D'après Larousse : Chimiste et physicien, il se consacre essentiellement à l'expérimentation qu'il mène avec beaucoup de rigueur, notamment dans la mesure du quotient respiratoire avec Reiset. Mais ses travaux portent surtout sur les changements d'états comme la compressibilité, la dilatation et l'ébullition. Il succède à Gay-Lussac comme professeur de chimie à l'École polytechnique et entre à l'Académie des sciences (1840). Professeur de physique au Collège de France (1841), il est promu ingénieur en chef des mines (1847) et directeur de la manufacture de Sèvres (1854). À la mort de son fils, il renonce au professorat (1872) |
Fils de André Privat Regnault, Capitaine au corps des ingénieurs géographes, et de Marie Thérèse Massardo. Victor est décrit dans le registre matricule de Polytechnique comme : Cheveux blonds - Front découvert - Nez moyen - Yeux bleus - Bouche moyenne - Menton pointu - Visage ovale - Taille 168.
Père du célèbre peintre Alexandre Georges Henri REGNAULT (1843-1871) mort à la bataille de Buzenval.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1830 ; entré classé 54ème et sorti classé 2ème ; boursier pendant toute sa scolarité) et de l'Ecole des Mines de Paris (1832-1834). Corps des mines.
Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME I, pages 326 et suiv.
REGNAULT a été le maître incontesté de la Physique expérimentale. Tandis qu'une critique pénétrante lui révélait des causes d'erreur inconnues de ses devanciers, il trouvait dans son incomparable habileté le moyen de s'affranchir de toute correction ultérieure par l'heureuse disposition des appareils. Aussi a-t-il mérité d'être considéré comme le créateur des méthodes rigoureuses dont tous les physiciens s'inspirent aujourd'hui. Fils de ses oeuvres, étranger à toute intrigue, il a honoré le pays à la fois par ses travaux, par son absolue probité scientifique et par la constante dignité de sa vie. D'autre part, l'industrie ne saurait oublier que c'est lui qui a fixé, d'une façon définitive, toutes les données relatives au calcul des machines à vapeur; si bien que, pour être équitable, la postérité doit à l'ingénieur une gratitude au moins égale à celle que le physicien a pu mériter aux yeux des amis de la science pure.
Né à Aix-le-Chapelle le 21 juillet 1810, Henri-Victor REGNAULT avait pour père un capitaine au corps des Ingénieurs géographes, que la mort devait atteindre en 1812, pendant la campagne de Russie. En 1818, Mme Regnault rejoignait son mari dans la tombe, laissant une fille et un fils, qui furent confiés à la sollicitude d'un compagnon d'armes de leur père, M. Clément. La vie pour eux s'annonçait difficile, et le jeune Victor dut être placé dans une maison de commerce, où il occupait encore, à 18 ans, une situation des plus modestes. Mais son intelligence, son entrain, son précoce bon sens, tempéré par une gaieté communicative (J.-B. Dumas, Eloge de Regnault), permettaient de lui prédire une meilleure carrière.
A la Bibliothèque nationale, qu'il fréquentait volontiers, il se sentit attiré par les livres de Mathématiques ; dès lors l'Ecole Polytechnique lui apparut, a dit J.-B. Dumas, « non comme l'objet de ses rêves, Regnault ne fut jamais rêveur, mais comme un but précis, marqué à sa légitime ambition ». Entré en pension pour s'y préparer, le candidat montra de suite une telle supériorité qu'il ne tarda pas à devenir répétiteur. De ce jour, disposé par ses goûts comme par son éducation a une grande simplicité de vie, il commença à prélever, sur le produit de ses leçons, les éléments d'une petite dot pour sa soeur. Touchante inspiration, que les plus grands succès allaient bientôt récompenser!
Admis à l'École en 1830, Regnault en sortait le second deux ans après, pour entrer dans le corps des Mines, ayant constamment fait preuve d'une rare puissance de travail, d'une netteté d'esprit inaltérable, enfin d'une extrême habileté manuelle. De telles qualités lui garantissaient une égale aptitude à toutes les applications de la science ; et de fait, on a pu dire de lui que, dans toute sa carrière, en digne polytechnicien qu'il était, il s'est montré « à la fois géomètre, physicien, chimiste, géologue, mécanicien, ingénieur (Peligot, discours aux funérailles) ».
