Jacques Jean Marie de MORGAN (1857-1924)


de Morgan, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Né le 3/6/1857 à Huisseau sur Cosson (Loir et Cher).
Petit-fils du comte Adrien de Calonne. Fils de Eugène de Morgan (né en 1829) et de Louise Marie Caroline Henriette de Calonne d'Avesnes (1832-1864), mariés en 1853.
Marié à sa cousine Noémie de Saint-Martin. Une fille : Yvonne (née en novembre 1883).

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1879) : admis aux cours préparatoires le 21/8/1876 classé 21 ; admis comme externe le 25/10/1879 classé 14 ; breveté le 7/6/1882 classé 7. Ingénieur civil des mines. Voir son bulletin de notes : on verra avec intérêt qu'il a reçu de très bonnes notes pour ses journaux de voyage alors qu'il a triché abondamment sur ses vraies activités.


 

Adolescent rebelle, il doit quitter le collège de Cherbourg, puis est renvoyé du collège de Douai où il gifle le proviseur. Au lycée de Lons-le-Saunier, il est puni pour avoir fumé, quitte le lycée, échoue au baccalauréat. Inscrit dans une "boîte à bachot", il jette le squelette de l'Ecole par la fenêtre sur la tête du sous-directeur. Il est néanmoins passionné par les études, et obtient alors le baccalauréat avec mention Très-Bien.

Son père l'inscrit en classe préparatoire à l'Ecole des mines. Malgré un duel au service militaire, il y apprend la topographie et les sciences militaires. Il est finalement admis à l'Ecole des mines, où il triche abondamment, faisant d'excellents travaux scientifiques sans rapport avec ce que lui demande la direction de l'Ecole. Ce caractère frondeur et papillonneur le poursuivra pendant toute sa carrière.

Jacques de Morgan, encore adolescent, fréquente grâce à son père Eugène de Morgan des archéologues célèbres : l'abbé Cochet, Alexandre Bertrand, Gabriel de Mortillet. Dès 1872, ils remarquent le site "Le Campigny" où ils trouvent des poteries préhistoriques. En 1881, Jacques fouille des tumuli dans la forêt de Moisdons près de Chilly sur Chalins (Franche-Comté) ; il y trouve des ossements (il reviendra sur ce site en 1903, et y trouvera les restes d'une tombe à char halstattienne).

Il voyage en Scandinavie et en Bohême, publie en 1882 la "Description géologique de la Bohême" et le "Mémoire sur les terrains crétacés de la Scandinavie". Il visite ensuite les mines d'or de Transylvanie (actuelle Roumanie), l'Arménie orientale, l'Inde, la Malaisie, le Caucase, la Perse (actuellement Iran).

En Inde du sud, il visite en compagnie de Chaper les mines de Golconde et les ruines de Vijayanagar (1882-1883). Il cherche à partir en Chine et au Tonkin, mais les missions sont annulées par suite du début d'hostilités entre la France et la Chine.

En Malaisie (1884-1885), il s'occupe de l'exploitation de mines d'étain. A la demande des autorités britanniques, il explore le pays pour faire une carte et une étude géologique. Il en profite pour rassembler des collections de papillons, mollusques et herbes. Il étudie aussi les moeurs des tribus locales, et leurs langues. Sa mission est un échec financier personnel, mais il publie largement ses découvertes et devient officier des Palmes académiques.

Désireux de gagner de l'argent, il se rend à Akthala (Arménie, Transcaucasie) (1886-1889) toujours avec Chaper, pour exploiter une mine de cuivre pour le compte d'investisseurs français. Il gère mal son entreprise, et comme à son habitude consacre autant de temps à l'archéologie et à la préhistoire qu'aux mines. Licencié en 1888 par l'entreprise, il se consacre pendant quelques mois complètement aux études archéologiques de l'Arménie et de la Géorgie. Il rentre en France et publie largement ses découvertes. Il faut noter que, à partir de 1915, J. de Morgan recommence à s'intéresser au peuple arménien, victime de génocide, et qu'il publiera même une "Histoire du peuple arménien" éditée à Paris en 1919. Les arméniens le considèrent comme un de leurs grands amis historiques.

Suit un premier voyage en Perse (1889-1892) qui fera l'objet d'une publication en 5 volumes (1894-1904). Au cours de cette mission, il découvre notamment des champs pétrolifères importants, mais c'est Knox d'Arcy qui obtiendra la concession en 1901, ce qui conduira à la création de l'Anglo-Persian Oil Company devenue British Petroleum ; Jacques de Morgan n'en tirera que de la gloire, aucun avantage financier ; Nasr es-Din chah lui fait octroyer la plaque de grand officier du Lion et du Soleil.

Il est ensuite nommé directeur du service des antiquités en Egypte (1892-1897) avant de revenir en Perse. La mission en Egypte est un grand succès, surtout au début de la période lorsqu'il fait équipe avec le Consul général de France, le marquis de Reverseaux (1892-1894). Morgan s'entend moins bien avec Georges Cogordan, qui succède à Reverseaux. En 1896, Jacques de Morgan est nommé officier de la Légion d'honneur.

C'est au cours d'une visite en Perse en 1891-92 que Jacques visite les travaux archéologiques de Marcel et Jane Dieulafoy, qui ont mis au jour l'ancien palais de Darius avec son décor d'archers en briques émaillées. En 1895, de longues négociations diplomatiques aboutissent, et la France reçoit la responsabilité des fouilles archéologiques en Perse. Devenu délégué général du ministere de l'Instruction publique aux fouilles de Perse, Jacques dirige pendant 15 ans (1897-1912) l'exploration scientifique de la Perse. Il s'installe à Suse avec 100.000 F de crédits d'installation et 130.000 F de budget annuel. Il emploie alors jusqu'à 1200 ouvriers pour fouiller les couches inférieures de l'Acropole et évacuer les déchets par wagonets. Cette fouille massive détruit beaucoup de vestiges, mais il trouve le Code de Hammurabi, la stèle de Naram-Sin, la statue en bronze de la reine Napir-Asu notamment. Attaqué publiquement par des collaborateurs dès 1907, puis par la Cour des comptes, mais lavé par la Chambre des députés, il démissionne en 1912, probablement aussi à cause du climat de Suse qu'il supporte mal.

Après son départ, les fouilles continuent de 1912 à 1946 sous la direction de Roland de Mecquenem, ingénieur civil des mines, qui avait été l'adjoint de Morgan jusqu'à 1912. Par la suite, Roman Ghirsham (1946-1967) puis Jean Perrot (1968-1979) prennent le flambeau, interrompu par la révolution islamique.

Pendant la période de son séjour à Suse, Morgan accepte une invitation de Paul Boudy, inspecteur des eaux et forêts en Tunisie et découvreur de gisements préhistoriques. Avec le Dr Capitan, ils identifient le site d'El Mekta près de Gafsa (sud tunisien), en 1907. Morgan donne alors le nom de "Capsien" à des gisements en forme de buttes légèrement surélevées.

Il est nommé le 9 mars 1906 commandeur de la Légion d'honneur.

En 1912, il revient en France, s'intéresse aux mollusques des faluns de Touraine, et rédige "La préhistoire orientale" qui sera publiée après son décès. Il rédige l'Histoire du peuple Arménien à partir de 1915. De plus en plus malade, il se retire dans le Sud de la France.

Abandonné par sa famille et la plupart de ses amis, dégoûté de se voir refuser la porte de l'Institut alors que ses collaborateurs y entrent, Jacques de Morgan termine sa vie dans la quasi-solitude, la maladie et la misère. Plusieurs de ses livres seront publiés seulement après sa mort.



Jacques de Morgan en 1892, directeur du service des Antiquités d'Egypte. Il a été nommé à ce poste en 1892 malgré l'opposition de Gaston Maspéro qui aurait préféré qu'un "vrai" archéologue soit nommé plutôt qu'un ingénieur ; il est vrai que Morgan profitait de la notoriété que lui avaient valu ses travaux antérieurs en Arménie.

