Baron Jean-Baptiste-Julien d'OMALIUS d'HALLOY (1783-1875)

Jean-Baptiste-Julien d'OMALIUS d'HALLOY fut le premier réalisateur d'une carte géologique de France. Il présida l'Académie royale de Belgique, la Société géologique de France (1852), fut correspondant de l'Académie des sciences de France (1842). Il eut des responsabilités administratives importantes : maire de Skenvre en 1807, de Braibant en 1811, secrétaire général de la province de Liège en 1815, gouverneur de la province de Namur de 1815 à 1830, conseiller d'Etat de 1827 à 1830, sénateur en 1848 et premier vice-président du Sénat de Belgique de 1851 à 1870. Il édita un Code administratif (1827), Notions de statistique (1840), Des races humaines (1859).

Il eut 2 filles. Sa fille Sophie épousa le 27/2/1838 le baron Michel Edmond de SELYS LONGCHAMPS, président du Sénat de Belgique, entomologiste renommé, président de la Société royale des Sciences de Liège.


Publié dans Bulletin de la Société Géologique de France, 1878 :

Notice nécrologique sur Jean-Baptiste-Julien d'Omalius d'Halloy,
par M. J. Gosselet.

Le géologue éminent dont j'ai à retracer la vie et les travaux eut l'honneur, bien que belge, de présider la Société géologique de France pendant l'année 1852. Ce fait exceptionnel d'une Société allant chercher son président dans un pays étranger était suffisamment motivé par les services que d'Omalius d'Halloy avait rendus à la Géologie française.

Dès 1810, alors que l'empire français s'étendait du Weser aux Pyrénées, de la Manche au Garigliano, d'Omalius d'Halloy était chargé, sous la direction de Coquebert de Montbret, de dresser la carte minéralogique de ce vaste territoire. Comment avait-il mérité d'être désigné pour cette importante mission? Comment s'en acquitta-t-il ? C'est ce que je vais essayer de rappeler, en prenant comme guide la notice que notre confrère M. Dupont, Directeur du Musée d'Histoire naturelle de Bruxelles, a consacrée à son illustre maître. Il nous a montré d'Omalius sous un jour tout nouveau : à nous qui avions connu le savant aimable, le théoricien érudit et sensé, le divulgateur populaire, M. Dupont nous révèle un d'Omalius d'un autre âge, géologue pratique, explorateur infatigable, observateur profond, ce que nous pouvons appeler un géologue d'action. Est-il étonnant que nous ayons perdu de vue ce savant, qui dès 1814 avait laissé le marteau pour se dévouer à l'administration de son pays?

Jean-Baptiste-Julien d'Omalius d'Halloy (Halloy, hameau voisin de Ciney, où la famille d'Omalius possédait un château) naquit à Liège le 16 février 1783, d'une famille noble. En 1801 ses parents l'envoyèrent à Paris pour terminer son éducation d'homme du monde et pour apprendre le beau langage dans les cours littéraires, les théâtres et les salons où se formait alors le goût de l'Europe entière. Quel attrait pour un jeune homme de 18 ans! Mais d'Omalius pensait à tout autre chose. Sa première visite est pour le Muséum. A ses parents qui lui demandent quelle société il fréquente, il répond qu'il va au cours de Fourcroy. A sa mère qui lui reproche de ne pas lui parler de la Comédie française, il écrit : « Cuvier, le célèbre Cuvier, nom que les amants des sciences ne peuvent entendre sans émotion, vient de commencer son cours! » Après trois ans d'une correspondance de ce genre, les parents sont vaincus et sa mère lui écrit : « Au reste, mon ami, apprends ce que tu veux et comme cela t'amuse. »

Déjà la vocation du jeune d'Omalius pour la Géologie s'était déclarée. Sous prétexte de visites à des membres de sa famille, il avait parcouru l'Ardenne et la Lorraine, en notant soigneusement toutes ses observations sur les terrains qu'il traversait. Une fois l'opposition de ses parents vaincue, il renonce à la diligence, qu'il avait déjà manquée plusieurs fois avec plaisir; désormais, quand il vient à Paris, c'est à pied, le marteau à la main ; quand il retourne chez lui, c'est par une autre route, fût-elle un peu plus longue : ainsi, pour aller de Paris à Namur, il passe par Rouen.

En 1806 et 1807 il parcourt en tous sens la Belgique, l'Eifel, le Hundsrück, les Vosges.

