Né le 25/4/1838 à Limoges.
Ancien élève de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1860) : admis aux cours préparatoires le 10/11/1859, classé 10 ; admis comme élève externe le 10/7/1860, classé 6 ; breveté le 30/5/1863, classé 4. Ingénieur civil des Mines. Il avait été admissible à Polytechnique avant d'entrer aux Mines. Voir le bulletin de notes de Lespinats.
Bulletin de l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1906 :
Jean-Baptiste-Marie-Victor Chebrou de Lespinats naquit à Limoges le 27 avril 1838. Doué d'un caractère énergique et persévérant et d'une ardeur infatigable au travail, il s'était senti de bonne heure une véritable vocation pour l'industrie, et avait été naturellement conduit à se présenter à l'Ecole nationale des Mines de Paris, où il fut admis en 1860.
Les quatre années qu'il y passa ne firent que fortifier et développer en lui au plus haut degré ses dispositions remarquables. Après sa sortie, en 1863, alors qu'il résidait à Paris en quête d'une situation conforme à ses goûts, frappé de constater combien il était difficile à de jeunes ingénieurs, même de mérite, de trouver un poste de début, surtout s'ils étaient de famille modeste et sans relations industrielles, il résolut avec quelques-uns de ses camarades de fonder une association amicale des anciens élèves de l'École des Mines. Ses efforts aboutirent: l'année suivante, en 1864, l'Association fut fondée, et son initiative y fut pour une grande part.
Au banquet annuel du 28 décembre 1893, présidé par lui, V. de Lespinats a d'ailleurs rappelé lui même ces souvenirs : ses paroles, qui résument si nettement les origines de l'Association, méritent d'être rappelées:
« L'idée de la fondation de notre Association, disait-il, me fut donnée, en 1863, par notre camarade Hébert, de la promotion de 1860, décédé depuis bien des années.
» J'étais à Paris, nouvellement sorti de l'École avec un superbe diplôme d'ingénieur, mais ne trouvant personne disposé à me confier un poste me permettant d'utiliser mes connaissances et montrer mon désir de bien faire.
» Un jour Hébert vint me trouver pour m'engager a employer mes loisirs à la fondation d'une Association entre les anciens élèves de l'Ecole des Mines et à prendre pour modèle celle existant entre les élèves de l'École centrale.
» Trouvant l'idée excellente, je cherchai aussitôt le moyen de la réaliser. Celui qui me parut le plus pratique fut de convoquer dans ma modeste chambre d'étudiant plusieurs camarades, pour élaborer un avant-projet de statuts, destiné a servir de base a une discussion.
» Je ne nommerai aucun de ceux qui assistèrent à ces premières réunions, de crainte, au bout de 32 ans, d'être mal servi par ma mémoire et d'oublier plusieurs noms.
» Je dirai seulement que ces séances furent présidées par le camarade Petiton, le plus âgé d'entre nous.
» Le projet d'Association, résultat de nos délibérations, ayant été favorablement accueilli par les anciens, fut étudié, modifié et mis au point dans des réunions de plus en plus nombreuses qui eurent lieu dans les salons du camarade Javal et dans ceux de notre professeur de paléontologie, M. Bayle.
» Bien entendu, les ouvriers de la première heure, et en particulier celui qui vous parle, eurent soin de rentrer dans le rang aussitôt que des camarades plus âgés voulurent bien s'intéresser au succès de leur projet. »
C'était d'ailleurs une belle cause à plaider pour un coeur loyal et généreux comme le sien : elle trouva en lui un défenseur hors de pair et l'ardeur éloquente avec laquelle elle fut plaidée en assura le succès rapide. C'est pour ainsi dire la première oeuvre à laquelle contribua V. de Lespinats, oeuvre utile au premier chef si l'on en juge par les services qu'elle a rendus et qu'elle est encore appelée à rendre ; mais c'est aussi la première expression publique de ce sens si droit et si clairvoyant qui ne devait jamais l'abandonner.
