La série Responsabilité & Environnement publie trimestriellement des dossiers thématiques sur des sujets concernant les risques, le développement durable ainsi que l’énergie et les matières premières. Piloté par un spécialiste du secteur sous l’égide du Comité de rédaction de la série, chaque dossier présente une large gamme de points de vue complémentaires, en faisant appel à des auteurs issus à la fois de l’enseignement et de la recherche, de l’entreprise, de l’administration ainsi que du monde politique et associatif. Voir la gouvernance de la série
Par Grégoire POSTEL-VINAY Rédacteur en chef des Annales des Mines
Limiter le réchauffement ou s’y adapter ?
Les deux sont indispensables. La limitation du réchauffement est une exigence majeure. Elle suppose à l’évidence une action mondiale, qui ne fera sentir ses effets qu’à moyen et long terme. La montée du niveau de la mer, par exemple, est cependant inexorable pour un temps très long.
Dans ce cadre, la France seule (environ 0,85 % de la population mondiale et 0,9 % des émissions de gaz à effet de serre) ne pourra pas faire de miracle. Ce n’est cependant absolument pas une raison de baisser les bras. Tous les acteurs, États, acteurs économiques et citoyens, doivent intensifier, leurs efforts d’atténuation en la matière.
Parallèlement, il va aussi falloir vivre au moins mal avec ce réchauffement, et donc s’y adapter. En l’occurrence, il s’agit de prendre des mesures techniques, juridiques, administratives, économiques, financières, sociales destinées à produire leurs effets assez rapidement.
Concernant l’eau, les exemples vécus récemment, sécheresses, inondations, orages, grêles, leurs effets et leurs perspectives montrent à l’évidence l’urgence. Aussi le Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, lancé le 30 mars dernier par le gouvernement et le président de la République, élaboré après une large concertation, vise à répondre à cet objectif et traduit l’engagement de l’État dans cette voie. Ses trois axes principaux : organiser la sobriété des usages, optimiser la disponibilité de la ressource et préserver la qualité de l’eau organisent l’en- semble des problèmes posés. Il comporte en sus un « axe IV » horizontal : mettre en place les moyens d’atteindre
ces ambitions.
Par Pierre ROUSSEL Ancien directeur de l’eau, membre du comité national de l’eau et du comité de bassin Loire-Bretagne
L’actualité nous rappelle régulièrement, la diversité l’importance, le poids politique, économique, passionnel, de ces questions : élévation du niveau de la mer, inondations, sécheresse, fonte de glaciers, élévation de la température de l’eau, pour ne citer que quelques phénomènes. Et cette liste est bien incomplète. Les conséquences seront innombrables et à très long terme, voire irréversibles, parfois dramatiques (disparition de pays due à l’élévation du niveau de la mer, réfugiés climatiques…), parfois « économiquement rentables » (ouverture de la navigation arctique…).
Encore ces conséquences ne concerneront-elles pas que l’homme, sa santé et son mode de vie. La biodiversité par exemple subira, elle aussi, de atteintes profondes, et pour certaines irrémédiables (disparition d’espèces). Le schéma ci-dessous en donne une idée, hélas optimiste quand il évoque un réchauffement de « seulement » 1,5°C (Source : INRAE).
Par Didier PILLET Membre permanent du Conseil général de l’économie
Avec les événements récents intervenus en Ukraine, la question énergétique s’est brusquement invitée dans l’actualité. Ce conflit russo-ukrainien et ses conséquences en termes de restrictions des livraisons de gaz et de pétrole en provenance de la Russie, sont venus nous rappeler, s’il le fallait, à quel point nos sociétés sont, dans leur fonctionnement, fortement dépendantes de l’énergie. Cette relation entre énergie et sociétés n’est bien sûr pas nouvelle. De tout temps, en effet, la disponibilité de l’énergie a déterminé le niveau de développement des sociétés.
C’est particulièrement vrai de la période couvrant les 100 dernières années qui a vu une utilisation croissante des ressources pétrolières à l’origine d’un développement économique sans précédent à l’échelle mondiale. Ce résultat tient beaucoup aux avantages attachés au pétrole, une matière liquide facilement stockable et transportable, et présentant une forte densité énergétique, en comparaison des autres formes d’énergies fossiles que sont le charbon et le gaz. L’abondance énergétique qui a accompagné la montée en puissance de la ressource pétrole a paradoxalement éclipsé le rôle central de cette forme d’énergie. Cela a privilégié un pilotage des économies majoritairement réalisé à partir d’outils monétaires et financiers, sans trop se préoccuper de l’approvisionnement énergétique nécessité par le développement économique, considérant en quelque sorte que l’intendance suivrait, le secteur énergétique étant alors vu comme un secteur parmi d’autres secteurs de l’économie.
