Né le 11/8/1861 à Lauzanne (Suisse). En premières noces, il épouse Marie SAUTTER (née en 1870), fille de Louis SAUTTER (le fondateur de SAUTTER-LEMONNIER-HARLE et associé de Paul LEMONNIER), qui avait lui-même épousé Lucy, soeur de Fernand RAOUL-DUVAL. Après la mort de Marie, Jean REY se marie avec une autre descendante des SAUTTER, née VAN MUYDEN. Jean REY était l'oncle d'un autre Jean REY (1902-1983), belge et protestant qui fut membre de la Commission de la CEE de 1958 à 1967, puis président de la Commission de 1967 à 1970 (Informations fournies par Christian LEVI ALVARES, descendant de Louis SAUTTER et de Lucy).
Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1883). Ingénieur civil des mines. Il avait été admis aux cours préparatoires le 21/8/1882, puis à l'Ecole des mines le 4/7/83 comme élève étranger de nationalité suisse. Il entre en 3ème année le 2/6/1885 et c'est peu après qu'il obtient la nationalité française en application de l'article 22 du décret du 9-15 décembre 1790, en qualité de descendant de parents français réfugiés en Suisse pour cause de religion. Il est donc autorisé à poursuivre ses études comme élève externe français, et il reçoit le diplôme le 7/6/1886 classé 1er sur 24 élèves.
Industriel. Il dirigea les usines Sautter-Harlé, et a donné son nom à une rue du XVe arrdt de Paris. Il reçoit le prix Henri de Parville de l'Acad. des Sc. : "Chargé depuis une trentaine d'années de diriger les travaux techniques de la maison Sautter-Harlé, a apporté, en cette qualité, une importante contribution à la réalisation et à la mise au point de turbo-machines ... [En 1904] a étudié les turbines à vapeur ... et les pompes centrifuges multicellulaires ... En 1906, il s'est occupé des turbines à gaz." Il travaille vers 1900 à l'étude des feux de signalisation à lumière pulsée, travaux qui aboutissent à la loi Blondel - Rey.
Président de la Société des Ingénieurs civils de France (1933), président de l'Académie de Marine.
Membre de l'Institut (division des applications de la science à l'industrie, Académie des sciences). Elu le 16 juin 1930.
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1932 :
Mon cher Président, vous me permettrez de saluer en vous un camarade auquel la vie a apporté la juste et pleine récompense de son labeur.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage!
Ce vers célèbre, quoiqu'un peu heurté, du vieux Joachim, vous auriez pu le prendre comme exergue au début de votre carrière d'Ingénieur. Avant votre vingtième année, reçu par deux fois à l'Ecole Centrale, vous avez eu l'idée, pour vous reposer des fatigues du concours, de faire voile sur un trois-mâts basque, partant pour le tour du monde.
Mais le repos n'est pas à la portée de tout le monde : à peine embarqué, vous preniez le quart, vous faisiez le point, vous finissiez par remplacer le second du navire, pendant toute cette croisière qui dura deux ans; rentré en France, le bon vent à qui vous aviez donné l'habitude de vous pousser, vous faisait traverser la Seine et vous déposait à l'Ecole des Mines; vous vous y passionniez si bien pour la géologie que Fuchs vous associait à ses travaux; mais le bon vent, toujours fidèle, ouvrait bientôt devant vous les portes de la Maison Sautter-Lemonnier où vous êtes resté depuis 45 ans et dont vous êtes, maintenant, Administrateur-Directeur.
Cette maison, qui a toujours travaillé pour la marine et pour les phares, n'était-elle pas un foyer tout indiqué pour un ancien marin comme vous!
Vous y avez fait des travaux remarquables d'optique en vue de perfectionner les phares et les projecteurs;
et vous vous êtes si bien distingué dans cette dernière branche, que la Société Française des Electriciens vous a appelé à la présider et à prendre, à la suite des Mascart et des Berthelot, la présidence du Conseil de l'Ecole Supérieure et du Laboratoire Central d'Electricité, deux créations dont elle est fière, mais qui lui paraîtraient parfois bien lourdes si vous ne l'aidiez pas.
Bien lui en a pris ; vous avez réalisé le transfert de l'Ecole Supérieure d'Electricité de son gîte étroit de la rue de Staël, dans un vaste terrain de Malakoff.
Vous avez obtenu, pour cela, une participation très importante de l'Etat, du Département et de la Ville de Paris et l'Ecole, grâce à vous et aux industriels qui ont, eux aussi, apporté leur concours, se trouve, enfin, logée d'une manière digne de son enseignement.
