Né le 12/6/1838 à Paris.
Marié à Mathilde de la CARIDAD MONTALVO. Père de 8 enfants, dont Antonio Paul DENIS de LAGARDE (1880-1913 ; X 1900) qui fut capitaine d'artillerie et mourut dans un accident d'avion à Villacoublay.
Ancien Eleve de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1859) : admis aux cours préparatoires le 9/11/1858, classé 1 ; admis comme élève externe le 27/11/1859, classé 3 ; breveté le 5/6/1862, classé 9. Ingénieur civil des mines.
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, Avril 1911
Ludovic-Eugène DENIS DE LAGARDE, que nous avons eu la tristesse de perdre, le 9 février 1911, appartenait à une de ces anciennes promotions de l'École Nationale supérieure des Mines de Paris, dans lesquelles malheureusement le temps vient, à son heure, éclaircir les rangs de plus en plus.
Notre regretté camarade était né, le 12 janvier 1838, à Paris et au Palais-Bourbon. Il était fils et petit-fils d'anciens maîtres des requêtes au Conseil d'État. Son père occupa, de 1827 à 1863, les fonctions de Secrétaire en chef de la Chambre des Députés. C'est ainsi que DENIS DE LAGARDE grandit au milieu de cette atmosphère de libéralisme qui marqua la fin de la Restauration et dont il fut naturellement imprégné.
Tous ceux qui l'ont connu savent combien il aimait à évoquer le souvenir de la brillante phalange des libéraux de cette époque, qui préparèrent notre pays à la République.
DENIS DE LAGARDE en avait conservé cet esprit d'indépendance et de franc-parler qui le caractérisait. Il en était, à juste titre, particulièrement fier.
Bien qu'élevé en plein milieu politique, notre camarade ne fut pas tenté de suivre la carrière des hommes éminents qui entourèrent sa jeunesse. Il se tourna de préférence vers les sciences positives, dont on sait que le développement, sans précédent dans l'histoire, caractérisa le cours du XIXe siècle, et c'est vers l'art de l'ingénieur que le porta sa vocation.
La merveilleuse série des découvertes nouvelles, dont les applications industrielles se multipliaient alors de jour en jour, à la suite des progrès prodigieux et répétés de la science, devaient nécessairement séduire un esprit comme le sien, à cette époque de véritable renouveau, dû à l'avènement des sciences et de l'industrie.
D'abord lauréat au Concours général, puis admissible a l'École Polytechnique, il entra 1er en 1859, à l'École Impériale des Mines de Paris, et en sortit en 1862, breveté ingénieur civil des Mines.
Il débuta d'abord à Ars-sur-Moselle. Il accomplit ensuite une mission en Algérie, où il eut l'occasion flatteuse de se trouver dans l'entourage et avec l'Etat-Major du maréchal Bugeaud. Puis il s'occupa des mines de Banneto en Espagne.
En 1865, le gouvernement de l'Empereur le choisit, en qualité d'attaché à l'ambassade de France à Madrid, au titre de conseiller technique. Il reçut ainsi la mission de recueillir, en Espagne, tous les renseignements utiles sur la situation et l'avenir des chemins de fer, le commerce et l'industrie de ce pays, qui s'ouvrait alors à notre influence économique, et où commençaient déjà à être attirés d'importants capitaux français.
Le gouvernement impérial, au moment où le développement des chemins de fer à l'étranger inaugurait une ère économique nouvelle, au plein épanouissement de laquelle nous assistons aujourd'hui, avait donc eu déjà la pensée et l'idée fécondes d'instituer auprès des agents de la France, à l'étranger, un service de conseiller industriel.
Or, aujourd'hui, où l'on voit de plus en plus le facteur économique jouer un rôle capital en matières de relations internationales, il semble que les gouvernements seront conduits tôt ou tard à imiter cet exemple, en créant auprès de leurs ambassades des services consultatifs de ce genre, d'ordre technique et industriel.
A un point de vue analogue, n'a-t-on pas déjà, au cours de ces dernières années, institué, au dehors, des attachés commerciaux, et, au dedans, des conseillers du commerce extérieur ? Parmi ceux-ci, nous figurons avec quelques-uns de nos collègues, mais en bien petit nombre.
