Les ingénieurs des mines consolident les catacombes de Paris
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Durant tout le XIXe siècle, les ingénieurs du corps des Mines furent chargés de veiller sur le sous-sol parisien. On peut se demander pourquoi ce corps technique d'Etat, dont les effectifs étaient faibles, affectait un et parfois plusieurs ingénieurs à ce travail somme toute accessoire, alors qu'il avait en charge l'ensemble des installations de l'industrie lourde et des mines.
A vrai dire, le problème de l'instabilité du sous-sol parisien se posait bien avant le début du XIXe siècle. Les carrières de Paris fournissaient depuis des siècles les matériaux de la construction de la ville. Lorsqu'en juillet 1678 Colbert demanda à l'Académie d'Architecture d'inventorier les anciennes églises et les anciens bâtiments de Paris pour connaître l'origine et la qualité des pierres utilisées, il lui fut répondu, par un rapport du 17 avril 1679, que sur 96 monuments d'Ile-de-France étudiés, 45 étaient constitués de matériaux fournis par les carrières de Paris. Depuis lors, l'exploitation du sous-sol n'avait fait que se développer sans qu'une véritable réglementation ne vienne la limiter. Cette absence de contrôle entraînait une ignorance quasi-totale de l'ampleur de l'exploitation, de l'extension véritable des galeries d'extraction. Mais lorsque les constructions progressèrent en surface et lorsque les effondrements devinrent fréquents, les problèmes ne purent être éludés plus longtemps.
Les problèmes du sous-sol parisien furent posés de façon spectaculaire en 1774 lorsque divers effondrements se produisirent entre le boulevard Neuf et la barrière d'Enfer. Un arrêt du Conseil de la fin de 1776 ordonna une visite générale et des levées de plan de toutes les excavations de ces souterrains. On acquit ainsi la certitude que les monuments, les églises et la plupart des voies publiques des quartiers sud de Paris étaient menacés d'effondrement en de multiples endroits : l'Observatoire, le Val de Grâce et le Luxembourg en premier lieu. Cette constatation s'accompagnait d'une totale incertitude sur les moyens à utiliser pour conjurer le mal. Un arrêt du Conseil, en date du 4 avril 1777, mit en place une commission composée du directeur général des Bâtiments et du lieutenant général de Police pour décider des mesures d'urgence à prendre. Sur leur proposition, une administration générale des Carrières fut créée par arrêt du Conseil. Un inspecteur général fut nommé en la personne de Charles-Axel Guillaumot, qui dirigeait en même temps la manufacture des Gobelins. L'urgence du problème lui apparut tout de suite puisque le jour même de sa nomination, le 4 avril 1777, une maison de la rue d'Enfer disparaissait dans une ancienne carrière à 40 mètres au-dessous de la surface du sol.
Guillaumot dirigea l'inspection générale des Carrières de 1777 à sa mort à 78 ans en 1807. Son travail consista avant tout à rechercher les anciennes carrières soit en utilisant et en consolidant les excavations apparues à la surface, soit en ouvrant sous les voies publiques des galeries de reconnaissance.
Après la disparition de Guillaumot, la surveillance des carrières fut assurée jusqu'au 21 mars 1809 par une commission administrative provisoire réunissant les subordonnés du défunt. Ce dernier avait déjà demandé le patronage du corps des Mines. Celui-ci fut assuré par Jean Hassenfratz, l'un des fondateurs de l'Ecole Polytechnique après avoir été le conseiller du Comité de Salut public. Hassenfratz, chargé en 1809 des carrières du département de la Seine, avait très tôt délégué ses pouvoirs à un jeune ingénieur ordinaire, Héricart de Thury, qui resta à la tête du service jusqu'en 1830. A la suite de nouveaux effondrements aux alentours de la barrière d'Enfer, le service des Carrières de Paris fut définitivement confié aux ingénieurs du corps des Mines auquel étaient désormais intégrés les membres de l'ancienne commission administrative des carrières. Selon la volonté expresse de Napoléon Ier, l'inspecteur général des carrières fut un ingénieur en chef du corps des Mines. Il faut dire que l'ampleur des travaux à réaliser justifiait le renforcement de la direction. D'ailleurs, la position de l'inspecteur général des carrières se trouva renforcée par le fait que son titulaire, Héricart de Thury, devenu ingénieur en chef, cumulait depuis 1815 ces fonctions avec celles de maître des Requêtes et de directeur de la Police générale de Paris.