En 1808, à l'âge de 20 ans, il publie dans le Journal des Mines un Essai sur la Géologie du Nord de la France. Il y passe en revue toutes les contrées qu'il a explorées, en signale les principales masses minérales et en trace nettement l'âge relatif. C'est un progrès immense sur les descriptions purement minéralogiques de Monnet. D'Omalius fait de la stratigraphie. Le premier sur le continent, il reconnaît que le calcaire jurassique, qu'il nommait alors ancien calcaire horizontal, est antérieur à la craie, et cette distinction, il la fonde non-seulement sur la position stratigraphiquc, mais aussi sur la différence des fossiles.

Dans ce mémoire de 1808, d'Omalius s'est attaché surtout à signaler et à caractériser les régions naturelles. Il comprenait que la Géologie est la base de la Géographie, et il posa alors des lois qui de nos jours sont encore à découvrir par bien des géographes. Le premier, il dit que les rivières peuvent couler dans un sens opposé à la pente générale du sol ; qu'une chaîne de montagnes est caractérisée moins par une série de hauteurs en apparence continues, que par la nature et la direction de ses couches. C'est que d'Omalius faisait de la géographie sur la nature et non dans son cabinet.

Les éloges que lui valut son Essai le décidèrent à entreprendre l'exploration de tout l'empire.

En 1809, il part à pied d'Halloy, « traverse l'Ardenne jusqu'à Bouillon, puis s'engageant en Lorraine, il observe les oolithes de Brillon et de Savonnières et détermine leur position géologique entre le calcaire grossier (lias) qui repose sur le terrain ardoisier, et la craie. A Dijon, il retrouve le même calcaire grossier : il en conclut que le bassin dont les bords sont formés par cet ancien « calcaire horizontal » s est recourbé depuis les Vosges vers le Morvan, de même qu'il se recourbe entre l'Ardenne et les Vosges.

« Descendant la Saône jusqu'à Lyon, il observe sur la rive gauche les plaines de la Bresse, et sur la rive droite les montagnes granitiques du Tarare bordées par le « calcaire à Gryphées ». Il gravit alors le Jura, en observe de nouveau les calcaires et la structure et arrive à Genève.

» L'étude du Salève se fait sous la direction du professeur Jurine. Il remonte l'Arve et visite Chamounix... La Tarentaise fait l'objet de longues observations à cause du travail de Brochant de Villiers, qu'il appréciait beaucoup.

Passant enfin les Alpes au Petit-Saint-Bernard, il descend la vallée d'Aoste et arrive à la colline de la Superga. Il s'étonne d'y trouver des fossiles dont les formes rappellent des espèces modernes, « Ce terrain, dit-il, me paraîtrait dans nos contrées un fait bien singulier et tout à fait contraire à ce que j'ai observé jusqu'à présent. »

» Il traverse la plaine de Piémont jusqu'à Coni et les Alpes Maritimes au col de Tende. On n'avait encore rien publié sur cette région. Il y retrouve les terrains de la Tarentaise, fortement inclinés, composés de roches talqueuses, de schistes, de quartette et surtout de « calcaire bituminifère ». Du calcaire blanchâtre moins incliné qu'il raccorde à celui du Jura, surmonte ces terrains et se continue jusqu'à Nice et Antibes.

» L'explorateur entre alors dans les montagnes de l'Estérel. Il les reconnaît formées de porphyre, de granite, de micaschistes sur lesquels repose du « grès rouge des Vosges ». Il retrouve bientôt son calcaire du Jura qu'il suit de Toulon à Marseille. Il observe les couches d'Aix si connues par leurs fossiles, puis remonte le Rhône jusqu'à Orange.

» La région calcaire qui borde les Cévennes est de même rapportée au calcaire du Jura. Près de Béziers, il découvre le terrain volcanique. Il détermine l'existence du terrain de transition dans les montagnes méridionales des Cévennes.

» Après avoir visité Toulouse, il gravit les Pyrénées. Il en regarde le calcaire arqué des contreforts comme de même âge que celui du Jura, les couches carbonifères et siluriennes de Bagnères comme son terrain bituminifère, et observe sur le sommet le granite et les ophites.

» Il recoupe le bassin de Bordeaux dont les calcaires tendres et les dépôts sablonneux le portent à les rattacher aux terrains postérieurs à la Craie. Il observe celle-ci avec ses silex pyromaques dans la Saintonge, puis le calcaire de la Bourgogne avant d'entrer dans le Poitou. Là se présentent avec un sol plus élevé des schistes luisants et le granite, et bientôt des calcaires bituminifères auxquels succèdent les ardoises d'Angers, qu'il assimile naturellement aux ardoises de l'Ardenne.

» Il atteint enfin l'ancien calcaire horizontal et la craie marneuse du bassin de Paris et en suit les couches jusqu'à Alençon. De là, recoupant les dépôts du même bassin, il revient à Halloy par Saint-Quentin.

