Louis Auguste Alphonse DE LAUNAY (1860-1938)

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Louis de Launay est le fils de Alphonse de LAUNAY et de Marie Constance CHASTELLAIN. Religion catholique.
Il est le gendre de Alfred CORNU, beau-frère de Marie Ernest André CORNU (1881-1956 ; X 1902). Sa soeur Aline a épousé Edouard-Alfred MARTEL (1859-1938), considéré comme le "père" mondial de la spéléologie.
Son fils, sous-lieutenant aviateur, observateur d'escadrille, chevalier de la Légion d'honneur, meurt à 19 ans le 23 avril 1917. Sa fille Solange épouse le 10/10/1928 Jacques RENOUARD. Sa fille Antoinette épouse le 10/5/1924 Pierre FOURNIER.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1879, entré classé 16 et sorti classé 3 sur 191 élèves), et de l'Ecole des mines de Paris (sorti en 1884 classé 3). Corps des mines. Voir le bulletin de notes de l'élève de Launay à l'Ecole des mines.


L'OEUVRE SCIENTIFIQUE DE LOUIS DE LAUNAY

par A. DEMAY (1939)
Inspecteur général des Mines, Professeur à l'École des Mines de Paris.

Louis De Launay a été sans conteste le plus grand géologue français et même, à bien des égards, le plus grand géologue du monde, qui se soit occupé de la science des gîtes minéraux. Par ses innombrables recherches de détail, par son interprétation des phénomènes observés et par la découverte des lois auxquelles ils obéissent, par ses grands ouvrages de synthèse, il fait, en ce domaine, figure d'un véritable créateur. Sans doute, avant lui ou en même temps que lui, d'autres ont apporté une contribution de grande valeur; après lui, dans cette science, maintenant solidement constituée, les chercheurs de tous pays accumuleront des observations nouvelles et résoudront peut-être les problèmes qu'il a éclairés d'une si vive lumière et dont la solution lui paraissait encore incertaine. Des méthodes nouvelles d'investigation et en particulier l'étude des minerais par réflexion au microscope métallographique ouvrent un champ nouveau plein de promesses, qu'il a seulement pu entrevoir. Il n'en reste pas moins que Louis De Launay a su dégager le premier les données fondamentales de la métallogénie, les lois essentielles du cheminement des métaux et des métalloïdes depuis leur source profonde jusqu'à leur gisement actuel, les relations entre les venues métallifères et les venues de roches éruptives, celles-ci commandées à leur tour par les phénomènes orogéniques, enfin l'importance des altérations superficielles et des remaniements, jusqu'alors méconnus ou interprétés de manière inexacte. La classification des gisements, établie par Louis De Launay, la notion de région métallifère, que caractérisent la profondeur atteinte par l'érosion, la forme des gisements et les associations minérales, notions qu'il fut le premier à mettre en évidence, sont aujourd'hui la base de la métallogénie et sont devenues classiques au point que beaucoup les utilisent sans songer que cet ordre n'a pas toujours existé. Tout en sachant la part immense prise par Louis De Launay aux recherches métallogéniques, ils oublient parfois que ces notions classiques ont été dégagées par lui il y a plus de quarante ans, à un moment où dans cette science nouvelle tout n'était que chaos. Il en est souvent ainsi au départ des grandes disciplines scientifiques. Les données fondamentales, après un demi-siècle ou un siècle, semblent avoir été posées de toute éternité, alors qu'elles furent l'oeuvre magnifique des créateurs de ces disciplines nouvelles.

Louis De Launay n'a pas été seulement le grand créateur de la science des gisements, le géologue qui a le plus contribué à leur connaissance dans le monde entier. Il a consacré aussi une grande part de son activité aux recherches de géologie générale. Là également, sur bien des points, il apparaît comme un précurseur, qu'il s'agisse des formes diverses de cristallisation et de la mise en place des roches éruptives, des types de transition que l'on observe entre les faciès entièrement cristallins des granulites et des microgra-nulites et les faciès laviques, en grande partie amorphes, des modes si variés et si curieux des injections magmatiques, en particulier des injections granulitiques, enfin des phénomènes orogéniques dans les terrains cristallophylliens et des grandes dislocations du Massif Central français. Chez Louis De Launay, le grand métallogéniste a fait oublier parfois le géologue de géologie générale. Pourtant il a porté dans ce domaine une observation aussi patiente et attentive, une passion égale sinon plus forte, une curiosité ardente de la suite et de l'explication des phénomènes naturels et un souci des interprétations générales, où l'on retrouve une des qualités essentielles de ce grand esprit.

Une des règles les plus strictes de la méthode dans les sciences physiques et naturelles consiste à partir des faits, c'est-à-dire d'observations de détail, aussi précises et minutieuses que possible, et de s'élever ensuite jusqu'aux notions générales, jusqu'aux lois, aux classifications ou aux synthèses. Puis de nouveau intervient l'observation directe. Celle-ci vérifie, corrige, parfois détruit les interprétations et les théories, qui sont nées par le jeu magnifique et mystérieux de l'intuition, de l'imagination créatrice. De cette méthode Louis De Launay nous offre un admirable exemple. Dans ses recherches, aussi bien en géologie générale qu'en métallogénie, il s'attache à la description précise des phénomènes et des apparences naturelles soumis à l'observation directe, descriptions que d'aucuns jugeraient peut-être inutiles ou même terre à terre, et qui sont poussées jusqu'à des détails infimes, par exemple la disposition des galets voisins dans les conglomérats aurifères du Transvaal ou la dimension moyenne des cristaux mesurés au microscope dans les porphyres de la Creuse. Mais il essaye aussi, en groupant et comparant les faits dans la région étudiée et dans d'autres régions du globe, de dégager les idées générales, dont les unes sont de véritables lois, tandis que d'autres, hypothèses encore incertaines, mais données comme telles, éclairent, malgré cette incertitude, le problème posé et approchent sa solution.

Pour bien marquer ces deux aspects de la recherche chez Louis De Launay, nous examinerons, en métallogénie et en géologie générale, d'abord quelques exemples des études de détail et des découvertes liées à l'observation directe du terrain ou des gisements, puis les idées générales dégagées par une intuition admirable et sans cesse confrontées avec des observations nouvelles. Il serait pourtant artificiel de séparer complètement ces deux aspects. La description d'un gisement doit être suivie naturellement de la discussion des conditions de sa genèse. C'est ainsi qu'à propos de la description des gisements d'or et de diamant du Transvaal, nous verrons déjà dans l'oeuvre de Louis De Launay des exemples de ces analyses génétiques qui dépassent l'observation directe. Nous réserverons au contraire pour des chapitres spéciaux les idées générales, comparaisons, remarques ou lois, qui n'ont pas trait à un seul gisement ou à une région limitée, mais qui valent à l'échelle du continent ou de la planète.

Nous examinerons successivement dans l'oeuvre du savant :

I. - Les descriptions et études détaillées des gîtes minéraux;
II. - L'étude chimique des gîtes métallifères;
III. - L'étude générale des caractères, de la genèse et de la répartition des gîtes;
IV. - Les recherches de stratigraphie, pétrographie et tectonique;
V. - Les idées générales sur les grands phénomènes géologiques et sur l'histoire de la terre;
VI. - L'influence exercée en France et à l'étranger.


I. - Descriptions et études détaillées des gîtes minéraux.

A peine sorti de l'École des Mines, Louis De Launay, jeune ingénieur ordinaire des Mines à Moulins, puis à Dijon, aborda de front les recherches de métallogénie et de géologie générale. Depuis son premier mémoire métallogénique et économique de 1889 sur l'industrie du cuivre dans la province de Huelva, il ne cessa de donner, soit dans ses notes, soit dans ses grands ouvrages, toujours riches d'observations personnelles inédites, la description précise d'innombrables gisements français ou étrangers.

Nous nous bornerons à rappeler ici deux exemples empruntés à des gisements qui ont une grande importance à la fois théorique et pratique, les gisements d'or du Transvaal, les gisements de diamant du Cap. Ce sont des travaux qui datent des années 1896 et 1897 et ont trouvé place sous une forme nouvelle dans son grand ouvrage de 1903 sur les richesses minérales de l'Afrique.

Les célèbres minerais d'or du Witwatersrand au Transvaal sont, suivant les termes mêmes de De Launay, « composés de conglomérats, accessoirement de grès grossiers ou quartzites à éléments quartzeux plus ou moins roulés, soudés par une pâte siliceuse englobant de petits grains de quartz et renfermant des grains de pyrite, avec lesquels l'or, toujours invisible à l'oeil nu et réparti en fine poussière microscopique, paraît avoir été originellement associé ».