Entre temps, vous étiez tout naturellement appelé à l'Académie de Marine, dont vous allez être président; vous deveniez Président d'Honneur du Syndicat général de la Construction Electrique, Vice-Présient de la Société d'Encouragement pour l'Industrie nationale; Vîce-Président de l'Association technique maritime et aéronautique; vous étiez désigné pour prendre la présidence de la Société des Ingénieurs Civils, présidence que l'état de votre santé a dû faire reculer jusqu'à cette année et nous serons nombreux, soyez-en sûr, parmi nos camarades, à aller entendre votre discours d'intronisation.
Enfin, ayant à remplacer Rateau, le grand mécanicien, l'Académie des Sciences, qui a si souvent trouvé ses membres les plus illustres parmi nos maîtres, a rendu à ceux-ci un nouvel et éclatant hommage en vous appelant à elle, vous qui avez su édifier, sur leurs savantes leçons, une si magnifique carrière.
Je n'ai énoncé qu'une bien faible partie de vos titres, je n'ai pas énuméré les innombrables Comités auxquels vous apportez, avec un entier dévouement, votre concours si précieux.
Les énumérer tous pourrait mettre votre modestie à l'épreuve et je ne veux pas retarder le moment où vous allez nous entretenir de vos travaux et nous faire profiter des expériences sociales dont votre vie, si remplie, vous a permis de recueillir les fruits.
Il est longuement et vigoureusement applaudi.
M. Jean Rey se lève ensuite et prononce l'allocution suivante, écoutée dans un exceptionnel silence et fréquemment interrompue par des marques d'approbation :
Mes chers Camarades,
Lorsque votre aimable Président et ami a bien voulu me demander, au printemps dernier, au nom du Comité, de présider le banquet de la « Sainte-Barbe », j'ai eu quelques instants d'indécision et un peu de confusion à l'idée d'être l'objet d'un tel honneur, mol qm ai fort négligé, jusqu'ici, notre Association.
Est-ce le fait de m'être adonné, pendant toute ma carrière, à des études techniques assez éloignées de l'art des mines et de la métallurgie? Est-ce, peut-être, plus encore à la paresse naturelle de l'homme? peu importe, je n'ai suivi que de bien loin l'activité si féconde de l'Association, dirigée par un Comité où siègent les hommes les plus éminents et avec l'aide d'un remarquable animateur comme notre camarade Chapot.
Que dirai-je de votre Président actuel, dont la carrière a été si bien décrite dans le rapport moral de M. de la Fortelle à l'Assemblée Générale de 1930?
C'est pour moi un ami et j'ai pu apprécier, depuis de longues années, son rôle à la « Société Française des Electriciens » dont nous avons été, lui et moi, présidents, et qui a pris un essor si remarquable depuis qu'il a accepté d'en être le délégué général.
Je saisis cette occasion pour le remercier de tout ce qu'il a fait et de tout ce dont lui est redevable la technique électrique française. Il a donné là un bel exemple de dévouement aux intérêts généraux, qualité toujours rare et toujours plus nécessaire dans notre pays.
Mes chers camarades, comment vous dire les sentiments que j'éprouve à me trouver parmi vous, aussi nombreux que vous l'êtes ce soir?
Je repasse dans ma mémoire les souvenirs que m'ont laissés mes quatre années d'études à « l'Ecole des Mines », ces années de travail à la fois ardentes et tranquilles; ardentes par le désir toujours plus grand d'apprendre et de connaître, et tranquilles par l'organisation parfaite de notre Ecole qui laissait aux élèves le temps de réfléchir.
Oh! ces longues heures au laboratoire, où l'on pouvait manipuler la matière elle-même et se poser, peu à peu, les questions qu'amène, dans une jeune intelligence, le contact avec la nature. Et ces heures, non moins utiles, passées à la bibliothèque, où nous apprenions à connaître les grands travaux de nos devanciers, de ceux qui ont renouvelé, depuis deux siècles, toutes les connaissances humaines.
Et que dirai-je, enfin, de l'influence de nos maîtres : l'illustre Alfred Potier qui nous résumait, dans un cours magistral, les principales branches de la physique et dont j'ai suivi, une fois sorti de l'Ecole, au printemps de 1888, les conférences sur l'électricité qui m'ont ouvert ce domaine peu exploré jusqu'alors dans nos grandes écoles et qui m'ont été si utiles pour toute ma vie?
Comment ne pas rappeler Mallard, le grand minéralogiste et cristallographie, dont les vues si profondes sur la nature des cristaux, sur l'équilibre et la pseudo-équilibre moléculaire m'ont fait comprendre la véritable valeur des lois physiques, expressions même des relations entre les phénomènes naturels?