L'utilité de ces institutions a paru indispensable au développement extérieur du commerce de la France. Il appartient donc aux ingénieurs, comme l'ont obtenu les commerçants, de marquer aussi leur influence, devenue aujourd'hui nécessaire aux rapports industriels internationaux, en vue du développement extérieur de l'industrie française. Depuis le départ de Madrid de DENIS de LAGARDE, ingénieur-conseil de notre ambassade, nos Sociétés d'ingénieurs paraissent avoir perdu de vue cet élément de leur activité, alors que celle-ci pourrait s'y employer très fructueusement pour le bien de tous, de l'industrie nationale et de nos collègues, à l'effet de provoquer l'institution, au dehors, de services d'attachés ou de conseillers industriels.
La nécessité de ces services doit s'imposer à la suite des progrès de l'industrie moderne, qui a pris, comme on sait, dans l'équilibre du monde, une influence toute nouvelle, de plus en plus considérable, bien caractéristique de notre époque. Son importance, en effet, est devenue comparable à celle des autres facteurs de la paix armée, au point de vue économique international. Après le siècle passé, qui a vu le plein épanouissement de l'esprit scientifique, le siècle actuel va donc probablement trouver dans l'industrie mondiale ses traits particuliers.
S'il en est ainsi quelque jour peut-être prochain, ce qu'il faut souhaiter en vue du développement et de l'importance que peut prendre la profession de l'ingénieur, on pourra dire que Ludovic DENIS de LAGARDE fut un précurseur dans l'exécution, à côté d'un chef d'État, qui avait conçu et réalisé le premier ce service de véritables aides de camps industriels, à côté des militaires et des diplomates. C'est un hommage à rendre à la mémoire de l'un et de l'autre, d'autant plus mérité que, sous le régime impérial, on ne pratiquait guère l'adage des temps anciens : « Cedant arma togae ! ».
Notre camarade conserva ses fonctions de conseiller à l'ambassade de Madrid, de 1865 à 1872, c'est-à-dire pendant sept années consécutives.
De 1872 à 1878, durant la guerre carliste, il prit un congé. Puis, en 1879, il fut réintégré dans ses fonctions par le gouvernement de la République lui-même, qui avait compris, à son tour, l'utilité et la nécessité de la mission de notre camarade. Celle-ci se prolongea alors jusqu'en 1882, c'est-à-dire encore trois ans. Mais à la fin de sa mission, il ne fut malheureusement pas remplacé.
DENIS DE LAGARDE avait dû, à ce moment, résigner ses fonctions pour des raisons de famille ; le décès d'un de ses fils et une grave maladie de sa femme l'obligèrent à rentrer en France.
Durant sa mission en Espagne, il avait dû assumer la direction technique de diverses exploitations minières, qu'il conduisit avec succès : les mines de Castille, celles de Pisuerga et du Carvion, enfin les houillères de Belmez.
Dans les intervalles de cette mission il en remplit d'autres en Russie, en Italie, etc.
Au cours de son séjour dans la Péninsule, notre brillant camarade, parlant l'idiome castillan comme sa propre langue, avait su s'acquérir l'estime du monde technique espagnol avec la sympathie de toute la société madrilène, où il choisit une jeune Espagnole, appartenant à l'une des meilleures familles de Madrid, et qui devint Madame DENIS DE LAGARDE.
De ce mariage naquirent huit enfants. Malheureusement, depuis son départ de l'Espagne, il avait eu à subir des deuils répétés : d'abord la perte de Madame DE LAGARDE, survenue en 1885, puis successivement celle de quatre de ses enfants, mirent à l'épreuve sa grande dose d'énergie et de philosophie. A ses derniers moments, il n'avait auprès de lui que l'une de ses filles et son dernier fils, Antonio, lieutenant d'artillerie. Il lui restait encore deux autres filles, mais qui étaient alors aux États-Unis, l'une d'elles ayant épousé un Américain.
Sa mission en Espagne avait duré dix années effectives, au cours desquelles l'ambassade de France à Madrid reçut de lui une série de rapports : sur les conditions économiques de l'exploitation des chemins de fer, sur l'état des routes et des chemins vicinaux, sur les balances du commerce et les richesses naturelles, minières, agricoles, etc..., de la Péninsule.
