifs de Creutzwald d'abord, tout à côté de la frontière, et de Porcelette ensuite, à 8 kilomètres au delà, dont le succès résolut la question. De 1853 à 1859, où l'on peut considérer comme terminée l'exploration de la plaine de Creutzwald, 28 forages avaient été exécutés, de Cocheren au sud-est à Merton au nord-ouest; 16 d'entre eux avaient rencontré des couches de houille exploitables, les autres avaient été arrêtés pour des causes diverses, soit dans le terrain houiller, soit au-dessus. C'étaient 13000 hectares de terrain houiller utile dont l'existence venait d'être ainsi établie, sous le grès vosgien et le nouveau grès rouge, sans compter les 4000 hectares reconnus antérieurement à Forbach au sud de la concession primitive de Schoenecken. Dans la plaine de Creutzwald, le terrain houiller se trouvait à une profondeur de 170 mètres environ, pouvant aller à 237 mètres à l'extrémité de la plaine au sud-ouest. A la suite de ces découvertes, 9 concessions, comprenant une étendue superficielle de 16400 hectares, furent instituées de 1857 à 1862. Des affluences d'eau exceptionnelles vinrent plus tard contrarier le fonçage des puits entrepris pour l'exploitation de ce gisement. On ne réussit à passer le niveau à l'Hôpital qu'en recourant au système Chaudron. Ces difficultés ont arrêté la mise en valeur du district. Aujourd'hui, on en aurait sans doute raison. La France, qui avait déjà perdu dans ses malheurs antérieurs les ressources houillères situées plus au nord de cette région, devait perdre, dans une infortune encore plus grande, les richesses nouvellement découvertes.
Pour être beaucoup moins important que les deux grands bassins dont nous venons de parler, la recherche du prolongement du bassin houiller de Carmaux (Tarn) a présenté des faits analogues, et une intervention des Ingénieurs des Mines qui, pour ne pas avoir produit de fruits directs et immédiats, n'en mérite pas moins d'être relevée. A la suite vraisemblablement des succès obtenus dans le Pas-de-Calais, de Boucheporn, alors Ingénieur ordinaire des Mines à Albi, que des rêveries géogéniques n'empêchaient pas d'être un géologue pratique, actif et judicieux, et qui, dès 1848, avait signalé l'allure nord-sud du bassin houiller de Carmaux, avait, vers 1850-1852, conseillé divers sondages entre Albi et Carmaux, dont l'un sur le plateau de la rive gauche du Tarn, à 3 kilomètres et demi au nord-est d'Albi, si audacieux qu'il pût paraître, aurait bien pu trouver la solution près de quarante ans en avance si, comme le sondage des Canonniers de Lille de 1835, il n'avait pas été arrêté par un accident dans le tertiaire. Treize ans après, Louis Le Chatelier, avec son génie d'invention industrielle toujours en mouvement, faisait reprendre des recherches dans le même but, au sud de l'immense concession qui entourait, comme d'un périmètre de protection de 4 à 6 kilomètres, le seul pointement houiller sur lequel étaient alors concentrés, à Carmaux, les puits d'exploitation. Deux sondages, placés à 5 kilomètres et demi l'un de l'autre, sur une ligne est-ouest, dessinèrent en quelque sorte, celui de Sainte-Martianne, la bordure est, et celui de Saint-Jean-le-Fond, la bordure ouest du long synclinal qui constitue, comme on le sait aujourd'hui, le bassin de Carmaux. A la suite des nouveaux travaux de la Compagnie concessionnaire, qui venaient accentuer cette allure, il n'y avait plus qu'à se placer entre le sondage Boucheporn et les deux sondages Le Chatelier pour cueillir le résultat, ainsi qu'eut la sagacité de le faire vingt ans après, en 1882, sous la direction de M. Grand, ingénieur civil, la Société des mines de houille d'Albi, dont les exploitations viennent d'être mises en train à la suite de ces heureuses découvertes.
La Stratigraphie et la Tectonique peuvent seules restreindre la part du hasard dans ces recherches en grand, sinon toujours donner des indications sûres; les grands progrès de la Paléontologie végétale ont permis, dans l'étude détaillée d'un bassin, d'identifier les faisceaux de couches de la façon la plus précise et par suite de définir exactement les accidents et de résoudre des problèmes où s'étaient jadis trompés des maîtres parfaitement familiarisés avec la stratigraphie locale. On a vu là, une fois de plus, un exemple de l'utilité immédiate que peuvent avoir, dans la pratique des arts, les conséquences de la culture d'une science pure. Une des plus intéressantes applications à coup sûr en a été donnée par le sondage de Ricard des mines de la Grand-Combe. Un accident stratigraphique, dit du col Malpertus, se trouvait avoir, à l'ouest, les faisceaux superposés de Trescol et de Champclauson, ce dernier au-dessus de l'autre; à l'est était le faisceau de la montagne Sainte-Barbe, que la Stratigraphie et la Tectonique avaient amené à assimiler au faisceau de Champclauson. L'examen des empreintes recueillies dans les exploitations de la Grand-Combe fit reconnaître, en 1881, à M. Zeiller (promotion de 1865 de Polytechnique), professeur de Paléontologie végétale à l'Ecole des Mines, que le faisceau de la montagne Sainte-Barbe, loin de pouvoir être identifié à celui de Champclauson, devait être inférieur à celui de Trescol. Un sondage fut immédiatement commencé pour vérifier les conséquences de cette conclusion. D'abord interrompu, puis repris à la suite de nouvelles indications (On ne remplit qu'un devoir de justice en rappelant que M. Zeiller, après ces premières indications, n'a pas poursuivi cette affaire et que c'est à la suite d'une étude de M. Grand'Eury, ingénieur civil, que le sondage a été repris) qui confirmèrent celles de M. Zeiller, le sondage trouva une première couche de 5 mètres à 736 mètres de profondeur et une seconde de 10 mètres à 778 mètres, correspondant au faisceau de Sainte-Barbe.
Des recherches de cette nature ont eu généralement la houille pour objet. On en pourrait citer d'analogues pour le minerai de fer en couches, notamment dans le classique gisement du Nord-Est et y relever aussi une utile intervention des Ingénieurs des Mines. Plus anciennement et pour d'autres substances, on pourrait rappeler les recherches et les observations de de Villeneuve, en 1834-1836, sur les calcaires à chaux hydraulique et à ciment des Bouches-du-Rhône, et en particulier sur ceux de Roquefort; de Villeneuve a ainsi provoqué dans ce district l'importante industrie qui s'y est établie et à laquelle il devait du reste apporter d'utiles améliorations que nous aurons occasion de signaler.
En tout cas, on ne doit pas oublier le rôle des Ingénieurs des Mines pour signaler la présence et répandre la pratique des phosphates de chaux en France. Berthier avait le premier, en 1818, indiqué cette substance dans les pyrites du gault, de Wissant (Pas-de-Calais), à l'étage où elle devait être plus tard reconnue avec une fréquence spéciale. En 1820, il révélait la nature des nodules de la craie chloritée du cap de la Hève, qui avaient été découverts par de Bonnard. Ce n'est que deux ans après qu'on commençait à se préoccuper, en Angleterre, de l'emploi des phosphates d'os pour l'Agriculture et que Buckland et Conybeare signalaient les phosphates du Bone Bed de la partie inférieure du lias ou du Crag du tertiaire très récent. De 1852 à 1856, Meugy, qui avait fait de cette question une étude particulière, signala successivement les nodules phosphatés de la craie chloritée d'Annasse près de Lille, à la base du Sénonien, et la vraie nature des Coquins ou nodules de Grand-Pré, Vouziers et Rethel. La Note magistrale publiée par Elie de Beaumont en 1856 sur l'utilité agricole et sur les gisements géologiques du phosphore (la note avait d'abord paru sous ce titre dans les Mémoires de la Société impériale et centrale d'Agriculture; elle fut reproduite par ordre dans le Moniteur universel), où il donnait les indications les plus complètes et les plus précises sur les niveaux phosphatés et particulièrement sur celui du gault, ainsi que sur leurs conditions de gisement, a toujours été, à juste titre, considérée comme ayant eu une influence capitale pour susciter et développer les exploitations qui devaient se poursuivre en France sur les niveaux ainsi indiqués, et en particulier sur celui du gault, jusqu'aux découvertes ultérieures des nouveaux gîtes, tels que ceux de la Somme, sans parler de ceux plus récents encore de l'Amérique et de l'Afrique.
Lorsque l'Administration, ses Ingénieurs et Géologues ont signalé au public l'existence de pareils niveaux et de tels indices, leur tâche, en ce qui concerne l'invention des gîtes, est achevée; il appartient ensuite aux particuliers, à l'industrie privée, de s'assurer, par des travaux appropriés, de la réalité qui, dans chaque cas, correspondra aux apparences. Les uns y trouvent la ruine; les autres, des fortunes inespérées. L'autorité n'est pas responsable des malheurs des premiers, elle doit laisser aux seconds tous leurs profits. L'industrie extractive ne se crée et n'existe que par l'espérance de tels succès, toujours poursuivis et si rarement rencontrés. C'est pour cela qu'elle est et doit rester une industrie privée. En matière de découvertes, le Gouvernement a rempli tous ses devoirs lorsqu'il a provoqué, dans le domaine des recherches spéculatives, les indications qui peuvent limiter et éclairer le champ de travail des explorateurs et qu'il a répandu ces indications dans le public. Le cultivateur jette la graine; elle pourra ne pas lever; il en peut sortir un arbre aux dimensions sans rapport avec le germe dont il provient.
A la promulgation de la loi de 1810, il existait en France 132 concessions de mines, régulièrement instituées sous l'empire de la loi de 1791; on en compte aujourd'hui 1500. Il en est bien peu dont l'institution n'ait pas soulevé de conflits toujours délicats; beaucoup semblaient inextricables par le nombre et la complexité des intérêts en jeu. Elles ont parfois astreint les Ingénieurs des Mines à des travaux plus spécialement importants : tel a été le cas, notamment, des études préparatoires aux concessions à établir dans le bassin houiller de la Sarre et, plus tard, dans celui de Saint-Etienne. Les premières devaient rester inutiles à la suite des événements de 1814 ; les secondes ont servi d'assiette à la constitution de la propriété minière du plus important de nos bassins houillers du Centre. Toutes deux méritent d'être rappelées.
Les houillères de la Sarre, nous avons eu l'occasion de le dire, dépendaient, avant la Révolution, du domaine des princes de Nassau-Sarrebrück. Elles furent donc englobées, après la conquête, dans le domaine français et affermées pour neuf ans, à partir du 1er messidor an V, à raison de 71000 fr par an. Elles produisaient environ 90 000 tonnes annuellement. Lorsque le bail fut arrivé à échéance, le Gouvernement impérial, au lieu de le renouveler, se résolut à soumettre ce bassin au régime des concessions exploitées par les particuliers; l'Administration n'était pas éloignée, toutefois, d'admettre un régime spécial qu'aurait justifié, dans l'espèce, l'origine domaniale des exploitations. Un décret impérial du 13 septembre 1808 avait prescrit de procéder à une étude dans ce sens pour tout l'ensemble du bassin houiller qui s'étend sur une longueur de quelque trente kilomètres. Le travail fut entrepris et exécuté par Beaunier et Calmelet, sous la direction de Guillot-Duhamel; il était terminé en 1810. Ces Ingénieurs avaient dû commencer par établir la topographie superficielle et souterraine du bassin. Un atlas de 66 cartes donnait le relevé de tous les affleurements avec toutes les cotes utiles résultant de nivellements. Les cartes indiquaient, pour chaque concession dont on proposait la création, tous les travaux exécutés et le projet de tous les grands travaux d'aménagement, galeries d'écoulement, voire même galeries de navigation, qui devaient être imposés aux futurs concessionnaires; quelques-unes de ces galeries devaient être communes à plusieurs arrondissements ou concessions. On proposait d'en créer 64, en laissant en dehors 7 réserves qui devaient être affectées indissolublement à des usines locales. Suivant les idées de l'époque, plusieurs de ces arrondissements devaient être réservés pour être exploités directement par l'Administration; les autres devaient être remis à des Sociétés particulières, constituées dans le type des Gewerkschaften allemandes, mais en étant astreintes à verser une part importante de leur produit net au Trésor. Ces propositions ne laissèrent pas de faire naître des hésitations dans l'esprit de l'Empereur. On lui représentait le parti que le Trésor pourrait tirer d'une jouissance directe par voie d'amodiations domaniales. Le 11 mai 1812, passant par Sarrebrück, il y fit appeler l'Ingénieur en chef Calmelet, avec les autres fonctionnaires en résidence dans ce centre, pour s'entretenir avec eux de la question; il leur laissa entendre qu'il ne se souciait guère d'appliquer le décret de 1808 avec son système de concessions; il préférait garder les houillères pour l'État. En fait, elles se trouvaient encore entre ses mains en 1814 et purent ainsi passer au domaine de l'Etat prussien dans lequel, on le sait, elles sont restées jusqu'à ce jour.
L'application de la loi de 1810 dans le bassin houiller de Saint-Etienne devait soulever de bien plus graves difficultés pour l'Administration et pour les Ingénieurs appelés à s'en occuper, par suite des coutumes qui avaient persisté dans ce bassin, à la suite de l'arrêt du Conseil du Roi de 1698. Les propriétaires du sol, nonobstant l'arrêt de 1744, qui avait rapporté celui de 1698, continuaient à se considérer comme propriétaires de la houille; en tout cas, ils l'exploitaient ou la faisaient exploiter à leur profit et en trafiquaient sous tous les rapports comme s'ils en étaient les propriétaires. Quelques concessions avaient bien été instituées jadis, notamment celle de Roche-la-Molière et Firminy en faveur du marquis d'Osmond. Sa confirmation sous le nouveau régime et la remise au concessionnaire ne devaient pas être une des moindre difficultés de la tâche des Ingénieurs de l'Etat. Le 2 décembre 1810, Guenyveau, alors chargé du Service, s'était rendu à Firminy pour mettre le personnel du marquis d'Osmond, avec l'aide de la gendarmerie, en possession des exploitations que les extracteurs ou propriétaires du pays entendaient continuer; gendarmerie et ingénieur furent chargés et durent se replier en assez mauvais ordre; poursuivis devant le tribunal de Saint-Etienne pour travaux illicites et résistance à l'autorité, les extracteurs furent acquittés, malgré l'évidence des faits, tant les usages et l'opinion publique étaient pour les propriétaires superficiaires contre les concessionnaires et l'Administration.
On ne pouvait venir à bout de telles difficultés que par une opération d'ensemble. Le Gouvernement, qui avait pu spécialement apprécier le concours donné par Beaunier, à l'étude du bassin houiller de la Sarre, le chargea, en juin 1812, comme Ingénieur en chef, de procéder tout d'abord à la reconnaissance du terrain houiller de Saint-Etienne, en vue d'avoir les bases d'après lesquelles les concessions pourraient être définies. Beaunier était secondé par l'ingénieur ordinaire Guenyveau et les aspirants Choron et Gabé (promotion de 1806 de Polytechnique), puis plus tard par de Gargan (3) et Dubosc (promotion de 1807 de Polytechnique, décédé en 1838). A la fin de 1818, le travail était terminé ; il constituait à la fois une topographie détaillée du terrain houiller, surface et fond, depuis Firminy jusqu'à Rive-de-Gier, sur ses 25696 hectares de superficie, et une description complète de l'état de toutes les mines en activité ainsi que de leurs conditions d'exploitation. Comme plan de surface, les Ingénieurs n'avaient pu disposer du plan cadastral encore en cours d'exécution; ils avaient dû débuter par des opérations de triangulation poursuivies de concert avec celles des agents du Cadastre. On avait donné une attention spéciale au nivellement, à raison de son importance pour la détermination des galeries d'écoulement; on avait été ainsi conduit à niveler une longueur cumulée de 203000 m. Les planches de l'atlas fournissaient, par district, le relevé coté des affleurements et le plan des travaux souterrains avec une représentation de l'allure des couches par courbes de niveau. Enfin, on avait indiqué soigneusement l'emplacement et le tracé des galeries d'écoulement que l'on pouvait être conduit à établir. Comme conclusion de son étude, Beaunier proposait de partager le bassin en 24 concessions, y compris les 6 déjà instituées. Il indiquait les périmètres des 18 nouvelles concessions en présentant le projet des travaux de premier établissement à imposer à chaque concessionnaire.
L'Administration ne put reprendre l'étude de cette importante affaire qu'après les événements de 1814 et 1815. En septembre 1816, un service spécial avait été institue à cet effet à Saint-Etienne ; il était confié à la Commission temporaire des Mines de la Loire, qui comprenait l'Ingénieur en chef Beaunier, aidé de l'Ingénieur ordinaire Moisson-Desroches, pour le district de Rive-de-Gier, alors de beaucoup le plus important, et l'Ingénieur en chef de Gallois, pour celui de Saint-Etienne. Ce ne fut qu'en 1824 que l'on put aboutir. La tâche n'était pas aisée. Les Ingénieurs avaient proposé, par des raisons d'exploitation et de bon aménagement, l'institution de 18 concessions nouvelles; on était en présence de 400 demandes distinctes. On finit par avoir 64 concessions par l'institution de 58 nouvelles mines; et encore, pour en arriver là, il fallut, d'une part, admettre, suivant les propositions de Beaunier, en faveur des propriétaires du sol et à la charge des exploitants, cette redevance tréfoncière proportionnelle qui n'existe guère que dans ce bassin, et qui fait bénéficier les propriétaires superficiaires d'une rente d'environ 0,50 fr par tonne ; il fallut encore que Beaunier, dont la souplesse d'esprit et l'entente des affaires égalaient le mérite de l'ingénieur, poussât les intéressés à conclure ces traités dits de conciliation, par lesquels une série de demandeurs concurrents arrivait, après entente entre eux, à se présenter à l'Administration comme ne constituant qu'un seul groupe pour l'exploitation en commun d'une concession administrative, alors qu'en fait et par suite des contrats secrets qui accompagnaient les premiers accords, chaque sous-groupe entendait exploiter séparément son périmètre dans la concession commune. Avec le temps et les nécessités de l'exploitation, à mesure que les travaux se sont approfondis, les périmètres ont disparu ; on a, en outre, réuni les concessions trop exiguës, de telle sorte qu'aujourd'hui, où l'on est arrivé à un état qui peut être considéré comme définitif, on a très sensiblement le groupement rationnel entrevu et proposé dès la première heure par les Ingénieurs. Cette sûreté de vues, non moins que l'ingéniosité nécessaire pour atteindre le but, sont pour leur faire grand honneur, à Beaunier en particulier, qui fut, de l'origine à la fin, l'inspirateur et le guide de tout ce travail. Qui oserait dire que cette méthode, où l'on a su ménager tous les intérêts, n'a pas été préférable pour la paix publique aux brutalités d'une application sévère et immédiate de la loi? Pour compléter l'institution de ces concessions de la Loire, les Ingénieurs avaient préparé un cahier des charges général applicable à toutes les mines, remarquable par le libéralisme dont on s'était inspiré au regard de l'exploitant. Pour la première fois, on traitait celui-ci plus en propriétaire qu'en concessionnaire de travaux publics; bien des années devaient encore s'écouler avant que ce régime fût étendu à toute la France.
Quand on songe, non sans quelque tristesse, aux difficultés inextricables que soulève aujourd'hui l'attribution d'un avantage quelconque de la part de l'autorité à un particulier, quand on voit les soupçons et les accusations qui atteignent tous ceux qui peuvent être mêlés à ces sortes d'affaires, on se demande comment auraient pu être jamais réalisées des opérations aussi colossales au fond et d'apparence aussi inextricable que celles de l'institution des concessions du bassin houiller de Saint-Etienne, c'est-à-dire de sa mise en valeur pour le plus grand avantage du public. Dans tous les autres districts miniers où il a fallu instituer simultanément un ensemble de concessions, dans le bassin houiller d'Alais comme dans celui du Pas-de-Calais, comme plus tard dans le bassin ferrifère de la Moselle, des difficultés analogues se sont produites et ont dû être ainsi résolues; mais nulle part les questions de fait et de droit n'ont présenté des complications et une importance plus grandes qu'à Saint-Etienne.
Il y a un siècle, les deux principaux districts miniers de la France étaient celui de Saint-Etienne et Rive-de-Gier, dans la Loire, et celui d'Anzin, dans le Nord.
A Rive-de-Gier et à Saint-Etienne, on exploitait généralement par des fendues ou galeries inclinées suivant la couche. Le long de ces voies, des porteurs remontaient la houille à dos, de 100 m à 150 m de profondeur, dans des sacs assujettis par des cordes qu'ils tenaient entre leurs dents; d'une main ils portaient une lampe dont la faible clarté ne pouvait percer les nuages de poussières soulevées par leurs pas; de l'autre ils s'appuyaient sur une courte canne, une béquille; ils cheminaient ainsi, comme des damnés sur quelque échelle de l'enfer, nus, haletants dans des galeries sans air. Quand la couche n'affleurait pas, on fonçait des puits de 1 m,70 à 2 m,20 de diamètre ; des vargues ou machines d'extraction mues par un manège, avec un ou deux chevaux, élevaient des bennes de 2 à 3 hectolitres de capacité. Au fond on ne pratiquait, pour amener les produits aux puits, que le portage à dos ; à peine dans quelques exploitations usait-on du traînage. En 1824, seulement, sous l'impulsion de l'Ingénieur des Mines Delsériès, qui en fut félicité par le Conseil général des Mines, on commença le roulage souterrain par chevaux sur des rails. De tels moyens de transport, non moins que le manque d'air et les venues d'eaux, ne permettaient pas de s'étendre beaucoup autour d'un puits. Le champ ne comprenait pas au delà de 2 à 4 hectares.
L'introduction des machines à vapeur n'apporta tout d'abord quelque amélioration appréciable que dans l'épuisement des eaux. La première machine de Newcomen montée en France fut installée en 1733 (les statistiques officielles ont donné successivement, pour cette date, 1734 et 1732. Des recherches que M, François, le directeur général des mines d'Anzin, a bien voulu faire exécuter dans ses archives, sur notre demande, nous permettent de donner comme définitive la date de 1733 ) aux mines d'Anzin; on n'en établit une à Rive-de-Gier qu'en 1800. Vers cette date, on installa à Anzin, pour l'extraction, les premières machines à vapeur à rotation, comme on appela le type primitif de Watt; un peu plus tard, on en installait dans le district de Saint-Etienne; c'étaient des machines de 7 à 8 chevaux; l'importance des puits et de leurs champs d'exploitation ne s'en augmenta guère. En 1810, à Anzin, pour une extraction de 223 000 tonnes, on n'avait pas moins de vingt-cinq puits en activité avec une extraction moyenne, par jour et par puits, de 25 à 30 tonnes. Les progrès, sous ce rapport, ne devaient venir que tardivement. En 1836, dans le district de Saint-Etienne et Rive-de-Gier, le maximum de l'extraction d'un puits marchant jour et nuit atteignait à peine encore 150 tonnes par vingt-quatre heures. En 1843 seulement, alors que le roulage souterrain avait commencé à se répandre, que les premières notions d'aérage avaient été appliquées avec le cloisonnement des puits, que les premiers guidages étaient montés, les petites machines à rotation du début du siècle étaient remplacées, à Anzin, par des machines de 30 chevaux; en 1853, on y montait les premières machines de 50 chevaux. L'ère de l'extraction moderne s'ouvrait pour en arriver, de progrès en progrès, et d'accroissement en accroissement, à nos puits actuels tirant 1000 à 1500 tonnes par jour, avec des champs s'étendant sur des centaines d'hectares par des galeries hautes et larges parcourues par un air toujours renouvelé.
Dans ces misérables exploitations du début du siècle où le travail était si pénible pour lui, l'ouvrier était, en outre, entouré de dangers de toutes sortes qui amenaient, rien que par les accidents, une mortalité cinq ou six fois plus forte que celle d'aujourd'hui. Tout concourait à accroître les accidents. Encore que les houillères fussent peu profondes et que, partant, le dégagement du grisou fût relativement faible, le mineur, éclairé par des lampes à feu nu, était livré sans défense, dans des mines sans aérage, aux atteintes incessantes du gaz. Avant l'invention des lampes de sûreté, avant les premières organisations de l'aérage le plus rudimentaire, on essayait de diluer le grisou en agitant des vêtements, en projetant de l'eau : le mineur n'arrivait, par ces manoeuvres imprudentes, qu'à être plus fréquemment brûlé. A Saint-Etienne et à Rive-de-Gier, on recourait au pénitent : un malheureux, avant l'entrée des ouvriers, entièrement recouvert de vêtements de cuir, aussi humectés que possible, allait, rampant dans les galeries, promener à leur partie supérieure une mèche enflammée pour mettre le feu au grisou, qui y restait stagnant faute de courant d'air, et l'on en débarrassait ainsi la mine pour quelque temps. A Anzin, on ne connaissait pas le pénitent. Le mineur y portait un costume, conservé jusqu'à l'introduction de la lampe de sûreté, qui avait pour but de le préserver des brûlures ; aux pieds, il avait des houssettes, sorte de bottines en toile avec guêtres qui se liaient au-dessus de la cheville; aux mains, le plus souvent, des gants et, sur la tête, une cendrinette, calotte en toile pour protéger les oreilles et le cou.
Un premier progrès devait être réalisé par l'introduction de la lampe de sûreté. On discute encore, en Angleterre, la priorité de cette invention; on hésite entre Humphrey Davy et Georges Stephenson. Au point de vue de la pratique, le fait certain est que la lampe Davy, à tamis métallique, dont la fortune devait être justement si grande, fut imaginée dans l'automne de 1815 par celui dont elle a gardé et immortalisé le nom. Elle faisait l'objet d'une publication dans le Philosophical Magazine à la fin de l'année. L'Administration des Mines françaises signalait immédiatement cette découverte en insérant, dans le fascicule de décembre 1815 (p. 465) de son Journal des Mines, la lettre par laquelle de Blagden décrivait la lampe à Biot; Blagden ajoutait cette observation si juste et si profonde : « Je ne peux m'empêcher de craindre que son usage, comme celui de toute autre lampe de sûreté, ne détourne l'attention des propriétaires de mines d'une autre recherche qui serait d'une bien plus grande importance, je veux dire le renouvellement de l'air dans les mines. »
A peine signalée, la lampe de Davy fut étudiée sans retard dans ses détails par l'Administration des Mines. En 1816, les Annales des Mines, qui venaient d'être substituées au Journal des Mines, en donnaient la description complète, avec figures, ainsi que les expériences exécutées par Baillet du Belloy et Lefroy. On avait dû opérer sur une lampe en fil de laiton construite d'après un tamis en fil de fer rapporté de Londres par Candolle. Dès ces premières études, on avait bien entrevu que la lampe cessait d'être sûre quand elle était exposée à de forts courants d'air inflammable. On n'avait pas saisi, toutefois, les dangers spéciaux que cette particularité pouvait créer en cas d'agitation brusque et momentanée soit de la lampe elle-même, soit autour de la lampe. On ne pouvait pas se préoccuper, avec l'aérage alors pratiqué, des inconvénients d'un excès de vitesse dans le courant d'air normal; ils devaient, au contraire, apparaître plus tard au point de faire écarter complètement, après un long usage, cette première lampe dont l'invention avait été si capitale dans l'art des mines.