Quand il fut sorti de l'École, Berthier, qui avait deviné sa valeur, le conserva comme adjoint à son laboratoire. En 1836, Regnault devint répétiteur du cours de Gay-Lussac à l'École Polytechnique. Marié dans la même année à sa compagne d'enfance, Melle Clément, il était nommé, deux ans après, professeur adjoint de Docimasie à l'Ecole des Mines.
De 1835 à 1840, Regnault a publié, sur la Chimie, dix-huit mémoires de grand mérite. Dans le premier, relatif à la liqueur des Hollandais, l'auteur signalait une réaction inattendue, qui allait lui permettre de réaliser le remplacement de chacun des équivalents d'hydrogène du bicarbure par un équivalent de chlore. C'est alors que parut son Mémoire sur les éthers chlorhidriques, travail fondamental par l'appui qu'il apportait à la théorie des substitutions. En 1837, il étudia avec sagacité l'action que la vapeur d'eau exerce à haute température sur les métaux et les sulfures. En même temps, il donnait une note de haut intérêt sur les combustibles minéraux. L'année suivante, on le voyait s'attaquer aux alcalis organiques ; après quoi, il était conduit, à la suite de Dulong et Petit, à d'importantes remarques sur la chaleur spécifique des corps simples ou composés.
La réputation du jeune chimiste était déjà si bien assise, que peu de jours avant que ses 30 ans eussent sonné, le 6 juillet 1840, alors qu'il avait encore, au dire de ses contemporains, presque l'air d'un enfant, il se vit élu à l'Académie des Sciences en remplacement de Robiquet. La même année, il succédait à Gay-Lussac comme professeur à l'Ecole Polytechnique.
C'est à ce moment, quand il semblait à tout jamais engagé dans la Chimie, que les circonstances l'amenèrent à modifier la direction de ses recherches. Déjà l'étude des chaleurs spécifiques l'avait fait pénétrer sur le terrain de la Physique. Or, l'administration des Travaux publics ayant résolu d'asseoir sur une base positive la législation des machines à vapeur, M. Legrand, l'éminent sous-secrétaire d'Etat, eut l'heureuse idée de charger Regnault d'établir « les principales lois physiques et les données numériques qui entrent dans le calcul » de ces appareils. Presque en même temps, le Collège de France appelait le jeune académicien dans la chaire où s'étaient assis Savart et Ampère. La destinée du savant était désormais fixée.
Appelé à définir les conditions dans lesquelles peut varier la tension de la vapeur d'eau, Regnault n'était homme, ni à accepter sans contrôle les chiffres donnés par ses devanciers pour exprimer l'action de la chaleur et de la pression sur les fluides élastiques, ni à se servir des instruments de mesure habituels avant d'avoir rigoureusement précisé la valeur des indications qu'ils fournissent. Il voulut donc recommencer toutes les expériences et en varier à l'infini les conditions, n'hésitant pas à compliquer de plus en plus, pour éviter les causes d'erreur partout entrevues par lui, des appareils où sa dextérité excellait à introduire mille perfectionnements nouveaux. Aussi son laboratoire du Collège de France eut-il bientôt conquis une renommée universelle. La dilatation des fluides élastiques, la mesure de la température, les conditions de dilatabilité du mercure et du verre, la compressibilité des gaz, des vapeurs et des liquides, la tension de la vapeur d'eau, sa chaleur latente sous diverses pressions, enfin la chaleur spécifique de l'eau à température variable, attirèrent tour à tour son attention.
De là sortit, en 1847, le travail classique, publié dans les Mémoires de l'Académie des Sciences sous le titre : Relation des expériences entreprises par ordre du Ministre des Travaux publics et sur la proposition de la Commission centrale des machines à vapeur, etc. Dans ce magnifique ouvrage, que deux autres volumes devaient un jour compléter entre 1847 et 1870 on vit successivement les lois de Mariette, de Gay-Lussac, de Dulong et Petit, perdre sous l'impitoyable contrôle de Regnault leur caractère de rigueur absolue, pour n'être plus que l'expression de circonstances idéales, propres aux gaz parfaits. En même temps, le scrupuleux physicien employait toutes les ressources de son habileté pour fixer, avec la dernière précision, des données numériques capables de suffire à toutes les nécessités de la pratique.
