Aubin-Emile COULARD-DESCOS (1826-1872)

Fils de Aubin COULLARD-DESCOS et de Emilie Antoinette POISSONNIER.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (entré major de la promotion 1845 de 136 élèves, sorti également major sur 131 élèves) et de l'Ecole des mines de Paris (entré major en 1847 et sorti classé 2 sur 6 élèves en janvier 1851). Corps des mines.


Extrait du LIVRE DU CENTENAIRE DE L'ECOLE POLYTECHNIQUE, tome III page 141

COULARD-DESCOS, de la promotion de 1845 de Polytechnique, est né à Paris le 28 février 1826, et mort le 17 septembre 1872; il avait été, dès le début de sa carrière, mis à la disposition de Regnault qu'il aida, de 1851 à 1855, dans ses expériences sur la vapeur; il avait puissamment coopéré, de 1867 à 1870, à toute une série de travaux de consolidation exceptionnelle qui incombaient au Service des carrières du département de la Seine auquel il était alors attaché; on doit spécialement citer la consolidation de l'aqueduc de la Vanne.

En 1870, Descos, qui était Ingénieur du Service des carrières de la Seine sous les ordres de M. Jacquot, prit une part exceptionnelle aux opérations du bataillon des mineurs auxiliaires du génie, notamment pour relier souterrainement à la Place les forts du Sud, en profitant des travaux existant dans les carrières en vue de gagner du temps avant tout bombardement; simultanément, il faisait disparaître les obstacles provenant de l'exploitation antérieure et qui auraient nui à la défense. Dès le 20 septembre, le fort de Montrouge était attaché souterrainement à la Place ; un puits de 24 m de profondeur avait été foncé à cet effet dans les fossés du fort. Plus tard une jonction aurait été établie de même entre la Place et les forts d'Ivry et de Vanves. Pendant la Commune, Descos dut, pour aider l'arrivée de l'armée de Versailles, fermer les communications qu'il avait ouvertes avec tant de peine et tant d'efforts.


NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. DESCOS
INGÉNIEUR DES MINES.
Par M. E. JACQUOT, inspecteur général.

Annales des Mines, 7e série t. 4, 1874.

Le 17 septembre 1872, Descos, ingénieur des mines, attaché à l'inspection générale des carrières de la Seine, officier de la Légion d'honneur, a succombé à l'âge de quarante-six ans, aux suites d'une grave maladie qui, depuis quelques mois, avait complètement épuisé ses forces, sans avoir pu le décider à abandonner son service. L'opinion publique ne s'est point méprise sur la cause de cette fin prématurée. Pour remontera l'origine du triste événement qui enlevait subitement au corps des mines l'un de ses ingénieurs les plus distingués, les camarades de Descos n'ont eu qu'à se rappeler le siège de Paris, le dévouement qu'il a apporté dans l'exécution de travaux extrêmement pénibles, les fatigues qui en sont résultées, les privations qu'il a endurées avec toute la population de cette grande cité et qui, par suite de son abnégation, ont dépassé pour lui la mesure commune. Une constitution plus robuste que la sienne n'eût certes point résisté à de pareilles épreuves. Aussi n'est-ce que justice de reconnaître que Descos est une des nombreuses victimes de la funeste guerre de 1870-71 qui a accumulé tant de ruines sur le sol de notre patrie.

Coullard Descos (Aubin-Emile) est né à Paris, le 28 février 1826. Après avoir fait de brillantes études au collège Louis-le-Grand et avoir obtenu l'un des trois grands prix annuels, celui des sciences, au concours général de 1845, il entra à la fin de cette année à l'École polytechnique. Placé par ses examens au premier rang d'une promotion qui comptait cent trente-six élèves, il s'y maintint constamment, et c'est avec ce rang que, deux ans plus tard, il fut admis dans le corps des mines en qualité d'élève ingénieur.

A l'École des mines, il obtint les mêmes succès, et lorsqu'il la quitta dans les premiers jours de 1851, il se trouvait placé en tête de sa promotion.