Il débuta dans la carrière d'ingénieur civil dans les mines de Maurienne, à Argentine, et peu de temps après entra comme ingénieur aux usines de cuivre de Panchot, dans l'Aveyron. Dans ces deux postes, il acquit rapidement l'expérience si nécessaire des affaires pour toute carrière industrielle.
A son départ des usines de Panchot s'ouvrit pour lui une nouvelle phase : la Lorraine, qui n'était pas son pays natal, avait cependant pour lui beaucoup d'attraits ; il y retrouvait son beau-frère, M. Amédée de Margerie, alors professeur de philosophie à la Faculté de Nancy, et dont le souvenir si sympathique y est resté si vivant. Peut-être ce foyer d'affection ne fut-il pas étranger à l'origine de l'usine de Neuves-Maisons, dont M. de Lespinats devait être le fondateur et l'organisateur.
En 1868, M. de Lespinats trouvait par son mariage la compagne dévouée qui sut si bien comprendre ses aspirations et soutenir son courage dans la tâche souvent difficile et délicate qu'il eut à accomplir. C'est à partir de ce moment que sa carrière devait commencer à devenir particulièrement brillante.
Dès 1869, il commença sur les gisements de minerai de fer de Lorraine des études et des recherches actives que vint interrompre momentanément la guerre de 1870.
Aussitôt après la conclusion de la paix il reprit ses études, et fut amené, par la construction du chemin de fer de Vézelise et du canal de la Haute-Moselle, à fixer son choix à Neuves-Maisons, à l'intersection même de ces deux lignes de transport également importantes à des titres divers au point de vue industriel.
Avec quelques amis qu'il sut grouper et convaincre des avantages indiscutables d'un tel emplacement, il fonda la Société de la Haute-Moselle qui obtint, en 1874 la concession de minerai du Val-de-Fer, et commença immédiatement la construction de l'usine si remarquable à tous égards de Neuves-Maisons.
Rien n'avait été négligé pour que cette installation fût aussi parfaite que possible; les derniers perfectionnements y avaient été apportés; en 1881, lorsque j'eus l'occasion de la visiter, après ma première année d'École des Mines, c'était pour la région un véritable modèle.
V. de Lespinats se consacrait entièrement à cette oeuvre, avec la conscience et le soin extrêmes qu'il apportait à tout ce qu'il faisait, étudiant lui-même a fond les moindres détails, et ne se lassant jamais de rechercher et d'appliquer les perfectionnements qui lui semblaient utiles à la bonne marche de ses hauts-fourneaux ; la réussite fut d'ailleurs remarquable.
L'édification de cette oeuvre était une confirmation éclatante de ses connaissances approfondies en métallurgie. D'ailleurs ses goûts personnels et son ardeur opiniâtre au travail avaient développé en lui deux qualités qu'il est rare de trouver associées de nos jours à un tel degré de compétence : il était également remarquable comme métallurgiste et comme ingénieur des mines; encouragés par son obligeance inépuisable, ses confrères aimaient à venir le consulter dans les cas difficiles.
V. de Lespinats avait aussi pour ses ouvriers une bienveillance toute paternelle qui n'était égalée que par l'affectueuse sollicitude qu'il leur témoignait. Préoccupé au plus haut degré de leur bien-être, il avait eu la joie de pouvoir se dire, lorsqu'il prit sa retraite, qu'aucun accident mortel n'était venu attrister l'usine pendant sa direction.
Animé d'une conviction religieuse aussi profonde qu'éclairée, tout en respectant au plus haut degré la liberté de conscience chez ses subordonnés, il avait doté l'usine de Neuves-Maisons d'une chapelle où les ouvriers retenus le dimanche à l'usine par leur travail pouvaient, s'ils le désiraient, remplir leurs devoirs religieux à l'exemple de leur chef.