 

Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, juillet à septembre 1924 :

Notre école vient de perdre un de ses anciens les plus illustres, un de ceux qui par le labeur et le talent ont acquis une réputation mondiale.

C'est avec une profonde émotion que nous avons appris la mort de M. de Morgan, notre ancien chef en Perse ; jusqu'à son dernier jour, il s'était intéressé à nos travaux de Suse. Nous savions que depuis un an, il était en traitement dans une clinique de Marseille. Il s'y est éteint le 12 juin 1924 et fut inhumé le 14 au cimetière Saint-Pierre.

Jacques-Jean-Marie de Morgan était né près de Blois en 1857 ; son père l'orienta de bonne heure vers l'archéologie et l'histoire naturelle ; il lui donna le goût de la publication en lui faisant rédiger des notes sur leurs excursions et leurs fouilles pour les Sociétés Savantes où il l'avait fait inscrire. Quelques années d'études à Lons-le-Saunier sous la direction de MM. Taubin, deux professeurs passionnés l'un pour l'archéologie, l'autre pour la géologie, développèrent encore en Jacques de Morgan la passion des recherches dans ces deux branches.

Préparé par l'école Duvignau de Lanneau, il entra à l'Ecole des Mines en 1878, où il se maria dès la première année. Avant son entrée, il avait accompli son service militaire, un an, à Arras, au régiment du génie.

Son étude favorite fut la géologie ; il lui consacra ses voyages d'été ; accueilli à Frohsdorf, chez le comte de Chambord (son grand-père maternel, M. de Calonne, avait été le premier gouverneur du château de Chambord), il y rencontra Baurande, célèbre par ses travaux sur le Silurien de la Bohême.

Sur ses conseils, il écrivit une monographie sur la géologie de cette province (1882), ornée d'habiles croquis à la plume. Notre ancien avait pris pour motto « Ce qui mérite d'être fait doit être bien fait. » Peut-être en était-il redevable aux modèles d'écriture de l'Institut Poujade, où il ne craignait pas à vingt ans passés de prendre des leçons : il y avait acquis en tous cas un graphisme exceptionnel, qui fit l'admiration de ses correspondants et de ses typographes.

Il écrivit encore pendant ses années d'études un Mémoire sur les terrains crétacés de la Scandinavie, publié par la Société Géologique de France, dont il était membre depuis 1877.

Après sa sortie de l'Ecole des Mines, il fit un voyage en Transylvanie, puis partit pour les Indes, chargé d'une enquête sur les diamants par un consortium de bijoutiers ; cette mission obtenue sur la recommandation de M. Fuchs, son professeur de géologie appliquée, ne pouvait donner lieu à une publication, mais l'explorateur en rapporta de nombreux relevés de ruines indiennes, de magnifiques dessins à la plume, et sans doute aussi le goût des lointains voyages ; à peine revenu en France, il repartait, en effet, pour les Indes néerlandaises cette fois, étudier une affaire d'étain. Pendant sa prospection, la concession fut vendue par ses commanditaires, mais Jacques de Morgan ne voulut pas revenir les mains vides ; il entreprit l'exploration de la presqu'île de Malacca (1884) ; en dressa une carte, qui fut publiée par le gouvernement anglais : il fit une étude complète de régions encore vierges, rapporta des notes ethnographiques et linguistiques sur les populations très primitives de l'intérieur, des observations sur la géologie et les mollusques terrestres et fluviatiles. Malgré la fatigue de cette expédition dans un pays malsain, difficile, il publia dès son retour ses découvertes dans le Bulletin de la Société Normande de Géographie, le Bulletin de la Société de Zoologie, les Annales des Mines. Il s'expatriait cependant bientôt à nouveau au Caucase. Directeur de la mine de cuivre d'Akhtala, il crut d'abord avoir à diriger la plus riche exploitation cuprifère du monde. Revenu de son erreur, il reconnut l'intérêt de la région où il était au point de vue archéologique. Quittant ses fonctions industrielles, il obtint du ministère de l'Instruction publique une mission de recherches au Caucase. Malgré toutes les difficultés qu'il rencontra dans ses fouilles (l'Administration réservant le droit de travaux aux seuls officiels russes), il fit une ample moisson de documents, qu'il publia dans sa mission scientifique en Caucase, deux volumes admirablement illustrés. Il s'était rendu compte que la civilisation des dolmens du début de l'âge de fer, qu'il venait d'étudier, s'étendait en Perse, il sollicita une nouvelle mission dans ce pays, où l'accueillit un gouvernement plus libéral. Pendant deux ans, accompagné de Mme de Morgan, aussi sportive que lui-même, il visita les bords de la Caspienne, le Kurdistan d'où il rapporta les estampages d'inscriptions cunéiformes inédites, parcourut le Louristan, et, passant par Khorremabad, au milieu de populations montagnardes très difficiles (ce tour de force n'a été renouvelé que depuis peu d'années), il traversa l'Arabistan, trouvant sur sa route les ruines de Suse où M. Dieulafoy venait de terminer ses fouilles.


Le site de Suse avec le chateau construit par Morgan pour abriter l'expédition
(C) Collection de la documentation du Département des Antiquités orientales du Louvre, et Collection de l'agence Roger-Viollet

Rentré à Paris, M. de Morgan s'occupait de la publication de ses matériaux ; ils devaient donner lieu à neuf volumes et un atlas de cartes, lorsqu'il fut désigné pour succéder à M. Grébaut à la direction du Service des Antiquités de l'Egypte.

Il occupa six ans ces hautes fonctions (1892-1897), galvanisant l'activité de son personnel, continuant les travaux de ses prédécesseurs et organisant de nouveaux chantiers. Il déblaya, restaura et protégea contre le Nil, le temple de Kom-Ombos : fouilla complètement la nécropole de Dalschour, où il eut la chance de mettre la main sur les bijoux les plus admirables, le trésor des princesses : il trouva à Négadah, près d'Abydos, la sépulture du roi Aha, appartenant à la première dynastie égyptienne ; après avoir achevé l'installation du musée de Ghizeh, il surveilla les plans et la construction du nouveau musée de Boulaq. Entre temps, il achevait la publication de ses ouvrages sur la Perse, publiait le résultat de ses découvertes ; citons deux volumes sur Dalschour, ses Recherches sur les origines de la civilisation lithiques des ateliers néolithiques et des silex taillés d'époque historique forçant ainsi l'attention des savants et des fouilleurs sur l'âge de la pierre en Egypte. Il s'attachait de nombreux collaborateurs pour étudier complètement le pays et parfaire l'œuvre de la grande Commission d'Egypte, réservant à tous ceux qui s'intéressaient à ses travaux le plus large et le plus charmant accueil.

Sa féconde activité lui valut la célébrité, la plupart des décorations européennes ; il quitta cependant ce pays, croyant y avoir assez fait et pour faire mieux ailleurs. Il fut nommé en 1897, délégué général en Perse, du ministère de l'Instruction publique ; la Perse confiait à la France le soin de diriger de grandes fouilles sur son territoire ; nul n'était mieux préparé que notre camarade pour cette lourde tâche ; dès le début, il choisit Suse comme point principal de ses recherches. En peu d'années, il découvrit des monuments de premier ordre : l'obélisque de Manichton-sou, roi de Kis, la stèle de Maramsin, roi d'Agadé, les lois de Hammourabi, roi de Babylone. Les inscriptions sur pierre et sur briques, magistralement publiées par le P. Scheil dès leur apparition, révélèrent l'histoire de l'Elam. Les résultats exposés au Grand Palais en 1902, furent transportés au Musée du Louvre, dans les salles de « Morgan », à présent trop petites pour contenir les apports incessants des fouilles de Suse.

