Mines et mineurs entre réalité et imaginaire
Ce document est extrait du Bulletin de l'Association ABC-Mines n° 35, Octobre 2012. Nous le reproduisons ici en raison du rôle important que Louis de Launay a joué dans cette exposition souterraine, dont il était le Commissaire.
Les différentes Expositions Universelles qui se tinrent dans la capitale sont restées incrustées dans notre inconscient collectif, ne serait-ce que par la présence de monuments toujours visibles dans Paris. Régulièrement des ouvrages et des expositions leurs sont d'ailleurs consacrés, a fortiori à l'Exposition Universelle de 1900 (= EU1900) considérée à juste titre comme l'Exposition du Siècle. L'objet de cet article n'est pas un n-ième dossier sur cette Exposition Universelle, mais d'évoquer son corollaire souterrain, ou plus exactement ses deux extensions « privées » souterraines. En effet, pour l'EU1900 qui s'était installée principalement au sommet de la colline du Trocadéro (et le long de la Seine, sans oublier l'annexe du bois de Vincennes), avaient été édifiés les très nombreux pavillons représentant toutes les nations invitées, mais tel l'arbre cachant la forêt, celle-ci possédait des racines s'enfonçant dans les sous-sols de la butte. Nous nous sommes donc plongés (au propre comme au figuré), dans les carrières du 16e arrondissement, afin d'y rechercher ces traces méconnues de l'EU1900.
Je voudrais vous parler d'un milieu souterrain où l'imaginaire minier rejoint et parfois cherche à surpasser la réalité des mineurs : les anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris, abusivement dénommée « Catacombes » depuis la fin du XVIIIe siècle. Le plus bel exemple et le plus abouti fut donc cette reconstitution grandeur nature, lors de l'Exposition internationale universelle de 1900, dans les sous-sols de notre capitale et plus précisément dans les carrières souterraines du Trocadéro, du savoir-faire minier tant Français (mine de charbon avec plan incliné par exemple), que Sud-Africain (mine d'or du Transvaal).
Ceci fut le point d'orgue de la conversion des anciennes carrières souterraines de Paris en substitut de mines souterraines, illustrant parfaitement le concept de « Mines et mineurs : entre réalité et imaginaire », pour reprendre le titre d'une exposition qui se tint du 18 novembre 2006 au 27 juillet 2007 au Centre des Archives de Monde du Travail (à Roubaix), et que nous reprenons ici en sous-titre.
Peu de personnes le savent, mais c'est dans une véritable reconstitution de mines souterraines dans le réseau de carrière du 16e arrondissement que circulèrent les visiteurs de l'Exposition universelle de 1900. Ils purent parcourir cet univers souterrain industriel grâce à la conjonction de deux principaux facteurs, humains et matériels. Si les organisateurs de l'Exposition universelle acceptèrent la chose, c'est parce que le Commissaire de cette exhibition souterraine en fut Louis de Launay (ingénieur des Mines de la promotion 1881), donc une personne parfaitement au fait du monde souterrain artificiel, qui plus est lié aux matières extractibles, et d'autre part les diverses compagnies minières françaises furent mises à contribution via des moyens colossaux à la fois financiers et par un prêt de leur outillage, à la demande express du Comité Central des Houillères.
L'Exposition de 1900 clôtura de manière majestueuse le XIXe siècle, et inaugura magistralement l'entrée dans le XXe siècle. L'EU1900 s'installa à Paris intra-muros sur 112 ha : c'était une véritable ville dans la ville, un raccourci d'univers au milieu de la capitale, centré sur la tour Eiffel et le champ de Mars. Elle s'étirait entre le pont de la Concorde et le pont d'Iéna le long des berges de la Seine (où se trouvait la « rue des Nations »), mais possédait une annexe de 110 hectares à Vincennes. Plus qu'une simple ville, avec 76 000 exposants (dont 40 000 étrangers) ce fut un succédané de la planète, c'était le monde en réduction qui fut offert aux 52 millions de visiteurs qui y accoururent, y accédant par 137 portes différentes. Si le clou de l'exposition de 1889 était la tour Eiffel, celui de 1900 fut la Grande Roue de 100 mètres de haut, la plus haute du monde à l'époque (à titre de comparaison, la grande roue dite du « Millénaire », installée sur la place de la Concorde en 2000, n'atteignait que 60 mètres). D'autres animations viennent naturellement à l'esprit de tout un chacun concernant l'EU1900 : le Palais de l'Électricité, le Palais de l'Optique, le Trottoir roulant (qui comptabilisa près de 10 millions d'utilisateurs), le Vieux Paris, les Grands et Petits Palais, le Globe céleste, le Géorama, etc., sans oublier l'ouverture de ce qui allait devenir l'emblème de Paris à l'égal de la tour Eiffel : la première ligne du Métro.