DENIS DE LAGARDE a publié, en 1867, aux Annales des Mines (6e série, t. XI), un très intéressant mémoire sur les mines de la province de Cordoue. Dans ce mémoire, il a décrit le terrain houiller de cette province, et notamment le bassin célèbre d'Espiel et de Belmez, ceux de Villanueva del Rio, de Vieille Castille, etc.; il a indiqué quelle était, à cette époque, la production, l'importation et la consommation des combustibles minéraux dans la Péninsule; il a décrit en outre les mines métalliques, celles de fer du district d'Espiel et de Villafranca, les hauts fourneaux et usines, les mines de plomb et de cuivre. Déjà, en terminant ce mémoire, il formulait cette conclusion, restée vraie en grande partie même encore aujourd'hui, car elle a été partagée par la plupart de nos collègues, qui ont eu à s'occuper par la suite des mines espagnoles :
« Si des Compagnies minières, composées de véritables industriels, se formaient pour mettre en exploitation les immenses richesses que recèle le sol de l'Espagne, elles réaeseraient des bénéfices importants ; ce serait pour les capitalistes espagnols une grande question d'intérêt national, pour les capitalistes français et belges, le plus sûr moyen de sauvegarder les sommes immenses qu'ils ont versées dans les chemins de fer de ce pays, et qui restent improductives parce que l'industrie est encore à créer en Espagne. »
Quelques années plus tard, en 1872, avec l'approbation du Ministre des Affaires Etrangères, il fit paraître dans les publications du Commerce extérieur de la France, ses principaux travaux sur les conditions industrielles de l'Espagne. Ceux-ci furent condensés en un volume intitulé : De la richesse minérale de l'Espagne. Dans cet ouvrage se trouvent ses observations sur la Législation des Mines, le Commerce général et sur la Viabilité (routes et chemins de fer) de l'Espagne, accompagnées d'un Résumé des documents statistiques officiels, de 1861 à 1870.
Notre camarade, dont la largeur de vues était un des traits du caractère, ne s'est pas borné, dans ces études, à examiner les questions qui en faisaient l'objet, du seul point de vue français ; il les a poursuivies également au point de vue espagnol. Et en effet, bien qu'au moment de son arrivée dans la Péninsule, les capitaux français et belges déjà investis s'élevassent à un milliard et demi de francs, il constata qu'une grande partie de ce capital demeurait improductive. Il analysa les causes de cet état de choses, qu'il a formulées ainsi dans l'Introduction de son ouvrage :
« Ces causes peuvent se résumer dans l'absence à peu près complète de voies ordinaires de communication, dans l'influence fâcheuse de moeurs et d'habitudes qui soumettent ces populations à la préoccupation de luttes continuelles des partis, et leur fait ainsi beaucoup trop perdre de vue les véritables intérêts de la communauté; enfin dans l'abstention presque absolue des capitaux nationaux, et dans l'insuffisance des capitaux étrangers, dont les progrès de l'industrie exigeraient le concours ».
Il montra que cet élément de la richesse d'une nation qui résulte de l'industrie minérale, surabondait en Espagne, qu'en s'appliquant à développer celle-ci d'une manière rapide, on mettrait en oeuvre le moyen le plus efficace pour déterminer une prompte et grande amélioration dans la situation générale du pays, et pour favoriser par cela même, dans une large mesure, les intérêts français engagés de l'autre côté des Pyrénées.
Le département des Affaires Etrangères et le Ministre des Travaux publics apprécièrent hautement les services rendus par notre camarade, qui lui valurent la croix de la Légion d'honneur. Le gouvernement espagnol, de son côté, en 1872, le fit commandeur de l'ordre de Charles III.
A son retour définitif en France, commença pour DENIS de LAGARDE une autre partie de sa carrière, déjà bien remplie comme ingénieur. Comme s'il avait été inspiré par un souvenir des siens, il entra alors dans la carrière administrative. Il fut nommé receveur des finances à Thonon (1885-1889), puis percepteur à Courbevoie (1889-1892), enfin receveur-percepteur à Paris: successivement au XVIIIe arrondissement (1891-1896), au XXe (1896-1897) et au IVe (1897). Dans ces nouvelles fonctions il fut aisément à la hauteur de sa tâche.
Par décret du Président de la République, en date du 11 juin 1884, il fut nommé adjoint au maire du XVIIe arrondissement. Nous l'avons vu, durant ces dernières années, directeur de l'Entrepôt.
Ces nouvelles occupations, d'ordre tout différent, ne l'empêchaient pas de se tenir au courant de toutes les questions de l'art de l'ingénieur, car il était resté membre de plusieurs sociétés savantes et techniques : la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, la Société des Ingénieurs Civils de France, la Société de l'Industrie minérale, l'Alliance Française, etc.... Il portait toujours le plus vif intérêt aux travaux de ces sociétés.
Tout dernièrement il était notre collègue au Comité d'organisation de la classe des Mines à l'Exposition de Milan de 1906. Il s'était fait inscrire à la Ligue nationale aérienne, son esprit toujours en éveil continuant à s'attacher à toutes les applications nouvelles de la science.
Vers la fin de sa vie, il était revenu tout à fait à la profession de l'ingénieur; il accomplit alors une mission aux Antilles, de nouvelles missions on Espagne, puis au Portugal, où il m'accompagna moi-même dans une de mes tournées professionnelles.