Devant l'ampleur des dégâts, la première mesure prise fut d'interdire, par un décret du 22 mars 1813, l'exploitation des carrières souterraines dans Paris et de réglementer strictement celle-ci dans le département de la Seine. Seules les carrières à ciel ouvert échappèrent à l'interdiction. Les ingénieurs des Mines avaient donc les coudées franches pour consolider le sous-sol parisien sans avoir à contrôler de surcroît les aléas d'une exploitation commerciale. Le décret du 4 juillet 1813 codifia ensuite les modes d'accès au sous-sol exploitable. Il y avait les exploitations à ciel ouvert ; parfois s'étaient développées, lorsque la roche affleurait au flanc des vallées (comme celle de la Bièvre), des exploitations « par cavage » qui permettaient de progresser à l'intérieur de la roche par des galeries (voir document 2). Finalement, l'exploitation s'était opérée par le moyen des puits communiquant entre eux par des galeries. C'était le moyen le plus répandu dans les communes de Montrouge, Gentilly, Châtillon, Bagneux, Arcueil, Ivry, Vanves, Passy, Saint-Maur, Créteil et Maisons-Alfort. De ce fait, de véritables réseaux d'anciennes carrières existaient en particulier dans les quartiers de Chaillot, des faubourgs Saint-Marcel, Saint-Jacques et Saint-Germain. Selon l'ingénieur Lefebure de Fourcy, des vides existaient sous environ un dixième de la surface de la ville en 1854. Quarante-quatre kilomètres de galeries avaient été creusés à cette date. Certaines d'entre elles dépassant les limites de l'octroi avaient dû être murées pour éviter les fraudes car, toujours selon Lefebure de Fourcy, on aurait pu aller de la place Saint-Sulpice à Bagneux par 7 500 mètres de galeries.
La tâche des inspecteurs des Carrières était rendue difficile par la façon dont les exploitations avaient été menées dans le passé en profondeur. Dans les zones de calcaire grossier, situées essentiellement au sud de la Seine mais aussi au nord dans le XVIe et le XIIe arrondissement, l'exploitation avait pris deux formes. Il y eut d'abord l'exploitation « à piliers tournés » : on découpait la masse exploitable (1,3 à 3 mètres d'épaisseur) en damiers par des galeries transversales et longitudinales en laissant des piliers naturels pour soutenir le tout. Cette solution, qui avait l'avantage d'assurer une assez bonne conservation du site, avait l'inconvénient économique de n'utiliser qu'une partie de la masse exploitable. C'est pourquoi, très vite, on en venait à extraire toute la pierre de construction disponible. Mais au fur et à mesure de l'extraction, les carrières étaient bourrées jusqu'au ciel de terres et de déblais meubles que l'on contenait par des murs de pierres sèches appelés « hagues » qui étaient consolidés de loin en loin par des piliers de moellons. Entre les hagues de pierres sèches on ménageait des galeries que l'on rebouchait parfois.
Après un certain temps, les débris se tassaient de façon inégale, de même que les piliers. Le ciel des carrières imparfaitement soutenu subissait des fléchissements et des dislocations. Dans les endroits où il n'y avait pas eu de bourrages, la roche s'éboulait à l'intérieur, formant des vides de forme ogivale appelés « fontis ». La calotte supérieure de ceux-ci, sous l'effet des infiltrations, pouvait s'amenuiser en épaisseur, atteindre le jour en provoquant des effondrements spectaculaires. Il résultait de tout cela que le tracé primitif des carrières était devenu incohérent et surtout difficilement accessible, des effondrements partiels ayant obturé les galeries ; d'autres se manifestant dans la masse même des déblais.
Dans la partie nord de la ville, les carrières de gypse avaient été exploitées intensivement, parfois même aux explosifs. Là aussi l'arrêt de l'exploitation laissait des galeries ébranlées et inégalement comblées, avec des excavations partiellement détruites dans lesquelles on ne pouvait plus pénétrer. Dans de telles conditions, on comprend la complexité de la tâche des ingénieurs.
Durant la première moitié du XIXe siècle, le grand apport des ingénieurs du corps des Mines fut de préciser l'étendue des carrières et l'ampleur des travaux nécessaires. Ce travail, long et ingrat, aboutit à la parution d'un atlas. Certes les informations ne manquaient pas sur les carrières : depuis 1814 plus de 3 000 plans et croquis sur divers points de Paris existaient dans les archives, mais ne formaient pas un ensemble cohérent.
