Jacques Edmond Emile BOUR (1832-1866)

Fils de Joseph BOUR, horloger, et de Gabrielle JEUNET.


Résumé de la carrière scientifique de Edmond Bour

Il entre à Polytechnique dans la promotion 1850, sort major (en 1852, sur 88 élèves), et choisit le corps des mines. Il se fait remarquer de Sénarmont par un essai sur une théorie nouvelle de l'électrodynamique. Élève à l'École des mines, il suit le cours de Bertrand au Collège de France, où il puise l'idée d'un mémoire sur les "équations différentielles de la mécanique". Ce travail est présenté à l'Académie des sciences (1855). Mathématicien et mécanicien, il soutient deux thèses : l'une sur le problème des trois corps, l'autre sur la théorie des perturbations. Envoyé professer l'exploitation des mines et la mécanique à Saint-Étienne, il publie en 1856 un travail sur les "mouvements relatifs". Répétiteur de géométrie descriptive à Polytechnique (1859), il enseigne ensuite la mécanique aux Mines, la cinématique à l'École polytechnique (1861-1865). Il obtient le grand prix de sciences mathématiques de l'Académie des sciences (1861). Il publie un ouvrage sur la cinématique (1865). Il est aussi l'auteur de "La statique et le travail des forces dans les machines à l'état de mouvement uniforme (1868), et de " La dynamique et l'hydraulique" (1874) .


Biographie de Bour, par A. de Lapparent

Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME I, pages 145 et suiv.

Parmi les anciens Elèves de l'Ecole Polytechnique qu'une mort prématurée a empêchés de recueillir tout le fruit de leurs travaux, il en est peu dont la perte ait inspiré aux amis de la science plus de regrets que celle de Bour. Ce n'était pas seulement des espérances qu'il donnait. A l'âge de 29 ans, il avait mérité qu'on lui reconnût « un rang élevé parmi les géomètres du XIXe siècle (J.Bertrand, Rapport sur les progrès de l'Analyse mathématique) ». La maturité et l'apparent équilibre de son esprit semblaient écarter toute crainte de le voir se consumer, comme avait fait Wantzel, dans une activité fiévreuse et dispersée. Et pourtant, à 33 ans, il avait cessé de vivre, sans que l'Académie eût trouvé l'occasion de le dédommager du chagrin qu'il avait éprouvé une première fois en se voyant préférer un concurrent plus ancien.

Né à Gray en mai 1832, Edmond BOUR fit, jusqu'au grade de bachelier, ses études au collège de sa ville natale; ensuite, un an passé au lycée de Dijon lui suffit pour entrera l'Ecole Polytechnique avec la promotion de 1850. Bientôt il s'y élevait au premier rang, et se faisait remarquer de Senarmont par un essai, demeuré inédit, sur une théorie nouvelle de l'Electrodynamique. En 1852, il sortait avec le numéro 1. Pour la première fois depuis Delaunay, le prix Laplace venait de rencontrer un titulaire bien préparé à suivre la voie tracée par l'auteur de la Mécanique céleste.

Entré dans le service des Mines, Bour trouva moyen, étant élève-ingénieur, de suivre pendant trois ans le cours que M. J. Bertrand professait au Collège de France. C'est dans ces savantes leçons qu'il puisa l'idée d'un mémoire sur les équations différentielles de la Mécanique. Le travail fut présenté à l'Académie en mars 1855. Le rapporteur, Liouville, se plut à reconnaître que l'élève s'était « montré digne du maître », et le recueil des Savants étrangers donna asile au mémoire, où l'auteur, sur quelques indications fort incomplètes, avait eu « la force de reconstruire et de découvrir de nouveau la théorie des équations différentielles partielles du premier ordre, en devançant la publication de l'oeuvre posthume de Jacobi ». Complétant un théorème de M. Bertrand, Bour montrait qu'on peut arriver de proche en proche à mettre la solution complète d'un problème de Mécanique sous la forme canonique, et il faisait voir que la connaissance d'une intégrale quelconque permettait d'abaisser de deux unités l'ordre de l'équation aux dérivées partielles du problème.

Ce succès valut à Bour l'autorisation de passer son doctorat sans justifier des grades inférieurs. Le 3 décembre 1855, il soutint deux thèses : l'une sur le problème des trois corps, étudié dans des conditions inaccoutumées de généralité et de rigueur, et où il parvenait à réduire le cas général à celui du mouvement dans un plan ; l'autre sur une question déjà envisagée par Gauss, et relative à la théorie des perturbations : c'était le calcul de l'attraction exercée par une planète, si sa masse était répartie sur chaque élément de l'orbite proportionnellement au temps employé à le parcourir.