Pour avoir été connue et étudiée en France, dès son invention, la lampe Davy ne devait pas y être employée tout de suite. Il fallait compter avec les résistances que de pareilles transformations suscitent toujours dans le milieu des mines et, particulièrement, chez les ouvriers; on devait rencontrer, en outre, des difficultés matérielles pour s'en procurer en France. Dès le milieu de 1818, la Compagnie d'Anzin, qui avait eu déjà plusieurs accidents de grisou, avait acquis en Angleterre trois lampes Davy qui furent mises immédiatement en essai, et elle avait résolu d'en acheter le nombre nécessaire au service courant; mais la douane française les arrêta à leur arrivée à Calais et n'en laissa entrer que deux à titre d'échantillons. La Compagnie parvint à grand'peine à en faire passer quelques autres en contrebande par la frontière belge. Nonobstant ces obstacles, à la suite d'un nouvel et grave accident survenu aux mines d'Anzin, un arrêté du Préfet du Nord, du 22 avril 1823, pris conformément aux propositions de l'Ingénieur en chef Poirrier de Saint-Brice, rendit obligatoire l'emploi de la lampe Davy dans les fosses grisouteuses de cette entreprise. Pour se conformer à ces injonctions et se soustraire aux ennuis de la douane, la Société dut faire venir de Belgique un constructeur auquel elle confia le soin de fabriquer sur place et d'entretenir les lampes.
L'année suivante, en juin 1824, l'Ingénieur Delsériès faisait également imposer l'emploi des lampes de sûreté aux mines d'Egarande et déterminait ainsi leur introduction à Rive-de-Gier, dans l'autre de nos principaux bassins houillers.
Auparavant, du reste, l'Administration des Mines avait donné des instructions générales en ce sens par sa circulaire du 10 mai 1824 qui accompagnait une instruction d'avril 1824, due à Baillet du Belloy, sur les principes, la construction et l'emploi des lampes de sûreté. Leur usage devint ainsi général et définitif en France, partout où besoin en était, et cela en suivant une procédure dont l'Administration des Mines s'est toujours inspirée. Avant d'imposer une mesure ou une installation, qui doit amener des modifications importantes dans une industrie, il ne faut pas se contenter de simples vues théoriques, voire même d'expériences spéculatives qui ont pu en montrer les avantages; la pratique de la mine doit, en outre, avoir établi que les avantages sont effectifs et ne dépassent pas les inconvénients qui en peuvent résulter.
Tout en poursuivant ainsi l'introduction des lampes de sûreté, l'Administration ne perdait pas de vue les améliorations à introduire dans l'aérage des exploitations; de tout temps, elle s'en est particulièrement préoccupée. Aussi bien, dans ces débuts où l'art des mines cherchait encore ses règles et ses formules, alors que le grisou n'infestait pas les chantiers comme aujourd'hui, l'asphyxie frappait peut-être autant les mineurs. En tout cas, l'insuffisance de l'aérage rendait le séjour dans les travaux très pénible, développait chez l'ouvrier des maladies qui hâtaient sa fin et l'empêchait de développer toutes ses forces.
Un Ingénieur, Combes, allait venir qui devait faire réaliser à l'aérage des progrès considérables, en en établissant les règles théoriques et en en indiquant les modes d'application. Au reste, par ses conseils, par l'enseignement qu'il inaugura à l'École des Mines de Paris en 1832 et étendit à tout le monde par son Traité publié en 1841, le premier véritable Ouvrage complet sur cette matière en langue française et dont l'utilité devait persister si longtemps, Combes a contribué d'une façon spéciale à guider l'industrie extractive dans la voie de développement intensif où elle allait entrer. Il en a étudié et éclairé toutes les parties. Plusieurs de ses branches, et des plus importantes, en ont plus particulièrement profité. Ses études sur les engins d'extraction, par exemple, et notamment sur les machines à vapeur ont contribué à cette évolution qui devait amener l'accroissement de l'extraction par puits. Mais c'est surtout l'aérage, dont l'importance et les difficultés croissaient avec l'extension des champs d'exploitation, dont Combes a principalement permis de résoudre les ardus problèmes. Le ventilateur imaginé par lui n'est pas resté; Combes n'en avait pas moins posé les principes de l'aérage par ventilateurs, sans lesquels l'exploitation moderne eût été impossible. La question de l'aérage des mines préoccupait tout le monde à ce point, et Combes lui avait fait faire de tels progrès, que l'Académie des Sciences de Bruxelles ayant établi un concours pour la recherche et la discussion des moyens de soustraire les travaux d'exploitation dans les mines de houille aux chances d'explosion et d'asphyxie, tous les concurrents, au nombre de onze, se plurent à reconnaître, comme leur maître, Combes, qui n'avait pas concouru et qui, nonobstant, se trouva être le lauréat du concours. Combes ne s'était pas contenté de donner les lois de la distribution et de la production de l'aérage. Il avait aussi indiqué les règles pour sa surveillance et créé à cet effet, pour les mesures anémométriques, un appareil qui, en somme, n'a pas été sensiblement modifié ni dans sa construction, ni dans son mode d'emploi.
A côté des grands principes de l'art moderne des mines, Combes n'avait négligé aucune innovation de détail qui pouvait leur être avantageuse. Ses recherches sur les lampes de sûreté, bien que n'ayant pas abouti à un type qui ait été accepté par la pratique, ont donné, sur leur construction, des idées utiles. Il a contribué à propager l'emploi des câbles métalliques et celui des mèches de sûreté pour le tirage des explosifs, qu'il avait vu employer en Cornouailles, en 1833, deux ans après leur invention en Angleterre; il fut puissamment secondé dans la vulgarisation de cet excellent engin, qui devait accroître la sécurité et diminuer le prix de revient, par Louis Le Chatelier; mais leurs efforts ne purent aboutir à un résultat pratique que lorsqu'une fabrique de mèches Bickford se fut établie à Rouen, en 1842. Le théodolite établi par Combes pour le lever des plans de mines a également rendu de réels services.
Lorsque le Traité d'exploitation parut en 1841, il ne fit que résumer et condenser l'oeuvre entière de Combes en matière d'exploitation depuis 1832. En dehors des progrès immédiats dont il assura la réalisation, Combes avait en outre songé à des projets qui ne devaient être réalisés que plus tard et par d'autres, comme le fonçage des puits à niveau plein dont il avait indiqué l'idée, bien qu'un peu sommairement, il est vrai.
Vers cette époque, l'Administration des Mines, d'autre part, dut se préoccuper plus spécialement des méthodes d'exploitation pour les couches de houille puissantes du centre et du sud de la France. On avait primitivement exploité par piliers et galeries, que l'on avait fait suivre parfois de foudroyage. Ces méthodes, avec l'extension relative qu'on tendait déjà à donner aux champs d'exploitation, ne tardèrent pas à susciter des feux inquiétants en raison soit de leurs dangers immédiats, soit du gaspillage dont ils menaçaient nos ressources minérales. Dès 1834, l'Administration imposait l'exploitation par remblais à Firmy dans l'Aveyron; de pareilles injonctions furent faites successivement dans divers autres districts de l'Aveyron, dans ceux de la Loire et de Saône-et-Loire, partout enfin où les exploitants n'y furent pas amenés d'eux-mêmes par leur propre intérêt. Sur ce point, comme sur tant d'autres, en matière d'exploitation de mines, de pareilles modifications, dont l'établissement exige des débours en capital, arrivent finalement à donner non seulement plus de sécurité, mais aussi plus d'économies.
Ce n'est pas quitter les premières transformations des anciennes méthodes d'exploitation que de rappeler ici comment Louis Le Chatelier, débutant à Angers dans le Service ordinaire, et intervenant à ce titre de conseiller désintéressé du décret de 1810, fit adopter, dans les exploitations si spéciales des ardoisières d'Angers, la méthode des fonds souterrains descendants au lieu de celle des fonds à ciel ouvert, la seule jusqu'alors pratiquée. C'était toute une révolution puisqu'au lieu de ne pouvoir atteindre qu'à 120m ou 125m de profondeur, on allait pouvoir descendre indéfiniment par chambres superposées, bien que le but immédiatement poursuivi était d'éviter les énormes découvertures « en appliquant le mode d'abatage des carrières à ciel ouvert sous une voûte ».
L'oeuvre de Combes, que nous signalions ci-dessus, devait être magistralement continuée par Callon, son successeur dans l'enseignement de l'exploitation à l'Ecole des Mines de Paris. Combes fut l'artisan de la transition de la mine ancienne à la mine moderne. Callon, par sa pratique si géniale et si féconde, par son long enseignement, par son Traité qu'il n'a malheureusement pas pu achever, par toute son oeuvre sur laquelle nous devrons revenir, a été le maître de la mine moderne, dans l'épanouissement de ses débuts, de 1860 à 1870.
A mesure qu'elles se développaient, les mines devaient s'approfondir; et dans les houillères, avec l'approfondissement, croissent les dangers si redoutables du grisou. L'augmentation de l'extraction amène la concentration au fond, dans un même puits, d'un personnel notablement accru. Par cette double cause, le caractère des accidents de mines tend à changer : au lieu d'accidents isolés surviennent des catastrophes qui émeuvent plus spécialement l'opinion publique. Si nombreux qu'ils puissent être, les accidents isolés ne sont connus que des statisticiens et ne peuvent préoccuper que l'Administration. Les catastrophes qui frappent un très grand nombre de victimes, pour espacées que soient leurs dates, alors même qu'elles laissent relativement assez faibles les risques de l'industrie qui en souffre, suscitent tout de suite l'émotion générale, par des raisons multiples où il entre, aujourd'hui surtout, beaucoup de choses, du bon comme du mauvais.
Si on laisse de côté l'inondation des mines de Lalle, en 1861, qui fit 105 victimes, et qui est restée un cas tout à fait exceptionnel, la première grande catastrophe survenue dans les mines françaises est celle de Blanzy, du 12 décembre 1867, où une explosion de grisou tua 89 ouvriers et en blessa 47. Auparavant, les catastrophes les plus considérables, toutes dues au grisou, avaient été celles du Martoret (Rive-de-Gier) (2 janvier 1829, 28 morts), de Collenon et la Cape (même district) (2 novembre 1840, 32 morts), Blanzy (12 décembre 1855, 29 morts), Ronchamp (Haute-Saône) (10août 1859, 19 morts), Anzin (9 février 1865, 39 morts, 7 blessés), Villars (district de Saint-Ëtienne) (11 octobre 1867, 39 morts). Puis en 1871 survenaient les explosions du puits Jabin (Saint-Etienne, 70 tués) et de Blanzy (41 tués, 2 blessés), en 1876, une nouvelle explosion au puits Jabin (186 tués, 12 blessés) et en 1877 à Graissessac (45 morts). Cette série d'accidents décida les Pouvoirs publics à constituer, par la loi du 26 mars 1877, une première Commission du grisou pour rechercher les moyens d'annihiler ou d'atténuer ces désastres.
Si cette Commission, qui fonctionna à l'École des Mines de Paris sous la présidence de Daubrée, alors directeur de cette Ecole, n'a pas été exclusivement composée de membres du Corps des Mines, ils y étaient en majorité et ils ont été chargés de presque tous les travaux originaux formant la partie capitale de l'oeuvre accomplie, tels que le rapport général de M. Haton de la Goupillière qui a servi de point de départ à toutes les recherches de la Commission et surtout les travaux de Mallard et M. H. Le Chatelier, auxquels la Commission confia le soin de rédiger le rapport final à la suite duquel elle se sépara, considérant sa tâche comme terminée.
On a dit avec raison que le rapporteur d'une commission peut revendiquer une part dans un travail collectif, plus qu'il ne peut prétendre avoir produit une oeuvre personnelle. Cela paraît vrai surtout lorsqu'il s'agit de commissions telles que nos Commissions françaises du grisou ou des substances explosives, comprenant tant d'hommes éminents et spéciaux. Mais, d'autre part, tous ceux qui ont été membres de commissions administratives savent qu'il est parfois des travaux, produits au nom d'une commission, dont l'originalité, qui grandira celle-ci, laisse, en fait, à l'oeuvre un caractère plus personnel que collectif. L'influence du travail en commun sur les résultats obtenus par le rapporteur est souvent inférieure à celle qui, dans peu d'entreprises humaines, ne revient pas naturellement aux prédécesseurs dans les mêmes recherches. Le temps, qui remet tout à sa place dans les choses d'ici-bas, a vite fait d'attribuer à chacun sa part dans ce qui doit durer. Aucun doute n'a même été exprimé à cet égard sur les travaux produits par Mallard et M. H. Le Chatelier pour la première Commission du grisou. Tout y dénotait l'oeuvre personnelle : le fond de ces recherches dont plusieurs touchaient aux lois les plus importantes de la physique des gaz et de la chaleur, les conditions matérielles de leur publication. Si les Principes à consulter, rédigés par la Commission du grisou de 1877, sont bien une oeuvre collective où chaque membre de la Commission a pris, suivant son tempérament et sa spécialité, une part impossible à préciser, les recherches dont Mallard et M. H. Le Chatelier soumettaient les résultats à la Commission, et qu'ils ont achevées après sa disparition, leur appartiennent bien en propre. Ainsi fut réalisée, dans ces circonstances, entre deux membres du Corps des Mines, une union scientifique qui devait durer dix-sept ans pour n'être rompue que par l'implacable mort; elle rappelait cette autre union dont le Corps s'était déjà glorifié avec Elie de Beaumont et Dufrénoy ; la dernière en date fut encore plus féconde peut-être parce que, après avoir abordé et résolu les plus hautes questions scientifiques, elle devait apporter des solutions aux difficultés de l'exploitation des mines à grisou et permettre d'en atténuer, sinon d'en enlever les dangers dans une mesure qui ne paraissait pas pouvoir être atteinte.
Dès 1868, Mallard, alors professeur à l'École des Mines de Saint-Étienne, avait commencé des études sur la lampe Davy, au nom d'une Commission de la Société de l'Industrie minérale. Les dangers de cette lampe, dans des courants d'air trop vifs, frappaient davantage avec l'activité plus considérable qu'on était amené à donner à l'aérage. Mallard les faisait ressortir et les évaluait, en précisant les conditions assez précaires, avec nos aérages intensifs modernes, dans lesquelles la lampe Davy restait sûre; il abordait aussi les conditions à observer dans la construction des lampes de sûreté. Des circonstances particulières firent abandonner ces recherches ; elles restèrent un précédent sans résultats immédiats.
Autrement importante devait être l'oeuvre de 1877-1881. L'étude spéciale du grisou, des conditions de son inflammation et de ses explosions devait amener Mallard et M. H. Le Chatelier à entreprendre une étude plus générale, dont celle-là n'était qu'une espèce, l'étude des propriétés des gaz et des mélanges gazeux. Nous devons laisser ici, comme étant d'ordre purement scientifique, leurs recherches générales sur les températures de combustion, sur les chaleurs spécifiques des gaz simples à des températures variables. A peine, nous bornant au seul grisou et aux côtés par lesquels les résultats de la pratique se lient aux observations théoriques, pouvons-nous rappeler la détermination des limites d'inflammabilité, des pressions produites par l'explosion, des vitesses de propagation de l'inflammation, avec leurs caractères variables suivant les circonstances, toutes choses qui jettent un jour si vif sur les phénomènes des explosions de mines et notamment sur la distinction entre les explosions et les inflammations; l'étude et la détermination de la température d'inflammation du grisou, évaluée à 650o, montraient, d'autre part, le phénomène si important du retard à l'inflammation, dont il devait être tiré ultérieurement un si grand parti pour la recherche et la constitution des explosifs de sûreté, qui devaient être l'oeuvre d'un lendemain très prochain.
En dehors de l'ensemble des recherches théoriques poursuivies sous ses auspices et qui n'avaient fait, en somme, que compléter, en les précisant, les données antérieures, l'oeuvre de la première Commission du grisou s'était essentiellement concrétée, au point de vue de la pratique et de la prévention des accidents, dans ces Principes à consulter, que l'Administration s'empressa de faire passer dans l'application. Ces Principes de 1880 ne s'écartaient guère sur les points essentiels des règles que peu auparavant l'Administration avait rappelées par son instruction générale relative à l'exploitation des mines à grisou, du 6 décembre 1872; cette dernière instruction avait été préparée par M. l'Inspecteur général Eug. Lefébure de Fourcy.
La première Commission du grisou n'avait pu écarter l'emploi des explosifs alors en usage, et notamment l'emploi de la poudre noire qui restait une des principales causes d'inflammation du gaz. Aussi, lorsqu'il apparut que ce problème pouvait ne pas être insoluble, comme on l'avait cru récemment encore, l'Administration des Mines, en 1887, constitua une nouvelle Commission pour reprendre la question. Par suite d'accroissements successifs dans ses attributions, cette Commission, présidée par M. Haton de la Goupillière, devait devenir la Commission du grisou actuelle, sous les auspices de laquelle ont été réalisés les deux nouveaux progrès si essentiels qui sont résultés des explosifs de sûreté et de la grisoumétrie courante; elle a aussi provoqué la fermeture des lampes de sûreté rendue obligatoire en 1890.
Il semblait impossible a priori d'avoir un explosif dont la température de détonation fût inférieure à celle de 650o, reconnue pour celle de l'inflammation du grisou ; mais le retard à l'inflammation de ce gaz, signalé et étudié par Mallard et M. H. Le Chatelier, pouvait et a pu permettre de combiner des explosifs dont la température de détonation, bien que très supérieure à celle ci-dessus indiquée, était encore assez faible pour que, pendant le temps nécessaire à l'inflammation du grisou, la température s'abaissât, par l'effet de la détente et du travail, au point de rendre cette inflammation impossible. Les recherches à ce nécessaires furent poursuivies par l'intermédiaire et sous les auspices de la Commission des substances explosives ; Mallard en fut le rapporteur. Nul de ceux alors mêlés à ces travaux n'ignore la part spécialement prépondérante qui lui revient dans cette découverte, ainsi qu'à M. H. Le Chatelier, qui le secondait. Le problème fut résolu pratiquement en combinant les explosifs habituels, dynamite ou coton azotique, avec l'azotate d'ammoniaque, dont l'indication parait bien personnelle à Mallard. Le rapport qu'il a rédigé a pris, d'ailleurs, une importance exceptionnelle par les théories générales qui s'y trouvent. La solution du laboratoire dut, comme toujours, subir l'épreuve de la pratique courante avant que l'Administration, en 1890, la rendit obligatoire.
Les explosifs de sûreté n'apportaient pas seulement une garantie contre le grisou, mais aussi contre les poussières, dont les dangers apparaissent à toute une Ecole comme étant peut-être supérieurs à ceux du grisou. Mallard et M. H. Le Chatelier ont, par leurs recherches , donné les principaux éléments qui permettent de se faire une opinion raisonnée entre les poussiérisles et les anti-poussiéristes, que des mots séparent plus encore peut-être que les théories. Certaines inflammations de poussières ont pu avoir, par suite de circonstances spéciales, des conséquences, en fait, aussi lamentables que des explosions de gaz, ce qui n'empêche pas, en principe, l'inflammation de différer profondément de l'explosion. Il est vrai que les mesures à prendre peuvent différer dans l'un ou l'autre système.
La sécurité des mines à grisou repose essentiellement sur la surveillance de leur aérage, qui implique l'étude continue de leur atmosphère. La lampe de sûreté n'est pas seulement un appareil de protection, elle est aussi un appareil d'observation et de contrôle. Ses indications sont malheureusement insuffisantes à cet égard; la lampe ne marque, même aux yeux des observateurs les plus habiles, que lorsque la teneur en grisou est beaucoup trop forte. Mallard et M. H. Le Chatelier avaient bien indiqué un artifice permettant d'accroître notablement le degré de précision de la lampe ordinaire ; la pratique ne l'avait pas sanctionné; il était assez rudimentaire et ne chiffrait pas les indications comme un véritable appareil de mesure. Un inventeur, M. Coquillion, avait soumis à la première Commission du grisou un appareil d'analyse des gaz fondé sur un principe ingénieux, et cet appareil, moyennant diverses modifications, pouvait et a pu donner des résultats fort exacts ; mais il ne répondait pas à la pratique des mines, et il ne devait pas s'y répandre. L'Autrichien Pieler, reprenant une idée de Mallard et de M. H. Le Chatelier, avait combiné une lampe à alcool qui constituait un appareil assez pratique et pouvait donner des indications à deux millièmes près, comme on le désirait. Mais la lampe Pieler primitive ne laissait pas d'être dangereuse et ses indications restaient incertaines ou peu comparables. M. l'Ingénieur Chesneau (promotion de 1877 de Polytechnique), en reprenant la construction de la lampe Pieler, en fixant les règles de son emploi, est parvenu à faire de la lampe, qui porte aujourd'hui son nom, un appareil sûr, d'un usage suffisamment commode et dont les indications sont exactes à deux millièmes près : aussi la lampe Chesneau est-elle aujourd'hui employée en France dans presque toutes les mines à grisou. Pour la plupart, elle constitue le seul appareil grisoumétrique du service courant. Plusieurs exploitants en contrôlent les résultats avec des appareils de laboratoire et notamment avec l'ingénieux tube à limites d'inflammabilité que M. H. Le Chatelier a combiné sur un principe donné par l'Américain Shaw.
Toujours plus particulièrement préoccupée des études pouvant amener l'atténuation des dangers dont le grisou menace les houillères, l'Administration, dans une autre direction, n'a pas voulu négliger l'idée un moment émise et qui peut bien avoir encore ses partisans, de l'influence des tremblements de terre sur le dégagement du gaz dans les mines. De là la mission qui occupa l'Inspecteur général de Chancourtois, de 1883 à 1886, avec la collaboration de MM. Lallemand (promotion de 1874 de Polytechnique) et Chesneau. Les résultats de leurs recherches ont été donnés dans l'Etude des mouvements de l'écorce terrestre, poursuivie particulièrement au point de vue de leurs rapports avec les dégagements des produits gazeux. Si ce travail est peut-être déjà un peu oublié au point de vue de l'influence de ces mouvements sur les accidents de grisou, il n'en restera pas moins comme un résumé très complet, en sa concision relative, tant des faits sismologiques les plus importants que des appareils et des méthodes les plus propres à les saisir et à les annoncer.
Désireuse de reprendre tout le travail par elle exécuté dans le but d'assurer la sécurité dans les mines et d'en tirer le résumé condensé des règles réputées les meilleures, l'Administration vient de les réunir (circulaire du 12 juillet 1895) dans un règlement-type qui est le fruit d'un travail laborieusement poursuivi par une Commission d'Inspecteurs généraux et d'Ingénieurs en chef des Mines, que présidait M. l'Inspecteur général Linder.
Telle a été, dans ses étapes successives, l'oeuvre lentement poursuivie en cette matière essentielle par le Corps des Mines. La statistique permet d'en apprécier les résultats avec la précision et la justesse qui découlent de ces chiffres. Nos statistiques ne remontent pas au delà de 1833; cela suffit; la date est, du reste, particulièrement intéressante ; elle se rapproche de cette époque que l'on peut considérer comme le début de l'industrie extractive moderne. De 1833 à 1840, le nombre des ouvriers mineurs tués dans les mines de combustibles, mines dont le nombre, l'importance et les dangers spéciaux donnent plus d'intérêt à ces chiffres, était de 4 à 5 par mille, en moyenne de 4,5. A partir de ce moment, la courbe de mortalité a subi une marche nettement descendante, malgré les variations inévitables dans toute série de ce genre. Depuis trois ans, le nombre des tués est au-dessous de 1 par mille; il est en moyenne, pour cette période triennale, de 0,91.
Ainsi, le risque professionnel, en prenant, parmi les diverses acceptions de ce mot trop célèbre, le sens du risque global résultant de l'exercice d'une industrie déterminée, le risque professionnel de l'exploitation des mines de houille en France a été réduit, au cours de ce siècle, des quatre cinquièmes ; il est tombé notablement au-dessous de celui des industries considérées généralement comme les moins meurtrières. A mesure que les houillères s'approfondissaient et s'étendaient, la nature les rendait pourtant plus dangereuses; la Science accroissait encore davantage leur sécurité. Sans doute nous ne pouvons nous dire à l'abri de catastrophes analogues à celles du passé ; on peut même tenir pour certain qu'elles se reproduiront tant que, pour éclairer les obscurités de la mine, il faudra recourir à une flamme ou à des incandescences. On ne pourra obtenir qu'un résultat : espacer de plus en plus ces lamentables événements; la sécurité véritable, mesurée par l'ensemble des cas de mort, conservera, nonobstant ces catastrophes, on doit fermement l'espérer, les avantages dus aux efforts de tout un siècle, si tant est même qu'elle ne s'accroisse encore.
On oppose assez volontiers la sécurité relative des anciennes professions, où l'ouvrier n'employait que des outils formant le « prolongement de ses organes », aux dangers de l'industrie moderne devenue aveuglément meurtrière par son outillage mécanique et ses machines. L'expérience montre que, en matière de mines du moins, c'est le contraire qui est vrai. La sécurité si remarquable de nos houillères est venue de l'outillage et du mécanisme perfectionnés dont elles ont été successivement dotées ; elle s'est augmentée à raison même de ce perfectionnement. Bien conçue, bien construite et bien surveillée, la machine a, en effet, la sûreté immanente des choses de la nature ; elle ne connaît pas les conséquences des défaillances humaines.
Plus sûre, la mine est devenue plus saine avec son aérage intensif dans des galeries auxquelles les nécessités mêmes de cet aérage assurent des dimensions plus grandes. Mieux assuré contre les accidents, le mineur est mieux garanti contre les maladies et notamment contre cette terrible anémie d'autrefois; et, suivant une loi si fréquente, ces améliorations ont été accompagnées par un accroissement du rendement économique. L'exploitation des mines reste essentiellement une industrie de main-d'oeuvre. Dans un milieu plus favorable, l'ouvrier a produit davantage sans fatigue plus grande.