Au début de sa carrière d'ingénieur, il eut la bonne fortune d'être associé à un de ces travaux qui font époque dans les annales de la science. Sur le voeu exprimé par la commission centrale des appareils à vapeur, le ministre des travaux publics avait chargé, dès 1840, M. Regnault, ingénieur en chef des mines, membre de l'Académie des sciences, de reprendre l'étude des lois physiques sur lesquelles repose le calcul théorique des machines à feu, et de l'établir sur des bases certaines. Les nombreuses expériences à entreprendre pour mener ce travail à bonne fin, les longs calculs à faire pour en traduire les résultats en chiffres, exigeaient impérieusement l'adjonction d'un certain nombre de coopérateurs. En 1851, M. Regnault, aidé jusque-là par ses préparateurs ou ses élèves, réclama le concours d'un ingénieur des mines, et à la suite de cette demande, Descos fut mis à sa disposition. Aux termes de la décision ministérielle du 29 janvier qui l'attachait à ce service intéressant, sa collaboration ne devait pas s'étendre au delà d'un an. Elle dura en réalité trente-trois mois répartis sur cinq années, car, après être resté à Paris jusqu'au milieu de 1852, Descos, qui avait été récemment appelé à occuper le poste de Chaumont, fut autorisé à venir passer dans la capitale les hivers de 1853, 1854 et 1855 pour reprendre, sous la direction de M. Regnault, son travail interrompu. C'est ainsi qu'il fut amené à lui donner son concours, lorsqu'à la fin de 1854 ce savant fut chargé d'un autre grand travail qui consistait à déterminer le prix de revient du gaz à la houille pour servir de base au marché à passer avec les compagnies d'éclairage de la ville de Paris.

Les renseignements que j'ai recueillis sur cette première phase de la carrière de Descos le montrent déjà animé de cette ardeur passionnée pour le travail qui fut un des traits les plus saillants de son caractère et lui fit souvent négliger les soins de sa propre conservation. Ainsi, pour exécuter et vérifier les nombreux calculs auxquels donnaient lieu les expériences sur les propriétés du gaz, il ne craignait pas de passer des nuits entières. Sa collaboration terminée, il trouva en M. Regnault un juste appréciateur de ses grandes qualités. L'éminent physicien n'a jamais rendu compte de ses travaux, soit devant l'Académie des sciences, soit dans les introductions placées en tête de ses publications, sans reconnaître qu'il avait été puissamment secondé par son jeune camarade, et sans signaler le zèle infatigable qu'il avait rencontré chez lui.

Descos ne fit à Chaumont qu'un court séjour. Une décision ministérielle du 9 février 1853 l'appela à occuper le poste de Troyes. Il acquit dans cette ville de telles sympathies que, quand il la quitta au bout de moins de trois ans, le préfet de l'Aube (M. Belurgey de Grandville) crut devoir témoigner au ministre les regrets qu'il en éprouvait et demander pour lui la première classe de son gracie. Dans sa dépêche, ce magistrat le signale comme un ingénieur des plus actifs, des plus laborieux et d'un mérite véritablement hors ligne. La promotion de Descos à la seconde classe ne remontait qu'au 4 juillet 1864, c'est-à-dire à deux années et demie. Si le ministre ne put, à raison de ce court délai, accueillir la proposition qui lui était adressée, celle-ci ne fut pas moins un témoignage éclatant rendu aux excellents services de l'ingénieur des mines de Troyes.

Une décision ministérielle du 11 novembre 1856 avait confié à Descos le sous-arrondissement minéralogique de Vesoul. Il occupa ce poste pendant quatre années, se faisant remarquer, comme dans ses précédentes résidences, par son zèle et par son ardeur pour le travail. Il eut toutefois à faire preuve à Vesoul de qualités d'un autre genre qu'il possédait également à un haut degré et qui devaient appeler sur lui l'attention de l'administration centrale.

Dans l'intervalle compris entre 1857 et 1859, les mines de houille de Ronchamp, situées dans le sous-arrondissement minéralogique de Vesoul, sur le versant occidental des Vosges, furent le théâtre de trois accidents graves.