Par Gérard ROUCAIROL Président du pôle Numérique de l’Académie des technologies et président honoraire de l’Académie des technologies
Le caractère extrêmement diffusant des technologies du numérique et leur rythme d’adoption rapide pour des usages grand public ou professionnels de plus en plus nombreux rendent naturellement nécessaires l’étude et la mise en oeuvre de leur transition énergétique.
Cependant, les techniques du numérique ont largement démontré, depuis plusieurs décennies, leur capacité à piloter et à soutenir les changements de comportement des organisations et des individus au service d’objectifs divers et variés, et cela à des échelles de plus en plus importantes. C’est pourquoi tout aussi naturellement que se pose la question de l’usage du numérique pour faciliter la transition énergétique, l’accélérer et déployer des solutions efficaces au sein de la société dans son ensemble.
Par Olivier APPERT Académie des technologies, Centre Énergie de l’IFRI
Et Richard LAVERGNE Conseil général de l’Économie
Le présent numéro des Annales des Mines a été conçu de façon à actualiser et prolonger un précédent numéro, paru dans la série Responsabilité & Environnement, le n°87 (de juillet 2017) intitulé « Transition numérique et transition écologique ». Mais il trouve aussi des complémentarités avec plusieurs autres numéros récents et anciens portant sur l’énergie et le numérique, dont le n°15 (de septembre 2021) paru dans la série Enjeux numériques et intitulé « Le numérique et la refondation du système électrique ».
Ce numéro tire également profit des réflexions d’un groupe de travail co-présidé par Olivier Appert et Gérard Roucairol, qui a été créé au sein de l’ANRT (Association nationale Recherche Technologie) dans le cadre de la préparation de la Stratégie nationale de recherche énergétique. Ce groupe a rendu son rapport1 en mai 2022, avec pour intitulé « Énergie et Numérique : des défis réciproques », un rapport que les coordonnateurs ont amplement utilisé pour organiser le présent numéro.
Par Agnès PANNIER-RUNACHER Ministre de la Transition énergétique
Notre système électrique est aujourd’hui à un point de bascule à la suite de trois immenses chocs. Ces chocs s’ajoutent à l’impératif d’accélérer dans la décarbonation de nos systèmes énergétiques pour lutter contre le dérèglement climatique.
Un choc de demande mondial, celui de la reprise économique post-Covid, plus vigoureuse et plus consommatrice de ressources énergétiques. Un choc d’offre du système gazier, conséquence de la guerre en Ukraine, et qui se transmet, en raison d’un mix électrique européen encore très dépendant du gaz, à notre système électrique commun. Un choc interne au système européen, lié à la baisse de la production nucléaire et hydroélectrique qui a fait perdre plus de 120 TWh à l’échelle européenne en 2022.
Ces trois événements ont conduit à des augmentations de prix dans des proportions encore jamais connues sur les marchés de l’électricité. Ces chocs nous interpellent, car ils sont révélateurs.
Par Ivan FAUCHEUX Membre du collège de la Commission de régulation de l’énergie
La transition énergétique a de très fortes chances de conduire à privilégier le vecteur électrique pour être le principal vecteur de la décarbonation des usages. Ce vecteur, qui présente comme principal défaut de ne pas pouvoir être stocké, sauf à des coûts encore très prohibitifs, s’est construit sur un marché essentiellement piloté par l’ajustement et l’équilibrage des réseaux. C’est ce qui a conduit à un design de marché reposant essentiellement sur la détermination du prix de l’électricité en fonction du coût marginal du dernier moyen de production appelé dans l’ordre de mérite (merit order). Par ailleurs, la capacité du consommateur à modifier sa consommation ou son profil de consommation va devenir un enjeu crucial dans les années qui viennent. Face à une élasticité-prix faible, notamment dans le domaine de l’électricité, la recherche des moyens pour amener les consommateurs à s’engager dans la transition énergétique devient une priorité, surtout dans les années qui viennent où les difficultés de production du parc nucléaire français, combinées à une crise gazière sans précédent, vont rendre l’équilibre entre l’offre et la demande encore plus tendu. Enfin, les réseaux se sont historiquement construits sur des énergies qui s’ajoutaient les unes aux autres. La transition énergétique va venir bouleverser cette architecture historique de façon très rapide avec des conséquences non négligeables sur la façon dont l’électricité et les autres énergies vont cohabiter à court et moyen termes.
Le présent numéro de Responsabilité & Environnement est structuré autour de trois axes majeurs : le marché en tant qu’outil de la rencontre de l’offre et de la demande ; le consommateur, particulier ou industriel, qui doit vite démontrer sa capacité à participer activement à l’équilibre du système et, enfin, les réseaux, ces indispensables sous-jacents à l’existence d’un marché. Dans cette introduction, nous insisterons essentiellement sur les questions auxquelles les articles publiés dans ce numéro ont pour ambition de répondre.