Tout un travail fut entrepris par l'ingénieur en chef Lefebure de Fourcy pour la réalisation d'un Atlas souterrain de Paris entre 1841 et 1859. Cela ne fut pas sans difficultés puisque, fait surprenant, il n'existait en 1853 aucun plan cadastral de Paris. Les ingénieurs des Mines furent donc obligés de dresser des plans des quartiers menacés, de déterminer, par des opérations trigonométriques précises, les positions respectives de tous les points de surface qui pouvaient servir de repères pour les relevés souterrains. Finalement, l'ouvrage de Lefebure de Fourcy, prévu en 54 feuilles, ne fut pas poursuivi parce que trop encombrant. Par la suite, il fallut adopter une échelle plus petite (de 1 mm par m) qui correspondait à l'échelle de tous les plans de mines de France, des levées du nouveau cadastre et surtout à la plupart des plans de service des eaux et des égouts de Paris.
Après l'annexion de 1860 qui amenait le service des Carrières à élargir son action, l'Atlas souterrain fut donc remis en chantier. L'entreprise fut compromise par la révolte de la Commune puisque les archives du service avaient été détruites dans l'incendie de l'Hôtel-de-Ville. Un nouvel Atlas souterrain fut entrepris après un vote favorable du Conseil municipal. Parallèlement, les progrès de la connaissance du sous-sol parisien avaient permis la publication, en 1858, d'une carte géologique souterraine de la ville de Paris exécutée par l'ingénieur Delesse, qui récidiva en 1880 en réalisant une carte d'un type nouveau : la carte géologique cotée du département de la Seine au 1/25 000e.
Le système de travaux mis en place par les ingénieurs des Mines répondait à un certain nombre d'exigences, à la fois administratives et techniques. En ce qui concerne les carrières, la propriété du sol entraînait celle du sous-sol. De ce fait l'administration n'était pas tenue de consolider à ses frais les propriétés privées. Les travaux souterrains étaient donc limités aux voies publiques et aux édifices officiels. La consolidation commença par les voies publiques. La technique utilisée consistait à aménager, de chaque côté de la rue, deux galeries parallèles ; les murs extérieurs de ces galeries étaient construits à l'aplomb des façades des maisons qui étaient ainsi consolidées. A partir de ces galeries, le travail de comblement et de consolidation était effectué sous la chaussée.
Les ingénieurs avaient ensuite dû renforcer, dans le Ve arrondissement, les fondations de nombreux édifices publics parmi lesquels l'Ecole Normale supérieure, l'Institut des Sourds-Muets, l'hôpital du Val-de-Grâce et, comble de l'ironie, l'Ecole des Mines. Dans les XIIIe et XIVe arrondissements, la manufacture des Gobelins, la Salpêtrière, l'hôpital Cochin, l'hôpital Sainte-Anne, la prison de la Santé furent l'objet de travaux de même que le furent, dans le XVIe arrondissement, le palais du Trocadéro et le lycée Janson-de-Sailly. Ces travaux, relativement classiques, différaient assez peu de ceux concernant les voies publiques. Mais bientôt des problèmes plus compliqués apparurent avec le développement industriel de la ville et, principalement, du fait des chemins de fer.
En 1886, selon les évaluations d'Octave Keller, la situation, désormais bien connue, du sous-sol parisien était la suivante : pour une superficie totale de la ville de Paris de 7 802 hectares, près de 2 900, soit 37 %, comportaient dans leur sous-sol des carrières anciennement exploitées. En outre, une superficie de 750 hectares de régions « sous-mines » - soit 9,6 % de la superficie totale - existait.
Depuis le début du siècle, 78,251 kilomètres de voies publiques avaient été ainsi consolidés. Et les bâtiments publics avaient été renforcés dans leurs fondations sur une superficie de plus de 956 397 mètres carrés. Et pour réaliser tous ces travaux, le service des Carrières avait aménagé plus de 125 kilomètres de galeries d'inspection que parcouraient plusieurs centaines de travailleurs. Cependant, l'aménagement du sous-sol parisien n'était pas encore terminé puisque Octave Keller signalait qu'il restait encore 13 kilomètres de voies publiques à consolider, mais désormais l'essentiel paraissait être fait. L'inspection des Carrières semblait s'engager dans une activité passablement routinière d'entretien des galeries.
