Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion de 1851, entré classé 62ème et sorti classé 17ème), Ecole des mines de Paris (élève de août 1853 à mars 1856, sorti 1er après avoir été classé 1er à la fin de chaque année de scolarité). Corps des mines.
Fils de Jean Baptiste MOISSENET, négociant en vins, et de Marguerite Thérèse BIDREMAN. Marié à Eugénie Alexandrine BEUGNOT. Père de Louis Joseph MOISSENET (1864-1900, X 1882 ing. du génie maritime) et de Jean Vincent Léon MOISSENET (X 1879 ; 1860-1937, ing. des ponts et chaussées). Religion catholique.
Extrait du LIVRE DU CENTENAIRE DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE, tome III page 146
MOISSENET (promotion de 1851 de Polytechnique), né le 2 août 1831, retraité comme Ingénieur en chef des mines, avait succédé à Rivot comme professeur de Docimasie à l'École des Mines de Paris, en 1869, et a gardé ce poste jusqu'en 1877; il a quitté alors le service de l'État, pour s'occuper d'affaires industrielles et est ensuite rentré dans le Service. On lui doit, en particulier, une Etude sur les parties riches des filons, publiée en 1874.
Publié dans Annales des Mines, 10e série T. 15, 1909.
Le 2 février 1906 s'éteignait à Chaumont (Haute-Marne), douze ans et demi après avoir pris sa retraite, un savant aussi distingué que modeste, M. Moissenet, Inspecteur général honoraire au Corps des Mines [Moissenet n'avait jamais été nommé inspecteur général ; l'honororiat était décerné en vertu de l'article 91 du décret de 1810], dont nous fûmes l'élève à l'Ecole nationale des Mines, avec toute une génération d'ingénieurs. C'est à ce titre que nous voudrions rappeler aux lecteurs sa vie et ses travaux.
Moissenet, Léon-Vivant, naquit le 2 août 1831 à Chalon-sur-Saône. L'éducation, les conseils, les leçons qu'il reçut de ses parents et de ses grands-parents contribuèrent à former l'esprit ouvert et l'âme forte qui le caractérisèrent.
En même temps que de bonnes études au collège de Chalon-sur-Saône, ses parents lui firent faire les travaux pratiques les plus variés. Il eut son établi, son tour; il apprit la vannerie et l'art du potier ; il suivit les cours de dessin et de coupe de pierre institués par la ville et y exécuta le " chef-d'oeuvre " traditionnel. Pendant ses vacances, on lui faisait conduire des tombereaux ou tirer des coups de mine dans les carrières souterraines de gypse de son grand-père.
Moissenet apprit ainsi à connaître la matière en même temps que la science pure, à regarder et à voir dans la nature, et à allier la théorie qui crée avec une pratique une apte à réfréner les abus de la théorie. C'est ainsi préparé que, reçu 62e à l'Ecole Polytechnique, et sorti 17e de cette école, avec le 6e rang dans le service des Mines, il fut classé 1er aux examens de passage à la 2e classe d'élève ingénieur, et conserva ce rang pendant tout le reste de son séjour à l'Ecole, ainsi qu'à la sortie.
Cette circonstance lui valut d'être attaché, par arrêté du 14 mai 1856, au secrétariat du Conseil général des Mines et au Bureau d'Essai de l'Ecole des Mines. En même temps, il était chargé du cours préparatoire de chimie générale. Il conserva les deux dernières de ces occupations, cours et bureau d'essais, quand il fut nommé Ingénieur ordinaire de 3° classe, le 10 janvier 1857.
Grâce à cette situation, il put obtenir des missions d'études pendant les vacances annuelles de l'Ecole. Il préféra à l'Allemagne les régions minières de l'Angleterre, peu fréquentées jusqu'alors par les ingénieurs français. Au cours des voyages qu'il fit en Angleterre et en Ecosse en 1855, dans le Cornvall et le Devonshire en 1857, 1858 et 1865, dans le pays de Galles et dans l'Irlande en 1862, et malgré deux graves accidents, l'un de voiture, près de Caernarvon, en 1860, l'autre qui faillit lui coûter la vie, au Man Engine de Devon Great Consols, en 1865, il apprit à connaître les mines métalliques. Il s'attacha à y vérifier l'application de la théorie des systèmes de montagnes de son professeur Elie de Beaumont, et il étudia d'une manière approfondie l'exploitation des usines et la préparation mécanique des minerais.
L'abondante moisson de renseignements rapportés par Moissenet se traduisit par la rédaction de 11 mémoires, qui furent publiés dans les Annales des Mines.
La préparation mécanique des minerais d'étain, de plomb et de cuivre en Angleterre fournit également à Moissenet le sujet de conférences qu'il fit à l'Ecole des Mines en 1864, 1865 et 1866 et qui lui valurent, en 1865, un témoignage officiel de satisfaction.
Enfin son voyage de noces même, en 1859, aux États-Unis d'Amérique, fut, pour Moissenet, l'occasion de la rédaction d'une notice sur le fonçage d'un puits d'eau sulfureuse à Louisville (Kentucky), notice non publiée, mais qu'il dédia à son professeur, Elie de Beaumont, et qui fut présentée par ce dernier a l'Académie des Sciences.
Pendant le cours de ces mêmes années, Moissenet était, en 1858, mentionné dans un témoignage officiel de satisfaction adressé à l'occasion des travaux du Bureau d'Essais en 1857, à M. Rivot. Il obtenait la 2e classe d'Ingénieur ordinaire le 29 décembre 1859, et la 1ère classe le 30 juillet 1867. Enfin il était nommé chevalier de la Lésion d'honneur, le 10 août 1868, à l'âge de trente-sept ans.
C'est sur ces entrefaites que Moissenet fut appelé à succéder à son maître et ami, son vénéré " patron ", Edouard Rivot, professeur de docimasie, et directeur des laboratoires et du Bureau d'Essais, d'abord en qualité de suppléant, le 8 décembre 1868, puis à titre définitif le 3 avril 1869. Dès le 22 mai 1868, Moissenet avait remplacé comme secrétaire de la Commission des Annales des Mines M. Couche, promu Inspecteur général. Le 15 janvier 1875, il fut en outre attaché au service de la carte géologique de France.