M. de Morgan ne négligea cependant pas les autres régions de la Perse ; à deux reprises, il explora les dolmens du Nord ; il envoya ses attachés explorer les environs de Téhéran, confia à ses collaborateurs les fouilles de Tepe Moncian. Il rapporta au Louvre les estampages des inscriptions, des bas-reliefs de l'Elvend, de Taghe Bostau, de Malemir ; il récolta une grande quantité de fossiles qui donnèrent lieu à des travaux de MM. Douvillé et Zeiller, et nous confia l'exploration du gisement de vertébrés fossiles de Maragha. Il collectionna les insectes coléoptères et lépidoptères qui furent étudiés au Muséum d'histoire naturelle de Paris par M. Bouvier et ses collaborateurs ; il recueillit les mollusques terrestres et fluviatiles, dont il publia lui-même, ou en collaboration avec M. Germain, la liste avec reproductions.

Il dirigea la publication — une quinzaine de volumes — des Mémoires de la Délégation en Perse, et y contribua par de nombreux articles ; il résuma ses idées sur l'Histoire ancienne en un volume dont le succès épuisa l'édition : les Premières civilisations.

Rappelons ici qu'on 1905, il présida l'Assemblée générale de notre Association amicale, et qu'en mars 1906, il fut nommé commandeur de la Légion d'honneur.

En 1907, des difficultés administratives se produisirent entre lui et deux de ses attachés, qui en appelèrent à l'opinion. Le ministre de l'Instruction publique, M. Doumergue. aujourd'hui président de la République, couvrit pleinement son délégué, dont il glorifia l'œuvre exceptionnelle.

En 1912, M. de Morgan, contraint par son état de santé à vivre dans le midi de la France, fit don au Musée national de Saint-Germain et au Musée d'Histoire naturelle de Paris, dont il était l'associé, de toutes ses collections particulières : il disait adieu à la vie d'explorateur. Malgré ses déplacements fréquents à la recherche d'une altitude ou d'un climat à sa convenance, il continua ses publications, avide de faire profiter ses lecteurs de toutes ses connaissances et de son expérience de l'Orient.

Pendant la guerre, il collabora à L'Eclair de Montpellier, commentant les communiqués français et britannique sur le front asiatique. Il réunit plusieurs de ses articles en volumes : « Essai sur les nationalités ; Contre les Barbares de l'Orient ». Il écrivit encore l'Histoire du peuple arménien, un Essai sur l'Humanité préhistorique (collection Berr) sans cesser d'envoyer des articles à l'Anthropologie, à la Revue de l'Ecole d'Anthropologie, au Journal des Savants, an Journal Asiatique, etc., à bien des revues étrangères.

Peu avant sa mort, il avait fait paraître le premier fascicule de son Traité de Numismatique orientale ; il préparait un grand ouvrage sur la Préhistoire orientale, où il étudiait en particulier un sujet qui lui tenait nu cœur, les probabilité de l'origine asiatique de la civilisation égyptienne.

Jacques de Morgan joignait aux dons physiques ceux de l'intelligence : d'esprit sportif et aventureux, il n'hésita jamais devant les expéditions périlleuses, les longues randonnées à cheval, sous les climats les plus excessifs et sans la moindre recherche du confort. Il ne se lassa jamais non plus de l'étude laborieuse, du perfectionnement de ses talents de peintre et de dessinateur ; il ne ménagea jamais sa peine pour faire connaître ses recherches, ses idées, ses découvertes et ses hypothèses, y employant toute sa verve de causeur et d'écrivain. Il sut remplir sa vie et l'extérioriser. Il nous apparaît comme un des hommes les plus complets de notre temps, comme une des personnalités les plus marquantes sorties de l'Ecole Supérieure des Mines de Paris.

R. de Mecquenem.

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A l'occasion du 150 ème anniversaire de sa naissance, le Musée national de l'archéologie de Saint-Germain en Laye a organisé une exposition intitulée :
"Jacques de Morgan (1857-1924), conquistador de l'archéologie" Du samedi 15 décembre 2007 au lundi 5 mai 2008
avec le commentaire suivant :
Voyage en Orient.
Le 150e anniversaire de la naissance de Jacques de Morgan est pour le musée d’Archéologie nationale l'occasion d’évoquer sa carrière scientifique et de rendre hommage à l’un de ses plus généreux donateurs. Il s’agit en effet d’une personnalité emblématique de la recherche archéologique française à l ’étranger de la seconde moitié du XIXe siècle.
Son inlassable activité a permis le développement des travaux de terrain au Proche et Moyen-Orient avec la découverte de sites ou de niveaux archéologiques majeurs, tant au Caucase qu’en Egypte ou en Iran…
Homme d’une époque où le partage du produit des fouilles n’est pas encadré par les règlements que l ’on connaît aujourd’hui , Jacques de Morgan a aussi tissé des liens indéfectibles avec l’ancien musée des Antiquités nationales et il convient de souligner qu’il demeure le donateur le plus important du département d’archéologie comparée.

A lire notamment : "Exploration dans la presqu'île malaise, par Jacques de Morgan, 1884". Auteur : Andrée Jaunay, avec les contributions de Christine Lorre (conservateur du département d'archéologie comparée du musée des Antiquités nationales et commissaire de l'exposition), Antonio Guerreiro et Antoine Verney. Préface de Geneviève Dollfus. Avant-propos de Christain Pelras. Publié par CNRS Editions.

Citation du site web http://www.crda-france.org/fr/2armenologie/jacquesdemorgan.htm (Nil Agopoff) :
Jacques de Morgan a effectué son premier voyage en Arménie orientale (l'actuelle République d'Arménie) en 1887 en tant qu'ingénieur-géologue.
Travaillant dans les mines d'Alaverdi , J. de Morgan a réalisé des fouilles dans le bassin de Débed , ainsi qu'à Airoum et à Akhtala en découvrant 956 tombes , datant du X°-VII° siècles avant J.C.
En 1909 ayant déjà une renommée d'archéologue, le savant français étudia, au cours de sa mission scientifique au Caucase, l'âge de pierre en Arménie.
Son dernier livre "L'Histoire du peuple arménien" édité à Paris en 1919 avec la préface de Gustave Schlumberger et réédité récemment par Edmond Khayadjian, est très richement illustré. L'on y trouve un exposé très bien documenté de l'histoire de l'Arménie "depuis les temps les plus reculés de ses annales jusqu'à nos jours".
"L'histoire, je l'ai déjà dit, - écrit J. de Morgan, n'est pas en droit de parler de l'avenir. Quoi qu'il en soit de l'issue de cette guerre sans merci entre la nation arménienne et ses oppresseurs, le souvenir de cette lutte demeurera comme l'une des plus belles pages de l'annales du peuple de Haïk. Par constance dans les malheurs sans nom dont elle a été victimes, l'Arménie mérite une glorieuse place dans le récit de la guerre mondiale".

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Les organisateurs de l'exposition de 2008 du musée d'archéologie de Saint-Germain en Laye ont rappelé que "Son inlassable activité a permis le développement des travaux de terrain au Proche et Moyen-Orient avec la découverte de sites ou de niveaux archéologiques majeurs, tant au Caucase qu’en Egypte ou en Iran… Homme d’une époque où le partage du produit des fouilles n’est pas encadré par les règlements que l ’on connaît aujourd’hui , Jacques de Morgan a aussi tissé des liens indéfectibles avec l’ancien musée des Antiquités nationales et il convient de souligner qu’il demeure le donateur le plus important du département d’archéologie comparée".

Nous avons aussi emprunté à cette exposition une liste de contacts de Morgan, ainsi que quelques images ci-dessous.  

Liste des principales relations professionnelles de Morgan :

ALLOTTE de la FUYE, colonel François Maurice. Assyriologue, président de la société française de numismatique

d'AULT du MESNIL Geoffroy. Officier d'état-major, érudit, archéologue

de BARTHELEMY Anatol. Numismaticien, secrétaire de la commission de topographie des Gaules


(C) Musée d'Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye
BREUIL, abbé Henri. 1er titulaire de la chaire d'ethnographie de l'Institut de paléontologie humaine fondée par le prince Albert 1er de Monaco

BERR, Henri. Erudit et fondateur de la Revue de synthèse historique. Il édite les derniers livres de Morgan.