En fait il n'en fut rien. L'urbanisation et surtout la modification des structures de la ville, consécutive à l'industrialisation, allait redonner aux ingénieurs un surcroît de travail. La seconde industrialisation s'est traduite dans Paris par la mise en place de nouveaux réseaux de transports de masse : transport des eaux, transport des marchandises et des hommes nécessitant des infrastructures lourdes. De nouveau se posait le problème de la solidité du sous sol. L'une des premières interventions du service des Carrières en rapport avec la nouvelle urbanisation parisienne fut effectuée lors de la construction du réservoir de Montrouge. Il s'agissait d'amener, dans ce lieu élevé près de la porte d'Arcueil, les eaux de la Vanne par un aqueduc souterrain pour alimenter un réservoir de trois hectares. Mais si le lieu était favorable à la distribution des eaux dans le XIVe arrondissement, il était en revanche miné par les carrières. Dans ces carrières, relativement récentes, l'exploitation avait été la plus complète possible. Les terrains supérieurs reposaient sur des remblais maintenus par des murs de moellons appelés « hagues », de loin en loin des piliers de moellons étaient disséminés dans les remblais et les hagues. Avec le temps, les remblais et les piliers s'étaient tassés de façon inégale sous la pression des bancs de roche supérieurs, provoquant de nombreux vides accentués encore par les infiltrations. Il fallut construire des galeries de consolidation sous l'aqueduc sur 5 kilomètres depuis les fortifications jusqu'à Arcueil. Et comme le montrent les plans publics dans Les Annales des Mines, le réservoir lui-même fut installé sur un important ensemble de maçonnerie. Les travaux durèrent de 1866 à 1874 et furent, en quelque sorte, l'apprentissage des techniques qu'il fallut plus tard utiliser.
C'est la construction, par la Compagnie d'Orléans, de la ligne de Sceaux prolongeant dans Paris la ligne de Limours à Sceaux, qui posa la première de gros problèmes techniques, car la ligne devait traverser trois zones de carrières sur plus de la moitié du parcours. Les travaux, qui eurent lieu de février 1892 à mai 1893, étaient d'autant plus difficiles que le sol des carrières se situait à 26 mètres de profondeur sous l'avenue de l'Observatoire et 18 mètres sous le boulevard Saint-Michel. Il fallut construire des « piédroits », c'est-à-dire deux murs parallèles épais de 1,50 à 3 mètres sur lesquels reposa la voûte de 6 mètres de haut constituant le tunnel. Et, entre ces murs, des piliers de maçonnerie soutenaient le plancher du tunnel. Ces techniques furent reprises lorsqu'une meilleure connaissance du sous-sol permit d'entreprendre de nombreux travaux de consolidation des gares ou des portions de voies ferrées à l'intérieur de Paris. Ce fut le cas pour l'agrandissement de la gare Montparnasse, pour la construction des gares de Tolbiac et de Reuilly et, surtout, pour le chemin de fer de ceinture qui nécessita d'importants travaux dans toute sa partie sud.
Avec le développement des travaux du réservoir de Montrouge, le service des Carrières avait été progressivement étoffé. Dans un rapport sur le service rédigé en 1874, l'ingénieur Descotte rappelait que, sur un corps comprenant seulement vingt-neuf ingénieurs en chef et soixante ingénieurs ordinaires, il n'y avait pas moins de deux ingénieurs en chef et quatre ingénieurs ordinaires attachés au service des Carrières et à celui des appareils à vapeur du département de la Seine. Pour le seul service des Carrières, trois ingénieurs occupaient le poste d'inspecteur général et les deux postes d'inspecteur. Ce service des Carrières comportait en outre : un secrétaire régisseur, cinq géomètres, trois conducteurs de travaux, cinq agents surveillants.
A la fin du siècle, la construction du métro allait donner au service des Carrières un surcroît d'activité. En 1898, en effet, un vote définitif du Conseil municipal décida de la construction d'un premier réseau. Et en 1900, à l'occasion de l'Exposition universelle, fut ouverte la première ligne entre la porte Maillot et Vincennes avec ses deux branches annexes - Etoile-porte Dauphine et Etoile-Trocadéro. Ces premières réalisations, suivies de quelques autres, suscitèrent de nombreux problèmes lors de la traversée des terrains des anciennes carrières.