A ces qualités éminentes d'ingénieur rompu aux difficultés du métier, V. de Lespinats joignait celles d'un administrateur hors de pair.
Imbu de ce principe que la force réside dans l'union, cédant aussi a ce désir inné d'arriver à une entente loyale entre confrères, il avait pour souci constant de substituer la concorde a la concurrence excessive qui se produisait fréquemment : sa parole aussi courtoise que chaleureuse fut pour beaucoup dans la réussite de cette idée, et participa puissamment à la fondation des comptoirs qui ont créé et assurent encore aujourd'hui les excellents rapports, si féconds à tous égards, qui régnent entre les métallurgistes.
L'autorité qu'il avait acquise en pareille matière l'avait fait nommer, depuis le 1er mars 1901, membre correspondant de la Chambre de Commerce de Nancy.
En 1897, la croix de chevalier de la Légion d'honneur était venue récompenser les services importants qu'il avait rendus et consacrer officiellement la haute eslime dont il jouissait à si juste titre.
Lorsque, en 1897, par suite de sa fusion avec la Société de Châtillon-Commentry, la Société de Haute-Moselle qu'il avait créée et qu'il n'abandonnait pas sans regret, n'eut plus besoin de sa direction immédiate, V. de Lespinats ne voulut pas prendre un repos qui aurait paru bien mérité à d'autres que lui.
Aux fonctions d'administrateur de Châtillon-Commentry, d'Auberives-Villerupt et de Senelle-Maubeuge, il joignit pendant un certain temps celles de Président de la Société industrielle de l'Est. Son passage y fut marqué par une oeuvre d'intérêt général à laquelle son nom restera attaché: la recherche de la houille en Meurthe-et-Moselle.
A l'aide de sa parole vibrante, jeune malgré les ans, il suscita le concours de toute la grande industrie de l'Est de la France, et par sa haute autorité et son esprit de conciliation, avec le tact et la délicatesse qui le distinguaient, il réussit à grouper en un seul faisceau, pour arriver au but, des forces qui, dispersées et se faisant concurrence, se seraient neutralisées mutuellement et n'auraient pas abouti.
Président des Sociétés lorraines de charbonnages réunies, il se consacra à ces fonctions avec un zèle et une ardeur infatigables. C'était merveilleux de voir quel enthousiasme il apportait à la recherche de ce problème si séduisant, et pouvant, si le résultat en était heureux, donner une destinée nouvelle aux industries de l'Est. Les résultats négatifs, l'insuffisance des couches de houille en divers points, tout en le laissant soucieux, ne le décourageaient pas; il estimait justement que le problème était encore loin d'être résolu, tout en convenant que la houille était moins abondante qu'on pouvait le présumer (le houiller ayant été atteint dans tous les sondages qui ont foré jusqu'au primaire), il exprimait l'espoir que, dans un bassin si vaste, on finirait sans doute par découvrir des points où le houiller est plus riche en houille..... Il ne lui a pas été donné de vivre assez pour savoir si cet espoir se réalisera.
Mais aussi, lorsque des constatations de nouvelles couches faisaient naître l'espoir, quel enthousiasme se manifestait chez lui! La découverte de la houille à Pont-à-Mousson, la constatation de la couche de 2m65 d'Abancourt comptent certainement parmi les belles joies qu'il ait éprouvées.
Plus que d'autres, il aurait été fondé à revendiquer une part dans la priorité de l'idée de rechercher le prolongement souterrain du bassin de Sarrebrück. Lorsque Vivenot-Lamy vint le trouver, en 1882, pour lui demander de soutenir son idée de rechercher la houille à Ménil-Flin, M. de Lespinats exprima le désir de le voir se reporter au nord, à proximité du bassin de Briey : c'était plutôt dans cette région, pensait-il, que l'on pourrait retrouver quelque chose d'analogue au riche bassin de Sarrebrück.