BLANCHET Adrien. Bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. Président de la société des antiquaires de France et de la société française de numismatique. Directeur de la Revue de numismatique

CHARMES Xavier. Chef du bureau des missions du ministère de l'instruction publique jusqu'en 1897. Il soutient constamment Morgan : il l'aide à publier ses missions, le pousse pour ses nominations en Egypte et en Perse, lui fait octroyer les Palmes académiques dès 1883 (26 ans).

CAPITAN, Dr Louis. Titulaire de la chaire d'anthropologie de l'Ecole d'anthropologie et de la chaire d'américanisme du Collège de France. Il identifie avec Morgan le Capsien d'Afrique du Nord. C'est l'un des tout derniers amis de Morgan dans les dernières années de sa vie, avec E. Pottier et Reinach ; il soigne Morgan et l'héberge rue des Ursulines à Paris

CARTAILHAC Emile. Organisateur de colloques sur la préhistoire

FEUARDANT Félix. Marchand d'art et numismathe

Docteur FOUQUET. Anthropologue. Il travaille avec Morgan.

FUCHS Edmond. Professeur à l'Ecole des mines

GAYET Albert. A la demande de Emile GUIMET, il mène des fouilles à Antinoé en Egypte

de GENOUILLAC, Abbé Henri de. Assyriologue, fouille des sites en Irak : Kish et Tello

GOODYEAR William Henry. Historie de l'art, 1er directeur du Brooklyn Museum à New York

GUIMET Emile. Industriel lyonnais. Fondateur d'un musée à Lyon ainsi que du précurseur du musée des arts asiatiques de Paris

HAUSSOULLIER Bernard. Helléniste, archéologue, épigraphiste. Membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres


(C) Réunion des Musées nationaux, agence photographique des musées nationaux

HEUZEY Léon. Helléniste. Conservateur adjoint des antiquités grecques du Musée du Louvre, puis créateur du département des antiquités orientales

HUBERT Henri. Spécialiste de l'histoire comparée des religions


HOMOLLE Théophile. A fouillé Delphes et Délos. Directeur de l'Ecole française d'Athènes. Directeur des musées nationaux puis administrateur de la Bibliothèque nationale. Il rend hommage à Morgan en 1922, alors que Morgan a perdu la plupart de ses amis

de LAPPARENT Albert Auguste. Professeur de géologie, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences

JÉQUIER Gustave. Egyptologue suisse. Collaborateur de Morgan, en Egypte d'abord et ensuite à Suse.

LAMPRE Gaston. Archéologue de la Perse, collaborateur de Morgan

MASPERO Gaston (1848-1916). Directeur du service des Antiquités de l'Egypte, puis professeur au Collège de France. Secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles lettres. D'abord un ami et protecteur de Morgan, il prend ensuite ombrage lorsque Morgan fait des découvertes prometteuses en Egypte et en Perse. Il s'opposera à l'élection de Morgan à l'Académie des inscriptions et belles lettres.

de MECQUENEM Roland. Ingénieur civil des mines, archéologue, adjoint de Morgan de 1903 à 1912 puis son successeur en Perse de 1912 à 1946

de MORTILLET Adrien. Fils de Gabriel de Mortillet. Préhistorien.

POTTIER Edmond. Helléniste, archéologue. Conservateur au Musée du ouvre. Directeur de deux revues. Il étudie et publie les vases en terre cuite les plus anciens de Suse (4000 ans avant J.C.). Pottier est l'un des derniers amis fidèles de Morgan dans les toutes dernières années de sa vie.

PELLIOT Paul. Sinolouge célèbre, il découvre les textes des fondateurs du bouddhisme

REINACH Salomon. Philologue et archéologue. Il dirige le musée des antiquités nationales et la Revue archéologique. Membre de l'Institut, il supporte avec enthousiasme Morgan, mais n'arrive pas à le faire entrer à l'Institut, même pas comme membre correspondant, à cause de l'opposition de Maspéro. Reinach apprécie tout particulièrement la donation spectaculaire de 30.000 objets par Morgan, qui permet de créer une nouvelle salle d'archéologie comparée au Musée de Saint-Germain en Laye.

Marquis de REVERSEAUX de ROUVRAY (Jacques Marie Ferdinand Frédéric GUÉAU). Consul général de France en Egypte de mars 1891 à avril 1894, il doit s'occuper de la succession de GRÉBAUT à la tête du service des antiquités d'Egypte, ce dernier étant jugé mauvais administrateur. Il s'oppose alors astucieusement au retour de Maspéro au Caire (jugé trop proche des anglais) et facilite l'arrivée de Morgan au Caire et son travail sur place. Il deviendra par la suite ambassadeur de France à Madrid (1894-1897), puis à Vienne (1897-1907).

SCHLUMBERGER Gaston. Archéologue, numismathe, bizantiniste. Fondateur de la Société historique et du Cercle Saint Simon. Membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres. Un prix d'archéologie conserve son nom

SCHEIL, R.P. Jean Vincent (1858-1940). Dominicain orientaliste et épigraphiste. Assyriologue et professeur à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes. Il travaille à Suse avec Morgan à partir de 1898, comme interprète. Il traduit et publie en 1902 le code d'Hammourabi qui avait été découvert par Morgan. Dix ans plus tard, il continue à travailler avec Morgan au classement et à l'interprétation des objets rapportés de Perse. Après le départ définitif de Morgan de Suse, Scheil continue à publier les découvertes de Mecquenem à Suse. Il devient membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres en 1908, tandis que Morgan n'obtiendra pas cet honneur.

SETON-KARR W.H. Archéologue englais

SPERING H.G. Archéologue englais spécialiste de la Mésopotamie

VAN GENNER Arnold. Ethnologue et folkloriste français


WEILL Raymond Charles Isaac (1874-1950). Polytechnicien de la promotion 1892, Archéologue. Capitaine du génie en 1902, il quitte l’armée à la suite de l'affaire Dreyfus pour se consacrer aux études de l’orientalisme et spécialement de l’égyptologie. Diplômé de l’École pratique des hautes études, docteur ès lettres. Il fait de nombreuses campagnes de fouilles, au Sinaï (collaborateur de PETRI), en Egypte (Koptos, où il collabore avec Salomon REINACH), en Palestine où il retrouve la nécropole royale de la cité de David. Blessé en 1915. Il est nommé directeur de l’École pratique des hautes études en 1918, et en 1925, il fonde la Société française d’égyptologie. Secrétaire de la Revue d’égyptologie. Chargé de cours d’histoire ancienne à la faculté des lettres de Paris (1928). Alors qu’il est à la retraite, il participe encore à trois campagnes de fouilles en Moyenne Egypte

WIEDEMANN Alfred (1856-1936). Professeur égyptologue. Il étudie, à la demande de Morgan, les rites funéraires à la lumière des données recueillies avec le tombeau royal de Nagada


Localisation des fouilles françaises en Egypte


Quelques objets trouvés en Perse en 1889-1891, exposés au musée d'archéologie de Saint-Germain en Laye





 

Jacques de Morgan, élève-externe de l'école des Mines

par Lydie Touret


Texte publié en mars 2009. Reproduit avec l'autorisation de l'auteur

«L'École des mines m'ouvrait ses portes bienveillantes» (Jaunay, 1997, p. 113)

En 1875, à Lyon, un jeune adolescent au caractère affirmé, ayant rompu les liens qui le rattachaient à la servilité du collège, libre et agissant suivant son propre arbitre, se présente au baccalauréat. Très fort en géométrie descriptive, arithmétique, histoire-géographie et latin, «singulier mélange» aux dires de ses professeurs, Jacques de Morgan échoue par malheur à l'épreuve de philosophie. Invité par l'examinateur à traiter comme sujet «L'intérêt n'est pas une loi de conduite» (Jaunay, 1997, p. 108), Morgan, comme il le dit lui-même, entendant le contraire et le démontrant péremptoirement, indigna l'interrogateur. L'argumentation du jeune candidat entraîna alors une altercation et lui valut un zéro pointé. Quand il revint en Normandie, l'accueil paternel fut glacial et la réaction sans appel. Après des années d'insouciante jeunesse, il fallait passer aux choses sérieuses. D'abord une «boîte à bachot», rue de Rennes, dirigée par un certain Alfred Léon Duvigneau, qui était aussi directeur d'une école préparatoire à l'École centrale des arts et manufactures, puis le choix d'un avenir : il s'agissait de «gagner sa vie». Voulant «être quelqu'un», Morgan choisit d'intégrer une école d'ingénieurs.