Il conserva ces fonctions jusqu'à la fin de 1877, époque à laquelle, nommé Ingénieur en chef de 2e classe, le 15 mai, il obtint un congé pour raison de santé, puis un congé illimité. Ce dernier se prolongea jusqu'au 1er janvier 1884, date à laquelle Moissenet, promu à la 1ère classe de son grade le 1er août 1883, prit à Chaumont (Haute-Marne) un arrondissement de service ordinaire.
Ce que fut Moissenet comme professeur et directeur des laboratoires, ses anciens élèves n'en ont point perdu le souvenir. Il se tenait en contact permanent avec eux, à la fois dans ses cours, dont ils n'ont point oublié la clarté, et surtout pendant les longues heures qu'il vivait au milieu d'eux dans leurs laboratoires, gagnant leur confiance par ses conseils et ne perdant aucune occasion de leur inspirer de l'intérêt, non seulement pour leurs travaux de chimie, mais encore pour tout ce qui touchait la science de l'Ingénieur. En un mot, et pour employer des expressions extraites textuellement de leurs correspondances, " il commençait par allumer en eux le feu sacré ", puis " il leur apportait une direction ferme et intelligente ainsi que les conseils paternels dont on a tant besoin au début de la carrière ".
A leur sortie de l'Ecole, il ne les perdait point de vue: ses fonctions de secrétaire de la Commission des Annales et de directeur du Bureau d'Essais mettaient sous ses yeux ou entre ses mains les mémoires qu'ils publiaient et les échantillons qu'ils faisaient analyser. Aussi venaient-ils fréquemment le visiter à son laboratoire ; et ils ne le quittaient point sans avoir obtenu de lui les conseils qu'ils en attendaient. Nombre d'entre eux le consultaient même par écrit, connaissant l'intérêt qu'il portait à leurs travaux; il se faisait un devoir de leur répondre ponctuellement.
Bien plus, il s'efforçait de les aider à obtenir des situations à leur convenance, appropriées à leurs facultés ; c'est ainsi, notamment, qu'il obtint que M. Henry, " récemment nommé au sous-arrondissement de Vesoul, et dont Moissenet avait apprécié, durant son séjour à l'Ecole, les aptitudes pour la chimie analytique, lui fût adjoint temporairement dans la conduite des travaux chimiques des élèves et dans la surveillance des laboratoires et du Bureau d'Essais. " (Notice nécrologique sur Adolphe Henry par M. Zeiller)
Au surplus, il existe un témoignage officiel et spontané de l'attitude qu'il avait envers ses élèves : c'est la lettre d'envoi du brevet de chevalier de l'ordre de la " Couronne d'Italie ", qui lui fut décerné le 21 mars 1870 : " le Gouvernement du roi d'Italie ", y est-il dit, " informé des mérites scientifiques de M. Moissenet et de la sollicitude constante trouvée en lui par les élèves italiens qui fréquentent l'Ecole des Mines, a cru de son devoir de lui donner une marque de particulière considération en lui conférant cette distinction honorifique. "
Les conseils donnés par Moissenet à ses anciens élèves avaient d'autant plus de raison d'être appréciés que ce n'étaient pas seulement ceux d'un théoricien : c'étaient ceux d'un Ingénieur pratiquant. Profitant on effet des vacances annuelles de l'Ecole, il avait pu, après avoir reconnu à Montebras (Creuse), sur d'anciens travaux, à la fois la présence du minerai d'étain et les " directions des principaux filons d'étain du centre Cornvall ", et avoir dès lors conclu à l'existence d'un gîte, accepter les fonctions d'ingénieur conseil de la Compagnie qui se forma pour l'exploitation de ce gîte. En fait, il dirigea entièrement les études, les recherches et les travaux de la mine de 1864 à 1871.
Au commencement de 1870, les travaux comprenaient notamment plusieurs puits dont un de 105 mètres de profondeur ; deux galeries d'écoulement ; trois niveaux de galeries suivant huit filons nettement caractérisés, dont quelques-uns avaient 2 mètres et plus de puissance et renfermaient sur certains points d'énormes blocs de minerai massif; plusieurs descenderies entamées et abatages préparés ; enfin un atelier de préparation mécanique avec les appareils en usage dans le Cornwall (concasseur, trommels, Lisburne Buddle, etc.).
L'exploitation fut suspendue peu après la guerre de 1870, faute de ressources, au moment où il ne fallait plus qu'un effort pour mettre la mine en état de produire normalement, et Moissenet résigna ses fonctions avec un amertume et profond regret de laisser inachevée une entreprise dans la valeur de laquelle il conservait la foi la plus entière.
Moissenet avait reconnu dans la gangue des filons d'étain un minéral appartenant an groupe de l'amblygonite et de la herdérite (fluophosphate d'alumine, de soude et de lithine) dont M. des Cloizeaux présenta l'analyse à l'Académie des Sciences, et à laquelle il donna le nom de Montebrasite ; l'exploitation de cette substance fut reprise ultérieurement pour la lithine qu'elle contenait. D'autre part, sans descendre au-dessous des niveaux assainis par les galeries d'écoulement, on a extrait, en même temps que l'amblygonite, et livré au commerce, de 1902 à 1904, 65 tonnes de minerai d'étain provenant des abatages préparés par Moissenet dans les filons découverts et suivis par lui. Cette production a été relevée dans la " statistique de l'imdustrie minérale et des appareils à vapeur en France et en Algérie ", publiée par le Ministère des Travaux publics. Le tableau 9 de celle statistique: "Tableau de la production des minerais métallifères par départements " fait ressortir aux pages 114 de 1902, 60 de 1903 et 60 de 1904, respectivement 33, 21, et 11 tonnes, soit 65 tonnes en tout. En outre, le volume publié en 1902 et contenant les " rapports des Ingénieurs des Mines aux conseils généraux sur la situation des mines et usines dans les départements ", porte en sa page 254, sur les mines de Moutebras et sous la signature de M. de Grossouvre : " Le minerai d'étain, qui jusqu'alors avait été un produit accessoire de l'extraction de l'amblygonite, a été, en 1902, l'objet d'une exploitation assez active. La mine a occupé de 30 à 60 ouvriers, et la production a été de 32 tonnes. " |
Le temps dont Moissenet put disposer après avoir quitté Montebras, il l'employa à rédiger un traité intitulé : Etudes sur les filons du Cornwall. Parties riches des filons. Structure de ces parties, et leur relation avec les directions des systèmes stratigraphiques. Il publia ce traité en 1873.
