Né le 11 février 1921 à Paris (6ème).
Décédé le 27 août 2014 à 7 h du matin.
Fils de Edmond FRIEDEL et de Jeanne BERSIER. Petit-fils de Georges FRIEDEL. Arrière-petit-fils de Charles FRIEDEL. Cousin germain de Charles CRUSSARD.
Marié en 1952 à Mary HORDER.
Père du physicien et manager Paul FRIEDEL et du Dr Jean FRIEDEL.
Jacques FRIEDEL fait des études à Strasbourg, à Paris puis, pendant la 2ème guerre mondiale, à Bordeaux et à Lyon. Combattant dans la 2ème DB.
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1942, division A, sorti classé 3) et de l'Ecole des mines de Paris (entré en octobre 1946, sorti en 1948 classé 6 sur 10 corpsards). Membre du Corps des mines qu'il quitte définitivement en 1961. Ph.D. de l'Université de Bristol (1952), avec une thèse sur la structure électronique des impuretés dans les métaux. Docteur es sciences physiques (1954) : Jacques Friedel se souvient dans Graine de mandarin que le jury, gentil mais peu compétent, bavarda pas mal pendant la soutenance !.
Il est d'abord affecté à l'Ecole des mines de Paris de 1946 à 1956, où son cousin Charles CRUSSARD l'initie à la métallurgie physique ; au cours de cette première période, il passe quelques années à Bristol. Il rejoint ensuite l'Université de Paris, puis celle de Paris-Sud Orsay, où il est successivement maître de conférences (1956) puis professeur de physique (1959), et professeur émérite à partir de 1990. Il crée le laboratoire de physique des solides de Paris-Sud. Il travaille notamment sur la structure électronique des métaux et sur les dislocations. On lui doit la règle de somme de Friedel, les oscillations de Friedel, le mécanisme de Friedel-Escaig, la limite de Friedel.
Lauréat de la médaille d'Or du CNRS en 1970, il est le premier français lauréat de la Acta Materialia Gold Medal en 1983. [Le français Jean PHILIBERT, qui fut également un élève de Charles CRUSSARD, obtiendra la même médaille en 1999, et André PINEAU, professeur à MINES ParisTech, l'obtiendra en 2013].
Il est élu à l'Académie des sciences en 1977, et en sera le président de 1992 à 1994. Il est aussi membre de nombreuses académies des sciences étrangères (Brésil, Belgique, Londres, Etats-Unis, etc.) et est docteur honoris causa de nombreuses universités.
Il fut président du Comité Consultatif de la Recherche Scientifique et Technique (1978-1981). Nommé en 1994 par François BAYROU président de l'Observatoire national de la lecture, il exerce ces fonctions jusqu'en 2001.
Il est nommé grand croix de la Légion d'honneur en juillet 2013. La décoration lui a été remise le 22 octobre 2013 à l'Elysée, par le Président de la République.
L'article ci-dessous, publié dans La Jaune et la Rouge, signé Christian Marbach, commémore l'événement :
Jacques Friedel est décédé le 27 août dernier, à l’âge de 93 ans.
Lorsque notre président m’a demandé de préparer quelques mots d’hommage pour notre Académie, j’ai d’abord pensé qu’il y avait parmi nous un grand nombre d’excellents scientifiques mieux placés que moi pour parler de ce « monument de la physique française », une expression que notre consœur Catherine Bréchignac a d’ailleurs utilisée et explicitée avec talent lors de la cérémonie tenue au Temple de l’Etoile, mercredi dernier. Mais je me suis tout de suite souvenu que je disposais d’un récent document de Jacques dont la lecture allait certainement vous intéresser.
De quoi s’agit-il ? Après l’élévation de notre confrère à la dignité de grand-croix, dans l’ordre national de la Légion d’honneur, le 14 juillet 2013, j’avais écrit une petite page sur son parcours dans la revue des polytechniciens.
Quelques jours après la parution de mon billet, j’eus la surprise de recevoir de Jacques une lettre de remerciements. Une vraie lettre, pas un SMS de 140 signes avec abréviations malvenues. Une vraie lettre écrite à la main, en tout petits caractères, d’une encre hésitant entre le bleu et le vert. Deux pages résumant avec tant de précision sa trajectoire scientifique que j’ai pensé bon de vous la lire, sans en changer un seul mot, (mais en utilisant désormais la transcription que j’en ai faite pour être certain de pouvoir la lire plus facilement). La voici, datée du 17 octobre dernier.
Transcription de la lettre de Jacques Friedel (17.10.2013) faite en réponse de mon article sur sa Grand-croix de la Légion d’Honneur
Mon cher Marbach,
Je suis touché que tu aies pris le temps de parler de moi dans des termes sympathiques dans la Jaune et la Rouge !