A la suite de ces triomphes, Bour éprouva un premier chagrin : l'administrationne sut pas le retenir à Paris, et on l'envoya professer à l'École de Saint-Étienne l'exploitation des mines et la mécanique. Heureusement, son ardeur pour la science n'en fut pas diminuée. En 1856, il publiait un travail remarquable sur les mouvements relatifs, sujet qu'il devait développer encore en 1863, et en 1857 il faisait connaître un moyen de résoudre numériquement les équations du troisième degré à l'aide de la règle à calcul.

C'est aussi à cette époque qu'il reçut un témoignage exceptionnel de l'estime dans laquelle le tenait le monde savant. D'Alembert s'était plu autrefois à former, en réunissant les envois que lui adressait Lagrange, un exemplaire unique, en quatre volumes, des oeuvres de ce grand géomètre, auxquelles il avait joint divers travaux de Laplace; puis il en avait fait don à Condorcet, sous la condition de transmettre le présent, quand il n'en aurait plus besoin, à un jeune mathématicien de grand avenir. C'est ainsi que, de Condorcet, le précieux cadeau passa à Lacroix, qui lui-même en gratifia Biot, comme étant alors le géomètre qui lui semblait donner les plus belles espérances. Biot enrichit cette collection en la portant à six volumes, et en fit présent à Binet ; mais ce dernier mourut sans en avoir disposé, et l'exemplaire revint au donateur, alors âgé de 82 ans. L'éminent vieillard consulta M. Bertrand, qui lui désigna Bour comme le plus digne d'un tel présent. Au mois de décembre 1856, le jeune ingénieur recevait les six volumes avec cette mention : « Donné par d'Alembert à Condorcet; par Condorcet à Lacroix; par Lacroix à M. Biot; par M. Biot à M. Bour; par M. Bour à ... »
(Conformément aux volontés de Bour, l'exemplaire a été remis par M. Mannheim à l'Académie des Sciences. La section de Géométrie devait en désigner le titulaire; mais ce soin n'a pas encore été rempli.)

L'exil de Saint-Etienne ne cessa qu'à la fin de 1859, lorsqu'une place de répétiteur de Géométrie descriptive devint vacante à l'École Polytechnique. La situation eût été insuffisante pour Bour, qui n'avait aucune fortune. Ses amis intéressèrent à sa cause de Senarmont, qui trouva moyen de lui faire une place aux cours préparatoires de l'Ecole des Mines. Rentré à Paris, le nouveau répétiteur eut, pour ses débuts, à suppléer M. de la Gournerie en 1860, dans une partie du cours de Stéréotomie. Mais on avait hâte de lui donner mieux, et Bélanger ayant pris sa retraite au commencement de 1861, sa succession échut à Bour, qui n'avait pas encore 29 ans. [Ibid tome I page 72 : Les élèves de Bour, disait Lamé, voient des difficultés partout ; ceux de Delaunay, nulle part.]

C'est de cette même année 1861 que date son plus beau succès de savant. L'Académie des Sciences avait proposé, comme sujet du grand prix des Sciences mathématiques, la théorie de la déformation des surfaces. La matière avait déjà fait l'objet des recherches d'Ossian Bonnet, et l'on ne mettait guère en doute qu'il ne dût être le lauréat du concours. En effet, Bonnet résolut complètement la question principale, consistant à former les équations différentielles de toutes les surfaces applicables sur une surface donnée. Mais, en même temps que lui, deux concurrents avaient traité le problème avec un égal succès : un étranger, M. Godazzi, et Bour. Par surcroit, ce dernier avait ajouté à son oeuvre un chapitre où, abordant avec beaucoup d'habileté des difficultés autrefois signalées par Lagrange, il ne s'était proposé rien moins que l'intégration complète des équations, dans le cas où la surface donnée est de révolution. Devant ce supplément, la commission ne crut pas pouvoir hésiter. Bour obtint le prix, et Liouville, qualifiant le travail couronné, ne craignit pas de dire : « On pourrait le croire un beau mémoire de Lagrange ». L'oeuvre de Bour fut publiée dans le Journal de l'Ecole Polytechnique, mais sans le chapitre relatif aux surfaces de révolution. L'auteur le réservait pour le compléter un jour, selon le voeu exprimé parla commission, qui avait entrevu, dans la généralisation de cette analyse, un notable perfectionnement pour le Calcul intégral. Cette espérance aurait-elle été déçue ? La déception même se serait-elle étendue au résultat que l'Académie, dans un jugement trop rapide, avait considéré comme acquis ? Toujours est-il que, parmi les papiers laissés par Bour, on n'a retrouvé ni le complément espéré, ni même la minute du chapitre qui n'avait pas été livré à l'impression.