L'analyse que fit M. de Lapparent de cet ouvrage en le présentant de la part de l'auteur à la Société géologique de France, après avoir exposé que " le travail de Moissenet aurait pu s'appeler: Géométrie et Mécanique des filons ", mais que " l'auteur a voulu éviter tout soupçon d'idées théoriques préconçues et a donné uniquement pour base à son travail un ensemble de faits matériels indiscutables, observés dans les mines du Cornwall ", met en relief les points ci-après : " En étudiant les conditions de la répartition des parties riches des filons, on est arrivé à reconnaître qu'elle est intimement liée à la nature et à l'allure des terrains encaissants, et on a formulé les règles empiriques suivantes, reconnues exactes dans la plupart des cas :
" 1° Les parties riches des filons sont celles qui ont pour terrains encaissants des couches ou strates dites favorables, c'est-à-dire douées de la propriété de bien se fendre et de rester bien ouvertes ;
" 2° Les parties riches des filons sont celles où l'inclinaison de la veine se rapproche le plus de la verticale ;
" 3° Les parties riches des filons plongent généralement dans le même sens que les terrains encaissants;
" 4° Dans un même filon, les parties riches ne sont pas orientées au hasard; leurs alignements forment, d'un côté ou de l'autre de la direction moyenne du filon, une série d'éléments parallèles entre eux, et dont la direction est ce que l'on appelle la bonne orientation. "
Ces règles manquaient de précision sur quelques points. M. de Lapparent montre comment Moissenet les a précisées.
" Moissenet reconnaît que si l'on considère les parties riches normales (celles d'une fracture simple produite dans un même ensemble géologique), les quatre lois empiriques des observateurs anglais sont absolument vraies, il doit donc être facile de les rattacher aux circonstances de la production de la fracture.
" En effet, il est évident que les chenaux souterrains n'ont pu se présenter dans de bonnes conditions que si les roches encaissantes sont assez tendres pour se bien fendre, et assez résistantes pour que les parois ne s'éboulent pas en comblant le vide de la crevasse. C'est pourquoi, substituant la notion de dureté à celle de convenance des strates, Moissenet transforme ainsi la première loi :
" Les parties riches des filons sont encaissées par les terrains de dureté moyenne.
" La seconde loi se comprend d'elle-même; car, dans une fracture composée d'éléments inégalement inclinés, les parties à faible pente sont celles où le toit reste appliqué sur le mur, glissant sur ce dernier avec frottement dans les périodes de mouvement de l'écorce terrestre, tandis que l'écartement des parties les plus voisines de la verticale se maintient ou même s'accroît, laissant ainsi une voie facile aux dissolutions métallifères.
" La troisième loi n'est pas moins évidente : car, si les parties riches du filon sont encaissées par les strates favorables, elles doivent naturellement plonger dans le même sens que ces strates.
" Quant à la quatrième loi, le fait dominant qu'elle exprime, c'est l'existence d'un alignement défini des parties riches, distinct de la direction moyenne du filon. Cet alignement résulte à la fois de ce que la direction de la fracture initiale s'est mieux conservée dans les strates favorables que dans les autres, où elle a subi une déviation, et ensuite de ce que, aux diverses époques de mouvement de l'écorce terrestre, les fractures qui se sont produites ont dû le plus souvent se former en échelons, empruntant une partie de leurs éléments à la réouverture des fentes plus anciennes. C'est pourquoi Moissenet, remplaçant l'idée de la bonne orientation par celle de la fracture initiale, traduit ainsi la quatrième loi : " Les parties riches des filons sont le plus souvent orientées suivant le sens de la cassure initiale qui a produit le filon. "
" Ces lois générales une fois posées et expliquées, l'auteur examine les deux cas particuliers que peut présenter l'inclinaison des filons... "
Moissenet a donné une série de constructions, à l'aide desquelles on peut établir les relations entre l'inclinaison du terrain encaissant, la raideur des parties riches, l'inclinaison des parties pauvres, l'angle formé par la direction de la cassure avec la direction des strates.
Moissenet fait ensuite l'application de ces notions au Cornwall.
" Il est inutile ", dit en terminant M. de Lapparent, " d'insister sur l'importance des notions précises introduites par Moissenet dans l'étude et la recherche des parties riches des filons. Il serait grandement à désirer de les voir appliquées avec suite par tous ceux que cette question intéresse. "
Dix ans après, dans sa notice concernant les Formules analytiques relatives aux lois de la richesse des filons, M. Haton de la Goupillère, professeur d'exploitation à l'Ecole des Mines, donnait une consécration officielle au même travail, en en faisant de si nombreuses citations qu'il suffirait presque de les reproduire pour analyser complètement l'ouvrage de Moissenet et les lois qu'il contient.
Enfin, nous ne pouvons omettre de citer un passage de la notice nécrologique sur Adolphe Henry par M. Zeiller, notice à laquelle il a déjà été fait un emprunt. Henry allait étudier divers gîtes de fer des provinces d'Alger et d'Oran : " Il y trouvait ", dit M. Zeiller, " l'occasion d'appliquer les belles observations de M. Moissenet sur la distribution des parties riches des filons, que leur auteur n'avait pas encore publiées, mais au courant desquelles il s'était plu, avec une flatteuse confiance, à mettre par anticipation son jeune collaborateur. Ce fut un véritable plaisir pour Henry de trouver dans les filons massifs de Soumah une éclatante vérification des lois qui lui avaient été révélées, et de pouvoir, à la profonde stupéfaction du maître mineur qui lui faisait visiter les travaux, reconnaître, d'après la seule inspection des roches encaissantes, d'après les changements de pendage et de direction du filon, les points où celui-ci avait été trouvé bon, ceux où il avait été trouvé mauvais ; il fut heureux, à son retour, autant que d'un succès personnel, de pouvoir rapporter au maître qui lui avait confié ses idées, l'hommage de la surprise admirative qu'il avait provoquée. "
L'ouvrage de Moissenet ne laissa pas indifférentes les sociétés savantes de la région qu'il avait étudiée et de l'Angleterre même. Dès l'apparition du volume en France, la Royal Cornwall Polytechnic Society, la Royal Institution of Cornwall et la Miners Association of Cornwall and Devon le nommèrent spontanément membre honoraire ou correspondant. Dès 1874, la dernière de ces Associations résolut de traduire des extraits du volume à l'usage des captains des mines ; mais son secrétaire honoraire, M. J. H. Collins, après avoir commencé ce travail, jugeait préférable de traduire l'ouvrage en entier. Moissenet révisa cette traduction. A la suite de cette publication, la Mineralogical Society of Great Britain and Ireland et la British Association for the Advancement of Science, enfin le Mining Institute of Cornwall and Devon élurent Moissenet membre correspondant ou membre étranger. Rappelons ici que Moissenet était, depuis 1858, membre honoraire de la Royal geological Society of Cornwall et depuis 1865 membre honoraire de la " Société des Sciences naturelles et archéologiques de la Creuse " ; qu'il faisait partie de la "Société d'Encouragement pour Industrie nationale " ; enfin, que Moissenet avait été heureux d'être élu membre associé de " Académie de Mâcon ", dans son département d'origine.