Et je n'oublie pas, non plus, Haton de la Goupillière, dont le cours sur l'exploitation des mines et sur les machines était un modèle de clarté et d'élégance.
Et Henry Le Châtelier, à cette époque jeune ingénieur encore, et qui nous faisait comprendre les lois nouvelles de la mécanique chimique, sans parler de celle qui porte universellement son nom illustre.
« L'Ecole des Mines » a été pour moi, aussi, un enseignement admirable en ce qui concerne les sciences de la vie, l'histoire de la terre, le monde de la paléontologie animale et végétale. J'ai compris que les phénomènes vitaux ne sont pas simplement physico-chimiques; que le développement des espèces vivantes est un fait singulièrement étrange et sans analogie avec ceux que présente la nature inanimée; que la succession des espèces, le rôle de l'instinct et l'apparition de l'intelligence humaine posent des problèmes plus profonds et plus généraux que ceux que l'Ingénieur est appelé à résoudre.
Nos maîtres de l'époque, M. Zeiller, M. Douvillé, mon éminent confrère, M. de Chancourtois, le successeur d'Elie de Beaumont, dans son cours de géologie, nous avaient fait réfléchir sur les vastes sujets de l'Histoire de la Terre et de ses origines.
C'est à ce dernier qu'est due la première et la plus parfaite classification des éléments chimiques d'après leur poids atomique, sous forme hélicoïdale (la vis tellurique), qui nous faisait sourire et qui n'en est pas moins une grande découverte, faite dix ans avant la classification de Mendeleef, et bien supérieure comme souplesse et richesse de combinaisons pour la formation des familles naturelles d'éléments et l'étude si actuelle des atomes et des propriétés des isotopes.
Je dois, ainsi, à mes maîtres de l' « Ecole des Mines » le goût de la recherche scientifique. Ils m'ont montré la valeur des méthodes et celle du développement logique de la pensée; ils m'ont appris à observer, ils m'ont donné le goût de l'expérimentation.
Aucune science plus que la géologie ne possède ce double caractère. Aussi, ne vous étonnerez-vous pas qu'au sortir de l'Ecole j'aie accepté, avec enthousiasme, le secrétariat d'Edmond Fuchs, le créateur de la géologie technique.
Je fus attaché, par lui, à la carte géologique de France et je collaborai à son enseignement et à ses études de prospection de divers gisements.
Si j'ai quitté, au bout de deux années, cette belle carrière de géologue, c'est que j'étais séduit par les nouveautés de l'électricité, dont on commençait alors à deviner l'avenir industriel.
En 1888, j'entrais dans la maison Sautter-Lemonnier, plus tard Sautter-Harlé, où je vais achever ma quarante-cinquième année de présence. Comme successeur de l'opticien Soleil, dont le modeste atelier avait servi à Fresnel pour construire, en 1825, ses premiers phares lenticulaires, cette maison introduisit, la première, l'éclairage électrique dans les phares. Dès 1870, elle s'était spécialisée, avec Gramme, dans la construction de la dynamo électrique et, lors de la découverte, en 1873, de la réversibilité de la génératrice d'électricité en moteur, elle entreprit la construction des électromoteurs spéciaux pour les usages militaires et maritimes.
On me confia, d'abord, la direction d'un atelier d'optique où l'on construisait les phares et les optiques de projecteurs électriques.
La taille et le polissage des grands anneaux de verre et des réflecteurs qui nous arrivaient, coulés dans des moules spéciaux, de l'usine de Saint-Gobain, m'obligèrent bientôt à étudier certains perfectionnements de l'outillage, pour réduire le coût de la main-d'œuvre et augmenter l'exactitude de la taille.
On se servait encore, à cette époque, comme source lumineuse, des lampes cylindriques, à mèches multiples, qui dataient du commencement du siècle et employaient comme combustible le pétrole lampant (densité 0,800 à 0,810) au lieu des huiles végétales.
Dans la lampe à six mèches, la plus forte employée en France, on ne pouvait dépasser une brillance de 11 bougies par centimètre carré de surface de la flamme, et l'on obtenait ainsi, avec les optiques de Fresnel du plus grand diamètre (1 m. 84) une puissance lumineuse qui atteignait à peine 90.000 bougies.
L'arc électrique, employé pour la première fois au phare de La Haye, en 1863, à l'aide d'une machine de « l'Alliance », à aimant permanent, n'était adopté que pour quelques phares seulement de nos côtes et des côtes anglaises. On ne dépassait pas, alors, une intensité de courant alternatif de 60 ampères, qui suffisait néanmoins à produire des éclats de 8 à 900.000 bougies.