L'année suivante, à 30 ans, Bour analysait devant l'Académie un mémoire sur l'intégration des équations différentielles partielles du premier et du deuxième ordre, où il faisait connaître une nouvelle méthode d'abaissement des équations de la Mécanique. Liouville écrivit à ce propos : « Il ne s'agit plus d'un jeune homme donnant des espérances, mais d'un grand géomètre qui a tenu les promesses de sa jeunesse ».

Après de tels témoignages, Biot étant venu à mourir, beaucoup pensèrent que Bour allait recueillir le siège que ce vétéran de la science occupait dans la section de Géométrie, et cette candidature rencontra de chauds partisans. Cependant Bonnet fut élu. Peut-être la savante compagnie avait-elle jugé que, si elle accordait trop tôt une récompense, enviée par tant d'hommes de science comme le couronnement de leur carrière, elle pourrait risquer de tarir, en lui inspirant la tentation d'un repos prématuré, une activité dont il y avait encore beaucoup à attendre. Quoi qu'il en soit, Bour conçut de cet échec un chagrin dont il ne parvint jamais à dissimuler la cuisante amertume, comme si quelque secret pressentiment l'avertissait que l'occasion perdue ne se retrouverait plus !

Ce n'est pas que son mécontentement le fit renoncer au travail. A la vérité, il ne publia plus, à partir de cette date, qu'un mémoire original, celui de 1868, sur les mouvements relatifs, où il était parvenu à mettre les équations sous la forme canonique, ce qui, au point de vue de l'intégration, ramenait la question au cas du mouvement absolu. Mais la publication de son cours à l'École, cours auquel il s'attachait avec une véritable passion, devint de sa part l'objet de soins tout particuliers. Il eut le temps d'en voir paraître, en 1865, la première partie, la Cinématique, dont le discours préliminaire a été loué comme un chef-d'oeuvre de logique et d'érudition. Le reste ne devait voir le jour qu'après la mort de l'auteur et grâce aux soins pieux de son ami, M. Mannheim, dont le dévouement ne lui avait jamais fait défaut.

Bour n'avait pas une santé très solide. De plus, sa situation de famille lui imposait certaines préoccupations d'avenir, en vue desquelles, en 1863, il crut devoir faire trêve aux travaux de science pure, pour affronter la fatigue de laborieuses explorations industrielles en Asie-Mineure. C'est là qu'il puisa le germe du mal qui devait l'emporter. Ce mal, il l'aggrava par le travail excessif qu'il s'imposait pour perfectionner son cours de Mécanique. En donnant pour épigraphe à son Livre Multa pars mei, il ne disait que trop vrai; car c'était sa vie qui s'envolait avec ces premières feuilles. Au commencement de 1866, une aggravation subite se manifesta. En vain M. Michel Lévy, directeur du Val-de-Grâce, où Bour s'était fait conduire, lui prodigua-t-il les soins les plus empressés. Le malade mourut le 8 mars. Sa ville natale lui fit des obsèques solennelles, et les Polytechniciens, sachant que la principale préoccupation de Bour avait été d'assurer l'avenir de sa soeur, accordèrent à la mémoire du défunt le meilleur de tous les témoignages, en se chargeant eux-mêmes de cette pieuse mission.

A. DE LAPPARENT.


 

NOTICE BIOGRAPHIQUE
SUR
EDMOND BOUR,
LUE A LA SOCIÉTÉ PHILOMATHIQUE DE PARIS,
LE 15 DÉCEMBRE 1866,
PAR M. LE SECRÉTAIRE DE LA SOCIÉTÉ.

C'est un deuil public quand vient à mourir l'uu de ces hommes que leur génie et les travaux d'une longue vie ont faits illustres entre les savants de leur temps ; mais une tristesse plus amère encore saisit tous les amis de la science lorsque, au travers de leurs plus chères espérances, la mort frappe tout à coup, en pleine jeunesse, une haute et puissante intelligence.

Edmond Bour fut ainsi pleuré. - Comment mérita-t-il ce suprême hommage ? Le simple récit de sa vie le dira peut-être.