Les études de Moissenet lui avaient également valu de précieuses amitiés en Angleterre, telles que celles de M. K. W. Fox; de M. W. Jory Henwood et de M. Le Neve Foster.
Enfin, sur l'initiative de M. Argyropoulos, un des anciens élèves externes de Moissenet à l'École des Mines, le Traité sur les parties riches des filons fut, en 1876, traduit en grec par extraits.
Le Traité sur les parties riches des filons restera l'oeuvre capitale de Moissenet, qui sera toujours consultée avec profit par les techniciens. Pourtant, dans son esprit, cet ouvrage n'était qu'un chapitre de celui qu'il projetait et que ses occupations administratives ne lui ont pas permis de mener à bonne fin.
Fervent disciple d'Elie de Beaumont, Moissenet avait été, dès sa première mission en Angleterre, en 1855, frappé de la connexion intime entre les directions des filons et celle des grands accidents subis par les terrains de transition ; il l'avait mise en relief dans son mémoire déjà mentionné sur le gisement du minerai de plomb dans le calcaire carbonifère du Flintshire. Ses constatations s'étant confirmées et précisées dans les missions suivantes en 1857, 1858 et 1800, il avait rédigé une note intitulée : Etudes sur les filons du Cornwall et du Devonshire. Transport des cercles du réseau pentagonal au point aiv. Directions utiles pour étain, cuivre et plomb.
Cette note fut présentée à l'Académie des Sciences, le 17 novembre 1862, en des termes qui montraient quelle foi Moissenet avait dans le réseau pentagonal et ses implications : il se proposait, disait-il, " de montrer ultérieurement que l'on peut suivre avec fruit l'action des systèmes jusque dans le détail de la construction d'un filon, en y comprenant, bien entendu, ses relations avec les filons ou failles qui l'acccompagnent ". Il espérait que dans l'usage des cercles du réseau, " les mineurs pourraient trouver le guide véritable qui, jusqu'alors leur a manqué " et que, " poursuivant plus tard les mêmes
travaux sur le reste de notre territoire, nous arriverions un jour à connaître l'histoire géologique des émanations des divers métaux, comme l'on possède maintenant celle des éruptions du granite et de ses congénères. Alors la recherche et l'exploitation de nos gîtes minéraux marcheront avec certitude. "
En 1865, Moissenet entreprenait la rédaction d'une étude destinée à la justification des conclusions formulées dans sa note de 1852 et en rédigeait deux chapitres : " Indications sur la carte employée et sur le procédé suivi pour le tracé des directions. Aperçu sur la constitution géologique du Cornwall ". Obligé d'interrompre son travail par ses occupations professionnelles et par la direction de la mine de Montebras, c'est cependant par l'application et l'usage du réseau qu'il découvre dans cette mine et sans tâtonnements, pour ainsi dire, huit filons de minerai d'étain. Ces résultats confirmeraient sa manière de voir, s'il en était besoin.
En 1873 (au bout de dix-huit ans), il formule dans son Traité des parties riches des filons la quatrième règle, qu'il déclare lui être plus personnelle et dans laquelle il rattache l'orientation des parties riches à la direction du système auquel se rapporte la fracture initiale du sol.
Enfin, en 1906, dans les tout derniers jours de sa vie, il exprima parmi ses dernières volontés celle que les chapitres terminés de son étude de 1865 fussent reproduits et remis aux Sociétés savantes dont il avait l'honneur d'être membre, ainsi que la carte sur laquelle il avait tracé les directions, comme ultime justification de ses affirmations, que l'accomplissement de ses devoirs professionnels, puis la maladie, l'avaient empêché de développer et démontrer comme il aurait voulu le faire. Il fut déféré à ce désir; un exemplaire de cette oeuvre posthume fut remis à la bibliothèque de l'École des Mines; le British Muséum, informé de son impression, demanda à en recevoir un; enfin, parmi les réponses des Sociétés à qui les autres exemplaires furent adressés, nous transcrivons celle de M. Berniger, président de la Camborne Mining School :
" L'oeuvre de M. Moissenet sur les filons du Cornwall lui vaudra notre souvenir toujours reconnaissant. Nous conserverons la photographie de sa carte dans notre École, où elle restera le témoignage de ses services distingués. "
Si les progrès de la science ont ébranlé aujourd'hui les théories d'Élie de Beaumont, on ne saurait faire un reproche à Moissenet d'être resté fidèle jusqu'à son heure dernière à un système dont il croyait pendant vingt ans avoir vérifié à chaque occasion l'exactitude, ni passer sous silence la continuité de ses efforts pour faire triompher les idées que, toute sa vie, il crut être l'expression de la vérité.
