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Fils de Pierre Antoine LE PLAY (1775-1854), officier des douanes, et de Marie Louise Rosalie AUXILION (1785-1862).
Petit-fils de Pierre Jean Baptiste LE PLAY (1742-1814), receveur général des aides à Gournay, et de Rose Marguerite SENET.
Marié le 9 décembre 1837 avec Augustine FOUACHE (1819-1892), fille de Jean-Baptiste FOUACHE, entrepreneur, adjoint au maire d'Ingouville.
Père de Albert LE PLAY (né à Graville le 27 juillet 1842, mort en 1937), médecin, sénateur de la Haute-Vienne de 1892 à 1900, qui épousa Marie CHEVALIER.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (entré major et sorti 4ème sur 113 élèves de la promotion 1825) et de l'Ecole des Mines de Paris (entré classé 1 sur 4 élèves en 1827, sorti en 1829 après seulement 2 années d'études). Corps des mines
Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME I, pp. 499 et suiv.
La Science sociale est aujourd'hui grandement à la mode : on en fait partout à la fois, dans les ateliers comme dans les salons, sur la voie publique comme dans les chaires, les académies et les parlements. Les élèves de l'Ecole Polytechnique ont pris la tête de ce mouvement, aussi bien que de tous les autres; mais celui d'entre eux qui a marqué, sur ces questions, l'empreinte la plus durable et la plus profonde, c'est à coup sûr Frédéric Le Play. Ingénieur éminent, penseur illustre, il a fait deux parts de sa vie : l'une, consacrée aux travaux professionnels et scientifiques de la métallurgie et de l'exploitation des mines; l'autre, plus brillante encore, dévouée au service de l'intérêt public et à l'étude des causes d'où dépendent la paix sociale et la prospérité des nations.
Pierre-Guillaume-Frédéric LE PLAY naquit le 11 avril 1806, d'une famille modeste, au village de la Rivière, près de Honfleur [Calvados]. Admis, en 1825, à l'École Polytechnique, il en sortit, en 1827, pour entrer avec le no 1 à l'École des Mines, où des succès exceptionnels lui valurent les félicitations très flatteuses de M. Becquey, Directeur général des Ponts et Chaussées.
Dès le premier voyage de mission qu'il fait en Allemagne, de concert avec son ami Jean Reynaud, il se sent attiré vers l'étude des familles ouvrières et se révèle avec sa double faculté d'ingénieur et d'observateur. Confirmé dans sa résolution de se vouer aux questions sociales par un accident de laboratoire qui mit sa vie en danger et le retint au lit ou à la chambre pendant dix-huit mois, il exécute, de 1832 à 1854, de nombreux voyages dans toutes les parties de l'Europe, et il y mène de front les deux genres d'études qui se partagent son infatigable activité. Il publie le résultat de ses observations techniques dans une série de mémoires et d'ouvrages qui ne tardent pas à le classer au premier rang parmi les ingénieurs des Mines.
Le Play n'était pas seulement un théoricien, très exactement renseigné : c'était aussi un ingénieur pratiquant, un administrateur incomparable, poussant l'ordre jusqu'au génie: et doté d'un grand ascendant sur les hommes. Le prince Demidoff, qui l'avait vu à l'oeuvre, lui confia l'exploitation de ses mines métalliques de l'Oural. Le Play s'acquitta de cette tâche avec un plein succès; il créa de puissants établissements métallurgiques, où il eut à conduire jusqu'à 45.000 ouvriers et développa ainsi, sur des proportions inattendues, d'immenses richesses industrielles.
Entre temps, comme secrétaire d'une Commission spéciale, il organisait, puis dirigeait, de 1833 à 1847, la statistique de l'industrie minérale, instituée par la loi des finances du 28 avril 1833 et l'élevait à un niveau que ses successeurs ont su maintenir.
Tant et de si beaux travaux lui avaient conquis une telle réputation, qu'il fut appelé, en 1848, à professer la Métallurgie à l'Ecole des Mines et il occupa cette chaire, avec un grand éclat, jusqu'en 1854.
