Publié dans le Bulletin des anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1906
J'avais constaté bien vite, comme d'autres camarades, les défauts de l'organisation de notre École à cette époque au point de vue de l'entrée, dans la carrière industrielle, de ses élèves.
Créée à l'origine à peu près exclusivement pour faire des ingénieurs de l'État (trois ou quatre élèves-ingénieurs par promotion), l'École n'avait pas été faite, croyons-nous, pour former des ingénieurs industriels.
Elle ne donnait même pas à cette époque à ses élèves munis de leur diplôme, le titre d'ingénieur, puisqu'elle leur octroyait seulement le titre « d'élève breveté ».
Il y avait, en outre, des élèves libres et des élèves étrangers.
Il y avait donc à l'École des Mines : l'élève-ingénieur (deux ou trois par an), futur ingénieur de l'État, l'élève externe, futur élève breveté (vingt ou vingt-cinq par an), l'élève libre, et enfin l'élève étranger.
Il y avait à l'École des Mines, d'ailleurs, des cours nombreux et des professeurs éminents !
Ce n'est pas sans un souvenir respectueux et affectueux que je me souviens de nos directeurs et de nos maîtres à cette époque : DUFRÉNOY, puis COMBES comme directeurs de notre École, et comme professeurs des hommes comme le minéralogiste DE SÉNARMONT, qui fut inspecteur des études, puis le métallurgiste GRUNER, qui fut inspecteur des études après lui, et qui aurait dû devenir directeur de l'École des Mines. Il aimait, sincèrement les élèves, qui ont conservé tous, de lui, un souvenir attendri; le grand géologue ELIE DE BEAUMONT, DE CHANCOURTOIS, DAUBRÉE, RIVOT, CALLON, HATON DE LA GOUPILLIÈRE, etc. Je ne parle que de ceux de mon temps et je ne les nomme pas tous ! Ils sont trop !
Si les professeurs étaient bons, quel soutien recevaient les élèves à leur sortie de l'École ? Aucun, ou à peu près !
Les élèves-ingénieurs étaient seuls casés, les autres cherchaient à tout hasard une petite situation modeste quelconque de 15 ou 1800 francs !
S'ils n'avaient pas de fortune, ce qui était le cas des trois quarts d'entre eux, s'ils n'étaient pas parents proches d'industriels, que devenaient-ils ? En général, ils avaient beaucoup de peine à se débrouiller, malgré l'aide de quelques-uns de nos professeurs ; j'ai déjà cité comme étant très bienveillant GRUNER, je pourrais citer dans le même ordre d'idées, CALLON, RIVOT, etc.
Avec qui les ingénieurs sortant de l'École des Mines étaient-ils en contact et en concurrence ?
Avec des ingénieurs des Mines et des Ponts et Chaussées, avec des ingénieurs sortant de l'École Centrale, ayant entre eux cohésion et union, avec des ingénieurs sortant en France de l'École de Saint-Etienne, des Écoles de Châlons et d'Angers, à l'étranger, des Écoles de Freiberg, de Mons, de Liège, etc.
Mû par les sentiments de la fraternité la plus prévoyante au point de vue social, de la fraternité la plus élevée, la plus vraie, la plus désintéressée, car je savais bien que nous travaillions pour les générations qui nous suivraient et non pour la nôtre, j'ai voulu créer une union complète entre tous les enfants d'une même mère, entre tous les enfants de notre École, plus ou moins heureusement munis d'armes pour la lutte pour la vie. Je voulais que cette fusion, pour ainsi dire indiquée, puisque la moitié des élèves externes de l'École des Mines, était déjà, comme les élèves ingénieurs, sortie de l'École Polytechnique, je voulais, répétons-le, que cette fusion se fît complètement et effectivement.
C'est dans cet ordre d'idées que j'en parlai à notre camarade FUCHS, ingénieur de l'État, professeur au cours préparatoire depuis sa sortie de l'École, c'est-à-dire depuis deux ans. Je désirais son concours effectif pour mener avec nous le bon combat.
Il fallait réunir, en un seul tout, les élèves ingénieurs, les élèves externes et les élèves libres; il y avait, dans chacune de ces catégories, des amours-propres, des susceptibilités d'une délicatesse inouïe!
Il fallait à chaque instant empêcher des mots irréparables d'être prononcés, y mettre une patience, une fermeté douce de tous les instants; c'est cette tâche bien ingrate et bien pénible que nous crûmes devoir assumer, espérant, Dieu aidant, la mener à bonne fin!
Satisfait du résultat obtenu, de l'Association fondée et prospère, nous n'aurions peut-être jamais produit au jour ce compte rendu de nos efforts d'il y a quarante-trois années !
Car jusqu'ici, fidèles à notre parti pris de rester dans l'ombre et ayant horreur de parler de nous personnellement, nous n'étions intervenu dans la marche de notre société, bien officieusement du reste, qu'il y a vingt-deux ans.
Le 26 décembre 1884, DE LESPINATS et moi avions écrit une lettre au Président de l'Association et cette lettre devait être lue le 29 décembre 1884 au dîner annuel; elle le fut effectivement par moi. Nous constations dans cette lettre que nous avions tenu, à la majorité de notre Association qui atteignait précisément sa vingt et unième année d'existence, à rappeler sommairement les commencements modestes de cette utile institution, et cela nous avions tenu à le faire parce qu'il nous paraissait juste de rappeler, avec les noms de JAVAL et DOLLFUS bien connus, les noms des modestes camarades décédés à ce moment-là, qui avaient pris avec nous l'initiative première de la fondation de notre Association. C'étaient MM. HÉBERT, NANOT et Albert de LA GARDE.
J'avais remis à notre camarade DENIS DE LAGARDE, membre du Comité à cette époque, la dite lettre. Il y avait dans ce modeste document quelques souvenirs qu'il aurait été intéressant de retrouver. Nous avons donc été fort heureux, quoique ayant déjà rédigé cette note, quand nous avons retrouvé notre lettre au siège de l'Association, le 25 mai 1906. Cela nous a donné un peu de travail supplémentaire, mais nous avons constaté l'exactitude, à laquelle nous tenions par dessus tout, de ce que nous avions déjà rédigé. Ce qui nous a décidé en grande partie à produire la note qui suit, c'est la mort récente de notre camarade et ami DE LESPINATS, avec nous le dernier des ouvriers de la première heure
Nous avons voulu rappeler ces efforts ainsi que ceux de plusieurs autres, dont les noms ne doivent pas être oubliés.