Il continuait à se tenir régulièrement au courant de l'état de l'industrie minière en Espagne, dont il suivait les développements dans les comptes rendus du Ministère des Travaux publics de Madrid, qu'il se faisait régulièrement envoyer.
La mort est venue le frapper à un âge déjà élevé, à soixante-treize ans; mais il était encore en pleine activité de service, dirigeant alors et depuis trois ans, d'abord comme administrateur, puis comme président du Conseil d'Administration, une société d'exploitation de garages d'automobiles. Il y apporta son expérience éclairée d'ingénieur distingué et d'administrateur habile, sa connaissance des hommes et sa longue pratique industrielle et commerciale, unies à une grande autorité de caractère.
Dans cette industrie nouvelle il sut mettre en pratique, avec succès, les méthodes d'exploitation industrielle et économique d'organisation et de travail, qui résultent de l'application judicieuse de la technique aux opérations commerciales de l'industrie. Il y fut naturellement chargé aussi de la partie technique, où il eut à faire l'emploi du ciment armé, à établir une installation autonome centrale électrique avec moteur à gaz pauvre et distribution assurant la force motrice, l'éclairage et la production d'eau. Il s'était adjoint, à cet effet, un de nos jeunes camarades, M. Mole, qui put suivre avec fruit les directions de son ancien, et en a conservé le plus respectueux souvenir.
Telle fut la carrière brillante et variée de DENIS de LAGERDE. Ceux qui l'ont connu et ses amis personnels ont perdu en lui un charmant compagnon, resté jusqu'à ces derniers jours d'un esprit particulièrement primesautier, d'une indépendance et d'une droiture de caractère, auxquelles il n'est que juste de rendre hommage, d'un dévouement et d'une cordialité parfaits.
Notre Association avait trouvé en lui un de ses ardents promoteurs et l'un de ses membres les plus empressés à travailler à son développement. Nous devons rappeler en effet, en terminant cette note, que DE LAGARDE avait joué un rôle particulièrement actif dans la création et l'administration de l'Association amicale des Élèves de l'Ecole nationale supérieure des Mines.
Il avait assisté à la première réunion de cette Association, tenue, le 24 novembre 1863, sous la présidence de notre regretté maître E. FUCHS, et de notre camarade PETITON, réunion dans laquelle furent discutés les articles des statuts. A cette séance, notre camarade JAVAL, que nous avons eu aussi le regret de perdre, il y a peu d'années, avait été proposé comme trésorier; mais il devait alors s'absenter de Paris. DE LAGARDE fut nommé à sa place et eut, à ce titre, à procéder à la première collecte des cotisations. Il suivit les premiers progrès de l'Association, jusqu'à son départ pour l'Espagne, et il en fut nommé membre fondateur en 1869.
Il participa ensuite activement à son administration, d'abord durant son congé à Paris, de 1873 à 1877, en qualité de membre du Comité, où il avait été élu en remplacement de notre regretté camarade G. BERGER, puis à son retour en Espagne, de 1880 à 1882, en qualité de membre correspondant; et enfin, à nouveau, de 1883 à 1885, comme membre du Comité. Il ne cessa jamais de s'y intéresser. Il aimait à venir aux dîners mensuels dont il était un des fidèles.
Il y a laissé le souvenir de son inaltérable bonne humeur, de son esprit plein d'entrain et toujours jeune, celui d'un ingénieur des plus distingués, dont la carrière fut admirablement remplie, laissant à l'étranger, et partout où elle s'exerça, la marque autorisée de notre chère École.
Je suis particulièrement heureux d'être ici l'interprète de notre Association et de tous ses amis, pour exprimer à sa famille nos sentiments de bien sincère condoléance, pour l'assurer de la grande part que nous avons prise au deuil qui l'a frappée, et qui la prive d'un père dont la qualité maîtresse était d'adorer tous les siens.
Puisse un jour la science, dont il fut un fanatique admirateur, dans une de ses découvertes futures et inespérées, mais dont elle est coutumière, transmettre, dans l'au delà, ces lignes à notre cher camarade, qui, dans sa demeure dernière du Père Lachaise, où il repose à présent, sera heureux d'y trouver la preuve de l'universelle estime, de la grande sympathie qu'il laisse derrière lui, et sa philosophie y rencontrer quelque consolation aux amertumes d'ici-bas.
J.-M. BEL.
Paris, le 28 avril 1911.
Voir aussi : Notice biographique sur le site de Bernard Huguenin.