Il comptait couronner ses études et ses travaux techniques par un grand ouvrage, qui aurait été comme le monument de sa vie d'ingénieur : l'Art métallique au XIXe siècle. Cet ouvrage était déjà fort avancé, quand éclata la Révolution de 1848. Ses amis, M. Thiers en tête, lui firent sommation d'utiliser toutes les richesses amassées au cours de ses voyages et de se dévouer à ce qui, dans leur conviction unanime, constituait « l'oeuvre du salut public ». Malgré ses vifs regrets d'abandonner cette science professionnelle, qui lui avait valu de si légitimes succès, Le Play céda à un appel qui correspondait à celui de sa conscience : il se démit de sa chaire et appartint désormais tout entier à sa mission sociale.
Avant de l'étudier à ce point de vue, achevons rapidement l'histoire de sa brillante carrière.
Chargé à la dernière heure de réorganiser, comme Commissaire général, l'Exposition universelle de 1855, il y fit preuve de qualités si exceptionnelles, qu'il fut investi d'une mission analogue à Londres en 1862, puis désigné, avec le même titre, pour présider à l'Exposition universelle de 1867, à Paris. « Personne, a dit M. Paul Leroy-Beaulieu, n'a oublié l'ordre merveilleux qui régnait à cette exposition, le système si simple et si ingénieux qui avait été suivi pour le classement des produits des diverses nations et qui permettait de laisser son unité à chaque exposition nationale, tout en rapprochant les produits similaires des divers pays. » [Le fils de LE PLAY a épousé la fille de Michel CHEVALIER. Une autre fille de Michel CHEVALIER épousa Paul LEROY-BEAULIEU.]
On doit également citer la stricte économie, avec laquelle fut acheté ce brillant succès, qui, loin de toucher au capital de garantie, laissa un reliquat net d'environ 3 millions sur les 12 millions de subventions de la Ville de Paris et de l'Etat. Si les expositions subséquentes se sont inspirées de la classification et des solutions adoptées par celle de 1867, elles se sont moins fidèlement souvenues de ses enseignements financiers.
Mais le trait qui a contribué à donner à ces grandes assises de 1867 leur physionomie toute particulière, c'est la place d'honneur qu'y ont tenue, pour la première fois, les préoccupations sociales. Jusque-là, on n'avait songé à faire des expositions qu'un étalage de produits matériels; mais Le Play ne pouvait, quoi qu'il entreprît, se dégager de cette pensée dominante, autour de laquelle gravitait sa vie : l'homme, son bien-être, sa paix, son bonheur. Il voulut donc mettre à part et en belle place, dans un groupe spécial, - le fameux groupe X - : « les objets destinés à l'amélioration de la situation matérielle et morale des travailleurs »; puis, derrière le produit, faire apparaître le producteur, en instituant le nouvel ordre de récompenses, « en faveur des personnes, des établissements ou des localités, qui, par une organisation ou des institutions spéciales, ont développé la bonne harmonie entre tous ceux qui coopèrent aux mêmes travaux et ont assuré aux ouvriers le bien-être matériel, moral et intellectuel ».
Ce concours marque une date mémorable dans l'histoire de la science sociale; il a servi de précédent et de préface à l'exposition d'Économie sociale, qui a été l'un des meilleurs éléments de succès de l'Exposition de 1889 et qui a désormais sa place incontestée dans ces grandes solennités internationales.
A la suite de l'exposition de 1855, Le Play était entré au Conseil d'État et n'avait pas tardé à s'y faire une situation très élevée. C'est en particulier sur lui qu'a reposé l'enquête, qui devait aboutir, en 1860, à l'émancipation de la boulangerie et du commerce des grains.
Très apprécié de Napoléon III, qui aurait dit volontiers de lui ce que Louis XVI disait de Turgot : « Il n'y a que vous et moi qui aimions le peuple », il fut, après le succès de l'Exposition de 1867, nommé sénateur, grand-officier de la Légion d'honneur, inspecteur général des Mines.