Nous avons pu conserver précieusement, et malgré notre vie assez mouvementée, les documenis datant de l'origine de nos premiers efforts. Nous les avons réunis. C'étaient :
Nous passons sur quelques autres documents d'une importance moindre.
Nous avons fait tous nos efforts pour ne pas commettre d'erreurs capitales, bien excusables à quarante-trois années de distance, et nous espérons y être parvenu.
Si nous avons commis quelques omissions, nous prions les intéressés ou leurs ayants droit de nous les pardonner et de nous les signaler.
Nous prions nos camarades de faire bon accueil à ce que nous avons rédigé ci-après à leur intention et dans le but que nous avons expliqué. Nous n'avons pas fait ce travail sans une grande tristesse, ce qui se comprendra facilement!
Il eut l'occasion, au commencement de novembre 1863, de voir souvent, dans un petit restaurant situé près de l'Odéon, dans la petite rue Regnard, ses jeunes camarades DE LESPINATS et NANOT qui venaient de sortir de l'École des Mines, ainsi que leurs camarades HÉBERT, Albert DE LA GARDE, DOLLFUS, etc., encore a l'École à ce moment-là, tous morts depuis, et quelques autres dont la plupart ont disparu également.
Désireux de contribuer à éviter dans l'avenir à leurs jeunes camarades les difficultés des premières années pour des élèves qui, à cette époque, en sortant de l'École des Mines ne formaient pas un seul faisceau, ces Messieurs résolurent de fonder une Association ayant pour but principal de continuer dans la vie et d'étendre de promotions à promotions les relations d'amitié et d'estime réciproques qui se forment à l'École des Mines entre les élèves qui, devenus ingénieurs, les uns au service de l'État, les autres au service de l'industrie, contribuent également à la prospérité de leur pays.
Ce furent DE LESPINATS et HÉBERT qui en parlèrent les premiers ; ils proposèrent à M. PETITON de former un Comité fondateur provisoire, d'en prendre la présidence, et de faire les démarches toujours pénibles et multiples de la création d'une Association amicale ; création difficile surtout, vu le manque absolu de fonds de la plupart de ces jeunes gens ; vu le manque d'un local suffisamment grand pour réunir un grand nombre d'élèves ou anciens élèves.
Quoi qu'il en soit, de nombreuses réunions eurent lieu avec la plus grande activité, avec une énergie infatigable, parce que nous savions bien que ceux d'entre nous qui menaient le mouvement n'avaient pas longtemps a rester à Paris. Ces réunions eurent lieu tantôt chez l'un tantôt chez l'autre; MM. PETITON, DE LESPINATS, NANOT, HÉBERT et Albert DE LA GARDE se réunirent notamment chez M. DE LESPINATS, puis chez M. Henri VIELLARD, alors élève à l'École des Mines ; une vingtaine d'élèves ou d'anciens élèves assistaient à cette réunion, et parmi eux, outre les cinq fondateurs, se trouvaient MM. Henri VIELLARD, DOLLFUS, JAVAL, MORANDIÈRE, DREYFUS, CELLIEZ, etc., ainsi que deux élèves ingénieurs, MM. DEMONGEOT et MATROT.
On se réunit plusieurs fois chez notre éminent professeur de paléontologie, M. BAYLE, qui, a la demande de MM. PETITON, CELLIEZ et JAVAL, avait été le premier professeur de l'École des Mines à nous donner son concours effectif.
M. BAYLE avait un salon assez grand qui nous permettait de réunir un plus grand nombre de personnes. Nous nous rappelons notamment une réunion fort tumultueuse tenue chez M. BAYLE sous la présidence de M. PETITON.
Des statuts furent élaborés avec peine.
M. PETITON pensait qu'il était indispensable, et que c'était là de la vraie fraternité prévoyante pour tous, d'avoir le concours de tous les élèves de l'École des Mines, à quelque titre qu'ils y eussent été ; et c'est dans cet ordre d'idées qu'il proposa à son camarade FUCHS, ingénieur de l'État qui, sorti depuis deux ans de l'École des Mines, était professeur au cours préparatoire, de partager avec lui la présidence et un Comité fondateur provisoire fut constitué de la façon suivante :
Présidents : PETITON, FUCHS.
Vice-Président : DOLLFUS.
Secrétaires : CELLIEZ, DE LESPINATS, CERNER, ROUX, HERMANT, DEMONGEOT.
Membres du Comité : PERRIN, HÉLY D'OISSEL, MORANDIÈRE, BRACONNIER, JAVAL, Albert DE LA GARDE, etc.
(Je tiens à signaler le nom de Javal qui joua plus tard un rôle des plus utiles dans la marche de notre Association.)
Le 21 novembre 1863, la circulaire suivante manuscrite fut lancée et envoyée aux différents anciens élèves et élèves dont on avait pu se procurer très difficilement les adresses :
« Paris, le 21 novembre 1863.
» MONSIEUR ET CHER CAMARADE,
» Nous avons l'honneur de vous inviter à la réunion qui aura » lieu le mardi 24 novembre à sept heures et demie du soir, rue » Bonaparte, 5, chez M. GIDE. Cette réunion a pour but de discuter » les bases d'un projet d'association amicale entre les élèves et » anciens élèves ingénieurs et externes des diverses promotions » de l'École impériale des Mines.
» Pour le Comité fondateur provisoire,
» Les Présidents,
» Signé A. PETITON, E. FUCHS »
Cette réunion eut lieu le 24 novembre 1863. La séance est ouverte à huit heures un quart. Etaient présents trente-neuf camarades dont les noms suivent :
Promotion 1857. MM. MOLLEVEAUX (Ernest). » » PETITON (Anatole-Jules-Clément). » 1858 CELLIEZ (Pierre-Jean). » » FUCHS (Philippe-Edmond). » 1860 HÉBERT (Paul-Pierre). » » JAVAL (Louis-Emile). » » DE LESPINATS (Victor). » » MORANDIERE (Edouard-Alexis). Première année » 1861 BRUYANT (Désire-Victor). » » CHESNÉE (Emile-Jean). » » DOLLFUS (Auguste). » » DURAND (Paul). » » DE LA GARDE (Albert-Guy). » » HERMANT (Eug.-Hippol.). » » NIVOIT (Edmond). » » PERRIN (François-Raoul). » » DE PRÉAUDEAU (Eugène). » » VIELLARD (Henri-Juvénal). » » VOISIN (Armand). Deuxième année. Promotion 1862. » » MM. DE CERNER (Philippe-Georges). » » DURAND (Jean-Joseph). » » GALOS (Jacques-Robert). » » GERMAIN (Henri-Paul). » » HESSEL (Paul). » » LACOUR (Alfred). » » MARCHEGAY (Félix-Alphonse). » » MATROT (Adolphe). » » MEUNIER-DOLLFUS (Charles). » » MORAND (Prosper-Auguste). » » PIOT (Edouard-Thomas). » » DE LA VÈZE (Georges). Troisième année. Promotion 1863 » » CLAUZEL (Jean). » » DEMONGEOT (Armand-Nicolas). » » HUSSON (Claude-Marcel). » » MAILLOT (Louis-Henri). » » ROUVILLE DE LA GRANGE (Louis). » » ROUX (Gustave-Gabriel). » » THÉROND (Gaston).