Jacques-Edmond-Emile BOUR naquit à Gray, en Franche-Comté, le 19 mai 1832. Dès son enfance, il se fit remarquer par son intelligence et son ardeur à l'étude, et, grâce à ces heureuses dispositions, parvint à acquérir, dans un petit Collège communal, les éléments de cette solide instruction, ou, pour mieux dire, de cette érudition littéraire que révélaient sa conversation et ses écrits.

Reçu bachelier es lettres au sortir du Collège de Gray, il aborda, au Lycée de Dijon, l'étude des sciences, et, en 1850, à l'âge de dix-huit ans, après une année de Mathématiques spéciales, il fut admis à l'Ecole Polytechnique. Classé par les Examinateurs d'admission le 64e parmi les 90 élèves de sa promotion, il s'éleva bientôt au premier rang, qu'il conserva jusqu'à la sortie de l'École : aussi l'Académie des Sciences de l'Institut lui décerna-t-elle, dans sa séance publique du 27 décembre 1852, le prix annuel fondé par Madame la Marquise de Laplace en faveur de l'élève sortant le premier de l'École Polytechnique.

Elève ingénieur des Mines le 15 novembre 1852, Bour fut promu, le 14 juillet 1855, au grade d'ingénieur de troisième classe et envoyé à l'Ecole des Mines de Saint-Étienne comme professeur d'Exploitation des mines et de Mécanique. Nommé, le 5 décembre 1857, ingénieur de deuxième classe, répétiteur du cours de Géométrie descriptive à l'École Polytechnique en 1859, professeur à l'École des Mines en 1860, il occupa, le 2 mars 1861, à l'âge de vingt-neuf ans, l'une des deux chaires de Mécanique à l'École Polytechnique.

Quelques dates résument ainsi la carrière officielle de Bour; mais une minutieuse analyse de ses travaux pourrait seule donner une idée complète des progrès que lui doivent les sciences mathématiques. A cette sérieuse étude, dont elle ne saurait comporter les longs développements, cette Notice doit au moins suppléer par un rapide aperçu des sujets traités dans des Mémoires désormais célèbres.

Le premier travail personnel de Bour qui ait appelé sur lui la sérieuse attention de ses professeurs fut une théorie nouvelle de l'électro-dynamique, qu'il produisit dans ses examens à l'Ecole Polytechnique. Très-appréciée alors par M. de Senarmont, de regrettable mémoire, cette théorie n'a, malheureusement, jamais été publiée.

Encore élève à l'Ecole des Mines, Bour soumit, le 5 mars 1855, à l'Académie des Sciences, un Mémoire sur l'intégration des équations différentielles de la Mécanique analytique. « Les géomètres liront avec intérêt, dit, au sujet de ce travail, M. Liouville, au nom de la Commission chargée de l'examiner, le Mémoire de M. Bour. C'est dans les excellentes leçons de M. Bertrand que M. Bour a surtout puisé les idées premières de son travail ; l'élève s'est montré digne du maître. Nous proposons à l'Académie d'approuver le Mémoire de M. Bour et d'en ordonner l'insertion dans le Recueil des Savants étrangers. »

Ces conclusions furent adoptées, et le Mémoire parut à la fois dans le Recueil des Savants étrangers, t. XIV, les Comptes rendus, t. XL, et le Journal de Mathématiques, t. XX.

Dans ce remarquable travail, l'auteur commence par établir, en complétant un théorème de M. Bertrand, que l'on peut arriver, de proche en proche, à mettre la solution complète d'un problème de Mécanique sous la forme canonique de deux séries d'intégrales conjuguées deux à deux, telles, que l'une quelconque d'entre elles, combinée avec toutes les autres pour former la fonction de Poisson, donne l'unité avec sa conjuguée et zéro avec tout le reste. Il démontre ensuite, et c'est là la partie essentielle de son Mémoire, que la connaissance d'une intégrale quelconque permet d'abaisser de deux unités l'ordre de l'équation aux dérivées partielles du problème, sans toutefois servir à réduire de nouveau le degré de l'équation transformée, à laquelle cette intégrale devient étrangère.

Celte ressource épuisée, Bour, remarquant que l'équation réduite obtenue admet des intégrales étrangères à la question, montre que, si l'on connaît une de celles-ci, on peut souvent abaisser l'ordre de cette équation réduite, en divisant les intégrales inconnues en plusieurs groupes, donnés par des équations distinctes, ce qui est bien dans la nature des problèmes ordinaires de Mécanique.