Mais il n'était pas de ceux dont les satisfactions personnelles endorment la clairvoyance ou enchaînent le langage. Dès 1864, il dénonçait, dans sa Réforme sociale, les dangers croissants d'une situation où les succès de la prospérité matérielle avaient tari les sources de la vie morale, et il indiquait les mesures qui pourraient conjurer la catastrophe. Quand les désastres, qu'il avait prévus avec tant de sagacité et prédits avec tant de courage, se furent abattus sur le pays, Le Play se mit, avec une ardeur infatigable, à remonter les coeurs; il n'admettait pas qu'on désespérât de l'avenir, il rappelait que « Dieu avait fait les nations guérissables » ; il redisait ce mot de Bolingbroke que « c'est par des calamités nationales, qu'une corruption nationale doit se guérir ». - « Quand la France, écrivait-il à un ami, devrait se réduire au royaume de Bourges, il faudrait plus que jamais travailler à la réforme et préparer son avenir. »
Son salon hospitalier de la place Saint-Sulpice, dont une admirable compagne l'aidait à faire les honneurs, était devenu le rendez-vous de tous ceux qui sentaient le besoin d'espérer et de se dévouer, et que groupait autour de lui une même passion, celle de la paix sociale et du salut de la France. Petit, courbé, amaigri, modestement vêtu; le front haut, découvert, fortement bombé; les yeux enfoncés sous d'épais sourcils et scrutateurs avec bienveillance; la tête penchée, les bras pendants, il paraissait parfois absorbé en lui-même; mais, quand il s'animait et se laissait aller à ouvrir le trésor de ses souvenirs ou de ses méditations, son regard s'illuminait, sa parole s'élevait et tous se réchauffaient à la chaleur de sa science et de son patriotisme.
Sa sérénité s'accroissait avec la possession de plus en plus complète de la vérité, d'abord entrevue, puis conquise par une longue vie de labeur et de vertu. Elle ne se démentit pas en face des menaces de la mort. Il en supporta les approches avec un courage chrétien. Après plusieurs assauts, il s'éteignit le 5 avril 1882, en balbutiant le mot de paix, dans une dernière crise où Dieu lui épargna les angoisses de l'agonie. Il a été inhumé dans une sépulture de famille au territoire du Vigen, près de Limoges. « Le penseur, le savant, y repose non loin du berceau de Gay-Lussac et de d'Aguesseau (Lacointa, F. Le Play, Le correspondant, 25 avril 1882). »
Ce qui assure l'immortalité du nom de Le Play, ce ne sont ni ses travaux et ses écrits d'ingénieur, ni ses succès de commissaire général des Expositions : ce sont ses études sociales et les livres où il les a présentées au public; c'est sa méthode et c'est sa doctrine.
Cette méthode, qui a créé ou au moins renouvelé la science sociale, c'est la méthode d'observation. En dehors de cette discipline et de cette base expérimentale, la science sociale n'est qu'une sorte d'astrologie ou d'alchimie, prête à accueillir les théories les plus décevantes, à couvrir les essais les plus aventureux, à mener droit aux abîmes ceux qu'elle a la prétention de guider.
Pour diriger ses recherches, Le Play part de ce principe que, si la société des abeilles et des fourmis a sa loi, celle des hommes doit avoir la sienne, si exactement adaptée à leur nature, qu'on s'assure la paix et le bonheur en la pratiquant et qu'on ne puisse la violer sans en être puni parle désordre et le malaise. Il suffira donc de s'en aller de par le monde, à la façon de Descartes, en quête des symptômes de santé ou de maladie sociales, pour en dégager cette loi supérieure, qui préside à la prospérité ou à la souffrance des peuples.
L'observatoire de ces recherches, ce sera la famille, qui forme « la véritable molécule sociale ». Elle n'est pas un groupement artificiel ou éphémère ; pendant que tout passe, elle demeure; avec des éléments d'un jour, elle fait une chaîne indéfinie, qui relie les générations successives. En prolongeant, en perpétuant l'individu, elle est, suivant la belle expression de Taine, « le seul remède à la mort ».
