Extrait du LIVRE DU CENTENAIRE DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE, tome III page 151
BERTRAND DE BOUCHEPORN (René-Charles-Félix), de la promotion de 1831 de Polytechnique, est né à Paris, le 5 novembre 1811, et mort le 22 novembre 1857. On lui doit deux Cartes géologiques du Tarn et de la Corrèze, éditées en 1848 avec textes explicatifs; il a publié divers ouvrages sur la géogénie de la Terre et la mécanique du monde qui se rattachent plus à la philosophie qu'aux sciences.
Extrait du LIVRE DU CENTENAIRE DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE, tome III pages 477 et suiv.
L'esprit de DE BOUCHEPORN était naturellement entraîné vers les plus hautes spéculations philosophiques et sa forte éducation scientifique le préparait bien à faire tenir, en quelque sorte, comme ont fait les plus grands penseurs, la Philosophie dans la Science et la Science dans la Philosophie.
C'est par le côté le plus vaste et le plus général qu'il aborda les grandes questions qui s'imposaient à sa curiosité ; il exposa ses idées sous le titre : Du principe général de la Philosophie naturelle (1853). Cet Ouvrage important est un exposé dogmatique des causes et des lois de la gravitation universelle, des lois de l'Astronomie, des lois de la Physique et de celles de la combinaison des atomes. Dans l'exposition de ces lois, Boucheporn rattache tous les phénomènes à l'hypothèse d'un fluide universellement répandu dans l'espace, qui avait été connue déjà par la philosophie des Grecs, puis renouvelée par Descartes, lequel eut le premier la pensée d'attribuer aux vibrations d'un semblable fluide le phénomène de la lumière.
L'idée d'un fluide universel s'est aujourd'hui graduellement substituée à celle du vide total et parfait qui avait été imaginé par Newton dans ses Principes mathématiques de la Philosophie naturelle.
L'originalité de la tentative de Boucheporn est d'avoir cherché à analyser tous les phénomènes naturels sans attribuer à la matière aucune qualité étrangère à ses deux propriétés essentielles : l'impénétrabilité et l'inertie. Il a cru trouver dans le mouvement même des corps, dans le fluide universel, cette cause unique qui détermine tous les phénomènes. Acceptant comme un fait indubitable que tous les corps soumis à la gravitation universelle sont à l'état de mouvement dans l'espace, il n'a plus vu de raison pour séparer le principe de l'attraction du fait réel d'un transport de tous les astres à travers le fluide éthéré qui remplit l'univers.
Il s'est posé dès lors ces questions : Le mouvement des corps dans l'éther résistant, mais dont la résistance combinerait ses effets avec ceux d'une excessive mobilité, de manière à ramener sans cesse le fluide, de tous les points de l'espace, vers le vide formé par le déplacement de ces corps, ne serait-il point cette cause réelle et efficace des lois de la gravitation universelle? Le mouvement des corps célestes ne pouvait-il se lier à la production de la lumière ? L'électricité et le magnétisme ne devaient-ils pas aussi trouver leur explication dans des phénomènes de mouvement ?
On ne saurait guère imaginer une généralisation plus hardie; Boucheporn, en traitant ces difficiles questions, s'est heurté à de grandes difficultés; il en a laissé beaucoup d'irrésolues, il en a résolu quelques-unes avec habileté; il y a, en tous cas, dans sa tentative, quelque chose de prophétique, car on ne peut nier que les phénomènes de la Physique tendent de plus en plus à se grouper autour de l'hypothèse de l'éther et que la Science moderne, en établissant les lois des vibrations lumineuses, calorifiques, électriques, magnétiques s'éloigne de plus en plus de l'hypothèse du vide newtonien.
Dans ses Etudes sur l'histoire de la Terre et sur les causes des révolutions de sa surface, publiées en 1861, Boucheporn se trouve sur un terrain plus solide ; il sort des espaces infinis et se fixe sur notre planète. Il n'échappe pas, cependant, à la nécessité de faire des hypothèses, et il en présente une des plus osées pour expliquer le double ordre de phénomènes qui domine la Géologie : d'une part, un renouvellement périodique des espèces animales et végétales, suivi de leur état stationnaire en apparence au moins pendant d'immenses durées; de l'autre, de vastes mouvements de la surface terrestre, synchroniques des perturbations dans le monde organique, puisqu'ils affectent des formations géologiques entières. Boucheporn n'accepte pas la théorie dite des causes actuelles, qui attribue tous les changements de la surface terrestre à l'action continue des causes que nous voyons encore en action sous nos yeux: son ouvrage est antérieur à celui de l'illustre auteur de l'Origine des espèces, ouvrage qui est une sorte d'extension à la vie organique de la théorie des causes actuelles. L'hypothèse de Boucheporn ne se rattache ni au transformisme graduel de la Terre, considérée simplement au point de vue inorganique, ni au transformisme vital, qui fait sortir les espèces les unes des autres par une évolution lente et fatale. Il a cherché une cause externe à la Terre pour expliquer les changements qui s'y sont produits ; il a cru la trouver dans le choc des comètes et dans les variations que ce choc aurait produites dans la forme de l'enveloppe terrestre, dans la rotation de la Terre, dans les relations climatériques de ses diverses parties. Son Ouvrage, ou les conjectures se mêlent à des faits très bien observés, prendra sa place parmi les tentatives les plus hardies de la Cosmogonie.
LAUGEL.