M. PETITON prononça l'allocution suivante :
« MESSIEURS ET CHERS CAMARADES,
» Permettez-moi de vous exposer en quelques mots le but de cette réunion.
» Ce n'est pas ici une assemblée générale d'une société fondée et marchant régulièrement, où il n'y a a constater que des progrès toujours croissants, où l'on peut parler beaucoup puisque l'on a peu de choses à faire, où l'on a qu'à recueillir les fruits des travaux de ceux qui ont semé les premiers.
» Ici au contraire, aujourd'hui, nous avons beaucoup à faire, permettez-moi donc d'être sobre de paroles et d'aborder immédiatement le sujet.
» Nous nous trouvons réunis pour discuter les clauses et conditions d'une Association amicale dont nous reconnaissons tous l'utilité. »
» Quelques-uns d'entre nous ont rédigé un projet de statuts que nous allons avoir l'honneur de soumettre à la discussion de l'assemblée.
» Nous avons eu, il y a quelques jours, une réunion qui ne pouvait être que partielle, vu le manque de place ; nos camarades ont bien voulu dans cette réunion nous charger de les représenter et de faire les démarches nécessaires pour mener à bonne fin ce projet d'Association.
» Dans ce but, nous avons vu M. le Directeur de l'École et M. l'Inspecteur des Études qui nous ont reçu avec cette bienveillance à laquelle ils nous ont accoutumé ; ils nous ont promis tout leur concours moral ; permettez-moi donc de leur donner ici ce témoignage de notre vive gratitude !
» Pour pouvoir nous réunir dans cette salle, que nous devons à l'obligeance de notre illustre professeur, M. BAYLE, que je remercie au nom de l'Assemblée, il nous a fallu faire de longues démarches à la préfecture de police, démarches dont nous n'avons pu savoir l'heureux succès que fort tard aujourd'hui. Il me reste, Messieurs, avant de vous donner lecture du projet de statuts, à ajouter quelques mots :
» Afin de faciliter la discussion, et afin de pouvoir faire les démarches nécessaires auprès de qui de droit pour mener notre Association à bonne fin, nous nous sommes formés en Comité fondateur provisoire.
» Nous demandons que, par son vote, l'assemblée confirme nos pouvoirs afin que, forts de ce vote, nous puissions marcher en avant.
» Le Comité provisoire exercera ses pouvoirs jusqu'à l'Assemblée générale que nous comptons convoquer dès que l'assemblée aura adopté ses statuts et dès que nous aurons obtenu l'autorisation du préfet de police, très longue à obtenir, et l'adhésion d'un certain nombre d'ingénieurs sortis de l'École. C'est ce que nous espérons pouvoir faire, dans moins de quinze jours, si possible!
» L'assemblée générale volera son Comité directeur définitif. Nous avons en outre à faire voter immédiatement une collecte de trois francs comme acompte sur la souscription pour couvrir les premiers frais.
» Permettez-moi de terminer ici, Messieurs et chers camarades, je n'ai pas besoin de faire appel à tout votre esprit de concorde et de conciliation, bien nécessaire dans la discussion qui va suivre. »
M. PETITON propose le Bureau provisoire suivant :
Présidents : MM. FUCHS et PETITON.
Vice-Présidents : MM. DOLLFUS, DE LAPPARENT, MATROT et VOISIN.
Secrétaire rapporteur : M. CELLIEZ.
Secrétaires : MM. DE CERNER, DEMONGEOT, HERMANT, DE LESPINATS.
Le vice-président, DE LAPPARENT, est absent.
M. BAYLE, sur la prière du Bureau, assiste à la séance.
M. le Président PETITON demande si le choix fait par le Bureau provisoire est approuvé par l'Asssemblée.
M. CELLIEZ réclame pour les anciens élèves qui ne figurent pas en assez grand nombre dans le Bureau ; la réclamation est rejetée.
M. CELLIEZ, secrétaire, donne lecture des statuts proposés par le Bureau provisoire.
Avant de commencer la discussion, M. le Président propose de faire une cotisation pour subvenir aux premiers frais (impression des statuts, etc.). La motion est adoptée. Cette cotisation comptera à valoir sur la cotisation annuelle dont il sera parlé aux statuts; le montant sera de trois francs.
On procède à la discussion détaillée des articles.
La parole est à M. CELLIEZ, secrétaire rapporteur, qui lit :
ARTICLE I. - Une Association est formée entre les élèves de l'École Impériale des Mines de Paris de toutes les promotions et de tous les pays.
Un membre propose de mettre le mot amicale ; la proposition est rejetée, la définition devant être donnée à l'article suivant. M. CELLIEZ demande la suspension des mots : de tous les pays. M. CHESNÉE réclame pour les élèves étrangers. La réclamation est rejetée à un article suivant.
M. PETITON propose la rédaction suivante :
Une Association est formée entre tons les élèves et anciens élèves de l'École Impériale des Mines de Paris.
Cette rédaction est adoptée à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE II. - L'Association a pour but, en créant des relations entre les élèves des diverses promotions, de leur permettre d'être utiles les uns aux autres.
M. FUCHS trouve l'article trop grave et voudrait qu'on définit mieux le but de la Société.
Un membre propose la rédaction :
L'Association a pour but de créer un centre commun de relations en rattachant entre eux les élèves des diverses promotions et de leur permettre de s'assister les uns les autres.
M. BRUYANT explique que ce qui a conduit à exprimer le but d'une manière assez vague c'est que chacun sent ce but sans pouvoir l'exprimer.