Les familles à étudier seront les plus simples, les plus modestes, parce qu'elles conservent, dans la pureté originelle, les types caractéristiques, altérés ailleurs sous l'influence des croisements et des courants, auxquels est due la formation des sociétés modernes.
L'armature de ces études sera le budget domestique. Comme chacun des actes de la famille finit par aboutir à une recette ou à une dépense, son budget la dissèque et livre aux observateurs le secret de sa situation à la fois matérielle et morale.
Telle est « la monographie de famille », qui constitue, en partie, l'originalité et la vigueur de la méthode de Le Play. Il en a dressé, pour la plupart des pays de l'Europe, en les coulant toutes dans le même moule, de manière à les rendre comparables. Les Ouvriers européens, publiés en 1855, en contenaient 57 ; depuis lors, le nombre s'en est accru et dépasse la centaine.
Pour découvrir les familles types de chaque contrée et se renseigner sur le bien ou sur le mal, Le Play se mettait à l'école de ces hommes sages, qu'il a nommés « les autorités sociales » et qui font régner la paix autour d'eux. Platon les appelait des « hommes divins, dont le commerce est d'un prix inestimable et qu'on doit aller chercher par terre et par mer ». Le Play suivait littéralement ce précepte. « J'ai fait souvent, disait-il, deux mille kilomètres en poste, pour aller consulter quelque propriétaire foncier éminent aux confins du monde européen. J'ai encore l'ardeur nécessaire - il avait alors 61 ans - pour aller, dans le même but, à l'extrémité du réseau ferré, dans toute direction où il y aura à recueillir un renseignement utile ou à voir un homme dévoué au bien. »
S'il aimait à ce point le document vivant, l'homme faisant pratiquement le bien sans dogmatisme, il avait peu de goût pour les lettrés, qui se laissent aller trop volontiers aux nouveautés brillantes et téméraires, et pour les juristes qui ont le fétichisme des codes et voudraient y enfermer le monde. Pour lui, la meilleure partie de la constitution d'un pays était extérieure à ces codes, et résidait dans les moeurs et l'initiative privée. Il interrogeait, sans relâche, paysans et ouvriers, et déclarait avoir beaucoup appris d'eux. Il a donc étudié et constitué la science sociale, non dans les bibliothèques et à coup de livres, mais en plein air, au village, dans la cité, au foyer des familles, dans l'atelier industriel ou dans le domaine rural.
Après la méthode, la doctrine, bien qu'il soit périlleux de vouloir la résumer en quelques mots.
La géographie sociale du monde actuel nous présente des « sociétés stables », des « sociétés ébranlées », des « sociétés désorganisées ». Si le bonheur et la paix sont le véritable critérium de la santé des nations, de la conformité de leurs moeurs à la loi suprême, les peuples souffrants devront, pour se guérir, se rapprocher des modèles que leur fournissent les peuples prospères dans le passé, comme dans le présent. Ils auront, d'une part, à restaurer, - avec les tempéraments nécessaires et en les adaptant aux conditions des sociétés modernes, - les institutions et les moeurs qui ont fait autrefois la grandeur de leurs pères; d'autre part, à emprunter le secret de leurs succès à ceux de leurs émules qui auront su garder ou conquérir la prospérité.