Une oeuvre de moins longue haleine, mais à laquelle il se donna avec toute l'ardeur de son patriotisme, fut celle à laquelle il prit part pendant le siège de Paris. Rentré à Paris dès qu'il connut la déclaration de guerre et bien qu'il fût alors en congé, il fut, le 13 août 1870, nommé membre de la Commission d'étude des moyens de défense. Cette Commission comprenait entre autres, sous la présidence de M. l'Inspecteur général Léonce Reynaud, MM. Allard et Hervé-Mangon, Ingénieurs en chef; MM.Durand-Claye et Lucas, Ingénieurs des Ponts et Chaussées. Elle se réunissait à l'École des Ponts et Chaussées. Elle choisit Moissenet pour secrétaire, et il exerça ces fonctions jusqu'au moment où, sur sa demande, il en fut relevé le 10 septembre, pour lui permettre de se consacrer à la protection de sa chère École des Mines. Il continua néanmoins à assister aux séances de cette Commission qui, à la date du 20 août 1871, reçut les félicitations officielles du Ministre pour les services rendus par elle.
En effet, Moissenet s'était inquiété du danger qu'eut fait courir, en cas de bombardement, à l'École et à tout le quartier, l'existence d'un dépôt de 120 tonnes d'explosifs, approvisionnés à découvert dans les orangeries vitrées du Luxembourg. Il avait pris sur lui de saisir verbalement M. Dorian, Ministre des Travaux publics, de cette situation, et dès le 12 septembre 1870, le Ministre autorisait l'exécution d'urgence d'une poudrière recouverte de madriers et blindée de terre, soit dans le jardin du Luxembourg, soit dans les terrains vagues de l'ancienne pépinière. Le 14 septembre, Moissenet demandait au Génie militaire l'autorisation d'occuper le terrain de la pépinière et le consultait sur le croquis de la poudrière. Le 29 septembre, l'artillerie commençait à prendre possession de la première travée, mesurant 54 mètres de long, 9 mètres de large et 2m,60 de haut. Le 9 octobre, la deuxième travée et la galerie d'accès, en un mot la poudrière, étaient terminées, et, le 10 octobre, l'entrepreneur, M. Gueneau, présentait son mémoire montant à 39.340 fr,73.
En même temps, et par décision du 17 septembre, Moissenet était officiellement chargé de blinder les caves voûtées des laboratoires de l'École, qui, pendant le bombardement, servirent d'abri non seulement aux collections de minéralogie et de paléontologie de l'École, mais encore à une partie du personnel de l'École et même des habitants du quartier.
Enfin, dès le début du siège, Moissenet rédigea, en prévision de l'épuisement des vivres, une note sur l'organisation du rationnement du pain et de la viande, qui fut adoptée et efficacement appliquée dans le Ve arrondissement.
Nous avons encore à mentionner, pour la période de la vie de Moissenet comprise entre 1868 et 1883, les articles et mémoires qu'il rédigea, et le concours qu'il prêta à l'industrie privée.
Comme secrétaire de la Commission des Annales des Mines et en sus des fonctions qui lui incombaient à ce titre, Moissenet rédigea pour le Bulletin des Annales, entre autres articles, des notes extraites du Mining journal (t. XIII, 1868), et des statistiques de Robert Hunt (t. XIV, 1868) ; d'autres notes sur le minerai d'étain de l'Amérique du Nord (t. XVII, 1870), sur le fonçage des puits en montant (t. XVIII, 1870), sur l'abatage à la poudre dans les mines métalliques (t. XIX, 1871).
Pour déférer à un suprême désir de Rivot, Moissenet fit paraître dans les Annales après en avoir rédigé lui-même la troisième partie d'après les notes de Rivot, le mémoire de ce dernier sur son Nouveau Procédé pour le traitement des minerais d'or et d'argent (t. XVIII, 1870).
Enfin, il publia en 1871 (t. XX) une note sur la montebrasite; et en 1872 il révisa la traduction par M. E. Morineau, Ingénieur civil des Mines, des Remarques sur les gisements métallifères du Cornwall par William Jory Henvood.
Moissenet fut consulté en 1876 par la compagnie fermière des sources de Vichy-Etat; en 1877, par les exploitants des mines de cuivre argentifère et de plomb de Padern et de Montgaillard ; en 1880, par la Société minière de Bougie ; il fit à chacune de ces occasions des voyages d'études suivis de rapports. On lui demanda dans les mêmes conditions un rapport, en 1878, sur les gisements de zinc et de plomb du Fillaoucen et de Mazis en Algérie.
Enfin Moissenet fut membre de la Commission d'organisation des Congrès et Conférences (groupe V) à l'Exposition universelle de 1878.
Nous aurons moins à insister sur les dernières périodes de la vie de Moissenet, les neuf ans et demi, jusqu'au 2 août 1893, pendant lesquels il fut chargé, comme Ingénieur en chef, de l'arrondissement minéralogique de Chaumont (Hante-Marne, Aube, Yonne, Haute-Saône et territoire de Belfort, comprenant notamment les mines de houille de Ronchamp), et les douze ans et demi qu'il passa dans cette même ville de Chaumont, après sa mise à la retraite avec le titre d'Inspecteur général honoraire.
Bien que n'ayant point fait de service ordinaire comme Ingénieur ordinaire, il prit son service à coeur et s'y donna tout entier malgré la besogne matérielle qu'il comportait et qui était si profondément différente des travaux antérieurs de Moissenet. Estimant que l'Ingénieur en chef doit être le conseiller de tous ceux qu'il contrôle, il mettait son expérience et ses avis à la disposition de tous-ceux qui le consultaient, avec une bienveillance non exclusive de fermeté qui le faisait apprécier de tous. Il résolut la question, depuis longtemps pendante à l'époque, et intéressant trois ministères, de la répartition des eaux des sources thermales de Bourbonne-les-Bains entre l'hôpital militaire et l'établissement hydrothérapique affermé par l'Etat, fit aboutir les conférences nécessaires, exécuta les travaux que comportait sa réalisation et étudia la réglementation et l'extension du périmètre de protection des sources.
En même temps il prenait une part active aux travaux de la Commission météorologique de la Haute-Marne ; de la Commission de surveillance des bateaux à vapeur; de la Commission d'hygiène et de salubrité publiques; du conseil d'administration de l'École normale d'institutrices ; du bureau d'administration du lycée ; du Comité de ravitaillement et du Comité départemental de l'Exposition universelle de 1889. Il fut pendant huit ans délégué cantonal pour la surveillance des écoles primaires. De concert avec son collègue des Ponts et Chaussées, M. Emile Carlier, il organisa à Chaumont, où ils manquaient, des cours publics complets d'enseignement secondaire pour les jeunes filles et recruta pour eux les meilleurs professeurs de la ville.