La première ligne (Maillot-Vincennes) ne donna pas lieu à de grandes difficultés. Mais sur l'embranchement Etoile-Trocadéro, le sol de l'avenue Kléber comportait de multiples carrières à une profondeur de 16 à 18 mètres C'est là que furent mis au point les aménagements. Sous les piédroits de la voûte du tunnel, il fallut percer deux galeries pour mettre en place deux murs de maçonnerie de 80 centimètres de large. Et dans l'axe du métro furent construits, tous les 5 mètres, des piliers d'un mètre sur deux de section pour supporter le ciel de la carrière. Là où des fontis existaient, trois files de puits remplis de béton supportant une dalle servirent de soubassement au tunnel. Ces travaux, entrepris en 1898 et 1899, inaugurèrent des entreprises plus difficiles encore lorsque cette ligne fut prolongée au-delà de la Seine pour constituer la ligne n° 6 entre Etoile et Nation. En effet, entre le boulevard Pasteur et le boulevard Saint-Marcel, cette ligne, à l'exception du passage de la Bièvre, se trouve sans discontinuité au-dessus d'anciennes carrières exploitées sur un ou deux étages à des profondeurs variant entre 8 et 23 mètres au-dessous du sol (voir le document 2), Cet exemple montre que le travail des inspecteurs des Carrières était loin d'être terminé à la fin du siècle. Néanmoins, le plus gros était réalisé, les dangers écartés ; il ne restait qu'une tâche d'entretien qui ne nécessitait pas la mobilisation d'un ingénieur en chef et de deux ingénieurs ordinaires des Mines.
On peut alors se demander pourquoi les ingénieurs des Mines acceptèrent de prendre en charge le sous-sol parisien. Il était normal, au début du XIXe siècle, que le corps des Mines, qui était à la recherche de reconnaissance par les pouvoirs publics, accepte avec satisfaction cette charge supplémentaire mais, avec la montée en puissance du corps et son installation élargie dans le monde industriel, on pouvait penser que ses ingénieurs abandonneraient ce travail. Le maintien de cette activité peut s'expliquer par deux faits. D'une part, en tant que spécialistes du sous-sol, les ingénieurs pouvaient à bon droit justifier leur présence et leur maintien. Mais, d'autre part, il faut reconnaître que les ingénieurs y trouvèrent un grand intérêt matériel. En 1809, Héricart de Thury, entré au service des Carrières comme ingénieur ordinaire, touchait un salaire de 4200 F supérieur à ce qu'il aurait perçu en restant dans l'administration des Mines... Et dès le premier Empire, les fonctions d'ingénieurs au service des Carrières devinrent encore plus attractives puisque les ingénieurs détachés cumulaient leur traitement brut d'ingénieur d'Etat avec un traitement et des indemnités versées par la ville de Paris et le département de la Seine. Ainsi, l'ingénieur en chef Edouard Blavier, en 1856, ajoutait aux 5 000 F de son traitement, 2 500 F versés par la ville de Paris et 1 500 F par le département. Et en 1863, l'ingénieur en chef Hennezel recevait de l'Etat 7 000 F qu'il doublait en fait grâce à un traitement de 4 000 F alloué par la ville de Paris et complété par une indemnité de 4000F.
Au fur et à mesure que s'écoulait le siècle, le service des Carrières de Paris acquérait, aux yeux des ingénieurs du corps, un intérêt grandissant. Lorsque les travaux de consolidation furent pour la plupart achevés, le poste d'ingénieur en chef ne tarda pas à permettre à son titulaire de combiner la surveillance des carrières avec d'autres activités. L'habitude fut prise par l'administration de confier ce poste à un ingénieur dont la spécialité scientifique nécessitait la présence à Paris, ou bien à un ingénieur que l'on pouvait difficilement envoyer en province. Ainsi, entre 1846 et 1864, le service des Carrières a permis à l'ingénieur en chef Delesse qui, en service à Besançon, avait commencé à enseigner la minéralogie dans cette ville, de venir à Paris enseigner à la Sorbonne et à l'Ecole Normale supérieure entre 1846 et 1864. Plus tard, le même poste confié à Ernest Lamé-Fleury, qui avait été appelé à Paris pour enseigner à l'Ecole des Mines un cours de législation. Lamé-Fleury conserva son poste jusqu'à son entrée au Conseil d'Etat en 1870. De même, entre 1881 et 1896, l'inspection des Carrières fut occupée par Octave Keller, grand spécialiste de statistique qui cumula ses fonctions avec celles de directeur de la Statistique de l'industrie minérale. Ainsi, on le voit, le corps des Mines, par cette collaboration avec la ville de Paris, assurait à certains de ses ingénieurs, occupant des fonctions peu lucratives, un traitement convenable.
