Armand Nicolas DEMONGEOT (1841-1875)


Demongeot, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP


Demongeot, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1861) et de l'Ecole des mines de Paris. Corps des mines.

Fils de Pierre DEMONGEOT, directeur de l'Ecole Normale, et de Marie LAVALLE. Religion protestante.

Epoux de Mary Weld Burch, dont 3 enfants.


Publiés dans Annales des Mines, 7e série vol. 7, 1875.

Texte par E. Lamé-Fleury

Le dimanche 7 mars 1875, ont eu lieu les obsèques de M. Demongeot, ingénieur des mines, maître des requêtes au Conseil d'État, enlevé, à l'âge de 35 ans, par une maladie foudroyante et dans les circonstances les plus douloureuses. Au cimetière du Père-Lachaise, les discours suivants ont été prononcés avant que le pasteur fit entendre les dernières paroles.

I .- M. AUCOC,
PRÉSIDENT DE LA SECTION DES TRAVAUX PUBLICS, DE L'AGRICULTURE , DU COMMERCE ET DES AFFAIBES ÉTRANGÈRES, AU CONSEIL D'ÉTAT.

Je suis sûr de répondre au sentiment du Conseil d'État, en déposant sur cette tombe l'expression des regrets que lui inspire la mort si prompte, si prématurée, de notre jeune collègue.

Il y a peu de jours, Demongeot était frappé d'un coup bien cruel : l'aîné de ses enfants lui était enlevé. Vous lui aviez apporté des témoignages de sympathie qui avaient tempéré l'amertume de sa douleur. Il m'écrivait à cette occasion : j'ai senti que le Conseil d'État est une famille à laquelle il est doux d'appartenir. Hélas! il ne nous appartient plus et n'aura fait parmi nous qu'une brillante apparition. Il ne nous aura donné de grandes espérances que pour nous laisser de plus vifs regrets.

Je ne l'ai connu qu'il y a quatre ans, lorsqu'il arriva, en qualité d'auditeur, à la Commission provisoire chargée de remplacer le Conseil d'État. Il se fit remarquer immédiatement au milieu de ces jeunes gens d'élite.

Après être sorti le premier de l'École polytechnique et être arrivé à la position d'ingénieur des mines, il avait momentanément quitté cette carrière pour entrer dans celle du barreau. Unissant les connaissances scientifiques de l'ingénieur aux connaissances juridiques de l'avocat, il abordait, avec une préparation tout exceptionnelle, les études administratives. Doué d'une grande facilité de parole, s'attachant avec ardeur à approfondir toutes les questions qu'il avait à traiter, il donnait à ses travaux un relief qui captivait l'attention.

Aussi, lors de la réorganisation du Conseil d'État, fut-il nommé maître des requêtes. Le Conseil d'État se souvient encore du premier rapport qu'il fit devant l'assemblée générale. Son talent nous frappa tous vivement. On se félicitait d'avoir un pareil collaborateur.

Préoccupé de mériter toujours nos suffrages, de fortifier notre sympathie, il travaillait sans relâche à étendre ses connaissances. Tout en déployant le plus grand zèle dans l'accomplissement de ses devoirs au Conseil d'État, il avait entrepris avec succès de faire, à l'Ecole libre des sciences politiques, un cours de droit administratif. Il collaborait activement aux travaux de la Société de législation comparée. Il était encore membre de l'Association française pour le progrès des sciences.

Mais que sert d'insister sur les mérites exceptionnels de notre jeune collègue, sur les services qu'il nous rendait, sur ceux que nous pouvions espérer de lui quand ses qualités seraient arrivées à se développer complètement!

De la brillante carrière que promettaient ses débuts, il ne reste plus qu'un souvenir, il ne reste qu'une nouvelle preuve de la fragilité des joies et des succès de ce monde. Hélas! ce n'est que trop vrai et je sens bien qu'au bord de cette tombe, les pensées qui se rattachent à l'éternité ont seules quelque valeur.

Mais nous devions cet hommage à sa mémoire. Ses enfants, qui l'auront à peine connu, pourront retrouver un jour le témoignage de l'estime que leur père, bien jeune encore, avait déjà su mériter. Sa compagne désolée saura que le Conseil d'État, l'École libre des sciences politiques et la Société de législation comparée sont très-sensibles à la perte cruelle qu'ils viennent de faire et s'associent, avec une sympathie d'autant plus vive, à sa profonde douleur.

II. - Discours de M. ALFRED DURAND-CLAYE,
INGÉNIEUR DES PONTS ET CHAUSSÉES.

Messieurs, avant que la tombe de notre cher Demongeot soit fermée à tout jamais, permettez-moi de lui dire un dernier adieu, au nom de ses amis et camarades de l'École polytechnique. Il était le premier de notre promotion ; nous nous le rappelons arrivant déjà à l'École dans un excellent rang, puis prenant bien vite la tête ; toutes les branches multiples de l'enseignement de l'École, il les embrassait avec la même facilité, avec le même succès, joignant d'ailleurs à de hautes facultés mathématiques une excellente éducation littéraire. Dès cette époque, il avait une facilité d'élocution et une maturité d'esprit étonnantes chez un jeune homme de vingt ans ; ses camarades en étaient surpris et charmés; nous étions tous fiers de notre cher major.