A ce premier travail de Bour était réservée, après celle de l'Académie, une autre consécration, la plus flatteuse que pût désirer le jeune auteur, le suffrage posthume de l'illustre Jacobi. Depuis 1837, le monde savant attendait impatiemment l'apparition, annoncée dès cette époque, d'un important ouvrage de ce grand géomètre sur la Mécanique analytique.

« La publication posthume de ce travail, dit Bour lui-même, vient de commencer dans le Journal de Crelle, par les soins de M. Clebsch, et c'est avec une bien vive satisfaction qu'en tenant compte de la différence entre le couronnement de l'oeuvre d'un maître et les essais incertains d'un élève, j'ai retrouvé dans la nouvelle méthode de Jacobi l'identité la plus parfaite avec celle que j'ai eu l'honneur de soumettre à l'Académie des Sciences dans la séance du 5 mars 1855. »

Devant une pareille déclaration, tout commentaire devient inutile, surtout si l'on observe qu'à l'apparition de ce Mémoire Bour n'avait pas vingt-trois ans.

Ce brillant succès obtenu par Bour au commencement de sa carrière lui valut, de la part du Ministre de l'Instruction publique, l'autorisation de subir les épreuves du doctorat es sciences mathématiques, sans justifier des grades inférieurs. Il soutint ses Thèses, devant la Faculté des Sciences de Paris, le 3 décembre 1855.

La première, relative à la Mécanique céleste, traitait du problème des trois corps, célèbre par l'étude dont il avait été l'objet de la part des plus grands géomètres. Bour appliqua à cette question les règles indiquées dans son précédent Mémoire, et les résultats qu'il obtint firent sensation dans le monde savant. Quelque temps auparavant, Jacobi, après avoir fait remarquer qu'on pouvait considérer l'un des corps comme fixe, avait donné les équations du mouvement des deux autres sous une forme qui paraît n'avoir rieti de commun avec celle sous laquelle se présentent d'ordinaire les équations différentielles de la Mécanique analytique. Bour fit plus : il parvint à réduire le cas général à celui du mouvement dans un plan, et à ramener les équations du problème, ainsi simplifiées, à la forme canonique. Son travail se résumait en ce théorème remarquable :

Pour intégrer le problème des trois corps dans le cas le plus général, il suffit de résoudre le cas où le mouvement a lieu dans un plan, et d'avoir ensuite égard à une fonction perturbatrice égale au produit d'une consLante dépendant des aires par la somme des moments d'inertie des corps autour d'un certain axe, divisé par le carré du triangle formé par les trois corps.

La seconde Thèse consistait en une Etude sur l'attraction qu'exercerait une planète, si l'on supposait sa masse répartie sur chaque élément de son orbite, proportionnellement au temps employé à la parcourir. La solution de ce problème, recherchée pour la première fois par Gauss, en vue de la théorie des perturbations, reçut de Bour tous les développements qu'elle comportait.

Peu après ces nouveaux travaux, par lesquels le jeune géomètre soutint et accrut encore sa renommée naissante, il reçut, de la pari de l'illustre Biot, avec une lettre qui, elle seule, constituait un titre d'honneur, quelques volumes de Mémoires mathématiques, dont le vénérable savant traçait ainsi l'histoire :

« Cette précieuse collection de Mémoires de Lagrange tire son origine de d'Alambert; il la composa avec des exemplaires que Lagrange lui envoyait de Berlin. Il en fit présent à Condorcet, sous la condition de la transmettre à quelque jeune homme laborieux quand elle ne lui serait plus nécessaire. Elle est venue successivement, sous la même condition, de Condorcet à Lacroix, de Lacroix à M. Biot, avec addition de plusieurs autres pièces. M. Biot la donna à J. Binet. Binet n'en ayant pas disposé de son vivant, elle est rentrée dans les mains de M. Biot, qui la transmet, sous les mêmes conditions, à M. Bour, comme un témoignage d'estime pour son zèle et pour les beaux travaux mathématiques par lesquels il s'est annoncé aux amis des sciences. »

Cette distinction unique, récompense éclatante de travaux heureusement accomplis, était en outre, et surtout, une marque de confiance qui obligeait l'avenir. Chacun sait comment Bour avait déjà justifié cette confiance, lorsque la mort est venue, longtemps avant l'heure, l'arracher à ses persévérantes et fécondes recherches, sans lui laisser même le temps de décerner, à son tour, cette glorieuse récompense. Ce fut son collègue et ami, M. Mannheim, qui dut assurer le sort de ce précieux dépôt : il le transmit à l'Académie des Sciences, et cette compagnie décida qu'elle-même décernerait cette récompense à un jeune savant, qui en disposerait ensuite suivant les intentions du premier fondateur.

