N° 107 - Juillet 2022 - Environnement : Face à la longue urgence
La résilience : une technologie du consentement ?
Par Thierry RIBAULT
CLERSE (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques), CNRS-Université de Lille
Dès les années 1940, la notion de résilience est sortie de son champ d’application originel ‒ la physique des matériaux ‒ pour devenir le couteau suisse thérapeutique de la société industrielle. Il n’existe désormais plus aucune catastrophe, personnelle ou collective, dont certains promoteurs de la résilience ne se saisissent en exhortant chacun à faire de sa destruction une source de reconstruction, et de son malheur une source de bonheur. Selon les partisans de l’accommodation, être résilient signifie non seulement être capable de vivre malgré l’adversité et la souffrance, mais surtout être capable de vivre grâce à elles, de grandir et de s’adapter par la perturbation et la rupture, et de faire acte de foi envers elles. En réalité, cette idée est inapplicable dans beaucoup de situations d’exposition toxique, pathogène ou radioactive. L’analyse critique de ces politiques de résilience appliquées à ce type de désastres – de Fukushima à la constitution d’une mission parlementaire sur la résilience nationale, en passant par l’opération militaire « Résilience » pour mener « la guerre contre l’épidémie de Covid-19 » et la loi « Climat et résilience » –, montre comment elles construisent autour de cette notion1 une sorte de nouvelle « religion d’État ». Elle peut néanmoins être aussi utilisée pour détourner l’attention des causes des désastres vers leurs effets ; pour se défocaliser de l’objectivité de la catastrophe et se concentrer sur la subjectivisation de sa gestion et de sa narration ; pour mettre sous le boisseau des affects supposés négatifs, notamment la peur et la colère, au profit d’une survalorisation de ceux supposés positifs, comme la solidarité et la responsabilité. La résilience n’est donc pas une notion détournée, mais un instrument de détournement : elle devient une technologie du consentement.
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N° 107 - July 2022 - Environment: Facing the long emergency
Resilience: a technology of consent?
Thierry Ribault,
CLERSE (Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques), CNRS-University of Lille
Since the 1940s, the notion of resilience has left its original field of application ‒ the physics of materials ‒ to become the therapeutic Swiss Army knife of industrial society. There is no longer any catastrophe, personal or collective, that some promoters of resilience do not seize upon, urging everyone to turn their destruction into a source of reconstruction, and their misfortune into a source of happiness. According to the proponents of accommodation, being resilient means not only being able to live through adversity and suffering, but above all being able to live through them, to grow and adapt through disruption and disruption, and to take a leap of faith towards them. In reality, this idea is inapplicable in many situations of toxic, pathogenic or radioactive exposure. A critical analysis of these resilience policies applied to such disasters – from Fukushima to the constitution of a parliamentary mission on national resilience, to the military operation ‟Resilience” to wage ‟the war against the Covid-19 epidemic” and the ‟Climate and Resilience” law ‒ shows how they build around this notion a kind of new ‟state religion”. However, it can also be used to divert attention from the causes of disasters to their effects; to defocus on the objectivity of the disaster and to focus on the subjectivization of its management and narration; to put supposedly negative affects, such as fear and anger, under the bushel in favor of an overvaluation of supposedly positive ones, such as solidarity and responsibility. Resilience is therefore not a hijacked notion, but an instrument of detour: it becomes a technology of consent.
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