Selon Émile Gérards, les anciennes carrières de pierre à bâtir existant sous la colline de Chaillot, ont été ouvertes au commencement du XVIIIe siècle suivant une méthode dite par « piliers tournés ». L'exploitation du sous-sol de Paris intra-muros a été interdite à partir de 1813, tandis que les travaux de consolidation avaient commencé dès 1777 (création de l'IDC le 4 avril). Il semble néanmoins qu'une utilisation beaucoup plus ancienne du sous-sol du 16e arrondissement ait eu lieu puisque rue Raynouard a été mise en évidence en 2000, la présence d'un habitat troglodytique datant d'environ le XIVe siècle.
Le palais du Trocadéro, construit à l'occasion de l'EU1878 avait entraîné de gigantesques travaux de consolidation s'élevant à au moins 300 000 francs (d'après une estimation d'É. Gérards) : les murs porteurs de l'édifice ont été soutenus au niveau de la carrière (dont la hauteur atteignait jusqu'à 4 m) par des maçonneries en moellons hourdés de mortier de chaux hydraulique, et par endroit, là où le recouvrement était insuffisant, les murs de fondation ont été directement appuyés sur le sol même de la carrière. Malgré le remplacement lors de « l'Exposition Internationale des Arts et des Techniques dans la Vie moderne » de 1937 de ce bâtiment par le nouveau et actuel palais du Trocadéro, ces travaux de confortation sont toujours visibles dans l'entrelacs des galeries de servitude de l'IDC qui serpentent sous l'arrondissement.
Pendant l'été 1882, Louis de Launay, polytechnicien entré l'année précédente à l'École des Mines choisie comme école d'application, faisait son exercice de topographie dans les anciennes carrières souterraines du 14e arrondissement. Cette prestigieuse Grande École parisienne formait alors les futurs ingénieurs qui allaient (entre autres) gérer les exploitations minières françaises partout où elles étaient implantées de par le vaste le monde. D'où la formation des élèves à la topographie souterraine (indispensable à l'établissement des plans des mines) ; et quoi de plus naturel que de faire réaliser les travaux pratiques nécessaires à cette discipline sous Paris, dans le vaste réseau de galeries de l'IDC qui s'étend jusqu'au dessous même de l'École. Si le sous-sol de la capitale fut autrefois source de matériaux pour la construction de la plupart de nos grands monuments parisiens enviés du monde entier, à partir de la fin du XVIIIe siècle des centaines de kilomètres de galeries de surveillance furent architecturées au niveau de ces anciennes carrières par l'IDC, résultat du travail de consolidation organisé afin d'éviter que les édifices parisiens ne retournent dans les entrailles qui les firent naître. De là la connaissance de L. de Launay de l'existence de ces réseaux sub-parisiens : ils se trouvent à l'aplomb des collines parisiennes que sont le Montparnasse, le Montrouge et le Montsouris (plus de 100 kilomètres au total), la Butte aux Cailles (25 km de galeries) et la colline de Chaillot (seulement 7 kilomètres ... mais qui nous intéressent particulièrement ici). D'ailleurs de Launay va reconnaître dans la préface du catalogue « Le Monde souterrain » qui sera vendu au cours de l'EU1900, concernant cette exposition : « Les anciennes carrières souterraines, depuis longtemps reconnues dans la butte du Trocadéro, en ont été le point de départ, et, pour ainsi dire, le prétexte » ! Ceci indépendamment des travaux d'aménagement qui durent y être réalisés : « Mais il faut avoir vu, avant leur aménagement, ces galeries tortueuses, encombrées de déblais, où l'on ne passait qu'en se courbant, et retrouver aujourd'hui avec étonnement toutes ces grandes salles spacieuses disposées sur un parcours de 500 mètres, pour se rendre compte du travail colossal qu'il a fallu accomplir. »
Un autre facteur humain va venir s'imbriquer intimement dans la vie de de Launay : le père de la spéléologie, Édouard Alfred Martel qui devint son beau-frère. Ils firent ensemble un certain nombre d'excursions souterraines de par le vaste monde, principalement dans des cavités naturelles.