La sélection à l'entrée des «Grandes Écoles» était déjà la règle, mais sous une forme assez différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Pas de classes préparatoires dans les lycées ou, bien sûr, de «concours commun», mais plutôt des petites structures, directement gérées par les Écoles, avec intervention de leurs propres professeurs. L'école de la rue de Rennes, qui permit à Jacques de Morgan d'obtenir en moins d'un mois le baccalauréat avec mention très bien, devait donc normalement le conduire à l'École centrale. Mais il ne fait pas mystère des raisons qui lui ont fait préférer l'école des Mines, dans des termes qui dénotent un sentiment très profond d'appartenance à un certain milieu aristocratique : «Centrale était plus industrielle, les Mines... plus scientifiques. Le public de Centrale était très mélangé, peu distingué et j'avais horreur du voyou, celui des Mines se tenait mieux... J'allais visiter les deux écoles; dans l'une, je vis des élèves en grande blouse blanche et sale vêtus comme des contremaîtres; dans l'autre, c'était des messieurs qui se rendaient au cours» (Jaunay, 1997, p. 110). En outre, les classes sont beaucoup plus petites (vingt-sept élèves contre plusieurs centaines) et les professeurs plus «de son monde... tous ingénieurs du gouvernement, souvent membres de l'Institut», alors que ceux de Centrale, «grands savants il est vrai, sortaient d'un peu partout». Son choix est donc fait et «ayant travaillé comme il convenait, [il fut] reçu d'emblée au cours préparatoire après huit mois d'études».

L'âge d'or de l'école des Mines

À l'automne 1876, au moment où Jacques de Morgan s'apprêtait à suivre le programme très chargé et sélectif de l'année préparatoire, l'école des Mines de Paris était un centre d'enseignement et de recherches de dimension véritablement mondiale. Elle avait été envoyée dans les Alpes par Napoléon de 1801 à 1814, sans financement propre, mais avec la nécessité de subvenir à ses besoins par l'exploitation de la mine de Pesey. À son retour à Paris, les gouvernements successifs s'étaient montrés très généreux, lui affectant le superbe hôtel de Vendôme et le transformant complètement, par de grands travaux qui se poursuivirent pendant une bonne trentaine d'années. L'École prit alors le visage qu'elle a conservé jusqu'à nos jours. Les aménagements intérieurs, retardés par les grands projets du Baron Haussmann, étaient pratiquement terminés en 1855, date de la première Exposition universelle, qui, avec celle de 1867, comptèrent parmi les grands événements du Second Empire. Les professeurs de l'École furent directement associés à ces grandes manifestations, qui ont laissé de nombreuses traces encore visibles aujourd'hui : peintures murales de l'escalier d'honneur du Musée, échantillons ou objets laissés à l'École au terme des expositions, etc. Une réputation internationale attira à Paris des élèves venus du monde entier. En 1876, lorsque Morgan est admis à suivre les cours préparatoires, le «grand homme» de l'école des Mines, Armand Léonce Élie de Beaumont (1798-1874) vient de disparaître, remplacé par son pâle second, Alexandre-Emile Béguyer de Chancourtois (1820-1886). Mais le désastre de 1870 va paradoxalement donner une nouvelle impulsion. Il faut remplacer les mines perdues dans les provinces annexées, ce qui sera bientôt réalisé avec le fer de Lorraine et le charbon du Nord. Après une période difficile pendant la Commune, la vie normale reprend en 1872, avec un renouvellement complet du corps professoral. Maison mère du Corps des Mines, premier corps technique de l'État, l'école retrouve alors un éclat qu'elle gardera pendant tout le XXe siècle (Aguillon, 1889).

Une préparation difficile

Même si la sélection à l'issue des classes préparatoires apparaît relativement moins sévère qu'aujourd' hui, la concurrence est rude, comme Jacques de Morgan va en faire l'amère expérience. Les élèves passés par cette filière portent le nom « d'élèves externes », complétant pour chaque promotion le petit nombre d'élèves réguliers issus de l'École polytechnique.

Les cours préparatoires sont assurés par des professeurs de l'École, le plus souvent nouvellement nommés, sauf pour les mathématiques et la physique. Comme aujourd'hui, ces deux matières jouent un rôle-clef lors de la sélection du concours, et il vaut mieux les réserver à des hommes d'expérience, préfiguration des futurs professeurs des classes préparatoires. D'une façon générale, Morgan porte un jugement très favorable sur ses maîtres « tous des hommes de grande valeur, très bienveillants, très complaisants, toujours prêts à nous aider de leurs conseils, même en dehors des leçons » (Jaunay, 1997, p. 113). Deux d'entre eux, qui tous deviendront directeurs de l'École, le marquent particulièrement : Adolphe Carnot, neveu du thermodynamicien et frère du futur président de la République, Sadi Carnot, qui enseigne la chimie, et surtout Edmond Fuchs - «quel aimable homme, quel charmeur» (Jaunay, 1997, p. 115) -, qui enseigne la stéréotomie, avant de bientôt créer une nouvelle discipline, la métallogénie. Morgan devient un proche de la famille, étant souvent invité au salon de Madame Fuchs, où il rencontre entre autres tous les grands musiciens de l'époque. Mais les cours de physique et surtout de mathématiques ne l'enthousiasment guère. Bien que conscient de la lourdeur du programme, il s'évade fréquemment vers le laboratoire de Paléontologie, où il peut développer à loisir un amour pour les fossiles. C'est là, notamment, qu'il fait la connaissance d'Henri Douvillé (1846-1937), qui était alors jeune assistant et qui deviendra son ami fidèle.

Mais la paléontologie ne fait pas partie du calendrier de la classe préparatoire et, à son grand désappointement, le verdict des professeurs ne lui est pas favorable. Faute de moyenne suffisante en mathématiques en physique, il n'est classé que vingt-et-unième. Cette année-là, il n'y a que quatorze admis, donc il ne passe pas dans l'année supérieure. Il se justifiera plus tard de ce déboire en avançant que «mes Professeurs m'avouèrent qu'avant les examens mêmes, mon sort était décidé. Je n'avais que dix-neuf ans... » (Jaunay, 1997, p. 118).

Son père ne lui tint cependant pas rigueur de cet échec. Bien au contraire, il l'emmena visiter de nombreux sites fossilifères, en particulier les gisements de trilobites de la région de May, en Normandie. Ce premier contact avec des restes cambriens lui sera plus tard d'un grand secours lorsqu'il découvrira les faunes exceptionnelles de l'Europe centrale.