De Launay a étudié avec une extrême minutie ces conglomérats aurifères. Il a noté soigneusement la nature des galets, leur forme, parfois curieusement anguleuse, dans certains cas leur enchâssement apparent, la disposition de la pyrite aurifère dans le ciment, parfois roulée et même stratifiée, parfois cristallisée sur place, enfin l'allure générale des bancs conglomératiques, le changement de pente des couches, etc. Les dessins établis d'après des échantillons recueillis sur place et affectés de numéros-repères indiquent la forme précise des galets et des traînées pyriteuses. Il n'y a pas lieu d'insister davantage ici sur les caractères du gisement. Les remarques précédentes ont seulement pour objet de mettre en évidence la méthode suivie par De Launay durant la première phase de l'étude d'un gisement : des faits en apparence insignifiants ne doivent pas être négligés, car ils peuvent fournir un indice soit sur la continuité du gîte, soit sur son mode de formation.

Après les observations directes qui définissent la forme et les caractères apparents du gîte, il reste à examiner sa genèse. Le problème est souvent difficile. Dans le cas des gisements d'or du Transvaal il semble presque insoluble. Pourtant De Launay ne se résigne pas à limiter l'étude à son côté purement descriptif. Il envisage donc, d'après les faits connus et d'après ses propres observations, toute une série d'hypothèses, d'abord celle d'un placer de la période primaire, résultant de la destruction de grands filons aurifères et de leur préparation mécanique, suivies d'une recristallisation du ciment pyriteux et siliceux par métamorphisme, puis l'hypothèse d'une précipitation de la pyrite aurifère, contemporaine du dépôt de la série gréseuse et conglomératique du Witwatersrand, suivant un processus analogue à celui que l'on imagine pour les schistes cuprifères permiens du Mansfeld, enfin l'hypothèse d'une imprégnation pyriteuse et aurifère postérieure au dépôt des lits de sables et de galets. De Launay discute les trois hypothèses, expose les faits qui semblent les justifier et les difficultés qui subsistent pour chacune d'elles. Bien que la troisième se présente en bon accord avec un grand nombre de faits, il ne masque pas quelques objections sérieuses et préfère laisser le problème en suspens. Discussion vaine, pensera peut-être un esprit critique. Certes non. Grâce à elle apparaissent bien des faits précis qui seraient restés dans l'ombre. Le problème est maintenant posé de la manière la plus nette, des recherches nouvelles pourront un jour apporter sa solution. Si aujourd'hui encore en 1939 l'accord n'a pu se faire entre les nombreux géologues qui se sont occupés de la question, on peut dire que toutes les théories se groupent autour des trois hypothèses proposées par De Launay et c'est bien celle qui, malgré les difficultés, lui semblait en 1903 la plus vraisemblable, celle d'une imprégnation postérieure au dépôt, qui a le plus de défenseurs.

En dehors de ce difficile problème de genèse, les conclusions théoriques formulées par De Launay sur les gisements d'or du Witwatersrand ont d'ailleurs une grande importance et ont reçu une confirmation directe par les progrès de l'exploitation. Dès 1890, dans son premier mémoire sur le Transvaal, alors que l'exploitation portait encore sur la partie superficielle à or natif, il avait annoncé que la forme dominante en profondeur serait pyriteuse et il en fut bien ainsi. Plus tard, en 1896, De Launay indiqua, d'après les observations faites au cours de son voyage au Transvaal, que les gisements se prolongeraient en profondeur. Ici encore la suite de l'exploitation a confirmé ses vues.

Examinons maintenant les recherches de Louis De Launay sur les gisements diamantifères de la région de Kimberley. Dans cette région existent des cheminées éruptives, de forme circulaire ou elliptique, avec un diamètre de 100 à 600 m., qui coupent à 1'emporte-pièce les terrains primaires horizontaux du Karoo. Les cheminées sont remplies par une brèche volcanique qui contient le diamant. De Launay étudia, avec un grand détail, ces brèches volcaniques, puis les coulées interstratifiées dans la série sédimentaire du Karoo, enfin les filons de porphyrites qui traversent cette série et recoupent aussi la brèche diamantifère. Grâce à l'examen microscopique et chimique de ces roches diverses, il put établir qu'elles appartiennent à un seul groupe pétrographique et représentent des termes de basicité croissant avec le temps. Il porta aussi une grande attention aux enclaves de roches étrangères qui sont englobées dans la brèche diamantifère et que l'explosion volcanique a ramenées de la profondeur. Toutes ces observations lui permirent de définir avec précision la suite des phénomènes volcaniques qui sont liés à la formation des gisements diamantifères. Il aboutit ainsi, comme pour l'or, à des conclusions théoriques que l'expérience a vérifiées. Tandis qu'au stade atteint alors par l'exploitation la série sédimentaire ou volcanique du Karoo constituait la paroi des cheminées, il annonçait en 1897, d'après la hauteur moyenne de remontée des roches étrangères et d'après l'abondance d'enclaves granitiques contenues à ce moment dans la brèche diamantifère, que l'on arriverait prochainement et à une profondeur déterminée, au point où du granite, jusque-là complètement ignoré dans le pays formerait la paroi de la cheminée, et cette prédiction fut effectivement réalisée.

Quant au problème difficile de la genèse des gisements diamantifères du Cap, Louis De Launay, en comparant ces conditions naturelles avec les résultats des expériences de Moissan, qui venait de reproduire du diamant synthétique au moyen d'un bain de fonte surcarburé, brusquement refroidi dans un creuset et violemment comprimé par suite de la dilatation, put conclure, dès 1897, que les diamants du Cap ont cristallisé en profondeur sous une forte pression dans un bain métallique, dans une sorte de fonte carburée, et ont été amenés au jour avec la roche basique provenant de la scorification de ce bain, dans des cheminées d'explosion. Les recherches ultérieures, et même les plus récentes, ont montré que sur les points essentiels l'interprétation génétique proposée par Louis De Launay est la seule qui s'accorde avec toutes les observations. P. A. Wagner, en 1909, et Stutzer et Eppler, en 1935, constatent qu'il ne peut s'agir ni d'une action de la roche éruptive basique sur des couches de charbon profondes, ni d'éléments étrangers arrachés à des roches grenatifères et diamantifères, et ils concluent comme lui que les diamants ont cristallisé dans un magma basique riche en carbone. La roche mère du diamant est bien la roche volcanique qui remplit les cheminées, la Kimberlite, comme Louis De Launay l'avait indiqué dès 1897.

A ces deux exemples, nous aurions pu en joindre beaucoup d'autres, empruntés à tous les types de gisements de métalloïdes et de métaux. On ne doit pas oublier non plus les nombreuses études de sources thermo-minérales. Dans ce domaine, sur lequel on ne possédait aucune donnée scientifique, Louis De Launay a apporté, non seulement de précieuses observations de détail, mais des idées justes et fécondes sur la répartition des sources thermominérales à la surface du globe, sur l'origine des eaux qui viennent ainsi au jour, sur les relations de ces venues et des phénomènes de la géologie générale et de la métallogénie.

II. - Étude chimique des gîtes métallifères.

Louis De Launay, dans l'étude des gîtes métallifères, a montré non seulement des qualités éminentes de minéralogiste, de pétrographe et de géologue, mais aussi une connaissance très étendue et une compréhension remarquable des phénomènes chimiques. Dans bien des cas il put ainsi, allant au delà de ce que pouvait donner l'observation directe ou le microscope, expliquer par le jeu de réactions chimiques analogues à celles que l'on réalise au laboratoire la formation de certains gisements, l'association de divers éléments dans un même gîte, le mode de répartition de tel corps simple dans les roches ou dans les gîtes du monde entier. Louis De Launay a parlé souvent de «cette métallurgie naturelle » et de la suite complexe de réactions qui entrent en jeu dans les profondeurs, puis facilitent le cheminement des substances et interviennent jusqu'au voisinage de la surface. Son ambition était de parvenir à les reconstituer et dans bien des cas il y a réussi. Nous rappellerons ici seulement quelques exemples.

Louis De Launay a consacré en 1903 et 1904 plusieurs notes importantes à l'étude de l'association ordinaire du fer et du phosphore. Il montre que « la première association du fer et du phosphore peut avoir une origine profonde, dont on trouve la trace dans le phosphure de fer des météorites ». En général, les minerais de fer profonds, directement liés à des phénomènes éruptifs ou nés par ségrégation dans un magma basique, semblent avoir été « épurés par la scorification » qui caractérise cette métallurgie des profondeurs. « Au contraire le phosphore qui pouvait exister à l'état de phosphure profond a été partout rapidement oxydé, puis absorbé par la chaux sous forme d'apatite », c'est-à-dire de phosphate de chaux cristallisé. Il se trouve ainsi, en petite proportion, presque totalement isolé du fer, dans toutes les roches cristallines de l'écorce, qui constituent, au-dessus du noyau ferrugineux interne, une sorte de scorie. Cette écorce, sans cesse détruite par l'érosion et reconstituée par des venues éruptives nouvelles au cours des temps géologiques, a été le point de départ de toutes les roches sédimentaires où le phosphore et le fer se sont trouvés rassemblés. Les mêmes influences chimiques, en particulier la présence, puis le dégagement de l'acide carbonique, ont joué pour les deux corps, et l'on comprend ainsi qu'ils soient souvent groupés. En fait, tous les minerais de fer sédimentaires, sauf épuration ultérieure, sont plus ou moins phosphoreux. De Launay examine les conditions qui ont pu favoriser par la suite cette épuration naturelle, analogue à celle que l'homme réalise dans les fours métallurgiques. De toutes ces recherches se dégagent quelques lois simples qui permettent d'expliquer les variations de la teneur en phosphore et même de prévoir si telle catégorie de minerai sera phosphoreuse ou non.