En 1879 à l'École des Mines, Edmond Fuchs (1837-1889), ingénieur du Corps des Mines, avait créé l'enseignement de géologie appliquée. Il y effectua toute sa carrière comme professeur mais sa mort prématurée l'empêcha d'écrire son ouvrage sur les gîtes métallifères. De Launay, son élève, qui lui succéda alors à partir de 1889, s'y attela à partir de ses notes en y ajoutant ses propres observations. Le Traité des gîtes minéraux et métallifères signé de Fuchs et de Launay parut en 1893. De Launay, ingénieur du Corps des Mines, avait débuté sa carrière comme ingénieur des mines à Moulins en 1885, puis à Dijon, avant d'obtenir la chaire de géologie appliquée de l'École des Mines, poste qu'il occupa pendant 46 ans. Lorsqu'approcha l'année charnière 1900, de Launay avait déjà parcouru de très nombreux pays pour des raisons professionnelles, mais aussi touristiques. Parmi ceux-ci, qui l'inspireront pour l'organisation des deux expositions souterraines du Trocadéro en 1900, on peut citer : l'archipel grec en 1889 et 1894, l'Italie en 1891, l'Égypte en 1894, le Transvaal en 1895, sans oublier le gouffre de Padirac qu'il explora en compagnie de Martel en 1889 et 1890. L'Afrique du Sud lui donna l'occasion d'écrire à de nombreuses reprises plusieurs articles et ouvrages, et ce dès 1891. Il écrivit en tout 25 volumes de « descriptions et souvenirs de voyages ». Pour avoir une idée de la prolixité de cet ingénieur hors du commun, il suffit de se reporter au site Internet de l'École des Mines de Paris qui référence plus de 100 ouvrages (sans tenir compte des volumes), et pas moins de 280 articles dans des revues diverses (+ 560 articles en son nom propre ou sous pseudonyme dans La Nature) dans tous les domaines : économie politique, histoire, philosophie, religion, géologie (cela serait à moins), des romans, de la poésie, des pièces de théâtre, des traductions d'auteurs grecs, des récits de voyage, des feuilles de la Carte géologique (une vingtaine), des dessins, des modelages en terre cuite (maquettes et bas reliefs), etc.
Martel quant à lui, parcourut avec sa femme Aline (la soeur de de Launay) la Grèce dans le but d'explorations souterraines en 1891, ce qui est considéré comme la toute première "expédition spéléologique" française en pays étranger, de l'histoire. Le 22 septembre ils visitèrent à Mycènes le trésor d'Atrée que Martel trouve littéralement "Stupéfiant". Le 4 octobre 1898, il inaugure les tous récents aménagements du gouffre de Padirac avec Louis de Launay, qui saura en tirer profit, toujours pour ses reconstitutions souterraines lors de l'Exposition universelle de 1900.
Théodore Rivière, célèbre sculpteur orientaliste de son époque mais aussi véritable panier percé, était un grand ami de Martel, auquel il avait confié la gestion de son argent, pour être certain de ne pas finir ruiné (ce qu'il confirme par une lettre dans laquelle il demande de la trésorerie le 24 octobre 1884) ; il est d'ailleurs l'un des rares qui tutoyait Martel. Il l'accompagna même sous terre à plusieurs reprises : on lui doit entre autres les premiers dessins de l'aven de Bramabiau et de la grotte de Dargilan (en 1888). C'est à Rivière que sera confiée la direction générale de la partie décorative et l'exécution de tous les motifs de sculpture du Monde souterrain, partie souterraine des reconstitutions dévolue aux trésors archéologiques. Il s'adjoindra une pléiade de jeunes sculpteurs du plus grand talent; les panoramas seront peints par MM. Surand, Mondineu et Polart ; les animaux des temps secondaires reconstitués par M. Deyrolle (de la célèbre maison éponyme). Des moulages pris sur place par de Launay, des études peintes et des photographies rapportées par lui de l'Égypte, de la Grèce, de la Palestine ou de grottes françaises, seront utilisées pour toutes les reconstitutions. Le « gouffre de Padirac » au Trocadéro sera une synthèse réalisée à partir de documents fournis par Martel sur Padirac (Lot) bien sûr, mais aussi Dargilan (Lozère), Adelberg (Autriche), Agtelek (Hongrie), Han sur Lesse (Belgique). La hauteur et l'espace manquant indubitablement dans les carrières situées sous le palais de Chaillot, les décorateurs s'ingénieront pour y reproduire avec le plus d'exactitude, toutes proportions gardées « les mêmes formes inattendues, les mêmes rideaux transparents de stalactites, les mêmes colonnes admirablement ouvrées de stalagmites, les mêmes jeux d'ombre et de lumière sur les parois où scintillent les cristallisations de carbonate de chaux : avec quelque chose de plus encore que n'offrent pas les grottes naturelles, une cascade lumineuse aux étonnants effets de lumière ». Enfin les conseils les plus autorisés seront pris auprès de MM. Zeiller, Douvillé, Gaudry et Boule, tous professeurs à l'École des Mines ou au Muséum, notamment pour les animaux tertiaires.