Le 29 janvier 1857, une explosion de grisou à la suite de laquelle huit ouvriers périrent et cinq furent grièvement blessés, se produisit dans les travaux de la deuxième couche au puits Saint-Charles.

Prévenu de l'accident dans la nuit par le préfet (M. Dieu), Descos se rend immédiatement avec ce magistrat à Ronchamp, malgré un froid excessif et les dangers qu'offrait l'abondance des neiges accumulées sur le sol. Arrivé sur le puits, théâtre du sinistre, il y descend, sans même prendre, dit le rapport auquel j'emprunte ces détails, le soin de se réchauffer un peu. Malgré le danger sérieux d'explosion qui existait encore, il pénètre dans les travaux et ne se retire qu'après avoir pourvu à ce que l'accident commandait.

Au mois de novembre suivant, un incendie se déclara dans le local souterrain des chaudières du même puits. La mine dans laquelle le feu s'était propagé dut être fermée jusqu'au mois d'avril 1858.

A la réouverture du puits, Descos veut, avant de laisser reprendre l'exploitation, apprécier par lui-même l'état des travaux incendiés. Le grisou et l'eau avaient pu s'accumuler dans les chambres d'extraction, et en enlevant les décombres pour y pénétrer, on s'exposait à être surpris. La situation n'était donc pas exempte de dangers. C'est une raison pour qu'il en prenne sa part. Aussi le voit-on présider en personne à la rentrée des ouvriers dans leurs chantiers, se tenir constamment à leur tête et assurer, en définitive, la sécurité commune par la direction intelligente qu'il imprime à l'opération.

Enfin, le 10 août 1859 une terrible explosion de grisou dans les travaux du puits Saint-Joseph vint jeter, pour la troisième fois, la désolation aux houillères de Ronchamp, en enlevant vingt-neuf mineurs à leurs familles.

A la nouvelle de cette catastrophe, Descos accourt de nouveau à Ronchamp pour diriger les travaux de sauvetage et essayer d'arracher à la mort quelques-unes des victimes. Il lutte, à cet effet, pendant quinze jours sans prendre un seul instant de repos. Si, à raison du temps qui lui a été nécessaire pour se rendre sur les lieux, il ne peut atteindre son but, du moins, grâce à ses efforts persévérants, les corps des malheureuses victimes sont-ils retrouvés et rendus à leurs familles.

Le préfet de la Haute-Saône, témoin de l'énergie remarquable et de la rare intrépidité dont Descos avait fait preuve dans ces tristes circonstances, s'était empressé de les signaler au ministre des travaux publics. A la suite des deux premiers accidents de Ronchamp, il avait été chargé d'adresser à l'ingénieur des mines de Vesoul des félicitations pour sa belle conduite. Dans la tentative presque désespérée de sauvetage du puits Saint-Joseph, celui-ci s'était exposé aux plus grands dangers ; il avait reçu à la main droite une blessure des plus douloureuses qui n'avait pu le déterminer à suspendre ses recherches ; il avait même failli périr victime de son zèle. Le préfet n'eut aucune peine à montrer que de pareils actes de courage et d'abnégation méritaient plus que des éloges. Sur sa proposition qui fut appuyée par M. de Billy, inspecteur général des mines de la division du Nord-Est, un décret du 17 mai 1860 nomma Descos chevalier de la Légion d'honneur.

Comme le faisait du reste remarquer avec raison le préfet de la Haute-Saône dans le rapport contenant ses propositions, Descos possédait d'autres titres à cette honorable distinction. Il avait, en effet, rédigé, au commencement de 1859, un mémoire très-détaillé et rempli d'observations judicieuses sur le captage des eaux ferrugineuses de Luxeuil. Soumis au conseil général des mines, ce mémoire y avait été l'objet d'une appréciation extrêmement flatteuse pour son auteur. Plus tard, lorsque l'exécution des travaux fut résolue, Descos les avait dirigés avec cette intelligence et ce soin qu'il apportait à tout ce qu'il entreprenait. L'excursion qu'il avait faite dans le domaine scientifique à l'occasion des sources de Luxeuil avait donc pleinement réussi, et elle avait prouvé qu'il était en état d'y obtenir des succès.

