Par M. L. DE LAUNAY, Inspecteur général des Mines, Membre de l'Institut.
Publié dans Annales des Mines, 1922, tome II
Le Corps des Mines a la coutume pieuse de commémorer ses grands morts en retraçant ici leur carrière et la proposant pour exemple a leurs successeurs. Presque toujours il s'agit d'hommes qui ont accompli leur destinée sur la terre, qui ont eu le temps de donner toute leur mesure, qui ont pu servir pleinement jusqu'au bout la science et leur pays. Aujourd'hui, je ne raconterai, au contraire, que des existences brisées dans leur germe. Les jeunes gens dont nous pleurons la disparition cruelle ont passé quelques jours seulement parmi nous. Ils s'élançaient à peine, pleins d'ardeur, de force et d'espérance. Ils étaient encore dans cette période d'expansion fougueuse où le tumulte de la vie extérieure dissimule souvent la pensée intime. Ils prenaient possession de l'avenir en conquérants. Et, brusquement, ils se sont tus. Et nous, les survivants, gardons l'impression douloureuse qu'ils sont partis un doigt sur la bouche, mystérieux fantômes, sans avoir dit ce qu'ils avaient à dire. Mais nous devons nous défendre contre ce sentiment païen de plaindre les morts parce qu'ils se taisent pour nous, parce qu'ils n'ont pas achevé une oeuvre humaine à notre mesure, parce qu'ils ont été privés trop tôt de la chaude lumière, parce qu'ils ont abandonné la terre sans laisser de postérité. Ce n'est pas à nous qu'ils parlaient et la plénitude d'une vie ne se mesure pas au nombre des jours. Ceux que le Maître rappelle à lui pendant les heures encore lumineuses du matin peuvent avoir entièrement et glorieusement rempli toute la tâche assignée. Nos jeunes camarades morts pendant les sombres années de 1914 à 1918 ont fait tout ce que la Providence demandait d'eux et ils ont gravé leur nom sur un airain plus dur que tant de vieillards aux renommées fragiles, puisqu'ils ont obéi au commandement suprême en se sacrifiant pour sauver la France. A l'heure terrible où ils ont disparu derrière notre horizon terrestre, ils ne sont pas entrés dans la nuit, mais dans la clarté et, si nous avions été moins absorbés par les pensées d'un jour, si nos faibles yeux avaient été moins obscurcis par les larmes, nous aurions vu les mains sanglantes de ces héros martyrs lever joyeusement vers le ciel de radieuses palmes.
Cinq ingénieurs des Mines et quatre élèves-ingénieurs forment l'offrande funèbre de notre Corps à la Patrie en danger. Par ordre de promotion, ce sont : Jacques Danlos (1903), Marcel Dubois (1905), Louis Portier (1906), René Blanc (1908), Albert Cochain et Raymond Lehmann (1910), Georges Bouvier (1912), Pierre Willemet et Collignon (1914), Jean Mutel (1915).
J'aurais voulu, pour chacun d'eux, apporter quelques détails personnels et tenter de faire revivre leurs physionomies, avec leurs traits caractéristiques. Des difficultés matérielles tenant à la dispersion, parfois même à la disparition des familles dans la trombe qui a bouleversé notre pays, ne me l'ont pas permis pour tous, et je me verrai forcé de leur attribuer des parts très inégales, tenant moins sans doute a une différence de mérite qu'à une insuffisance de renseignements. Je m'en excuse pour la mémoire de ceux qui, malgré moi, se trouveront ainsi sacrifiés.