Dès 1894, par une lettre datée du 20 décembre, Henri Darcy, président du Comité Central des Houillères de France, signale que parmi les projets lancés dans le public et proposés aux Comités d'Admission et d'Installation de l'EU1900, « celui d'une mine où les visiteurs pourraient, en circulant dans les galeries souterraines, se faire une idée générale de ce qu'est une houillère, a reçu de suite un accueil favorable. Il y a même lieu de considérer, dès maintenant, ce projet comme adopté en principe par le Commissariat général qui entrevoit la possibilité de faire de cette représentation de l'activité souterraine une des principales attractions de la grande fête centenaire. »
En 1894 à Lyon, comme une répétition générale grandeur nature mais sur une échelle néanmoins réduite, une première réalisation d'installations souterraines fut tentée avec succès par les Sociétés Houillères du Bassin de la Loire. Lors du projet d'organisation d'une Exposition Universelle en 1900 à Paris, diverses propositions d'initiative privée furent adressées aux Comités d'Admission et d'Installation, et cette présentation lyonnaise revient à l'esprit du Comité Central des Houillères. Ce qui avait été réalisé dans la « capitale des Gaules » devint pour certains membres du CCH la préfiguration d'une exposition du même genre mais conçue sur un plan plus large, qui pourrait être organisée par les représentants de « l'industrie minéralogique » toute entière lors de l'exposition au Trocadéro, en utilisant de la même façon les sous-sols du lieu. Les statuts d'une Société Anonyme « l'Exposition Minière Souterraine de 1900 » (= EMS) sont alors déposés suite à l'Assemblée Générale du 18 décembre 1897 : le président du Conseil d'Administration de la s.a. EMS en est H. Darcy, et le secrétaire-trésorier Gruner (demeurant alors au 55, rue de Châteaudun).
D'autres propositions plus ou moins réalisables d'origine privée, ayant pour point commun la découverte du sous-sol ou relatives à l'industrie minière, furent soumises au commissaire général de l'Exposition Universelle i.e. Alfred Picard :
C'est par délibération du 24 décembre 1898, que furent concédées à la « Société de l'Exposition minière souterraine de 1900 » les anciennes carrières du Trocadéro situées sous le sol de la voie publique (M. Bassinet, rapporteur). Une Convention fut alors établie le 5 janvier 1899 pour la réalisation de cette partie particulière de l'EU1900 que constituait l'EMS ; celle-ci a été approuvée par le ministre du Commerce le 3 février 1899.
