Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1902 ; entré classé 13, sorti classé 2 sur 189 élèves) et de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1905). Corps des mines.
Fils de Robert DUBOIS (1857-1940 ; X 1877, ingénieur civil des mines (promotion 1879 de l'Ecole des mines), ingénieur aux Chemins de fer de l'Ouest) et de Victorine Céleste Marie LEBIEZ. Petit-fils de Alexandre Léonor DUBOIS, Agent voyager en chef, et de Delphine LEROY.
Publié dans Annales des Mines, 1922, tome II
Marcel Dubois, ingénieur au Corps des Mines, capitaine-pilote commandant une escadrille d'armée, chevalier de la Légion d'honneur, croix de guerre trois palmes, tué en combat aérien au-dessus des lignes ennemies, fut un des plus brillants parmi ces jeunes générations. Il frappait d'abord par son air de jeunesse et par cette flamme généreuse du regard, qui trop souvent sembla le privilège des prédestinés à l'héroïque mort.
Fils de notre camarade Robert Dubois, ingénieur en chef aux Chemins de fer de l'État, il est né le 8 septembre 1883 à Rouen et a fait ses études littéraires au lycée Condorcet, ses études mathématiques au lycée Carnot. Comme beaucoup de ceux qui ont conquis les premiers rangs à l'École polytechnique, il semblait également doué pour les lettres et pour les sciences. Entré le treizième à l'École polytechnique, il en sortit le second en 1904 dans le Corps des mines. Après son service militaire comme sous-lieutenant au 22e régiment d'artillerie à Versailles, il entra à l'École des Mines en 1906. Il fit son premier voyage de mission en Angleterre; le second, en 1907, avec son camarade Châtard (tué en 1914), le conduisit à visiter le Canada et la côte de Vancouver. Le troisième, en 1908, avec M. Parent, ingénieur au Corps des Mines et M. Corpet, le conduisit en Chine, au Japon et en Corée. A la sortie de l'École des Mines, il fut attaché pour quelque temps au Chemin de fer de l'État et, à ce titre, envoyé en mission aux États-Unis (1910). Dès ce moment, les grands problèmes de l'aviation encore naissante s'emparaient de son esprit. Il fit partie, comme secrétaire, puis comme membre, de la Commission de Navigation aérienne au Ministère des travaux publics. En 1912, il n'abandonna pas cette commission quand il fut chargé du service des Mines à Tours.
Pour joindre la pratique à la théorie, il prit alors son brevet de pilote militaire comme officier de réserve.
La mobilisation vint. Il partit comme capitaine de l'escadrille MF 8 et fit ses premières armes dans des reconnaissances (régions de Verdun et Saint-Mihiel), pendant lesquelles les difficultés des bombardements précis le frappèrent. Avec l'ingéniosité et la précision de son esprit scientifique, il s'attacha à les résoudre en étudiant un viseur et le lancement des gros obus. Il fut alors envoyé à Saint-André-de-Cubzac près de Bordeaux pour expérimenter son viseur et c'est là que, le premier, il lança un obus de 125 kilogrammes de 1.000 mètres de hauteur (expérience faite le 29 octobre 1914, devant le Ministre de la Guerre). Ses recherches l'absorbèrent encore quelques semaines. Il ne tenait qu'à lui de les continuer. Le haut commandement désirait le spécialiser dans les études. Il voulut retourner au front et, nommé à l'escadrille MF 45 en Lorraine au mois d'avril 1915, il ne la quitta plus pendant quinze mois jusqu'à sa mort. Une série de glorieuses citations feront, mieux que tout discours, connaître sa valeur.
La première citation à l'ordre de l'armée est du 19 septembre 1915 :
« Le capitaine Dubois, pilote à l'escadrille MF 45, très adroit et très courageux, demandant toujours à marcher, a, depuis son arrivée sur le front, plus de deux cents heures de vol au-dessus de l'ennemi. S'est spécialisé dans le lancement des gros obus et a eu, au cours de ses opérations, son appareil souvent atteint par les projectiles ennemis. A attaqué les Drachen ennemis au moyen d'un dispositif très ingénieux inventé par lui et, malgré un feu violent dirigé contre lui, les a obligés à descendre précipitamment. » (Signé : Gérard.)
Un ordre particulier pour le service aéronautique du D. A. L. n° 1194 porte : « Le Général Commandant le D. A. L. exprime sa satisfaction au capitaine Dubois de l'aviation D. A. L. pour la hardiesse dont il a fait preuve en allant à plusieurs reprises, pendant la nuit, mitrailler et couvrir de fléchettes les travailleurs ennemis. » (Signé : Gérard.)