« Persévérez invinciblement, écrivait Biot à son jeune protégé, dans la voie où vous avez déjà commencé à marcher avec tant de succès.... Si vous poursuivez votre carrière scientifique avec le même courage que vous y avez porté d'abord, chaque nouveau pas que vous y ferez sera pour vous un accroissement d'honneur.... » Fortifié par ces sympathiques encouragements contre l'abattement qu'il avait tout d'abord éprouvé en se voyant privé, par son éloignement forcé de Paris, des plus précieuses ressources scientifiques, Bour se remit à l'oeuvre avec une ardeur nouvelle. Le 25 février 1856, il avait présenté à l'Académie des Sciences un Mémoire sur les mouvements relatifs (Comptes rendus, t. XLII); le 5 janvier 1857, il en donna un autre sur la résolution des équations numériques du troisième degré au moyen de la règle à calcul (Comptes rendus, t. XLIV). Enfin, il aborda l'étude des surfaces qui peuvent s'appliquer les unes sur les autres sans déchirure ni duplicature, question proposée par l'Académie des Sciences pour le grand prix de Mathématiques en 1861. Le Mémoire, désormais célèbre, que Bour soumit au jugement de l'Académie, confirma une fois de plus l'incontestable supériorité de son auteur. « M. Bour, dit M. Bertrand dans son Rapport (séance du 25 mars 1861), ne s'est proposé rien moins que l'intégration complète des équations du problème, dans le cas où la surface donnée est de révolution. Les méthodes ordinaires du calcul intégral ne semblent pas ici applicables; il a mis à profit une indication rapide, jetée comme en passant par Lagrange dans un de ses Mémoires, et dans l'application de laquelle l'illustre géomètre signalait lui-même de graves difficultés. Cette méthode consiste d'abord à former une solution complète de l'équation différentielle du second ordre, dans laquelle figurent cinq constantes arbitraires, et à en déduire la solution générale par la variation de ces constantes. Les difficultés que Lagrange avait aperçues et signalées ont été très-habilement et très-heureusement surmontées dans le Mémoire n° 1. La Commission espère que le savant auteur généralisera sa belle analyse, et que le Calcul intégral recevra par la un perfectionnement notable. Il sera juste de rapporter à Lagrange la gloire d'avoir ouvert cette voie nouvelle, mais le concours actuel occupera néanmoins une place dans l'histoire de son développement.

» En résumé, la Commission accorde le prix de Mathématiques au Mémoire inscrit sous le n° 1, ayant pour devise : Je plie et ne romps point, dont l'auteur est M. Bour, professeur à l'École Polytechnique. »

Ce magnifique travail a paru dans le XXXIXe Cahier du Journal de l'Ecole Polytechnique, mais légèrement modifié dans sa forme, l'auteur ayant séparé de ses théories purement géométriques les recherches analytiques auxquelles elles l'ont conduit, recherches relatives à l'intégration de certaines équations différentielles partielles du premier et du second ordre.

Dans sa Théorie de la déformation des surfaces, le problème une fois mis en équation dans les termes les plus généraux, Bour en recherche la solution par trois méthodes distinctes.

La première, tout analytique, conduit, par l'emploi des coordonnées symétriques, à une équation différentielle dont l'intégration générale, dans certains cas où elle se simplifie, est étudiée dans le Mémoire spécial annoncé plus haut.

Dans sa deuxième méthode , fondée sur l'usage des coordonnées géodésiques, l'auteur parvient à dégager, d'un assez grand nombre de relations secondaires, celles qu'il nomme équations fondamentales, et d'où se déduit, à son point de vue, toute la théorie des surfaces.

Après avoir interprété géométriquement les fonctions qu'elles renferment, et montré que tout dépend, en définitive, décès éléments, parfaitement définis, analytiquement et géométriquement, Bour déduit de ces équations fondamentales, parmi certaines propositions nouvelles, le théorème de Gauss sur la constance de la courbure en chaque point des surfaces qui se déforment; il les applique ensuite, soit à des problèmes se rattachant directement à la question proposée, soit à d'autres, un peu étrangers peut-être à ce sujet, mais dont la solution prouve bien la puissance de ces équations fondamentales, et confirme l'importance capitale que l'auteur leur attribue. C'est ainsi que, dans un chapitre relatif au développement des surfaces réglées, Bour commence par déduire des formules la théorie complète des surfaces, puis détermine, alors seulement, les surfaces réglées applicables sur diverses surfaces : ellipsoïde de révolution, hyperboloïde à une nappe, hélicoïde réglé.