En 1899, de Launay et Martel visitèrent alors les « catacombes » (sic, d'après le Répertoire chronologique de la vie de Martel) du Trocadéro. Ce terme erroné est donc aussi utilisé par Martel, ainsi que par de Launay qui parle également des « vastes catacombes du Trocadéro » ! Il faut dire que cette synecdoque (la désignation par « catacombes » de l'ensemble des anciennes carrières souterraines de Paris) est quasiment aussi vieille que l'est ce monument. Cette déviance date en effet de la fin du XVIIIe siècle puisque dès 1782 (donc avant leur création et leur consécration datant du 7 avril 1786) un opuscule anonyme diffusé dans les « magasins de nouveautés » stipulait qu'on allait créer des « Catacombes » à Paris, vocabulaire choisi par analogie avec celles de Rome, site à la mode à l'époque. Dès lors le mot « catacombes » devint synonyme d'anciennes carrières ! Autre exemple de « professionnel » qui en fera un mésusage : Armand Viré, inventeur à la fois de la biospéléologie (= l'étude de la faune et la flore obscuricoles et de l'influence du milieu souterrain sur le développement de ces organismes) et du mot désignant cette science (alors que le roumain Emil George Racovitza proposait « biospéologie »), à l'époque de l'EU1900 parlait lui aussi du laboratoire des « Catacombes du jardin des Plantes », alors que sa rigueur scientifique aurait dû lui éviter ce mésemploi. Nul n'échappe à son destin ; l'adoption de ce mot Catacombes pour désigner l'ossuaire municipal de Paris s'est donc révélé pour l'époque et à l'usage, ce que l'on qualifierait de nos jours comme un choix marketing des plus judicieux et à l'efficacité des plus redoutables, à tel point qu'il semble désormais vain de vouloir faire respecter par une périphrase au vocabulaire approprié l'appellation idoine qui serait « galeries de servitude au niveau des anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris ». Cessons de jouer les vains Don Quichotte se battant de la sorte contre les moulins à vent linguistiques que représente cet usage inapproprié d'un vocabulaire dorénavant adopté par tout un chacun, et acceptons-le comme néologisme, tout en ne l'employant dans les faits que pour l'Ossuaire de la capitale lorsqu'il est utilisé seul (ceci aux fins d'éviter certaines ambiguïtés, nous en admettons donc l'emploi pour « catacombes du Val-de-Grâce », « catacombes du 16e arrondissement », etc).
Cette même année 1899, Théodore Rivière est fait Chevalier de la Légion d'honneur (il en deviendra Officier en 1906). Le 15 août, Louis de Launay lui écrit pour le féliciter par le truchement d'un mot « adressé » aux autorités (« tous mes compliments au ministre pour la preuve de bon goût qu'il donne en vous accordant un ruban si bien mérité »). Il en profite pour le relancer au sujet de son engagement qu'il avait obtenu concernant sa participation à l'EU1900 : « J'espère que cette nouvelle dignité ne vous dégoûtera pas de continuer à collaborer avec nous ». Non seulement il s'impliquera dans l'EU1900, mais il recevra la médaille d'Or pour cette Exposition.
Fronton de l'Exposition Minière souterraine, par Théodore Rivière (extrait de La Nature)
Dans l'avant projet du 1er mars 1898, il n'était pas envisagé deux extensions souterraines indépendantes sous la colline du Trocadéro ; l'EMS constituait un seul réseau souterrain qu'il était prévu d'aménager, mais dans celui-ci deux parcours de visite devaient être organisés, de 700 m environ chacun, parcourables en 30 à 45 minutes. Ces parcours avaient leurs principales salles de présentation en commun (mine d'or du Transvaal, mine de sel avec lac souterrain, grotte avec stalactites et rivière souterraine). Au point de jonction entre les deux parcours, un manège circulaire devait donner l'impression d'une rencontre entre les visiteurs (mais comme dans les escaliers de Chambord, ils s'apercevaient mais sans possibilité de se croiser) au niveau d'un convoi de bennes traînées par des chevaux. L'entrée de l'un des circuits devait se faire par un puits de mine produisant l'illusion d'une descente à grande profondeur, et pour l'autre par une galerie partant du jour en pente douce ; les sorties s'effectuant par deux galeries débouchant de part et d'autre de la cascade, ce qui est visible sur certains plans édités à l'époque et non actualisés au moment de leur vente, (rappelons, concernant ce procédé relativement simple de « descenseur » avec défilement du paysage démultiplié, que le Centre Historique Minier de Lewarde utilise ce principe, ainsi que le musée de la mine de St-Étienne). Ce n'est que le 24 mars de la même année que fut proposée pour la première fois la division du parcours souterrain en deux trajets indépendants, chacun donnant lieu à une perception spéciale.