Une dernière indication permettra d'apprécier sous tous ses aspects les résultats de ces transformations d'un siècle. Le prix de revient de la main-d'oeuvre par tonne de houille était absolument le même il y a cent ans qu'aujourd'hui ; mais le salaire du mineur a passé de 1 fr,25 ou 1 fr,50 par jour à 6 fr. Toutes les améliorations réalisées dans l'art des mines se sont donc traduites par une augmentation de salaire. L'industrie privée peut, sans doute, revendiquer comme son oeuvre la transformation économique qu'elle a subie, encore que les Ingénieurs des Mines y aient largement concouru, les uns par leur enseignement didactique, les autres par leur intervention immédiate à titre de directeurs ou d'ingénieurs-conseils. Il sera permis au Corps des Mines de réclamer une part prépondérante dans l'accroissement de la sécurité des exploitations. Par là, il peut dire avoir réalisé un des objets essentiels pour lesquels il avait été constitué par les Pouvoirs publics ; il y est arrivé plus sûrement à raison du mode de son organisation et de son fonctionnement, qui lui permettent d'associer pour le but à atteindre des aptitudes si diverses.
Des circonstances spéciales ont amené les Ingénieurs des Mines à exercer des fonctions particulières dans la surveillance des carrières du département de la Seine ; leur rôle est ici plus d'action que de surveillance. C'est la conséquence de la situation des choses. Le Paris moderne et contemporain, dans sa brillante extension de capitale prospère, a dû s'élever au-dessus des carrières souterraines où l'on était allé au plus près chercher les matériaux du vieux Paris. Ces exploitations, dont les plus anciennes semblent remonter au XIe siècle, n'avaient cessé de se développer jusqu'à la fin du siècle dernier. Les régions sous-minées actuellement reconnues s'étendent sur 776 hectares, soit le dixième de la superficie entière de Paris, et la profondeur des anciennes carrières varie de 4 m à 40 m. Elles peuvent se diviser en quatre groupes. Trois s'étendent sous la rive droite et comprennent les plâtrières des XVIIIe et XIXe arrondissements, les carrières de pierres à bâtir du VIIIe et du XVIe, enfin celles du XIIe. Le quatrième groupe, beaucoup plus important, est composé des exploitations de calcaire grossier rayonnant à droite et à gauche de la vallée de la Bièvre, et occupant les Ve, VIe, XIIIe, XIVe et XVe arrondissements. En dehors des fortifications, trente-neuf communes du département de la Seine ont aussi leur territoire fouillé sur une surface de plus de 1000 hectares.
Les vides de ces carrières insuffisamment remblayées, ouvertes parfois sur deux étages, sont une menace constante pour les bâtiments de la surface. On s'en était préoccupé dès le XVIIIe siècle, à la suite de fâcheuses expériences. Un service spécial fut constitué en 1777, et confié à Charles-Axel Guillaumot, architecte du roi, nommé « Contrôleur inspecteur général en chef des visites et opérations relatives aux carrières de Paris ». Le titre définissait le service. Guillaumot garda ses fonctions jusqu'en 1807. Elles furent alors dévolues au Corps des Mines, auquel elles auraient dû d'ailleurs revenir naturellement à sa réorganisation en 1810. Héricart de Thury les occupa le premier. L'Inspection générale des carrières de la Seine fut remaniée en 1841, lorsqu'elle advint à Juncker, qui y resta comme Ingénieur en chef jusqu'en 1851, avec Lefébure de Fourcy comme Ingénieur ordinaire. Depuis cette époque, il n'y a pas eu de changement important, ni dans le service, ni dans le système des opérations.
On peut les partager en trois catégories : la consolidation normale de la voie publique, celle d'édifices appartenant à l'Etat et à la Ville de Paris et la surveillance de la consolidation sous les constructions privées.
Les travaux, généralement exécutés en régie par les ouvriers du Service de l'Inspection, comprennent toujours une première phase d'exploration en vue de déterminer la situation des vides subsistant au milieu des remblais ou des éboulements, celle des fontis en voie de formation, les limites des anciennes exploitations. Dans ce voyage souterrain de découverte, qui constitue l'une des particularités du travail, on avance en se frayant un chemin à coups de pioche, en levant à la boussole le plan des fouilles au fur et à mesure de leur avancement et en se protégeant, s'il est nécessaire, contre la chute des blocs du toit par un boisage ou par des piles de moellons, dites piliers à bras. De telles recherches nécessitent une direction méthodique, tenant compte de la nature de la carrière, de son ancien mode d'exploitation, de son état actuel, etc. ; elles sont conduites de manière à reconnaître notamment les points où doivent être élevés, sur la hauteur des vides, des piliers maçonnés correspondant aux constructions de la surface.
Sous la voie publique, les massifs de soutènement consistaient presque toujours autrefois en deux étroites galeries, bordées d'épaisses murailles et parfois voûtées, qu'on établissait, de part et d'autre de la rue, sous l'alignement des façades. Afin de rechercher les anciennes exploitations encore peu connues à cette époque, ces galeries jumelles étaient prolongées dans toute la zone des carrières, même à travers les massifs inexploités. Aujourd'hui, avec le développement du réseau des égouts, c'est presque toujours sous l'axe de ces derniers que se développent les travaux de consolidation et qu'on conserve, s'il y a lieu, une galerie de circulation pour la surveillance ultérieure. Les façades des maisons sont d'ailleurs consolidées par leurs propriétaires. Quant au surplus de la rue, les recherches préparatoires montrent s'il est utile d'y élever des piliers de soutènement complémentaires, ou s'il suffit d'y remplir les vides par des bourrages contenus par des hagues de moellons.
La consolidation des fontis nécessite des travaux spéciaux qu'on ne confie qu'à des ouvriers exercés ; après avoir reconnu leurs limites souterraines, on soutient par un muraillement les bords restés intacts du ciel de carrière, puis on remblaye leurs cloches, soit par dessous si elles sont peu importantes, soit au contraire par leur partie supérieure, en fonçant dans ce but un puits à leur sommet, dûment repéré à la surface.
Sous les édifices ou bâtiments, on construit généralement des piliers de dimensions et de formes appropriées, à l'aplomb des façades et des points d'appui principaux. C'est ainsi que fut exécutée, par M. Keller (promotion de 1856 de Polytechnique), la consolidation des réservoirs d'eau de Montrouge, où 1800 piliers souterrains correspondent aux colonnes, en nombre égal, supportant les voûtes des réservoirs.
Parfois, quand le terrain est bouleversé jusqu'à la carrière et ameubli par des éboulements, les systèmes précédents perdent leur efficacité ; on en est alors réduit à soutenir les constructions par des piliers de maçonnerie ou de béton allant de la surface jusqu'au sol de l'exploitation et réunis à leur partie supérieure par des voûtes qui les solidarisent. Ce procédé est notamment employé pour certaines carrières de gypse, dont on a volontairement provoqué l'éboulement en masse à la suite d'un Arrêt du Roi de 1779.
Les travaux de consolidation du sous-sol parisien, commencés depuis un siècle, ont atteint aujourd'hui un développement considérable. Les galeries souterraines d'inspection du service des carrières ont, à elles seules, une longueur totale de 130 kilomètres environ, dont 90 kilomètres sous les voies publiques de Paris et 40 dans les propriétés de la Ville et de l'Etat; encore ces chiffres ne comprennent-ils pas les travaux effectués dans quelques communes suburbaines.
Toutes ces constructions souterraines nécessitent une concordance minutieuse entre la surface et les piliers de soutènement ; il est également indispensable de rapprocher et de comparer tous les renseignements fournis par les recherches successives. Aussi les ingénieurs du service se sont-ils toujours préoccupés de coordonner leurs plans de détail pour établir l'atlas souterrain de Paris. Juncker et Lefébure de Fourcy commencèrent cette oeuvre en 1841. Comme il n'existait pas alors de plan de surface, ils durent entreprendre d'abord les opérations trigonométriques de nature à relier tous les repères superficiaires. Ce vaste travail avait été publié en 1859 aux frais de la Ville. Malheureusement, presque tous les exemplaires en ont été détruits dans les incendies de 1871. Un nouvel atlas est depuis peu en cours de publication ; le premier était restreint aux limites de l'ancien octroi ; on a étendu le nouveau jusqu'à l'enceinte actuelle; en outre, les indications primitives ont été revisées et complétées. Le service des carrières procède en même temps à un travail analogue pour toutes les communes du département dont le territoire est sous-miné.
Delesse profita de son passage dans ce service pour recueillir les éléments des cartes spéciales du département de la Seine, qu'il a publiées d'après des méthodes et des représentations qui lui sont restées personnelles : Cartes hydrologiques donnant, au moyen de courbes horizontales et de teintes spéciales, la position et les conditions de gisement des nappes d'eau souterraines ainsi que leur mode d'écoulement; Cartes géologiques souterraines indiquant, d'après un mode analogue, non seulement la nature des terrains, mais encore leur forme jusqu'aux plus grandes profondeurs atteintes par les sondages.
En dehors de ce service si spécial, en dehors des travaux de sauvetage encore plus particuliers, l'Etat n'ayant jamais possédé d'exploitations minérales en France, les travaux de mines que les Membres du Corps ont pu diriger n'ont été exécutés que pour le compte et au service des exploitants.
Dans de rares exceptions cependant, sans jamais avoir fait partie intégrante du service ordinaire, de pareils travaux y ont été rattachés à titre de services spéciaux. Ainsi en a-t-il été pour les premiers travaux d'exploitation ouverts, pour leur reconnaissance, sur les bancs de sel gemme qui furent découverts à Vie, dans la Meurthe, en 1819. Ils occupèrent plus spécialement Levallois. De 1822 à 1826, bien qu'exécutés pour le compte des intéressés, ils constituaient un service administratif extraordinaire. A partir de 1826, ils se poursuivirent, toujours sous la direction de Levallois, comme travaux privés de la Compagnie fermière. Le fonçage des puits à travers des niveaux aquifères avait présenté des difficultés spéciales. Levallois avait dû introduire le système des trousses picotées, qu'il avait fallu emprunter au bassin houiller du Nord.
Une autre entreprise de cette catégorie a été constituée, depuis le début de l'organisation du Corps, par les mines de fer de Rancié, dans l'Ariège, exploitées par et pour les habitants de la vallée de Vic-Dessos, premier type d'une Mine aux Mineurs qui remonte jusque dans les brumes du moyen âge. Rendus impuissants par une réglementation irrationnelle et par des coutumes dont l'antiquité ne rachetait pas l'incohérence, les Ingénieurs des Mines de l'Ariège, qui ont eu successivement dans leur service la direction technique de ces exploitations jusqu'à ce qu'ils en aient été déchargés par la transformation de cette vieille institution en 1890 (un ingénieur des mines reste, à titre de conseil, le guide de l'entreprise), n'ont pu y introduire aucune amélioration sérieuse ; à peine ont-ils pu assurer l'ordre matériel, la continuité des travaux et la conservation du gîte que les folles entreprises des mineurs, à la fois propriétaires et exploitants, tendaient toujours à détruire pour en jouir plus vite et plus commodément.
En ce qui concerne les entreprises privées, nous avons dit sous quelles idées et avec quelle facilité, pendant toute la première moitié de ce siècle, les Ingénieurs passaient du service de l'Etat à celui des exploitants et inversement, sans parler de ceux qui cumulaient les deux catégories d'occupations. Aux exemples déjà cités des Beaunier, Combes, de Gallois, Jabin, on en pourrait ajouter bien d'autres comme ceux de Juncker se consacrant pendant vingt-cinq ans à la direction de Poullaouen et d'Huelgoat; Blavier (Edouard) dirigeant pendant trois ans, de 1847 à 1849, la Compagnie d'Anzin; Luuyt exploitant de 1850 à 1854 les mines de Rive-de-Gier, dans l'ancienne Compagnie de la Loire, où il se fît remarquer par les cuvelages effectués sur les principaux puits de façon à diminuer notablement les venues d'eaux dont le service était si lourd pour cette entreprise.
D'autres ont quitté le service de l'Etat pour n'y plus rentrer. Ainsi Houpeurt (promotion de 1840 de Polytechnique) est, en 1848, au départ de Chatelus, chargé, à l'ancienne Compagnie civile des mines de la Loire, de la direction technique de tout le district de Saint-Etienne, qui embrassait le domaine actuel des trois Compagnies de la Loire, de Saint-Etienne et de Montrambert. Après le démembrement de la Société, en 1854, il garda jusqu'à sa mort, en 1890, la direction de la Compagnie actuelle des Mines de la Loire. Il a puissamment contribué à transformer en grandes exploitations modernes ses champs divisés en périmètres distincts. Il a perfectionné les méthodes d'exploitation en développant l'usage des remblais ; établi pour la première fois dans la Loire les machines d'extraction à deux cylindres, les guidages en bois et les grandes pompes d'épuisement.
Arnoux (promotion de 1843 de Polytechnique) avait dû apprécier la responsabilité de la direction technique des mines de Blanzy à la suite des deux premiers accidents de grisou vraiment sérieux qui s'y étaient produits coup sur coup et avaient amené la mort, le 7 septembre 1853, de 9 ouvriers et, le 27 du même mois, de 13. Ses conclusions avaient amené les tribunaux à condamner sévèrement le directeur. Les exploitants crurent devoir appeler Arnoux lui-même à prendre sa place en 1854; il y resta jusqu'en 1866 et se retira pour mourir peu après, fatigué et découragé, ayant reconnu, par une triste expérience, que la critique est aisée et l'art difficile. Malgré tous ses soins et tous ses efforts, encore qu'il se fût spécialement préoccupé de substituer la méthode par remblais à celle par foudroyage antérieurement pratiquée, il ne put éviter le coup de grisou du 22 décembre 1855, qui causa 30 morts. Ses successeurs immédiats ne devaient, d'ailleurs, pas être plus heureux. En 1867 et 1872 survenaient deux nouvelles explosions avec 89 morts et 47 blessés dans la première, 4l morts et 2 blessés dans la seconde.
De Commines de Marsilly entre, en 1866, à la direction des mines d'Anzin et ne la quitte, en 1880, après avoir porté l'extraction annuelle de 1300 000 tonnes à 2800000, que pour passer régisseur de cette célèbre entreprise, à laquelle un autre membre du Corps devait, comme ingénieur-conseil, donner aussitôt après une vitalité Parmi tant de noms et tant de travaux qui nous solliciteraient, nous n'en voulons retenir que deux à raison, pour l'un, de l'intérêt des installations par lui réalisées, pour l'autre, de l'importance de son oeuvre entière. Nous voulons parler de Juncker et de Callon.
Les plus grosses difficultés que Juncker avait à vaincre pour assurer la continuation des exploitations de Poullaouen et d'Huelgoat provenaient de l'affluence des eaux, surtout à Huelgoat. L'épuisement y était effectué au moyen de trois roues hydrauliques commandant des jeux de pompes par un long développement de tirants en bois établis au jour. L'ensemble du mécanisme était si compliqué et si rudimentaire que les rendements n'étaient que de 18 à 23 pour 100. Vers 1820, il devenait impossible de continuer l'exploitation en profondeur. A cette date, on ne pouvait songer à établir à Carhaix une machine à vapeur ayant la puissance nécessaire. Juncker, qui pouvait disposer d'une force hydraulique suffisante, se décida pour des machines à colonne d'eau à simple effet, du type de celles que Reichenbach avait établies à Illsang et Rosenheim, en Bavière. Les machines de Juncker, qui sont restées classiques, devaient être deux fois plus puissantes, et elles furent munies d'agencements nouveaux ou complètement remaniés, fort ingénieux, tels que celui de la régulation graduée du petit piston formant tiroir. Juncker devait, en outre, vaincre des sujétions spéciales dues aux circonstances de l'installation à faire dans un puits de mine encombré, sans pouvoir arrêter le service de l'épuisement. Il fut par là conduit à établir côte à côte deux machines identiques de 1 m de diamètre et 2,30 m de course, actionnées par une force motrice de 21 mc par minute, avec hauteur de chute de 61 m. Elles devaient élever 3,58 mc par minute de 230 m de profondeur, en donnant un rendement de 65 pour 100. Ce n'était pas seulement le mécanisme qui était remarquable, au point d'avoir passé dans l'enseignement ; c'étaient, pour l'époque, - la mise en marche eut lieu le 17 juillet 1825 - la puissance de la machine et l'importance des pièces comme celle constituée par le piston. A cette date, il y a soixante-cinq ans, la plus forte machine à vapeur fonctionnant en France était une machine de 100 chevaux.
Au reste, Juncker s'était acquis dans sa direction de Huelgoat et Poullaouen une réputation qui faisait rechercher un peu partout ses conseils avant qu'il rentrât au service de l'Etat.
Pour apprécier l'oeuvre industrielle de Callon, en dehors de son rôle dans l'enseignement, c'est à peu près sa vie entière d'ingénieur pratiquant qu'il faut suivre. Il y débutait en 1846, alors qu'il était chargé d'organiser l'Ecole des maîtres mineurs d'Alais; il fut autorisé à prendre simultanément la direction des mines de la Grand-Combe. Il en resta directeur effectif sur place de 1846 à 1848. Appelé à Paris à cette dernière date pour professer le cours d'exploitation à l'Ecole des Mines, il ne cessa jusqu'à sa mort, en 1876, d'être le guide et l'inspirateur de cette puissante entreprise minière, la plus considérable du midi de la France, soit comme ingénieur-conseil, soit comme administrateur-délégué; les intéressés ont tenu à reconnaître ses services par le buste qui lui a été élevé sur la place principale de la Grand-Combe, au milieu des établissements dont il avait si fortement contribué à fonder la grandeur et la prospérité.
Ces établissements sont particulièrement intéressants, tant par l'originalité et l'importance des moyens employés, encore que simples dans leurs détails, que par leur parfaite adaptation aux conditions du problème; c'est ce bon sens dans les solutions, pourrait-on dire, qui était la marque du génie de Callon. On devait exploiter à la Grand-Combe, dans un pays très accidenté, avec des altitudes de plus de 500 m au-dessus du niveau des vallées, sur de très vastes étendues, des couches puissantes, peu inclinées, affleurant au jour ou situées près du jour. De là les deux particularités saillantes, se reliant du reste l'une à l'autre, de cette entreprise : le vaste réseau de ses voies extérieures avec leurs plans bis-automoteurs et l'organisation des voies souterraines réalisant les uns et les autres le roulage circulaire ou automoteur. Un wagonnet, circulant isolément ou en train, est introduit dans la mine par une galerie, vide, ou après avoir été rempli de remblais à la carrière la plus voisine ; il descend par la seule pente jusqu'au chantier, où il laisse le remblai pour être rempli de charbon ; il continue, toujours par la seule gravité, soit jusqu'au jour, soit jusqu'au bas du puits, où il faut l'élever par la machine d'extraction. La circulation au jour pour aller de la mine aux quais d'expédition, situés à grande distance au fond des vallées, est également automotrice; les wagons pleins descendants remonteront le long des plans inclinés les wagons vides ; mais ceux-ci sont élevés à un niveau supérieur qui permet la circulation automotrice dont nous venons d'indiquer les principes.
Au bout de peu d'années, Callon fut appelé, par la confiance méritée qu'il inspirait, à être ingénieur-conseil d'un très grand nombre d'entreprises industrielles, et, pour plusieurs, son concours, par sa continuité et son importance, équivalait à une sorte de direction technique. C'est ainsi que successivement il fut amené, à partir de 1858, à s'occuper des établissements miniers et métallurgiques constituant la Régie d'Aubin, formée par un groupe de mines de houille (Cransac), de forges et de mines de plomb (Villefranche), que la Compagnie d'Orléans avait dû reprendre, dans l'Aveyron, de la Compagnie du Grand-Central et qu'elle conserva jusqu'en 1870; des établissements métallurgiques de Denain et d'Anzin, dans le Nord; des houillères de Ronchamp, dans la Haute-Saône; de la houillère de Marles, dans le Pas-de-Calais; des mines de Belmez, en Espagne; des Charbonnages belges, dans le couchant de Mons. Vers 1870, il cherchait à grouper dans un seul faisceau toutes les entreprises constituées sur le prolongement du bassin houiller de la Sarre, dont nous disions ci-dessus la découverte, lorsqu'il en fut détourné par les cruels événements de l'année terrible.
Ce n'est guère qu'en 1872 que, devenu Inspecteur général, il renonça à suivre une partie de ces affaires; il en garda la plupart jusqu'à sa mort, en 1875. Plusieurs d'entre elles passèrent alors entre les mains de M. Ch. Ledoux (promotion de 1856 de Polytechnique), qui, par son enseignement à l'École des Mines de Paris et sa situation industrielle, devait continuer les grandes traditions de Callon.
En dehors des entreprises dont il était l'ingénieur-conseil, il y eut peu d'affaires importantes intéressant les mines sur lesquelles Callon n'ait été occasionnellement consulté. Il était recherché partout et par tous pour cette connaissance profonde qu'il avait, jusque dans le détail, de toutes les choses des mines et des machines et pour ce bon sens industriel, comme nous le disions, qui lui faisait appliquer les solutions les plus simples et les mieux appropriées aux conditions du problème : c'est la marque du grand ingénieur.
Les Romains nous avaient laissé des travaux sur diverses eaux minérales de France, qui établissent le merveilleux instinct dont ils s'inspirèrent dans leur captage; on reste d'autant plus étonné qu'ils n'avaient pas, pour les guider, nos connaissances géologiques. Après eux, jusqu'au XVIIIe siècle, on ne trouve aucune trace d'un travail sur nos eaux. A la fin du XVIIIe siècle, on reprit quelques chambrements, à l'intérieur desquels sourdaient certaines sources, en s'efforçant de modifier le moins possible l'état naturel des choses; un respect superstitieux correspondait aux mystères dont restaient enveloppées l'existence et l'action de ces eaux. Berthier, cet esprit si lucide et si éclairé, en donnant l'analyse des eaux de Vichy en 1820, paraissait hésiter à reconnaître la diminution du débit d'une source par suite de l'élévation de son émergence; en 1822, il se conformait aux idées du jour en parlant de la prudence qui avait guidé dans le fonçage de quelques puits creusés à Saint-Nectaire.
En 1823 cependant, Gueymard avait ouvert, à Uriage, la première galerie dont il soit fait mention dans les captages de sources minérales. Gueymard n'avait fait, il est vrai, que suivre à fleur de sol, dans l'alluvion, un filet d'eau, sans atteindre et sans chercher, du reste, la roche en place. Ce ne fut que vingt-trois ans après, en 1846, que François réalisa le captage des sources de cette station d'après les idées et les procédés dont il a eu, en réalité, l'initiative à Luchon et dont l'honneur lui revient en entier.
Le mérite de François a été d'appliquer aux eaux minérales les idées géogéniques de la célèbre note d'Elie de Beaumont sur les émanations métallifères. Mais la note est de 1847, tandis que les travaux de Luchon sont de 1837, que le rapport par lequel François en a rendu compte est de 1841 et que c'est en 1841 aussi qu'Elie de Beaumont en entretenait l'Académie des Sciences, dans une communication qui a été, pour ainsi dire, la préface de sa mémorable note. Ce qui appartient bien en propre, du reste, à François, ce sont les procédés qu'il employa pour réaliser cette application.
Comme le disait excellemment Elie de Beaumont dans son rapport à l'Académie des Sciences, « il reconnut qu'on devait attaquer les filons aquifères suivant les règles ordinaires de l'exploitation, combinées avec celles de l'hydraulique ». Il fallait, d'ailleurs, une bien grande foi dans son idée et une singulière audace au jeune ingénieur qui, en 1837, proposa et, en 1838-1839, exécuta, d'après ces principes, de véritables travaux de mines sur les précieuses eaux de Luchon, alors que, partout encore, on en était à cette crainte mystérieuse léguée par le passé. On le lui fit bien voir. Il n'eut pas seulement à combattre les difficultés matérielles de travaux dont l'effet ne peut s'apprécier qu'au jour le jour; durant plusieurs mois, il eut à lutter contre une population apeurée qui, à chaque instant, venait lui demander compte des résultats.
Si on laisse de côté les simples sondages pour nappes jaillissantes qui rentrent dans une pratique d'un autre ordre, François, dès ce premier travail, avait appliqué tous les principes qui devaient le guider dans son étonnante carrière et que devaient suivre désormais tous ceux appelés, après lui, à exécuter des ouvrages analogues. Une fois admise la notion géologique du gîte aquifère, le système de la recherche et du captage des eaux minérales peut se résumer, dans l'oeuvre de François, en ces deux idées : chercher ou créer la colonne de moindre résistance par laquelle, à raison même de la réduction de résistance, l'eau doit sourdre avec une thermalité et un débit accrus; abaisser le plus possible, déprimer, comme disait François, l'émergence pour accroître encore le débit. Il va de soi, d'ailleurs, que l'eau minérale doit être saisie dans la roche en place, dans le filon aquifère, ou qu'elle doit être captée de manière à l'isoler de toutes autres eaux que celles caractérisant le filon générateur. Cette notion capitale de la colonne de moindre résistance n'est, du reste, que l'application à un cas particulier de la loi plus générale du moindre effort, qui régit le monde.
Ces idées reçues, on comprend de suite les recherches par galeries en travers bancs et par galeries d'allongement dans le gîte, dont François a donné tant d'exemples classiques, en dehors des travaux originaires de Luchon, notamment à Cauterets et à Lamalou-le-Bas. Lorsque l'eau minérale ne se présente plus avec la netteté d'allure qu'elle a dans ces gîtes, lorsqu'elle circule formant une sorte d'amas aquifère d'où elle divague, arrivée à la surface, sans qu'on puisse aisément la capter, il faut créer artificiellement le point, la colonne de moindre résistance où on la saisira. A l'exemple des Romains, François y est arrivé, dans nombre de stations, par l'emploi de semelles de béton qui font refluer les eaux dans les enceintes réservées au milieu d'un massif artificiellement créé. Ce procédé classique devient coûteux, voire même impraticable, si ces massifs doivent prendre quelque développement. Dès son premier travail de Luchon, François y substitua le système de la pression hydrostatique dont il devait, quelque temps après, en 1839-1841, faire à Ussat, dans l'Ariège, une application singulièrement plus étendue et, par là, plus remarquable. Ce sont, du reste, les observations qu'il avait eu l'occasion de faire fréquemment, comme tous les Ariégeois, relativement à l'influence des crues de l'Ariège sur les eaux minérales de cette station, qui avaient donné à François l'idée de cet ingénieux procédé, qu'il vérifia toutefois avant d'y recourir, par des essais sur des liquides de densités différentes. Le système revient, en principe, à remplacer la semelle de béton, qui devrait être posée autour du chambrement dans lequel on veut faire refluer les eaux minérales, par une nappe d'eau froide de hauteur appropriée. Comme François le montra à Luchon pour la source dite La froide, il y a, dans ce cas, une hauteur de la nappe telle qu'on obtient, dans le chambrement de captage, avec la permanence que peuvent avoir les eaux minérales, le volume maximum en même temps que la thermalité la plus élevée et l'agrégat minéral le plus fort. Au delà de cette hauteur ont lieu dans le chambrement des afflux d'eau froide dénotés par une augmentation de volume qu'accompagné un abaissement de température et de minéralisation; en deçà, on a des pertes d'eaux minérales hors du chambrement.