» C'est un voyage de près de 700 lieues. » (Notice sur la vie et les travaux de J.B.J. d'Omalius d'Halloy par Dupont)

A peine d'Omalius était-il de retour chez lui et occupé à rédiger ses notes, qu'un décret le nommait sous-lieutenant (1810). C'était l'anéantissement de tous ses projets d'étude. Aussi accourut-il à Paris implorer la protection des savants. Coquebert de Montbret, Directeur du bureau de Statistique, qui avait déjà pu apprécier le jeune géologue, le fit charger de lever la carte minéralogique de l'Empire. D'Omalius se mit immédiatement à l'œuvre.

En 1810 il explora le pays de Bray et la Champagne; en 1811, la Beauce, la Touraine, l'Orléanais, le Nivernais, le Berry, l'Auvergne, le Poitou, le Périgord, la Gascogne, le Languedoc, le Bourbonnais, le Lyonnais, le Jura, la Franche-Comté et la Lorraine. Il avait fait 4 219 kilomètres en 4 mois et demi de voyage.

En 1812, il part de Ciney, toujours à pied ; 20 jours plus tard, il est à Milan, après avoir traversé l'Ardenne, la Lorraine, les Vosges, la Forêt-Noire, la Suisse, et franchi le Saint-Gothard. Il explore l'Italie, puis revient à Halloy par la Croatie, l'Illyrie, la Carniole, le Tyrol, la Bavière, le Wurtemberg, le Grand-Duché de Bade et le Luxembourg. C'est un voyage de 1 100 lieues fait en 5 mois.

Dès lors sa grande œuvre est presque terminée : il a parcouru l'empire dans tous les sens, visité les pays voisins pour y puiser des termes de comparaison ; il n'a plus qu'à rédiger.

Il avait déjà publié plusieurs notes sur des observations locales recueillies pendant ses voyages : sur la roche porphyrique de Deville dans les Ardennes, sur la route du col de Tende, sur les calcaires d'eau douce du Plateau central, sur ceux des départements de Rome et de l'Ombrone et du royaume de Wurtemberg. Toujours son esprit judicieux avait su tirer de ces faits particuliers des déductions touchant aux questions fondamentales de la science. Ainsi, ayant remarqué que les divers lambeaux de calcaire d'eau douce des vallées de la Loire et de l'Allier sont en couches horizontales, mais à des niveaux différents, il en avait conclu qu'ils se sont formés dans une série de lacs étagés qui communiquaient avec les lacs tertiaires des environs de Paris.

Le 16 août 1813, d'Omalius lut à l'Institut un premier mémoire destiné à servir d'explication à la carte géologique qu'il méditait. Dans ce mémoire, il expose la structure générale du bassin de Paris, tel que nous le comprenons actuellement, améliore la classification des terrains tertiaires proposée par Brongniart, établit dans le terrain crétacé les divisions que nous avons conservées, signale la petite île jurassique du pays de Bray, enfin, explique la stratification transgressive des couches tertiaires sur le terrain crétacé.

Voici comment un des maîtres de la Science apprécie ce mémoire :

« ... M. d'Omalius a apporté deux modifications fort importantes aux vues de Cuvier et de Brongniart : 1° en démontrant que leur calcaire siliceux était superposé au calcaire grossier et non placé bout à bout comme ils le disaient ; 2° en prouvant que les grès coquilliers et non coquilliers supérieurs ne formaient qu'un seul dépôt marin. En outre, il a beaucoup étendu les horizons déjà tracés, et il a saisi avec une rare justesse de coup d'œil cette disposition générale si remarquable des dépôts tertiaires du Nord de la France, que personne n'avait comprise auparavant, et qui ne pouvait l'être qu'en procédant, comme l'a fait M. d'Omalius, des bords ou des limites extérieures du bassin vers son centre. » (d'Archiac)

Il restait une lacune dans les études de d'Omalius : il n'avait pas encore visité la Bretagne. Il y consacra l'été de 1813 et revint chez lui en passant par la Normandie, le Boulonnais et Lille. Le résultat immédiat de ce voyage fut une note où il fit ressortir l'analogie des terrains primaires de la Bretagne avec ceux de l'Ardenne, et des roches granitiques du même pays avec celles du Plateau central.

La même année la carte géologique était terminée et remise au Conseil des Mines.

Mais alors le canon grondait de toutes parts, la France épuisée voyait son sol foulé par l'ennemi, et lorsque la paix permit aux esprits de se remettre à l'étude, d'Omalius d'Halloy avait cessé d'être français.