« Les doigts crispés sur son sac, l'oeil rivé aux enfants, Eugénie entama sa descente aux enfers. Elle dévala au pas de charge la colline de Chaillot, dépassa sans les voir l'étalage des fruits de la planète, les bonsaïs torturés du jardin japonais, la bouche sombre du Voyage au centre de la Terre. »
Claude Izner Mystère rue des Saints-Pères (© 10/18 Collection Grands détectives 2003) |
Par l'intermédiaire du Comité Central des Houillères, les différentes sociétés houillères de toutes les régions minéralogiques de France étaient mises à contribution pour les travaux souterrains à exécuter, mais également pour l'apport des machines à installer en démonstration. En revanche, il va de soi que pour présenter l'extraction de l'or, il était logique de faire appel au pays leader en la matière : l'Afrique du Sud, et particulièrement les États du Transvaal. Cette République avait été reconnue officiellement en 1881, ses limites fixées par les conventions de Londres du 27 janvier 1884 et par celle du Cap du 20 juin 1888. Mais les conditions politiques étaient telles à l'époque que le Transvaal ainsi que l'Orange (État blanc légalement constitué en 1852) étaient appelés à disparaître. Le 5 juin 1900, « L'aurore » titrait « La Guerre au Transvaal : Johannesburg est occupé, Prétoria bientôt. Le président Kruger résiste toujours contre les anglais, il a télégraphié : "Les Boers sont pleins de courage ; ils continueront à se battre jusqu'au dernier" ». Le pavillon du Transvaal qui fut donc élevé quand même, en pleine guerre, était considéré comme une protestation de paix et d'espérance. Toujours est-il qu'à la fin de l'Exposition, il représentait une nation disparue. Mais, à quelque chose malheur est bon : le drapeau boer, qui flottait au sommet du pavillon du Transvaal, suffisait « à attirer dans ce coin d'exposition une foule empressée à témoigner de sa sympathie pour l'héroïque petit peuple qui défend, au sud de l'Afrique, la cause de l'indépendance ».
C'est donc dans ce contexte géopolitique particulier que fut représentée l'Afrique du Sud. Le gouvernement de la République Sud-Africaine avait accepté l'invitation de la France à participer à cette EU1900 dès le printemps 1897. Le Transvaal avait alors obtenu un emplacement de 1200 mètres au Trocadéro, surface accordée en raison de son programme particulièrement riche et pittoresque. Celui-ci comprenait :
Dans le projet initial, un puits équipé devait servir à monter le minerai emmagasiné dans le sous-sol, de manière à donner l'image d'une véritable activité extractive. À la sortie de l'usine, les visiteurs devaient avoir accès aux galeries que la Société de l'Exposition souterraine de 1900, concessionnaire de tous les sous-sols du Trocadéro, s'était engagé à mettre à la disposition de cette république sud-africaine pour y installer, en revêtant les parois des galeries de minerai et de houille, de véritables chantiers d'exploitation des deux grandes industries du pays : l'or et le charbon. Donc l'idée de départ était que le Transvaal devait avoir, à sa demande, sa propre entrée particulière. Mais c'est suite à des nécessités de service que le 16 janvier 1899 le tracé des galeries a été modifié et que le public fut amené à sortir par l'exposition Sud-Africaine, et donc passait par les divers ateliers de travail du minerai après avoir vu le gisement souterrain in situ.
Les deux parcours souterrains évoqués fin mars 1898, étaient donc effectivement devenus deux expositions aux thèmes bien spécifiques. Tout d'abord une exposition géologique et archéologique, « Le Monde souterrain = le MS » reproduisant les principales merveilles souterraines connues à l'époque (l'entrée et la sortie se trouvaient de part et d'autre des fontaines du Trocadéro), mais dont il ne reste désormais aucun vestige car lors de la construction du Théâtre National de Chaillot, les contraintes architecturales ont fait décaper le sol jusqu'au niveau des anciennes carrières souterraines (les fondations du théâtre ont été assises directement sur le sol de ces carrières). La seconde exposition constituée finalement par l'« Exposition minière souterraine = l'EMS » stricto sensu (dont l'entrée se faisait à l'angle de la rue de Magdebourg et de l'avenue du Président Wilson, et la sortie au niveau des bâtiments « Sud-Af. »). C'est dans cette seconde exposition souterraine que nous avons eu la chance d'accéder et nous y avons retrouvé des vestiges insoupçonnés. Nous nous sommes aussi ingéniés à reproduire photographiquement les paysages dont nous avions des images d'époque, sachant que tout ce qui était boisage et autres aménagements décoratifs avait disparu depuis. Mais nous avons également découvert quelques éléments ayant miraculeusement traversé le siècle qui s'est écoulé depuis : les supports des câbles, des manomètres... et une traverse métallique.