Poursuivant ses recherches sur le phosphore dans la nature, Louis De Launay montre que cet élément, contrairement à ce qui avait été envisagé jusque-là, a joué, en maintes circonstances, un rôle analogue à celui des éléments qu'on qualifie de minéralisateurs, chlore, soufre, bore, qui prêtent de la mobilité aux métaux et facilitent leur ascension vers la superficie. Une étude attentive des gisements de tous les minéraux phosphatés, d'abord le plus commun, l'apatite ou phosphate de chaux, puis les phosphates de soude, de lithine, de chaux, de magnésie et surtout les phosphates d'urane et de métaux rares, lui permet d'établir ce rôle minéralisateur du phosphore dans les venues acides de pegmatite et de granite à muscovite. Enfin, partant de ces résultats, De Launay présente une interprétation nouvelle des synthèses de minéraux des pegmatites réalisées par Hautefeuille à l'aide de l'adjonction de phosphate de soude ou de potasse au mélange soumis à la fusion. Ce qui semblait un artifice entre maintenant, grâce à ces précieuses remarques, dans le cadre des phénomènes naturels de la géochimie.

Par une étude analogue, faite en 1903, De Launay a mis en évidence le rôle du titane en géologie, « sa grande diffusion dans l'écorce, son mode de concentration dans les roches, puis dans les ségrégations basiques, ensuite dans les filons et enfin dans les sédiments ».

La finesse de la méthode et l'importance des résultats acquis apparaissent particulièrement dans les recherches que Louis De Launay poursuivit, avec la collaboration du grand chimiste Georges Urbain, sur le rôle des éléments étrangers dans la constitution des blendes. De Launay étudia un très grand nombre d'échantillons de blende ou sulfure de zinc cristallisé, d'âge échelonné depuis des temps géologiques très anciens jusqu'au Tertiaire, avec l'idée que leur composition chimique et en particulier l'association d'autres métaux, fût-ce à l'état de traces, pourrait mettre en évidence certaines lois et en tout cas déceler les conditions de leur genèse et de leur évolution ultérieure.

La méthode d'analyse spectrographique, mise au point par G. Urbain, donnait justement le moyen de déterminer dans les blendes des traces infimes de métal étranger. Les deux savants ont constaté qu' « un échantillon unique de blende peut faire connaître approximativement la constitution métallogénique du gisement dont il provient, l'âge de celui-ci, sa profondeur de cristallisation, la rapidité plus ou moins grande de cette cristallisation et les altérations subies après coup ». C'est ainsi qu'une blende trouvée sur une vieille plate-forme précambrienne aura des chances pour contenir de l'étain et pas de mercure, tandis que l'inverse se produira pour une blende provenant d'une zone disloquée et métallisée à l'époque tertiaire. Louis de Launay ne se contente pas de mettre en évidence ces curieuses relations. Il montre qu'elles s'accordent avec une loi qu'il avait établie d'après beaucoup d'autres observations. Même à l'état de traces, l'étain, suivant ses prévisions, est demeuré confiné dans la profondeur, tandis que le mercure a pu arriver jusqu'au voisinage de la surface. On saisit sur cet exemple la finesse de l'observation, l'ingéniosité de la méthode et l'importance des idées générales que Louis De Launay sait en déduire.

III. - Étude générale des caractères, de la genèse et de la répartition des gîtes minéraux et métallifères.

L'année 1897 représente une date particulière dans l'activité scientifique de Louis De Launay. Depuis douze ans déjà, il n'a cessé de travailler à l'étude des gîtes minéraux et métallifères. Il a multiplié les observations minutieuses en France et à l'étranger. Il a déjà parcouru une bonne partie du monde, la Belgique et les Alpes, la Haute-Italie et la Sardaigne, l'Autriche-Hongrie, la Dalmatie, l'Allemagne, la Galicie et la Pologne, la Grèce et les îles de la mer Egée, l'Espagne et le Portugal, la Suède et la Norvège, l'Afrique du Nord, l'Afrique australe. De nombreuses notes et ses mémoires importants sur l'or et sur le diamant ont attiré l'attention du monde savant. Enfin, depuis huit ans il occupe, avec des qualités éminentes de professeur, la chaire de Géologie appliquée de l'École des Mines de Paris. Le désir de grouper d'innombrables observations éparses et jusqu'ici sans lien et les obligations mêmes de son enseignement l'ont conduit à procéder à un dépouillement méthodique de la littérature française et étrangère sur ce sujet et à publier en 1889, en partie avec des notes laissées par son maître Fuchs, un traité des gîtes minéraux et métallifères et, en 1893, la première édition de son ouvrage sur la formation des gîtes métallifères. Il lui reste pourtant en 1897 un pas à franchir. Les qualités intellectuelles de Louis De Launay, esprit puissant en même temps qu'observateur très attentif et très sagace, le portaient naturellement vers les idées générales et vers les synthèses. J'imagine aussi que son cours de l'École des Mines lui inspirait le désir de présenter à des jeunes gens tout nourris de mathématiques et toujours épris de logique et d'idées générales, un ensemble cohérent et clair, une véritable science et non pas seulement une série de descriptions minéralogiques et géologiques empruntées aux diverses parties du monde. C'est alors qu'une expérience déjà très riche et son génie lui permirent d'apercevoir les données fondamentales, les lois qui allaient servir de base à cette science nouvelle de la métallogénie. En cette année 1897, véritable tournant de sa carrière, il donne coup sur coup ses notes sur les phénomènes d'altération superficielle et de remise en mouvement dans la constitution des gîtes métallifères, sur la forme profonde des amas filoniens de fer, sur l'importance des gîtes d'inclusion et de ségrégation dans une classification des gîtes métallifères. Trois ans plus tard, en 1900, paraissait la note brève mais essentielle sur les types régionaux de gîtes métallifères, puis en 1907 une note complémentaire sur la notion de profondeur, appliquée aux gisements métallifères africains.

Ces notions générales trouvaient place dans l'édition de 1905 de son ouvrage sur la formation des gîtes métallifères. Maintenant le pas était franchi et l'ordre découvert là où régnait jusqu'ici le chaos. A partir de ce moment toutes les recherches métallogéniques de Louis De Launay sont orientées par les belles découvertes de 1897 et de 1900. Il ne cessera pas d'accumuler des faits nouveaux et de les classer dans ce cadre, de vérifier et de préciser les lois de la formation et de la répartition des gisements. Les grands mémoires sur les Richesses Minérales de l'Afrique (1903), sur la Métallogénie de l'Italie et des régions avoisinantes (1906), sur la Géologie et les Richesses Minérales de l'Asie (1911), enfin son grand Traité de Métallogénie (1912) apportent une illustration magnifique de ces idées nouvelles.

Examinons maintenant de plus près ces notions fondamentales de la métallogénie découvertes par Louis De Launay.

« Le point de départ de tout gîte métallifère doit, suivant l'avis de De Launay, être cherché dans un bain métallique interne, où doivent intervenir le carbone, l'hydrogène, peut-être le soufre », et dont les roches extra-terrestres, tombées du ciel, suivant l'expression vulgaire, les météorites, puis les roches les plus basiques de l'écorce terrestre, enfin des roches basiques plus riches en silicium et en oxygène, nous offrent des spécimens de plus en plus oxydés. C'est par l'examen de ces magmas basiques que doit débuter rationnellement l'étude des gîtes métallifères. Ainsi Louis De Launay est conduit à accorder une importance particulière à une nouvelle catégorie de gîtes, les gisements d'inclusion et de ségrégation directe, qui sont restés en relation absolument intime avec les roches basiques dont il suppose que tous les autres proviennent plus ou moins immédiatement. Cette dérivation s'est faite anciennement sous deux formes, par scorification directe, avec prépondérance des actions ignées, et par dégagement hydrothermal, c'est-à-dire avec prépondérance des actions aqueuses et intervention de minéralisateurs, qui donnent aux métaux la mobilité qui leur faisait défaut.