De l'étude comparée des sociétés stables, ébranlées ou désorganisées, Le Play a dégagé, avec les causes du bien-être ou du malaise social, les principes à suivre pour maintenir ou restaurer la prospérité matérielle et morale des peuples. Ces principes, en parfait accord avec la nature de l'homme, sont formulés dans le « Décalogue éternel », dont les prescriptions se retrouvent chez toutes les races humaines et décident de leurs destinées. « Les peuples qui observent le Décalogue prospèrent; ceux qui le violent déclinent; ceux qui le répudient, disparaissent. »
Appliquant sa méthode et ses vues au régime du travail agricole et industriel, Le Play a de même établi « les pratiques essentielles à la paix des ateliers » [ Ce sont ces pratiques qui, en 1867, avaient servi de critérium pour guider le jury international du Nouvel ordre de récompenses dans l'attribution de ses prix. Le Play les a formulées peu après dans son Livre intitulé l'Organisation du travail, 1869. ] ; il a insisté, avec une constance que rien n'a lassée, sur les inconvénients du « partage forcé » en matière de succession et il a demandé sans relâche la réforme de ce régime, dans le sens non pas du retour au droit d'aînesse, comme on le lui a injustement reproché, mais d'une plus grande liberté restituée au père de famille.
Il a démontré, avec une grande abondance de preuves, l'heureuse influence qu'exerçait la diffusion de la petite propriété sur la stabilité, la prospérité et la paix sociale; il aimait à citer ce passage du Livre des Rois, où il est dit que, « pendant le règne de Salomon, le peuple de Judas et d'Israël vivait dans la paix et dans la joie, chacun sous sa vigne et son figuier ». Ce qu'il voulait, ce n'était pas la petite propriété indigente et instable, mais celle qui est exactement adaptée aux facultés de travail de la famille et à ses besoins. Il se complaisait dans le tableau de ces « familles-souches », qu'il avait observées dans les divers pays de l'Europe et dont les derniers spécimens succombaient chez nous sous les coups du partage forcé.
Il rappelle aux détenteurs de la richesse sous toutes ses formes, et surtout aux propriétaires ruraux, qu'ils sont investis « d'une fonction sociale »; que, si elle leur confère des droits, elle leur impose des devoirs, qui en sont comme la contre-partie et la rançon. Tous ceux qui jouissent d'une supériorité sociale à un titre quelconque sont tenus de faire acte de « patronage ». Ces institutions patronales, dont nous avons admiré l'épanouissement à l'exposition d'Économie sociale de 1889 et qui suivent l'ouvrier du berceau à la tombe, opposant un remède ou un secours à chacune de ses souffrances ou de ses crises, procèdent en ligne directe de l'influence de Le Play, et c'est à lui que l'industrie et le pays sont en grande partie redevables de leurs applications et de leurs bienfaits.
On se tromperait si, de la complaisance qu'avait Le Play pour l'étude du passé et des populations simples et primitives, on concluait qu'il était un esprit rétrograde, un contempteur systématique des sociétés modernes et de leurs aspirations. Il mêle d'une façon intime le sens du présent à celui du passé. Quand il rend justice aux anciennes organisations qui ont eu leur période de grandeur et répondaient aux conditions de leur époque, il s'attache, non à leurs formes disparues sans retour, mais à leur essence et cherche à garder leur vertu sans leur moule. Il affirme que l'Etat n'a le droit d'intervenir que pour suppléer à l'impuissance ou à l'abstention de l'initiative privée; qu'il doit s'efforcer de provoquer, de fortifier cette initiative, de manière à se rendre inutile et à s'effacer. Il est partisan de la liberté, parce qu'il voit en elle, non une fin et un but, mais un moyen et comme la condition même du devoir social. Ce qu'il réclame pour le père de famille, ce n'est pas - je le répète - le droit d'aînesse, mais la liberté testamentaire; il s'accommode de la liberté du travail, de celle des échanges, de la concurrence. « La permanence des engagements » ou la continuité des rapports entre le patron et l'ouvrier, qui résultait autrefois de la contrainte, il ne veut la devoir désormais qu'au libre accord des parties et à leur satisfaction réciproque, qui en accroissent encore l'efficacité sociale. En un mot, les bienfaits que l'ancien régime demandait à l'autorité, il ne les attend que de la persuasion et de la liberté sous l'influence de la famille, du patronage et de la religion. C'est donc à bon droit que Sainte-Beuve l'appelait « un Bonald rajeuni et scientifique, l'homme de la société moderne par excellence, élevé dans ses progrès, dans ses sciences et dans leur application, de la lignée des fils de Monge et de Berthollet ».