En somme, les connaissances que nous devons aux premiers travaux de François n'ont eu besoin d'être complétées que sur un point relatif aux eaux minérales gazeuses. Reprenant les termes si heureux d'Elie de Beaumont, il faut dire que, pour la recherche et le captage de ces eaux, on doit combiner les règles ordinaires de l'exploitation des mines, non-seulement avec celles de l'hydraulique, mais aussi avec celles de la pneumatique des gaz.
Ces travaux de Luchon avaient d'ailleurs atteint un développement effectif qui eût suffi à les faire remarquer, même beaucoup plus tard; ils avaient nécessité l'exécution de 275 m de galeries. Les résultats en furent très brillants. Le volume des eaux chaudes dont on put disposer fut triplé ; douze sources avaient été isolées avec des thermalités de 26o,5o à 66o,3o au lieu de celles de 21o à 59o; leur régime fut désormais constant et mis à l'abri des perturbations que leur donnaient dans le passé des afflux d'eaux froides. Ces améliorations eussent été encore plus considérables si François avait joui, lorsqu'il entreprit ces travaux, de l'autorité que leur exécution devait lui donner. Il avait projeté, en effet, d'attaquer les filons aquifères à un niveau plus bas que celui où les inquiétudes des intéressés l'avaient forcé à s'établir; il voulait, par une suffisante dépression à l'émergence, augmenter encore le volume des eaux.
De pareils travaux dans la roche en place, la mise en roche, suivant l'expression de François, ne vont pas sans amener la disparition de certaines sources, remplacées par d'autres dont les premières n'étaient que des dérivations qui, antérieurement, arrivaient seules au jour : c'est notamment ce qui advint dans les travaux de Luchon, comme plus tard dans plusieurs autres dirigés ailleurs par François. La pratique ultérieure semble avoir montré que l'audace de l'éminent hydrologue, rendu plus fort par ses succès, n'a nui en rien à la Thérapeutique. 11 est certain que l'on ne devrait pas étendre trop loin un pareil système. Pour l'ingénieur, une source captée sur place, avec une plus grande limpidité et une thermalité accrue, est supérieure à la source régénérée ou savonneuse que celle-là remplace. Il se peut bien que la Médecine n'y trouve pas son compte.
L'oeuvre inaugurée à Luchon venait à son heure. Comme tant d'autres industries, l'exploitation des eaux minérales allait, elle aussi, subir une transformation par suite de la modification des moyens de transport. Les sources primitives, avec leur faible volume, n'auraient jamais pu suffire au nombre croissant de leurs visiteurs. L'augmentation des débits était une nécessité qui justifiait l'audace apparente des travaux entrepris dans ce but.
Après l'évidence matérielle des succès obtenus à Luchon, après leur consécration par l'Académie des Sciences, en 1841, à la demande de l'Administration, sur le rapport d'Elie de Beaumont, Jules François était hors de pair. A partir de 1889, des études et des projets lui étaient demandés par les intéressés pour les principales sources des Pyrénées centrales et occidentales. En 1842, Legrand, qui avait dès le début vivement appuyé le jeune ingénieur dans cette voie nouvelle, constituait pour lui une mission ayant pour objet l'étude de toutes les sources de France et la préparation des projets pour leur amélioration. Presque simultanément, François entamait des travaux tout le long des Pyrénées, des Eaux-Chaudes à Amélie-les-Bains. En 1843, son mandat se définissait encore plus nettement et sa situation s'accroissait. Il était, en effet, désormais attaché au Département de l'Agriculture et du Commerce avec un service spécial concernant les eaux minérales. Jusqu'à la législation du 14 juillet 1856, qui a mis ces eaux dans les attributions normales des ingénieurs des Mines, ce service s'est trouvé à peu près concentré entre les mains de François; son rôle a consisté beaucoup plus à exécuter ou à faire exécuter des travaux de captage et d'aménagement, à accroître la richesse hydrominérale, qu'à assurer leur conservation, suivant les préoccupations qui devaient au contraire, et justement d'ailleurs, prévaloir après 1856. Avant de songer à conserver, il fallait avoir créé.
Il n'est guère de source de quelque importance en France qui n'ait été, dans ce long espace de temps, l'objet des travaux ou des conseils de François. Il y a déployé les ressources d'un artiste incomparable, encore plus peut-être que d'un ingénieur laborieux et attentif; il avait l'intuition des choses plus qu'il ne les résolvait par une science raisonnée; la pratique l'avait amené à voir rapidement, à deviner, pour ainsi dire, la solution convenant à chaque cas. Dans l'exécution, il montrait une ingéniosité rare pour triompher des difficultés propres à ce genre de travaux ; c'est ce cachet qu'eurent spécialement les moyens employés à Luchon, dès le début, pour filtrer les eaux chargées de particules ferrugineuses ou ceux auxquels il recourut à Vichy, dans la réfection du captage de la source Lucas, en 1857, pour chasser par des jets de vapeur l'acide carbonique qui gênait les travaux.
Avant 1856, l'intervention d'autres ingénieurs des Mines dans le captage et l'aménagement des sources minérales ne laisse pas d'être rare, encore qu'on doive citer les travaux de Gueymard à Uriage en 1844 et 1846. Depuis 1856, elle devint très fréquente. On peut mentionner les travaux de Drouot à Bourbonne, de 1857 à 1863, ceux de M. Peslin (promotion de 1853 de Polytechnique) sur diverses eaux des Pyrénées, ceux de Daubrée et de Jutier à Plombières, de 1857 à 1861. Dans cette dernière station, on capta, par des galeries à la roche, diverses sources sourdant suivant des filons, et, par le procédé des semelles de béton avec colonnes de captage, d'autres sources venant ascensionnellement de l'alluvion du fond de la vallée, les eaux douces en ayant été préalablement détournées. Par suite de la reprise des constructions romaines qui en fut la conséquence, ces travaux amenèrent la découverte de monnaies métalliques transformées par la sulfuration et de zéolithes cristallisées dans les anciens mortiers ; ces trouvailles conduisirent Jutier à des conclusions de géogénie intéressantes et elles furent surtout l'objet de déductions capitales de Daubrée dans ses études sur la Géologie expérimentale et le métamorphisme.
Le domaine technique de l'Ingénieur des Mines, en matière d'eaux minérales, est naturellement limité aux réservoirs généraux où l'eau est accumulée avant qu'elle y soit prise pour le traitement en bains ou douches. Sa distribution dans ce but relève de l'architecte et du médecin. Une question cependant, souvent assez ardue à résoudre, peut occuper l'ingénieur en dehors du captage; les eaux peuvent nécessiter un chauffage ou, au contraire, une réfrigération en masse, quand on ne peut atteindre le résultat par un simple mélange d'eau douce de température appropriée. Les difficultés viennent soit des quantités à manier, soit de la nécessité d'éviter l'altération d'eaux telles que les eaux sulfureuses ou carbonatées. Gueymard, dès 1824, avait établi à Enghien et à Uriage un moyen ingénieux de réchauffer les eaux sulfureuses, en opérant en vase clos; il employait deux réservoirs communiquant par deux tubes qui assurent la circulation continue de l'un à l'autre; le plus bas des réservoirs servait à la chauffe directe; l'eau s'accumulait dans le plus grand dont le niveau était plus élevé et où elle était puisée. Une autre solution ingénieuse de la réfrigération fut celle du grand tube incliné de l'Escaldadou à Amélie, due à J. François.
Quelques chiffres officiels permettront d'apprécier l'importance de l'oeuvre ainsi réalisée par François et ses continuateurs. De 1838 à 1862, on a refait le captage de 333 sources anciennes, découvert et capté 234 sources nouvelles. Si l'on prend 27 des stations les plus importantes pour lesquelles on a des renseignements comparés, suffisamment précis, leur débit total quotidien a passé de 11.771.000 litres à 21.182.000, en augmentation de 9.411.000 litres ou de 80 pour 100.
Lorsque Hassenfratz cessa ce long enseignement, la sidérurgie commençait l'évolution qu'elle devait subir pour être en mesure, plus que toute autre industrie, de faire face à la transformation qui allait résulter de la création des chemins de fer. Pour la sidérurgie, les modifications devaient être plus directes et plus immédiates, parce qu'elles devaient précéder plutôt que suivre le changement des moyens de transport qui avaient à en obtenir, avec les rails et le matériel roulant, leurs éléments essentiels.
Au début du siècle, il n'existait en France qu'un seul haut fourneau au coke, celui du Creusot. En 1819, un second fut établi sur le Rhône. La production de fontes au coke était alors de 2000 tonnes par an contre 110 000 tonnes de fontes au bois produites par 348 hauts fourneaux; la production moyenne de ces derniers était donc de 320 tonnes par an. La fabrication de la fonte au coke n'eut quelque importance qu'à partir de 1828 et ne prit tout son essor qu'après 1842.
Jusqu'en 1818, le fer avait été fabriqué en France exclusivement au charbon de bois. De 1818 à 1820, des expériences, auxquelles les Ingénieurs des Mines prirent une part importante, furent poursuivies dans la Moselle, le Cher et l'Ille-et-Vilaine pour l'emploi du combustible minéral. Le succès qu'on y obtint provoqua la construction d'usines nouvelles au combustible minéral sur les bassins houillers, dans la Loire, à Valenciennes, à Alais, au Creusot; on y appliqua la méthode anglaise, comme on disait alors, avec puddlage et laminoirs. En 1842, au moment où les chemins de fer entraient, en France, dans leur phase définitive d'exécution avec la loi du 11 juin, la fabrication du fer avait donc complété son évolution.
L'Administration des Mines, qui avait poussé aux premiers essais du combustible minéral, s'efforça de faciliter ces transformations en mettant à la disposition de l'industrie, qui n'avait pas nos moyens actuels d'information, les renseignements paraissant devoir lui être les plus utiles. Ainsi, lorsqu'on apprit, vers 1832, les premiers essais à l'air chaud effectués en Ecosse et en Allemagne, l'Administration envoya à Wasseralfingen, Voltz, et en Ecosse, Dufrénoy et Gueymard, pour y recueillir tous les éléments de ces nouveaux procédés. Leurs Mémoires, insérés immédiatement aux Annales des Mines, mettaient les maîtres de forge français en mesure d'en tirer parti. La pratique ne s'en propagea en France que pour la fabrication de la fonte au coke.
Dans cette première transformation de la sidérurgie, on ne doit pas oublier la part qui revient à de Gallois pour la suite persévérante mise par lui à l'emploi du minerai de fer des houillères. Si ses vues n'ont pas pu passer dans la pratique, il a eu tout au moins le mérite d'avoir créé un des premiers, à Terrenoire, en 1818, la grande usine qui, bien qu'elle dût tristement finir après plus d'un demi-siècle, ne devait pas laisser d'avoir quelque importance et de jeter un certain éclat. A l'exposition de 1823, une médaille d'or fut attribuée à cet Ingénieur pour sa fonte obtenue au moyen de la houille et du minerai de fer des houillères.
A peu près simultanément, Beaunier, son collègue à Saint-Étienne, dont le nom occupe une si grande place, au cours du premier quart de notre siècle, dans toutes les occupations que peut avoir un Ingénieur des Mines, Beaunier recueillait des récompenses plus élevées et suscitait une émotion plus grande avec son usine et ses aciers de la Bérardière. Cette question de l'acier, si discutée et si peu comprise jusque dans ces derniers temps, devait d'ailleurs provoquer les travaux particulièrement intéressants de plusieurs membres du Corps des Mines.
Au début du siècle, on ne produisait en France que des aciers naturels avec des minerais spéciaux, par des procédés peu différents de ceux employés dans la fabrication du fer. Préparés dans quelques petites usines des Pyrénées ou de l'Isère, ils étaient médiocrement prisés, inégaux, insuffisants comme triage et régularité; inférieurs aux aciers naturels venant d'Allemagne, ils ne pouvaient surtout pas supporter la comparaison avec les aciers d'Angleterre et particulièrement avec les aciers fondus de ce pays, sorte d'acier, du reste, dont la fabrication était inconnue en France. On sait l'insuccès des tentatives de Réaumur, en 1722, pour cémenter des fers français. Clouet ne réussit pas mieux à la fin du siècle dernier. Entre eux, Buffon, en 1770, avait paru aboutir à l'usine de Nérouville, sur le canal du Loing, par une imitation des procédés anglais que Gabriel Jars avait très bien relevés dès 1745.
Mais toutes ces tentatives étaient oubliées lorsque Beaunier reprit la question.
Il se proposait de partir d'aciers naturels choisis, provenant de fontes à acier de l'Isère, les fontes de Saint-Hugon, et d'arriver, par un raffinage et des corroyages soignés, opérés à la houille, suivis de triages attentifs, à des aciers perfectionnés de nature à concurrencer les aciers anglais. Il parut y avoir réussi. En 1817, l'acier fondu venant d'Angleterre se vendait en France 450 fr les 100 kg. En 1819, l'usine de la Bérardière, créée de toutes pièces par Beaunier, livrait 240 tonnes d'acier naturel raffiné et 30 tonnes d'acier fondu. Elle vendait ceux-ci au prix de 26o fr à 280 fr les 100 kg, obligeant les aciers anglais à descendre à ce cours. Médailles et décoration récompensaient cette tentative à l'Exposition de 1819, et de nouvelles distinctions étaient accordées à l'Exposition de 1823. Il est certain que l'on ne peut pas dire que le succès se maintint. La raison pourrait en être dans l'abandon de l'entreprise par Beaunier qui allait se consacrer plus spécialement à une nouvelle oeuvre, son chemin de fer de Saint-Etienne à la Loire.
Telle n'a pas été la croyance de Le Play, qui devait s'occuper spécialement de cette question des aciers dans cette longue carrière de professeur de métallurgie qu'il devait parcourir à l'Ecole des Mines de Paris, de 1840 à 1856, comme première étape de sa brillante destinée. Pour lui, il ne pouvait y avoir d'aciers que par la reproduction minutieuse des procédés anglais appliqués aux mêmes matières que celles traitées en Angleterre. Seuls, donc, les fers du Nord, des marques à ce reconnues dans les ateliers de Leeds et de Sheffield, avaient cette propension aciëreuse qui pouvait permettre d'obtenir des aciers. Vainement on essayerait d'y arriver avec nos fers indigènes ; là était pour lui l'erreur fondamentale des tentatives de Réaumur, de Clouet et de celles de la Bérardière qu'il considérait comme ayant été vouées inéluctablement à l'échec certain sous lequel elles avaient disparu. Il fallait donc se borner à créer en France des usines analogues aux usines anglaises, et faciliter leur fonctionnement par un abaissement approprié des droits sur les fers à acier du Nord.
Si Le Play, après Jars, avait très bien discerné la nature de la cémentation et reconnu que le charbon seul y jouait un rôle, sans qu'on eût à se préoccuper de cette addition de sels et de fondants cherchée par Réaumur et Clouet, la théorie et la pratique devaient montrer l'erreur de la propension aciereuse, que des élèves de Le Play ont exagérée encore par leurs distinctions entre le ferrosum et le ferricum, comme si les mots, lorsqu'ils sont tirés du latin, devaient suffire à remplacer les idées. Les théories de Le Play ne laissèrent pas du reste de susciter, dès la première heure, quelques contestations, que l'autorité et la situation de celui auquel on répondait ne permettaient toutefois de présenter qu'avec une certaine timidité. Parmi ceux qui protestèrent on doit citer Jules François qui, avant de se vouer à ses travaux sur les eaux minérales, s'était beaucoup occupé, dans l'Ariège, de la métallurgie du fer d'après les procédés pyrénéens auxquels il consacra un ouvrage important. On faisait observer à Le Play, comme la suite des temps devait en montrer l'exactitude, qu'il ne fallait pas écarter a priori les minerais indigènes, mais qu'on devait se préoccuper de préparer avec eux des matières pures, bien fabriquées.
Tandis que Le Play exposait des vues, plus commerciales peut-être que techniques, et défendait la tradition avec une énergie qui aurait dû lui faire craindre de la voir par d'autres tourner en routine, deux de ses collègues à l'Ecole des Mines, Berthier, avant lui, et Ebelmen ensuite, cherchaient le progrès métallurgique dans des voies plus scientifiques. Par toute la série de ses analyses touchant à la minéralurgie, par la méthode qui y présidait, la sagacité des déductions qu'il en tirait, Berthier a mérité qu'Arago ait reconnu qu'« il n'est peut-être pas d'opération métallurgique que ses nombreux travaux n'aient contribué à expliquer ou à perfectionner ». Ainsi en a-t-il été de ses études sur le passage au haut fourneau des scories d'affinage (1808); sur l'emploi des flammes perdues des hauts fourneaux tenté dès 1814 par un maître de forge distingué, M. Aubertot, emploi qui ne devait être repris que vingt ans plus tard; sur la comparaison du soufflage des hauts fourneaux à l'air chaud et à l'air froid.
L'importance de ces recherches scientifiques ne devait être dépassée que par celles sur la combustion des foyers en général et plus spécialement dans les hauts fourneaux au bois et à la houille qu'Ebelmen poursuivit principalement de 1837 à 1844 ; les résultats essentiels en étaient publiés en 1841, bien qu'il ait continué à s'en occuper jusqu'à sa fin prématurée en 1852. Ces études de chimie métallurgique, exécutées dans l'usine même, permettaient d'établir rationnellement la théorie du haut fourneau ; elles éclairaient les règles à suivre pour ses formes ; elles donnaient des indications sur ses allures et plus spécialement sur l'utilisation des gaz sortant du gueulard.
C'est cette même voie scientifique de la Chimie métallurgique que suivit Gruner qui, presque immédiatement après Le Play, occupa la chaire de Métallurgie à l'École des Mines de Paris de 1858 à 1872 ; il continua, en fait, on peut le dire, jusqu'à sa mort en 1888, un enseignement qui n'a pas peu contribué aux progrès et au développement de la sidérurgie moderne, par ses études et ses publications sur l'affinage de la fonte et sur les hauts fourneaux. Il a, plus qu'aucun autre, montré notamment l'erreur de la théorie de la propension aciéreuse; elle ne consiste, pour les minerais et les fers qui étaient réputés en jouir, que dans une absence de soufre et de phosphore ou de scories interposées. Gruner indiquait la voie dans laquelle on devait chercher le moyen de fabriquer de bons produits, même avec de mauvais minerais. Dès 1867, à l'occasion du procédé Heaton, il montrait notamment que l'on ne pouvait se débarrasser du phosphore qu'en recourant à l'emploi de scories basiques dans des fours à parois non siliceuses, et, en 1875, il mentionnait l'emploi de la dolomie, avec laquelle, trois ans plus tard, Thomas et Gilchrist devaient définitivement résoudre le problème par leur procédé basique ; Gruner peut être considéré comme en ayant singulièrement facilité la solution. Ses études sur les hauts fourneaux n'ont pas été moins fécondes, soit au point de vue de leur forme, de la comparaison de leurs profils qu'il montra devoir être élancés au lieu de trapus, soit en ce qui concerne le bilan de leur roulement, qu'il a appris à dresser avec précision tant en matières solides qu'en produits gazeux, en faisant particulièrement ressortir sur ce dernier point l'importance du rapport à maintenir entre l'acide carbonique et l'oxyde de carbone. Bien que l'oeuvre métallurgique de Gruner ait porté sur la sidérurgie plus que sur les autres branches de la métallurgie, il n'a pas laissé de s'occuper utilement du traitement du plomb, et il a contribué pour le cuivre à propager une nouvelle méthode d'affinage qui a pris aujourd'hui une réelle importance et dont le développement n'a été entravé, dans une certaine mesure, que par des considérations étrangères à l'art de l'Ingénieur.
L'intervention réglementaire du Corps des Mines dans le domaine de la métallurgie qu'avait prescrite la législation de 1810 ne pouvait pas être la même que pour les mines, ainsi que nous l'avons marqué précédemment. Aussi cette intervention, peu intéressante ou médiocrement importante au fond d'ailleurs, devait-elle disparaître, comme il en advint par la loi du 9 mai 1866; à ce moment la sidérurgie, avec les procédés Bessemer et Martin, entrait dans sa dernière phase, celle de la production de produits fondus par grandes masses. L'indépendance de la métallurgie au regard de l'Administration des Mines correspondait d'ailleurs au relâchement du lien entre la mine et l'usine qui en doit traiter les produits. Le mineur devait jadis élaborer lui-même les minerais qu'il avait extraits. Ils sont aujourd'hui, pour les mines de toute nature, une marchandise qui se transporte comme une autre à des distances sans cesse accrues par la diminution des frais de transport ; le mineur ne connaît plus souvent le pays ni l'usine qui consommeront ses produits ; un courtier les lui prend et les place. C'est ainsi que le Corps des Mines dut plus spécialement connaître de la métallurgie au titre de l'enseignement. Nous venons de voir comment il s'en est acquitté par ceux de ses membres qui se sont plus spécialement occupés de ces matières.
D'autres se sont voués directement aux entreprises métallurgiques, comme Lan notamment. Après avoir succédé à Gruner dans le professorat de chimie et de métallurgie à l'Ecole des Mines de Saint-Étienne, où il enseigna avec éclat et autorité de 1851 à 1862, il remplit avec lui, en 1861, cette mission du Gouvernement français en Angleterre, à la suite de laquelle ils publièrent l'État présent de la Métallurgie du fer en Angleterre, vaste rapport sur la sidérurgie anglaise, qui en est l'exposé complet, théorique et pratique, aussi nourri de faits techniques qu'économiques. Mis en évidence par ces travaux, Lan prit, en fait, sinon nominalement, de 1862 à 1885, la direction de la grande Compagnie métallurgique de Châtillon-Commentry. A partir de 1872, il cumula ses occupations industrielles avec l'enseignement de la Métallurgie à l'École des Mines de Paris, où il avait succédé à Gruner, comme vingt ans auparavant à Saint-Etienne.
Le Play, dont nous rappelions ci-dessus l'enseignement métallurgique, ne fut pas non plus simplement professeur. Il eut aussi à appliquer ses théories dans la direction des vastes établissements miniers et métallurgiques de l'Oural, que lui remit la confiance du prince Demidoff, pendant dix ans, de 1844 à 1853 ; 45 000 ouvriers y étaient occupés, extrayant et traitant des minerais d'or, de platine, d'argent, de cuivre et de fer.
Jadis, on ne séparait pas la minéralurgie, comme on le disait, de la métallurgie de gros oeuvre. Celle-ci n'était que l'espèce rentrant dans le genre formé par celle-là. La minéralurgie, embrassée dans son ensemble, comprenait essentiellement le traitement immédiat de toutes les substances minérales en l'état où les livre l'industrie extractive. Les lois successives sur les mines, du 28 juillet 1791 et du 21 avril 1810, s'étaient partiellement inspirées de ces idées et de ce rapprochement en étendant leur action non seulement sur les usines métallurgiques, mais aussi sur quelques-unes de celles, en nombre assez faible, il est vrai, traitant des matières minérales non métalliques. De là, sur cet objet, une intervention des Ingénieurs des Mines, qui a, d'ailleurs, été exercée par quelques-uns, à titre personnel beaucoup plus que comme membres du Corps. Cette action s'est produite, dans certaines circonstances, avec une continuité qui justifie qu'on en rappelle ici le souvenir. Telles nous paraissent être, d'une part, certaines études sur l'importante question des plâtres, chaux, ciments et mortiers, et d'autre part la direction de l'usine de Sèvres.
La première observation précise et exacte sur les chaux hydrauliques est due à Collet-Descotils, le premier directeur et le premier professeur de Chimie qu'eut l'École, reconstituée à Paris en 1815. Dès 1813, cinq années avant les travaux, justement célèbres et devenus classiques, du camarade des Ponts et Chaussées Vicat, il avait montré que la cuisson des chaux hydrauliques amenait une combinaison de la silice et de la chaux, de laquelle résultaient les propriétés caractéristiques du produit.
Rivot, reprenant à son tour le problème, avait cru pouvoir déduire de ses expériences la formation, pendant la cuisson des ciments, d'un silicate et d'un aluminate tricalcique dont la simple hydratation produisait la prise et le durcissement.
M. H. Le Chatelier, continuant, par ses études, des traditions aussi précieuses, a définitivement démontré que la réaction fondamentale amenant le durcissement consistait dans le dédoublement d'un silicate basique de chaux monocalcique et d'un hydrate de chaux; l'aluminate de chaux, formé par la cuisson, ne joue qu'un rôle accessoire, sa rapidité d'hydratation intervenant simplement pour la rapidité de la prise. Les résultats de ces expériences de laboratoire ont eu des conséquences directes dans la pratique. Il en résulte, en effet, que la proportion de chaux dans la fabrication d'un bon ciment doit être comprise dans des limites que la théorie donne a priori. En dehors de ces limites, le mortier se désagrège par excès de chaux, ou le défaut de chaux amène la production d'un silicate dicalcique inerte et la pulvérisation du ciment cuit.
Nous ne pourrions quitter l'industrie des chaux hydrauliques et des ciments sans rappeler que de Villeneuve, en 1848, réalisa le premier le blutage à l'usine et introduisit ainsi, dans la pratique des constructions, l'emploi de la chaux livrée en poudre par sacs plombés. Auparavant, elle était livrée en pierre au chantier; elle y était éteinte au moment de l'emploi. La pratique nouvelle introduite par de Villeneuve a été réputée être un des progrès les plus considérables de l'industrie des chaux hydrauliques.
Les études minéralurgiques de M. H. Le Chatelier, dont nous venons de parler, se rattachent trop intimement à l'enseignement de l'Ecole des Mines pour ne pas mentionner ici, comme se reliant directement aux recherches précédentes, ses observations sur le plâtre et, comme y rentrant indirectement, son pyromètre.