Tandis que l'École allemande ne voyait alors dans les gîtes métallifères que des phénomènes de sécrétion récents et superficiels, produits par une sorte de lessivage des roches éruptives déjà consolidées, tandis qu'en sens inverse beaucoup de géologues, pénétrés des idées françaises, envisageaient une formation bien plus ancienne, mais tenant compte des variations de la minéralisation dans les filons à partir de la surface, admettaient que cette surface a joué un rôle important lors de la formation des gisements, Louis De Launay montre, et c'est là une de ses découvertes fondamentales, qu'il faut distinguer soigneusement la formation originelle du gîte, qui est contemporaine de la consolidation du magma éruptif, et les remaniements, les remises en mouvement ultérieures qui, à partir de la surface, ont affecté le gisement initial et qui sont presque toujours bien postérieurs. Ceci permet à Louis De Launay de raccorder les théories en apparence tout à fait contradictoires des géologues allemands et français. Mais au delà de cette première clarté ces idées orientaient ses recherches de la manière la plus féconde dans deux directions nouvelles, celle de la transformation superficielle des gîtes, celle des relations entre les venues métallifères et la géologie générale.

Il n'est pas utile d'insister beaucoup sur le premier point, qui est devenu très vite tout à fait classique. De Launay a montré que les altérations superficielles ont transformé profondément les gîtes jusqu'au niveau hydrostatique. Cette notion de l'importance du niveau hydrostatique et des variations du minerai en profondeur, qui est aujourd'hui monnaie courante dans les recherches minières, a été dégagée d'abord par De Launay. Il a étudié en détail pour l'argent, pour l'or, pour le plomb, pour le fer, pour le manganèse, ces variations minéralogiques et beaucoup de faits connexes, qui, mal interprétés, avaient servi de base aux théories de formation des gîtes per descensum, c'est-à-dire de haut en bas et non pas de bas en haut comme dans un véritable filon.

En géologie comme en toute science, bien qu'à première vue la prévision semble impossible dans une science du passé, une interprétation exacte des phénomènes permet de prévoir. Certes, le géologue ne prévoit guère l'avenir, mais, à partir du connu, il prévoit ce qui sera révélé demain par des investigations nouvelles. Ainsi les vues théoriques sont mises à l'épreuve et trouvent dans des faits nouveaux confirmation ou infirmation. Dans des cas innombrables, les progrès des exploitations minières sont venues confirmer les lois formulées par De Launay sur la transformation des gîtes en profondeur.

Si le détail des variations minéralogiques, comme il est habituel pour tous les phénomènes naturels, est très complexe, mais non pas imprévisible, les grandes lignes du phénomène présentent une remarquable simplicité. De Launay distingue ainsi une zone d'oxydation superficielle, puis une zone de cémentation qui présente souvent par suite du lessivage et de la descente de certains éléments un enrichissement remarquable, enfin une zone profonde inaltérée.

Il explique aussi très simplement par cette théorie un cas exceptionnel, qui, à première vue, semblait incompréhensible, celui des gisements où les formes minéralogiques de surface subsistent jusqu'à une grande profondeur. Ceci résulte d'altérations produites sur un filon pendant une période d'émersion très ancienne et qui, par suite d'un mouvement du sol, ont été descendues bien au-dessous du niveau hydrostatique actuel.

Les idées nouvelles exprimées par Louis De Launay en 1897 et en 1900 se révélaient plus fécondes encore dans une autre direction, celle des relations entre les venues métallifères et la géologie générale. En établissant « le lien d'origine entre les gîtes métallifères et les roches éruptives avec un départ plus ou moins prononcé », il rattachait en effet la métallogénie à la pétrographie et par contre-coup à la tectonique. De Launay distingue, d'une part, la liaison originelle des métaux et de certains magmas éruptifs, que l'étude des gîtes d'inclusion ou de ségrégation met clairement en évidence, d'autre part, la mobilité et le déplacement plus ou moins grands des métaux à partir de ce magma originel, qui dépendent presque entièrement de leurs affinités chimiques.

Quant au premier point, il note par exemple l'association de l'étain et du fer sous forme d'oligiste aux roches acides, granites ou granulites, ou encore l'association du fer, du nickel, du chrome, du cuivre aux roches basiques pauvres en silice, riches en magnésie et en fer.

Quant au second point, les métaux qui s'unissent le plus facilement aux minéralisateurs chlore, fluor, bore, soufre, phosphore, carbone et qui donnent naissance à des produits volatils ou à des solutions aqueuses, seront entraînés à des distances plus ou moins grandes des massifs éruptifs. Ce cheminement des métaux, De Launay ne l'envisage pas par une théorie abstraite et incertaine; il en voit la preuve concrète dans les combinaisons chimiques qui ont cristallisé au terme de ce voyage, puis dans la succession des fumerolles volcaniques, chlorures, sulfures, acide carbonique, que les travaux de Sainte-Claire Deville et Fouqué avaient mis en évidence, enfin dans les synthèses de minéraux réalisées au laboratoire par l'École minéralogique française.

En mettant en évidence le jeu de ces deux facteurs, liaison originelle avec des roches éruptives et affinités chimiques pour les minéralisateurs dans la répartition en apparence désordonnée des gisements métallifères, De Launay a pu définir des séries métallifères parallèles aux venues éruptives. A toute venue éruptive correspond une série de gisements, les uns dans le massif lui-même, d'autres proches de lui, d'autres plus éloignés. Mais nous savons aujourd'hui la liaison étroite qui existe entre les venues éruptives et les phénomènes orogéniques. Cette notion, beaucoup moins claire il y a quarante ans, et même méconnue par la plupart des géologues, avait cependant été aperçue par l'excellent géologue de géologie générale qu'était Louis De Launay. « Le rattachement de la métallogénie à la pétrographie, et par contre-coup à la tectonique » évoqué plus haut, suivant les termes mêmes de De Launay, représente pour l'époque une vue extraordinairement juste et nouvelle. De Launay élargit ainsi les grandes synthèses établies pour le globe par Edouard Suess et par Marcel Bertrand. Ceux-ci avaient défini les périodes orogéniques qui ont donné naissance successivement aux chaînes précambriennes, calédonienne, hercynienne et alpine. Marcel Bertrand avait même vu le retour des dépôts stratigraphiques analogues, ou, suivant un terme plus précis, leur récurrence durant des phases correspondantes de ces grandes périodes. De Launay marque à son tour la liaison des venues magmatiques, de la mise en place des granites, et des venues métallifères qui les accompagnent avec les phénomènes orogéniques, pour chacun de ces cycles. Il établit ainsi « l'unité des chaînes métallifères » comme on avait établi l'unité des chaînes tectoniques. La liaison avec les phénomènes orogéniques est indiquée déjà, non pas seulement comme un fait général, mais dans ses détails. Tel type métallifère se trouve dans la chaîne elle-même, tel autre dans son avant-pays.

Enfin, toutes ces remarques aboutissent, dans cette magnifique synthèse de De Launay, à la notion si juste et si féconde de région métallifère, qui n'avait jamais été aperçue avant lui. Une région métallifère est caractérisée par un type déterminé de gisements et ceci se comprend, s'il s'agit bien d'une région géologique naturelle, parce qu'elle correspond à une chaîne d'âge déterminé, à un certain mode orogénique, à la mise en place de roches éruptives analogues et, en accord avec les lois précédemment énoncées, à des venues métallogé-niques connexes. Mais surtout De Launay montre que ce faciès métallo-génique régional dépend de l'usure plus ou moins forte subie par la chaîne depuis sa surrection et, par suite, de la profondeur initiale plus ou moins grande des roches cristallines et des minerais que le géologue ou le mineur rencontre aujourd'hui près de la surface du sol. A ce point de vue les différences évidentes entre les gisements métallifères précambriens, calédoniens, hercyniens ou alpins sont dues surtout pour De Launay à une différence dans le degré d'érosion. Ceci le conduit à l'idée que les régions de tectonique ancienne nous font connaître la forme normale des gisements à des profondeurs infiniment supérieures à celles de nos travaux miniers. « On est ainsi en droit de supposer que, dans une chaîne récente comme les Alpes, on pourrait, en s'enfonçant assez, trouver au-dessous du type des gisements miniers alpestres, un type hercynien, puis, plus bas encore, un type Scandinave. »

Sur tous ces problèmes De Launay ne se borna point à formuler des conclusions générales, à dégager les lois et à grouper les faits connus en une harmonieuse synthèse. Un sens aigu des réalités, et le souci, toujours très fort chez lui, d'une méthode scientifique rigoureuse, le portèrent aussitôt à vérifier ces conclusions par l'étude détaillée de quelques régions typiques du globe. Tel doit être dans les sciences d'observation le chemin de l'esprit. Les faits conduisent aux idées générales. Celles-ci commandent de nouvelles recherches. Des faits nouveaux, dont l'importance avait pu échapper jusque-là, apparaissent, prennent place dans le cadre que l'esprit vient de dresser. Lorsque les idées générales étaient justes, ils viennent par leur concordance en démontrer la valeur. Souvent ils accusent la complexité des phénomènes, enrichissent le tableau primitif. Les exceptions mêmes ou les difficultés, sans détruire la théorie, jettent parfois la lumière sur un nouveau champ de recherches.