L'action des ingénieurs a été ingrate et peu spectaculaire. Elle s'est inscrite dans la durée car les anciennes carrières s'étendaient sous plus d'un tiers des 7 802 hectares de la ville de Paris. A la veille de la guerre de 1914, grâce à un réseau de plus de 125 kilomètres de galeries d'inspection, la ville moderne avait pu se développer et s'équiper sans aucun accident majeur. Au bout du compte, si les ingénieurs des Mines ont tiré quelques profits de leur participation au service des Carrières, ils n'en ont pas moins fait bénéficier la ville de leur exceptionnelle compétence.
Orientation bibliographique :
Charles-Alexandre Guillaumot, Mémoire sur les travaux ordonnés dans les carrières de Paris, 1797, 56 p. (rééd. en 1804).
Louis Héricart de Thury, Description des catacombes de Paris , Paris, Bosserge et Masson, 1815, 368 p., pl.
Michel Lefebure de Fourcy, - Note sur les anciennes carrières sous Paris -, in Annales des Mines, 1854, p. 69-82.
Octave Keller, - La consolidation des anciennes carrières souterraines de Paris -, in Annales des Mines, 1895, p. 125-162 ; Les carrières sous Paris, Paris, Service des Carrières de la Ville de Paris, 1806 ; Statistiques des voies publiques de Paris et des établissements publics minés par d'anciennes carrières, Paris, Inspection générale des Carrières de la Seine, 1865, 55 p.
Charles Wickersheimer et Paul Weiss, - Notice sur la consolidation des anciennes carrières de Paris -, in Annales des Mines, 1903, p. 135-158.
Document 1 : plan d'ensemble des anciennes carrières de Paris (extrait d'Octave Keller, Les carrières sous Paris, 1896).
Document 2 : extrait d'Annales des mines, 10eme série, tome III, 1903.
Ce profil en long de l'actuelle ligne du métropolitain entre la station Pasteur et la station Saint-Marcel montre bien la complexité des problèmes rencontrés par les ingénieurs. Tout au long du parcours, des carrières, parfois à double étage, ont dû être comblées.
La tableau suivant donne la liste des inspecteurs généraux des carrières de la Ville de Paris, de 1776 à 1911, et le sigle (initiales) inscrit sur les piliers de consolidation. Les piliers avaient en effet une codification trinômiale (Numéro d'ordre - suivi des initiales de l'inspecteur général - suivi de l'année). Ces informations nous ont été fournie par Gilles Thomas.
Inspectorat | Inspecteur général des carrières
ou bien signification du sigle | Sigle (initiales) | Date de prise de fonction
1776 | Dupont (Antoine) | Juste un Nø !
| 1777-1790 | Guillaumot (Charles-Axel) | G
| 4 avril 1777
| mars 1791-sept. 96 | L'inspection générale des carrières sous Paris est dissociée de celle de l'extérieur. Pendant 5 ans, Guillaumot dirige seulement l'Inspection générale des carrières de l'extérieur, c'est-à-dire de la banlieue de Paris
| 3/9/1791 - fin an II | Duchemin (Noël, Laurent) | D
| début an II - fin an II | Demoustiers (Pierre, Antoine) | D et D2
| an III - 1796 | Bralle (François, Jean) | B et B2
| octobre 1796-1807 | Guillaumot (Charles-Axel) | G
| 1807-1809 | Commission administrative (Le Bossu, Caly, Husset), dirigée par Hassenfratz en 1809 | CMON
| 1809-1831 | Héricart Ferrand de Thury (Louis, Etienne, François, vicomte) | HT
| 21 mars 1809
| 1813-14 /1818/1820 | Héricart Ferrand de Thury (Louis, Etienne, François, vicomte) | EHT
| 1831-1842 | Trémery (Jean, Louis) | T
| 1841 | Piliers de Consolidation | PC
| 1842-1851 | Juncker (Chrétien, Auguste) | J
| 22 décembre 1841
| 1845-1846 | Chemin de Fer | CF