Il suffit d'examiner une optique de Fresnel, composée de centaines d'éléments prismatiques, pour se rendre compte des difficultés de cette technique; non seulement la taille doit être de plus en plus exacte à mesure que l'on réduit le diamètre de la source lumineuse, mais l'assemblage rigoureux de ces morceaux de verre dans une armature métallique est un opération fort délicate.
Je m'appliquai, d'abord, à la recherche d'une source lumineuse plus puissante que la lampe à mèches.
Le manchon Auer venait de faire (1895-1896) une brillante entrée dans le monde des gaziers et j'eus l'idée, en conservant le même combustible, le pétrole ordinaire, de le faire servir dans les phares. Il me fallut trois ans pour combiner la lampe actuelle, à manchon incandescent, dans laquelle la vapeur de pétrole, comprimée et surchauffée, entraîne, par sa détente dans un éjecteur, l'air nécessaire à sa combustion. Le manchon, d'un tissu plus solide que celui employé pour le gaz de ville, permet de réaliser un fonctionnement continu sans décomposition du pétrole.
La brillance atteint 30 à 40 bougies par centimètre carré, soit 3 à 4 fois celle des lampes à mèches.
Ce système s'est répandu dans le monde entier, et ce n'est que dans ces dernières années qu'on lui a substitué les nouvelles lampes à incandescence électrique et filament concentré de 2 et 3 kw.
A la fin du siècle dernier, M. l'Inspecteur Général Bourdelles, directeur de l'Administration des Phares, en créant les feux-eclairs, obtint des portées plus considérables réclamées par les navigateurs.
Le feu-éclair ne comporte qu'un petit nombre de lentilles d'une grande amplitude, tournant rapidement, de façon à conserver le même caractère; l'ensemble est monté sur une cuve à mercure, comme les coupoles des observatoires.
Quelle est l'influence de la vitesse de déplacement du faisceau lumineux sur la portée du phare?
Cette question préoccupait déjà Fresnel, et il devenait nécessaire d'y répondre pour bien utiliser les feux-éclairs. Aussi, M. Blondel, le grand physicien, et moi-même, avons poursuivi, pendant plusieurs années, l'étude difficile de la perception des éclats à la limite de portée.
Par des procédés différents, nous sommes arrivés à formuler la loi physiologique qui règle ces phénomènes, et que l'on a bien voulu dénommer loi Blondel-Rey; elle règle également d'autres impressions sensorielles. Elle a eu pour conséquence, dans la construction des phares, la résurrection des feux à réflecteurs employés au XVIIIe siècle, et que Fresnel avait écartés.
Mes travaux sur les phares me conduisirent, simultanément, à l'étude des projecteurs de lumière électrique inventés par Louis Sautter, en 1859, au moment de la guerre d'Italie, et qui restèrent, pendant de longues années, un objet essentiellement militaire.
D'abord munis d'optiques lenticulaires, on leur substitua, à partir de 1877, les remarquables miroirs aplanétiques, inventés par le colonel Mangin.
A l'Exposition de 1889, on pouvait voir un projecteur muni d'un miroir Mangin de 1 m. 50 de diamètre, le plus grand construit jusqu'alors, et que j'avais calculé.
Les perfectionnements aux projecteurs ont été, depuis lors, considérables, on a substitué aux miroirs Mangin des miroirs paraboliques métalliques à surface dorée, qui nous ont permis, pendant la grande guerre, l'usine de Saint-Gobain ayant été occupée et détruite par l'ennemi, de doter notre armée et celles de nos alliés des appareils indispensables à la lutte contre les avions.
Le miroir parabolique en verre a remplacé le miroir Mangin et d'autres dispositifs ont été imaginés pour satisfaire à des problèmes particuliers d'éclairage militaire. La commande électrique du faisceau a été réalisée ainsi que sa conjugaison avec les mouvements des pièces d'artillerie.
J'ai pu, d'ailleurs, établir la méthode la plus pratique pour la vérification optique des réflecteurs, méthode adoptée par les administrations de la Guerre et de la Marine, en France et dans d'autres pays.
Les lampes à arc ont été transformées; on emploie, maintenant, des charbons à haute intensité, supportant jusqu'à 300 ampères, et dont la brillance atteint 700 bougies par millimètre carré au lieu de 200. La portée a donc considérablement augmenté.
Dans un mémoire publié, pendant la guerre, en France et en Angleterre, j'ai donné une théorie d'ensemble sur la portée des projecteurs, à laquelle on a peu retouché depuis, et qui sert encore à l'enseignement dans les écoles militaires.