Pour le plâtre, il a établi, contrairement à une croyance admise depuis Lavoisier, que le plâtre cuit n'était pas du sulfate de chaux anhydre, mais un hydrate intermédiaire, ce qui lui a permis de déterminer définitivement les causes et les conditions de durcissement des mortiers à base de plâtre.
Bien que plus usité peut-être dans les recherches théoriques de laboratoire, à raison de la précision de ses indications, le pyromètre pour hautes températures de M. H. Le Chatelier peut et doit être considéré comme un instrument de la Métallurgie et de la Minéralogie modernes. Le principe de ce pyromètre repose sur l'emploi des couples thermo-électriques qui avaient, dès 1833, été proposées pour le même objet par Becquerel. Des diverses tentatives poursuivies, il semblait résulter que les couples thermoélectriques ne présentaient aucune régularité dans leurs indications, et leur emploi avait été même condamné d'une façon absolue par Regnault. M. H. Le Chatelier a réussi, le premier, à construire avec ces couples un instrument de mesure, aujourd'hui courant. Pour faciliter l'emploi de l'appareil dans les usines et spécialement dans les usines à fer, M. H. Le Chatelier a transformé son pyromètre primitif en recourant à la méthode optique dont le principe avait été indiqué par Ed. Becquerel, par une simple adaptation du photomètre de M. Alfred Cornu. L'appareil est employé pour suivre les opérations des industries de l'acier, du verre et des ciments de Portland.
Rien n'est plus rationnel que de passer de telles études à Sèvres et à sa manufacture. C'est en 1800 que les Ingénieurs des Mines y entraient avec Alexandre Brongniart. La manufacture, gouvernée par un comité, était sous la Révolution tombée dans le plus grand désordre. Berthollet avait désigné Brongniart au Premier Consul, à raison de ses connaissances scientifiques et de ses relations artistiques (1). Le choix fut heureux. Sous son administration éclairée, active et prévoyante, la manufacture reprit pour près d'un demi-siècle, de 1800 à 1847, le rang qui lui revenait. La blancheur des pâtes, le glacis des couvertes, la légèreté des pièces de service, les grandes dimensions des pièces décoratives, la beauté des couleurs concoururent à rétablir la réputation des porcelaines de Sèvres. Bien que Macquer y eût fait de la porcelaine dure, Brongniart est néanmoins le premier qui l'ait composée en partant de l'analyse et en lui donnant une formule immuable. Son Traité des Arts céramiques et des Poteries (1844, 2 vol. et atlas) a été et est encore, bien que vieilli, la base de tous les Ouvrages français ou étrangers sur la matière. Il y a pour ainsi dire codifié la fabrication des poteries; il a introduit la science et la balance pour la première fois dans ces métiers où l'on ne vivait et où, dans bien des usines, l'on ne vit encore que de routine.
Le passage de Brongniart à Sèvres fait revivre le souvenir, bien naturel à rappeler ici de ce véritable cénacle, de cette École de Géologie moderne qu'il y avait créée avec ses amis et ses élèves, et avec ceux de son beau-père, Coquebert de Monbret, dont le nom doit rester cher au Corps des Mines. Ce fut un foyer singulièrement fécond d'où rayonnait la pure Science, qui s'était révélée, dès le début du siècle, avec l'Essai sur la Géologie minéralogique des environs de Paris.
Ebelmen, que son rare mérite avait fait désigner pour recueillir une succession rendue si difficile par de tels précédents, n'a fait que passer à la Manufacture. Il y a rendu cependant de très grands services, auxquels l'avait en partie préparé sa carrière scientifique antérieure : mise en marche des cuissons à la houille; synthèse des spinelles et autres combinaisons employées comme couleurs au grand feu; coulage des grandes pièces sous pression; essai de fabrication de la porcelaine tendre ancienne; étude de la fabrication chinoise ; par là il ouvrit des vues nouvelles à la fabrication européenne et montra comment doivent être faits les rouges au grand feu, que tant de céramistes emploient aujourd'hui sans se rappeler que c'est à Sèvres qu'Ebclmen en a indiqué la composition.
Lorsqu'il fut soudainement emporté, en 1852, dans la force de l'âge, il sembla qu'un Ingénieur des Mines devait conserver d'aussi heureuses et aussi longues traditions. Aucun ne paraissait plus désigné que Regnault, alors à l'apogée de sa gloire. Il ne se décida pas facilement à accepter. Ses hésitations ne cédèrent qu'à l'espoir de continuer sur un terrain plus vaste les recherches du Collège de France. Il ne se doutait pas que ce laboratoire de Sèvres, où il avait accumulé tant de documents précieux et réuni tant d'instruments utiles, devait être systématiquement saccagé par le même ennemi sous les coups duquel son fils, déjà illustre, devait succomber prématurément. Regnault avait introduit dans la fabrique de Sèvres l'emploi du vide pour le coulage des grandes pièces et celui des gaz réducteurs dans la cuisson au grand feu des porcelaines décorées au moyen d'oxydes métalliques. Après sa mort, en 1878, le lien fut rompu entre le Corps des Mines et la Manufacture; il avait duré trois quarts de siècle, la moitié de la vie de l'établissement.
Nous ne saurions quitter le domaine des usines que nous venons de parcourir sans rappeler les travaux considérables, quoique d'un caractère un peu spécial, publiés par M. de Freycinet, à la suite des missions que lui avait données le Gouvernement, pour l'étude de l'hygiène industrielle et de l'assainissement des villes.
Il appartenait à deux ingénieurs des Mines, Alexandre Brongniart et Élie de Beaumont, de donner les derniers coups au neptunisme qu'avait à peine entamé le plutonisme de Faujas de Saint-Fond et de Dolomieu, qui, tous deux aussi, avaient fait partie du premier cadre des Inspecteurs des Mines. Par leur Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris, Cuvier et Alexandre Brongniart, en 1808, posaient les principes de la succession des formations, et Brongniart, en particulier, fondait la Paléontologie. Elie de Beaumont, reprenant et étendant des idées antérieurement émises par L. de Buch, acheva l'oeuvre, en stratigraphie, par son Système des montagnes de 1829; il les data en montrant la succession de leurs révolutions à des âges différents dans une même localité, mais le même au contraire pour celles situées à de grandes distances les unes des autres. Les soulèvements se trouvaient d'ailleurs rattachés à la notion de la chaleur centrale et de ses émanations. Les principes de la Géologie moderne étaient posés. On en pouvait tirer tous les fruits utiles pour une exécution féconde des Cartes géologiques. Dès 1811, alors que le wernérisme était encore dominant, Brochant de Villiers, qui avait été élevé directement à l'école du maître et en était, en France, le représentant le plus élevé avec sa chaire de l'Ecole des Mines, avait proposé à l'Administration l'exécution de pareilles cartes; les notions, alors acquises, permettaient de les entreprendre. L'ordonnance du 5 décembre 1816, qui avait reconstitué l'École des Mines de Paris, avait confié à son Administration le soin de dresser ces cartes pour notre pays. Dès 1820, le Conseil de l'Ecole avait mis la question à l'étude; il en arrêta le programme dans un Rapport qu'il soumettait en 1822 à l'Administration supérieure.
Cette même année, Greenough produisait sa carte d'Angleterre, et d'Omalius d'Halloy, qui, dès 1808, avait donné dans le Journal des Mines une Carte géologique du bassin de Paris, publiait son Essai de Carte géologique de la France, des Pays-Bas et des contrées voisines; une réduction à l'échelle de 190 km pour 0m,027 parut dans le Journal des Mines. Cette carte avait été dressée, de 1810 à 1813, avec les matériaux accumulés par Coquebert de Montbret pour ce journal, grâce à tous les renseignements et échantillons recueillis par les Ingénieurs des Mines.
Conformément aux propositions du Conseil de l'Ecole des Mines, l'Administration arrêta le principe de l'exécution d'une Carte géologique de la France par Élie de Beaumont et Dufrénoy, opérant sous la direction de Brochant de Villiers. Après un voyage de reconnaissance en Angleterre, dans l'année 1823, les deux géologues commencèrent leur travail sur le terrain en 1825 ; à Élie de Beaumont incombait spécialement l'étude du Nord et de l'Est; à Dufrénoy celle du Midi et de l'Ouest. A partir de 1826, de Billy fut adjoint à Dufrénoy et Fénéon à Elie de Beaumont. Les opérateurs firent séparément cinq campagnes d'été, de 1825 à 1829; de 1830 à 1834, ils consacrèrent cinq campagnes à des tournées communes pour achever de se mettre d'accord. En 1835, les relevés nécessaires pour l'exécution de ce monument géologique étaient terminés et un exemplaire colorié, avec limites des terrains, mais sans le relief du sol, fut présenté à l'Académie des Sciences le 30 novembre 1835. Des 1831, d'ailleurs, la Carte, à l'échelle de 1/500 000 qu'on avait adoptée, ayant été gravée pour le trait, une minute avec couleurs, mise successivement au courant, était exposée à l'École des Mines et y servait pour l'enseignement; on en donnait des extraits aux intéressés. Ce ne fut qu'en 1842, toutefois, que put être définitivement publiée la Carte définitive au 1/500 000 ème, avec le relief, qui est restée à juste titre si réputée.
En 1841 avait paru le Tome Ier de l'Explication de la Carte géologique, contenant une Introduction restée célèbre et des Notices sur le centre de la France, la Belgique, les Ardennes, les Vosges et le terrain houiller, en même temps que le tableau d'assemblage au 1/2000 000 ème. Le Tome II (1848) contient une revue des terrains secondaires, depuis le trias jusqu'au jurassique. Le Tome III (1878) est une oeuvre posthume de Dufrénoy, publiée par les soins de Lefébure de Fourcy, qui contient des notes sur le Bassin tertiaire du Sud-Ouest, sur les Pyrénées et sur les terrains volcaniques. Ces publications ont été complétées en 1878 par une quatrième Partie, due à Bayle et à M. Zeiller. Elle se compose d'une grande suite de Planches représentant de nombreux fossiles (animaux et végétaux), et d'un texte explicatif pour les végétaux, dû à M. Zeiller.
A partir de 1835, on avait considéré comme terminée cette triangulation géologique qui, dès le début du travail, avait paru devoir être le canevas propre à dresser sur une plus grande échelle les cartes de détail susceptibles de contenir et de donner toutes les indications utiles à la pratique. On entrevoyait, dans l'ordre d'idées d'alors, les applications industrielles de la Géologie plus qu'on ne songeait aux progrès que la Science pouvait retirer de ces travaux, dans des vues purement spéculatives.
Par une circulaire ministérielle du 30 août 1835, complétée dans des instructions des 22 mars et 1er mai 1887, l'Administration invita les Ingénieurs des Mines à entreprendre l'exécution de ces Cartes par département, partout où les autorités locales consentiraient à concourir, dans une suffisante mesure, aux dépenses qui en devaient résulter ( l'Administration supérieure avait indiqué qu'elle laissait les départements libres de recourir à d'autres personnes que les Ingénieurs des Mines ). Les Cartes devaient être faites de préférence d'après celles de Cassini ; en tout cas, celles-ci devaient servir de minutes ( les Cartes de Cassini furent naturellement remplacées, dès qu'on le put, par les Cartes de l'État-Major au 1/80 000. ). Pour que le travail conservât quelque uniformité, l'Administration transmettait tout d'abord aux Ingénieurs, comme première indication, un extrait approprié du travail d'Élie de Beaumont et Dufrénoy; elle exerçait ensuite un certain contrôle pendant toute la durée de l'exécution.
Avant 1835, on ne peut pas dire qu'il existât de véritables Cartes géologiques locales. On ne pouvait mentionner que quelques rares esquisses ( telle était, par exemple, la Carte au 1/200 000 des Hautes-Alpes, par Gueymard, ingénieur des Mines à Grenoble ) ou quelques rudiments de Cartes, annexés à des statistiques départementales, comme celles de la Drôme ou de l'Isère, par Scipion Gras (promotion de 1824 de Polytechnique).
A partir de 1835, le travail se généralisa en même temps qu'il prenait une assez sérieuse importance au point de vue technique et scientifique. Au total, en comprenant les quelques Cartes parues avant 1835, on a publié ainsi successivement 59 Cartes départementales ( nous y comprenons celle du Bas-Rhin, de Daubrée, au 1/80 000 , parue en 1831. Mais nous ne faisons pas état, dans ce nombre, des Cartes du Gard, par Emilien Dumas; du Dauphiné, par Lory ; de l'Hérault, par M. de Rouville, qui sont des oeuvres personnelles faites en dehors des conditions de préparation et d'exécution que nous rapportons ), quelques-unes, par suite de difficultés administratives ou financières, après la réorganisation, en 1868, du Service de la Carte géologique détaillée ( de ce nombre se trouvait notamment la belle Carte de la Haute-Vienne, par Mallard, dont la minute avait figuré à l'Exposition universelle de 1867 et qui ne fut publiée qu'en 1870 ). Quarante-sept de ces Cartes étaient dues à des Ingénieurs des Mines.
Diverses d'entre elles méritent une mention spéciale : celle du Pas-de-Calais, par du Souich, qui, bien que publiée en 1856, était terminée en 1847 et avait permis, nous l'avons indiqué, de diriger avec certitude les recherches, au delà de Douai, du prolongement du bassin houiller du Nord; celle de la Loire, parue en 1857, où Grüner classait les étages inférieurs au houiller proprement dit avec leurs porphyres d'âges successifs ; celle de la Haute-Marne, publiée en 1860, où Duhamel, Elie de Beaumont et de Chancourtois s'étaient attachés à faire ressortir les alignements en conformité de la théorie du réseau pentagonal, alors dans tout son crédit ; celle de la Haute-Loire (1880), à l'occasion de laquelle Tournaire donnait ses vues originales sur la venue des roches basaltiques des environs du Puy.
A tous les points de vue, cette oeuvre manquait d'ensemble, et le mérite de quelques-uns de ces travaux personnels ne rachetait pas ce défaut primordial. Une revision à grande échelle s'imposait. En 1855, Dufrénoy et Élie de Beaumont préparèrent pour l'Exposition un panneau de 20 feuilles du Nord et de l'Est, sur Carte d'Etat-Major au 1/80 000, en se servant des Cartes départementales et d'autres documents. On ne donna pas suite alors à cette idée, qui eût été, du reste, peut-être prématurée avec l'état d'avancement de la Carte d'État-Major. Le projet fut repris en vue de l'Exposition de 1867, et un Service spécial fut constitué, sous la direction d'Elie de Beaumont, avec de Chancourtois et les Ingénieurs E. Fuchs, A. Potier et de Lapparent. 62 feuilles de l'Etat-Major, formant le quart Nord-Est de la France, furent préparées en minute et exposées au Champ-de-Mars.
De là sortit le Service de la Carte géologique détaillée qui fut définitivement constitué, par décret du 1er octobre 1868, pour dresser la Carte géologique de la France au 1/80 000. Le Service comprenait : Elie de Beaumont, pour directeur; de Chancourtois, pour sous-directeur, et les Ingénieurs E. Fuchs, A. Potier, A. de Lapparent, H. Douvillé et F. Clérault pour les explorations et les tracés. Bayle, Bayan, Ingénieur des Ponts et Chaussées, trop tôt enlevé à la Paléontologie qu'il cultivait avec un rare succès, et ultérieurement M. Zeiller, devaient donner leur concours aux séries paléontologiques à établir pour chaque feuille, avec des coupes, des projections et des sections verticales.
Plein de confiance dans les vues de son disciple et ami, Elie de Beaumont laissa complètement à de Chancourtois l'organisation de ce nouveau Service, et il s'en remit à lui pour l'élaboration du programme des études sur le terrain et du mode de représentation des observations. Le système de de Chancourtois, comme l'a exposé Fuchs, un de ses disciples, était de passer, à l'aide d'une série de transitions graduées, comportant une abstraction croissante, des faits matériels de la Géologie aux spéculations de la Science. La succession des terrains et des roches, qui constitue ces faits matériels, devait être représentée par une série appropriée de perspectives photographiques, qu'une construction géométrique transformait en coupes verticales; celle-ci servait de base à l'échelle géologique des terrains. Les cartes, les coupes et les sections longitudinales, auxquelles cette échelle était appliquée, comportaient tout un système de notations donnant, pour chaque terrain comme pour chaque roche, les variations de composition chimique, de texture physique et d'allure topographique que ces groupes présentent dans les diverses localités où ils affleurent. Enfin, l'emplacement des lieux d'extraction des matières utiles, elles-mêmes définies par un système complet de signes conventionnels, était minutieusement reporté sur les Cartes ; une Notice explicative et des légendes détaillées complétaient chaque Carte, comme chaque section, dont elles formaient des annexes.
A la mort d'Elie de Beaumont, en 1876, au bout de six ans, 16 feuilles avaient été livrées à l'impression, soit 3 en moyenne par année. Le travail allait trop lentement, et il avait reçu de de Chancourtois un caractère de personnalité spéculative plus marqué que ne le comportent de pareilles oeuvres.
Un décret du 21 janvier 1875 réorganisa le Service. Auprès du Directeur fut instituée une Commission composée d'inspecteurs généraux des Mines et de savants compétents. En même temps le principe de l'adjonction de collaborateurs, étrangers au Corps des Mines, permit d'imprimer une plus grande activité aux explorations sur le terrain. M. Jacquot, Inspecteur général des Mines, fut nommé directeur du Service et resta à sa tête jusqu'à sa retraite, en novembre 1887.
Durant ces treize années, 77 feuilles ont été livrées à l'impression, soit 6 par an en moyenne.
A la place de l'ancien Tableau d'assemblage au 1/2000 000, M. Jacquot a, en outre, fait paraître une Carte d'ensemble au 1/1000 000.
Depuis 1887, la direction du Service est confiée à M. Michel-Lévy. Le service central est resté composé d'ingénieurs des Mines. On compte, en outre, environ quatre-vingts collaborateurs, comprenant des ingénieurs des Mines, quelques ingénieurs des Ponts et Chaussées, de nombreux membres de l'Université.
De 1888 à 1895 inclus, 80 feuilles nouvelles ont paru, portant ainsi la moyenne annuelle à 10. En dehors de la Corse, qui doit être éditée incessamment au 1/320 000, on a livré 172 feuilles sur 258.
Indépendamment des feuilles au 1/80 000, le Service de la Carte géologique détaillée de la France a publié, dès 1879, divers Mémoires in-4o.
En 1889 a paru le premier Volume d'un Bulletin in-8o des Services de la Carte géologique et des Topographies souterraines, dans lequel ont pris place de nombreux et importants Mémoires.
Outre la Carte détaillée au 1/80 000, le Service doit donner une Carte d'ensemble au 1/320 000, dont une première feuille a paru en 1893. Si les indications de la Carte géologique détaillée peuvent satisfaire les savants pour leurs études spéculatives, et les explorateurs pour leurs premières recherches, elles ne suffisent pas pour guider le mineur dans la poursuite de son gisement. On dit volontiers qu'un gîte n'est bien connu que lorsqu'il est épuisé. Il importe, au contraire, de permettre à l'exploitant de marcher à coup sûr; il faut tout au moins limiter le plus possible le champ de ses hésitations; il est utile, d'autre part, de pouvoir dresser le bilan de nos ressources minérales. A ces besoins des intérêts publics comme des intérêts privés, répondent les travaux dont l'Administration des Mines s'est préoccupée dès sa constitution, et dont elle n'a cessé de poursuivre la réalisation avec les améliorations que la loi du progrès continu a permis d'y introduire.
Avant les Cartes géologiques, on n'avait pu dresser que des statistiques descriptives, qui donnaient la nomenclature des faits matériels, plus qu'elles ne permettaient de prévoir l'avenir. Le Journal des Mines, sous l'impulsion de Coquebert de Montbret, se remplissait de Mémoires sur les ressources minérales et minéralurgiques de la plupart de nos départements et districts. Le grand travail de Duhamel et Beaunier, sur le bassin houiller de la Sarre en 1810, et celui de Beaunier dans la Loire en 1813, peuvent être considérés, le second notamment, comme les premières topographies souterraines. Mais, à cette époque, le peu de développement des travaux de mines, l'éloignement des divers centres d'extraction, les connaissances scientifiques insuffisantes en Stratigraphie et surtout en Paléontologie, ne permettaient guère de rapprocher avec quelque sûreté, au point de vue de leur identité, les couches ou faisceaux tant soit peu distants et présentant entre eux les moindres différences apparentes ; on ne pouvait pas davantage interpréter les accidents qui les affectaient. Ces premiers relevés constituaient un assemblage de plans de mines à coup sûr précieux, plus que de véritables topographies souterraines.
Ce ne fut qu'avec, ou plutôt après les Cartes géologiques détaillées que l'on put aborder avec succès ce que l'on a appelé d'abord les études de gîtes minéraux et aujourd'hui plus généralement les topographies souterraines; l'oeuvre accomplie, depuis la création du Service qui en fut chargé, montre qu'il doit rationnellement comprendre l'une et l'autre de ces catégories.
Les études de gîtes minéraux embrassent une région relativement étendue dont les exploitations sont distantes, sans lien immédiat entre elles; la géologie générale de la région importe ici plus que l'allure détaillée d'un gîte pris en lui-même.
Les topographies ont pour but de représenter à grande échelle, dans leurs parties connues, par les travaux actuels ou passés, l'allure des amas, filons ou couches d'un district, cette représentation devant permettre de déterminer à l'avance l'allure et les ressources dans les régions inconnues, de façon à asseoir des projets et des évaluations avec une sûreté en rapport avec la perfection de la topographie. Un pareil travail exige un relevé géologique général, le rapprochement et la coordination méthodique de tous les plans de travaux du district; de l'indication des puits ou galeries que ces plans se bornent à donner, il faut tirer la représentation par courbes de niveau ou coupes verticales de chaque couche ou filon et celle de ses accidents, cassures avec rejet, disparitions par transformation; il faut que l'on puisse établir l'allure d'une même couche au delà d'un de ces accidents, en résolvant ce problème toujours si difficile de l'identification de couches qui ne sont pas en communication directe et continue par galeries. Pour peu que le district ait quelque étendue, sa topographie exige une série de plans formant atlas.
Telles étaient les règles que le Conseil général des Mines indiquait en 1845 ( voir les instructions du Conseil général des Mines pour les topographies souterraines en date du 13 juin 1845 dans le Recueil des lois et décrets de M. Lamé Fleury, T. II, p. 160-161 ) presque au début de la période où commencèrent ces travaux. D'après ces idées furent successivement étudiés et publiés par l'Administration des Mines : le bassin houiller de Graissessac par Garella en 1838, celui de Brassac par Baudin en 1843; les bassins houillers de Saône-et-Loire par Mânes en 1844; le bassin houiller de Decize par Boulanger en 1845-1848; celui de Valenciennes par Dormoy en 1867; les bassins houillers de la Creuse et celui de la Loire par Gruner en 1868 et 1882 ( la topographie du bassin houiller de la Loire tire une importance spéciale tant du bassin que de l'auteur; les études géologiques de Gruner dans la Loire et la Creuse ont eu, d'autre part, une portée scientifique exceptionnelle à raison de ses distinctions entre les divers étages inférieurs au terrain houiller proprement dit et les roches éruptives qui ont accompagné ou suivi ces formations ); celui de Ronchamp par Trautmann en 1885.
Les données que peuvent apporter la continuation des travaux et le progrès des Sciences conduisent à reviser de pareilles topographies pour peu qu'elles soient anciennes. Ainsi a été publiée à nouveau, en 1879, la topographie du bassin houiller de Brassac, suivie de celle du bassin de Langeac par M. Amiot (promotion de 1866 de Polytechnique), et en 1886 celle du bassin houiller du Nord par M. Olry (promotion de 1866 de Polytechnique); cette dernière étude ne comprend que la partie correspondant au département du Nord dans la vaste publication qui s'étendra surtout le bassin houiller du Nord de la France; M. l'Ingénieur des Mines Soubeiran (promotion de 1875 de Polytechnique) vient de faire paraître la partie la plus orientale de la seconde section qui embrassera le Pas-de-Calais.
Dans ces dernières années, les topographies de bassins houillers ont pu recevoir un complément aussi fécond que précieux par les progrès de la paléontologie végétale dont nous avons déjà montré l'utilité pratique dans les recherches de couches. Aussi les topographies récentes doivent-elles s'enrichir par la description de la flore comme l'a fait M. l'Ingénieur en Chef des Mines Zeiller pour la topographie de notre grand bassin du Nord avec sa Flore fossile du bassin houiller de Valenciennes.
Le service des topographies souterraines, qui est rattaché à celui de la Carte géologique détaillée, a récemment donné des publications considérables qui rentrent plus dans la catégorie des études de gîtes minéraux que dans celles des topographies souterraines, comme le Bassin houiller et permien d'Autun et d'Epinac, par MM. Delafond et Michel-Lévy, Ingénieurs en chef des Mines, avec Flore fossile par MM. R. Zeiller et B. Renault; le Bassin houiller et permien de firive par M. G. Mouret, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et M. R. Zeiller, Ingénieur en chef des Mines ; enfin, Les minières et le bassin tertiaire de la Bresse par M. A. Delafond, Ingénieur en chef des Mines, et M. Depéret, professeur à la Faculté des Sciences de Lyon.
Une seconde ordonnance du 30 juin 1824 approuva le tracé et les plans dressés par Beaunier, le chemin fut construit sous sa direction pendant les années suivantes et livré au public en août 1827. Bien des difficultés avaient surgi dans ce premier essai, ne fût-ce que la hausse des rails en fonte, qui devaient être employés, et dont le prix avait passé de 35 à 50 fr les 100 kilos.
L'entreprise ne put être complétée comme Beaunier l'avait entrevue; la continuation du chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon fut adjugée à une autre Compagnie en 1826; une troisième Compagnie, en 1828, obtint le prolongement de la ligne du côté opposé, d'Andrézieux à Roanne, à l'étude duquel Beaunier avait consacré beaucoup de temps. Néanmoins, l'entreprise originaire prospéra; elle résista parfaitement aux secousses qui, peu d'années après, anéantirent tant d'affaires dont les éléments étaient à coup sûr plus brillants.