Sur l'ordre formel de son père, il entra dans l'administration et peu après fut nommé gouverneur de la province de Namur. Au milieu des honneurs, il dut bien des fois regretter ses amis de France, ses longs voyages à pied, ses succès à l'Institut. Mais d'Omalius était l'homme du devoir ; il avait accepté des fonctions, et quoi qu'il pût lui en coûter, il s'y donna tout entier.

Un instant on put espérer qu'il allait revenir à ses chères études. Coquebert de Montbret lui avait écrit : « Depuis que nous nous sommes occupés, vous et moi, de la carte minéralogique de France, personne n'a publié de travail semblable sur ce royaume, tandis que les Anglais ont mis au jour les cartes de Smith, Greenough et plusieurs autres du même genre. Plusieurs personnes se sont plaintes que notre travail n'eût pas d'autre publicité que d'avoir été déposé à l'École des Mines et dans le cabinet de M. Brongniart. J'ai pris sur moi ce printemps de le mettre sous les yeux de l'Institut. Il y aurait deux partis à prendre relativement à cet ouvrage : en remettre le manuscrit à l'Institut qui, d'après une délibération qu'il a prise, en ferait faire des copies également manuscrites, ou bien en faire porter les teintes plates, qui caractérisent les différentes natures de terrain, sur des cartes qu'on autoriserait un marchand à fournir au public. »

D'Omalius avait sur la carte des vues différentes de celles de Coquebert. Celui-ci voulait faire une carte minéralogique et agronomique, tandis que d'Omalius désirait qu'elle fût géologique et stratigraphique. Il se rendit donc à Paris et décida Coquebert à publier de suite une carte géologique à petite échelle, laissant les détails pour une grande carte qui, elle, pourrait être agronomique.

La petite carte géologique fut donc publiée dans les Annales des Mines en 1822 et accompagnée d'un mémoire explicatif, qui n'était autre chose qu'un véritable traité de Géologie.

En 1828, d'Omalius donna une nouvelle édition de la carte, en y ajoutant le Sud de l'Angleterre pour montrer les relations du bassin de Londres avec celui de Paris, et trois coupes géologiques, l'une de Bruxelles à Spire, la seconde de Paris à Colmar, la troisième d'Hirson en Auvergne.

Si on veut juger des services que rendit la carte de d'Omalius, il faut se rappeler que jusqu'en 1841 il n'y en eût point d'autre pour la France, et que ce fût seulement en 1831 que M. Boué fit paraître une carte géologique comprenant la partie occidentale de l'Europe.

La carte de 1828 fit partie d'un volume où d'Omalius réunit les différents mémoires qu'il avait publiés. Il leur faisait subir des modifications qui toutes n'étaient pas également heureuses, car, ne pouvant plus faire d'explorations géologiques, il avait dû adopter, sans les contrôler, les observations des autres.

La Révolution des Pays-Bas, en 1830, rendit d'Omalius à la Géologie; mais un changement complet s'était fait dans son esprit. Laissant les détails de côté, il ne s'occupe plus que des théories géologiques, de la philosophie de la science, de la définition des termes. En même temps, il s'efface avec une modestie que l'on peut qualifier d'exagérée; il paraît oublier ce qu'il a fait, à tel point qu'il le fait oublier aux autres. Il interroge comme s'il était encore sur les bancs, et dans le fait, pendant ses séjours à Paris, il suit assidûment les cours, comme il le faisait en 1801. Il devient, en un mot, le d'Omalius que nous avons connu.

Lors de la fondation de notre Société, il s'inscrit un des premiers sur la liste.

En 1831, l'année même de l'inauguration de la Société, il lui communique un mémoire sur la Structure de l'écorce solide du globe. Il fait remarquer que l'écorce terrestre n'est pas une masse cohérente, mais qu'elle se compose de parties séparées par des joints; il divise ceux-ci en joints de texture, joints de stratification, joints d'injection, fissures et failles. Les trois premières espèces de joints donnent aux matières qui composent l'écorce du globe des formes massives, fragmentaires, cristallines et organiques. Laissant ces deux dernières divisions de côté, il subdivise les formes massives en couches, bancs, lits, dykes, filons,veines, coulées, amas, etc. ; les formes fragmentaires, en blocs, rognons, nids, cailloux, noyaux, fragments anguleux, grains. Il définit ces divers termes. Cette communication n'était qu'un chapitre de ses Éléments de Géologie publiés la même année.

Quelques mois après, il en lit un second chapitre, celui qui contenait la classification des terrains.