Le continent africain, que Louis De Launay avait étudié à ses deux extrémités, au Nord, en Algérie, en Tunisie et en Egypte, au Sud en Afrique australe, dans la province du Cap et au Transvaal, lui offrit pour la vérification et pour l'enrichissement de ses vues générales sur la métallogénie un exemple de grande envergure. Malgré les diversités apparentes, De Launay montre les rapports qui unissent les gisements nord-africains et permettent de les attribuer à une grande région métallifère. Il met en évidence l'allure entièrement différente des gisements de l'Afrique australe et explique le contraste métallogénique entre les deux régions par celui qui existe d'autre part dans leur histoire tectonique, l'une très récemment plissée, l'autre au contraire très anciennement consolidée.

Pour l'Europe, ses idées générales trouvent aussi une vérification saisissante dans la succession des divers types de gisement du Nord au Sud, d'abord dans le vieux bouclier précambrien et dans la chaîne calédonienne de la région Scandinave, puis dans le vaste domaine hercynien de l'Europe centrale et occidentale, enfin dans le domaine des plissements et des effondrements récents, les régions alpine et méditerranéenne.

Dans cette Europe méditerranéenne et particulièrement en Italie et dans les régions avoisinantes, De Launay a observé une répartition des gisements, qui jusque-là n'avait pas attiré l'attention et qui illustre de manière remarquable sa théorie sur l'échelonnement des métaux à des distances croissantes des massifs éruptifs originels, suivant leurs affinités chimiques pour telle ou telle fumerolle. Les plus solubles, comme le mercure, ont été entraînés très loin et forment « une couronne extrême à l'intérieur de laquelle on trouve le groupe plombo-zincifère et en dernier lieu, au voisinage des massifs granitiques, les amas pyriteux et les minerais d'étain ou métaux connexes ».

En même temps De Launay constate qu'un fait exceptionnel, l'existence de certaines formes d'amas pyriteux et celle de gisements d'étain dans une chaîne récente, s'explique par la montée, également exceptionnelle, de granite tertiaire dans la région considérée. Dans ces chaînes, les granites jeunes, ceux de la même période orogénique, sont presque toujours invisibles, parce que l'érosion n'a pas atteint une zone assez profonde. Mais il suffit qu'à la faveur de conditions orogéniques particulières, le magma granitique soit monté localement beaucoup plus haut, pour qu'en même temps apparaissent des phénomènes métallogéniques caractéristiques des zones profondes. Ces gisements constituent au point de vue régional une anomalie; mais cette anomalie, bien loin d'être une difficulté, confirme l'interprétation générale.

Enfin si ces lois permettent de comprendre les caractères métallogéniques essentiels, la forme et la répartition des gisements, les ressemblances ou les contrastes des grandes régions minières du globe, Louis De Launay a bien vu que d'autres facteurs ont joué un rôle important, et que l'individualité des types régionaux tient pour une part à des causes profondes qui échappent à notre analyse. Il envisage qu'il a dû se passer là quelque chose d'analogue au phénomène qui a constitué les provinces pétrographiques, c'est-à-dire que pour une cause profonde et inaccessible à nos observations, tel ou tel métal se sera trouvé amené en plus ou moins grande abondance dans le magma igné interne, dont procèdent les métaux de nos gisements, comme cela a pu avoir lieu en pétrographie pour les alcalis ou toute autre substance occasionnelle. Ici encore, Louis De Launay raccorde les lois métallogéniques à celles de la pétrographie générale et décèle un phénomène essentiel à l'échelle continentale dans ces deux branches de la science géologique.

IV. - Recherches de Stratigraphie, de Pétrographie et de Tectonique.

Ce sont certainement les belles découvertes de Louis De Launay en métallogénie qui ont contribué le plus à sa gloire dans le monde entier. Peut-être ont-elles fait oublier un peu l'importance de ses recherches en géologie générale. Pourtant, depuis le début de sa carrière et pendant une vingtaine d'années, il ne cessa de travailler dans ce domaine.

A elle seule son oeuvre cartographique, dix feuilles de la carte géologique détaillée de la France au 1/80.000e en première édition, c'est-à-dire à un moment où presque tout était à créer, représente de nombreuses et longues campagnes de course sur le terrain et des recherches multiples et continues au laboratoire. Sur le terrain, De Launay était un géologue infatigable et ses cartes sont parmi les plus précises qui aient été établies. Il a publié les résultats de ces recherches dans de nombreux mémoires, surtout jusqu'en 1902. Plus tard ses travaux de métallogénie l'écartèrent un peu de ces problèmes. A partir de 1931, lorsqu'il fut appelé à la direction du Service de la Carte géologique de France, il consacra de nouveau une part importante de son activité à la géologie générale et publia en 1932, à l'âge de 72 ans, son dernier mémoire sur le Massif Central qu'il étudiait depuis tant d'années. A cette oeuvre de géologie générale, Louis De Launay apporta, comme à son oeuvre de métallogénie, ses qualités d'observateur attentif et minutieux, le souci des idées générales et des grands problèmes.

Louis De Launay consacra quelques recherches à la stratigraphie. Dans le bassin permien de l'Allier, il a découvert et fouillé plusieurs gisements fossilifères, mis en évidence, dans la bordure Nord du Massif Central, la transgressivité des eaux lacustres, à la fin des temps primaires, de l'Est à l'Ouest sur le socle cristallin, enfin défini avec précision les mouvements orogéniques qui ont eu lieu entre le Permien inférieur et le Permien supérieur et dont l'existence s'accorde parfaitement avec les données récentes sur la suite des phases caractéristiques de l'orogenèse hercynienne. De Launay consacra également deux études de détail à la stratigraphie du bassin tertiaire de la vallée du Cher, près de Montluçon, et à celle du bassin oligocène d'Ebreuil.

Mais ces recherches de stratigraphie étaient un peu en marge de ses préoccupations principales. Louis De Launay était avant tout, en géologie générale, un pétrographe et un tectonicien. Orienté, dès ses premières recherches, par le travail cartographique que lui avait confié Aug. Michel-Lévy, vers l'étude du Massif Central cristallophyllien et cristallin, il eut immédiatement une vision claire des problèmes qui se posaient et l'ambition de les résoudre. En 1907, il écrit à ce sujet : « Vingt-deux ans de courses n'ont pas été trop longs pour cette lourde tâche; bientôt j'espère pouvoir, ce qui est le but poursuivi, faire connaître la véritable structure tectonique de ce lambeau hercynien (le Massif Central), beaucoup plus profond et plus métamorphique que la Bretagne, avec laquelle on commence cependant à voir un raccordement. »

Cette tâche, il ne put l'achever; il établit cependant des résultats importants. Les recherches récentes ont montré la justesse de ses vues et la valeur d'une méthode qui, durant quelque temps, semblait presque oubliée.

Examinons cette méthode et ces résultats pour trois grands problèmes étudiés par Louis De Launay dans le Massif Central : la nature et les relations des roches éruptives carbonifères dans la partie Nord du Massif, les injections magmatiques et en particulier les injections granulitiques dans l'Ouest du Massif Central, les grandes dislocations et la tectonique générale des terrains cristallophylliens et cristallins.

Dans la partie Nord du Massif Central, dans l'Allier, le Puy-de-Dôme, la Creuse, les roches éruptives anciennes présentent une très grande variété. Il existe divers types de granite, puis toute une série de roches filoniennes porphyriques, qui ont cristallisé en deux temps et où l'on observe de grands cristaux dans une pâte plus ou moins finement cristallisée, ou même à cristallisation imparfaite. Enfin on y observe de véritables laves et des tufs qui résultent de la projection et de la sédimentation d'éléments volcaniques. Laissant de côté les granites, Louis De Launay a étudié très attentivement tous les types de porphyres et de laves qu'il avait observés sur le terrain. A l'oeil nu beaucoup de ces roches révèlent seulement quelques indices de leur structure. De Launay les examina au microscope, en plaques minces, suivant la méthode, alors très nouvelle, que Fouqué et Michel-Lévy venaient d'inaugurer, « progrès triomphant, suivant l'expression de De Launay, sur tout ce qui avait pu être fait jusqu'alors ». De Launay, dans sa notice à l'Académie des sciences sur Michel-Lévy, a exprimé sa profonde reconnaissance pour le maître qui, sans être chargé d'aucun enseignement officiel, lui apprit, « avec une complaisance et une bonté inlassables », l'usage du microscope minéralogique et la science des roches.