Mes études thermodynamiques, commencées avec la lampe à manchon Auer, pour la recherche des propriétés physiques des vapeurs de pétrole, m'entraînèrent loin, puisque c'est seulement en 1925 que j'ai pu donner, aux « Annales des Mines » un mémoire sur ce sujet, fixant les lois d'écoulement de ces vapeurs, ainsi que leur singulier diagramme entropique, inverse de celui de la vapeur d'eau.
En approfondissant le fonctionnement des éjecteurs ou trompes à vapeur, pour des corps de densités variables, j'arrivai ainsi à la mise au point du thermo-compresseur, dans lequel une vapeur vive permet de comprimer, avec un bon rendement, une autre vapeur ou tout autre corps gazeux.
L'application immédiate à l'évaporation des liquides, dans les industries chimiques et évaporatoires, fut la conséquence de ces travaux.
Avec ce nouveau cycle, à la pression atmosphérique, on obtient l'équivalent d'un appareil à triple effet, comme ceux employés dans la sucrerie.
Le thermo-compresseur s'est introduit dans dix-neuf industries différentes, et vingt-six nations l'ont adopté. On peut estimer à une quinzaine de millions de tonnes le poids des liquides évaporés chaque année par ce procédé.
C'est aussi la thermodynamique qui m'a permis d'aborder la théorie et la construction des turbo-machines, pendant les treize années où j'ai travaillé en collaboration avec mon ami et maître regretté, l'illustre Rateau.
J'ai donc vécu l'époque héroïque des premiers calculs de turbines et de l'établissement du fameux abaque de consommation de vapeur, outil indispensable aux ingénieurs-constructeurs.
C'est alors qu'a pris naissance la première turbine Rateau multicellulaire d'action, appliquée bien vite à la propulsion marine sur le torpilleur n° 243, second navire de ce genre dans le monde; le premier, le « Turbinia », avait été construit par Parsons.
Vous savez le développement qu'ont pris les turbo-machines dans les centrales électriques, ainsi que pour l'exploitation des mines et pour la marine.
Je me rappelle encore les premiers groupes à haute et basse pression, construits en 1903 pour les mines de la « Réunion », en Espagne, et qui comprenaient une turbine à deux corps utilisant trois pressions de vapeur différentes : 13 kilogrammes, 6 kilogrammes et la pression atmosphérique. Un système ingénieux d'obturateurs, reliés au régulateur tachymétrique, donnait à cet ensemble une automaticité parfaite.
Le premier compresseur multicellulaire, à commande électrique, fut construit en 1906, pour les mines de Béthune; il comportait deux lignes d'arbres et, sur chacune d'elles, un moteur à courant triphasé, de 650 chevaux de puissance, tournant à 3.000 tours par minute.
Un peu antérieurement, en 1903, nous avions fourni aux mines d'argent « Huanchaca », en Bolivie, une installation de pompage d'un débit de 250 m3 à l'heure, pour l'épuisement à partir du niveau 356 jusqu'au sol. Cette installation a permis, ultérieurement, le dénoyage de la mine jusqu'au niveau 446, a l'aide d'une pompe multicellulaire à niveau variable possédant quatre refoulements, de trente mètres jusqu'à cent vingt mètres, utilisés au fur et à mesure de l'approfondissement.
A la même époque, les « Usines Solvay » nous commandaient une turbine à basse pression, utilisant des eaux chaudes résiduaires, sur un principe que Claude a généralisé pour l'utilisation de l'énergie thermique des mers.
Pour ne pas vous fatiguer, quelques mots seulement sur l'électromécanique, à laquelle j'ai consacré beaucoup d'efforts, notamment pour les installations des navires de guerre où l'électricité permet la solution de problèmes difficiles : la commande électrique de la barre, la commande des tourelles et des grosses pièces de marine, l'alimentation en munitions par les treuils électriques spéciaux, par les norias tubulaires, plus légères et de moindre encombrement; enfin, la commande électrique des compresseurs d'air à haute pression pour l'alimentation des torpilles, la commande des tubes lance-torpilles, etc.
A bord des sous-marins, j'ai réalisé, en 1891, pour le premier sous-marin le « Gymnote », le premier périscope ayant donné des résultats pratiques, et pour le « Gustave Zédé », en 1892, le second sous-marin de notre flotte, le premier grand moteur à courant continu d'une puissance de 720 CV. Là aussi, avec le moteur, il fallut créer les méthodes permettant la mesure du rendement en usine.
Les efforts des électriciens sont maintenant dirigés vers la télécommande de l'artillerie qui permettra, si elle est parfaitement réalisée, d'obtenir le tir par salves, le commandement étant concentré en un seul point du navire.
L'étude de l'armement naval m'a conduit aussi, par une voie un peu détournée, à la création de divers types de mines sous-marines, ces terribles engins, dont l'efficacité redoutable a été particulièrement reconnue dans la dernière guerre.