M. FUCHS reprend la parole : il trouve cet article trop court et la définition trop vague. Cet article dénote trop la préoccupation du moment et le vrai but de l'Association n'y apparaît pas. Ce but c'est la fusion des ingénieurs de l'État avec les ingénieurs civils. L'article doit accuser hautement l'intention d'effacer les barrières qui ont séparé jusqu'ici les deux classes d'élèves. Les droits et les devoirs de chacune d'elles doivent être définis, surtout les devoirs. Une Association qui ne se définit pas bien n'inspire pas de confiance, il faut qu'elle ait un but relevé et sérieux pour qu'elle ait des chances de durée.
M. BAYLE appuie cet ordre d'idées.
M. FUCHS continue : l'industrie a considéré jusqu'ici l'ingénieur de l'État, qui est son surveillant naturel, comme une incommodité qu'il doit subir. L'ingénieur, au lieu d'être le soutien de l'industrie, ne lui a prêté jusqu'ici que, son appui éloigné et l'industrie fuit plutôt qu'elle ne recherche cet appui. Il faut donc accuser dans la définition de l'Association les désirs d'union, d'amitié et de mutuel appui qui doivent faire le fondement de la Société. Cette idée a besoin d'être mûrie avant de pouvoir être exprimée brièvement et clairement et M. FUCHS propose le renvoi à la commission qui sera chargée de la préparation des statuts. (Vives approbations.)
La proposition de M. FUCHS est adoptée à l'unanimité.
M. CELLIEZ, rapporteur, lit:
ARTICLE III. - Sont admis de droit à faire partie de la Société, les élèves et anciens élèves ingénieurs et externes de l'École Impériale des Mines de Paris.
M. CHESNÉE réclame en faveur des élèves étrangers qu'il voudrait voir admettre au même titre que les élèves ingénieurs et externes.
M. FUCHS objecte qu'on ne peut pas trop élargir les cadres. On ne doit admettre d'abord que les élèves qui, soumis aux mêmes exercices, ont vu s'établir entre eux des sentiments et des traditions communes. Malgré la distinction de plusieurs élèves étrangers, leur condition, leur intérêt, leur situation, leur esprit, ne peut pas être celui des élèves ingénieurs et externes.
M. MATROT se prononce en faveur des élèves étrangers, n'approuve pas leur assimilation aux élèves libres et pense qu'ils sont appelés à rendre les plus grands services à la Société.
M. FUCHS expose que les élèves étrangers sont admis à suivre les cours sur la simple demande de leur ambassadeur et qu'ils ne viennent ordinairement à l'École que pour compléter leur instruction. Il en est parmi eux qui font de sérieuses études à l'École et s'y trouvent au même pied que les élèves ingénieurs ou externes, ceux-là seront facilement admis en passant par les conditions de l'article suivant.
Les élèves étrangers sont bien plus assimilables aux élèves libres qu'aux ingénieurs ou externes.
L'administration de l'École qui, dès l'admission à l'École, établit un même niveau intellectuel entre les élèves ingénieurs et externes, ne se rend responsable de rien vis-à-vis des étrangers.
M. DOLLFUS pense que la faculté d'entrer de droit dans la Société ne serait mise à profit que pour les étrangers dignes de cette faveur.
M. FUCHS met aux voix la proposition :
Les élèves étrangers doivent-ils être admis à faire partie de droit de l'Association ?
Cette proposition est rejetée à l'unanimité moins quatre voix.
L'article III est adopté.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE IV. - Tout élève libre ou étranger, présenté par trois membres, sera admis à faire partie de la Société s'il obtient les trois quarts au moins des voix des membres du Comité présents au vote.
M. CELLIEZ fait observer qu'on parle pour la première fois du Comité qui n'est pas défini.
M. CELLIEZ, sur la demande du président M. PETITON, lit l'article XI où le Comité se trouve défini.
M. FUCHS propose d'intervertir l'ordre et de placer l'article XI avant l'article IV.
M. DEMONGEOT, secrétaire, demande que l'on continue la discussion des articles dans l'ordre ancien. La commission coordonnera les articles et désignera l'ordre définitif.
L'article IV, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE V. - La cotisation annuelle est de dix francs ; le droit d'admission est fixé à la même somme.
M. FUCHS explique en quelques mots la nécessité et l'utilité de la cotisation.
L'article V, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE VI. - Un souscripteur annuel pourra devenir membre fondateur et à vie en versant un capital de deux cents francs, sans préjudice du droit d'admission. Il deviendra membre donateur en ajoutant au capital exigé pour être fondateur une somme d'au moins deux cents francs. Il sera alors inscrit à perpétuité sur la liste des membres fondateurs.
M. CELLIEZ demande si la dernière phrase de cet article n'est pas inutile. Tout homme qui paie une fois pour toutes doit être toujours inscrit comme payant. M. VIELLARD objecte que le fondateur donnant en capital donne en réalité plus que le souscripteur ordinaire. M. MATROT fait observer que la difficulté ne gît que dans les mots.
L'article VI, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE VII. - Les capitaux versés par les membres fondateurs et donateurs seront convertis en valeurs portant intérêts. Ces derniers seront chaque année à la disposition de la Société.
M. CELLIEZ propose la rédaction :
Seront convertis en rentes sur l'État ou en obligations de caisses publiques instituées par des lois.
M. BAYLE appuie la proposition.
La rédaction, mise aux voix, est adoptée à l'unanimité.
L'article VII, modifié comme ci-dessus, est adopté à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE VIII. - Outre les membres titulaires, la Société admet aussi des membres honoraires. Seront de droit membres honoraires Messieurs les ingénieurs au Corps impérial des Mines.
Cet article, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE IX. - Toute personne présentée par trois membres sera admise à faire partie de la Société comme membre honoraire si elle obtient au moins les trois quarts des voix des membres du Comité présents au vote.
Cet article, mis aux voix, est adopté à l'unanimité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE X. - Les membres de l'Association se réunissent une fois par an dans les premiers jours de décembre. Cette assemblée générale nomme son Conseil d'administration, entend et approuve s'il y a lieu les comptes annuels des recettes et dépenses.
M. CELLIEZ demande que l'assemblée générale ratifie les actes du Conseil.
M. BAYLE observe que l'assemblée ratifie s'il y a lieu et ne peut renier les actes du pouvoir exécutif. On propose la substitution du mot Comité à Conseil d'administration.