Les descriptions micrographiques, que Louis De Launay donna de ces roches carbonifères de la Creuse, sont d'une admirable précision. Pour mieux les définir, il mesura, ce qui est inhabituel et n'a d'ailleurs guère été fait après lui, les dimensions moyennes des cristaux ou des grains des pâtes por-phyriques, montrant que des roches d'apparence différente sont au fond très voisines et s'opposent surtout par rapport au degré d'acuité de l'oeil humain. Il nota les plus petits détails de structure, ajoutant aux descriptions dessins et photographies microscopiques. Enfin il compléta ses recherches par de nombreuses analyses chimiques. Cette méthode patiente et minutieuse lui permit d'établir des résultats importants et tout d'abord ce fait fondamental qu'il existe des transitions continues entre tous les types que l'on rencontre sur le terrain, depuis des roches à structure granulitique ou même parfois granitique, jusqu'à des laves presque entièrement vitreuses à microlites, en passant par toutes les variétés de porphyre, fait fondamental, parce qu'il éclaire la genèse des roches éruptives et permet de rattacher toutes ces venues à une même période orogénique et à une seule époque, l'époque carbonifère. De Launay établit l'ordre de succession de ces phénomènes magmatiques, coulées et projections volcaniques anciennes, porphyres dont les filons traversent les laves antérieures et qui apparaissent aussi parfois dans des épanchements de surface, porphyres plus récents, enfin porphyrites souvent basiques de la fin du Primaire.

De Launay dégage de ces recherches une conclusion beaucoup plus générale, c'est qu'il n'y a pas eu évolution du magma profond dans un sens unique et sans récurrence. Aux premiers épanchements de lave succèdent des venues plus acides, plus riches en silice et en alcalis; mais des manifestations volcaniques analogues aux premières se produisent de nouveau; et, au moins sous forme de filons, on en trouvera la trace jusqu'à la fin du Primaire.

Enfin ces recherches n'ont pas seulement un intérêt pétrographique. Elles sont essentielles pour l'interprétation structurale du Massif Central. Car si l'on excepte les bassins houillers stéphaniens dont l'histoire tardive nous apparaît presque indépendante de l'évolution antérieure du Massif, les roches carbonifères du Puy-de-Dôme et de la Creuse représentent, lorsqu'on se dirige vers le Sud, les dernières formations datées, avant la grande masse cristallophyllienne et cristalline du Massif Central. Peut-être sont-elles la clé des problèmes difficiles qui se posent à leur sujet et que De Launay cherchait à résoudre.

Examinons maintenant les recherches de Louis De Launay sur un deuxième problème, lui aussi d'une grande portée, celui des injections magmatiques. Dans le Massif Central et dans toutes les régions qui ont subi une érosion assez profonde, on observe, d'une part, des terrains qui, malgré des cristallisations plus ou moins larges, ressemblent encore aux terrains sédi-mentaires par leur allure orientée et zonée et que l'on appelle des terrains cristallophylliens; d'autre part, des massifs granitiques qui les traversent ou parfois leur semblent étroitement associés. Les conditions précises de la mise en place et de la cristallisation du granite sont aujourd'hui encore assez mystérieuses. Parfois il y a une coupure très nette entre le granite et les terrains dans lesquels il a pénétré. Dans d'autres cas, il semble que le magma granitique se soit mêlé par diffusion, imprégnation ou injection aux terrains voisins. Ces injections magmatiques ont été décrites d'abord par les géologues français Élie de Beaumont, Fournet et surtout A. Michel-Lévy. Louis De Launay présenta sur ces phénomènes beaucoup d'observations nouvelles et importantes. Les beaux travaux du grand géologue finlandais, J. J. Sederholm, qui rendait d'ailleurs hommage aux découvertes de l'École pétrographique française, les travaux récents de géologues français et étrangers sur cette question, placée au premier rang des préoccupations actuelles en pétrographie, ont confirmé, avec une terminologie parfois différente, les observations de Louis De Launay. Dans ses mémoires déjà anciens, on retrouve des descriptions et des résultats qui pendant longtemps ont passé inaperçus et qui nous paraissent étonnamment actuels. C'est ainsi que Louis De Launay a décrit, dès 1892, de la manière la plus précise, ces gneiss plissés de manière irrégulière et à demi granitisés qui sont les gneiss à faciès d'anatexie de J. J. Sederholm. Il aperçoit déjà très clairement la nature et la généralité du phénomène qui leur a donné naissance. Il a observé le fait, dit-il, « dans ces régions mélangées de granite et de gneiss, où la roche acide a dû pénétrer abondamment dans des terrains schisteux antérieurs, et il l'a retrouvé en bien des points du Plateau Central et à l'étranger, en Norvège, en Suède, etc... ». Et il indique un peu plus loin que ces « plissements internes » ne peuvent être expliqués par une action mécanique postérieure à la formation du gneiss. La description et le dessin de plissotements des gneiss, publiés par Louis De Launay en 1888 dans une étude de la coupe de la Corrèze entre Tulle et Brive, correspond exactement aux phénomènes d'injection magmatique syntectonique, c'est-à-dire contemporains du plissement, dont nous savons maintenant le rôle important dans les parties profondes des chaînes de montagnes. De Launay a même observé dès cette époque que certaines veines de granulite, parfaitement rectilignes, traversent ces couches plissées et sont par conséquent postérieures au mouvement général de plissement. Nous dirions aujourd'hui qu'elles sont post-tectoniques.

En dehors de ces gneiss d'injection à faciès d'anatexie, De Launay a décrit à plusieurs reprises d'autres exemples de ces roches hétérogènes, mélange de gneiss et de granite, auxquels Sederholm a plus tard donné le nom de migmatites. Parfois, en particulier dans le Cantal, le magma y apparaît sous forme de « veines claires de pegmatite se détachant sur une roche gris foncé ». Parfois, le mélange est plus intime et, suivant l'expression même de Louis De Launay, il semble que « l'immixtion du magma ait fait disparaître presque complètement les indices d'une schistosité continue sans atteindre l'homogénéité d'un granite ». On ne saurait mieux définir certaines migmatites nuageuses. Il n'y manque même pas l'indication que la cordiérite, minéral fréquent dans ce type, et que l'on pourrait à priori supposer d'origine ancienne, est souvent en relation avec cette immixtion du magma.

J'ai insisté un peu sur ces observations, parce qu'elles touchent un problème tout à fait actuel, celui de la géologie des profondeurs. A ces données, il faut ajouter les résultats des recherches de De Launay, sur le cas particulier des injections granulitiques qui jouent un rôle fondamental dans la partie Ouest du Massif Central et en particulier dans le plateau de Millevaches. A plusieurs reprises, mais surtout en 1932, De Launay a examiné tous les aspects du phénomène, tantôt pénétration hétérogène qui laisse subsister des lambeaux schisteux intacts et s'accompagne à leur voisinage de cristallisation à gros éléments, tantôt action très localisée avec de courtes apophyses dans les schistes, eux-mêmes peu modifiés, tantôt imbibition confuse avec d'innombrables veinules de granulite à grain très fin. C'est un bel exemple de description de phénomènes naturels à la fois très variés et très complexes. De Launay montre souvent ici des qualités de naturaliste pur, soucieux surtout de bien dire ce qu'il voit. Mais après avoir rempli cette tâche, il cherche aussi à analyser les causes et à dégager la signification des grandes zones granulitiques. Il aboutit ainsi à une conclusion qui, d'après les recherches récentes, semble se vérifier dans d'autres parties du Massif Central. Les granulites seraient en général plus jeunes et surtout moins profondes que le granite.

Nous avons vu comment Louis De Launay, cherchant à comprendre la structure et l'histoire géologique du Massif Central, s'est attaché surtout dans la partie Nord à l'étude de la série des roches éruptives carbonifères, laves et porphyres, puis, dans le vaste domaine cristallophyllien et cristallin qui forme les parties médiane et occidentale du Massif, a étudié les phénomènes magmatiques, la mise en place des granites, les injections granitiques ou granulitiques. En même temps, il faisait de nombreuses observations originales sur le métamorphisme, qui dans ce domaine a affecté d'anciens terrains sédimentaires et les a transformés en phyllades, en micaschistes ou en gneiss, en cipolins ou en amphibolites.

Examinons maintenant ses recherches sur les grandes dislocations et sur la tectonique générale du Massif Central.

Dès le début, Louis De Launay « s'efforça de débrouiller et de classer, à force de persévérance minutieuse, ces immenses étendues de terrains métamorphiques ». Il comprit que pour aboutir à une interprétation structurale du Massif Central, il fallait, comme pour des sédiments fossilifères et avec plus de soin encore, suivre les couches pas à pas, noter la nature, la direction et le pendage des bancs. Plus tard, Pierre Termier et G. Friedel, Georges Mouret et Louis De Launay lui-même, lorsque l'occasion s'en présenta, étudièrent dans le Massif Central des zones de dislocation marquées par l'existence de mylonites ou roches écrasées. Par ce moyen, Termier et G. Friedel essayèrent de définir des surfaces de charriage. Mais quelle que soit l'importance de ces phénomènes dynamiques, leur connaissance ne peut suppléer à celle de la structure propre, des terrains cristallophylliens engagés dans les mouvements orogéniques. La méthode, inaugurée par De Launay en 1888, reste indispensable pour qui veut comprendre vraiment la tectonique cristallophyllienne et cristalline du Massif. Parmi les résultats de ses patientes recherches, il faut citer la notion d'un « éventail » esquissé au cours d'une première phase orogénique avec des directions de plis qui passent de l'Est-Ouest au Nord-Nord-Ouest. Les indications cartographiques, publiées par Marcellin Boule en 1900, mettaient en évidence plus au Sud un fait analogue. Des recherches récentes ont confirmé ces résultats et montré comment, dans le plan général de la chaîne, ces lignes directrices se raccordent avec celles que l'on observe dans les parties médiane et orientale du Massif Central.