Très peu de documents iconographiques nous sont parvenus de ces deux exhibitions souterraines à grand spectacle : quelques photos, encore moins de cartes postales, voire une vignette publicitaire, ou des billets d'entrée. Pourtant un certain nombre d'objets souvenirs relatifs aux attractions de l'exposition souterraine étaient diffusés par l'intermédiaire de Charles Hess qui en avait obtenu l'exclusivité, ce que confirme le catalogue du Monde Souterrain qui nous apprend que : « photographies, reproductions et moulages des objets exposés [étaient] en vente aux Bureaux de la Société et aux guichets du Monde Souterrain ».
Lors de l'avant projet de mars 1898, les prévisions pronostiquaient 15 000 personnes attendues journellement pendant les 150 jours d'exploitation ! En fait, après un début similaire pour les deux expositions souterraines (environ 20 000 visiteurs mensuels), l'EMS finit par recevoir le double de visiteurs par rapport au Monde souterrain : 60 000 visiteurs en juin (contre 30 000), 50 000 en juillet (contre 20 000). Il est à noter que pendant les Expositions Universelles et devant l'afflux de visiteurs qu'elles attiraient au XIXe siècle, les Catacombes (autre pôle touristique majeur souterrain pour Paris, déjà à l'époque et toujours de nos jours) étaient visitables tous les samedis, à la place d'une fois par mois. Ce qui fait qu'en 1889 on y recensa 20 003 visiteurs, et 18 463 en 1900, contre une moyenne de 10 000 seulement les années de non-Exposition. Dans les années 30 à 50 le nombre de visiteurs était redescendu à 6000 - 7000 personnes pour une centaine de jours d'ouverture par an (7087 visiteurs en 1933 ; 6644 en 1936 visiteurs ; 6134 visiteurs en 1947).
Actuellement ce sont près de 300 000 visiteurs par an qui se pressent tous les jours pour visiter les Catacombes de Paris, soit deux fois plus que les égouts (en 2000 le rapport était déjà le même, pour un nombre d'heures d'ouverture au public 2.5 moindre pour le musée des Catacombes que pour les égouts). Cela en faisait (avant la mise en gratuité des musées de la Ville de Paris - à l'exception justement des Catacombes - datant de la fin 2001) l'une des attractions majeures de la capitale, car lorsque l'on établissait le bilan du nombre de visiteurs par rapport au nombre d'heures d'ouverture, c'était incontestablement le plus visité des 15 musées appartenant à la Ville de Paris. Si l'accès à l'Ossuaire des Catacombes est demeuré soumis à un droit d'entrée pour de simples questions économiques (la Ville n'allait pas se priver d'une telle manne financière) le trop grand afflux de visiteurs constaté chaque jour dans ce lieu confiné, soumis à un taux d'humidité supérieur à 90%, et surtout éclairé en lumière blanche 24h / 365j est incompatible avec la conservation des ossements, fond de commerce du lieu. Tous les conservateurs ayant connaissance de la situation de ce musée victime du « syndrome de Lascaux », a fortiori ceux responsables de sites souterrains donc confrontés aux mêmes contraires environnementales, sont horrifiés de la situation constatée.
C'est vraiment une chance incommensurable que d'avoir pu observer in situ le peu de vestiges retrouvés, parce que l'EU1900 terminée (l'exposition ayant été prolongée jusqu'au 11 novembre inclus, au lieu du 5 prévu initialement), la houillère fut vidée de son charbon, et tout ce qui pouvait être démonté et récupéré le fut. Un groupe de visiteurs clandestins (qui auraient été baptisés « cataphiles » 80 années plus tard) se fit alors remarquer en s'introduisant régulièrement dans ces carrières souterraines, et ce malgré les mesures prises déjà à l'époque par l'IDC pour essayer de mettre fin à ces agissements délictueux répétitifs (les escaliers et entrées en pente douce avaient déjà été condamnés en 1903 suite à des déprédations commises dans les carrières par des personnes « sans foi ni loi ») ; verrouiller les portes ou condamner les tampons d'accès, rien n'y fit ! En 1906, le groupe fut enfin interpellé, et son meneur condamné à plusieurs mois de prison : c'était le fils d'un honorable officier en retraite, qui se revendiquait en outre président de la Société spéléologique de Paris. Les carrières de Chaillot retrouvèrent enfin le calme et le repos auxquels elles pouvaient aspirer après avoir vu défiler des hordes, cohortes et théories de visiteurs. Mais en août 2004, il fut à nouveau question de ces sous-sols, jusqu'au fin fond de l'Afrique du Sud, comme un clin d'oeil en écho à l'EMS. Les médias du monde entier se repurent d'un simple fait divers anecdotique du landernau parisien (et qui aurait dû le rester), ayant pour cadre à nouveau les anciennes carrières du Trocadéro, et le propagèrent à la vitesse d'un réseau de communication virtuel désormais mondialisé, et qui plus est dorénavant dopé au haut débit. C'est le nouvel effet « Papillon » développé et maintenant exacerbé par la sphère Internet : un lépidoptère s'enrhume sous Paris, et c'est la terre entière qui éternue (les moindres virus, même les plus anecdotiques et anodins, se propagent maintenant à la vitesse de la grippe aviaire au galop !) Un groupuscule se faisant appeler la Mexicaine de Perforation avait organisé clandestinement pendant quelques mois des séances de cinéma doublement underground, au niveau des carrières situées approximativement sous l'ex-Cinémathèque de Chaillot, en réaménageant les lieux selon leurs propres critères « esthétiques ».