Morgan était certes autorisé à redoubler la classe préparatoire, mais il dut auparavant satisfaire à ses obligations militaires. Il avait demandé un sursis jusqu'à la fin de ses études, mais les « bureaucrates de Rouen, voulant faire un mauvais tour à un Monsieur portant particule » (Jaunay, 1997, p. 118), le firent appeler dès l'obtention des résultats. Fort heureusement, l'admission à la classe préparatoire, qui lui était conservée, lui accordait le régime du «volontariat», c'est-à-dire la possibilité de n'effectuer qu'un an (au lieu des sept du service normal) dans l'arme de son choix. Sur les conseils de son père, il choisit le Génie, partant avec beaucoup d'appréhension pour la caserne d'Arras au plus fort de l'hiver 1877. Cet hiver fut glacial et, entre exercices, gardes et nuits sans chauffage sous les combles, Morgan commença par attraper une forte bronchite qui l'envoya pour un mois à l'hôpital militaire. Pourtant, en dépit de ces débuts difficiles, son expérience militaire ne lui laissa pas que des mauvais souvenirs : «Je sortis du régiment sachant très bien la topographie et ayant acquis sur la fortification, la balistique et l'artillerie des connaissances très suffisantes pour être à même de les employer plus tard» (Jaunay, 1997, p. 124). Il s'était aussi beaucoup exercé au dessin, avec un camarade des beaux-arts, Devienne, «sans négliger aussi la géologie et l'archéologie». En un mot, il semble bien que son expérience militaire lui ait été très utile pour la suite de sa carrière. Toujours est-il qu'il revient fin 1878 à Paris avec un esprit nouveau et une maturité qui, désormais, sera un trait marquant de sa personnalité. Il retrouve ses anciens professeurs et soigne son personnage, menant à côté de son «travail habituel» une vie mondaine très active : «je passais mes heures libres à la Sorbonne, au Muséum, dans les Musées, mais en même temps dans les salons et aussi les cabarets à me distraire». Cette fois, bien qu'il n'ait pas hésité à entreprendre un grand voyage en Angleterre avant son examen final, ce régime lui réussit bien, puisqu'il est reçu quatorzième, sur vingt-deux candidats admis d'après le compte rendu d'examen conservé dans les archives de l'école des Mines. La concurrence avait été vive, puisqu'il y avait près de cent inscrits, dont quarante issus de l'École polytechnique. Ses notes d'admission sont moyennes en mécanique, satisfaisantes en physique et chimie, mais basses en géographie (8,5 avec un coefficient 40, soit 2,1/10), bien que son goût pour les grands voyages, qui ne cessera de s'affirmer, puisse faire penser que cette matière aurait dû avoir sa prédilection.

Enfin admis : première année d'École (1879-1880)

En fonction d'une formule qui n'a guère varié au cours des âges, l'enseignement à l'école des Mines, notamment pour les ingénieurs-élèves, futurs membres du Corps des Mines, comporte deux entités bien distinctes et complémentaires : des cours magistraux, dispensés (à la différence des cours préparatoires) uniquement par les professeurs de l'école, et des stages pratiques, prenant souvent la forme de grands voyages de découverte pendant les mois d'été séparant les trois années passées à l'école. Fin 1879, Morgan entame sa première année d'élève-ingénieur externe, avec un plaisir non dissimulé : « cette fois, j'y trouvais beaucoup plus de satisfaction que par le passé. On m'enseignait la géologie, la minéralogie, la paléontologie, l'analyse chimique et de nombreuses autres choses selon mes goûts» (Jaunay, 1997, p. 126). L'école était alors dirigée par Gabriel Auguste Daubrée (1814-1896), qui avait repris sur la scène française la place occupée quelques dizaines d'années plus tôt par Élie de Beaumont. Comme son prédécesseur, il était en titre professeur de minéralogie à l'école, mais, suivant une tradition solidement établie, n'y donnait aucun cours, se faisant suppléer par Louis Mallard (1833-1894), cristallographie de renom. En revanche, il avait considérablement développé les laboratoires, créant une nouvelle discipline, la géologie expérimentale, qui lui assure encore aujourd'hui une bonne notoriété. Dans ses mémoires, Morgan le tient en haute estime : «un homme grand, mince, rasé, très sensible et très bon».

Au cours de cette scolarité, il passe ses examens sans trop de problèmes, tout en donnant l'impression d'être un élève ni particulièrement brillant, ni très assidu : huitième sur douze lors d'un classement intermédiaire, avec une note relativement faible en mécanique, comme lors du concours d'entrée. Surtout, en assiduité, il n'obtient que 5,5/10, alors que la plupart de ses camarades ont le maximum de 10. Il doit repasser deux «moyennes» en analyse-mécanique et en physique. Cette opération de rattrapage se répétera en juin 1880, lors du classement de fin d'année. Il termine sa première année dans une honnête moyenne, onzième sur vingt-deux, devant repasser minéralogie et docimasie (analyse des minéraux). Manifestement, il n'est pas très attiré par les disciplines à dominante physico-chimique, mais marque beaucoup plus d'intérêt pour l'observation paléontologique ou stratigraphique. Ces matières ne sont enseignées qu'en seconde année, et il retrouvera alors avec plaisir Henry Douvillé, cette fois en tant qu'élève-régulier, non plus transfuge des classes préparatoires. Douvillé, qui deviendra l'un des premiers paléontologistes français, déployait alors une activité débordante pour faire de la collection de fossiles de l'école l'une des premières au monde, comme son collègue Zeiller le faisait pour la paléontologie végétale. Dés qu'il le peut, Morgan s'absente des cours pour venir trier les fossiles, au point de devenir bientôt un praticien émérite.

Premiers voyages d'instruction

Les stages de terrain, autre donnée incontournable de la formation à l'École, vont bientôt donner au futur ingénieur l'occasion de donner toute la mesure de sa personnalité. Pour son premier voyage d'étude, pendant l'été 1881, M. Dupont, inspecteur de l'école, lui enjoint de visiter la région de Liège, en Belgique, pour y étudier les mines de zinc de la Vieille-Montagne. Mines qui étaient alors très importantes, fournissant l'essentiel du métal couvrant les toits parisiens. Il devait également s'intéresser aux installations métallurgiques de traitement de minerai. Morgan ne restera qu'une dizaine de jours dans la métropole wallone car, en dépit de son amitié pour Edmond Fuchs, il ne se sent guère attiré par la mine métallique. De son propre aveu, il réussit à soudoyer, moyennant finances, un élève de l'école des Mines de Liège, à qui il demande tout simplement d'effectuer le stage à sa place. Ce dernier fera du reste un travail très sérieux, avec des croquis très détaillés de galeries minières, de fours ou de machines métallurgiques, que Morgan reprendra sans sourciller à son compte (cf figure). Le rapport, remis à l'extrême limite des délais autorisés, donnera entière satisfaction à Monsieur Dupont (Jaunay, 1997, p. 131-132). La supercherie a dû être bien organisée, car si les instructeurs de l'École ne pouvaient rencontrer les élèves sur leur lieu de stage, ces derniers étaient astreints à envoyer au Conseil de l'École un compte rendu précis de leur journal de voyage. L' envoi devait se faire par chapitres successifs à partir d'endroits indiqués par avance, complétés par des échanges de courrier. On ne sait trop comment Morgan a pu répondre à de telles obligations. Probablement avait-il écrit à l'avance un certain nombre de lettres, régulièrement envoyées par son acolyte. Toujours est-il que l'École ne s'est aperçue de rien. Mais, pendant tout ce temps, il réalisait son grand projet, qu'il avait d'abord soumis à l'École mais qui lui avait été refusé par le sévère M. Dupont : visiter la Scandinavie, notamment les terrains Crétacés du Danemark et surtout de Suède, «afin d'y faire des travaux que je puisse imprimer et qui me soient utiles pour l'avenir» (Jaunay, 1997, p. 131). Ce programme fut réalisé point par point, avec une efficacité stupéfiante : visite des trois pays Scandinaves, en ajoutant au Danemark et à la Suède la Norvège, de Christiana (Oslo) jusqu'à Bergen. En fait, il s'intéresse surtout à un seul étage stratigraphique, le Crétacé, accumulant données géologiques et paléontologiques. Dés son retour, il s'attachera à rédiger un mémoire «Sur les terrains Crétacés de la Scandinavie», soumis à la Société Géologique de France et qui paraîtra en 1882, l'année même où il obtient le diplôme d'ingénieur des mines.