En septembre 1915, il fut nommé au commandement d'une escadrille, région d'Arras. Voici un extrait de la décision du jour :
« Le capitaine commandant l'escadrille porte à la connaissance de l'escadrille le prochain départ du capitaine Dubois qui va prendre dans le Nord le commandement de l'escadrille MF 54. Ce départ est une lourde perte pour l'escadrille qui se trouve ainsi privée en même temps d'un pilote de très grande valeur, toujours prêt pour les missions les plus dangereuses, d'un technicien remarquable et d'un brillant officier dont tout le monde a pu apprécier la modestie et le haut caractère. »
(Signé Van Duick, 25 septembre 1915.)
L'hiver devant Arras fut dur et difficile; la lutte âpre. Le capitaine Marcel Dubois se donna de toute son âme au combat et à l'exemple. Son escadrille réformée était devenue l'escadrille MF 16. Il l'entraîna spécialement aux bombardements de nuit. Le 24 janvier 1916, il fut décoré de la Légion d'honneur avec la citation suivante :
« Dubois (Marcel), capitaine de réserve, pilote à l'escadrille MF 16. Pilote remarquable et commandant d'unité hors pair, a fait preuve, dans des circonstances difficiles, de la plus belle énergie et du plus grand sang-froid. »
En mai 1916, comme on préparait l'offensive de la Somme, l'escadrille fut envoyée à Grivesne, région de Roye. Il entraîna de plus en plus ses officiers aux bombardements de nuit, missions particulièrement périlleuses. Le 25 juillet 1916, il était cité à l'ordre de l'armée, en même temps que trois de ses officiers : « Le capitaine pilote Dubois (Marcel), commandant l'escadrille MF 16, escadrille d'armée, par ses qualités de chef et d'organisateur, malgré des pertes cruelles, a su faire rendre à son unité les services les plus considérables et les plus divers : réglages, reconnaissances, bombardements de jour et de nuit, liaisons d'infanterie, photographies. A toujours donné le plus bel exemple, effectuant le premier les missions les plus périlleuses. »
Quand on pense à ce que représente de courage et d'énergie soutenue pendant des mois, une telle série de citations, on ne peut que s'incliner avec admiration. Malheureusement, bien peu, parmi ceux qui ont enorgueilli ainsi les fastes de notre aviation, restaient présents et visibles parmi nous au jour du triomphe. Leur âme seule a plané sur le retour pavoisé de nos régiments vainqueurs...
Marcel Dubois n'a pas connu sa dernière citation. Le 21 juillet 1916, à six heures du soir, il partit en reconnaissance au-dessus de Péronne avec un lieutenant observateur et accompagné d'un autre avion. Il n'est pas revenu. L'appareil qui l'a accompagné l'a perdu de vue au-dessus de Péronne. D'un ballon captif français, on l'a vu attaqué par un Fokker infiniment supérieur en vitesse, venu du fond de l'horizon. Pendant plus de dix minutes, il soutint la lutte. Puis le biplan français s'affaissa. Le lendemain, nos officiers pouvaient saisir un radio allemand contenant le communiqué suivant : « L'Empereur a rendu hommage aux exploits du Premier lieutenant Baron von Althaus, qui a remporté près Roye une victoire sur un biplan français, en lui conférant l'ordre pour le Mérite. » Plus tard, on sut que les obsèques du capitaine Dubois et de son observateur avaient eu lieu le dimanche 23 juillet dans le cimetière de Roye avec l'assistance d'une délégation de vingt officiers allemands, du maire de la ville et d'un grand nombre d'habitants venus rendre hommage à leur valeur et à leur courage. Un article de la Frankfurter Zeitung raconta le fait sous ce titre : « Hommage à l'ennemi ».
Un an après, le général Hirschauer, citant à l'ordre du corps d'armée l'escadrille MF 16 qu'avait commandée le capitaine Dubois, rappelait encore son souvenir et la part qu'il avait prise dans les deux mille heures de vol accomplies par cette escadrille pendant nos diverses offensives.
Aujourd'hui, la tombe de Marcel Dubois, miraculeusement préservée pendant le bombardement de 1918, commémore son nom dans le cimetière de Roye, à l'endroit même où les ennemis, en l'inhumant, se sont inclinés devant lui.
Comme soldat, il a bien mérité de la France. Comme ingénieur, il eût également servi son pays avec talent si la rigueur de la destinée le lui eût permis. Il a donné, à cet égard, mieux que des espérances puisqu'il a inventé des appareils, qui, pour être employés à la guerre, n'en démontraient pas moins sa valeur scientifique. Jusqu'au dernier jour, il témoigna d'une ardeur extraordinaire à tout connaître, comme s'il avait deviné que le temps lui était rigoureusement ménagé. Son sacrifice fut d'autant plus méritoire qu'il avait fondé un foyer et qu'il laisse, avec ses parents en deuil, une veuve et un enfant.