Quant à la succession des phénomènes orogéniques, Louis De Launay a eu aussi le mérite de distinguer nettement cette première phase de plissements, qu'il appelle « la première étape » et les phases orogéniques ultérieures. Au cours de cette première phase, dit-il, les efforts s'exerçaient « sur des strates flexibles, se prêtant au plissement ». Plus tard, dans un pays que le plissement et les venues granitiques avaient rendu rigide, ils ont donné lieu à des dislocations, ruptures et déplacements en bloc. Pour De Launay, les grandes zones de dislocation, souvent à peu près rectilignes, que l'on observe dans la partie Ouest du Massif, en particulier la faille d'Argentat et les accidents du plateau de Millevaches, correspondent à des mouvements relatifs de blocs suivant des surfaces redressées. Enfin le grand sillon houiller est une dislocation de même nature, certainement antéstéphanienne, qui recoupe obliquement les formations plissées et les granites et se traduit, comme les grands accidents de l'Ouest, par un décalage et parfois un étirement des terrains et souvent par la présence de mylonites. « Cette dislocation a préparé la dépression où se sont déposés les sédiments stéphaniens, ultérieurement comprimés au début du Permien. »

Sur tous ces points, les recherches les plus récentes ont confirmé les résultats établis par Louis De Launay.

L'exposé précédent permettra peut-être, malgré sa brièveté, de juger l'importance des recherches de géologie générale de De Launay dans le Massif Central. Cette partie de son oeuvre scientifique, moins connue que ses travaux de métallogénie, lui tenait très à coeur. Ayant eu la chance de parler avec lui de ces problèmes, jusque dans ses dernières années, je sais quel intérêt profond il ne cessa d'y porter. Il importait de marquer dans cette étude que Louis De Launay a été un très grand géologue de géologie générale.

V. - Idées générales sur les grands phénomènes géologiques.

En géologie générale comme en métallogénie, Louis De Launay ne s'est pas contenté de décrire d'une manière précise et souvent minutieuse les phénomènes et les apparences naturelles soumis à l'observation directe; il a cherché aussi à grouper les faits, à comparer des régions diverses du globe, à dégager des idées d'ensemble et des lois. Ces idées et ces lois sont parfois exposées dans de petits mémoires à l'occasion de recherches particulières. Mais on les trouve surtout dans sa Géologie de la France, dans son Histoire de la Terre et, mieux encore, dans son grand ouvrage sur la Science géologique.

Sur tous les problèmes qui concernent les terrains cristallophylliens et cristallins, Louis De Launay a présenté à diverses reprises des vues originales et justes. A l'exemple de son maître, A. Michel-Lévy, il a soutenu, dès 1888, l'origine métamorphique des gneiss et des micaschistes, à un moment où cette thèse rencontrait de nombreux détracteurs. Dix ans plus tard, à l'occasion d'une étude théorique sur les gîtes métallifères, il exprimait l'idée qu' « on renoncerait bientôt à chercher, dans ces terrains dits primitifs, de prétendues successions stratigraphiques, dont l'apparence n'est due qu'à l'intensité plus ou moins grande du métamorphisme ». Il énonçait aussi l'opinion, vraiment étonnante pour l'époque où elle fut écrite, que le métamorphisme peut très bien avoir constitué les granites, par exemple aux dépens d'anciens sédiments, comme on s'est décidé à admettre aujourd'hui qu'il a produit les gneiss. L'apport interne consisterait surtout en des vapeurs alcalines sous pression. Aujourd'hui le problème n'est pas encore complètement résolu. Mais, du moins pour certains cas particuliers, des observations concrètes conduisent bien à l'idée que le granite a pu prendre naissance par métamorphisme, sans véritable fusion. Dans beaucoup d'autres cas au contraire, le granite semble provenir de la consolidation d'un magma silicate et ce dernier point de vue est bien celui admis d'une manière générale par Louis De Launay.

A propos de la mise en place des granites, Louis De Launay a fait remarquer avec raison qu'un soulèvement par le granite des terrains qui le recouvrent, suivant le mode envisagé par le géologue américain Gilbert pour certains laccolites américains, semble peu probable. « Dans l'immense majorité des cas, indique De Launay, les déplacements des roches éruptives ont dû suivre les mouvements de terrains et en être la conséquence; ils ne les ont pas précédés.» Beaucoup d'observations de détail sont venues confirmer, sauf peut-être pour des cas très particuliers, ce caractère passif de la mise en place du magma granitique, qui ne dérange presque jamais les couches traversées.

Quant à la liaison des phénomènes magmatiques et des mouvements orogéniques, sur laquelle De Launay a insisté à plusieurs reprises, elle nous paraît de plus en plus évidente et joue certainement un rôle essentiel dans l'évolution géologique de la terre. Sur ce point, dans l'interprétation de Louis De Launay, la métallogénie et les grands phénomènes étudiés en géologie générale viennent se joindre en une même synthèse. Pour chacune des périodes orogéniques de l'histoire de la Terre et par suite dans chacune des grandes chaînes du globe, chaînes précambriennes, chaînes calédonienne, hercynienne et alpine, il aperçoit la même suite de phénomènes, directement liés les uns aux autres, les mouvements orogéniques eux-mêmes, plissements et cassures, les venues de roches éruptives, mise en place des granites, montée de roches porphyriques, coulées de lave, enfin la concentration et le départ des métaux. Dans ce tableau, le métamorphisme vient aussi prendre sa place. Louis De Launay indique en des termes qui s'accordent de manière remarquable avec nos idées actuelles sur la genèse du Cristallophyllien : « Il existe dans la même région autant d'âges de gneiss qu'il s'est produit de fois des plissements et des intrusions granitiques. »

La notion de la profondeur, qui caractérise une région déterminée de l'écorce, a été également établie par De Launay aussi bien en géologie générale qu'en métallogénie. « Dans les régions profondément décapées, comme le Plateau Central, où commencent à apparaître au jour, en grandes taches dispersées, les masses de granite, peut-être reliées entre elles en profondeur, le métamorphisme prend alors une telle extension que l'on risque d'en méconnaître la véritable nature. Tous les sédiments primaires disparus se montrent sous l'apparence de gneiss, micaschistes, amphibolites, confondus avec les mêmes terrains d'âge archéen qui peuvent coexister auprès d'eux. Quand on suit les mêmes plissements de la Bretagne au Plateau Central (en les voyant seulement émerger de plus en plus vers l'Est de sorte que la superficie en atteint des sections de plus en plus profondes), on croit surprendre la cause pour laquelle les faciès métamorphiques deviennent presque exclusifs dans le Centre de la France. » Dans un autre mémoire il ajoute : « Toutes les chaînes seraient susceptibles de donner, si elles étaient restées complètes, une coupe verticale analogue, quel que soit d'ailleurs leur âge, les différences de structure qui peuvent exister entre l'une et l'autre sur un même niveau ne tenant point à une évolution progressive de la géogénie, mais à des circonstances locales dues à des faits antérieurs. Ainsi, l'état dans lequel nous voyons aujourd'hui à la superficie une telle chaîne, l'allure de son mécanisme, la structure de ses roches ignées, le métamorphisme de ses sédiments, le type de ses gîtes métallifères, me paraissent dépendre essentiellement de la profondeur atteinte par l'érosion. »

Sans doute faut-il tenir compte du fait que toutes les chaînes de montagnes ne sont pas bâties sur le même modèle. Cependant l'idée générale émise par De Launay, cette manière de compléter les structures vers le haut ou vers le bas par des formes analogues à ce que nous observons dans des parties très superficielles des chaînes récentes ou dans les parties profondes des chaînes anciennes, s'est révélée féconde dans les théories orogéniques les plus modernes.

A un point de vue encore plus général, Louis De Launay envisage, pour l'ensemble des phénomènes géologiques, depuis les temps les plus anciens jusqu'à l'époque actuelle, deux grandes lois, la loi de récurrence et la loi d'évolution. La loi de récurrence avait déjà été aperçue par Marcel Bertrand pour les conditions de l'orogenèse et pour certains faciès stratigraphiques, qui se correspondent d'un cycle à l'autre. Louis De Launay élargit cette synthèse et montre avec une grande clarté l'aspect récurrent et périodique des phénomènes géologiques de toute nature. Les phrases qui ont été citées plus haut sur la répétition des phénomènes orogéniques, des venues magmatiques, du métamorphisme, de la métallogénèse dans les différents cycles marquent bien sa pensée sur ce point.