Mais il lui faut d'abord satisfaire à ses obligations scolaires. De la Norvège, un bateau le ramène jusqu'à Anvers, d'où il pourra encore passer une dizaine de jours à Liège, «afin de me rendre compte par moi-même de ce que j'allais remettre à l'École» (Jaunay, 1997, p. 134). Comme, après la remise du rapport, il restait encore une dizaine de jours avant la rentrée, il trouva le moyen de retourner en Belgique, afin d'aller étudier les affleurements crétacés de la région de Mons. Conscient cette fois d'avoir plus que transgressé le règlement, il ne dit mot à son école et transmet le résultat de ses recherches à Albert de Lapparent, directeur de l'Institut catholique.

On peut regretter que l'administration de l'école des Mines n'ait pas fait preuve de plus de discernement en autorisant officiellement Morgan à réaliser son rêve Scandinave. Le fruit des récoltes de ce voyage clandestin aurait pu profiter à l'établissement, chaque élève ayant pour mission d'enrichir les collections. Cette fois, Morgan ne put évidemment déposer les échantillons de son périple à l'école. Ce fut l'université catholique qui en fut la principale bénéficiaire, ainsi que Morgan lui-même qui, pour subvenir aux frais de son voyage, vendit une importante collection de silex taillés qu'il avait rapportée de Scandinavie.

Fin des années d'études :
la découverte de l'Europe centrale

A partir de la seconde année, les cours de l'école des Mines tiennent de plus en plus de la routine. Quelques professeurs, notamment M. Haton de la Goupillière (1833-1927), qui a laissé un monumental traité d'exploitation des mines, sont omniprésents, enseignant pour ce dernier, outre l'exploitation des mines, la topographie, la métallurgie et les chemins de fer (qui deviendront en 1884 un cours d'artillerie, annonçant les orages à venir). Pour toutes ces matières, la formation reçue à l'armée est manifestement d'un grand secours. Quant aux disciplines plus scientifiques, comme la minéralogie ou la docimasie (analyse chimique des minerais), Jacques de Morgan n'y consacre que le strict minimum.

Cette agréable vie d'étudiant se poursuit pendant sa dernière d'année à l'école, jusqu'à l'obtention de son diplôme, qui lui est décerné en juin 1882 (délivré le premier juillet 1882). En tant qu'élève externe, il est « élève breveté de l'école nationale des Mines de Paris ». Bien qu'il ait mis un point d'honneur à passer ses derniers examens dans les meilleures conditions possibles («Ma dernière année à l'Ecole fut une année de grand travail») (Jaunay, 1997, p. 147) et qu'il soit très satisfait de son classement de sortie (septième sur vingt-sept) (Fig. 22), il est évident que, depuis longtemps, ses activités extra-scolaires avaient pris de plus en plus d'importance. Dès qu'il a un instant libre, il va au Muséum, continue de suivre les cours d'archéologie de Georges Perrot (1832-1914) à la salle Gerson, assiste aux séances de la Société Géologique de France ou, surtout, travaille aux publications, issues de ses voyages personnels, qu'il réussit à faire paraître alors qu'il n'est encore qu'en première année de cours préparatoire. Admis comme membre de la Société Géologique de France, le 4 janvier 1877, grâce à Henry Douvillé, il y donne son premier travail, «Notes sur les terrains Crétacés de la vallée de la Bresle», concernant des terrains qu'il a parcourus et reconnus avec son père alors qu'il n'était que lycéen. Cette note paraît en 1879, dans le Bulletin de la Société Géologique de France, Série III, tome VII, p. 197.


Classement de sortie de Jacques de Morgan
On voit qu'il a eu comme camarade de promotion Eugène Guillet de la Brosse, grand industriel qui a développé les Ateliers et Chantiers de Bretagne

À l'issue de son périple belgo-scandinave, les choses deviennent plus sérieuses, et le Mémoire sur les terrains crétacés de la Scandinavie, dont la rédaction a dû lui prendre une bonne partie de sa seconde année d'étude, paraît comme il a été dit en 1882. Entre temps, il a réalisé son autre grand dessein, lui consacrant les cinq mois de stage qu'il qualifie de «vacances» entre la seconde et la troisième année. Cette fois, il n'a pas eu à biaiser. L'administration de l'école des Mines lui demande deux mémoires, dont un sur les mines de Przibram, siège de l'école des Mines de l'empire autrichien. Mais il a aussi le projet plus ambitieux de refaire pour la Bohême le travail qu'il avait fait en Scandinavie.

De Paris, Morgan se rend à Vienne, puis à Prague. Là, il oublie très rapidement le vrai but de sa mission, les gisements de plomb argentifères de Przibram, ne leur consacrant qu'un peu plus d'une semaine (cf figure). Puis, en dilettante, il entreprend une incursion en Europe centrale, au sens large, faisant notamment de nombreuses équipées vers Trieste, Venise, Dresde, Budapest, Bucarest, Cracovie. Il pénétrera même illégalement sur le territoire russe dans la région de Lemberg (Lvov), étant vite reconduit à la frontière par les gardes forestiers.


Croquis de la main de Jacques de Morgan de la ville de Pzibram, dans le journal de voyage de 1881

Finalement, c'est à Prague qu'il restera le plus longtemps, abandonnant cette fois les terrains Crétacés, objets jusqu'alors de toutes ses attentions, pour s'intéresser aux terrains plus anciens du Cambro-Silurien, qui renferment les célèbres trilobites. Le grand homme de la région est un français, Joaquim Barrande (1799-1883), avec lequel il se sent probablement quelques affinités électives : ingénieur comme lui, diplômé de l'École des Ponts et Chaussées en 1824, Barrande s'était senti une autre vocation, l'étude des sciences naturelles, tout en devenant le précepteur du Duc de Bordeaux, Comte de Chambord et petit fils de Charles X. Les hasards de la politique, le fait du prince (il fut congédié sans ménagement en 1833) et une vie mouvementée l'avait amené à Prague, où il resta pendant plus de trente ans, consacrant toute sa vie et sa fortune - près d'un million de florins, dit-on - à la description des faunes siluriennes de la Bohême. C'est à ce grand personnage, alors âgé de près de quatre-vingt ans, que Morgan s'adresse pour être introduit auprès des concessionnaires du district minier de Przibram. Barrande, très aimablement, lui donne également tous les éléments pour écrire une Géologie de la Bohème (1882, Paris, J. Baudry éd., 167 p.) qu'il terminera pendant sa dernière année d'étude et «aura la satisfaction de l'offrir à ses professeurs quelques semaines avant ses examens de sortie» (Jaunay, 1997, p. 147).