Quoi qu'il en soit, la reconstitution de toutes ces merveilles souterraines dans les sous-sols de Paris n'avait jamais eu d'équivalent par le passé et n'en eut pas non plus par la suite. Et qui plus est, de nos jours il serait impossible de réorganiser une telle exhibition. En effet le sous-sol parisien attire maintenant toute une frange de population irrespectueuse, adepte de ce qu'elle considère à tort comme une friche industrielle, ce qui ne favoriserait pas l'émergence de tels projets. Pourtant dans d'autres régions européennes sous-minées (par exemple le Limbourg, et plus précisément la région de Maastricht-Valkenburg), le tourisme souterrain est une composante économique non négligeable. On peut visiter par exemple à Maastricht même, parmi de nombreuses autres carrières souterraines aménagées pour le tourisme, celle de Jezuïetenberg (ou carrière du Mont des Jésuites) ouverte au public, et qui présente des reconstitutions archéologiques sculptées sous terre datant de la fin du XIXe siècle (Alhambra, tête de Sphinx, taureaux ailés babyloniens, etc.). Tandis qu'à Valkenburg, c'est la reconstitution d'une mine de charbon avec installation des appareillages en état de fonctionnement qui est proposée dans la carrière dite Daelhemergroeve, et ce depuis 1917 sur une initiative privée.
Maastricht-Valkenburg, haut lieu du patrimoine souterrain artificiel européen, peut donc s'enorgueillir de posséder de nos jours son Exposition Minière Souterraine et son Monde Souterrain !
Tout d'abord grand merci au descendant de Louis de Launay d'avoir mis à notre disposition ses très nombreuses archives familiales, sans qui de très nombreuses zones d'ombre seraient demeurées sur ce domaine particulier ; et pourtant quoi de plus naturel que l'obscurité dans des carrières souterraines !
Mais aussi nos remerciements sincères, avec par ordre d'entrée en scène : Claude Huguet, collectionneur incontournable se consacrant à tout ce qui touche l'historicité de l'univers souterrain parisien (anciennes carrières et Catacombes de Paris), et François Peyrat, le premier collectionneur rencontré qui s'intéressait aux Expositions Universelles ; Marie-Noëlle Maisonneuve, responsable du fonds ancien de l'Ecole des mines de Paris ; Virginie Delaforge conservatrice des archives du musée Rodin ; le Centre d'Accueil et de Recherche des Archives Nationales, et surtout son annexe le Centre des Archives du Monde du Travail sis à Roubaix; Agnès Paris et Virginie Debrabant, responsable du Centre Documentaire du musée de la Mine de Lewarde ; Rémy Teppaz pour m'avoir confié son Guide Hachette de l'Exposition de 1900 ;
... and last but not least, Laurent Antoine « LeMog » pour les échanges fructueux concernant les extensions souterraines des Expositions universelles de par notre vaste monde, Tristan Pimpaneau, de toujours aussi bon conseil et riche de documents insoupçonnés, Florence Quignard-Debuisson (de la collection éponyme) fidèle en amitié... et la dernière apparue mais la première devenue, Marina Ferrand, au nom célèbre, qui depuis qu'elle a découvert le Paris souterrain s'y investit totalement.
Gilles THOMAS et Olga POLYCHRONOPOULOU