Enfin Moissenet donna son concours à l'étude et à l'installation des étuves de désinfection à l'hôpital de Chaumont; à l'adduction d'eau à Auberive, et à la solution de diverses difficultés pendantes entre le service des travaux du canal de la Marne à la Saône et certaines des communes traversées par ce canal.
Nous ne pouvons d'ailleurs mieux faire, pour résumer cette période de la vie de Moissenet et terminer la présente notice, que de nous référer au discours prononcé sur la tombe de Moissenet par M. Cadart, Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, qui avait vu Moissenet à l'oeuvre pendant tout son séjour à Chaumont et avait gardé avec lui des relations amicales après sa mise à la retraite.
" M. Moissenet ne limitait pas son activité intellectuelle aux affaires de son service et à ses recherches scientifiques; il faisait profiter ses concitoyens de ses connaissances théoriques et pratiques..... Permettez-moi quelques souvenirs personnels : la reconnaissance m'interdit de les passer sous silence : nous avons souvent rencontré dans nos travaux des difficultés qui soulevaient des problèmes de géologie et d'hydrologie. Elles nous paraissaient ardues et nous laissaient quelquefois hésitants. Nous avions alors recours au doyen vénéré des Ingénieurs haut-marnais. Avec quel empressement il nous accueillait! A une époque où déjà les déplacements lui étaient pénibles, il n'hésitait pas à se transporter dans les vallées éloignées de la Mouche et de la Vingeanne, pour y descendre avec nous dans des tranchées profondes. Avec une clarté qui rappelait l'ancien professeur, il circonscrivait nettement le noeud de la difficulté et nous orientait avec la certitude d'une science sûre vers la solution cherchée.
" Plus tard, j'ai repris bien des fois encore le chemin de la chambre où la maladie le confinait, et j'en ai rapporté toujours le bon conseil et la parole réconfortante... Bien que frappé par les épreuves physiques, ses facultés mentales conservaient toutes au même degré leur inlassable activité. Sa chambre de malade restait le forer familial d'où rayonnait sur les siens l'amour sous toutes les formes: amour de la France dont il suivait assidûment l'histoire, tressaillant à ses succès, s'émouvant de ses infortunes ; amour de sa cité d'adoption dont il suivait avec bonheur le rapide développement ; affections de la famille, enfin!...
" Homme de bien, dans la vie publique comme dans la vie privée, M. Moissenet n'a fait que du bien. "
Bulletin de l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1906 :
Un deuil profond frappe l'École des Mines de Paris: M. Léon Moissenet est mort. Il s'est éteint à Chaumont, au milieu des siens, à l'âge de soixante-quinze ans, le 2 février dernier.
Je n'étudierai pas en détail une existence si bien remplie ; des voix plus autorisées que la mienne en retracent ci-après un d'éloquentes paroles les différentes étapes.
Nous reproduisons du reste, ci-dessous, les discours prononcés à ses obsèques.
Nommé professeur de chimie générale à l'École des Mines en 1856, il fut en 1869 appelé à la chaire de docimasie et à la direction des laboratoires de chimie.
C'est au nom des élèves externes qui ont suivi son brillant enseignement, que je viens apporter ici un juste tribut d'hommage et de gratitude au professeur, à la fuis très bienveillant et très distingué, que mes camarades et moi aimions et appréciions beaucoup. Puissions-nous donner ainsi quelque consolation à sa famille si cruellement éprouvée.
I. PION. Ancien élève externe.
Discours de M. Goguenheim, maire de Chaumont.
La Municipalité de Chaumont ne peut pas ne pas adresser, au seuil de cette tombe, un mot d'adieu au fonctionnaire distingué, au citoyen émérite que fut M. Léon Moissenet.
Fixé dans notre ville depuis près d'un quart de siècle, M. Moissenet y exerça pendant dix ans les fonctions d'Ingénieur en chef des Mines et fournit pendant cette période un travail considérable.
Toujours à l'oeuvre, sans trêve ni repos, il compromit sa santé et fut obligé de prendre une retraite prématurée, au moment où il aurait pu être appelé aux hautes fonctions d'Inspecteur général des Mines dont le titre honoraire lui fut conféré le jour où il dut se retirer du service actif.
Son travail absorbant d'une part, son mauvais état de santé de l'autre, firent qu'il fut peu mêlé à la vie publique de notre cité, et partant, peu connu de ceux qui n'avaient pas l'honneur ou le plaisir de l'approcher.
On savait néanmoins quel honnête homme il était. On connaissait sa bonté, son dévouement à la démocratie, sa générosité, son esprit de justice, on pourrait dire sa passion pour la justice ; aussi, aux élections municipales de 1895, fut-il porté sur la liste républicaine spontanément et sans avoir été consulté, et le grand nombre de voix qu'il obtint prouva que, malgré les motifs impérieux qui le tenaient éloigné de la vie publique, nos concitoyens avaient su apprécier ses vertus civiques.
Ses vertus privées ne furent pas moindres. Père modèle, homme d'une science universelle, ce fut lui qui instruisit ses enfants et les façonna selon son coeur.
Son second fils, qu'une mort impitoyable enleva prématurément, fut un ingénieur des plus distingués dont les inventions remarquables sont encore aujourd'hui utilisées par la Marine.
Je ne vous parlerai pas de son fils aîné, l'Ingénieur des Ponts et Chaussées que nous avons la bonne fortune de posséder; chacun à Chaumont connaît son caractère affable et apprécie ses services. Lui aussi est un travailleur complètement dévoué aux devoirs de sa charge.
Je vous disais tout à l'heure que M. Moissenet était un démocrate; oui, il fut un républicain, il l'était déjà à une époque où il était dangereux de l'être pour un fonctionnaire. Il avait d'ailleurs de qui tenir. Il appartenait à une famille républicaine. Son grand-père s'était engagé, à l'âge de quatorze ans, dans les armées de la première République. Ce même grand-père et son père prirent une part active aux Révolutions de 1830 et 1848 à Chalon-sur-Saône.
Élève de l'École polytechnique au 2 décembre, il vota pour la République et c'est contre l'Empire qu'il se prononça au plébiscite de 1870.