L'apparition du volume de 1847 fit partout sensation. Récompensé par le grade d'ingénieur en chef, l'auteur reçut la mission de continuer, dans le seul intérêt de la science, des travaux où déjà l'administration et l'industrie avaient trouvé pleine satisfaction. Peu de temps après, l'étranger lui décernait un témoignage non moins flatteur. La révolution de 1848 venait d'éclater. Dans la crainte que des recherches aussi importantes ne fussent abandonnées faute de fonds, la Société des Ingénieurs de Londres offrit d'en prendre la poursuite à sa charge. Si la France tint à honneur de rendre ce concours inutile, c'était du moins un précieux hommage pour notre science nationale qu'une telle proposition; car, venant du pays où les machines à vapeur avaient pris leur premier essor, elle impliquait l'aveu qu'il ne s'y était encore trouvé personne pour essayer de substituer des règles rationnelles et précises à l'empirisme par lequel l'usage des nouveaux engins avait été jusqu'alors gouverné.
Regnault ne renonçait cependant pas à la Chimie ; car c'est en 1848 qu'il commença la publication de son Cours élémentaire, devenu depuis un ouvrage en quatre volumes ; livre clair et substantiel, quoique peu fait pour exciter l'amour de cette science chez ceux qui souhaitent d'y trouver autre chose qu'une énumération méthodique de réactions. En 1852, l'auteur était appelé à la direction de la manufacture de Sèvres. Là, il trouva moyen de perfectionner la fabrication de la porcelaine en améliorant le procédé du coulage. Le premier, il sut appliquer l'action des gaz réducteurs à la production de couleurs nouvelles de grand feu. La reconstruction de l'établissement de Sèvres a été son oeuvre personnelle, facilitée par le crédit dont il jouissait auprès du souverain. Enfin, à la même époque, il prenait part à la restauration de la machine de Marly, et présidait aux expériences qui ont fixé l'emploi du gaz d'éclairage dans la capitale. Si nous ajoutons qu'il s'était aussi occupé, en collaboration avec M. Reiset, d'un grand travail sur la respiration des animaux, on se fera une juste idée de l'universalité de cet étonnant esprit.
Regnault avait atteint l'apogée de sa gloire, quand une chute, qu'il fit en 1856 dans son laboratoire, mit pendant un mois sa vie en danger. Il se rétablit pourtant; mais la commotion cérébrale avait été si forte qu'il en demeura quelque chose. La conversation, autrefois nette et mordante, tendait à devenir diffuse. Il semblait avoir perdu le don de conclure. A l'École Polytechnique, son cours de Chimie trahissait la fatigue.
Néanmoins l'ardeur au travail ne l'avait pas abandonné. Longtemps dédaigneux des théories et des systèmes, il s'était plu à se renfermer dans l'établissement des résultats numériques, plus heureux, semblait-il, de discréditer une ancienne loi que de chercher à en faire prévaloir une nouvelle. Or, à ce moment, une pléiade de savants, utilisant en partie les données mêmes de Regnault, dressait avec succès les premières assises du grand édifice de la Thermodynamique. Le physicien qui avait si bien exploré le domaine de la chaleur voulut prendre sa part de ce progrès. Mais, tandis qu'il s'y préparait par de nouvelles expériences, une suite ininterrompue de malheurs vint entraver une carrière jusque-là féconde en triomphes. Comme l'a dit son éloquent panégyriste, J.-B. Dumas, « entré dans la vie par un chemin difficile et rude, il avait rapidement conquis tous les honneurs, amassé tous les biens, connu toutes les joies; victime d'une fatalité implacable, il descendait, avec la même hâte fiévreuse, toutes les étapes de la voie douloureuse ».
La première de ces épreuves fut la mort de sa compagne, survenue en 1866, et bientôt suivie de celle de Mme Clément. Pourtant le savant ne se décourageait pas encore. On le voyait, en 1868 et 1869, étudier la détente des gaz, fournir la véritable explication de l'incandescence des bolides, enfin s'appliquer à la mesure de la vitesse du son dans les circonstances les plus variées.