Il n'y aurait certainement pas aujourd'hui un géologue disposée accepter cette classification, basée sur des caractères tirés à la fois du mode et de l'époque de la formation. Si du reste on veut se faire une idée de la marche de la science, il suffit de comparer les classifications admises successivement par d'Omalius depuis son Essai sur la Géologie du Nord de la France jusqu'à la 8e édition de ses Éléments de Géologie.

En 1808, il reconnaît dans le Nord de la France deux grands groupes de terrains : les terrains en couches inclinées et les terrains en couches horizontales ; les premiers comprennent le terrain trappéen, le terrain ardoisier et les schistes rouges, tous trois privés de fossiles, et de plus le terrain bituminifère, qui contient des corps organisés ; les seconds sont divisés en grès rouge, calcaire grossier ancien (jurassique), craie, calcaire grossier récent, grès blanc (sables de Bruxelles et grès landénien) et terrain meuble.

En 1822, les grands groupes stratigraphiques sont portés au nombre de six : terrains primordiaux, subdivisés en terrain primitif et terrain de transition ; terrains pénéens (grès rouge) ; terrains ammonéens (zechstein, trias, jurassique) ; terrains crétacés ; terrains mastozoïques et terrains pyroïdes (roches volcaniques).

On voit quel grand pas avait fait la classification géologique ; mais aussi William Smith avait publié ses admirables travaux sur la géologie de l'Angleterre.

En 1831, une partie des terrains primordiaux, le granite et les porphyres, sont réunis aux terrains pyroïdes sous le nom général de terrains plutoniens, et mis hors série. Le grand ensemble des terrains neptuniens est divisé en : terrains hémylisiens, subdivisés eux-mêmes en talqueux, ardoisier, anthraxifère, houiller; terrains ammonéens, subdivisés en penéen, keuprique, liasique, jurassique, crétacé; terrains tériaires, subdivisés, d'après leur formation, en tritonien, nymphéen, diluvien ; terrains modernes. A part les terrains tériaires, c'est la classification actuelle.

En 1853, d'Omalius admet comme grande division le terrain quaternaire et change le nom de tériaire en celui de tertiaire, qui correspond à ceux de secondaire substitué à ammonéen, et de primaire remplaçant hémylisien. Les terrains tertiaires sont désignés sous les noms proposés par Lyell, de pliocène, miocène, éocène.

Pour le terrain pénéen, nous voyons d'Omalius, dans cette circonstance comme dans beaucoup d'autres, se plier aux idées régnantes. « Ce groupe, dit-il, a figuré dans mes publications de 1808 sous le nom de formation du grès rouge ; plus tard je me suis conformé à l'usage qui s'était introduit de le diviser en deux, sous les noms de terrain keuprique ou triasique et de terrain pénéen ou permien; mais je ne me prêtais qu'à regret à cette séparation parce qu'il me paraissait que ces groupes, pris isolément, ne méritaient pas d'être placés sur le même rang que les terrains jurassique et crétacé. Aussi, lorsque M. Marcou a publié, dans la Bibliothèque universelle de Genève de 1859, des considérations qui font ressortir les rapports du terrain pénéen avec le terrain triasique et qui tendent à le retirer des terrains primaires, j'ai cru pouvoir revenir à ma première classification.....

» ... En conséquence, il s'agissait de savoir quel nom je donnerais à cette association, celui de grès rouge n'étant plus admissible dans l'état actuel de la science, ni conforme aux règles de nomenclature que je suis maintenant, et il m'a paru que je pouvais prendre celui de pennien, que les auteurs de la Géologia of Russia ont substitué à celui du pénéen que j'avais proposé en 1822. »

Ce fut sa seule protestation contre le procédé peu délicat de Murchison, créant le nom de permien dans un moment où il avait oublié, dit-il, le terme de pénéen admis alors par tous les géologues, et conservant ensuite la première de ces dénominations pour se conformer à l'usage.

D'Omalius venait souvent à la Société géologique. Il écoutait attentivement toutes les communications, surtout celles des jeunes gens; il applaudissait à leurs découvertes; s'il avait à présenter quelques critiques, c'était toujours avec la plus extrême bienveillance.

Lorsqu'un géologue connu exprimait une opinion contraire à la sienne, il n'hésitait pas à relever le gant, tout en s'excusant « de sa témérité à émettre une opinion différente de celle d'un géologue si éminent. Mais, ajoutait-il, comme ce sont les discussions de ce genre qui contribuent à fixer la science, j'espère que la Société ne trouvera pas mauvais que je lui soumette ma façon de penser sur cette question ».

Il était convaincu que rien n'est plus utile pour les savants que d'échanger contradictoirement leurs idées, et cette conviction lui faisait rechercher la discussion avec une véritable passion.