Toutefois, il ne persévéra point dans cette voie, et quand il quitta Vesoul au commencement de 1861, pour prendre le poste de Rouen auquel il avait été appelé par décision du 2 février, il consacra de nouveau toute son activité au service ordinaire. Descos passa trois années à Rouen. Il y fut élevé, le 7 février 1860, à la première classe de son grade.

Le désir de se rapprocher de sa famille et les intérêts qu'il possédait à Paris l'avaient engagé, dès 1859, à solliciter cette résidence. Une place étant devenue vacante, en avril 1864, dans le service spécial de surveillance des appareils à vapeur de la Seine, l'administration centrale put accueillir le voeu qu'il avait exprimé en la lui confiant. C'est en prenant quinze mois plus tard la direction de ce service que j'eus occasion de connaître cet excellent camarade que je n'avais fait qu'entrevoir à Metz, lors de son voyage d'élève dans les provinces du Nord-Est. Je ne tardai pas à reconnaître combien sa collaboration était précieuse et dévouée, car l'année même de mon entrée en fonctions, il fut proposé pour le grade d'ingénieur en chef.

Au passage de Descos dans le service spécial de surveillance des appareils à vapeur se rattache un incident de sa carrière d'ingénieur qu'il m'est impossible de passer sous silence, parce qu'il témoigne de la sûreté de son jugement et qu'il révèle la part considérable qu'il a prise à l'installation du nouveau mode de locomotion mis, dans ces derniers temps, à la disposition de la population parisienne. On sait que c'est de 1867 que date l'inauguration des Mouches qui ont rendu tant de services à cette population pendant l'exposition universelle et qui sont aujourd'hui complètement entrées dans ses habitudes, faveur que justifient d'ailleurs la régularité et la sécurité de leur service. Ce qu'on ignore, c'est que le projet de doter la Seine de bateaux-omnibus a failli échouer, par suite de la préférence que la commission de surveillance et le conseil général des ponts et chaussées avaient accordés au type en usage sur la Tamise, type qui, approprié peut-être à sa destination, ne l'était nullement aux conditions nouvelles dans lesquelles il aurait dû fonctionner sur la Seine. Dans la commission , Descos s'était prononcé, au contraire, en faveur des Mouches. Il resta jusqu'au bout fermement uni à la minorité qui, par les raisons qu'elle donna à l'appui de sa manière de voir, finit par la faire adopter au ministre des travaux publics, heureusement fort compétent en cette matière (M. Béhic).

La surveillance des appareils à vapeur de la Seine ne constitue qu'un service spécial, accessoire de celui beaucoup plus important de l'inspection générale des carrières, qui comprend à la fois le service ordinaire des mines du département et la consolidation des anciennes carrières sous Paris. Descos entra, sur sa demande, dans ce dernier service vers le milieu de l'année 1866. Il fut d'abord chargé de la surveillance des carrières dans le département de la Seine; mais il n'exerça ces fonctions que pendant quelques mois, et dans les premiers jours de 1867 il les quitta pour prendre la direction des ateliers employés aux travaux sous Paris. Il a gardé ce service jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant près de six ans. Depuis la création de l'inspection en 1777 il n'y a pas de période comparable pour l'activité à celle qui s'étend du commencement de 1867 au milieu de 1870. Dans cet intervalle, indépendamment du crédit de 120.000 francs qui est affecté chaque année à la consolidation de la voie publique dans l'intérieur de la capitale, l'inspection n'a pas eu à dépenser moins de 1.000.000 fr. en travaux extraordinaires d'intérêt départemental ou communal. De cette époque datent les travaux exécutés au-dessous du boulevard Arago, des mairies des treizième et seizième arrondissements, des écoles municipales de la rue Vandrezanne, des bains résineux et du pensionnat de l'asile Sainte-Anne, de plusieurs casernes d'octroi, enfin de l'aqueduc de la Vanne. La consolidation de ce dernier ouvrage qui, depuis les abords de la vallée de la Bièvre jusqu'à Paris, c'est-à-dire sur plus de 5 kilomètres d'étendue, repose sur des vides de carrières, est un travail qui fait notamment le plus grand honneur à Descos. C'est également d'après les plans qu'il avait dressés que l'on a repris dans ces derniers temps les substructions du réservoir de Montsouris, commencées, sous sa direction, en 1868, et arrêtées quelques mois plus tard faute de crédit. Pour mener à bonne fin des entreprises de cette importance, dans un aussi court délai et avec le personnel peu nombreux dont il disposait, il a dû déployer une activité prodigieuse. Il trouva néanmoins encore le temps de concourir à la préparation de l'exposition universelle de 1867, en mettant en ordre les collections envoyées par les ingénieurs des mines et en dirigeant la publication des notices explicatives, prouvant ainsi qu'il était impossible de faire, en vain, appel à son zèle.