Publié dans Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1916
Marcel Dubois naquit le 8 septembre 1883 à Sotteville-lès-Rouen. Il fit ses études littéraires à Condorcet et ses mathématiques au lycée Carnot.
En 1902, il fut reçu 13e à l'Ecole Polytechnique. Il était à la fois admirablement doué et très ardent au travail. Aussi, les succès ne se firent pas attendre. Classé premier à la fin de la première année, il fut, à sa sortie de l'école, en 1904, classé second et opta pour le corps des mines.
En 1904-1905, il fit une année de service militaire comme sous-lieutenant au 22e régiment d'artillerie à Versailles. Vie d'activité surtout physique, qui lui fut profitable et dont il fut enchanté, car l'inaction seule lui pesait.
En 1905, il entra comme élève-ingénieur à l'Ecole des Mimes. La science pure l'avait séduit autrefois. Son intelligence ample et souple se plia facilement à l'étude de la science appliquée à la grande industrie. Et, comme toute activité l'intéressait, comme son esprit était attiré par tout spectacle nouveau et par toute connaissance à acquérir, il consacra les longues et fécondes vacances de ces trois années à des voyages d'une étendue déconcertante. En 1906, il se contenta de l'Europe. En 1907, accompagné de notre camarade Chatard (autre victime glorieuse de cette guerre), il traversa l'Amérique et ne s'arrêta qu'à l'Océan Pacifique. En 1908, il visita les pays extrême-orientaux, la Chine, la Corée, le Japon.
Que l'on ne voie pas dans ces déplacements la stérile agitation d'un globe-trotter maniaque. L'esprit de Marcel Dubois, toujours en éveil, ne se perdait jamais dans une contemplation paresseuse. Dans les lointains voyages, il cherchait tout autre chose que l'excitation factice dont ont besoin les désœuvrés et les ennuyés. Il préparait ses voyages par des études nombreuses : et, comme tous les aspects de la vie le passionnaient, il s'instruisait, autant que par l'étude de l'activité industrielle, par la littérature et l'art et par l'aspect de la nature dans les pays qu'il visitait.
A sa sortie de l'Ecole des Mines (1908), il est attaché aux chemins de fer de l'Etat. A ce titre, il est envoyé en mission à Washington en 1910, tout heureux de retourner dans ce pays d'intense activité qui l'avait, quelques années auparavant, si vivement intéressé.
Déjà naissait et grandissait en lui la passion de la navigation aérienne. Tout, dans l'aviation, l'attirait : les grands problèmes scientifiques, la poésie de cette vie en plein ciel, l'émotion du danger couru dans la poursuite d'un noble but. Là était bien sa voie. Marcel Dubois eut toujours, pour le grand Gabriele d'Annauzio, plus que de l'admiration : une ardente et frémissante sympathie. Sa vive et jeune sensibilité vibrait comme une lyre au souffle de cette poésie enflammée. [...]
A son retour de Washington, il est nommé secrétaire, puis devient membre de La Commission de Navigation Aérienne au ministère des Travaux publics. Chargé du Service des mines à Tours, en 1912, il continue cependant à faire partie de la commission de navigation aérienne. La pratique de l'aviation lui apparaît de plus en plus comme nécessaire à ses études. Il prend donc son brevet de pilote militaire comme officier de réserve.
La guerre le trouva tout prêt à servir son pays avec une science déjà expérimentée et avec une ardeur toujours jeune. Il part comme capitaine à l'escadrille M. F. 8. Il prend pour la première fois contact avec l'ennemi dans des reconnaissances en Lorraine. Les difficultés des bombardements précis attirent son attention ; il étudie un viseur pour les faciliter. En novembre 1914, il est envoyé à Bordeaux pour expérimenter ce viseur. Il étudie en même temps le lancement des gros obus. En présence de M. Millerand. ministre de la Guerre, il lance le premier un obus de 125 kilos d'une hauteur de 1,000 mètres. Il continue ses expériences à Buc, au Bourget, à Yillacoublay.
En avril 1915, il est envoyé à l'escadrille M. F. 45 en Lorraine. Dès lors, il combat constamment et se donne tout entier à l'ardeur de la lutte. Son courage et son entrain font l'admiration de tous. Rien n'est touchant comme les termes qu'ont employés ses chefs et ses subordonnés pour parler du noble exemple que leur a donné le capitaine Dubois, cité trois fois à l'ordre de l'armée, félicité par tous ses chefs, regretté universellement à chaque changement d'affectation.