De même, à l'occasion du développement des surfaces de révolution, dont l'étude lui fournit ses résultats les plus importants, Bour, ayant découvert ce théorème remarquable, que toute surface hélicoïdale est applicable sur une surface de révolution, étudie, toujours à l'aide de ses équations fondamentales, les hélicoïdes en général, avant de traiter quelques exemples intéressants. Enfin, s'écartant franchement de l'objet principal de son Mémoire, il montre toute l'importance de ses formules fondamentales, en les faisant servir, dans un chapitre épisodique intitulé : Applications diverses, à l'étude des surfaces qui ont leurs courbures principales égales et opposées, de celles à courbure moyenne constante, et enfin de celles dont les courbures principales sont partout égales et de même signe. Bour applique aussi avec un égal succès les coordonnées symétriques imaginaires à des problèmes du même genre.

La théorie de la déformation des surfaces se termine par l'exposé et l'application de la troisième méthode, signalée au début de cet aperçu. Celle méthode, d'aspect bizarre, qui ne semble, au premier abord, se justifier que par le succès, constitue cependant par ses résultats, d'après son auteur lui-même, ce qu'il y a de plus neuf et de plus inattendu dans toute cette théorie géométrique.

A la fin de ce grand ouvrage, Bour annonçait l'apparition prochaine d'un appendice sur la théorie des surfaces caustiques, théorie qui, suivant ses propres expressions, présente des rapports fort curieux avec celle de la déformation des surfaces. Le temps lui a malheureusement manqué pour achever ce complément de son oeuvre.

Dans les séances de l'Académie des Sciences des 17 février, 10 et 17 mars 1862, Bour analysa son beau Mémoire sur l'intégration des équations différentielles partielles du premier et du second ordre, qui fait suite au précédent et se trouve, comme celui-ci, dans le XXXIXe Cahier du Journal de l'Ecole Polytechnique. Après un court exposé de l'état de la question, l'auteur résume et complète ses recherches sur ce vaste sujet; il rappelle le théorème fondamental qu'il avait démontré antérieurement, au tome XIV du Recueil des Savants étrangers, et en déduit une nouvelle méthode d'abaissement des équations différentielles de la Dynamique. Passant ensuite aux équations du premier ordre, il applique sa méthode à l'intégration des équations différentielles de la ligne géodésique sur une surface quelconque, problème dont il avait annoncé la solution comme second appendice au Mémoire sur la déformation des surfaces. Il termine par des considérations importantes sur l'intégration des équations du second ordre. A celle occasion, M. Liouville s'est exprimé ainsi (séance du 10 mars 1862 de l'Académie des Sciences) :

« .... Dans les pages peu nombreuses insérées aux Comptes rendus, chaque mot est une idée. J'ai donc eu le bonheur de voir M. Bour répondre entièrement à ce que j'annonçais de lui comme Rapporteur d'un premier travail présenté à l'Académie en 1855. Désormais M. Bour a son rang fixé près des maîtres. Il ne s'agit plus d'un jeune homme donnant des espérances, mais d'un grand géomètre qui a tenu les promesses brillantes de sa jeunesse. »

Bour avait alors trente ans.

A la suite de ces succès, il fut inscrit sur la liste des candidats au fauteuil laissé vacant à l'Académie des Sciences par la mort de M. Biot. Ses titres nombreux et brillants semblaient assurer son élection : cependant l'Académie, faisant entrer en ligne de compte, outre la valeur des travaux, la durée de la carrière scientifique, crut devoir lui préférer un autre géomètre, qui depuis longtemps s'était fait connaître par de savantes recherches. Pour les amis de Bour, pour l'Académie elle-même, ce n'étail que partie remise; à ses yeux, ce fut partie perdue. « Faut-il s'en étonner? disait quelques années plus lard M. Cournot sur la tombe de son jeune ami. Nous avons tous nos tristes pressentiments, et quelque chose apparemment lui disait trop bien qu'il n'avait pas le loisir d'attendre ! »

Après celle déception, qu'il ressentit trop profondément, Bour ne publia plus qu'un Mémoire, inséré en 1863 dans le Journal de Mathématiques, 2e série, t. VIII. Ce travail, digne des précédents, se rapporte au mouvement, relatif, dont il parvint à mettre les équations sous la forme canonique; la question se trouva ainsi, au point de vue de l'intégration, ramenée à celle du mouvement absolu. Celle théorie forme dès maintenant un complément indispensable à la Mécanique analytique. Bour l'appliqua d'abord au mouvement relatif d'un ensemble de points libres, puis à celui d'un système à liaisons quelconques.