Un jour, dans un de ses entretiens avec Constant Prévost, la conversation roulait sur la théorie des causes actuelles. Constant Prévost la soutenait avec toute l'ardeur d'un apôtre; d'Omalius faisait sans cesse des objections. Enfin, Constant Prévost poussé à bout se fâche, et d'Omalius, avec ce rire devenu légendaire, lui dit : « Je suis de votre avis, mais je voulais connaître vos raisons. »

Si dans une de nos séances les communications étaient peu nombreuses, il introduisait quelque question grosse d'orages, comme celle du grès de Luxembourg, ou il interpellait un de nos maîtres pour lui faire développer quelque idée nouvelle.

Plusieurs fois il pria M. Barrande d'exposer l'état de la science au sujet de la faune primordiale. Il aurait voulu voir cette faune s'enrichir sous le rapport zoologique; elle devait, selon lui, renfermer des vertébrés. Il pensait que les grands types d'organisation avaient dû exister dès les premiers temps de la création.

Il était d'ailleurs partisan du transformisme. En 1846 il fit à la Société une communication où il développa toutes les raisons qui militent en faveur de cette théorie; il eut alors pour adversaires Agassiz, qui défendait la théorie des créations réitérées et successives, et Michelin, qui soutenait les idées de de Blainville sur la translation.

En Géologie, une des théories que d'Omalius développa le plus souvent, est celle de l'éjaculation des matières meubles : argile, sable et même galets. Il l'appliquait à l'argile plastique, à l'argile à silex, aux sables et aux minerais de fer qui remplissent des poches à la surface des terrains primaires du Condros. Cette hypothèse, qui rencontra d'abord une vive opposition, compte aujourd'hui beaucoup d'adhérents; mais l'origine éruptive des cailloux roulés et des poudingues trouverait encore beaucoup d'incrédules. Les idées de d'Omalius sur ce sujet demandent donc à être expliquées.

Il supposait que des sources analogues aux Geysers pouvaient déposer de la silice en abondance, et qu'avant leur consolidation complète, des fragments de cette silice encore pâteux ont pu être roulés et arrondis par un faible transport. Il citait comme preuve des boules d'argile encore molles qu'il avait vues se former sur la pente d'une colline argileuse des environs de Renais, par l'effet d'une pluie d'orage. Il appliquait cette théorie au poudingue de Burnot, à celui qui couronne les collines de Cassel et à d'autres encore.

Quant aux dépôts bréchiformes composés de cailloux anguleux, il les expliquait par le fendillement de roches, soit au moment de leur dessèchement, soit plus tard sous l'influence des phénomènes météorologiques ; ces fragments auraient été cimentés à nouveau par une matière injectée. C'est l'explication qu'il donnait en particulier pour la brèche de Berlaimont.

On le voit, d'Omalius n'était pas neptunien ; il avait fait ses premiers travaux à une époque où l'école de Werner était tombée dans le discrédit, et où l'étude de l'Auvergne par Guettard, Desmarest, d'Aubuisson, avait convaincu les plus incrédules de l'importance géogénique des phénomènes éruptifs. D'Omalius s'était inspiré de ces idées, et pendant tout le cours de sa vie il fut un défenseur infatigable de la chaleur centrale.

Du reste il ne tenait pas aux hypothèses, qu'il nommait le roman de la science. Dès qu'une théorie nouvelle se présentait avec un certain degré de probabilité, il s'empressait de l'accepter. C'est ainsi qu'il adopta la théorie des cratères de soulèvement, sans toutefois rompre de lances en sa faveur. Il fut plus ardent pour celle des soulèvements appliquée à la structure et à l'âge des montagnes. Il avait suivi en 1831 le cours d'Élie de Beaumont et avait été séduit par ce langage si clair, par cette théorie qui se présentait d'une manière si scientifique et qui faisait dire à Arago que la Géologie était enfin entrée dans une voie positive.

Mais si d'Omalius adopta la théorie, s'il en fit une première application au relief du Hundsrück, application dans laquelle il eut comme adversaire Élie de Beaumont lui-même, puis une seconde aux dernières révolutions qui ont agi sur le sol de la Belgique, il combattit à l'occasion les exagérations de quelques partisans de la nouvelle doctrine. C'est ainsi qu'il soutint contre Rozet que les granites et les amphibolites des Vosges ne pouvaient avoir soulevé cette chaîne à son niveau actuel. Il voyait dans le relief des Vosges et de la Forêt-Noire le résultat d'un mouvement de bascule qui s'était fait sentir jusque dans le bassin de Paris et en Bavière, et d'une grande fracture qui avait effondré la vallée du Rhin. Il expliquait volontiers l'origine des vallées par des fractures et des dislocations.