Alors qu'il menait à Prague la vie agréable d'un étudiant aristocrate au contact de la bonne société autrichienne, une rencontre fortuite avec un ancien des Mines lui donne l'occasion de réaliser son second mémoire. Il est invité à visiter la mine d'or d'Eule (ou Eulé), alors exploitée par une société française. En fait, on le considère, non comme un étudiant, mais comme un spécialiste confirmé, qui pourra faire profiter la société de ses connaissances. Morgan s'investit pleinement dans ce travail, prenant des notes, levant des profils, participant aux essais d'or au mercure, etc. Quelques lignes de ses mémoires montrent toutefois qu'il n'a pas abandonné le goût des plaisanteries estudiantines. Le directeur de la mine et principal actionnaire, le vicomte de la Panouse, vint un jour le voir dans son laboratoire, pour participer à des analyses de minerais. Celles-ci impliquent l'utilisation du mercure, qui fait avec l'or un amalgame. Morgan se garda bien d'indiquer au vicomte qu'il ferait mieux d'ôter sa belle bague, qui disparut tout simplement dans le minerai, donnant une teneur extraordinairement élevée. Enthousiasme du directeur, mais silence de Morgan, qui ayant trouvé lors des manipulations une pierre armoriée dans le produit de réaction, avait tout compris. Ayant constaté l'absence de la bague, le vicomte crut qu'il l'avait oubliée dans sa chambre, et ne s'en préoccupa plus. Ce n'est qu'après le déjeuner que Morgan, d'un air moqueur, ressortit la pierre enchâssée dans une masse noirâtre, suggérant de refondre le tout pour retrouver la bague. Il ne semble pas qu'il lui en ait été tenu rigueur, car il sera amené à diriger pendant quelque temps les travaux techniques de l'exploitation. Comme à son habitude, le rapport final sera rapidement exécuté, mais Morgan soigne ses relations avec l'administration de l'école des Mines. Le 24 août 1881, il fait parvenir à l'École une collection très complète de roches et minerais de la mine (Musée Ensmp Cat. 1696) : au total vingt-sept échantillons de roches («Thonschiefer») et surtout de minerais, essentiellement pyrite aurifère, en donnant les teneurs (22 à 45 grammes/tonne) et en insistant sur les échantillons renfermant de l'or natif visible. Rédigées sur le beau papier à en-tête bilingue (français-tchèque) de la mine (cf figure), les descriptions et commentaires sont suffisamment précis et détaillés (localisation, définition pétrographique, teneurs, mode de traitement) pour pouvoir être encore utilisables aujourd'hui, si l'on voulait entreprendre de nouvelles prospections dans la région.


Début de la lettre manuscrite de Jacques de Morgan annonçant l'envoi d'échantillons de la mine d'or d'Eule

Morgan sait aussi se mettre en valeur dans la lettre adressée à «Monsieur l'Inspecteur», accompagnant la liste des échantillons, mais rédigée un mois plus tard (24 septembre 1881). Toujours écrite sur le même papier à en-tête, il indique que «pendant quelque temps, quinze jours environ, les ingénieurs étant absents, j'ai été prié de [les] remplacer et de diriger les travaux, aussi bien dans la mine que la superficie, soit pour l'exploitation, soit pour les constructions de bâtiments, routes et dérivations d'eau.» (Musée Ensmp Cat. 1696 n° 152). Il tente aussi de justifier le temps séparant les deux missives, par des arguments qu'ont entendu tous les enseignants qui ont eu à juger de ses travaux sur le terrain : «J'ai bien tardé de faire l'envoi que j'ai eu l'honneur de vous annoncer il y a un mois, mais j'ai préféré choisir les échantillons et n'envoyer que des choses intéressantes.»


Coupe de Lochkov, extrait du Journal de voyage aux mines d'or d'Eule (Ms 662/1)

Tous ces efforts n'auront qu'un résultat mitigé. Les monographies sont hâtivement terminées la veille de son retour, pour être remises le jour de la rentrée à l'officier surveillant. En revanche il déposera le 29 décembre 1881, accompagné d'une lettre d'excuses, «un traité de Géologie de la Bohême» qui ne lui avait pas été demandé, mais qui est beaucoup plus élaboré (cf figure). Il s'agît en fait d'un journal de voyage illustré, constitué de deux cahiers de respectivement quatre-vingt treize et soixante dix-neuf pages, qui témoigne d'un travail considérable : «nous avons lu tous les écrits en langue française, allemande, et tchèque en vérifiant pour ainsi dire chacune des pages sur le terrain et nous éclairant des conseils de messieurs Barrande, Thierot, Novak, Fric, Posepny, Feistmantel. » (BIB-Ensmp-1882/2 662).

L'administration de l'Ecole ne tient guère compte de ce travail, considéré comme superflu, ni des contacts privilégiés qu'il a su établir avec Barrande. Ne considérant que ce qui lui avait été imposé par l'irascible Monsieur Dupont, on ne lui décerne qu'une note moyenne, 15,5, sans le proposer pour le prix (300 francs) du «meilleur journal de voyage réalisé par les élèves externes de seconde année», ni même «pour insertion dans les Annales», comme cela se faisait pour bon nombre d'élèves.

La fin de la scolarité à l'école des Mines va alors se passer sans fait marquant. Morgan connaît le contentement de terminer dans un bon rang, ce qui donne du plaisir à son père, mais pour lui une «satisfaction d'amour-propre bien éphémère, car ce n'est pas le classement à l'École qui fait l'homme» (Jaunay, 1997, p. 147). Il sait déjà que son avenir n'est pas dans l'exploitation minière. Comme tout élève, il reçoit une proposition de poste pour travailler à Commentry ou dans quelque autre mine de charbon, mais «entrer dans une grande industrie était me spécialiser dans cette branche..., renoncer à mes désirs scientifiques, à mes désirs d'étudier ce que personne n'avait encore ni vu ni étudié.» Morgan ne peut résister à l'attrait des horizons lointains et, grâce à Fuchs, part pour les Indes anglaises. Ses études sont maintenant terminées, il commence sa vie professionnelle.

Conclusion

Pendant tout son séjour à l'école des Mines, Jacques de Morgan a fait la preuve d'une singulière indépendance de caractère qui, en d'autres temps, aurait pu lui valoir quelques problèmes. Une seule discipline l'intéresse vraiment, la paléontologie, ce qui lui vaut une amitié sans faille avec les spécialistes de l'époque, bien souvent ses aînés : Douvillé, Bayle, Zeiller, plus tard A. de Lapparent. La paléontologie rejoint la science du vivant et, au fond, n'est pas si différente de l'archéologie, qui s'intéresse à l'homme. Tout en étant quelque peu dilettante, Morgan a toujours reconnu la valeur de l'enseignement qu'il avait reçu à l'école, ainsi que le bien fondé des paroles du bon Monsieur Gervais, du Muséum, à qui il était venu demander conseil pour l'orientation de ses études : «Faites un école d'ingénieur, pour avoir un diplôme et être à l'abri du besoin... Même si vous vous lancez dans une voie toute différente, il vous restera toujours de la méthode» (Jaunay, 1997, p. 109). C'est effectivement ce qui s'est passé, et la formation d'ingénieur a certainement été très utile pour la construction de fortifications ou l'organisation de fouilles archéologiques. Morgan est toujours resté en contact étroit avec «son» école, publiant par l'intermédiaire de Douvillé ou d'un autre camarade, R. de Mecquenen, des notes paléontologiques qui ont résisté à l'épreuve du temps. Tous deux ont dédié à Morgan quelques noms de fossiles : Loftusia morgani pour H. Douvillé, foraminifère important en recherche pétrolière, Iranotherium morgani pour Mecquenem, spectaculaire vertébré découvert en Perse. Avec son père et son frère, il a aussi participé de façon importante à l'augmentation des collections, envoyant à l'école des séries de minerais et de fossiles provenant du monde entier. C'est à l'école des Mines qu'il a «développé un attrait irrésistible pour la science» (F. Djindjian). L'école des Mines de son côté peut s'enorgueillir de le compter parmi les grands anciens qui, comme F. Le Play pour la sociologie, ont participé à l'avènement de nouvelles disciplines scientifiques au XIXe siècle.


Annexe : Documents originaux manuscrits concernant Jacques de Morgan, conservés à l'école des Mines


Bibliographie

AGUILLON L. (1889) - L'École des mines de Paris - Notice historique, Paris, Vve Ch. Dunod, 170 p.
JAUNAY A. (1997) - Mémoires de Jacques de Morgan 1857-1924. Souvenirs d'un archéologue, Paris, L'Harmattan, 549 p.
MORGAN J. de (1879) - «Notes sur les terrains crétacés de la vallée de la Bresle», Bulletin de la Société géologique de France, 3e série III, t. VII.
MORGAN J. de (1882) - Mémoire sur les terrains crétacés de la Scandinavie, Société Géologique de France, CF. Savy éd., 46 p.
MORGAN J. de (1882) - Géologie de la Bohême, Paris, J. Baudry éd. 167 p.

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