Ce chemin de fer de Saint-Etienne à Lyon, que Beaunier n'avait pu obtenir et sur lequel les Seguin devaient réaliser, en 1832, avec la traction à vapeur et le service des voyageurs, une double innovation si capitale pour la France, un autre Ingénieur des Mines dut venir pour le sauver d'une ruine imminente. Sa situation était, en effet, particulièrement critique. Les souterrains, ébranlés parles travaux des mines voisines, menaçaient ruine, les rails étaient usés, le matériel de transport insuffisant, les actionnaires ne recevaient aucun dividende. Coste, qui avait marqué sa valeur exceptionnelle au Creusot en 1833, ainsi que nous l'avons rapporté, fut appelé comme directeur pour remettre les choses en l'état. Après les cinq années pendant lesquelles il resta au service de la Compagnie, les souterrains étaient consolidés; sans interrompre un seul jour le service des voyageurs, il avait fait reconstruire en grande partie les tunnels à une voie de Couzon et de Terrenoire ; il avait mis à deux voies celui de la Mulatière; les rails avaient été renouvelés sur toute la ligne et de sages mesures avaient permis de développer le service des voyageurs, en obtenant une meilleure utilisation du matériel. De 1835 à 1840, le nombre des voyageurs s'éleva de 182000 à 420000 et le nombre de tonnes de houille transportées de 350000 à 580000.
En même temps qu'il reconstituait l'ancienne ligne, Coste s'occupait d'accroître sa vitalité en l'étendant. La navigation sur le Rhône étant sujette à de fréquentes interruptions entre Lyon et Vienne, par suite des brouillards, il étudia un embranchement de Givors à Vienne. De concert avec quelques capitalistes de ses amis, il proposa à la Compagnie de s'en charger, à ses risques et périls, sous la seule condition qu'elle garantirait pendant un certain nombre d'années un minimum d'intérêt de 4 pour 100. La Compagnie, mal inspirée, repoussa ce projet. Coste, épuisé par son travail de direction et par les fatigues exceptionnelles d'une défense de la ligne contre les inondations du Rhône, mourait en 1840, avant que la Compagnie eût eu le temps de revenir sur sa détermination. Il disparaissait à 35 ans, après une vie pleine d'oeuvres fécondes, emportant prématurément une force dont la valeur eût été plus particulièrement appréciée dans la grande ère des chemins de fer qui allait s'ouvrir.
Ces chemins locaux de la Loire, du Gard et de Saône-et-Loire n'avaient, en effet, constitué qu'un essai; ils avaient été le prélude de notre réseau de voies ferrées; celui-ci allait être amorcé en 1835 par la construction des deux chemins de fer de Paris à Saint-Germain et de Paris à Versailles (R.D.) et consacré définitivement par la loi du 11 juin 1842.
Les Ingénieurs des Mines ont concouru dès ce moment à la grande entreprise des chemins de fer français, soit par leur intervention directe au service des Compagnies concessionnaires, soit par leur concours dans le contrôle exercé par l'État sur ces Compagnies, soit enfin par l'enseignement donné sur ces matières. Les chemins de fer, avec le système des concessions qui a prévalu en France, y constituent des entreprises d'un caractère si spécial qu'il est peut-être plus malaisé ici de séparer les occupations des Ingénieurs dans le contrôle de l'État de celles remplies au service des Compagnies. La distinction était encore plus difficile au début, lorsque le contrôle n'avait pas pris, avec le développement des réseaux et le changement des idées, son extension actuelle; le passage n'a jamais laissé d'être fréquent, surtout jadis, de l'une à l'autre situation, sans que l'indépendance et la sincérité de la surveillance y aient jamais perdu; son autorité pouvait au contraire en être accrue.
Les Ingénieurs des Mines n'ont été qu'assez rarement mêlés à l'établissement de l'infrastructure. Ces travaux ne rentrent pas dans leur sphère normale d'activité. On doit cependant citer l'intervention de Lamé et Clapeyron, revenant à peine de leur longue mission en Russie, dans la construction, de 1834 à 1839, pour le premier du chemin de fer de Paris à Saint-Germain et pour le second de celui de Versailles R. D. Lamé ne fit pour ainsi dire que passer dans ces occupations; il les délaissa promptement pour se livrer exclusivement à la haute culture des Sciences qui devait immortaliser son nom. Clapeyron, au contraire, ne devait pas les abandonner; en dehors des ouvrages d'art de la ligne de Versailles, il devait concourir à la construction de nos lignes du Nord ; il s'occupa plus spécialement toutefois de matériel roulant. En 1846, lorsque Sauvage quitta le service ordinaire pour commencer sa brillante carrière dans les chemins de fer, ce fut tout d'abord pour construire une section de la ligne de Metz à Sarrebrûck.
C'est de l'exploitation proprement dite et du service du matériel et de la traction que les Ingénieurs des Mines devaient plus particulièrement s'occuper, sans parler des directions de Compagnies confiées à plusieurs d'entre eux; à ces titres ont doit rappeler les Sauvage, Audibert, Piérard, Huyot, Matrot, d'une part, les Clapeyron, Le Chatelier, Phillips, Henry, d'autre part, pour nous arrêter à ceux qui sont aujourd'hui à la tête de nos plus grands réseaux ou de leurs services et dont tout le monde connaît les noms.
Après son court passage dans la construction des chemins de fer, Sauvage avait été, en 1847, Ingénieur en chef du matériel de la Compagnie de Paris à Lyon et, en 1852, Ingénieur en chef du matériel et de la traction de la Compagnie de l'Est dont il prenait la direction en 1861 pour la garder jusqu'à sa mort en 1872. Dans l'intervalle, en 1848, il avait eu à remplir deux missions spéciales, l'une au Creusot dont nous avons eu occasion déjà de parler, l'autre comme séquestre des chemins de fer d'Orléans et du Centre. De graves difficultés s'étaient effectivement élevées entre les diverses catégories d'agents de la Compagnie d'Orléans et l'Administration de cette Compagnie; les mécaniciens étaient arrivés à interrompre leur service. Les agents réclamaient d'importantes augmentations de salaire et le droit de choisir leurs chefs. Des concessions imprudentes faites par la direction de la Compagnie à certaines classes d'agents avaient augmenté le désordre. Quatre mois après l'installation du séquestre, l'ordre était entièrement rétabli et tous les services solidement réorganisés. Comme récompense de tant d'habileté et de succès, Sauvage fut nommé Ingénieur en chef des Mines à 34 ans, bien qu'il ne fût Ingénieur ordinaire de première classe que depuis quelques mois.
La partie capitale de l'oeuvre de Sauvage dans les chemins de fer est sa direction de la Compagnie de l'Est. L'étudier en détail serait reprendre presque toute l'histoire de cette Compagnie, pendant la période de son développement le plus rapide. La prospérité de la Société, qu'il avait prise dans une situation assez précaire, ne fit que croître jusqu'au moment où les revers de 1870-1871 vinrent la frapper plus que toute autre. L'influence de la Compagnie s'étendait directement hors de France ; par son exploitation des lignes belges du Luxembourg, elle devenait maîtresse d'une grande partie du trafic d'Anvers vers la Suisse et l'Italie, trafic qu'elle attirait sur la rive gauche du Rhin; cette pacifique extension de notre pays devait être brusquement coupée par la guerre.
Un des points les plus remarquables de l'administration de Sauvage fut son habileté à conduire les hommes et à se faire aimer d'eux. Il était très juste, et la justice est la qualité la plus importante d'un chef. C'est un art bien difficile que de régler l'avancement sur le véritable mérite, tout en respectant, dans une mesure convenable, les droits de l'ancienneté; mais les agents ressentent vivement les injustices qu'il est si facile de commettre en pareil cas, et leur reconnaissance est acquise à ceux qui, comme Sauvage, savent éviter ces fautes. La justice commande aussi parfois une grande sévérité envers les auteurs des fautes graves et bien prouvées; Sauvage, rigoureux quand il le fallait, savait être indulgent pour les infractions légères ou justifiées par quelque motif plausible.
Pour savoir avec quel succès Sauvage a su remplir cette tâche si délicate, conduire un nombreux personnel, il suffit de prononcer son nom devant un des anciens agents de la Compagnie de l'Est : avec quelle émotion, avec quelle reconnaissance, tous parlent de leur ancien directeur! Les souvenirs laissés par Audibert sur le réseau Paris-Lyon-Méditerranée peuvent être comparés à ceux laissés par Sauvage dans l'Est. C'est en 1847 qu'Audibert, après être allé en Angleterre faire son éducation professionnelle, débuta dans sa carrière de chemins de fer en étant chargé par Talabot d'organiser l'exploitation de la ligne de Marseille à Avignon, c'est-à-dire de la créer de toutes pièces. Habitués au fonctionnement des services de nos voies ferrées, nous avons quelque peine à nous rendre compte du mérite et des efforts de ceux qui ont dû en établir les innombrables détails. La tâche était particulièrement rude dans le Midi, avec le laissez-aller inévitable qu'affectent de tradition le personnel et le public. Rentré au service de la Compagnie après la levée du séquestre qu'elle dut subir de 1848 à 1851, Audibert reprit la direction de l'exploitation d'un réseau qui s'étendait alors de Lyon à Marseille avec les embranchements du Gard et de l'Hérault. En 1861, à la suite de la fusion qui créait définitivement le réseau Paris-Lyon-Méditerranée, la tâche d'Audibert grandit encore; il sut l'accomplir avec le même bonheur. Il réalisa l'uniformité indispensable à l'exploitation de cet ensemble, constitué par la réunion de dix sociétés différentes, en laissant pour les détails ou pour certains usages de la région une diversité qui assura la transition. Aux difficultés d'une tâche exceptionnellement ardue, que des circonstances spéciales rendirent parfois encore plus difficiles, comme lors des transports à effectuer pour la guerre de 1854 nonobstant la lacune de Valence à Lyon, ou pendant le désarroi des événements de 1870-1871, Audibert sut opposer, pour les vaincre, les plus hautes qualités de direction, une patience et une souplesse incomparables.
Parmi ceux qui marquèrent plus spécialement dans les services du matériel et de la traction, il faut rappeler tout d'abord Clapeyron, qui commença par établir pour la ligne de Versailles R. D., dont il avait tracé les ouvrages d'art, un type spécial de locomotive, résolvant ainsi un problème que Stéphenson regardait comme trop difficile à raison de la continuité des rampes. Il n'y a que peu d'années que la Compagnie du Nord a détruit les dernières locomotives du type Clapeyron devenues trop faibles pour les trains actuels, mais toujours simples et commodes.
Les premiers travaux de Louis Le Chatelier en matière de chemins de fer ont été ses études sur les voies ferrées d'Allemagne, publiées en 1845; il les compléta par ses Mémoires sur les chemins de fer anglais parus en 1851 ; il avait rapporté d'Angleterre la description des éclisses et il contribua à en répandre l'usage en France. Mais il s'est principalement occupé du perfectionnement des locomotives et du service de la traction. Le premier il aborda le difficile problème des perturbations du mouvement des locomotives et il détermina les contrepoids nécessaires pour les annihiler ou les réduire. Ses travaux sur cette question capitale pour la sécurité de la marche à grande vitesse sont résumés dans son Etude sur la stabilité des machines locomotives en mouvement, publiée en 1849. On lui doit aussi l'idée de l'injection de vapeur et d'eau dans l'échappement, qui a permis d'appliquer la contre-vapeur pour la descente des pentes. En 1851, il avait publié avec la collaboration de Flachat, Pétiet et Polonceau le Guide du mécanicien constructeur et conducteur de locomotives, manuel élémentaire, de tous points excellent, quoique mis à la portée de ceux pour lesquels il était écrit.
Le mérite de cet Ouvrage ne devait être dépassé que par un petit livre de même nature, de même portée et de même destination, mis au courant de la situation actuelle, ce qui n'était pas peu de chose, publié, en 1894, sous le titre de La machine locomotive, par un Ingénieur qui continue, dans le Corps des Mines et dans le Service de la traction des chemins de fer, les hautes traditions d'un père dont nous parlions naguère.
Henry, trop vite emporté par une implacable maladie, n'a pas eu le temps de remplir sa destinée ni de donner sa mesure dans le Service du matériel et de la traction du réseau Paris-Lyon-Méditerranée où il était entré en 1878 et à la tête duquel il mourait en 1892. Il a pu laisser son nom attaché à une modification importante du frein Westinghouse qu'il y introduisit dès son arrivée à la Compagnie. Par l'addition d'une seconde conduite, il le rendit modérable, de façon à pouvoir l'employer à la descente des longues pentes que l'on rencontre si fréquemment sur le réseau Paris-Lyon-Méditerranée ; en même temps, en cas de fonctionnement intempestif du frein automatique, l'addition d'Henry permet le desserrage et l'annulation du frein automatique et par conséquent la mise en marche sans arrêt, le mécanicien disposant encore d'un frein continu non automatique. Si cette solution peut paraître un peu compliquée, elle est cependant venue à son heure pour le réseau : le frein Smith-Hardy automatique et le frein Wenger, qui jouissent tous deux de la modérabilité, n'étaient pas encore appliqués.
Après avoir été attaché de 1849 à 1852 au contrôle des chemins de fer de l'Est, Phillips avait été chargé en 1852 des fonctions d'Ingénieur du matériel des chemins de fer de l'Ouest, puis d'Ingénieur du matériel et de la voie du Grand-Central. C'est en 1860 qu'il publia son important Mémoire sur les ressorts en acier employés dans le matériel des chemins de fer ; ce Mémoire donnait la théorie mathématique des ressorts, les formes les plus convenables à adopter et les règles pour les calculer, l'exposé théorique étant suivi d'expériences sur l'élasticité de l'acier. Pour rendre plus facile l'emploi de ses formules théoriques dans les bureaux d'études, Phillips a publié un manuel pratique, rédigé sous sa direction par M. Bournique, chef du matériel roulant des chemins de fer de l'Ouest. Ce manuel est encore aujourd'hui d'un usage fréquent. Les classiques travaux de Phillips sur les ressorts de chemins de fer ainsi que ses non moins importantes recherches sur la coulisse Stephenson ont été déjà exposés, dans des termes qui nous dispensent de nous y arrêter plus longtemps ici.
Avec Phillips, comme déjà du reste avec les publications de Le Chatelier, nous touchons à l'enseignement relatif aux chemins de fer encore plus qu'à leur exploitation directe. Dans cet ordre de choses, un nom s'impose d'une façon plus spéciale, celui de Couche, qui, de 1846 à 1879, a professé trente-trois ans le cours de chemins de fer à l'Ecole des Mines de Paris. Dans le magistral Traité par lui publié sur la voie, le matériel roulant et l'exploitation technique des chemins de fer, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer de l'habileté de l'auteur à soumettre au contrôle de la théorie les objets qui semblent le moins s'y prêter, du sens pratique avec lequel il analyse les conditions multiples de chaque problème et fait ressortir leur importance relative, de l'indépendance, de la sûreté et de la pénétration de sa critique, de l'abondance d'informations sur ce qui a été non seulement écrit, mais fait tant en France qu'à l'étranger. Sans doute, suivant la loi fatidique de toutes les contingences, l'ouvrage a vieilli, les types décrits ont fait place à d'autres, mais on ira toujours chercher dans ce maître livre l'exposé lumineux des principes et leur discussion à la fois savante et pratique.
Dans ces travaux didactiques et spéculatifs, nous ne devons pas oublier les recherches exécutées, de 1856 à 1861, par M. Bochet (promotion de 1887 de Polytechnique), alors qu'il était attaché au service du contrôle; elles mirent en évidence la diminution du coefficient de frottement avec l'accroissement de la vitesse; c'était une importante modification aux lois de Coulomb; les observations de M. Bochet devaient être reprises par d'autres plus tard à un moment où leur application, par suite de l'accroissement des vitesses, devint plus actuelle.
Si les services rendus dans l'exploitation directe des chemins de fer ou dans l'enseignement qui s'y rapporte ont eu plus d'éclat, on ne doit cependant pas oublier les avantages que le public a retirés de la surveillance administrative exercée par les Ingénieurs de l'État. C'est en 1840 que paraît remonter la première trace de l'organisation d'un contrôle technique par la création faite le 30 mars, au Ministère des Travaux Publics, d'un Service spécial relatif à l'étude de la voie de fer et du matériel mécanique des chemins de fer qui devint, un peu plus tard, le Service central de la partie métallurgique de l'exploitation des chemins de fer. Ce service fut confié à Bineau qui n'était encore qu'Ingénieur ordinaire, mais qui allait presque immédiatement passer Ingénieur en chef. En 1843, Louis Le Chatelier lui était adjoint et il restait dans ces fonctions jusqu'en 1846 pour entrer de là au service du Chemin de fer du Nord. L'ensemble du service du contrôle technique ne fut organisé qu'après l'ordonnance du 15 novembre 1846 et en conformité des dispositions de ce règlement.
Cette ordonnance est restée justement célèbre. Au moment où l'exploitation des chemins de fer commençait, où leur outillage était rudimentaire, leurs procédés primitifs, cet acte a réglé tout ce qui touche à la police technique des voies ferrées sur des principes et en des termes qui suffisent encore à la situation complexe et perfectionnée d'aujourd'hui. L'ordonnance a été préparée par une Commission constituée au lendemain du terrible accident de la rive gauche du 8 mai 1842; elle avait pour président Cordier, l'Inspecteur général des Mines, et pour secrétaire rapporteur l'Ingénieur des mines de Boureuille, alors chef de la Division des chemins de fer, qui préludait, dans ces fonctions, à cette carrière administrative dont l'importance et la durée sont restées sans exemple. Le rapport de de Boureuille fut déposé en 1845; on y trouve un commentaire anticipé de l'ordonnance dont il peut donc plus que tout autre revendiquer le mérite et l'honneur.
Depuis la Commission des accidents de 1842, bien d'autres commissions ont été constituées au Ministère des Travaux publics pour l'étude des questions techniques soulevées par l'exploitation des chemins de fer. Dans toutes, les membres du Corps des Mines ont pris la place qui leur revenait tant pour leur compétence effective que pour le rôle administratif qui leur avait été dévolu dans le contrôle des chemins de fer par l'ordonnance de 1846. De ces Commissions, qui ont eu pour objet et pour résultat d'accroître la sécurité de nos voies ferrées, nous n'en retiendrons spécialement qu'une, celle qui, en 1880, eut pour président et pour principal rapporteur l'Inspecteur général Guillebot de Nerville. De ses propositions sont, en effet, sorties toutes les mesures qui, dans ces dernières années, ont modifié si profondément, au point de vue de leur sécurité, l'exploitation de nos voies ferrées, notamment le block-system, les enclenchements et les freins continus.
Il semble que les fonctions normales du service de la surveillance des chemins de fer n'exigent que le soin et l'attention de quiconque est chargé de veiller à l'exécution d'un règlement technique qu'il doit comprendre. Des Ingénieurs du contrôle compétents peuvent rendre à la chose publique des services peut-être encore plus sérieux par leur action personnelle sur les directeurs et ingénieurs des Compagnies. Absorbés par leur écrasante tâche quotidienne, ceux-ci ne peuvent pas toujours avoir le temps d'étudier suffisamment certains côtés et certains détails d'une question sur lesquels un Ingénieur du contrôle, qui aura pu s'y consacrer plus spécialement, sera en mesure de donner d'utiles avis. Une pareille action ne peut réussir que pour autant qu'elle s'exerce non seulement avec compétence, mais encore avec discrétion; aussi ne laisse-t-elle guère de traces si ce n'est dans le souvenir de ceux auxquels elle a servi.
Ce n'est pas seulement en France, mais encore à l'étranger, que les Ingénieurs des Mines ont concouru à la création et au développement des voies ferrées.
Dans leur longue mission au service du Gouvernement russe, de 1821 à 1831, Lamé et Clapeyron avaient déjà commencé à s'occuper de la construction des chemins de fer qui pouvaient être nécessaires à la Russie.
Lorsqu'en 1856 un plan de construction fut conçu dans ce pays par une réunion des principaux financiers de France, d'Angleterre, de Hollande et de Russie, on fit appel à Sauvage, pour concourir à cette grande oeuvre. Il fut chargé d'étudier et de discuter les conditions de la concession d'un réseau de 4000 kilomètres traçant deux immenses diagonales à travers la Russie d'Europe, l'une de la mer Noire à la mer Baltique, l'autre de la Vistule au Volga et à Saint-Pétersbourg. A la suite d'un voyage, qui ne dura que deux mois, toutes les bases de l'opération étaient arrêtées. Des difficultés créées par des circonstances financières et par les dispositions contraires d'une partie de l'Administration russe ont amené la compagnie à n'exécuter que la moitié de son réseau, mais on peut affirmer que rien ne serait venu démentir la juste confiance que Sauvage avait contribué à inspirer aux fondateurs dans le succès de cette oeuvre, s'il eût été donné à la Compagnie de la compléter suivant les indications du Gouvernement russe.
Le Chatelier, en qualité de Conseil technique de la Société du Crédit mobilier, eut également à s'occuper, de 1856 à 1868, des chemins de fer de la Russie, du Nord de l'Espagne et de l'État autrichien. Il a été, en quelque sorte, le directeur des chemins de fer du Nord de l'Espagne. La création et l'exploitation des chemins de fer espagnols devaient occuper plusieurs autres Ingénieurs des Mines et notamment Chatelus.
Bien que l'Administration, ses Ingénieurs et ses Conseils n'aient, en principe, à s'occuper, en cette matière, que de sécurité, les études plus spécialement entreprises dans ce but ne laissent pas d'avoir souvent leur utilité au point de vue tant de l'économie dans l'emploi de la vapeur que des règles pour l'établissement technique des machines. Lorsque Watt, à la fin du siècle dernier, avait établi sa machine à vapeur de rotation, le véritable engin de l'industrie moderne, il s'était préoccupé des conditions de mouvement mécanique que présentait sa construction plus que des problèmes thermiques de physique soulevés par son fonctionnement. Les dangereuses explosions qui suivirent en France le développement des chaudières à vapeur avaient amené l'Administration à demander à l'Académie des Sciences de l'éclairer sur ce sujet [ C'est en 1705 que Neweomen a construit en Angleterre ses premières machines pour élever les eaux, et en 1769 que Watt a établi sa machine à double effet à rotation pour tous usages industriels. La première machine à vapeur établie en France pour l'épuisement des mines remonte à 1733 : ce n'est qu'au début du siècle qu'on introduisit les machines à vapeur à rotation. De 1784 à 1815 on admet qu'il s'est établi de une à deux machines par an en France; de 1818 à 1830 le nombre d'installations annuelles va en croissant de seize à soixante-dix. Le grand développement des machines à vapeur, en France, part, comme pour tant d'autres industries et avec elles, de 1832 et plutôt encore de 1833. ]. Arago et Dulong, secondés par Fortin, avaient entrepris à cet effet, en 1821, de premières expériences en se servant, pour mesurer les pressions, d'un manomètre à mercure, à air libre, installé dans la Tour de Clovis du Lycée Henri IV. Les appareils avaient été enlevés aussitôt après la fin des expériences qui avaient permis de répondre aux demandes du Gouvernement.
Ces recherches permirent d'établir les premiers règlements promulgués en France sur les appareils à vapeur. Ultérieurement, en 1832, la Commission centrale des machines à vapeur fit exécuter par un de ses membres, l'Ingénieur des Mines Trémery (de la première promotion de 1794 de l'Ecole des Mines), des expériences, sur l'écoulement de la vapeur, dont l'autorité ne laisse pas de pouvoir être sérieusement discutée, au point de vue notamment de l'application qu'on en voulait faire. Elles ont, en tout cas, servi de base à la classique formule sur le diamètre des soupapes de sûreté, qui a été officiellement appliquée jusqu'en 1865 et a été encore pratiquée bien des années après avoir disparu des règlements.
D'autres travaux, d'une tout autre envergure et de tout autre conséquence, devaient être exécutés par un Ingénieur des Mines dont ils devaient contribuer à immortaliser le nom. Ce fut, en effet, à la demande de la Commission centrale des appareils à vapeur, dont il était membre, que Victor Regnault entreprit, en 1840, ses recherches sur la vapeur d'eau, qui s'étendirent, on le sait, en raison même de la méthode adoptée pour leur exécution, bien au delà du programme primitif. L'Administration lui avait demandé de déterminer les principales Lois et les données numériques qui entrent dans le calcul des machines à vapeur. Regnault répondit à cette question par l'ensemble de ses études sur la vapeur d'eau qu'il dut faire précéder de recherches sur la chaleur et les gaz, destinées à contrôler à l'avance les appareils et les méthodes qu'il devait employer dans la partie spéciale de son sujet, le tout constituant ce volume classique publié en 1847 et qui forme le Tome XXI (2e série) des Mémoires de l'Académie des Sciences.
De la vapeur d'eau, Regnault étendit ses investigations aux autres vapeurs susceptibles d'être utilisées dans des machines motrices, et de là la série des travaux constituant le second Volume (t. XXVI) des Mémoires consacré à ces recherches et qui ne fut publié qu'en 1862. A vrai dire, tout était prêt depuis 1856; le retard dans la publication résulta du terrible accident dont Regnault fut atteint dans son laboratoire à cette date.
Parmi les jeunes savants qui avaient donné leur concours au grand physicien dans cette mémorable suite d'expériences, Regnault a tenu à donner une mention spéciale à Descos, Ingénieur ordinaire des Mines, que l'Administration avait mis dans ce but à sa disposition de 1851 à 1855.
Nous trouvons là encore un remarquable exemple des heureux résultats du système admis pour la constitution du Corps des Mines et l'organisation des services placés dans ses attributions : des fonctions qui, au premier abord, paraissent les plus simples ; une surveillance administrative, dont on ne voit au premier aperçu que le côté étroit, s'élèvent tout à coup, au plus grand profit de la chose publique, à une hauteur et à un développement que l'on ne pouvait pressentir et qui n'auraient pu être atteints si l'Administration n'avait pu compter sur le concours de spécialités et d'aptitudes qui ne lui sont reliées que par les liens constitutifs de corps comme ceux se recrutant à l'École Polytechnique dans les conditions des Corps des Mines et des Ponts et Chaussées. Pour avoir été moins éclatants que les services de Regnault, mais aussi plus directs, combien d'autres ne pourrait-on pas mentionner qu'ont rendus, en ces matières, par l'intermédiaire de la Commission centrale des machines à vapeur, plusieurs autres membres du Corps des Mines, comme Combes, qui a présidé cette Commission après en avoir été longtemps le secrétaire, et Callon, qui, après en avoir été également le secrétaire de 1852 à 1860, en a été, de 1862 à 1872, le rapporteur, c'est-à-dire celui entre les mains de qui se condense le travail effectif.