Descos était tout entier livré à ses occupations pacifiques, lorsqu'éclata la guerre de 1870. Elle devait, à bien court délai, lui imposer de nouveaux devoirs et remettre en lumière les qualités dont il avait donné des preuves si éclatantes dans les accidents de Ronchamp.

A peine était-elle déclarée que survenaient les nouvelles des désastres de Wissembourg, de Woerth et de Forbach. Dès le 7 août, l'investissement et le siège de Paris s'annonçaient déjà comme une triste éventualité qui rendait nécessaire la mise en défense immédiate de la place et des forts. Dans cette grande entreprise, l'inspection des carrières avait sa tâche toute tracée.

Pour se rendre compte de celle qu'elle a accomplie, il faut se représenter les dangers qui résultaient du voisinage des carrières pour la défense des forts et de l'enceinte fortifiée. Du côté du nord, les exploitations de plâtre, vers le sud, celles de pierres de taille s'avançaient, sur beaucoup de points, jusqu'aux glacis et pénétraient même souterrainement, dans quelques cas, au-dessous des ouvrages. Cette situation, conséquence du développement qu'a présenté de tout temps l'extraction des matériaux de construction aux environs de la capitale remontait, en partie, à l'époque de l'exécution des fortifications; mais elle avait été fort aggravée dans les trente dernières années par la tolérance du génie militaire.

C'était, pour la population parisienne, à la veille du siège de Paris, l'objet d'appréhensions des plus vives que plusieurs communications de l'autorité compétente n'avaient pas réussi à calmer. La guerre de surprise et d'embuscade faite par les Allemands disposait naturellement les esprits à attacher une importance exagérée à ces grandes voies souterraines qui, débouchant dans la campagne et pénétrant jusqu'au coeur de la ville, pouvaient servir les projets de l'ennemi. Les braves marins, nouvellement installés dans les forts qu'ils devaient si bien défendre, n'étaient pas eux-mêmes sans préoccupations. Suivant une remarque fort juste de l'honorable amiral La Roncière le Noury, habitués par leurs officiers à envisager les ouvrages confiés à leur garde comme des vaisseaux, ils n'avaient pas tardé à reconnaître que les cales de ces navires d'un nouveau genre présentaient de graves avaries. D'un autre côté, sur la rive gauche de la Seine, la défense était singulièrement gênée par les nombreux terre-pleins construits à l'orifice des puits d'extraction des carrières et dont quelques-uns s'avançaient jusque sur les glacis. On pouvait craindre de voir l'ennemi s'en emparer et les transformer en abris difficiles à réduire. Faire disparaître ces obstacles, combler les puits et rendre impraticables toutes les galeries qui se dirigeaient de l'extérieur soit vers les forts, soit vers l'enceinte fortifiée, telle était donc la mission réservée à l'inspection générale des carrières de la Seine dans la mise en défense de Paris. A ce programme elle ajouta l'ouverture de communications souterraines entre la place et les forts de la rive gauche que l'autorité militaire considérait comme très-utiles pour assurer le ravitaillement en cas de bombardement.

