Ingénieur civil des mines diplômé de l'Ecole des Mineurs de Saint-Etienne.
D'après Grands Mineurs Français, 1948.
Jean-Emile Grand est, ne à Saint-Etienne. d'une famille industrielle de stricte observance protestante.
Sorti « major » de l'Ecole des mines de sa ville natale, il débute au mines de Dourges.
En avril 1870, il est appelé à Carmaux par Sévin, nommé directeur de ces mines à la suite d'une longue grève.
Il y contribue puissamment à augmenter la production, qui passe de 120.000 tonnes par an, à son arrivée, à 340.000 tonnes en 1881, à son départ.
Cependant, il s'intéresse avant tout à l'étude de la structure géologique du bassin. On croyait avant lui que l'orientation générale de celui-ci était est-ouest. C'est dans cette direction qu'on cherchait son prolongement.
Mais Grand, homme à idées générales, est frappé par le fait que la direction d'ensemble des bassins houillers qui entourent le Massif Central est sensiblement nord-sud. Il s'assure par des travaux en galeries que vers l'ouest on rencontre les roches cristallines constituant le fond du bassin. Puis, en 1879, le creusement d'un puits au sud de la concession de Carmaux montre dans cette direction une nette tendance du gisement à enrichissement.
Dès lors, Grand, dont l'intuition peut s'appuyer sur des constatations précises, est convaincu que c'est au sud, et en dehors de la concession de Carmaux, qu'il faut rechercher le prolongement du bassin.
Il est vrai qu'au sud-ouest et au sud-est de la concession deux sondages écartés l'un de l'autre de 5.500 mètres seulement avaient donne des résultats négatifs.
Grand se dit cependant qu'entre ces deux points il est possible de rencontrer un gisement exploitable. Il va jusqu'à tracer, en prolongeant la ligne de « thalweg » du bassin exploité à Carmaux, l'axe hypothétique de ce présumé gisement.
« Les choses en étaient là, écrit-il, lorsque la mort imprévue de M. Sévin, directeur, amena des remaniements importants dans le personnel. La nouvelle situation qui m'était proposée ne m'ayant pas donné satisfaction, je démissionnai. En prévision de cette éventualité, j'avais mis la dernière main à un rapport sur les probabilités du prolongement du bassin de Carmaux avec plans et coupes à l'appui. Mon intention était d'utiliser plus tard ces documents, et j'étais loin de me douter que la réalisation de mon projet était si proche. »
Le hasard vient en effet décider du destin d'inventeur de Grand : en quête d'une situation, il s'est mis en rapport avec Petitjean, administrateur-délégué des Houillères et Fonderies de l'Aveyron.
Celui-ci lui fait savoir qu'il avait l'intention, avec quelques amis, de faire des recherches dans la région de Réalmont, à 20 kilomètres au sud d'Albi, où se trouvent des affleurements houillers.
Grand lui confie alors ses idées sur le prolongement du bassin de Carmaux.
Petitjean n'hésite pas. Il juge ]e projet de Grand moins aléatoire que le sien et l'adopte.
Une « personne de confiance » est chargée d'acheter la parcelle de terrain que Grand a choisie pour implanter un premier sondage.
En octobre 1881, la Société minière du Tarn est constituée, au capital de 500.000 francs, avec participation des Houillères et Fonderies de l'Aveyron, du Gaz Parisien et du Crédit Lyonnais. Grand est nommé ingénieur-directeur de cette société.
Le sondage dit de Camp Grand est commencé le 4 février 1882, à 741 mètres au sud de la concession de Carmaux.
Il est arrêté en juillet, à 80 mètres de profondeur, à la suite d'accidents.
Un sondage voisin est repris en décembre. Le 31 juillet 1883, la sonde pénètre dans le terrain houiller, à la profondeur de 155 mètres.
Après des bancs de schiste gris blanc et de grès gris, la première couche de houille est rencontrée le 4 septembre 1883, à la profondeur de 185 mètres.