M. FUCHS met aux voix l'article X ainsi conçu :
ARTICLE X. - Les membres de l'Association se réunissent en assemblée générale une fois par an dans le mois de décembre. Cette assemblée générale nomme son Comité, entend et approuve s'il y a lieu les comptes annuels des recettes et dépenses.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE XI. - Le Comité se compose de vingt membres élus chaque année à la majorité relative par l'assemblée générale. Les membres sortants peuvent être réélus. Le Conseil nomme son bureau, composé d'un président, de deux vice-présidents, d'un trésorier et de trois secrétaires. Le président convoque le Conseil d'administration en séance ordinaire ou extraordinaire. Ce dernier doit se réunir en novembre, février et mai. Sur avis du Comité, la Société peut être réunie, en assemblée générale extraordinaire en prévenant quinze jours à l'avance. Dans la séance ordinaire de novembre, le Conseil nomme la personne qui doit présider l'assemblée générale annuelle.
M. MORANDIERE demande s'il ne serait pas utile de pouvoir renouveler forcément le Comité partiellement chaque année,
M. CELLIEZ objecte qu'il n'y a pas à craindre que les membres du Comité s'éternisent puisqu'une partie étant à l'École doit quitter nécessairement Paris chaque année.
M. MATROT fait observer que le Comité sera composé de deux parties, l'une fixe et l'autre volatile (hilarité), la première restant sédentaire à Paris finira par se substituer à la seconde. M. MATROT demande s'il y a avantage ou désavantage a conserver les mêmes membres.
M. MATROT demande qui choisira les candidats.
M FUCHS demande que le Comité renferme des personnages considérables de Paris, capables de donner leur protection et leur appui à la Société. Elles seront nécessairement dispensées à la candidature. Ne serait-il pas bon d'avoir des présidents honoraires donnant la sanction de leurs noms et de leurs personnes à une oeuvre créée par des jeunes gens ?
Du reste les statuts ne définissent pas bien la forme de renouvellement du Comité.
La discussion continue sur ce point : est-il utile d'introduire dans la Société des personnes capables de la protéger?
M. FUCHS objecte qu'introduire des personnes de haut patronage dans le Comité c'est restreindre la place qu'y occupera la partie jeune et active.
M. MATROT propose que le Comité désigne une commission chargée de la direction de l'assemblée générale et de faire les propositions pour la réélection du Comité. La question de candidature, mise aux voix, est renvoyée à la Commission de fondation.
On poursuit la discussion sur le fond de l'article. M. MATROT propose la création de deux Comités, l'un actif, l'autre de patronage. C'est la seule manière d'arriver a faire un renouvellement dans les personnes chargées de la direction des affaires.
M. Fucus met aux voix :
Doit-on mentionner dans les statuts le Comité de haut patronage ? (Cette question est renvoyée à la Commission de fondation.)
Le principe du Comité de haut patronage est adopté à l'unanimité.
M. FUCHS et M. MATROT font remarquer que le but et la nature du Comité actif sont mieux définis depuis qu'on en a exclu les personnes simplement chargées d'exercer leur protection.
La question du renouvellement du Comité est remise en discussion.
M. CELLIEZ demande si le renouvellement arbitraire n'a pas quelque chose de blessant pour le membre sortant.
M. BAYLE propose le renouvellement par moitié. (La discussion est vive.)
M. FUCHS met aux voix :
Veut-on que chaque année un certain nombre de membres sortent forcément du Comité?
Cette motion est adoptée à l'unanimité.
La question de candidature est remise en discussion et retirée à la Commission.
Le Comité désignera-t-il cinq membres ou plus de cinq membres?
M. FUCHS met aux voix :
Le Comité proposera au choix de l'assemblée générale un nombre de candidats égal au nombre total des vacances.
Cette proposition est adoptée à l'unanimité.
M. PETITON propose d'ajouter au Bureau un trésorier-adjoint pour le cas d'empêchement du trésorier. Cette proposition est adoptée à l'unanimité.
M. CELLIEZ réclame que l'on fixe le nombre de membres du Comité dont la présence aux séances est nécessaire pour rendre les décisions valables.
M. FUCHS met aux voix :
Les décisions du Comité seront exécutoires chaque fois que le Comité comptera un nombre de membres présents supérieur à la moitié du nombre total.
Cette rédaction est adoptée à l'unamité.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE XII. - Le Bureau doit se réunir tous les mois ; à la suite de cette réunion il y aura une conférence où seront discutés des mémoires ou rapports présentés par des membres de la Société.
M. FUCHS propose la rédaction suivante :
Le Bureau se réunit sur la convocation de son Président.
M. FUCHS propose de supprimer la fin de l'article relative aux mémoires et de la rejeter de l'article. Les deux propositions de M. FUCHS, mises aux voix, sont adoptées.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE XIII. - Les membres honoraires peuvent, comme les membres titulaires, assister aux séances du Comité.
Après une discussion de quelques instants, dont le but est de donner un droit aux membres, la rédaction suivante est approuvée :
Tous les membres ont le droit d'assister aux délibérations du Comité. Ce dernier pourra néanmoins se constituer en Comité secret.
M. CELLIEZ lit :
ARTICLE XIV. - Deux registres consignés au siège de la Société servent, l'un à recueillir tout renseignement utile à l'Association ou à ses membres, l'autre à recevoir les demandes adressées au Comité. Pour recourir à l'Association, il suffit d'être ancien élève de l'École. Le premier des registres peut être communiqué à tous les membres, le second est confié à la discrétion du Comité.
M. CELLIEZ demande si ce ne serait pas la place de parler des mémoires dont les titres seraient inscrits au premier registre.
Après une courte discussion, cette question est définitivement renvoyée à la Commission pour y être traitée en même temps que celle de la définition de l'Association.
La rédaction de la fin de cet article ne plaît pas en général.
M. MORANDIÉRE propose la rédaction :
Le premier pourra être communiqué à tous les membres par l'intermédiaire d'un agent nommé par le Comité à cet effet.
M. BAYLE dit que l'agent sera indispensable mais qu'il n'est pas besoin de le mentionner aux statuts. M. FUCHS met aux voix :
Le premier sera tenu à la disposition de tous les membres. Cette rédaction est adoptée à l'unanimité. M. CELLIEZ lit :
ARTICLE XV. - Le trésorier ne peut disposer des fonds que sur un mandat signé par trois membres dont le président ou le vice-président. Avant d'être soumis à l'assemblée générale, les comptes dressés et arrêtés par le trésorier doivent être soumis au Comité dans la séance de novembre.
M. CELLIEZ réclame que les fonctions de chacun relativement aux fonds soient mieux définies. M. BAYLE fait observer que c'est un règlement intérieur qui règle les choses.
L'article XV mis aux voix est adopté a l'unanimité. Parmi les trois membres qui y sont désignés se trouve naturellement le trésorier ou son adjoint. M. CELLIEZ lit :
ARTICLE XVI. - Un compte rendu annuel sera adressé à chacun des membres.