Sa première citation à l'ordre de l'armée nous apprend qu'il « a attaqué des drachens ennemis au moyen d'un dispositif tres ingénieux inventé par lui, et, malgré le feu violent dirigé contre lui, les a obligés à descendre précipitamment ». « Pilote remarquable et commandant d'unité hors de pair... » : c'est ainsi que le désigne la citation à l'ordre de l'armée qui accompagne sa promotion comme chevalier de la Légion d'honneur. Et sa dernière citation, après avoir consacré « ses qualités de chef » et d'organisateur, grâce auxquelles il a fait rendre à son unité les plus remarquables services, se termine ainsi : « A toujours donné le plus bel exemple, effectuant le premier les missions les plus périlleuses. » .
Glorieux éloges, assurément, et qui nous remplissent d'une amicale fierté. Mais il est des paroles plus émouvantes encore. Elles viennent de ceux qui l'ont vu de plus près qui, non contents de l'admirer comme tous l'ont admiré, l'ont en outre aimé parce qu'ils avaient vécu avec lui. Tel est l'adieu officiel que lui adresse le commandant d'une escadrille qu'il quitte : « Ce départ est une lourde perte pour l'escadrille qui se trouve ainsi privée en même temps d'un pilote de très grande valeur toujours prêt pour les missions les plus dangereuses, d'un technicien remarquable et d'un brillant officier, dont tout le monde a pu apprécier la modestie et le haut caractère. »
« Technicien remarquable », lisons-nous. C'est le témoignage unanime de tous ses camarades et de tous ses chefs. Pour nous qui, au temps déjà lointain de l'Ecole Polytechnique et de l'Ecole des Mines, avons connu les remarquables aptitudes scientifiques de Marcel Dubois et son étonnante capacité de travail, nous croyons bien volontiers que la mort d'un tel officier fut une perte immense pour l'aviation. Il se consacra jusqu'à la limite de ses forces à l'étude des problèmes de la navigation aérienne. Toujours à la recherche de perfectionnements nouveaux, il rendit de grands services à cette science qui le passionnait. Combien il en aurait encore rendus s'il ne nous avait été prématurément enlevé !
Dans les premiers mois de 1916, Marcel Dubois, au front, reçoit la croix de la Légion d'honneur. En mai, il est envoyé avec son unité dans la Somme, région de Roye. C'est l'offensive qui se prépare. Il entraîne ses officiers à des bombardements de nuit, missions importantes et périlleuses. Prenant pour lui les plus périlleuses, il se multiplie pour assurer le magnifique rendement de son unité dont trois officiers sont cités à l'ordre de l'armée le même jour que lui. Sans connaître le texte de cette troisième citation qui consacre ses qualités de chef et sa valeur, le 21 juillet, à six heures du soir, il part en reconnaissance. Il est attaqué au retour par un Fokker, et, d'un ballon captif, on le voit, pendant plus de dix minutes, tenir tête à son ennemi dont l'appareil est supérieur au sien comme vitesse. Puis on le voit tomber derrière un rideau d'arbres.
Plus tard, les Allemands ont fait savoir que le capitaine Dubois a été mitraillé en combat aérien et qu'il est mort le 21 juillet. Quelle mort pourrait être plus belle que cette mort ? Avec son incessant désir du mieux, avec son instinctive horreur du vulgaire et du terre-a-terre, avec son ardente générosité, quelle mort aurait-il pu rêver, plus belle que cette mort : mourir en héros, en plein ciel, dans la gloire du soleil couchant d'un soir d'été ?
Marcel Dubois s'était marié quelques années avant la guerre. La guerre le sépara de son foyer qu'avait égayé la naissance d'une fille : prélude de la séparation plus douloureuse de la mort. Il laisse aussi un père et une mère vénérés et aimés, qui avaient concentré sur lui, fils unique, toutes leurs puissances d'affection et leur actif dévouement. Quelles douleurs sont comparables aux douleurs de ceux qui restent ? Et quelles consolations peuvent leur être offertes ? Si la gloire humaine n'est pas un vain mot, ils trouveront, dans cette pensée de l'estime des hommes, un réconfort efficace ; car tous ont tenu à rendre hommage au jeune héros : tous, et nos ennemis eux-mêmes, qui, le 23 juillet, à Roye, ont fait célébrer ses obsèques en présence d'une délégation de vingt officiers allemands, du maire de la ville et d'un grand nombre d'habitants. Ils trouveront aussi et surtout, tous ceux qui ont aimé Marcel Dubois, consolation et réconfort dans les espérances de la vie éternelle. Marcel Dubois a vécu et est mort dans le sein de la maternelle Eglise catholique qu'il aimait. Ayons l'espoir qu'à lui s'applique la parole de la sainte Ecriture : « Aux yeux de ceux qui ne savent pas, ils ont paru mourir ; mais ils sont dans la paix. »
H. Léchalas