Pendant le siège de Paris, professeur à l'École des Mines, ce fut lui qui prit l'initiative de la direction des travaux pour la protection de son école et se préoccupa en même temps d'assurer le ravitaillement du 6e arrondissement.
A Chaumont, les préfets et les maires qui se sont succédé savaient combien ils pouvaient compter sur lui.
Il fit partie du Conseil d'administration de l'École normale d'institutrices depuis 1888 jusqu'à la fin de 1903 où il dut résigner ses fonctions à cause du mauvais état de sa santé.
Il fit partie également du bureau d'administration du Lycée depuis 1890.
Lors de la disparition du pensionnat Noël, seule pension laïque d'enseignement secondaire de jeunes filles, il prit l'initiative de la fondation des cours secondaires de demoiselles.
Mais malheureusement, a partir de 1893, sa santé l'obligea à se ménager de plus en plus, sans cesser cependant de s'intéresser à tout ce qui concernait la ville de Chaumont, devenue sa ville d'adoption, et où il laissera d'unanimes regrets.
Puissent cette sympathie de nos concitoyens et le souvenir des vertus de M. Moissenet adoucir le profond chagrin de Madame Moissenet et de ses enfants a qui je présente nos plus douloureuses et sincères condoléances.
Discours de M. Cadart, ingénieur en chef des ponts et chaussées.
Je remplis un devoir de gratitude en essayant de rappeler l'ingénieur, le savant, l'homme de bien que fut M. Moissenet.
Sorti le premier en 1856 de l'Ecole nationale des Mines qui, par une bien ancienne tradition, a le privilège de recueillir les majors de l'École polytechnique, M. Moissenet fut, en raison de son classement, attaché au secrétariat du Conseil général des Mines et envoyé par le gouvernement, à quatre reprises successives, en mission d'études en Angleterre, en 1855, 1857, 1858 et 1860.
Chargé, en cette même année 1886, à l'âge de 25 ans, du cours de chimie générale à l'Ecole supérieure des Mines, il devenait en 1869, après avoir été fait l'année précédente chevalier de la Légion d'honneur à 37 ans, professeur de docimasie et des analyses chimiques et directeur du laboratoire de chimie et du bureau des essais de cette même école. Il était attaché, en outre, en 1872, au service de la carte géologique détaillée de la France.
Promu ingénieur en chef en 1877, il prit un congé pendant lequel, comme membre du comité des congrès et conférences, il contribua à l'éclat de notre belle exposition universelle de 1878 et se livra ensuite, avec l'agrément de l'administration, à des recherches sur les ressources minières de l'Algérie, à la suite desquelles il eut le rare courage d'oser réduire à leur juste valeur des espérances trop optimistes et d'empêcher ainsi les spéculations auxquelles elles auraient pu conduire.
Envoyé en 1883 à la résidence de Chaumont, il y fut chargé d'un service d'ingénieur en chef des Mines comprenant les cinq départements de l'Aube, de l'Yonne, de la Haute-Marne, de la Haute-Saône et du Haut-Rhin, qu'il conserva jusqu'en 1893, année où il fut admis à la retraite avec élévation au grade supérieur d'Inspecteur général honoraire.
Pendant ces dix dernières années de son service actif, M. Moissenet eut à intervenir dans de graves accidents survenus dans l'industrie privée. Ce furent d'abord des éclatements de chaudières verticales dans des usines du nord du département de la Haute-Marne, dont il sut découvrir les causes avec une exactitude si rigoureuse que l'Administration put immédiatement prescrire les mesures utiles pour en éviter le retour; puis, le terrible coup de grisou des houillères de Ronchamps qui fit plus de vingt victimes. A M. Moissenet incombait la lourde tâche de rétablir, au milieu de mille dangers, la sécurité dans les galeries souterraines, dont les soutènements étaient détruits, et d'organiser la reprise régielle de l'exploitation. Il la mena à bien avec autant de célérité et de dévouement que de modestie.
En sa qualité de professeur, M. Moissenet était en vacances en 1870 lorsque notre territoire fut investi et notre capitale menacée. Il s'empressa de rentrera Paris et de s'y enfermer avec la vaillante compagne de sa vie, qui ne voulut pas plus se séparer de lui à l'heure de l'imminent péril qu'à celles du patient labeur.
Nommé membre du Conseil technique de défense, il attira l'attention sur le danger résultant du dépôt de 120.000 kilogrammes d'explosifs dans l'orangerie du Luxembourg. Peu écouté d'abord, ce ne fut qu'après de nombreuses démarches et avec l'aide de son collègue de l'Ecole des Ponts et Chaussées, M. Régnault, qu'il put convaincre enfin de l'imminence d'un bombardement, et qu'il obtint le mandat d'établir la poudrière souterraine, avec entrée en zigzags protecteurs, qu'il avait projetée. Il la construisit en trois jours et, quelques heures après que les poudres y avaient été transportées, les obus de l'ennemi rasaient l'orangerie. M. Moissenet avait préservé de la destruction le quartier du Luxembourg, sans en excepter sa chère Ecole des Mines et ses précieuses collections minéralogiques et paléontologiques, les plus riches du monde.
C'est à cette même époque néfaste qu'il proposait à l'édilité administrant le VIe arrondissement et qu'il réussissait à faire adopter tout un plan raisonné de distributions de vivres qui, en supprimant tout gaspillage au début du siège, atténua dans une large mesure dans cet arrondissement la famine de la fin du siège, dont souffrirent cruellement tant d'autres quartiers de Paris.
M. Moissenet n'a-t-il pas été ainsi un initiateur des poudrières souterraines blindées de nos forts modernes, aussi bien que de nos comités de ravitaillement?
M. Moissenet ne fut pas seulement un ingénieur distingué, il fut un savant, au sens précis de ce mot.
Professeur de chimie et de docimasie et directeur de notre plus grand laboratoire d'essais pendant 21 ans, il a formé de nombreuses générations d'ingénieurs et de chimistes, les uns fonctionnaires de l'Etat français, dont plusieurs, tels que Carnot, Cornu, Le Chatelier, Poincaré, ont atteint la célébrité; les autres, étrangers admis comme externes à l'Ecole des Mines, dont quelques-uns, devenus influents dans leur pays, lui témoignaient leur reconnaissance en lui faisant décerner le ruban de la Couronne d'Italie.