C'est en 1855, après un quart de siècle de travaux, que, cédant aux conseils de François Arago, de Dumas et d'autres amis, Le Play se décida à publier ses premières monographies dans son grand ouvrage des Ouvriers européens. L'opinion publique n'étant pas encore prête à accepter ses conclusions, il réduisit son texte à un rapide commentaire de ses monographies et se borna à un court appendice, où il déclarait que « sa méthode lui avait fait retrouver, dans toute l'Europe, les éternelles traditions de l'humanité ».
Encouragé par l'Académie des Sciences, qui lui décerna le prix Montyon de Statistique, il fonda, en 1856, la Société d'Economie sociale qui, s'inspirant de la méthode de son fondateur et restée fidèle à ses traditions, a puissamment contribué aux progrès de la science sociale et continue, dans une collection intitulée : les Ouvriers des deux mondes, la publication des monographies de famille, d'après le cadre et le type consacrés par les Ouvriers européens.
C'est en 1863, que Le Play fit enfin paraître sa Réforme sociale, qui produisit une impression profonde et n'a pas tardé à devenir classique en France et à l'étranger. Quiconque veut toucher aux questions sociales est tenu de lire et de méditer cet ouvrage puissant, dont Montalembert disait « qu'il s'en imprégnait goutte à goutte ». Après la Réforme sociale, le maître continua, jusqu'à 1881, à publier d'autres livres ou des éditions répétées, où il s'attache à varier, à condenser, à fortifier ses démonstrations et à préciser ses formules. Enfin, en 1881, dans la Constitution essentielle de l'humanité, il expose, en quelques pages magistrales, les besoins essentiels de l'homme c'est-à-dire ceux qui ont trait au pain quotidien et à la loi morale, et l'ensemble des principes, des institutions et des coutumes, qui, dès les premiers âges du monde, ont assuré la satisfaction de ce double besoin chez les peuples prospères. Ce petit livre, empreint d'éloquence et de gravité, semble écrit du haut d'un de ces sommets d'où l'on domine l'histoire et d'où l'on découvre le secret des destinées humaines.
« Les bons, aimait à dire Le Play, sont ceux qui apaisent la discorde; les méchants, ceux qui la font naître. » 11 a droit à être rangé parmi les bons et les meilleurs. Son oeuvre a été avant tout une oeuvre de science et de paix; elle a droit à toute la reconnaissance des générations actuelles que travaille l'antagonisme, qu'agite la lutte des classes et qui n'ont pas de besoin plus pressant que l'apaisement et la concorde. Mais, au-dessus de l'oeuvre elle-même, plane le maître, qui a, suivant la belle expression de Sainte-Beuve, « relevé parmi nous la statue du respect ». Sa vertu, sa ténacité indomptable au travail, sa passion pour la vérité et le bien, son dévouement à l'humanité et à la patrie constituent une physionomie singulièrement attachante et pleine de grandeur, dont l'impression ne s'effacera jamais au coeur de ceux qui en ont senti le rayonnement.
Le Play et les collections de l'Ecole des Mines
Extrait du livre Notice historique sur l'Ecole des Mines de Paris, Louis Aguillon, 1889 :
A partir de 1840, Le Play, nommé professeur de métallurgie, s'occupa de la constitution d'une collection métallurgique, qui avait été à peine ébauchée par ses prédécesseurs Hassenfratz et Guenyveau. Il poursuivit jusqu'en 1853 la réalisation de ce plan avec ces idées de méthode et de généralisation qui furent une des caractéristiques de son esprit.