| 1844-1847 | Piliers de Consolidation | PC
| 1848 | Piliers de Consolidation | PC
| 1851-1856 | Lorieux (Théodore) | L
| 15 octobre 1851
| 1853 / 1855 | Chemin de Fer | CF
| 1856-1858 | Blavier (Edouard) | B
| 28 avril 1856
| 1858-1865 | de Hennezel (Charles, Louis) | H
| 27 novembre 1858
| 1865 (sanguine) | Assistance Publique (entre Alésia et Aqueduc) | AP
| 1865 | Chemin de Fer | CF
| 1865-1866 | du Souich (Charles, Aimable, Alban) | S
| 28 juin 1865
| 1866-1870 | Lefébure de Fourcy (Michel, Eugène) | F
| 14 juillet 1866
| 1866 | Chemin de Fer | CF
| 1867-1868 | Piliers de Consolidation | PC
| 1870-1871 | Jacquot (André, Eugène) | EJ
| 20 décembre 1869
| 1871 | Lantillon | Aucune | trace Désigné par la Commune
| et illégitime aux yeux de l'Etat 1871-1872 | Jacquot (André, Eugène) | EJ
| 1872-1875 | Descottes (Edouard, Victor) | D
| 23 décembre 1872
| 1875-1878 | Tournaire (Louis, Marcellin) | T
| 14 septembre 1875
| 1878-1879 | Gentil (Ernest) | G
| 1er juin 1878
| 1879-1885 | Roger (Emile, Louis) | R
| 14 mai 1879
| 1880 | Assistance Publique (en allant à "Palao") | AP
| 1885-1896 | Keller (Octave) | K
| 25 juin 1885
| 1896-1907 | Wickersheimer (Charles, Emile) | W
| 14 février 1896
| 1906-1909 | Chemin de Fer | CF
| 1907-1911 | Weiss (Paul) | W
| 24 juillet 1907
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Signature : 1ère confortation de Guillaumot en l'an XI de la République.
Crédit photographique : Jean Baunau. Sur une idée de Gilles Thomas.
(C) Les photos qui suivent constituent un échantillon d'un ensemble beaucoup plus important de photos prises dans les catacombes par Jean B., à l'initiative de Gilles Thomas.
1777 : "G" = Guillaumot 1792 : "D" = Duchemin an III : "B" = Bralle an IV : "G" = Guillaumot (qui est de retour) 1808 : "CMon" = oeuvre de la Commission intérimaire 1809 : "H" = Héricart de Thury 1810 : "H" et "T" combinés = Héricart de Thury 1812 : "H" et "T" combinés = Héricart de Thury 1817 : "H" et "T" combinés suivis de "E" = Etienne Héricart de Thury 1820 : "E" suivi de "H" et "T" = Etienne Héricart de Thury 1838 : "T" = Trémery 1841 : "P.C." = Pilier de Consolidation 1842 : "J" = Juncker 1846 : "C.F." = Chemin de Fer 1852 : "L" = Lorieux 1856 : "B" = Blavier 1861 : "H" = Hennezel 1863 : "H" = Hennezel 1866 : "S" = Souich 1867 : "F" = Fourcy 1871 : "E.J." = Eugène Jacquot 1873 : "D" = Descotte 1877 : "T" = Tournaire 1879 : "G" = Gentil 1880-81 : "R" = Roger 1892 1895 : "K" = Keller 1896 : "W" = Wickersheimer 1901 |
Gilles Thomas présente sur cette photo une affiche souterraine laissée lors du baptème de la promotion 1998 de l'Ecole des mines de Paris. Le nom de la marraine de promo, Marie-Anne Chazel, indiqué sur la fresque, concerne la promo 97 puisque le nom de la marraine ne peut être dévoilé que l'année suivante.
Pour le baptême de 1998, écrit Gilles Thomas, on atteignit un paroxysme dans la représentation picturale : l'intégralité de la peinture (réalisée en 1999) est non seulement mise en abyme de celles des trois années précédentes (95, 96 et 97), mais de plus elle représente un paysage, dans lequel la galerie de servitude au niveau des carrières de calcaire a été astucieusement convertie en galerie de mine avec sa voie Decauville, à l'entrée de laquelle on trouve un mineur casqué, son pic sur l'épaule droite, une lampe à la main gauche. (Publié dans in situ, revue des patrimoines, 17, 2011). (C) Crédits photographiques : Isabelle Joubel, 2010 |
Mis sur le web par R. Mahl