A Combes, comme président, et à Callon, comme rapporteur, revient notamment le mérite d'avoir substitué à la réglementation étroite et formaliste de 1843 cette réglementation de 1865 qui étonna, quand elle parut, par ses principes élevés de liberté industrielle. L'exemple n'est pas commun d'administrateurs qui, pour assurer la sécurité, font disparaître tout un système d'autorisation préventive et tout un amas de prescriptions reputées tutélaires, qui descendent dans le plus petit détail, pour donner plus de liberté à l'industriel sous l'observation de quelques règles générales fort simples. On lui laissa dans l'espèce une initiative à peu près entière, en mettant simplement en jeu sa responsabilité par la voie d'un système répressif qui remplaça un système préventif aussi énervant que fatal au progrès. 11 fallait des esprits aussi ouverts et d'une aussi haute compétence pour faire adopter un tel régime. Encore que plus tard on ait cru devoir reprendre quelques-unes des libertés primitivement accordées, le régime créé par Combes et Callon n'en a pas moins persisté jusqu'ici; et l'expérience tend à montrer la justesse de leurs vues. Sous le régime de liberté par eux inauguré, l'emploi des machines à vapeur a pu prendre le développement nécessité par l'industrie moderne ; si les accidents qui en résultent ont plus spécialemenl le don d'émouvoir l'opinion publique, il faut bien reconnaître, d'après les enseignements de statistiques authentiques, combien est faible, en réalité, pour ceux qui restent de sang-froid, le risque résultant de l'emploi ou de l'approche de ces appareils réputés si dangereux ; et ce risque n'a cessé d'ailleurs de décroître avec le temps. Par dix mille appareils on relève, en effet, dans ce dernier quart de siècle, les résultats suivants :
PÉRIODE DE | NOMBRE ANNUEL MOYEN | |
d'accidents | de tués. | |
1875-1879 | 3.9 | 4.3 |
1880-1884 | 3.5 | 3.7 |
1885-1889 | 3.1 | 2.7 |
1890-1894 | 3.0 | 1.8 |
Bien des causes ont pu contribuer à cette décroissance si remarquable ; l'intervention du Corps des Mines n'en a pas été une des moins importantes.
Cette action de surveillance et de réglementation est la seule, en matière d'appareils à vapeur, qui appartienne normalement au Corps. Au delà et en dehors vient l'action personnelle de ses membres, s'exerçant ici comme dans toutes les autres branches d'activité industrielle et scientifique sur lesquelles elle a été appelée à se porter. Ce que les membres du Corps ont fait spécialement pour le progrès des machines à vapeur ressort de l'enseignement et des publications de ceux que nous avons déjà plusieurs fois cités, les Combes, Callon, Phillips.
D'autres se sont plus spécialement attachés aux machines hydrauliques. Burdin a été, par ses études théoriques et surtout ses essais, le promoteur et le premier créateur des turbines. Jusqu'à lui avec Euler, Segner et autres, les notions se dégageaient, mais sans qu'on entrevît encore la réalisation industrielle. Par ses Mémoires à la Société d'Encouragement et à l'Académie des Sciences (1824), Burdin avait repris l'étude de la question à ce dernier point de vue. En 1825, il construisait à Pontgibaud (Puy-de-Dôme) une première turbine avec un rendement de 67 pour 100; une autre, montée à Ardes, en 1828, eut un rendement de 65 à 75 pour 100. Ce n'était, il est vrai, que de petits appareils d'essai, de quelques chevaux. Il appartenait à Fourneyron, qui avait été l'élève de Burdin à l'Ecole des Mines de Saint-Étienne, de donner, très peu d'années après, la solution industrielle définitive du problème, grâce notamment à l'introduction des vannes modératrices auxquelles Burdin n'avait pas songé.
Nous n'avons pas à revenir ici sur l'autre solution des machines hydrauliques, les machines à colonne d'eau, dont Juncker fît, à peu près vers cette époque, une si belle application à Huelgoat. Nous en avons suffisamment parlé précédemment.
Nous ne sortons pas de l'Hydraulique et de ses applications en passant aux travaux de recherche et de distribution d'eau qui furent exécutés, dans le premier tiers du siècle surtout, par des Ingénieurs des Mines avec un succès et un éclat remarqués.
Dès 1822, F. Garnier, alors Ingénieur des Mines à Arras, avait publié un traité De l'art du fontainier sondeur et des puits artésiens (1 vol. in-4o avec pl.) qui est resté longtemps classique et avait reçu en 1821 de la Société d'Encouragement un prix de 3000 francs.
Parmi toutes les oeuvres utiles dont Gueymard a doté son cher Dauphiné on doit citer les distributions d'eaux qu'à partir de 1828 il exécuta à Grenoble et dans diverses villes du Dauphiné, ainsi qu'à Nîmes et à Chambéry.
De tous les travaux de ce genre il en est un qui les dépasse en intérêt et en importance et dont la réputation subsiste encore : c'est le captage et la distribution d'eaux effectués de 1817 à 1828 à Toulouse par d'Aubuisson de Voisins.
Il s'agissait de doter Toulouse, qui était alors une ville de 50 000 âmes, de 200 pouces d'eau pure (soit 43 lit par seconde) à raison de 80 lit par habitant. L'eau devait être prise à la Garonne ; mais, pour qu'elle fût clarifiée, elle était collectée par filtrage dans des galeries formant drains, établies dans les alluvions de la rivière. Deux roues hydrauliques, actionnées par une dérivation de la rivière, commandaient deux équipes de quatre pompes chacune qui élevaient l'eau à 20 m pour la répartir dans toute la ville par 16000 m de conduite alimentant 111 bornes-fontaines et 5 fontaines monumentales. Tout pour l'époque était remarquable dans ce projet; sur tous les points il constituait des innovations dans les idées comme dans l'exécution, tant pour la conception et la réalisation du captage par filtres latéraux à la rivière, que pour l'établissement des roues de côté à aubes planes qui furent adoptées, à la suite, il est vrai, de conseils donnés par l'illustre de Prony. Pour réaliser cette vaste distribution, d'Aubuisson dut commencer par établir les formules dont il avait besoin et qui n'existaient pas encore. Pendant les dix ans nécessaires à la préparation et à l'exécution du travail, d'Aubuisson eut à lutter contre toutes sortes de difficultés techniques et administratives. Il eut le rare mérite de réussir, sans dépasser en quelque sorte le devis qu'il avait présenté : il avait annoncé une dépense de 1000 000 fr, elle fut de 1083 648 fr. Quant à lui, il n'en retira tout d'abord qu'une preuve d'ingratitude de la part de ses concitoyens. Il avait dirigé le travail gratuitement à titre de conseiller municipal; deux ans après il n'était pas réélu à ces fonctions.
Si nous avons cru devoir écarter de notre revue tous les travaux de pure mécanique mathématique, les recherches de Phillips sur la construction des chronomètres et des montres ont eu, directement pour cette industrie et indirectement pour toutes celles qui ont besoin de la mesure du temps, une importance trop considérable pour ne pas être mentionnées ici comme une des plus belles études de Mécanique appliquée. On y retrouve ce mélange heureux et fécond qui caractérisait déjà le travail du même Ingénieur sur les ressorts de chemins de fer. Les théories les plus hautes et les plus savantes sur l'élasticité conduisirent à l'application la plus directe pour la détermination rigoureuse des formes et des dimensions du spiral réglant les chronomètres et les montres. L'empirisme antérieur avec ses formules vagues fut remplacé par les calculs les plus précis et les plus simples ; on eut la certitude et la rapidité de la science au lieu des procédés et des tâtonnements de l'art. Sans nous arrêter au côté théorique de ses recherches dont il a été déjà parlé, nous rappellerons que c'est en 1859 que Phillips publia son premier travail sur un sujet qui devait le passionner jusqu'à la fin de sa vie; il donna à cette date l'étude théorique du spiral réglant les chronomètres et les montres; son apparition amena une véritable révolution dans la chronométrie. Comme pour les ressorts de chemins de fer, un Manuel pratique sur le spiral, dû à Phillips, facilita aux horlogers l'application de la théorie. Ce premier travail fut suivi en 1864 du Mémoire sur le réglage des chronomètres et des montres dans les positions verticales et inclinées;puis, en 1878, de la théorie du spiral plat, à seconde courbe théorique, qui, indiquée par lui, dès 1871, permit d'accroître considérablement la régularité. Plus tard il étudia les diverses formes que l'on pouvait donner au spiral, sphérique, conique ou autre. Enfin, il détermina mathématiquement la nature de l'alliage des balanciers des chronomètres la plus propre à assurer la régularité de leur marche.
L'École ne laissa pas d'être tout d'abord fréquentée; les douze élèves titulaires qu'elle pouvait recevoir touchaient une indemnité annuelle de 200 livres qui pouvait expliquer ce succès; mais il y avait presque autant de surnuméraires, c'est-à-dire d'élèves non appointés. Dès 1787, on ne parla plus d'admissions nouvelles à raison des économies que l'on poursuivait dans toutes les dépenses publiques. Le plan de Sage et de Bertin paraissait d'ailleurs disproportionné avec le développement minier et métallurgique de la France. L'Ecole subsista sans recevoir de nouveaux élèves; elle disparut sous la Révolution et s'éteignit d'elle-même, bien qu'elle n'ait jamais été effectivement supprimée. La riche et coûteuse installation de Sage à la Monnaie resta, jusqu'à la réorganisation de 1794 et à la fondation de l'Agence et de l'Ecole des Mines dans la rue de l'Université, le centre où se réunissaient ses élèves et les Inspecteurs des Mines de l'ancien régime.
De cette première tentative, une idée mérite d'être retenue. L'Ecole avait été prévue pour former moins les Inspecteurs du Gouvernement que des exploitants d'entreprises privées, moins des Ingénieurs de l'État que des Ingénieurs civils, comme nous le dirions aujourd'hui. Les Inspecteurs devaient sans doute en provenir; l'établissement n'était pas créé dans le seul but de leur recrutement.
Lorsqu'on 1794 la Convention reconstitua l'École des Mines avec le service de l'inspection des Mines, cette École, nonobstant ses modifications successives et ses déplacements de Paris à Moutiers et de Moutiers à Paris, est bien celle qui constitue aujourd'hui notre École nationale supérieure des Mines. Sa destination première a été en 1794, comme elle est aujourd'hui, de former les membres du Corps des Mines. Depuis 1795, notamment, elle est essentiellement l'Ecole d'application des fonctionnaires des Mines qui se recrutent à l'École Polytechnique. Mais, dès 1794, on avait compris et stipulé qu'elle devait simultanément donner, à ceux qui voulaient l'appliquer dans l'Industrie privée, cet enseignement spécial dont nous avons dit la nécessité, en d'autres termes, former concurremment des Ingénieurs civils des Mines. Le public mit plus de temps à en comprendre l'intérêt. En 1801 seulement, les premiers élèves externes, suivant l'appellation donnée dès le début aux futurs Ingénieurs civils des Mines, vinrent suivre les cours de l'Ecole à la veille de sa translation à Pesey. D'autres allèrent à Moutiers, malgré l'éloignement. L'institution des élèves externes fut réorganisée dès le rétablissement de l'Ecole à Paris en 1816, et leur nombre, par promotion, de sept ou huit d'abord, s'est successivement élevé jusqu'à vingt ou vingt-cinq. A partir de 1845, grâce à la création des cours préparatoires par Dufrénoy, le mode d'enseignement de l'Ecole se trouvait définitivement assis dans ses grandes lignes tel qu'il subsiste encore aujourd'hui, avec ces seules différences de programme que le temps et les progrès des connaissances imposent à toutes les Ecoles soucieuses de satisfaire à leur destination. Dès ce moment, l'instruction donnée aux élèves externes avait pris une part extrêmement importante; elle n'a fait que croître depuis; et il serait peut-être difficile aujourd'hui de dire qui l'emporte, au point de vue de la destination de l'Ecole, entre les futurs Ingénieurs civils des Mines et les Élèves ingénieurs destinés au service de l'État.
A ses débuts, en 1794, l'enseignement fondamental se réduisait aux quatre cours de : Exploitation des mines et machines, Métallurgie, Docimasie, Minéralogie et Géologie. Le même cadre fut suivi à Pesey et à Moutiers, pour autant que l'éloignement permît de donner une instruction régulière. Le fond de l'instruction et le régime restèrent sensiblement les mêmes et semblablement ordonnés de 1816 à 1834. Jusque-là, l'École avait été placée sous la direction d'un Conseil qui n'était pour ainsi dire que la continuation du Conseil des Mines antérieur à 1810; Lefroy qui, en sa qualité d'Inspecteur de l'École, était le bras exécutif de ce Conseil, ne songeait pas à modifier les anciennes traditions; mal installée matériellement dans une partie seulement de bâtiments insuffisants, l'institution ne pouvait, il est vrai, qu'être difficilement modifiée.
A Dufrénoy revient l'honneur d'avoir transformé l'antique fondation pour la mettre au niveau des exigences de l'Industrie et de la Science modernes. L'enseignement technique devait se modifier à cette même heure où toutes les industries allaient se transformer par suite des changements de la vie résultant de la révolution des moyens de transport. Dufrénoy était entré officiellement à l'Ecole des Mines en 1834 comme adjoint à Lefroy qui restait Inspecteur; il ne fut titularisé qu'en 1836. Dès 1834, il avait, en fait, pris le gouvernement qu'il devait garder jusqu'à sa mort en 1857, après avoir été promu directeur en titre à partir de 1848. Dufrénoy s'éteignit dans cette École qu'il avait complètement rebâtie et reconstituée grâce à un labeur continu d'un quart de siècle, d'une grandeur et d'une fécondité incomparables.
Dès 1844-1845, les mesures les plus importantes exigées par cette transformation étaient prises et appliquées ; l'oeuvre se poursuivit méthodiquement jusqu'en 1848; elle fut officiellement consacrée par l'arrêté ministériel du 17 avril 1849 qui en condensa l'ensemble à la suite d'une étude attentivement poursuivie par une Commission spéciale que présida Cordier, le président nécessaire de toutes les Commissions, et dont Louis Le Chatelier avait été le secrétaire et fut le rapporteur.
Les bâtiments de l'hôtel Vendôme, où l'École, après tant de migrations, avait trouvé, en 1816, un emplacement définitif, assuraient, suffisamment agrandis, le développement facile de tous les services et de tous les exercices; ils permettaient d'abriter les collections qui, dès cette époque, à la suite d'acquisitions judicieuses et importantes, présentaient une importance capitale; en dehors des laboratoires des professeurs et des élèves, un bureau d'essais, ouvert gratuitement au public, complétait l'organisation des laboratoires départementaux dont l'Administration des Mines avait suscité la création. La scolarité, qui n'avait été que de deux ans, fut, dès 1845, portée à trois ans, sans compter l'année des cours préparatoires, qui formait une sorte d'annexe à l'enseignement véritable de l'École des Mines; les élèves externes, qui ne sortaient pas de l'Ecole Polytechnique, venaient y puiser les hautes connaissances générales de Mathématiques, Physique et Chimie, correspondant aux matières enseignées à cette dernière École, dont ils avaient besoin pour suivre les cours spéciaux concurremment avec les élèves qui en provenaient.
L'instruction spéciale eut, dès lors, dans son ensemble, les traits essentiels qui n'ont cessé de la caractériser : un enseignement oral est donné dans des cours, successivement augmentés en nombre et en importance, tout en restant liés intimement à la spécialité de l'Ecole, pendant une période de l'année relativement courte; les cours sont accompagnés d'exercices pratiques prolongés, notamment aux laboratoires de Chimie où le long séjour des élèves est un des traits particuliers du régime; l'enseignement à l'intérieur de l'Ecole se continue et se complète par des exercices au dehors, courses géologiques et visites industrielles avec les professeurs, et enfin voyages d'instruction de longue durée.
Les quatre cours primitifs s'étaient complétés, d'abord, par la séparation, en 1835, de la Minéralogie et de la Géologie, qui, en fait, étaient enseignées séparément depuis 1827. Lors de la rénovation de 1844-1845, ce groupe fut complété par des leçons spéciales de Paléontologie auxquelles, depuis 1878, sont annexées des leçons de Paléontologie végétale; presque simultanément, avec cette dernière création, en 1879, un cours de Géologie appliquée, détaché du cours de Géologie générale, achevait cet ensemble dont l'ampleur forme un des traits de l'École des Mines de Paris.
A peu près en même temps, on créait, en 1846, des conférences sur les chemins de fer, qui devaient devenir un cours de chemins de fer et construction, depuis dédoublé en deux cours distincts pour chacune de ces matières; et l'on inaugurait, en 1848, l'enseignement des Sciences juridiques et économiques, qui doivent compléter les connaissances d'un Ingénieur, par un cours de législation et d'économie industrielle divisé ensuite en deux.
Si, plus récemment, dans les dernières transformations subies par l'Ecole, on a dû ajouter des cours de Chimie industrielle et d'Électricité industrielle, on s'est borné à suivre les traditions de Dufrénoy; ce ne sont que des dédoublements respectifs des cours de Minéralurgie et de Machines, rendus nécessaires par les progrès du jour. L'esprit et la méthode de l'enseignement restent les mêmes; il est toujours une spécialité, mais une spécialité largement entendue, qui est la raison d'être de ces Ecoles des Mines et explique leur utilité. Celle de Paris se distingue plus spécialement par le développement donné au groupe des Sciences géologiques et minéralogiques; on ne perd pas de vue toutefois qu'on doit les étudier pour leurs applications plus que dans un but purement spéculatif; et par applications il faut comprendre non seulement la recherche et l'exploitation immédiate des substances minérales, mais aussi les travaux de Géologie pratique dont les cartes et les topographies souterraines sont l'expression la plus haute et la plus complète.
Sans oublier le but immédiat de l'Ecole, on ne peut y méconnaître l'utilité de la Science étudiée pour elle-même, on y sait les avantages de sa culture dans de multiples établissements, dont l'émulation généreuse ne peut que profiter au progrès général et au bien public ; aussi, une tradition, qui remonte à l'origine même de l'institution, et qui est bien rare dans de tels établissements, a-t-elle rendu publics les cours fondamentaux de Minéralogie, de Géologie et de Paléontologie. Pour étendre le profit de son enseignement, l'École s'est d'ailleurs ouverte, presque dès sa réinstallalion à Paris, aux élèves de nationalité étrangère qui y ont été reçus sur le même pied que les élèves externes français. L'empressement de plus en plus grand qu'ils ont mis à s'y présenter montre le cas fait de l'institution au dehors. Pendant de longues périodes notamment, la plupart des Ingénieurs du Corps royal des Mines italien sont venus y compléter leur éducation professionnelle.
Rappeler quelques noms de ceux qui ont passé par les chaires principales permettra d'apprécier la portée de l'enseignement. Aussi bien nous les avons déjà rencontrés, pour la plupart, dans cette Notice.
Si, dans le Cours d'exploitation des mines et des machines, Baillet du Belloy, de 1796 à 1832, n'a pas laissé de traces bien saillantes; nous avons déjà montré ce qu'avaient été ses successeurs, Combes, de 1832 à 1848, et Callon, de 1848 à 1872, celui-là d'une plus haute science, celui-ci plus versé dans la pratique; tous deux ayant laissé de leur cours des Traités qui ont joui d'une autorité spéciale.
Pour la Métallurgie, nous avons également cité ceux qui se sont succédé dans cette chaire depuis Hassenfratz, qui l'occupa de 1796 à 1822, jusqu'aux Le Play (1840-1856), Gruner (1808-1872) et Lan (1872-1884).
L'enseignement de la Docimasie a été créé en France, à l'Ecole des Mines, par Vauquelin qui la professa de 1794 à 1801, pendant tout le temps qu'il compta dans le Corps des Mines, où il avait été nommé lors de la réorganisation en 1794. Quand il quitta le Corps et l'École des Mines, en 1801, pour aller au Collège de France, Collet-Descotils se trouvait pour continuer dignement ces premières traditions ; il fut chargé du cours, de 1801 à 1802, jusqu'à la translation de l'École à Pesey; il allait le reprendre, en 1816, à la réorganisation de l'établissement à Paris, lorsqu'il fut enlevé en pleine force. Les Berthier (1816-1840), Ebelmen (1840-1852), Rivot (1852-1869), dont nous n'avons plus à rappeler les travaux, ont maintenu cet enseignement à la hauteur qu'il avait eue dès le début.
Celui de la Minéralogie n'avait pas eu moins d'éclat lorsque Haüy y débuta en 1790-1802. Brochant de Villiers, de 1802 à 1825, avait joint à la Minéralogie les premières leçons de la Géologie, alors naissante ; l'enseignement se dédoubla peu après avec Élie de Beaumont (1827-1852) pour la Géologie, et Dufrénoy (1826-1847) pour la Minéralogie. A Ëlie de Beaumont succéda de Chancourtois (1852-1886) dont l'imagination, par trop systématique, ne paraît pas avoir nui à la fécondité de l'enseignement, si l'on en juge par les élèves qu'il a formés. Dans la chaire plus spécialement inaugurée par Haüy et Dufrénoy sont venus par la suite des maîtres tels que de Senarmont (1847-1862), Daubrée (1863-1872) et Mallard (1872-1894).
Dès sa création, en 1845, sous forme de leçons, avant de devenir un cours, l'enseignement de la Paléontologie avait été confié à Bayle qui le conserva jusqu'en 1881, en transformant, un peu trop peut-être, son cours en conférences dont les sujets variaient chaque année.
Lors de sa création, en 1879, le cours de Géologie appliquée fut confié à Fuchs que désignaient tout particulièrement les études qu'il avait faites, dans ses nombreux voyages, sur les gîtes de la plupart des pays.
Couche, que des premières études sur les chemins de fer avaient également indiqué, à la réorganisation de 1845, pour inaugurer l'enseignement sur ce sujet, le continua jusqu'en 1879 avec cette autorité que consacre le Traité par lui publié sur la matière.
Jean Reynaud (promotion de 1824 de Polyechnique), en créant, en 1848, le cours de Législation et d'Economie industrielle, y apportait peut-être plus d'idées philosophiques que de vues pratiques. Après que le coup d'État du 2 décembre eut enlevé de sa chaire et chassé du Corps le futur auteur de Terre et Ciel, de Villeneuve, qui lui succéda, était plus indiqué pour donner des leçons d'Agriculture et de Drainage, qu'on crut devoir introduire à l'École en 1853, que pour professer le Droit. Ses successeurs, M. Lamé Fleury (1862-1868) et Dupont (1868-1882) développèrent à l'École cet enseignement de la Législation minérale, plus spécialement cultivée en tous pays par des Ingénieurs des Mines, dont l'importance s'impose de plus en plus à raison de la complexité et de l'acuité plus grandes du conflit entre les intérêts de toute sorte, privés et généraux, que soulèvent les problèmes de l'exploitation des mines.
Tels sont, dans le passé, pour les diverses branches de l'enseignement, les Maîtres dont les professeurs d'aujourd'hui s'efforcent de perpétuer les traditions.
En même temps qu'il reconstituait l'Ecole des Mines à Paris, par l'ordonnance du 5 décembre 1816, le Gouvernement de la Restauration posait les fondements de l'École des Mines de Saint-Étienne par son ordonnance du 2 août 1816. A vrai dire, ce n'était qu'un principe qu'on avait ainsi édicté. Depuis la loi du 30 vendémiaire an IV sur l'Ecole Polytechnique, l'Administration n'avait cessé de se préoccuper de créer des Ecoles pratiques dans des établissements miniers et métallurgiques dont les opérations devaient être mises à profit pour l'enseignement professionnel. De pareilles vues avaient conduit à reporter, en 1802, l'Ecole des Mines de Paris, à Pesey, en Savoie; nous avons mentionné le projet, qui ne put aboutir, de la création d'une autre École pratique à Geisslautern dans la Sarre. On pensa qu'on trouverait à remplacer ces Ecoles par les ressources d'un district tel que celui représenté alors par le centre minier et industriel de Saint-Étienne. Il appartenait à Beaunier, à la dernière et peut-être à la plus féconde création duquel nous arrivons, de faire sortir effet au vague projet de 1816. Il prépara les règlements successifs de 1817 et 1831, qui devaient régir cette École jusque dans ces dernières années, et il en assura le fonctionnement avec la direction qu'il garda jusqu'à sa mort en 1835. Sa situation à Saint-Étienne, les services qu'il y avait rendus étaient tels que l'on crut devoir le maintenir dans ces fonctions, après même qu'il fut devenu Inspecteur général.
Strictement limité aux matières qui se rattachent immédiatement à l'art des Mines et à celui de la Métallurgie, l'enseignement de l'Ecole de Saint-Etienne était, au début, relativement élémentaire ; les élèves n'y arrivaient qu'après une préparation très simple et les cours ne duraient que deux ans. Cet enseignement n'en constituait pas moins un immense progrès, eu égard à la routine, voire même à l'ignorance des praticiens qui dirigeaient alors mines et usines. L'enseignement alla toujours s'élevant, et les conditions d'admission devinrent plus difficiles; mais il fut toujours et il est encore strictement restreint à l'art des Mines et à celui de la Métallurgie, avec les connaissances, indispensables aujourd'hui au mineur et au métallurgiste, en Géologie et Minéralogie, Docimasie, Machines et Constructions. L'Ecole de Saint-Etienne avait déjà essaimé de nombreuses promotions dans toutes les exploitations jusqu'à leur tête, lorsque la scolarité y fut portée, en 1881, de deux à trois ans, ce qui permettait de donner à l'instruction, en étendue et en élévation, tous les développements nécessaires. A comparer les programmes dans leurs seules apparences, il ne paraît pas y avoir, au premier abord, de grandes différences aujourd'hui entre cette Ecole et celle de Paris, sauf, semble-t-il, l'importance plus grande donnée, dans cette dernière, au domaine de la Géologie et de ses applications. En réalité, les Ecoles diffèrent profondément par le recrutement des élèves et les méthodes d'enseignement; celle de Saint-Etienne reste plus spécialement vouée aux choses immédiates de l'application du métier. Les deux établissements ne se font pas concurrence ; ils se complètent plutôt l'un l'autre; celui-ci avec une abstraction plus haute dans l'enseignement et des vues plus diverses sur les affaires industrielles; celui-là avec une pratique plus directe du métier de mineur.
Depuis le début, jusque dans ces dernières années, les promotions d'élèves sortis diplômés de l'École de Saint-Etienne ont varié de 12 à 20; depuis une vingtaine d'années elles sont plutôt de 20 à 25.
Il est de tradition que l'enseignement est donné à Saint-Étienne par des Ingénieurs des Mines, généralement encore au début de leur carrière, dont la jeune ardeur n'a pas peu contribué aux succès de l'établissement et que désignent des aptitudes déjà marquées plus que des oeuvres encore à venir. De là, après qu'ils ont donné leur mesure, beaucoup passent à l'École des Mines de Paris. Ainsi en a-t-il été des Combes et des Callon qui ont enseigné à Saint-Étienne, le premier neuf ans (1823-1831 ) et le second sept ans (1839-1845), des Gruner (1835-1848) et des Lan (1851-1862) et enfin de Mallard (1859-1872).