Cet article est adopté sans discussion M. CELLIEZ lit :
ÀHTICLE XVII. - Sur la proposition du Comité, les présents statuts peuvent être modifiés par l'assemblée générale annuelle ou par une assemblée générale convoquée à cet effet au moins un mois d'avance. Il est nécessaire que la modification soit acceptée par les trois quarts au moins des membres présents au vote.
M. MATROT propose une limite inférieure du nombre des membres de l'assemblée générale pouvant modifier les statuts.
M. CELLIEZ fait observer qu'on ne peut fixer de nombre inférieur parce que les membres seront trop dispersés.
M. FUCHS demande s'il est nécessaire d'avoir une assemblée extraordinaire et si l'assemblée générale ne sera pas suffisante pour la modification des statuts.
M. PETITON propose la suppression de l'assemblée extraordinaire.
On passe au vote ; l'assemblée extraordinaire est supprimée.
M. CELLIEZ demande que toute proposition soumise à l'assemblée générale l'ait été avant au Comité. Cette motion est rejetée aux règlements intérieurs.
La discussion de l'article XVII donne pour texte :
Sur la proposition du Comité, les présents statuts peuvent être modifiés par l'assemblée annuelle. Avis de la modification devra être donné un mois à l'avance.
La fin de l'article subsiste.
La discussion des statuts étant terminée, M. le Président PETITON propose de nommer un trésorier provisoire chargé de garder les fonds provisoires que l'on a voté an commencement de la séance. Il propose MM. JAVAL et DE LA GARDE.
M. JAVAL, s'excuse, devant s'absenter de Paris.
M. DE LA GARDE, trésorier, procède à la collecte anticipée sur le droit d'admission.
M. DE LA GARDE, trésorier, reçoit 124 francs qui seront portés à l'avoir du grand-livre.
MM. PETITON propose pour la Commission provisoire de fondation MM. FUCHS, PETITON, DE LAPPARENT, DOLLFUS, VOISIN, MATROT, CELLIEZ, DE LESPINATS, DE CERNER, ROUX, HERMANT, DEMONGEOT, POTIER, GENREAU, VILLIÉ, BRACONNIER et invite M. BAYLE à la séance du 26 novembre.
Le procès verbal est adopté par la Commission.
Le Secrétaire rapporteur, le 26 novembre 1863.
P. CELLIEZ.
Pour copie conforme :
Le Président,
E. BAYLE.
Une nouvelle réunion eut lieu dans les premiers jours de décembre 1863 chez M. BAYLE, sous la présidence de M. PETITON, en présence d'une quarantaine d'assistants, parmi lesquels M. FUCHS, le professeur éminent dont il a été parlé déjà (M. PETITON lui offrit la vice-présidence), et plusieurs élèves ingénieurs, notamment MM. MATROT et DEMONGEOT.
La séance fut orageuse, mais amicale: M. DEMONGEOT fit observer que l'Association devait être fondée par les élèves externes seuls, directement intéressés, ajoutant que les élèves ingénieurs et les ingénieurs au Corps des Mines seraient heureux de faire preuve de camaraderie en se faisant inscrire comme membres de l'Association une fois qu'elle serait fondée.
On se sépara sans rien arrêter en promettant de se revoir à bref délai. Une nouvelle réunion, composée presque uniquement d'élèves et d'anciens élèves externes, eut lieu quelques jours après encore chez M. BAYLE; le projet de statuts y fut discuté de nouveau, article par article. Une nouvelle rédaction fut arrêtée et il fut décidé que le projet ainsi modifié serait présenté à une grande assemblée générale.
A cause de quelques tiraillements, M. FUCHS, qui avait accepté d'être président avec M. PETITON, crut devoir se retirer et donna sa démission de président du Comité fondateur, et M. PETITON resta seul chargé de tout le fardeau de la tâche a accomplir pour fonder définitivement l'Association.
D'autres réunions du Comité eurent lieu pendant le mois de décembre pour arrêter complètement les statuts.
Des démarches multipliées furent exécutées pour trouver le local de l'assemblée générale et pour lever toutes les difficultés à surmonter pour arriver à réaliser cette réunion générale.
Enfin tout fut préparé avant la fin de décembre ; M. PETITON, obligé de quitter Paris le 31 décembre 1863 pour aller diriger une mine de plomb argentifère dans les Pyrénées, ne put assister à une dernière réunion qui eut lieu dans les derniers jours de décembre 1863, avant la réunion générale ; il pria M. BAYLE qui, comme il a été dit plus haut, avait montré tant d'obligeance pour les réunions du Comité, de bien vouloir le remplacer comme président du Comité provisoire. M. BAYLE y consentit et le 1er janvier 1864, la lettre imprimée de convocation suivante, fut lancée à tous les élèves et anciens élèves de l'École des Mines dont on put retrouver l'adresse. Elle contenait un exemplaire imprimé des statuts que nous reproduisons, après la lettre :
« Paris, Ier janvier 1864.
» MONSIEUR,
» Vous êtes instamment prié d'assister à la réunion des anciens élèves de l'École des Mines de Paris, qui aura lieu le dimanche soir 24 janvier courant, à neuf heures et demie, dans la salle Bonne-Nouvelle. Cette réunion générale aura pour objet l'adoption des statuts ci-joints et la nomination du Comité.
» Veuillez agréer, Monsieur, etc...
» Le Président du Comité provisoire, Signé : BAYLE.
» Le Secrétaire, Signé : CELLIEZ. »
Association amicale des élèves de l'École des Mines de Paris.
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Dès lors, l'Association amicale des anciens élèves de l'École des Mines était fondée.
M. PETITON, comme il a été dit précédemment, étant parti depuis les derniers jours de décembre 1863, à partir de janvier 1864 n'a plus pu que suivre de ses voeux la continuation des efforts de ses successeurs et camarades pour constituer l'Association.
Il attendait avec le plus vif intérêt le résultat de la réunion générale du 24 janvier 1864 qui devait être d'une importance capitale.
Son camarade, coadjuteur et ami, DE LESPINATS, le mit au courant de ce qui s'était passé par les deux lettres suivantes que nous avons cru devoir reproduire dans toute leur simplicité et sincérité, à l'exception de quelques lignes qui ne concernent pas les efforts faits ; ces deux lettres constituent plutôt une lettre en deux parties, l'une écrite le 26 janvier 1864, l'autre le lendemain, 27 janvier 1864 :
« Paris, 26 janvier 1864.