Le préfet de la Seine (M. Chevreau), sollicité, dès le 9 août, de mettre à la disposition de cette autorité le personnel de l'inspection et celui des travaux sous Paris, avait envoyé le lendemain la permission réclamée, en ajoutant que la ville continuerait à prendre à sa charge la solde des ateliers. On se mit immédiatement à l'oeuvre. C'est de cette époque que date la formation du bataillon des mineurs auxiliaires du génie dont les éléments furent fournis non seulement par le personnel de l'inspection, mais encore par un grand nombre d'ingénieurs qui, à la nouvelle de nos revers, s'étaient empressés de m'offrir leur concours.

La part que Descos a prise aux travaux exécutés par ce bataillon est des plus considérables. Il fut d'abord envoyé aux forts d'Ivry et de Vanves, ayant sous ses ordres MM. les élèves-ingénieurs Zeiller, Heurteau, Bertrand et de Grossouvre, pour mettre ces ouvrages à l'abri des approches prussiennes et faire disparaître les formes des puits qui constituaient autant de petites citadelles dont la possession pouvait tenter l'ennemi. Toutefois, son service et la merveilleuse aptitude qu'il possédait pour s'orienter au milieu du réseau compliqué de vides laissés par l'exploitation des carrières le désignaient, d'une manière spéciale, pour diriger l'établissement des communications souterraines. Dès le milieu du mois d'août il se dévoua particulièrement à cette tâche et il la poursuivit jusqu'à la conclusion de l'armistice avec une ardeur qui l'entraîna à y consacrer une partie de ses nuits.

Le fort de Montrouge fut le premier relié à la place. La galerie de soutènement de l'aqueduc de la Vanne, qui vient déboucher au-dessous de la porte d'Arcueil, passait à 150 mètres environ du bastion oriental de ce fort. Vers le 20 septembre, grâce à l'activité imprimée aux travaux qui avaient été poursuivis de jour et de nuit, la communication était établie au moyen d'une galerie creusée, en grande partie, dans la roche vierge et d'un puits de 24 mètres de profondeur foncé dans une des poternes du fort. Pendant le bombardement, cette galerie de Montrouge rendit de très-grands services. On y établit non-seulement des relais pour le transport des sacs à terre et des autres matériaux propres à la réfection des ouvrages, mais encore un fil télégraphique et une conduite d'eau pour remplacer les pompes du fort brisées par les obus.

Les forts d'Ivry et de Vanves furent, plus tard, l'objet de travaux analogues. Descos avait été vivement sollicité par l'autorité militaire de s'occuper de ce dernier qui était très-menacé par le bombardement. Il parvint assez rapidement à rattacher un ancien puits de carrière situé dans un des fossés du fort à une galerie qui débouchait au fond d'une grande excavation placée le long de la route de Paris à Chevreuse. Ce passage était un acheminement, puisqu'il permettait de pénétrer dans le fort en évitant la route stratégique très en vue et par conséquent très-dangereuse. Pour compléter la communication, Descos reconnut les vides existant entre cette route et celle d'Orléans sous l'ancien parc de Montrouge, et après beaucoup de recherches, il finit par découvrir une voie souterraine qui, à l'aide de quelques travaux, pouvait devenir praticable. Le résultat cherché était donc atteint, mais au prix de quels efforts? Pour parvenir à son but, Descos avait dû relever, souvent sous le feu des Prussiens, la position des différents puits de carrières en avant du fort de Vanves, et pendant le rude hiver de 1870-71, à la suite de ses excursions dans les galeries de la plaine de Montrouge où il avait trouvé jusqu'à 75 centimètres d'eau, il était maintes fois rentré à Paris ayant ses vêtements couverts de glace.