Vous voyez, mes chers camarades, par cette revue rapide, où j'ai été obligé, pour répondre à la demande de votre président, de parler trop de moi, que les problèmes industriels ont, le plus souvent, de profondes analogies et que l'optique, la mécanique et l'électricité ne sont pas reliées seulement par des lois théoriques, mais que leur pratique simultanée donne souvent la solution de questions qui paraissaient insolubles.
L'intelligence humaine est donc faite pour s'appliquer à l'étude de la nature inanimée. On n'en peut pas dire autant de ce qui touche à la vie. Les phénomènes psychiques sont loin d'être élucidés et, en s'élevant à un autre ordre de grandeur, les phénomènes spirituels dépassent tous les autres et nous ne pouvons les aborder que par l'intuition et par la foi.
Je dirai volontiers aux jeunes qui m'écoutent :
« Travaillez fidèlement dans le champ qui vous est donné, mais jetez aussi vos regards plus loin et plus haut. »
L'étude de la nature nous oblige à une véracité absolue car on ne peut pas ruser avec elle. C'est ce labeur persévérant et noblement accepté qui fait de vous, mes chers amis, je n'hésite pas à le dire, l'élite de notre pays. Vous êtes la France qu'on ne voit pas; le public vous ignore, il ne connaît que la France que l'on voit, les cabotins et les snobs, les politiciens et les journalistes; mais, sans vous, les sombres prophéties sur l'avenir de notre pays, que nous entendions proférer dans notre jeunesse, celles des Renan et des Taine, se seraient réalisées.
Sans les vertus de travail et de probité, de désintéressement et d'amour de la patrie, de notre bourgeoisie française, que serions-nous devenus? Si vous n'étiez pas là pour réparer dans l'ombre les fautes du pouvoir le plus instable, où ne serions-nous pas tombés? Sans les sacrifices inouïs que vous avez acceptés pendant la guerre, les plus terribles qu'aucune classe sociale ait jamais supportés, aurions-nous eu la victoire? Et sans votre résistance d'après guerre à toutes les causes de dissolution, où en serions-nous?
Il me suffit de vous avoir connus pour ne jamais douter de mon pays.
Permettez-moi donc de lever mon verre, non seulement à la prospérité de notre belle association, mais à votre santé à tous, mes chers camarades, à celle de vos familles; puissiez-vous, pendant de longues années encore, continuer votre activité pour le bien et l'avenir de la France!
Quand l'éminent Membre de l'Institut se rassied, il est l'objet d'une longue acclamation, suivie d'un triple ban.
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1936-1 :
Un de nos plus éminents camarades vient de mourir; un ingénieur, un savant, un inventeur, un patriote : Jean Rey est décédé, le jour de Noël. Il était Membre de l'Institut, Ancien Président de l'Académie de Marine, Membre Correspondant Etranger de l'Académie des Sciences Techniques de Varsovie, Administrateur-Directeur des Anciens Etablissements Sautter-Harlé, Président d'Honneur de la Société Française des Electriciens, Président d'Honneur du Syndicat Général de la Construction Electrique, Président d'Honneur de la Société Amicale des Ingénieurs de l'Ecole Supérieure d'Electricité, Ancien Président de la Société des Ingénieurs Civils de France, Vice-Président de l'Association Technique Maritime et Aéronautique, Vice-Président de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, Vice-Président de l'Union des Syndicats de l'Electricité, Membre du Conseil Académique de la Faculté Libre de Théologie Protestante, Membre du Conseil de Direction de l'Association des Industriels de France contre les Accidents du Travail, Membre du Comité Consultatif des Arts et Manufactures, Membre du Conseil National Economique, Membre du Comité Français de la Chambre de Commerce Internationale, Membre du Comité Central des Chambres Syndicales, Membre de l'Alliance Syndicale du Commerce et de l'Industrie, Membre du Comité de la Confédération Générale de la Production Française, Membre du Comité Electro-technique Français, Membre du Comité de l'Eclairage et du Chauffage, Membre du Comité National Français de Mécanique, Membre du Comité des Recherches et Etudes Physiques au Ministère de la Guerre, Membre du Comité Supérieur de Normalisation, Membre du Comité Scientifique du Pétrole et des Combustibles Liquides, Membre du Conseil Technique de l'Office National des Combustibles Liquides, Membre du Grand Conseil du Musée Social, Membre correspondant de la Société des Arts de Genève, Membre du Conseil d'Administration de la Revue Générale d'Electricité, des Ateliers et Chantiers de la Loire, de la Maison Hillairet, de la Société Générale d'Evaporation, de la Société des Moteurs Thermiques, de la Foire de Paris, de la Société d'Industrie Minière d'Ekaterinovka, Membre du Conseil de Direction du Génie Civil; Commandeur de la Légion d'Honneur, Commandeur de Polonia Restituta, Commandeur de l'Etoile de Roumanie, Commandeur de l'Ordre Royal d'Isabelle la Catholique, Chevalier des Saints Maurice et Lazare, Médaille d'Honneur du Travail.