Cette couche, épaisse de 1 m 20, est traversée en présence de Laur, ingénieur en chef des mines.
Le 28 septembre, la Société minière du Tarn introduit à la préfecture une demande de concession.
Le 9 novembre, une seconde couche, baptisée plus tard « Veine Marmottan». est rencontrée. Le «trépan», ou outil de sondage, se coince malheureusement dans la traverse de cette veine, ce qui entraîne un arrêt de onze mois. Le sondage est repris en octobre 1884. Il achève de traverser la veine Marmottan, épaisse de 5 m 85.
Le 9 décembre, à 263 mètres de profondeur, on entre dans une grande couche, épaisse de 16 m 25. A 283 mètres, une dernière couche de 2 mètres est reconnue.
Le sondage est définitivement arrêté le 25 février 1885, à 328 m 60 de profondeur, avec un diamètre final de 0 m 36.
Il avait reconnu au total une épaisseur de charbon de 25 m 35.
A 1.700 métres environ au sud-ouest et au sud-est de Camp Grand, deux autres sondages sont infructueux.
Il en est de même pour deux autres recherches exécutées à plusieurs kilomètres au sud, dans la plaine d'Albi.
Ces cinq explorations montrent que, comme le bassin de Carmaux, celui qu'a découvert Grand n'est qu'un étroit fuseau, enchâssé entre les micaschistes à l'est, les amphibolites à l'ouest.
Mais l'épaisseur découverte à Camp Grand est telle qu'il existe très probablement de 15 à 30 millions de tonnes exploitables.
Aussi le Conseil général des mines, sur le vu du rapport de l'ingénieur en chef Laur, donne-t-il avis favorable à la demande de concession.
La demande en concurrence de la Société des mines de Carmaux est rejetée.
Laur a écrit : « Cette société ne s'est réveillée que lorsque la houille a été découverte à Camp Grand. N'est-on pas fondé à dire que c'est bien tard pour venir disputer à d'autres le fruit de leurs travaux et de leurs dépenses?... Il lui reste au total 236 millions de tonnes (de réserves) ; il y a là de quoi satisfaire les plus grandes exigences.
» Au point de vue de l'intérêt public, la demande de la Compagnie de Carmaux créerait, si elle était admise, une situation dangereuse pour toutes les industries de la région qui sont tributaires de son monopole.
» Ce sera donner satisfaction aux voeux unanimement exprimés, et cette unanimité mérite de fixer l'attention, que d'accorder à la Société minière du Tarn la concession qu'elle sollicite. »
Un décret en date du 12 octobre 1880 institue la concession d'Albi et l'accorde à la Société minière du Tarn, auteur de la découverte. Il est permis de dire qu'en l'occurence le véritable inventeur n'était pas une personne morale, mais bien un homme : Jean-Emile Grand.
Celui-ci est naturellement chargé d'exploiter sa découverte.
Les circonstances sont malheureusement peu favorables. Une crise industrielle bat son plein en 1886. La production houillère est en baisse sensible. A Decazeville, une grève a éclaté, qui a débuté par l'assassinat de l'ingénieur en chef Watrin.
Les membres du conseil de la Société minière du Tarn qui sont intéressés dans la houillère de Decazeville démissionnent. Ils sont remplacés par Marmottan, député, président des Mines de Bruay, et Paul Schneider, président des Mines de Douchy.
Sur le capital social de 500.000 francs, il ne reste que 131.000 francs pour engager les travaux d'exploitation !
Néanmoins, sous l'impulsion de Grand, le nouveau conseil accepte de commencer le creusement d'un puits à Camp Grand et d'entreprendre à sa base des recherches en vue de reconnaître le gisement. D'ici là, pense Grand, la crise sera passée.
Le creusement du puits est retardé par un éboulement, à la profondeur de 125 mètres, qui n'entraîne pas d'accident de personne, mais un retard de deux mois et un supplément de dépenses de 12.000 francs.
Les ressources financières s'épuisent et l'assemblée générale appelle 1.000 francs par action, ce qui porte le capital social à 600.000 francs.