Sorti de l'École polytechnique, il savait, par un travail assidu et méthodique, aidé d'une intelligence supérieure, mener de front la double carrière d'ingénieur des mines et d'avocat. Après avoir été quelque temps chargé d'un service en province, il revint à Paris et fut élu l'un des secrétaires de la conférence des avocats. C'est alors, en 1869, qu'il prit la jeune et charmante compagne qui pleure à la fois aujourd'hui son mari et son enfant. C'est alors aussi qu'il manifesta courageusement cet esprit libérai et élevé qui ne l'a pas quitté un instant durant sa trop courte carrière. La guerre arrive et avec elle le siège de Paris, où les questions d'approvisionnement prennent une terrible importance; il devient le collaborateur zélé du ministre du commerce, ancien ami de sa famille; il court aux magasins, il travaille dans les bureaux, toujours avec son admirable netteté d'esprit. La Commission provisoire chargée de remplacer le Conseil d'État impérial se forme; sa place y était marquée; il mène de front ses nouvelles fonctions d'auditeur avec son travail des approvisionnements. En 1872, le Conseil d'État est reconstitué ; Demongeot y devient maître des requêtes, aux applaudissements de ses chefs et de ses collègues.

Tout semble alors sourire à notre excellent ami : une compagne adorée, trois enfants, des amis qui lui étaient dévoués du fond du coeur,... nous en répondons! Vous venez d'entendre en quelle estime il était tenu au Conseil d'État. A la Société de législation comparée, à l'École des sciences politiques, un succès toujours croissant et qui ne ralentissait jamais son ardeur au travail. Chacun de ses succès semblait lui imposer une nouvelle tâche, qu'il remplissait toujours avec le même bonheur.

Messieurs, vous savez tous le drame navrant qui nous réunit autour de cette tombe ; une pauvre enfant enlevée en quatre jours, sous les yeux, dans les bras de notre ami ; lui, ne la quittant pas, se penchant sur sa couche, recueillant son dernier souffle et contractant du même coup le mal terrible; terrassé en quelques jours, maître de lui jusqu'à la dernière heure, se voyant mourir sans faiblesse, appelant à son chevet sa chère compagne et s'éteignant, intelligence libre, calme, résigné, ayant un mot d'adieu, un souvenir pour chacun,.........


A ces deux discours, il convient de joindre l'expression des regrets que le ministre de la justice a fait entendre, quelques jours plus tard, en recevant les membres du Conseil d'État, dont le garde des sceaux est le président. Après avoir parlé de M. Odilon Barrot, qui, au moment de sa mort, était vice-président, M. Jules Dufaure a dit :

« M. Odilon Barrot était du moins parvenu à l'extrême vieillesse; mais pourquoi la mort nous a-t-elle ravi ce brillant et sympathique jeune homme qui faisait l'orgueil et comme l'ornement de notre maîtrise, M, Demongeot, dont l'érudition et le talent permettaient de concevoir de si grandes et de si légitimes espérances, et dont la fin prématurée n'a pas seulement laissé un vide dans le sein du Conseil, mais a été considérée comme une véritable perte par tous ceux qui s'intéressent à l'élite de la jeunesse française et se demandent, après tant de malheurs, quel avenir est réservé à notre pays? »

Après d'aussi solennels hommages, il n'est évidemment rien permis d'ajouter au sujet des qualités remarquables qui étaient l'apanage de notre jeune camarade et qui convenaient si particulièrement à la carrière où sa destinée l'avait finalement porté. Mais il est une réflexion qu'ont dû faire tous ceux qui connaissaient M. Demongeot ; c'est que, depuis les bancs de l'École polytechnique, on le suivait sans pouvoir saisir la moindre défaillance dans l'élan de sa fortune, ce qui affecte encore plus péniblement dans la mort prématurée de ce jeune homme. Non-seulement il était heureusement doué, mais encore il était essentiellement heureux, par suite de la sympathie qu'il, inspirait à tous ceux qu'il approchait.

Ainsi, lors de l'élection des auditeurs de cette Commission provisoire où commença à se manifester avec éclat son aptitude aux affaires administratives, sa candidature fut à l'envi indiquée de divers côtés. Lors de la réorganisation du Conseil d'État, la limite d'âge légale, qui aurait pu être fatale à M. Demongeot, lui avait, au contraire, été extrêmement favorable : il ne pouvait plus être admis aux épreuves du concours pour l'auditorat de première classe, par suite de quelques mois de trop; mais le président de sa section, l'ayant remarqué et apprécié, tenait beaucoup à le conserver au Conseil d'État et le désignait à la présentation du garde des sceaux, sur le rapport duquel il fut nommé maître des requêtes. On vient de voir combien M. Dufaure et M. Aucoc s'étaient félicités du choix de leur jeune collaborateur.

E. LAME FLEURY