Ses obsèques ont été suivies par des personnalités des plus éminentes de la science et de l'industrie.
Des discours ont été prononcés :
- par M. Paul Janet, Membre de l'Institut, Directeur de l'Ecole Supérieure d'Electricité, au nom de cette Ecole et de ses anciens élèves;
- par M. l'Ingénieur principal Fortant, au nom de l'Association technique maritime;
- par M. Léon Guillet, membre de l'Académie des Sciences, au nom de l'Institut et de la Société des Ingénieurs Civils de France;
- par M. Henri Harlé, au nom des Etablissements Sautter-Harlé;
- par l'Amiral Lacaze, au nom de l'Académie de Marine;
- enfin, par M. l'Ingénieur général François, au nom du Ministre de la Marine.
Notre camarade était né à Ouchy (Suisse), de parents français, en 1861. Il commença ses études à Milan et les termina à Paris, au Collège Sainte-Barbe. En 1883, il entrait major à notre Ecole. A sa sortie, il fut attaché tout d'abord aux travaux de la Carte géologique de France, puis à la maison Sautter-Lemonnier, déjà renommée pour ses machines électriques et ses phares, devenue depuis la maison Sautter-Harlé. C'est là qu'il accomplit toute sa carrière, durant 45 années, carrière marquée par des recherches couronnées de succès et des inventions intéressant au plus haut point la défense nationale.
L'œuvre immense de cette haute et rayonnante personnalité fut décrite de main de maître par Jean Rey lui-même, au cours de notre banquet de Sainte-Barbe qu'il présida, à l'Hôtel Lutétia, le 10 décembre 1932. Nous renvoyons les camarades à son magistral exposé, paru à notre Bulletin N° VI de 1932, — pages 170 et suivantes.
Rappelons brièvement que l'ensemble de ses études et de ses travaux comprenait quatre grands chapitres, non d'ailleurs complètement indépendants les uns des autres:
- OPTIQUE (avec la collaboration de M. Blondel) : visibilité des phares; création d'appareils de mesure; nouveau système de phare à réflecteurs métalliques, utilisé dès 1890 par le Canal de Suez;
- THERMO-DYNAMIQUE : Propriétés physiques des vapeurs de pétrole et lois de leur écoulement, très important mémoire qui valut à son auteur le prix Hullevigne de l'Académie; et magistrale étude sur le frottement de la vapeur d'eau dans les tuyaux;
enfin, MECANIQUE : travaux sur les moteurs Diesel, sur les turbines à vapeur (avec notre grand Rateau), sur la construction des mines sous-marines et sur les injecteurs de fluides, qui aboutirent à des améliorations considérables du rendement mécanique des thermo-compresseurs.
Il s'attachait également à l'étude du grand problème de la collaboration du rail et de la route et s'occupa même de l'industrie agricole.
Jean Rey est, croyons-nous, le premier de nos camarades Membre de l'Académie des Sciences n'appartenant ni au corps des mines, ni même à l'Ecole Polytechnique.
Il ne fut pas seulement un ingénieur dans toute la force du terme, un savant admiré au delà de nos frontières, un inventeur célèbre, mais encore un grand patriote, toujours soucieux de l'intérêt national et de l'avenir de la France.
Et n'oublions pas de saluer le camarade toujours accueillant, l'ami toujours fidèle, l'époux, le père.
Nous nous inclinons respectueusement devant Mme Jean Rey, ses enfants et petits-enfants, en leur disant toute la part que nous prenons à leur deuil, qui est aussi le nôtre, et en les assurant que la mémoire de Jean Rey sera pieusement conservée parmi ses camarades de l'Ecole des Mines.
H. C.
Le texte qui suit a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association :
Jean REY est sorti à 25 ans premier de l'Ecole des Mines de Paris. Pourquoi si tard ? Il avait été reçu à l'Ecole Centrale à 19 ans, mais sa santé l'empêcha d'y rentrer et il trouva le repos médicalement nécessaire en faisant en deux ans le tour du monde sur un petit trois-mâts. Robert ESNAULT-PELTERIE, dans une notice sur sa vie et son œuvre, raconte « que ses connaissances scientifiques firent bientôt de lui un aide précieux pour le commandant. Il prenait le quart et faisait le point. Le second étant tombé malade, J. REY fut appelé à le remplacer définitivement et tout jeune, il exerça ainsi d'emblée, pendant le reste de la campagne, un commandement effectif à bord » A son retour, il repassa ses examens, fut de nouveau reçu à Centrale, mais choisit notre Ecole. A la sortie, pendant deux années, il resta attaché comme préparateur de géologie.