Mais, en rappelant parfois ce souvenir dans nos entretiens, M. de Lespinats aimait à reconnaître que le premier géologue qui sinon ait eu, du moins ait donné aux autres cette idée, était Élie de Beaumont, lorsque, en 1840, ce maître éminent de la géologie française publiait, en collaboration avec Dufrénoy, la carte géologique de la France où apparaissait, tranchant en noir sur des teintes claires, la bordure du bassin de Sarrebrück ; il eût suffi de prolonger de quelques centimètres en ligne droite cette bordure si nette pour délimiter la région voisine de Pont-à-Mousson, où la houille a été reconnue en Meurthe-et-Moselle, et il a fallu plus de soixante ans pour effectuer ce travail ! Il est vrai que pendant longtemps la nécessité ne s'en était pas fait sentir ; et que, lorsqu'on commença à y songer, l'épaisseur des morts terrains à traverser lit longtemps reculer les plus hardis, par suite de la connaissance insuffisante de la structure géologique détaillée du sol lorrain.
V. de Lespinats ne devait pas avoir la satisfaction de voir l'issue de cette campagne de recherches sur la houille en Lorraine française, campagne à laquelle il s'était entièrement donné ; en pleine activité, quelques jours à peine après avoir encore fait une tournée de visite dans les sondages, il était brusquement enlevé par une crise à laquelle n'a pu l'arracher ni l'affection profonde, ni les soins si intelligents et si dévoués dont il était entouré par Madame de Lespinats, qui, après avoir si bien compris le caractère élevé de son mari et en avoir partagé les aspirations, était mieux que personne à même d'adoucir ses derniers moments.
Ces hautes qualités de délicatesse et de loyauté, de dévouement et d'obligeance inépuisable qu'on lui connaissait dans sa vie industrielle et publique, se retrouvaient plus complètement encore, s'il est possible, dans sa vie privée, et s'ajoutaient à des convictions religieuses aussi fermes qu'éclairées.
M. de Lespinats savait aussi être un ami généreux, fidèle et dévoué, et n'attendant pas qu'on lui fit appel, était toujours prêt à rendre service avec la plus délicate et la plus affectueuse spontanéité surtout dans les épreuves et dans la mauvaise fortune.
J'ai cherché dans ces quelques lignes à retracer les traits qui m'ont le plus frappé dans le caractère de notre regretté camarade ; on peut dire, sans exagération, que des entretiens qu'on avait avec lui se dégageait un sentiment sincère de vénération; dans les discussions délicates il savait allier la plus grande courtoisie avec la franchise la plus nette ; tous, même ses adversaires d'un moment, conservent de lui un sentiment d'estime respectueuse, confirmée encore par sa délicatesse innée, sa grande bonté et son désir incessant de soutenir, avec un dévouement sans bornes, ceux qui étaient atteints par des revers immérités. A ces qualités de l'homme privé s'en joignaient d'autres non moins remarquables au point de vue de l'intelligence ; ingénieur éminent, comme métallurgiste et comme mineur, il avait dans les affaires industrielles un jugement sûr et droit joint à une haute expérience. Travailleur opiniâtre, il avait conservé une jeunesse d'esprit extraordinaire et un enthousiasme qu'il savait communiquer par une élocution aussi élégante que lucide. Son rôle en Lorraine a été des plus importants pour les destinées de l'industrie métallurgique : V. de Lespinats mérite à tous égards d'être cité comme un haut exemple de ce que peut faire la volonté chez un homme intelligent, bon, droit et loyal.
(M. Victor Sépulchre, ami personnel de M. de Lespinats, a communiqué la plupart des détails contenus dans cette notice ; plusieurs paragraphes sont la transcription presque textuelle des notes de M. V. Sépulchre.)
Voir aussi le témoignage de A. PETITON sur le rôle de V. de LESPINATS dans la création de l'Association des anciens élèves