» MON CHER PRÉSIDENT,
» J'arrive maintenant, cher Président, au fruit de vos d'abord et ensuite de nos entrailles. La séance du 24 (car il s'agit de cette chère Société pour laquelle nous avons élevé de si beaux échafaudages), a été horriblement orageuse ; il faut y avoir assisté pour se figurer où peut aller la sottise de la race humaine et l'ineptie des Français quand ils sont réunis dans une salle où l'on doit discuter certaines résolutions. Enfin nous avons réussi, mais cela a été rudement dur et il a fallu pour cela que notre petit Comité se démenât comme un grand nombre de diables dans un bénitier.
» Nous avons tous vu pendant une heure notre Société à deux doigts de sa perte, et beaucoup d'entre nous ont désespéré un moment. DOLLFUS, qui ne cessait de se lever pour s'asseoir, quand JAVAL le saisissait par les épaules, est parti au milieu de la séance pour ne pas assister à l'enterrement de notre oeuvre.
» Imaginez-vous qu'il est venu à la réunion un ancien élève libre, lequel, soit dit en passant, n'avait pas reçu de lettre de convocation. Il est arrivé avec une cargaison de discours tous plus violents les uns que les autres ; enfin il a joué un rôle de fougueux tribun, si bien qu'on ne le nomme plus que le Glais-Bizoin. Son but était que tout le monde fût soumis à la présentation de trois membres et que personne ne pût être admis sans vote ; il voulait également que les élèves libres fussent complètement assimilés aux autres élèves de l'École ; vous voyez qu'il prêchait pour son saint.
» Les idées qu'il exposait avec une grande violence ont trouvé de l'écho dans l'assemblée (comme tout ce qui a l'air libéral) et il en est résulté un tapage affreux, des discussions sans fin; pour comble, BAYLE, qui présidait, a perdu à peu près la tête, il empêchait le Comité de répondre et de donner les explications qu'on lui demandait, et lui-même ne savait ni conduire la discussion ni répondre clairement.
» Enfin un premier vote a eu lieu et nous avons obtenu une majorité de trois voix. Il s'agissait de savoir s'il y aurait des membres entrant de droit dans la Société; il y a eu trente-cinq oui contre trente-un non. Si les non l'avaient emporté, nous faisions, je crois, un naufrage complet; on se serait séparé sans s'entendre. On a ensuite discuté successivement les différents articles, et à mesure que les diverses questions qu'il fallait résoudre étaient mieux éclairées, nous avons vu avec plaisir un nombre de plus en plus grand de personnes se rattacher à la majorité; enfin tout a passé sauf les articles 7 et 8 que l'on a fondus ensemble en supprimant ce qui concerne les ingénieurs de l'État qui ne sont plus de droit membres honoraires.
» Nous étions de soixante-cinq à soixante-dix, dont près de quarante anciens élèves, il en était venu de fort loin. Le Comité a été nommé à la fin de la séance, il était onze heures et demie, tout le monde voulait s'en aller ; aussi cette nomination importante a-t-elle été faite aussi mal que possible.
» De l'ancien Comité, il ne reste que DOLLFUS, CERNER et ROUX (Gustave). Il est très peu convenable que NANOT, qui reste à Paris, ne s'y trouve pas. Parmi les anciens se trouvent: JEOFFROY, JEANSON, GIGOT, MARÇAIS, DELEBECQUE, ROBERT, DAMOISEAU, DORMOY, etc. Il paraît qu'il y a eu un ou deux noms qui n'ont pas plu aux anciens qui se trouvaient là. Le Comité se réunit a ce soir chez BAYLE afin de se constituer définitivement.
» Je me retire de tout cela car j'espère quitter Paris d'ici peu, et je trouve qu'il faut laisser la place aux anciens.
» Nous avons reçu un grand nombre d'adhésions, bien que la lettre de convocation ait été rédigée de manière à nous éloigner tout le monde. Les principaux adhérents sont : CABANY, FOURNET, DOYEN de Lyon, DAMOISEAU, PAYN, MILLET, DORMOY, JUGE, MUSSY, BOSSEY, etc. Nous avons six à sept ingénieurs des mines. »
Deuxième lettre.
Mercredi 27. - « Je continue ma lettre, mon cher Président, pour vous dire que tout ce que je vous ai déjà raconté ne fait pas le bonheur et ne me donne pas une grande conviction dans la solidité des bases de notre Société; nous avons eu le malheur de mettre un article par lequel une modification aux statuts présentée un mois d'avance peut être admise par l'assemblée générale si elle obtient les trois quarts au moins des voix des membres présents. Avec la race humaine telle qu'elle est faite, un tel article amènera tous les jours des amendements, des discussions violentes et sans fin, et la Société, au lieu de réunir les individus et de mettre de la camaraderie, ne sera qu'un brandon de discorde. Si je vous dit tout cela, c'est que j'ai une application immédiate du principe sous les yeux. Depuis hier, l'École est divisée en deux ou trois camps, les uns sont pour un article, les autres pour un autre; on se dispute, on se pique, la camaraderie n'en profite pas et la Société non plus.
» Je prêche la conciliation et je demande de sacrifier les opinions personnelles au bien public.
» Espérons que nos prédications ne seront pas faites dans le désert. Heureusement que DOLLFUS, HÉBERT, DE LA GARDE, etc., soutiennent la bonne cause. Mais figurez-vous que HERMANT, BRUYANT et beaucoup de petits élèves de première année font de l'opposition! Notre Société est donc loin d'être sur sa grande base, et nous avons besoin de la soutenir encore énergiquement; que je regrette qu'on l'ait posé sur des bases perfectibles comme la Constitution!! il fallait inviter à entrer dans notre Association, et ne pas avoir l'air de demander à venir en discuter les bases. On se serait passé des non adhérents.
» J'espère que voici de longs détails et que vous ne vous plaindrez pas de moi. Je vais attendre une prompte réponse. Adieu, mon cher Ami, je vous serre affectueusement le battoir et vous prie de croire à ma bien sincère affection.
» Tout à vous, » Signé: V. DE LESPINATS.
» NANOT, L'ABBÉ, ALADIN, etc., vous présentent leurs civilités puériles et honnêtes. ALADIN demande tous les jours si M. PETITON a écrit ! »
J'attendais avec le plus vif intérêt dans les neiges des montagnes d'Aulus (Pyrénées) le résultat des nouveaux efforts de mes chers camarades, car je savais combien cette réunion générale du 24 janvier 1864 était d'une importance capitale.