Il adopta aussi dès son apparition la théorie des glaciers. Il eut en outre l'idée d'expliquer le transport de certains blocs par des glaces de fond produites dans des fleuves à l'époque quaternaire. Il renouvela cette hypothèse au Congrès des sciences préhistoriques de Bruxelles, à propos d'un bloc de grès enseveli dans le limon.

D'Omalius était opposé à la théorie des causes actuelles; il l'acceptait en principe, mais la repoussait dans ses conséquences. « Une doctrine, disait-il, qui expliquerait toute l'histoire de notre globe par l'action des phénomènes qui se passent actuellement doit mériter la préférence sur celles qui recourent à des hypothèses qui font intervenir des phénomènes plus énergiques. Personne ne peut élever de doutes à ce sujet, de sorte que la question est de savoir si la doctrine dite des causes actuelles ne forme point d'hypothèses, et si elle explique tous les faits constatés par l'observation. Je demanderai, en conséquence, si ce n'est point faire des hypothèses que de dire qu'il se forme, sous les eaux limpides de nos mers actuelles, des dépôts aussi puissants que ceux que nous présente la série des anciens terrains neptuniens ; que les corps organisés qui sont enveloppés dans ces dépôts s'y transforment en fossiles semblables à ceux que nous trouvons dans les terrains anciens;.... » D'Omalius combattait ainsi successivement les conclusions les plus logiques de la doctrine des causes actuelles, celles mêmes qui sont maintenant, admises par tous les géologues.

A plusieurs reprises il déclara qu'avant l'époque quaternaire il n'y a pas eu de volcans à cratères. Il soutint contre Élie de Beaumont, que les cordons littoraux ne pouvaient se produire sur nos côtes qu'en prenant comme base d'anciennes barres diluviennes.

Ce qui lui inspirait de l'éloignement au sujet de la théorie des causes actuelles, c'était l'exagération de la doctrine par l'école de Lyell, la substitution des hypothèses basées sur un changement d'axe de la terre à celles qui reposent sur la chaleur centrale, l'idée de ravinements considérables à la surface des continents; c'était surtout la tyrannie que les partisans des causes actuelles prétendaient exercer sur les esprits au nom de la logique. D'Omalius protestait en faveur de l'inconnu. Et cependant il n'aimait pas les hypothèses gratuites. « Il faut faire des hypothèses pour expliquer les faits, disait-il, mais il faut en être sobre. » Il se refusait à attribuer l'extension des glaciers quaternaires à un refroidissement du Soleil, parce que, bien qu'il n'y eût dans cette idée rien d'impossible, la diminution de la chaleur centrale lui paraissait une cause suffisante.

Plus tard il parut revenir à des sentiments moins opposés aux causes actuelles. Il se contenta de blâmer l'exagération de ceux qui croient que « les phénomènes que nous voyons agir sous nos yeux n'ont jamais pu avoir plus d'énergie et produire des effets plus étendus que ceux qu'ils produisent maintenant; c'est comme si quelqu'un qui n'aurait jamais vu les effets d'une température au-dessous de zéro contestait que le refroidissement peut transformer de l'eau en glace ».

Réduite à ces termes, l'opposition de d'Omalius à la théorie des causes actuelles ralliera beaucoup de partisans ; mais ce n'est plus une opposition : c'est une adhésion véritable, adhésion de principe,au moins, aux idées défendues avec tant de vaillance par mon vénéré maître Constant Prévost. Jamais cet illustre géologue, dont la vie se consuma à défendre les causes actuelles, ne prétendit que les phénomènes géologiques ont toujours eu l'intensité et les effets que nous constatons aujourd'hui. Il se bornait à affirmer que les causes étaient restées les mêmes, que les lois de la nature n'étaient pas changées ; mais il reconnaissait volontiers que les circonstances ayant été différentes, les résultats avaient pu être différents. C'est là, à proprement parler, la doctrine des causes actuelles. Quant aux idées développées avec tant d'éclat et de succès par Lyell et son école, elles mériteraient plutôt d'être qualifiées du nom de théorie des effets actuels.

D'Omalius avait pu remarquer dans les nombreuses discussions qu'il avait soutenues, combien il est important de fixer la signification des termes géologiques. Cette pensée avait en partie inspiré ses premiers travaux didactiques. Il y revint plus tard et lut en 1864 à notre Société une note sur quelques additions ou modifications que l'on pourrait introduire dans le Dictionnaire de l'Académie française en ce qui concerne la Géologie.