Enfin, il se servit de la méthode d'intégration dont il a été question plus haut, à plusieurs reprises, pour traiter quelques problèmes intéressants : mouvement des projectiles dans le vide, en tenant compte du mouvement diurne, et mouvement d'un solide de révolution, puis d'un corps quelconque, libre de tourner autour de son centre de gravité fixé sur la terre.

Au milieu de tant de laborieuses recherches, Bour suivait assidûment les séances de la Société Philomathique de Paris, dont il était membre depuis le 7 avril 1860, et à laquelle il communiqua des Notes intéressantes, entre autres : sur la composition des rotations, sur les cônes circulaires roulants.

Le 28 janvier 1865, l'Académie de Besançon décerna le titre de Membre associé correspondant à ce jeune géomètre, déjà l'une des gloires de la Franche-Comté.

Dans les dernières années de sa vie, Bour parait s'être surtout occupé de rédiger, avec un soin infini, pour le publier, le Cours de Mécanique qu'il professait à l'Ecole Polytechnique.

Le premier fascicule de cet ouvrage, contenant la Cinématique, a seul paru, quelques mois avant la mort de son auteur; mais le Discours préliminaire, chef-d'oeuvre de logique et d'érudition, suffit à faire juger de l'esprit de l'oeuvre. En quelques pages claires et concises, Bour définit l'objet de la science, trace les voies par lesquelles elle le poursuit et l'atteint, et parvient à faire pressentir déjà cette admirable unité de la Mécanique que la suite de son Cours affirmera constamment.

La publication de ces belles leçons, connues seulement jusqu'ici de quelques élèves de l'Ecole Polytechnique, sera heureusement continuée, grâce aux soins de l'amitié, sûre de confirmer par une oeuvre de plus Je témoignage de toutes celles qui perpétueront le nom de Bour.

Bour est mort le 8 mars 1866, dans sa trente-quatrième année, au Val-de-Grâce, où, quelques semaines auparavant, il était allé chercher les soins dont le privait l'absence de sa famille, et le repos indispensable qu'il n'avait pas hésité à sacrifier pour remplir, jusqu'à épuisement de ses forces défaillantes, ses devoirs de professeur. La maladie qui l'a tué, activée, sinon provoquée, par les fatigues de deux grands voyages, l'un en Algérie, pour l'observation de l'éclipse du 18 juillet 1860, l'autre en Asie Mineure, pendant l'été de 1863, pour de longues explorations métallurgiques, minait depuis longtemps cette santé précieuse, lorsqu'a éclaté tout à coup la catastrophe suprême. Nul pourtant ne la pressentait si prochaine parmi ses amis, dont l'espérance obstinée survivait encore à de trop rudes épreuves ! « C'est toujours un spectacle douloureux, a dit M. le colonel Riffault devant cette tombe sitôt ouverte, de voir la mort frapper la jeunesse. Mais combien l'émotion n'est-elle pas plus profonde quand, à la douleur de la famille, vient s'ajouter un deuil public, quand celui qui part avant l'heure a déjà donné le droit de dire sur sa tombe : Une grande intelligence vient de s'éteindre. » Et, aussi bien, le temps, qui amortit les plus cruelles impressions, adoucira peut-être un jour pour la famille et les amis d'Edmond Bour l'amertume de la perte du fils et de l'ami: il n'affaiblira jamais les regrets qu'a laissés à tous ceux qui cultivent « ces hautes connaissances, le plus digne, le plus impérissable objet des efforts de l'homme, » cet esprit éminent, éteint dans la plénitude de sa puissance créatrice. Qu'est-il besoin, d'ailleurs, de redire ces choses à ceux-là mêmes qui, par la plus touchante inspiration, viennent d'adopter, en quelque sorte, la soeur du grand géomètre, de l'ami dont ils déplorent la perte irréparable ?

La ville de Gray a réclamé les restes de son enfant. Une souscription faite parmi les compatriotes de Bour a permis de lui élever un monument au cimetière et de faire exécuter son buste destiné a l'hôtel de ville. Bour a toujours conservé un tendre attachement pour sa ville natale : il lui faisait régulièrement don de toutes ses publications; aussi les manuscrits trouvés après sa mort ont-ils été offerts à la bibliothèque de Gray.