Le bombardement des forts du Sud qui survint dans les premiers jours de janvier fit reconnaître l'opportunité de quelques travaux indispensables pour compléter les communications souterraines: en particulier, l'ouverture d'un puits dans l'intérieur du fort de Vanves pour remplacer celui des fossés qui, étant exposé au bombardement, était devenu impraticable. Ils furent exécutés d'urgence, sous la direction de Descos qui, à partir de cette époque, ne quitta presque plus les forts de Montrouge et de Vanves. Jusqu'au dernier moment il resta à la tête des ateliers, les guidant sur les points exposés au bombardement, partageant leurs fatigues et les animant constamment par sa présence.

Tant de zèle, de dévouement, de courage, d'abnégation devaient appeler sur lui l'attention du commandant en chef du génie dont il avait été l'utile auxiliaire pendant le siège. Par décret du 22 janvier 1871, rendu sur la proposition du général baron de Chabaud-Latour, il fut élevé au grade d'officier dans l'ordre de la Légion d'honneur. Récompense non recherchée, mais bien noblement acquise, après de si rudes labeurs.

La guerre civile, qui succéda à si bref délai à la guerre étrangère et en fut le corollaire, réservait de nouvelles épreuves à Descos. Après le 18 mars, il avait pris le parti de rester à Paris dans le but de soustraire à l'insurrection le personnel des ateliers. Il y parvint pendant près d'un mois ; mais le 17 avril il dut céder à la force et se retira devant la révolte de quelques-uns des agents de l'inspection qui avaient pactisé avec la Commune. Il se réfugia a Versailles, où il trouva bientôt l'occasion de rendre de nouveaux services. Il fut, en effet, mandé au commencement du mois de mai au quartier général de l'armée pour coopérer, sous les ordres du général de Cissey, à l'attaque des forts de la rive gauche. Sa mission consistait à fermer les issues souterraines qu'il avait ouvertes entre les forts et la place, et à rendre ainsi toute retraite impossible aux insurgés. Il était près d'atteindre son but au fort de Vanves, lorsque ce dernier fut enlevé par une brusque attaque.

Les deux sièges de Paris avaient fortement ébranle la santé de Descos, et dès le mois de juin des signes non équivoques de la maladie à laquelle il devait succomber quelques mois plus tard s'étaient déjà manifestés. L'ordre rétabli, il reprit néanmoins son service. Jamais peut-être la force de caractère dont il était doué n'apparut avec plus d'évidence que dans cette dernière période de sa vie. L'insurrection avait complètement désorganisé le service de l'inspection; les archives avaient été détruites dans l'incendie de l'hôtel de ville ; la plupart des agents avaient dû être révoqués, comme ayant pactisé avec la Commune; enfin la révolte des ateliers rendait leur licenciement nécessaire. Il fallait donc se remettre au travail, sans plans et avec un personnel qui était tout entier à former. Ces conditions essentiellement désavantageuses n'arrêtèrent point Descos. On le vit alors, déjà affaibli par la souffrance, puiser dans son énergie morale la force de pourvoir à tout. Que de recherches n'entreprit-il pas à cette époque pour retrouver dans les bureaux des architectes, des géomètres, quelques expéditions des plans détruits ! Et combien il était heureux, lorsqu'il pouvait découvrir de semblables documents ! En vain sa famille et ses amis, effrayés des progrès du mal, le pressaient-ils de prendre un congé de longue durée pour essayer de rétablir sa santé. Aux instances réitérées dont il était l'objet, il n'opposait qu'un refus catégorique, inspiré par une interprétation peut-être exagérée, mais certainement louable, des obligations que lui imposait son service. Il est tombé, sans l'avoir quitté, en prenant, avec une sévérité impitoyable, pour mesure de l'étendue de sa tâche, non ses forces qui étaient épuisées, mais son courage, luttant jusqu'au bout et ne cédant en définitive que devant l'impérieuse nécessité.

Telle est la carrière de Descos. Tout entière remplie par le sentiment du devoir et l'esprit du sacrifice, elle peut être offerte en exemple et, à ce titre, elle avait sa place marquée dans nos annales.