Dans sa jeunesse, il avait accueilli avec ardeur les idées de Coquebert de Montbret, qui voulait faire de la Géologie la base de la Géographie et de la Statistique. Il crut pouvoir diviser les pays en régions naturelles caractérisées par leur constitution géognostique ; mais il reconnut bien vite que ces divisions géographiques naturelles n'étaient pas toujours en rapport avec les divisions politiques. Il chercha néanmoins à concilier ces deux ordres de considérations dans les notions de géographie qui accompagnent plusieurs éditions de ses Éléments de Géologie, et dans la notice qu'il lut en 1861 à la Société sur les divisions géographiques de la région comprise entre le Rhin et les Pyrénées.

Il cherchait dans l'Ethnographie la solution des difficultés que la Géographie lui avait présentées. Comme résultat de ses études, il publia jusqu'à cinq éditions d'un petit traité des races humaines. Il fit en outre plusieurs communications à la Société d'Anthropologie; dans l'une d'elles il combattait l'origine asiatique de la race indo-germanique.

Il avait été un des premiers à accepter l'idée de la contemporanéité de l'Homme et des animaux de l'époque quaternaire. Aussi, lorsque le Congrès des sciences préhistoriques se réunit à Bruxelles en 1872, fut-il tout naturellement choisi comme président.

Beaucoup d'entre nous assistaient à ce congrès ; ils se rappellent la vigueur et l'entrain de cet illustre vieillard, toujours à notre tête dans les excursions les plus lointaines; ils se rappellent les touchantes manifestations de popularité qui lui furent prodiguées par ses concitoyens comme par les étrangers, par le public comme par les savants!

Si d'Omalius a joui pendant toute sa vie de cette popularité presque sans exemple, c'est qu'il marchait avec son époque et en suivait tous les progrès; c'est que les jeunes savants trouvaient toujours auprès de lui les encouragements les plus affectueux et les conseils les plus désintéressés; c'est que jamais il n'a profité de son nom et de sa position pour imposer sa manière de voir. Soucieux de sa liberté, il savait respecter celle des autres.

Qu'on ne dise pas que c'était manque de convictions ! D'Omalius tenait à ses idées quand il les croyait fondées, mais il était assez modeste pour admettre que, pas plus qu'un autre, il n'était à l'abri d'erreurs. Il défendait ses opinions avec ténacité, ne se rendait que lorsqu'il ne lui restait plus un seul argument à faire valoir; mais une fois convaincu, il acceptait loyalement les faits et les idées qu'il avait combattus, et s'en faisait même au besoin le vigoureux défenseur.

Lorsque, dans ces dernières années, on discuta les vues de Dumont sur la géologie stratigraphique de la Belgique, d'Omalius les défendit pied à pied. Il avait à cela d'autant plus de mérite, que les opinions qu'il combattait étaient sur plusieurs points conformes à sa première manière de voir. Ainsi, dès 1808, il avait reconnu l'analogie du terrain silurien du Brabant avec le terrain ardoisier de l'Ardenne, celle de la bande du Poudingue de Burnot avec l'ensemble que Dumont avait appelé terrain rhénan. Sur ces deux points néanmoins, il soutint les idées contraires de Dumont. Le 7 février 1874 il lisait encore à l'Académie de Belgique un plaidoyer contre l'assimilation du Poudingue de Burnot au terrain rhénan; il avait alors 91 ans.

Quinze jours plus tard, on le trouvait étendu sans connaissance dans une tranchée des environs de Bruxelles. Il se préoccupait depuis longtemps d'une des questions les plus difficiles de la géologie de la Belgique et du Nord de la France, de l'origine du limon qui couvre toutes nos plaines et qui atteint souvent 10 mètres d'épaisseur. Il croyait que cette immense nappe était sortie par éjaculation de l'intérieur de la terre. Dans le but de trouver quelques faits à l'appui de cette théorie, il avait entrepris seul l'excursion qui devait lui être fatale.

Il se remit un peu, mais lorsque la Société géologique de France se réunit à Mons le 30 août 1874, elle se vit privée de celui qu'elle avait toujours choisi pour présider ses séances extraordinaires en Belgique ou dans le Nord de la France : elle dut se borner à envoyer à M. d'Omalius un télégramme pour lui témoigner son affectueux souvenir.

Quelques mois plus tard, le 15 janvier 1875, s'éteignait celui qui était à la fois le dernier survivant et le membre le plus âgé de cette génération de grands géologues français qui ont pour noms : Alexandre Brongniart, Constant Prévost, Élie de Beaumont, Jean-Baptiste-Julien d'Omalius d'Halloy.