M. Moissenet fut l'élève distingué, puis le collaborateur apprécié du grand Elie de Beaumont, qui le chargea de dresser la carte minéralogique de cinq départements français. C'est en appliquant les principes posés par cet éminent géologue que M. Moissenet, au cours de ses quatre missions en Grande-Bretagne, après avoir exploré dans les plus grands détails toutes les mines anglaises, arriva à déterminer les règles pratiques à suivre dans la recherche des minerais métalliques.
Son ouvrage sur « Les parties riches des filons de Cornwall », publié en 1873, devint pour les ingénieurs des mines du monde entier le véritable traité pratique de l'exploitation minière. De nombreux extraits firent l'objet de communications à l'Académie des Sciences. L'ouvrage fut traduit en anglais et même en grec. Il valut à son auteur d'être nommé spontanément membre honoraire ou correspondant des sept grandes sociétés savantes de la Grande Bretagne : la Société royale géologique de Cornwall ; la Société royale polytechnique ; l'Institution royale ; l'Association des Mineurs ; l'Institut des Ingénieurs civils ; la Société minéralogique de Grande-Bretagne et d'Irlande ; l'Association britannique pour l'avancement des Sciences.
M. Moissenet ne limitait pas son activité intellectuelle aux affaires de son service et à ses recherches scientifiques, il faisait profiter ses concitoyens de ses connaissances théoriques et pratiques, aussi étendues que variées.
A une époque où il n'existait à Chaumont aucun établissement où les jeunes filles pussent dépasser les études primaires et se préparer au brevet supérieur, en 1884, il fondait, avec un de ses collègues dont le souvenir est encore bien cher aux coeurs des Chaumontais, les cours spéciaux pour les jeunes filles.
Il était membre de nombreuses Commissions : Commission d'hygiène, Conseil d'administration de l'école normale des Institutrices, Bureau du Lycée, fonctions qu'il conserva bien après son admission à la retraite et dont il ne se démit que lorsque la maladie lui interdit toute sortie.
Permettez-moi quelques souvenirs personnels : la reconnaissance m'interdit de les passer sous silence. Fonctionnaires d'une administration qui a bien des contacts avec celle des Mines, nous avons souvent rencontré, dans nos travaux, des difficultés qui soulevaient des problèmes de géologie et d'hydrologie. Elles nous paraissaient ardues et nous laissaient quelquefois hésitants. Nous avions recours alors au doyen vénéré des Ingénieurs haut-marnais. Avec quel empressement il nous accueillait ! A une époque où déjà les déplacements lui étaient pénibles, il n'hésitait pas à se transporter dans les vallées éloignées de la Mouche et de la Vingeanne pour y descendre avec nous dans des tranchées profondes. Avec une clarté qui rappelait l'ancien professeur, il circonscrivait nettement le noeud de la difficulté et nous orientait avec la certitude d'une science sûre vers la solution cherchée.
Plus tard, j'ai repris bien des fois encore le chemin de la chambre où la maladie le confinait et j'en ai rapporté toujours le bon conseil et la parole réconfortante.
D'ailleurs, tous ceux qui ont approché M. Moissenet connaissent le charme de cette parole. Ils conservent le souvenir ineffaçable de son verbe clair et brillant, de son esprit subtil, de ses réparties primesautières. Ils ont aussi appris, par sa fréquentation, qu'il n'est pas indispensable, pour être un fin causeur et un homme d'esprit, d'effleurer jamais, même légèrement, la réputation d'autrui.
Mais je m'aperçois quejusqu'ici je n'ai parlé que de l'intelligence et de la force de volonté. Oublierai-je donc le coeur de celui qui a été un idéal de bonté et d'amour, un époux, un père admirable ?
Frappé depuis plusieurs années par les épreuves physiques, ses facultés mentales conservaient toutes au même degré leur inlassable activité. Sa chambre de malade restait le foyer familial d'où rayonnait sur les siens l'amour sous toutes ses formes : amour de la France, dont il suivait assidûment l'histoire, tressaillant à ses succès, s'émouvant de ses infortunes; amour de sa cité d'adoption, dont il suivait avec bonheur le rapide développement ; affections de la famille, enfin.
Avec quelle joie il se complaisait à décrire les belles découvertes d'un de ses fils, qu'il était arrivé à posséder aussi bien que leur auteur, les machines-outils à adhérence pneumatique, les transbordeurs de charbon de navire à navire en pleine mer, malgré la houle, les griffes à serrage automatique des câbles. Quel beau jour pour lui que celui où ce fils obtint une médaille d'or grand module à l'Exposition de 1900. Mais aussi quel lendemain !
La mort prématurée de ce fils, qui avait rendu déjà de précieux services au pays, fut pour M. Moissenet un coup terrible dont il ne se releva point et qui assombrit ses dernières années en laissant la maladie accomplir son oeuvre. Vint alors cette période de cinq longues années pendant laquelle on ne sait qui admirer le plus de celui qui, malgré les souffrances, conservait toute son activité mentale, montrant ainsi que la force de la volonté peut faire quelquefois que l'âme reste saine dans un corps irrémédiablement frappé, ou de celle qui l'a entouré d'un dévouement qui semble élargir au-delà des limites jusqu'ici connues la puissance des affections humaines.
Homme de bien dans la vie publique comme dans la vie privée, sans défaillance à aucune heure d'une carrière cependant par instants périlleuse et difficile, M. Moissenet n'a fait que du bien. Il a toujours eu une entière confiance dans l'absolue justice d'un Dieu d'une infinie bonté et il est mort en fervent chrétien.
C'est assez dire, à vous, chère Madame, qui l'avez tant aimé, et à vous, mes chers amis, qui avez toujours si bien honoré et respecté votre père, en particulier à celui dont la collaboration éclairée et laborieuse me permet d'apprécier spécialement le dévouement sans bornes aux intérêts publics, en retrouvant en lui l'image fidèle des vertus paternelles, que ce n'est pas un adieu, mais un au revoir que, avec moi, vous lui adressez ce matin !
Voir aussi : Biographie de Fernand BERNARD, collaborateur de MOISSENET.