Voici le résultat auquel Le Play était arrivé en 1853, à la veille par lui de quitter l'École [des mines de Paris], avec l'aide de de Chancourtois qu'il se plaisait à reconnaître. Aux 1.238 échantillons provenant d'Hassenfratz et aux 3.315 recueillis par Guenyveau, Le Play avait ajouté 21.693 échantillons dont les 9/10 recueillis directement par lui-même dans ses voyages. Cet ensemble constituait un musée de l'industrie minérale, sans parler de la collection spécialement destinée aux leçons (3.200 échantillons) et de celle remise aux élèves pour étude (1 934 échantillons). Il formait des suites naturelles partant des matières premières, combustibles et minerais, ou mieux pour ceux-ci des gîtes métallifères, pour arriver aux produits finis, en suivant la transformation des matières successives élaborées et des produits intermédiaires, et en rapprochant les matières des appareils, représentés en relief, dans lesquels elles étaient traitées. Le classement était fait systématiquement à un double point de vue : d'une part, au point de vue métallurgique ou minéralurgique par nature de produit final (fer, plomb, etc ..); et d'autre part, au point de vue statistique, par district métallurgique ou minéralurgique.
Le Play estimait, en 1853, qu'il manquait 3.000 échantillons pour compléter la série des usines européennes et 8.000 pour la série des principales usines des autres continents.
L'intérêt technologique de cette collection reposait sur la conservation des traditions dans les divers districts. Mais, avec les transformations si profondes et si rapides de l'industrie moderne, cet intérêt s'atténue singulièrement pour une collection tant soit peu ancienne, et il n'est guère possible de se flatter de maintenir désormais au courant de pareilles collections. Les expositions universelles les remplacent au moment où elles ont lieu.
De ces collections de Le Play, une seule chose pouvait et devait subsister et même s'accroître avantageusement avec le temps : la collection systématique des gîtes métallifères, ou plus généralement des gîtes de substances minérales, collection qui est une dépendance rationnelle de la géologie technique ou appliquée.
Au point de vue intrinsèque, les collections de Le Play avaient l'inconvénient d'être formées d'échantillons de trop petites dimensions.
Extrait du livre Notice historique sur l'Ecole des Mines de Paris, Louis Aguillon, 1889 :
Le Play, né à la Rivière (Calvados) le 11 avril 1806, est mort à Paris le 5 avril 1882 [attaque cardiaque]. Il sortit de façon extraordinairement brillante de l'Ecole des mines, en 1829, à la suite de deux années d'études seulement. Après avoir été attaché quelque temps au laboratoire de l'Ecole, il avait été chargé d'organiser et de faire fonctionner le service officiel de la statistique de l'industrie minérale, qui fut en réalité créée par lui; il était en même temps chargé de surveiller la publication des Annales des mines auxquelles, à partir de 1832, il donna une vitalité toute autre que celle qu'avait, depuis 1816, ce recueil, qui avait remplacé à cette date l'antique Journal des mines.
Lorsqu'en 1848 Dufrénoy échangea sa direction effective de l'Ecole [il avait le titre d'inspecteur et non de directeur] contre une direction officielle, Le Play fut nommé aux nouvelles fonctions d'inspecteur.
En 1856, après le succès de l'Exposition universelle de 1855, dont il avait été nommé commissaire général en remplacement du général Morin, Le Play quitta le professorat et l'inspection de l'Ecole, qu'il abandonna, celui-là au profit de Piot et celle-ci à de Sénarmont, pour aller au Conseil d'Etat. Le Play fut désormais perdu et pour l'Ecole et pour le corps des mines. Aussi, ne le suivrons nous pas dans sa tâche de conseiller d'Etat, d'organisateur des diverses expositions universelles, de sénateur, non plus que dans son rôle d'économiste et de régénérateur social.
M. l'inspecteur général des mines Lefébure de Fourcy lui a consacré dans les Annales des mines de 1882 une des notices les plus complètes qui aient été écrites sur cet homme éminent en ce qui concerne sa vie d'ingénieur, de professeur et d'administrateur.
" Le but suprême du travail est la vertu, et non la richesse "
" Les nations ne sont fatalement vouées ni au progrès, ni à la décadence […] quel que soit leur passé, elles restent maîtres de leur avenir "
" La méthode qui conduit le plus sûrement à la réforme est l'observation des faits sociaux "
" La bureaucratie organisée définitivement en France depuis la révolution y est le principal écueil de la vie publique "