Le foncage est repris. Le 18 juin 1889, la première couche est rencontrée.
Cet événement est fêté par un banquet offert aux ouvriers.
La seconde couche, dite veine Marmottan, est reconnue puissante de 5 m 85 d'un excellent charbon.
La Société minière du Tarn a alors dépensé 602.394 francs! Le président Marmottan prête 50.000 francs pour poursuivre les travaux.
En outre, la crise prenant fin, une souscription publique est ouverte, sous les auspices du Crédit Lyonnais, en vue de constituer une nouvelle société d'exploitation, qui prend le nom de Société des mines d'Albi, au capital de 3 millions de francs, divisé en 6.000 actions de 500 francs. Cette souscription rencontre un plein succès. Les demandes supérieures à l'unité doivent être réduites à 40 %.
Grand est confirmé comme directeur de la mine. On lui adjoint un jeune ingénieur, M. Petitjean.
Il achète une machine d'extraction de 200 CV disponible aux mines de Bruay.
Un puits n° 2 est creusé auprès du puits n° 1 de Camp Grand. Il faut également poursuivre des travaux préparatoires, étudier la construction d'une laverie et d'un chemin de fer.
Les premières ventes au commerce datent de juillet 1891. Le charbon est alors transporté par charrettes chez les particuliers ou jusqu'à la gare d'Albi-Midi.
En 1892, les ventes, favorisées par une grève à Carmaux, atteignent 18.000 tonnes.
Le charbon, riche en matières volatiles, pyriteux, en couche épaisse, est facilement inflammable. Aussi Grand imagine-t-il, en accord avec le Service des mines, une méthode originale d'exploitation par tranches descendantes, allant du «toit» au «mur», qui réduit au minimum le risque d'incendies.
Jusqu'à l'achèvement du chemin de fer de Camp Grand à Albi, l'extraction ne peut se développer.
1895 est la première année d'exploitation vraiment industrielle. La production nette atteint 65.000 tonnes. En 1896, elle dépasse 96.000 tonnes. Le prix moyen de vente est de 13 fr. 72; le bénéfice net réalisé est de 281.404 francs.
Il a fallu à Grand près de quinze années d'effort pour arriver à un tel résultat. Ceci donne la mesure de la ténacité nécessaire pour mener à bien une affaire minière, même lorsque le prospecteur a eu la chance de voir ses intuitions vérifiées !
Une des principales difficultés rencontrées par Grand est le recrutement de la main-d'oeuvre. Il essaie de faire venir.des mineurs expérimentés du Gard et de la Loire. Les ouvriers du cru s'opposent à cette immigration. Les esprits s'échauffent et un coup de fusil est tiré sur l'ingénieur adjoint de Grand. Il faut attendre un an avant de pouvoir embaucher vingt-cinq ouvriers du fond de l'Aveyron et de l'Hérault.
Une solution est trouvée par la mise en service de trains ouvriers entre Albi et la mine.
Des fours à coke, des presses à agglomérer sont installés. En 1900, Grand commence le fonçage d'un troisième puits, beaucoup plus large que les deux premiers (5 mètres de diamètre utile contre 3 m 10).
Terminé en 1903, il entre en service en 1905. A partir de ce moment, la production s'accroît rapidement. L'extraction journalière dépasse 1.000 tonnes en 1913.
En 1904, Grand, âgé de soixante ans, avait quitté la direction de la mine pour prendre le poste d'administrateur-délégué.
Nommé vice-président du conseil en 1916, il oriente jusqu'à sa dernière heure les travaux de la mine qu'il avait créée.
Son flair exceptionnel est reconnu de tous. Les ouvriers d'Albi disent : « M. Grand sent le charbon ! »
Après sa mort, on trouvera des réserves exploitables aux emplacements indiqués par lui.
Sur sa tombe, le pasteur a pu à juste titre prendre comme sujet de méditation ce verset de Samuel : « Un chef est tombé aujourd'hui. »