Mais à partir de 1888, sa carrière industrielle se déroule tout entière dans la même maison, la Société Sautter-Harlé. A trente-cinq ans il en est ingénieur en chef et fondé de pouvoir avec procuration générale, à quarante-trois ans associé-gérant, puis plus tard administrateur délégué. Il accepte aussi peu à peu des fonctions professionnelles très importantes, délégué, puis vice-président et enfin président du syndicat professionnel des Industries électriques, membre du Conseil National Economique, etc.. Les sociétés savantes aussi le distinguent très vite : président de section des ingénieurs civils de France (1909), membre de l'Académie de Marine (en souvenir de son équipée ?), président de la Société Française des électriciens (1921). La consécration définitive intervient en 1930 lors de son élection à l'Académie des Sciences en remplacement de son ami RATEAU.
Il publia beaucoup et bien : 5 ouvrages, 50 publications scientifiques ou techniques sont citées dans la notice incomplète établie après sa mort par André BLONDEL. Plusieurs sont devenues classiques.
Aussi n'est-il pas commode de résumer en quelques lignes l'activité créatrice très étendue de cet ingénieur de tout premier plan qui a pu réaliser de grandes choses avec des hommes au génie aussi différent que RATEAU et BLONDEL. On peut cependant distinguer trois grandes directions : électromécanique, optique et thermodynamique.
Dès 1901, il chercha à construire un moteur à explosion pour les dynamos des sous-marins. Du premier prototype de 25 CV, il passa dès 1907 aux moteurs de 350 CV chacun du sous-marin « Opale -, donnant à la France une avance de plusieurs années. Les dynamos correspondantes furent, grâce à lui, aussi l'objet de grands progrès.
Dès 1888, il s'est intéressé aux turbines à vapeur alors à réaction pure : leur puissance étant, à cette époque, de 50 à 60 CV. Sa collaboration avec Râteau dura treize ans, conduisant dès 1900 à des turbines à action pour la Marine de 1 000 CV. Seul ensuite, il fait faire de grands progrès aux pompes et aux ventilateurs particulièrement pour leurs usages dans les mines. Mais son nom restera surtout attaché aux analyses très fines des mesures de rendement (machines électriques ou turbo-machines). Ses publications sur ce sujet sont de véritables classiques. Il excellait aussi dans les exposés d'ensemble et son mémoire à la Société des Ingénieurs Civils sur la turbine RATEAU lui valut en 1905 la médaille d'or de cette Société.
Dès février 1889, une communication à la Société des électriciens commentait les résultats obtenus dans son laboratoire sur les premières utilisations de l'électricité dans les phares et projecteurs. 18 publications ensuite, seul ou avec André BLONDEL (1863-1938 ; X 1883, corps des ponts et chaussées), vont porter dans la suite sur la construction des appareils, la création de nouvelles combinaisons optiques ou la vérification des optiques et l'analyse ici encore des méthodes d'études de rendement. La loi bien connue de BLONDEL-REY sur le rapport entre la durée des éclats lumineux et l'éclairement perceptible reste de grande importance.
J. REY a étudié la vapeur de pétrole et mis en évidence le fait inattendu qu'elle se surchauffe par la détente. Mais sa principale réalisation est celle d'un thermo-compresseur de rendement près de dix fois supérieur à ceux alors connus, ce qui transforma complètement les procédés d'évaporation des liquides.
En dehors de ces trois domaines dont un seul aurait suffi à remplir une belle carrière, Jean REY a travaillé les problèmes de la marine militaire, particulièrement les mines sous-marines ou la commande électrique des tourelles de cuirassés, obtenant de très beaux succès en France et dans de nombreuses marines étrangères. Grâce à quelques hommes comme Jean REY, la technique française des navires de guerre était en 1918 assurément une des meilleures du monde.
On ne sait, en conclusion, ce qu'il faut le plus admirer dans Jean REY : sa capacité extraordinaire de réalisation ou ses dons étonnants d'analyse théorique
Il est bien difficile d'imaginer aujourd'hui une telle carrière, car il ne faut pas oublier qu'il fut aussi un homme d'affaires fondant à l'étranger de nombreuses filiales. Un homme aussi complet est un magnifique exemple.