Quelques chiffres peuvent montrer ce que sont devenus les Élèves ainsi formés par les Membres du Corps des Mines. Nous avons, à cet effet, procédé au relevé de tout le haut personnel technique occupé dans les principales mines de houille françaises, depuis les directeurs jusqu'aux Ingénieurs de fosse.
Sur 290 Ingénieurs ainsi retenus, nous en avons trouvé :
182 | ou | 63,0 | pour 100 venant de l'École des Mines de Saint-Etienne. |
35 | ou | 12,0 | pour 100 venant de l'École des Mines de Paris. |
22 | ou | 7,5 | pour 100 venant de l'École Centrale. |
16 | ou | 5,5 | pour 100 venant de l'École d'Alais. |
20 | ou | 6,5 | pour 100 venant d'Écoles des mines de l'étranger (Belgique). |
15 | ou | 5,5 | pour 100 ne sortant d'aucune École. |
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290 | 100,0 |
Presque tout le personnel technique de nos houillères vient donc, on le voit, de l'Ecole de Saint-Etienne. On ne pouvait mieux réaliser le but que l'on s'était proposé en la créant. Il est d'autant plus permis de reporter ces excellents et brillants résultats à l'enseignement des professeurs qu'il n'existe peut-être nulle part une Ecole professionnelle aussi mal dotée en laboratoires, collections et autres ressources de cette nature, auxquelles on attache tant d'importance dans la pédagogie professionnelle d'aujourd'hui.
Les Écoles de Paris et de Saint-Etienne forment exclusivement des Ingénieurs, les officiers de l'industrie. De tout temps on s'est aussi préoccupé de former une maistrance, non moins nécessaire dans les mines que les sous-officiers dans l'armée. L'article 6 de l'ordonnance du 7 mars 1831, qui avait réorganisé l'École de Saint-Etienne, avait prévu, à cet effet, la création d'une classe en faveur des ouvriers mineurs ou de ceux qui se destinent à cette profession. Le règlement du 28 mars 1831, dans ses articles 36 à 40, avait fixé des mesures d'application pour atteindre ce but. L'enseignement devait être donné en deux années, pendant six mois chaque année; la première année devait comprendre des leçons préparatoires de Mathématiques élémentaires; la seconde, les notions les plus simples de l'art des mines. Dès le début de cet essai, aucun mineur ne s'étant présenté pour les cours de seconde année, on remplaça les leçons techniques prévues au règlement par des leçons de Physique, Chimie et Mécanique, qui furent suivies, comme les cours de première année, par des ouvriers de toutes sortes de professions. Au bout d'une douzaine d'années, les cours étaient finalement abandonnés. Personne ne se présentait plus en seconde année par suite de la création, à l'Hôtel de Ville de Saint-Etienne, d'un cours de Chimie professé à des heures plus commodes ; le nombre des élèves de première année avait, d'autre part, considérablement diminué depuis la création d'un enseignement analogue par les Frères de la Doctrine chrétienne.
Une nouvelle expérience fut faite en 1852. Elle ne réussit pas mieux et dut être délaissée encore plus vite. Un pareil insuccès attendait un dernier essai tenté en 1868 par Mallard qui s'était plus spécialement proposé, au moyen de quelques conférences, de prémunir les mineurs contre les principaux dangers dont ils sont menacés dans leurs travaux.
Ce n'est que dans ces dernières années que le Comité des houillères de la Loire a réussi, dans des conditions toutes différentes, avec le patronage de M. l'Ingénieur en chef de Castelnau (promotion de 1868 de Polytechnique) à créer et à faire prospérer une École de gouverneurs, où l'on ne reçoit et n'instruit que des ouvriers en passe, par leurs occupations antérieures, de devenir à bref délai sous-gouverneurs, puis gouverneurs.
Auparavant, l'Administration, à la suite de ces insuccès de Saint-Étienne, avait cherché une autre combinaison qu'on chargea Callon de faire aboutir à Alais, en y créant, en 1845, l'École des maîtres-ouvriers mineurs qui fut placée sous sa direction. On ne devait y recevoir que des mineurs justifiant d'occupations antérieures suffisantes dans les mines. Un enseignement élémentaire comme portée, suffisamment complet au point de vue technique, devait être donné par trimestre pendant deux ans; les trimestres de présence à l'Ecole alternant avec des trimestres de travail dans les mines du voisinage où les élèves sont visités sur place par leurs professeurs qui complètent ainsi leur instruction.
La préoccupation particulière de Callon était d'éviter de créer de faux ingénieurs, de décourager les bons ouvriers. De là les précautions spéciales et l'agencement particulier des règlements si bien étudiés par lui en 1845 et qui ont subsisté depuis, à peine modifiés, en 1890, par les nécessités de la loi militaire de 1889. Des règlements ne suffisent pas pour un tel objet : il faut une vigilance continue du directeur pour empêcher des déviations toujours tentantes dans de pareils établissements. Callon ne cessa de s'en occuper de la façon la plus attentive jusqu'à son départ d'Alais en 1848; il laissa ses idées comme une tradition à ses successeurs. Sans doute quelques élèves de cette Ecole sont devenus des Ingénieurs de houillères importantes ; le tableau que nous donnions ci-dessus le montre ; on ne doit ni s'en étonner, ni le regretter ; la loi de notre démocratie moderne veut que, quel que soit leur point de départ, des intelligences spécialement bien douées parviennent aux plus hauts sommets. Mais, en somme, Callon peut se prévaloir d'avoir créé, et ses successeurs peuvent prétendre avoir maintenu l'institution dans la voie rationnelle, voulue pour elle. Un relevé fait récemment sur 438 élèves dont la destinée a pu être retrouvée, parmi les 638 encore vivants qui sont sortis de l'Ecole jusqu'en fin de 1894, montre que 150 d'entre eux, ou 34 pour 100, sont effectivement chefs de poste et surtout maîtres mineurs. On peut joindre à cette catégorie les géomètres, employés, contrôleurs des mines. Les uns et les autres sont en nombre tel que les véritables ingénieurs restent bien à cet état d'exception justifiée que nous disions. On doit remarquer le nombre relativement grand de géomètres (70 sur 438 ou 17 pour 100) fournis par l'Ecole d'Alais; sans qu'on l'ait prévu à l'origine, et par suite de circonstances locales, elle est devenue une sorte de pépinière de géomètres de mines justement réputés; on s'est demandé, non sans de sérieuses raisons à l'appui, s'il ne conviendrait pas de reconnaître en droit ce qui se pratique en fait avec des avantages qui ne sont point contestés, et de consacrer officiellement cette déviation apparente aux visées premières, en disposant les choses de façon à leur faire produire l'effet le plus utile.
Le succès incontesté de l'École d'Alais a provoqué la création à Douai, en 1878, sur des bases analogues, d'une Ecole pour le grand bassin houiller du Nord. Elle est aussi dirigée par l'Ingénieur en chef chargé du Service ordinaire des Mines et l'enseignement y est donné par des Contrôleurs. Les relations de l'établissement avec les grandes Compagnies qui l'entourent ont peut-être permis, jusqu'ici du moins, de mieux tenir encore l'École dans la voie pour laquelle elle a été fondée.
Henri Fournel commença en 1842 l'exploration géologique et minéralogique de l'Algérie. Dans les dix années qui avaient suivi notre descente à Sidi-Ferruch, de pareilles études n'avaient pas été possibles; à peine la Commission scientifique de l'Algérie avait-elle pu relever, en 1840 et 1841, quelques observations de géologie générale. Fournel consacra trois ans, de 1843 à 1846, à cette reconnaissance; il l'étendit de la frontière tunisienne à la frontière marocaine et il la poussa au Sud, au delà de l'Aurès, jusqu'à Batna et Biskra. Des rapports successifs signalaient, à mesure, à l'Administration supérieure, les renseignements relevés et les découvertes faites dans des excursions, opérées quelquefois en suivant les colonnes d'expédition, le plus souvent avec des escortes insignifiantes, ou même en voyageur isolé, excursions fréquemment périlleuses au milieu de tribus à demi soumises. Tous ces Mémoires ont été réunis postérieurement dans la Richesse minérale de l'Algérie (2 vol. in-4o et atlas), le premier Ouvrage malheureusement inachevé relatif à la géologie et à l'industrie extractive de nos colonies.
Fournel a eu le mérite d'avoir signalé, on peut dire découvert, les célèbres gisements de minerai de fer magnétique qui s'étendent, aux environs de Bône, au sud du massif de l'Edough, le long du lac Fetzara, de Bou-Hamra à Mokta-el-Hadid, et qui furent concédés en 1845. Il avait également reconnu, le long de la frontière tunisienne, le gîte de plomb de Kef-oum-Theboul, qui a donné lieu pendant si longtemps à une exploitation relativement importante, ainsi que les gîtes de fer et de marbre de Filfila, près Philippeville. Le gîte des Mouzaia, près Médéa, qui reste intéressant, malgré l'insuccès des travaux dont il a été jusqu'ici l'objet, ne lui avait pas échappé; il avait, sur ses propositions, été l'objet de la première concession de mine instituée en Algérie en 1844. Bien que personnellement il ne fût pas allé au delà de Biskra, il avait, d'après les renseignements par lui recueillis, reconnu la nature des eaux alimentant les oasis de l'Oued-Rir et indiqué la possibilité et l'utilité de sondages pour obtenir des sources artésiennes.
Faute de cartes topographiques satisfaisantes, Fournel n'avait pas pu songer à dresser une carte géologique ; mais il avait notablement amorcé l'étude géologique de la colonie par ses relevés, ses croquis, ses collections de roches et notamment ses collections de fossiles, qui furent déterminés par Bayle et firent, de la part de celui-ci, l'objet d'une de ses rares publications; elle parut dans le second Volume de la Richesse minérale, de Fournel.
Ces découvertes, en montrant les ressources de notre colonie, indiquaient l'utilité d'établir un Service des Mines plus fortement constitué. Dubocq arrivait dans ce but à Alger pour seconder Fournel en 1845, et Ville (2) en 1846. Dubocq poussa le premier jusqu'à Tougourt; sur ses observations le Service des Mines avait étudié, d'après les idées de Fournel, un projet de création d'oasis pour assurer la pénétration dans le désert. On se borna en définitive à améliorer les puits existants et à remplacer par des sondages ceux qui étaient taris.
Ville devait consacrer toute sa carrière à l'Algérie, où il est resté en service continu jusqu'à sa mort, en 1877. Pendant trente ans il n'a cessé de la parcourir en tous sens et d'en faire connaître la constitution et les ressources minéralogiques par des publications ininterrompues. Il a donné un volume de recherches sur les roches, deux sur les gîtes minéraux des provinces d'Oran et d'Alger, un volume sur l'étude du Hodna et un autre sur celle du M'zab. Ville s'était particulièrement préoccupé de la recherche des eaux et notamment de celles que l'on pouvait se procurer par sondages. Il avait donné une vive impulsion à ces travaux; il a fait connaître, par des Mémoires spéciaux, les importants résultats obtenus de la sorte dans la province d'Alger. Le premier il publia une esquisse géologique des provinces d'Oran et d'Alger à l'échelle de 1/400 000.
Ville s'était plus spécialement attaché aux provinces d'Alger et d'Oran. Tissot, mettant à profit les observations de ses prédécesseurs Dubocq, Linder et Moevus, put publier, en 1881, une carte géologique de la province de Constantine ; c'était un travail énorme, fruit de vingt ans d'efforts, singulièrement ardu avec l'étendue des terrains embrassés et les difficultés de toutes sortes que présentait leur parcours; la valeur pratique de l'oeuvre ne laissa pas d'être considérable, nonobstant les idées géogéniques discutables et fort discutées de l'auteur.
Quand on eut créé, en Algérie, un service de la Carte géologique détaillée, dont la direction fut confiée à M. l'Ingénieur en chef Pouyanne (promotion de 1853 de Polytechnique) et à M. Pomel, ils publièrent, tout d'abord, en 1881, une Carte géologique provisoire de l'Algérie au 1/800 000 qui se composait, pour la province de Constantine, de la carte de Tissot et, pour les provinces d'Alger et d'Oran, de la réunion, après revision, des cartes générales de Ville, des cartes de détail et des relevés des Ingénieurs des Mines Pouyanne, Rocard, Rolland et Vatonne et de MM. Bodynski, Nicaise et Pomel. Ce n'était là qu'une esquisse générale à laquelle MM. Pouyanne et Pomel ont fait succéder, en 1889, une carte d'ensemble, à la même échelle, en attendant la publication qui va se poursuivre, sous leur direction, des cartes de détail à l'échelle de 1/50 000 pour le Tell et de 1/200 000 pour le Sud.
Lorsque furent constituées, en 1879, les diverses missions qui devaient avoir pour objet l'étude de voies de pénétration dans le Sud, l'étude du Transsaharien, comme on l'avait appelé, les membres du Corps des Mines furent naturellement appelés à concourir à ces travaux. M. l'Ingénieur Rolland (promotion de 1871), avait été adjoint à la mission Choisy, et Roche fit partie de la première comme de la seconde mission Flatters, avec laquelle il a péri en 1881. Ces Ingénieurs avaient plus spécialement pour mandat d'étudier la géologie des régions traversées et leurs conditions hydrologiques et climatologiques. A l'Ouest, près de la frontière du Maroc, l'étude complète des tracés avait été remise à M. l'Ingénieur en chef Pouyanne, que devait seconder l'ingénieur Baills. Avec une audace peu commune, livré presque à lui-même, abandonné par l'autorité militaire, à la veille de la révolte de Bou-Amama qui allait ensanglanter ces contrées, délaissé par ses agents, Baills fit, en 1880, un relevé complet dans le Sud-Oranais, de Saïda à Ras-el-Ma par Aïn-Sefra, qui permettait d'établir tous les profils nécessaires à l'exécution des voies ferrées dans cette région. Il présenta, du reste, en août 1880, les avant-projets de deux lignes, l'une de Saïda à Méchéria, sur 165 kilomètres de longueur, l'autre de Méchéria à Ras-el-Ma, de 135 kilomètres.
Par leurs recherches et leurs études géologiques, les Ingénieurs des Mines préparèrent ainsi la mise en valeur des ressources de l'Algérie. Lorsque vint l'heure de les exploiter, il en étudièrent les moyens, comme le fit en 1856 M. Linder, alors ingénieur à Bône, pour les classiques gîtes de fer de cette région; il en avait reconnu le prolongement par des sondages, et il assurait le transport de leurs produits par le projet du chemin de fer de Bône à Karézas, qui fut la première voie ferrée sur laquelle une locomotive circula en Algérie. D'autres membres du Corps devaient, au service de l'industrie privée , concourir plus spécialement à donner à l'exploitation des ressources minérales de l'Algérie le développement qu'elle comportait.
Dès 1865, M. Parran (promotion de 1846 de Polytechnique) organisait l'exploitation des gîtes de Mokta, dont il continue à diriger l'entreprise, à laquelle a été annexée, depuis 1879, l'exploitation des gîtes de la Tafna, à l'autre extrémité de l'Algérie. Ces exploitations, avec les 400 000 tonnes qu'elles livrent encore, ne laissent pas d'être très importantes, en tout état de cause, à raison de la nature des minerais. Elles ont été, jusqu'à ces derniers temps, les seules entreprises minérales sérieuses de l'Algérie; elles restent l'entreprise la plus considérable avec les multiples éléments qu'elle a nécessités. Dans ces dernières années, le rôle de ces minerais riches et purs a été notablement atténué par la transformation de la Sidérurgie ; il a été capital jadis pour la production des premiers aciers fondus en grandes masses, tant pour la France que pour l'Angleterre; il avait fallu une organisation particulièrement étudiée de tous les transports, de la mine jusqu'au port d'embarquement, et de là jusqu'aux ports de débarquement en Europe, pour que le minerai pût y arriver à des prix admissibles. Si, à Mokta, l'organisation est due à M. Parran, à la Tafna elle fut l'oeuvre de Rocard, et ici les installations durent prendre un caractère spécial. A Bône, on disposait d'un port public; pour la Tafna, il fallut créer de toutes pièces, à Beni-Saf, un port spécial qui, sur une côte sauvage et déserte, pût recevoir des navires de 2 à 3000 tonneaux et le munir de l'outillage permettant, sans le moindre retard, le chargement de pareilles quantités.
Ce n'est plus une frontière que nous traversons en passant d'Algérie en Tunisie. Nous allons retrouver dans la Régence la même action des Ingénieurs des Mines, et bien avant que notre Protectorat y fût installé. Des le début de 1855, en effet, Dubois qui s'était fait remarquer par son cours de construction et d'exploitation à l'École des Mines de Saint-Étienne, était envoyé en mission à Tunis pour y remplir les fonctions de Directeur des Travaux publics ; ce fut la première trace de l'influence technique exercée par la France dans la Régence. Dubois resta dans ce poste jusqu'en 1861 ; il eut plus à s'occuper d'étendre notre influence qu'il n'eut à exécuter de travaux sérieux. Les bons souvenirs laissés par lui ne furent sans doute pas étrangers à la mission officielle que Fuchs eut à remplir douze ans après, en 1873, et qu'il continua en 1874, reprenant cette fois une intervention technique qui devait nous mener jusqu'au Protectorat.
Fuchs avait été plus spécialement chargé d'étudier les gîtes minéraux de la Régence, et notamment les minerais de fer de Tabarka et les mines de plomb de la Medjerda et du Djebel Reças. C'est au cours de sa seconde mission, en 1874, qu'opérant avec les seules ressources du baromètre, il reconnut que le seuil de Gabès, dont il observa du reste les grès et calcaires en couches nettement inclinées, s'élevait à 50m ou 55m au-dessus de la Méditerranée, et que l'extrémité orientale des Chotts était encore à 20m ou 25m au-dessus de cette mer. Par là, il rendit le service de résoudre cette question de la mer intérieure, qui avait pris une si grande importance et soulevé dans le public de si graves illusions par suite d'erreurs commises par des géographes et des ingénieurs, non sans mérite, qu'une haute personnalité, alors encore toute-puissante par son succès à Suez, avait pris sous sa protection. Les missions temporaires de Fuchs amenèrent la création, à Tunis, d'un Service technique permanent confié à un Ingénieur des Mines [Ces fonctions ont été remplies, de 1876 à 1878, par M. Genreau (promotion de 1859 de Polytechnique) et, depuis 1878, par M. Grand (promotion de 1870 de Polytechnique) qui, après le Protectorat, est resté Directeur général des Travaux publics jusqu'en 1886]. Ce Service ne resta pas confiné aux affaires de mines ; l'Ingénieur en mission devint le conseil technique et le Directeur des Travaux publics de la Régence jusqu'à l'organisation du Protectorat en 1881. Depuis, le Service des Mines a repris, dans la Tunisie, ses attributions normales. En 1892, M. l'Ingénieur Aubert (promotion de 1879 de Polytechnique) a publié la carte géologique du pays, à l'échelle de 1/800 000 avec texte explicatif; c'est le résultat de cinq années de courses dans une contrée qui n'était pas alors accessible comme elle l'est aujourd'hui, grâce à notre administration. Fuchs, dont les voyages avaient ainsi précédé notre Protectorat en Tunisie, était naturellement indiqué pour la mission, qu'il reçut, en 1881, d'aller étudier les ressources minérales de cet autre Protectorat que nous venions de créer en Annam et au Tonkin. Il en rapporta une étude du bassin houiller de Hong-Gay et Kébao, dont il fit ressortir la très grande importance ; ses indications réduisaient, d'autre part, à leur juste valeur les légendes déjà créées sur l'or des alluvions, dont il établissait l'inexploitabilité. Il rapportait enfin une première esquisse de la constitution géologique de ces régions.
En 1896, un jeune membre du Corps des Mines donnait le dernier travail de ce genre qui ait été publié au sujet de notre domaine colonial : c'est l'esquisse de la Carte géologique du Congo de l'Ingénieur Barrat (promotion de 1888 de Polytechnique). [Un an après, le 6 juin 1896, BARRAT, enrôlé pour une nouvelle mission plus importante à Madagascar, succombait, en face du cap Guardafui, aux fatigues subies dans son premier voyage; ainsi s'est arrêtée, à peine ouverte, une carrière qui avait fait concevoir de si grandes espérances pour notre service colonial.]
Si, de ce domaine colonial, nous passons à l'Etranger, nous avons déjà mentionné, en parlant des mines, de la métallurgie, des chemins de fer, les oeuvres principales dues aux membres du Corps dans chacune de ces spécialités, telles que les exploitations de mines et d'usines dirigées en Espagne par les Callon, en Russie par les Le Play, les constructions et les exploitations de chemins de fer dues, en Russie, aux Sauvage, en Espagne et en Portugal, aux Le Chatelier et Chatelus. Nous ne pouvons parler des simples missions industrielles temporaires confiées à certains ingénieurs, ou des voyages d'étude exécutés par d'autres. Nous ne voulons retenir ici que les missions et les occupations qui, par leur caractère, leur importance ou leur durée, ressortent plus spécialement et n'ont point trouvé leur place naturelle dans les paragraphes antérieurs.
La première de ces missions est celle remplie par Lamé et Clapeyron en Russie de 1821 à 1831. Ils servaient dans le Corps des voies et communications; professeurs à l'Ecole d'application de ce Corps, ils contribuèrent à former tout son personnel, en même temps qu'ils concouraient à l'étude de projets importants ; ils suivaient, dans ce pays ami, les hautes traditions de notre Corps des Mines : l'union de la science et de la pratique.
En 1844, Garella remplissait à Panama une mission dont les résultats, comme pour beaucoup de travaux de ce temps, étonnent lorsqu'on les compare à la simplicité des moyens et à l'exiguïté des ressources, alors surtout qu'on les rapproche des organisations compliquées sans lesquelles il semble aujourd'hui qu'on ne puisse rien entreprendre.
On sait, pour ne pas remonter au delà de nos temps actuels, qu'en 1829 seulement, Bolivar, alors Président de la République de Colombie, se préoccupa d'établir une voie de communication entre les deux Océans par l'isthme de Panama. Sur ses ordres, un officier anglais Lloyd, avait exécuté un nivellement plus que sommaire en remontant le Rio Chagres pour se diriger sur Panama. En 1838, une Compagnie franco-grenadine était investie, par le gouvernement de la Nouvelle-Grenade, du privilège d'établir une communication par l'isthme. La Compagnie crut pouvoir annoncer que la cote du point de partage n'était pas à plus de 12 m. A la suite de cette déclaration, Guizot, alors Ministre des Affaires étrangères, donna à Garella, en septembre 1843, l'ordre de se rendre à Panama avec mission d'étudier la question de la jonction des deux mers par le percement de l'isthme et d'en chercher une solution pratique tant sous le point de vue de la possibilité d'un travail de canalisation que sous le rapport de la nature des obstacles à surmonter, des moyens à employer et des dépenses à prévoir.
Aidé par un seul conducteur des Ponts et Chaussées, Garella, dans une seule campagne, en 1844, releva un plan d'une mer à l'autre, avec nivellement, et rapporta le projet d'un canal de jonction de 7 m de tirant d'eau, pour le passage des navires à voile de 1200 tonnes. Garella avait trouvé' 129 m,5o comme cote d'altitude minimum, mais le tracé par lui choisi passait, comme cote minimum, à 140 m. Le projet de Garella était naturellement un canal à écluses avec bief de partage à la cote 48; ce bief avait une longueur de 7730 m, dont 1350 m en souterrain. La dépense était estimée à 130 millions. Le projet était à coup sûr prématuré, mais le travail de Garella est resté (Les études ultérieures ont fait reconnaître l'exactitude du profil de Garella; mais il avait rejeté son tracé trop au Sud, où il n'avait trouvé que la cote 129,50, au passage, sans avoir reconnu, comme on le fît plus tard, le col de la Gulebra qui présentait une cote beaucoup plus déprimée 87 m,50. Le tracé indiqué par Garella, avec souterrain, n'en fut pas moins repris parmi ceux qui ont été discutés dans ces derniers temps.). Lorsque, trente-cinq après, les études ont été reprises avec toutes les facilités modernes, on a commencé par se servir de son plan et surtout des coupes et renseignements géologiques par lui rapportés.
Nous devons, en des temps plus rapprochés de nous, une dernière mention à une situation que les Ingénieurs des Mines ont occupée si longtemps, d'une façon si continue, qu'elle était considérée comme rentrant dans les destinées, si l'on ne peut dire dans les attributions du Corps. Nous voulons parler de la direction des mines, usines et domaines de la Société Autrichienne I. R. P. des chemins de fer de l'Etat (Staats-Bahn). Lorsque cette Société fut constituée en 1855, avec Louis Le Chatelier comme Ingénieur conseil, Dubocq, dont nous avons suivi le commencement de la carrière en Algérie, prit la direction de cette branche spéciale de l'affaire; il était secondé à titre de sous-directeur par Huyot qui, dès 1869, passait à la Compagnie des chemins de fer du Midi, où une mort prématurée devait arrêter sa carrière en 1883. M. Castel (promotion de 1845 de Polytechnique), aujourd'hui Inspecteur général de 1re classe en retraite, le remplaça et, en 1861, prenait la place de Dubocq, qu'il conserva jusqu'en 1866. En 1869, Barré renouait presque immédiatement ces traditions. Pendant dix ans, à l'époque où la sidérurgie subissait ses dernières transformations, il donna une vitalité particulièrement active et féconde à cette vaste entreprise aux éléments si multiples et si divers ; elle comprenait les houillères de Kladno, en Bohême, et, dans le Banat, celles de Steyerdof, Doman, Szekul; à Vienne, des ateliers de construction ; les mines de fer de Moravicza et Dognaczka alimentant les grandes forges de Resicza et d'Anina; à ce vaste domaine minier et métallurgique s'ajoutaient 90000 hectares de forêts, sans compter les prés et les champs qui le complétaient; c'était un peuple de 16000 âmes que le Directeur d'une telle entreprise devait administrer. Barré, qui l'avait amenée à un très haut développement, laissa d'universels regrets lorsqu'il disparut subitement, en pleine force, en 1878. M. Linder, appelé alors à Vienne pour être Directeur général adjoint de la Staats-Bahn, eut dans ses attributions cette gestion si intéressante à tant de titres, et il en guida la marche jusqu'à son retour en France en 1882. Son nom clôture cette liste des Ingénieurs des Mines français dont le souvenir restera inséparable de cette affaire. Aussi bien elle allait se disloquer à la suite du désir de la Hongrie d'avoir son réseau de chemins de fer et son administration distincts de ceux de l'Autriche.
L. AGUILLON.