A cette loi de récurrence, Louis De Launay ajoute une loi, qui à première vue pourrait sembler contradictoire, la loi d'évolution. Il y a bien, dans l'histoire de la Terre, répétition, récurrence de phénomènes analogues. Mais après chacune de ces grandes phases, la terre ne se trouve pas « absolument identique à elle-même ».

Au cours des temps géologiques, les zones rigides, presque indéformables, ou susceptibles seulement de plissements à grand rayon, semblent s'accroître dans l'écorce superficielle du globe. Il y a, suivant l'expression de De Launay, localisation progressive des chaînes plissées. Le globe évolue. On touche ici des problèmes difficiles. Durant cette évolution, doit-on admettre une contraction de la terre et un refroidissement progressif du noyau ? Le dégagement de chaleur qui résulte de la désintégration atomique des éléments radioactifs de l'écorce nous laisse à cet égard dans l'incertitude. Sans vouloir même approfondir les causes de l'évolution, doit-on la considérer vraiment comme irréversible ? La loi d'évolution vaut-elle dans le passé pour les longues durées précambriennes et au delà du Quaternaire pour l'histoire future de la Terre? Problème presque insoluble. Mais la loi formulée par Louis De Launay est certaine pour la période de l'histoire de la Terre qui va du Précambrien supérieur jusqu'au Quaternaire, et qui constitue en pratique l'objet presque exclusif de toute la science géologique.

Parmi les idées générales exprimées par Louis De Launay sur les grands phénomènes géologiques, sur les allées et venues des mers, sur la montée des roches éruptives et sur leur genèse, sur la formation des chaînes de montagnes, nous avons seulement choisi quelques exemples, les uns en raison de leur généralité qui les rend plus accessibles, d'autres à cause de leur résonance et de leur accord parfois étonnant avec les recherches ou les théories les plus récentes. Beaucoup d'autres seraient à citer, qui témoignent à la fois d'une connaissance approfondie et concrète des faits géologiques, d'une intuition très sûre, d'un esprit toujours soucieux des vues d'ensemble et des synthèses.

VI. - Rayonnement de l'oeuvre scientifique de Louis De Launay.
INFLUENCE EXERCÉE EN FRANCE ET A L'ÉTRANGER.

Louis De Launay, par l'originalité de ses travaux scientifiques, par la clarté et la haute valeur de ses grands ouvrages, a exercé pendant quarante ans une profonde influence sur les géologues, sur les ingénieurs, sur le public cultivé, aussi bien à l'étranger qu'en France.

Professeur éminent, Louis De Launay a formé à l'École des Mines de Paris plus de quarante générations d'ingénieurs. Aucun de ceux qui ont eu la chance d'être de ses élèves n'a oublié son enseignement si riche de faits concrets, mais aussi tout éclairé par les idées générales. Louis De Launay parlait toujours d'une manière très simple, évitant les phrases qui eussent paru trop éloquentes. Devant nous il déroulait le jeu complexe de cette métallogénie interne, de ce cheminement des solutions métallifères qu'il avait su découvrir. Il rappelait sans cesse les rapports qui apparaissent entre les phénomènes et les lois générales auxquelles ils obéissent. Dans mon souvenir, un des caractères les plus frappants de son cours consiste dans cette liaison intime de ses diverses parties. Les horizons lointains des derniers chapitres nous étaient annoncés par avance, s'ils devaient éclairer la leçon du jour, et tout semblait ainsi se tenir et s'ordonner autour des idées fondamentales. L'objet de cet enseignement qui porte sur les gîtes du monde entier et la carrière du maître, grand voyageur et chercheur, lui permettaient d'évoquer pour nous, de la manière la plus vivante, les régions du globe qu'il avait visitées. A travers ses descriptions, ses élèves apercevaient les pays lointains qu'il leur serait peut-être donné de voir eux-mêmes plus tard. Beaucoup d'entre eux ont dirigé à l'étranger la prospection ou l'exploitation des gîtes minéraux. L'enseignement et la gloire de Louis De Launay ont largement contribué au prestige de l'École des Mines de Paris dans tous les pays du monde.

Les travaux de Louis De Launay sur la métallogénie ont attiré très vite l'attention des savants du monde entier. Ses premières notes, son ouvrage sur l'or, quelques-uns de ses grands traités des gîtes minéraux et métallifères ont été traduits en plusieurs langues, et ceux mêmes dont il existe seulement une édition française ont été très largement répandus et ont servi l'influence de notre pays, en particulier en Amérique. Il n'est pas dans le monde de grande école ou d'université et presque aucune exploitation de mine métallique où ses ouvrages ne soient utilisés comme un instrument de travail journalier. Nous avons été fiers de les voir dans des coins reculés du monde, qu'il s'agisse de l'Ouest ou du Centre américain, de l'Afrique australe ou équatoriale.

Outre les géologues et les ingénieurs des Mines, Louis De Launay atteignit le grand public par des ouvrages où le souci de se mettre à la portée de personnes cultivées, mais qui ignorent presque tout de la géologie, n'empêche pas la rigueur scientifique, ni la puissante originalité de la pensée.

Ainsi se complète le dessin de cette grande figure. Louis De Launay n'a pas été de ceux qu'une curiosité un peu étroite attache à la solution d'un problème limité et qui se désintéressent de tout le reste. Son esprit était largement ouvert sur le monde. Toute recherche particulière évoquait pour lui un problème plus général. Aux recherches les plus abstraites de science pure, il sut associer l'étude des questions pratiques, apportant aux hommes, pour l'utilisation des richesses naturelles de la terre, l'aide du savant. Il a donné beaucoup de lui-même à ses élèves, à tous les géologues, enfin à tous ceux qui, sans être géologues, désiraient savoir quelque chose de l'histoire de la Terre. Ce don généreux ne doit pas faire perdre de vue qu'il a été, d'abord et pardessus tout, en géologie générale comme en métallogénie, un grand savant.

J'ai essayé dans cette étude de dire quelle fut l'oeuvre magnifique du savant. D'autres ont dit sa haute culture littéraire et artistique, ses dons de poète... Je voudrais ajouter quelques mots plus personnels sur l'homme que j'ai connu et aimé.

En dehors de ses recherches scientifiques et des travaux de toutes sortes qui occupaient son esprit, Louis De Launay était surtout l'homme du foyer, foyer auquel la présence d'une compagne admirable, fille du grand physicien Alfred Cornu, donnait un prix infini. Il eut l'immense chagrin de perdre son fils, Pierre De Launay, sous-lieutenant aviateur, tombé glorieusement à Ham en 1917, à l'âge de 19 ans. Plus tard, le mariage de ses filles élargit le cercle familial et de nombreux petits-enfants entourèrent sa vieillesse.

Louis De Launay, malgré sa gloire, offrait toujours un accueil très simple. Sous une réserve que l'on aurait pu d'abord prendre pour de la froideur, on devinait vite une sensibilité très vive et une grande bonté. Louis De Launay n'était pas de ceux qui promettent, mais de ceux qui donnent sans avoir promis. Les éloges étaient rares dans sa bouche, mais, pour qui le connaissait bien, quelques mots, un sourire, le ton de sa voix, marquaient son approbation. Il savait ainsi donner cette sympathie, non point de simple apparence, comme il est trop fréquent dans le monde, mais réelle, qui encourage l'effort.

Je garde surtout le souvenir de nos conversations sur les grands problèmes géologiques du Massif Central, dont il se préoccupait depuis quarante ans. En Corrèze, j'avais repris sur le terrain des recherches qu'il n'avait pu achever. Il m'avait confié ses cartes, avec les itinéraires de ses courses. Je mettais ainsi parfois, non sans quelque émotion, à quarante ans de distance, mes pas dans ses pas.

A Paris, après avoir échangé des idées, complété des observations, nous évoquions parfois des détails de course, telle étape trop longue, tel coin charmant mais éloigné de toute ressource. Pays de Corrèze où nous ne fûmes jamais ensemble, mais qui était familier à l'un et à l'autre et que nous aimions tous les deux.

Un jour de juin 1938, j'ai su avec une douleur profonde que ces échanges étaient finis. Je dois beaucoup à Louis De Launay. Il me reste de lui le souvenir d'un très grand savant, d'un homme vraiment bon, un des plus nobles et des plus droits que j'aie connus.

Voir aussi : les ingénieurs au corps des mines et élèves-ingénieurs morts pour la France par Louis de Launay


Louis de Launay, élève de Polytechnique
(C) Collections Ecole polytechnique


Louis de Launay, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP


Graffiti autographe de Louis de Launay, "chef de brigade" lors d'une visite des élèves de l'Ecole des mines de Paris dans les catacombes, probablement en juillet 1882.
Crédits photographiques : Ecole des mines de Paris et Aymeline Wrona. Photo réalisée sur une idée de Gilles Thomas.
Voir aussi : Les murs de l'histoire / L'histoire des murs, par Gilles Thomas