Joachim BARRANDE (1799-1883)

Fils de Augustin BARRANDE et de Charlotte Louise TORRENT. Né le 11/8/1799 à Saugues (Haute Loire). Mort le 5/10/1883. Frère de Joseph Christostome BARRANDE (1810-1883, X 1829, qui se met au service du Tsar Nicolas 1er en 1930, fait la campagne de Pologne, puis revient en France développer des lignes de chemin de fer, puis retourne en Russie en 1859).

Joseph BARRANDE est ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1819, major de sortie sur 67 élèves). Corps des ponts et chaussées.

Bref résumé de carrière

Chargé de l'éducation d'un petit-fils de Charles X, il démissionne en 1830 pour suivre en exil la famille de son élève, en Ecosse puis à Prague. A partir de 1840 il fait des recherches paléontologiques sur l'ère primaire en Bohême. Son oeuvre maîtresse est le "Système silurien de la Bohême" (8 volumes, 8224 pages, 1606 planches). Il reste fidèle au comte de Chambord qui vit en Autriche, devient l'administrateur de ses biens puis son exécuteur testamentaire. Il meurt peu après son élève. La ville de Prague lui construit un monument en 1884.


La biographie ci-après avait été publiée dans "Le livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique", 1997 :

BARRANDE.
(1799-1883).

Barrande n'a pas occupé de situations officielles. Il n'a voulu être d'aucune académie, et sa boutonnière est restée vierge de toute décoration. La foule a ignoré son nom, et la France, qu'il honorait, ne l'a que rarement tenu dans ses frontières. Il n'en a pas moins conquis une renommée universelle auprès des deux seules catégories de gens dont l'opinion lui importât : les hommes de science et les hommes de cœur; les premiers gagnés par le mérite exceptionnel de ses travaux, les autres séduits par l'incomparable dignité de son caractère.

Né à Saugues, dans la Haute-Loire, en 1799, Joachim Barrande entrait à l'Ecole Polytechnique à l'âge de 20 ans, pour en sortir le premier en 1821. Combes avait fait de même en 1820, et Elie de Beaumont en 1819. Rarement il fut donné à l'Ecole de voir pareille succession de majors de sortie, tous destinés à devenir célèbres dans la science, où deux d'entre eux devaient illustrer la même spécialité.

Ayant choisi les Ponts et Chaussées, Barrande fut envoyé à Decize, où la construction d'un ouvrage difficile lui valut de légitimes compliments. C'est dans cette résidence qu'il eut l'occasion d'être présenté au duc d'Angoulême, et le jeune ingénieur fit une telle impression sur l'esprit du Dauphin que ce dernier, avec l'approbation de Cauchy, désigna Barrande au choix de Charles X, pour suivre l'éducation scientifique du comte de Chambord. Cette haute mission fut acceptée avec joie, et déjà un laboratoire de physique et de chimie s'élevait, pour l'usage du jeune prince, au palais des Tuileries, quand survint la Révolution de 1830.

Barrande n'hésita pas sur la conduite à tenir, et, donnant sa démission, il suivit son royal élève dans l'exil, d'abord en Ecosse, puis à Prague. Autour de cette ville, il fit de nombreuses promenades pour l'instruction du comte, et aussi pour celle de sa sœur, la future duchesse de Parme. On y recueillait de tout, plantes, insectes, reptiles, minéraux, et le précepteur, qui avait suivi à Paris les leçons de Cuvier, de Brongniart, de Jussieu et de Constant Prévost, en savait assez pour répondre à l'intelligente curiosité de ses disciples. Une seule matière demeurait obscure, à savoir la structure de l'écorce terrestre dans cette région tant de fois bouleversée. Il était réservé à Barrande d'éclairer ce problème d'une vive lumière.

En 1833, on avait entrepris la construction, entre Prague et les bassins houillers de Radnitz et de Pilsen, d'un chemin de fer à traction de chevaux. Heureux de mettre à profit ses connaissances techniques, Barrande, à qui son préceptorat faisait déjà de suffisants loisirs, s'était chargé de la détermination du tracé. Une tranchée, en mettant à découvert un riche gisement de fossiles, éveilla la curiosité scientifique de l'ingénieur. Il se mit à l'œuvre, étendant peu à peu ses explorations. Toute une équipe d'ouvriers fut embrigadée par lui, et l'on vit, pour la première fois, ouvrir des carrières dans le seul dessein d'y trouver des fossiles. Sur ces entrefaites eut lieu, en 1839, la publication des premiers travaux du géologue anglais Murchison sur ce qu'il appelait le système silurien. Barrande distingua du premier coup, parmi les figures des espèces anglaises, plusieurs types caractéristiques des environs de Prague. Il reconnut de plus que l'ordre de distribution de ces types obéissait aux mêmes lois dans les deux contrées, et dès ce jour il résolut de faire connaître à son tour, à la gloire du pays qui l'avait accueilli, les richesses paléontologiques, longtemps insoupçonnées, du district où le hasard des événements venait de le jeter.