Grâce à Dieu nos efforts étaient complètement couronnés de succès ; l'Association amicale des anciens élèves de l'École des Mines de Paris était créée, et le but de haute philanthropie et de prévoyance qui avait inspiré ses premiers fondateurs était atteint.
Les pas chancelants de la jeune Association ont été soutenus et dirigés, après, par d'autres camarades, de façon à en faire l'Association importante, actuellement pleine de vitalité, qui compte quarante-trois années d'existence, mais dont il nous a paru instructif à tous les points de vue de reproduire l'enfantement, la naissance et les modestes débuts.
Le premier Président du Comité fondateur provisoire,
A. PETITON.
Nous reproduisons ci-dessous deux récits datant de 1905 sur la paternité de la création de l'Association, rédigés par les deux principaux protagonistes. Ces lettres ont été publiées par le Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1906 après le décès de Victor de LESPINATS.
Récit de V. de LESPINATS« L'idée de la fondation de notre Association me fut donnée, en 1863, par notre camarade Hébert, de la promotion de 1860, décédé depuis bien des années. » J'étais à Paris, nouvellement sorti de l'École avec un superbe diplôme d'ingénieur, mais ne trouvant personne disposé à me confier un poste me permettant d'utiliser mes connaissances et montrer mon désir de bien faire. » Un jour Hébert vint me trouver pour m'engager a employer mes loisirs à la fondation d'une Association entre les anciens élèves de l'Ecole des Mines et à prendre pour modèle celle existant entre les élèves de l'École centrale. » Trouvant l'idée excellente, je cherchai aussitôt le moyen de la réaliser. Celui qui me parut le plus pratique fut de convoquer dans ma modeste chambre d'étudiant plusieurs camarades, pour élaborer un avant-projet de statuts, destiné a servir de base à une discussion. » Je ne nommerai aucun de ceux qui assistèrent à ces premières réunions, de crainte, au bout de 32 ans, d'être mal servi par ma mémoire et d'oublier plusieurs noms. » Je dirai seulement que ces séances furent présidées par le camarade Petiton, le plus âgé d'entre nous. » Le projet d'Association, résultat de nos délibérations, ayant été favorablement accueilli par les anciens, fut étudié, modifié et mis au point dans des réunions de plus en plus nombreuses qui eurent lieu dans les salons du camarade Javal et dans ceux de notre professeur de paléontologie, M. Bayle. » Bien entendu, les ouvriers de la première heure, et en particulier celui qui vous parle, eurent soin de rentrer dans le rang aussitôt que des camarades plus âgés voulurent bien s'intéresser au succès de leur projet. »
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Récit de A. PETITON« Lorsque j'ai appris la mort du regretté Victor de Lespinats, dans les premiers jours de mars 1906, j'en ai été profondément affligé ; c'était des liens d'une vieille amitié basée sur une estime réciproque et sur les mêmes croyances qui se rompait, et qui remontait à 46 ans ; j'ai connu en effet de Lespinats à ma dernière année d'École des Mines, en 1860, qui était l'année même de son entrée; et nous nous sommes vus beaucoup depuis, à la fin de 1863 à Paris, et ensuite pendant de longues années dans l'Est, où je suis allé souvent le voir à l'usine de Neuves-Maisons, près Nancy, usine qu'il a fondée. » C'était un maître de forges de premier ordre, et il a notamment construit et dirigé les hauts-fourneaux de cet intéressant établissement, etc. » J'ai rarement vu un industriel aimer autant sa profession ; il avait pour ses hauts-fourneaux une affection toute paternelle. » Je crois que nous devons citer du reste comme un exemple à suivre à tous les points de vue la vie de notre regretté camarade. » Un autre que moi en a parlé [allusion à la biographie de Lespinats par Nicklès], je n'ai donc pas à y revenir; mais j'ai pensé qu'il y avait des renseignements que seul je pouvais donner, avant de disparaître à mon tour: c'était de rappeler que de Lespinats a contribué à fonder l'Association amicale des Élèves de l'École des Mines de Paris, en novembre et décembre 1863, et qu'on doit lui en être reconnaissant. Il m'a prêté à ce moment, ainsi que quelques autres, son précieux concours dans l'oeuvre bien dure que j'avais entreprise et qui a été menée à bonne fin sous notre présidence; c'est lui qui, le premier, m'a parlé de l'oeuvre à faire, à laquelle j'avais pensé depuis longtemps, de l'Association à créer ! »
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Après plus de 140 ans d'existence, l'association prend un nouveau visage. Elle envoie le communiqué suivant à ses membres :
MINES ParisTech Alumni
C'est le nouveau nom d'usage qui a été adopté à l'unanimité par une résolution de votre Assemblée Générale, sur proposition du Conseil d'administration.
Pourquoi cette évolution ?
Il s'agit d'abord de tenir compte du changement de nom de l'école - aujourd'hui Mines ParisTech : logiquement il était nécessaire de retrouver le nom de notre école dans le nom de l'association de ses anciens élèves, et donc indirectement la référence à ParisTech.
Ensuite il s'agissait de disposer d'un nom fort et clair, plus court que l'actuel, identifiable en France comme à l'International, ainsi que par les cabinets de recrutements et les moteurs de recherche. Vis-à-vis de nos jeunes camarades qui voient la plupart des autres associations utiliser maintenant le nom "alumni", ce changement est aussi l'occasion de gommer le mot " ancien ", aujourd'hui chargé d'une connotation peu dynamique.
Signalons qu'il ne s'agit pas, comme certains pourraient le penser en raison de l'utilisation de ce terme par des universités anglo-saxonnes, d'un nouvel anglicisme. L'origine en est latine, le mot " alumni " signifiant élèves, même si les anglo-saxons s'en sont les premiers emparés ; ce ne sera pas la première fois qu'un mot latin revient chez nous par cette voie !
Précisons enfin qu'il ne s'agit pas d'un changement du nom statutaire de votre Association, nom qui continuera par ailleurs à figurer sur nos documents :
Association Amicale des Anciens Elèves de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris.
Notre nouveau nom d'usage nous permettra cependant une communication plus efficace et incisive, davantage en phase avec les bouleversements que connaît actuellement le monde de l'enseignement supérieur partout dans le monde.
Souhaitons ensemble bon vent à MINES ParisTech Alumni
Roland HECHT Le Délégué Général
Thierry TROUVÉ Le Président
Mis sur le web le 4/5/2004, et complété le 1/7/2010, par R. Mahl