Robert GIBRAT est le fils de Albert GIBRAT, médecin de la marine nationale (il attint le grade de médecin amiral) et de Jeanne DELEBECKE. Il épousa Yseult VIEL, dont il eut 3 filles : Corinne (qui épousa François, fils de Armand MAYER), Mowgli et Fleur.
Il est ancien élève de l'Ecole polytechnique (major d'entrée de la promotion 1922 et classé 3ème à la sortie), et de l'Ecole des Mines de Paris (entré en 1925, sorti classé 1er sur 3 élèves-ingénieurs en 1927). Corps des Mines.
Photo de Robert Gibrat Collection François Mayer |
MINES Revue des Ingénieurs,novembre 1980 :
Robert GIBRAT nait à Lorient en 1904. A 18 ans, il est à la fois reçu second à Normale, et premier à Polytechnique, où il entre. Il en sort également dans la "botte", et en 1929 sort major de l'Ecole des mines.
Il est alors envoyé pour enseigner la minéralogie à l'Ecole des mines de Saint-Etienne dont peu de temps après il devient sous-directeur.
En 1937, il « pantoufle » dans le groupe de la Société Générale d'Entreprises, où il doit s'occuper de la production et de la distribution d'électricité dans le Massif central et dans le Nord. Il s'y distingue si bien qu'il est, en octobre 1940, appelé comme directeur de l'Electricité au ministère des travaux publics ; il y met en route un système de restriction qui restera appliqué jusqu'en 1948.
Au printemps 1942, sur le conseil d'amis résistants, il accepte dans le ministère Laval, les fonctions de secrétaire d'Etat aux Communications, aux PTT et au Tourisme, fonctions qu'il abandonne sept mois après quand les Allemands s'installent en zone libre. Malgré l'inlassable dévouement avec lequel durant son passage au ministère, il défendit les opprimés et le courage exemplaire qu'il lui fallut pour tenir tête aux directives de l'occupant qu'il réprouvait, il est à la Libération condamné à dix ans d'indignité nationale, condamnation dont il fut d'ailleurs très vite relevé.
Mais il doit alors commencer une carrière entièrement nouvelle, et trouve son épanouissement sur le plan de la pure technique en devenant ingénieur-conseil. Ce sera véritablement son métier ; il y excellera par son dynamisme, son inventivité, sa force de conviction appuyée sur les connaissances scientifiques les plus affinées. La constante référence de son esprit aux données scientifiques lui donne une audience et une crédibilité considérable.
Son action s'étend sur trois périodes qui s'interpénétrent largement. La première est celle des centrales traditionnelles, thermiques ou hydrauliques ; il joue un rôle de premier plan à la Société hydrotechnique de France où il est entré dès 1937, il en présidera de 1955 à 1965 le comité technique.
La deuxième est celle des centrales marémotrices. Ses études sur l'énergie des marées sont déjà antérieures lorsqu'on 1941 il crée la Société d'études pour l'utilisation des marées. Celle-ci devient service de l'EDF en 1946 et il devient conseil de l'EDF pour cette technique ; la mise au point de la théorie des cycles date de 1953 ; le barrage de la Rance est mis en service en 1966. De cette date à 1970, il est conseil du gouvernement canadien pour ce type de centrales.
La troisième période est celle des centrales nucléaires. Elle commence en 1955 par la création d'Indatom, devenu en 1966 SOCIA par élargissement. L'apothéose en fut la centrale EDF construite à Vendellos près de Tarragone en Espagne qui est la seule vraie centrale privée, vendue et construite à l'étranger suivant la technologie française « graphite-gaz ». Ce fut un succès technique éclatant et la centrale reste un succès économique.
L'ingénieur qu'était GIBRAT avait une autre facette indissociable de celle technicienne qui, dès son plus jeune âge, lui était chère. Elle s'est manifesté dès 1930 par une soutenance de thèse sur « les Inégalités économiques » qui le faisait docteur en droit. L'économétrie devint ainsi sa deuxième spécialité, il lui apporte le secours d'une profonde connaissance en mathématiques et d'une pratique moderne et scientifique de l'outil statistique. Aussi, membre assidu de la Société de statistique de France, fut-il amené par deux fois en 1966 et 1978 à en assurer la présidence.
Cette spécialité en matière de prévision économique le fit prendre comme expert par le Club de Rome pour l'établissement de son premier rapport.
Mais Robert GIBRAT fut aussi et tout autant grâce à son intelligence hors du commun appuyée sur une étonnante mémoire, un homme de culture au sens le plus large du terme allant de la connaissance la plus acérée à la réactivité artistique la plus vive et à la compréhension des phénomènes socio-culturels les plus complexes.
Musicologue et jouissant de capacités incroyables (il était capable de jouer à l'envers une partition écoutée à l'endroit), il a traité, à travers une importante collection de disques, l'étude de la musique électronique, pour la comprendre. Sportif, il n'aurait jamais manqué une Olympiade. Grand voyageur, il partageait avec son épouse cette passion pour les voyages les plus insolites, à pied en Laponie, dans le Grand Canyon ou le sud de l'Ethiopie, puis (en croisière) en Chine, dans l'Antarctique ou en Inde, d'où il revenait la veille de sa mort en ayant commencé une étude systématique du sanscrit. En effet, sa passion pour les langues, anglais, allemand, italien, espagnol, norvégien, finlandais, japonais, etc., et même chinois, faisait partie de sa silhouette.
Ces aspects multiples de ses admirables qualités humaines ont amené Robert GIBRAT à oeuvrer pour la défense et l'illustration du métier d'ingénieur qu'il a tant aimé.
Il fut appelé à assurer la présidence de la Fédération mondiale des Organisations d'ingénieurs, puis la présidence de la Société des ingénieurs civils de France en avril 1966. A cette occasion il y fut présenté par son prédécesseur en des termes qui résumaient toute sa vie.
« Vous avez une culture réellement polytechnique. Vous êtes, je l'ai dit, thermicien. Vous êtes aussi électricien, hydraulicien, mécanicien et vous êtes devenu, en temps utile, atomiste. Vous étiez évidemment mathématicien et vous êtes aussi maintenant un économiste et un statisticien et non des moindres... Il est connu que la race des Pic de la Mirandole, faite de savoir universel, est éteinte depuis longtemps. En échange, notre civilisation technique a, depuis, sécrété une autre race d'hommes que l'on peut appeler des " princes de la technique ", qui savent être les hommes d'expérience et de jugement, qui par la simple magie de leur rayonnement personnel ont le pouvoir d'orienter et de marquer les époques... Nous possédons en France quelques exemplaires de cette race. Vous êtes l'un d'eux. »
Extrait d'un article rédigé par J. Dontot (CM. 1937)