Mais la guerre éclate, et le fils qui faisait son orgueil, l'illustre peintre Henri Regnault, est tué à la bataille de Buzenval. Comme si ce n'était pas assez, quand après la guerre le directeur de Sèvres put rentrer dans son laboratoire, il eut l'immense chagrin de constater que tous ses manuscrits avaient été brûlés, tous ses précieux instruments mis hors d'usage. Ce n'était pas un brutal obus qui avait accompli cette destruction. On y démêlait, disait tristement Regnault, « l'oeuvre d'un connaisseur ». En anéantissant des masses de documents numériques impossibles à reconstituer, en brisant les tiges des thermomètres et des appareils les plus délicats; en faussant d'un simple coup de marteau les balances de précision, le soldat ennemi, coupable de cet acte de vandalisme, savait bien qu'il paralysait pour toujours un des plus hauts représentants de la science française!
Après tant de coups douloureux, Regnault, que sa foi religieuse avait soutenu, s'était encore flatté de trouver près de Genève, dans la gracieuse hospitalité de son ancien élève Soret, quelque repos et, peut-être aussi, la possibilité de renaître au travail. Mais à peine y était-il installé, à la fin de 1874, que sa soeur, venue pour le voir, tombait frappée de mort subite. C'en était trop; une attaque de paralysie vint anéantir chez Regnault toute activité physique. Encore fallut-il plus de trois ans à la mort pour achever son oeuvre, qui ne devint complète que le 19 janvier 1878, sept ans, jour pour jour, après la fatale bataille de Buzenval! Du moins, dans la dernière séance de l'Académie à laquelle le malade s'était fait conduire, celle du 24 décembre 1877, une consolation lui avait-elle été donnée : celle d'entendre annoncer la liquéfaction de l'oxygène, événement que lui, si réservé d'ordinaire, n'avait pas hésité à prédire au cours de ses recherches sur la compressibilité des gaz.
Aujourd'hui Regnault n'est plus. Les lois de Mariette, de Gay-Lussac, de Dulong et Petit, qu'il s'était attaché à ébranler, gardent encore les noms de ceux qui les ont formulées. Par contre, l'édifice expérimental du Collège de France a subi quelques atteintes. On l'avait cru bâti « avec une solidité qui défie l'oeuvre du temps (Jamin, Discours aux funérailles) » ; et voici que, parfois, de nouvelles expériences conduisent à modifier des chiffres qu'on regardait comme irrévocablement établis par Regnault. En faut-il conclure que sa réputation ait été surfaite? Non certes; et c'est toujours une grande admiration que mérite ce physicien ingénieux et sagace, supérieur à tous dans l'art de conduire les expériences, et en même temps si rempli de conscience et de droiture, qu'il a tenu à publier tous les éléments de ses recherches, les livrant loyalement à la discussion, quand il eût pu se borner à en indiquer le résultat moyen. Son oeuvre expérimentale est un monument de premier ordre, incomparable par son ampleur comme par sa perfection, toujours digne de servir de modèle. Nous avons dit aussi quelle reconnaissance lui devait l'industrie, pourvue grâce à lui de données qui suffisent à tous ses besoins.
Néanmoins cette destinée, dont l'éclat ne paraît pas avoir grandi avec le temps, nous apporte un enseignement : c'est que, sans méconnaître les services rendus par les hommes de science qui veulent tout soumettre au contrôle d'une critique défiante et sévère, la postérité garde ses préférences pour les esprits de large envergure, que la crainte d'énoncer un résultat inexact par quelque endroit n'arrête pas dans la voie des conceptions hardies et fécondes. Regnault a été un grand savant. Il eût paru plus grand encore si, moins sceptique au regard des théories, il avait appliqué son génie, soit à développer ce que contenaient en germe ses belles recherches sur les éthers, soit à faire sortir de ses expériences l'équation caractéristique des fluides, soit à ne se laisser devancer par personne dans l'établissement des lois de la Thermodynamique. Enfin, sa figure, intéressante à tant de titres, n'aurait pas eu besoin de l'auréole du malheur pour exciter la sympathie, s'il avait montré plus de souci de former des élèves, et s'il s'était mieux appliqué à entretenir en lui, pour en communiquer généreusement l'étincelle aux autres, ce feu sacré sans lequel il n'y a pas de gloires impérissables.
A. DE LAPPARENT.
Voir aussi Eloge de Regnault par J.-B. Dumas, membre de l'Académie française, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, ancien ministre.
Voir aussi les notices biographiques des prédécesseurs de Regnault à la Manufacture de Sèvres :