Telle est l'origine du Système silurien du centre de la Bohême, publication monumentale, dont les vingt-deux volumes devaient se succéder, de 1852 à 1881, avec tant de régularité. L'entreprise était immense, et ni les ressources personnelles de l'auteur, ni l'aide d'une Société savante, n'eussent suffi pour en mener à bien l'exécution, surtout avec un tel luxe; car Barrande n'a pas décrit moins de cinq mille espèces, figurées sur trois cent soixante planches in-quarto, qui toutes ont été dessinées sous sa direction immédiate. Heureusement la discrète munificence du prince se chargea toujours de rendre le fardeau supportable. Pendant ce temps, tout entier à la science, Barrande poursuivait ses fouilles, dont les produits venaient s'entasser méthodiquement dans son modeste appartement de Prague, si bien encombré de tiroirs qu'après avoir parcouru toutes les pièces, sans distinguer autre chose que des meubles à collections, les visiteurs qu'il accueillait avec tant d'obligeance se demandaient où pouvait bien être le lit, dissimulé pendant le jour par un châssis qui servait de support à des brochures.

L'apparition de l'ouvrage de Barrande fit sensation parmi les hommes compétents. On ne savait ce qu'il fallait le plus admirer, de la masse des matériaux accumulés, de la sagacité déployée par l'observateur, du soin qui avait présidé aux descriptions, de l'immense érudition qui s'y laissait voir, enfin de la fidélité et de la parfaite exécution des dessins. De ce jour, la réputation du savant devint universelle, et quelques modifications que l'inévitable progrès de la science ait amenées depuis lors dans certaines conceptions de l'auteur, il n'est personne qui se refuse à proclamer que son œuvre est fondamentale pour la connaissance des plus anciennes formes organiques ainsi que pour le développement progressif des types.

Les anciens avaient coutume de dire : Timeo hominem unius libri. Nul mieux que Barrande n'a justifié cet adage. Il s'était incarné dans son œuvre, de laquelle aucun soin étranger ne venait le distraire; et c'est en appliquant à cet unique objet toutes les forces de sa rare intelligence qu'il est devenu, dans sa spécialité, un maître incontesté. Mais ce qui doit être ici mis en lumière, parce qu'on y retrouve la marque distinctive de l'éducation polytechnicienne, c'est la façon merveilleusement méthodique dont Barrande a conduit ses travaux; c'est l'esprit vraiment géométrique (parfois même trop géométrique) dont ils sont imprégnés et qui, sa sagacité native aidant, a fait de lui un maître dans un ordre de connaissances qu'on aborde d'ordinaire par d'autres procédés. Une fois de plus, à l'exemple de son illustre prédécesseur Elie de Beaumont, il a prouvé que, pour appartenir à la catégorie des sciences naturelles, la Géologie n'en avait pas moins grand bénéfice à se voir traitée suivant les règles d'une rigoureuse discipline intellectuelle.

Vénéré des géologues du monde entier, avec lesquels il était en perpétuelle correspondance, tant on avait besoin de ses lumières, Barrande fut, comme Agassiz, un fervent et inébranlable disciple de Cuvier. Inflexible dans ses opinions, en science comme en politique ou en religion, il était, vis-à-vis des autres, d'une tolérance et d'une courtoisie qui ne se démentaient jamais. La Société géologique de France, qu'il fréquentait durant ses trop courts séjours à Paris, a gardé de cette figure si grave et si sérieuse une impression profonde.

Austère dans sa vie comme dans sa tenue, il imposait à tous par son grand air, ainsi que par une dignité froide mais bienveillante; et nul n'eût osé franchir à son égard les bornes du respect. A cette seule condition, tous les géologues, même les débutants, étaient assurés de trouver en lui un maître et un guide d'une inépuisable complaisance. Le comte de Chambord avait pour Barrande une affection et une confiance sans limites. Après l'avoir eu, durant toute sa vie, pour administrateur de ses biens, il le désigna en mourant comme son exécuteur testamentaire. Mais l'ancien et fidèle précepteur avait alors quatre-vingt-quatre ans, et bien qu'à ce moment il fût encore en possession de toute son énergie morale et physique, il ne devait pas survivre plus de six semaines au prince dont il partageait depuis si longtemps la destinée. La mort le prit à Frohsdorf le 5 octobre 1883. La ville de Prague, héritière de toutes ses collections, a construit pour les abriter dignement un musée qui porte le nom du donateur, et l'engagement formel a été pris d'achever son œuvre. Mais la France, au bon renom de laquelle il a si efficacement travaillé, ne saurait oublier sa mémoire, et les Polytechniciens lui doivent une place dans leur Livre d'or ; car il est permis de penser que renseignement et les traditions de l'Ecole n'ont pas été pour peu de chose dans le développement des qualités naturelles de celte âme si haute et si fière.

A. de Lapparent.

Au sujet de Barrande, voir aussi :
Joachim Barrande (1799-1883), paléontologue émigré, bohémien et... colonial par Claude BABIN (1999), Travaux du COFRHIGEO