Je pense que, comme beaucoup de corpsards pendant et juste après la guerre, je dois beaucoup au décret Suquet qui obligeait dès mai 1939 les Corps techniques de l’Etat à affecter à la recherche 10% de leur personnel. Dans ma propre famille, mes cousins Jean et Charles Crussard en ont profité avant la fin de la guerre et c’est ce qui m’a conduit à débuter ma recherche en 1948 dans le petit labo de Crussard à l’école des mines de Paris. Une étude –la première du genre- sur la variation de la tension interfaciale avec la désorientation des cristaux d’Al m’a amené à comprendre qu’à l’époque, les seuls calculs de cohésion des métaux concernaient les cristaux parfaits dans des métaux ésotériques ( ?) comme le Li ou le Na. Pour progresser dans la théorie, il fallait que j’apprenne la mécanique quantique et que je l’applique à des cas concrets de défauts dans les cristaux métalliques. La seule personne capable de m’offrir cette clé était N.F.Mott, ami de Charles Crussard. J’ai alors passé trois ans à Bristol et en suis revenu ayant maîtrisé la technique de la structure électronique des alliages métalliques (mon PhD) mais aussi la nouvelle science des dislocations expliquant la plasticité des cristaux où Bristol était en pointe avec Charles Frank. Ce sont des cours faits à l’Ecole des mines, dans deux domaines nouveaux de la métallurgie, qui m’ont progressivement ouvert la porte de l’Université, et d’abord par la création avec André Guinier et Pierre Aigrain d’un DEA de physique des solides qui, dès le début, a formé plus d’une cinquantaine d’étudiants par an dont nombre d’X et de Normaliens, qui ont, pour la plupart fait ensuite des thèses dans des laboratoires tant industriels qu’universitaires. Bon nombre de mes camarades de l’X ont eu des histoires similaires.
Bien amicalement. Jacques Friedel.
(Quelques commentaires, avant de courtes additions)
Il est facile de trouver dans ce message nombre de thèmes correspondant à la personnalité et à la démarche de Jacques en matière de recherche.
Une affirmation tranquille de l’originalité novatrice de ses travaux.
Son positionnement personnel par rapport aux études et aux diplômes : si Jacques tient ici compte de son interlocuteur, comme lui X et « mineur », il souligne aussi à maintes reprises sa capacité à dépasser les clivages entre grandes écoles et universités, corps et diplômes, attentif aux ponts et aux collaborations plus qu’aux différences.
La reconnaissance non dissimulée de ce qu’il devait à des dispositions de nature administrative : il est toujours resté un défenseur du décret Suquet, qui porte le nom d’un précurseur de cette volonté, un X-Ponts, collaborateur proche de Fulgence Bienvenüe puis directeur de l’école des ponts, désireux d’envoyer le plus de Corpsards possible en laboratoires ou sur les chantiers.
Sa dette, en matière de connaissance et de méthodologie scientifique, envers des amis qui l’ont aidé comme Crussard et surtout des maîtres et prédécesseurs émérites comme Mott ou Frank.
La mention, évidente pour lui, de ses compagnons de route: il cite notre regretté confrère Aigrain et Guinier mais aurait aussi pu évoquer, comme il le fait dans son autobiographie, de Gennes, Castaing et bien d’autres, universitaires ou ingénieurs, français ou étrangers.
L’attention soutenue qu’il portait à ses élèves et disciples ; il savait les orienter sans d’ailleurs jamais revendiquer une quelconque copropriété dans leurs travaux, comme le soulignait un de ses élèves la semaine dernière. Et l’appui apporté dès l’origine à l’Association Bernard Grégory est cohérente avec cette attitude.
La volonté et la nécessité de travailler avec des entreprises –évidemment la réussite de Crussard chez Péchiney l’a confirmé dans cette conviction, mais aussi les nombreuses positions de conseil qu’il a pu occuper lui-même, comme chez France-Télécom.
Compte tenu de cette conviction, que les scientifiques ne pouvaient pas rester dans leur tour d’ivoire, il n’est pas étonnant qu’il soit devenu membre du Cadas puis membre fondateur de notre Académie : Pierre Castillon m’a rappelé il y a deux ou trois jours combien il a efficacement soutenu notre création, en pleine liaison avec Jacques-Louis Lions et Paul Germain. Cette adhésion ne signifiait pas une approbation totale de tous les thèmes que nous avons essayé d’étudier. Je peux par exemple signaler son scepticisme difficile à entamer devant les possibilités des PME en matière de technologie et devant le concept d’innovation, qu’il définissait comme « inventer des trucs nouveaux ». Sur ce sujet, il savait rompre des lances avec ses contemporains mineurs Giraud et Laffitte !
Compte tenu de sa hauteur de vues et de la clarté de ses opinions, Jacques a été pendant des décennies sollicité pour participer à d’innombrables comités de sages ou groupes de réflexion, et il acceptait ces missions sans fausse modestie. Il voulait peser –à sa place, pas la dernière- sur les priorités de l’action gouvernementale en matière de recherche. Mais aussi, par exemple, sur bien d’autres sujets. Comme la retraite des professeurs d’université, que d’autres voulaient rendre obligatoire à 60 ans, il y était opposé. Ou au début des années 80 contre la fonctionnarisation de tous les personnels du CNRS, qu’il n’approuvait pas. Ou plus tard, autre sujet, pour l’encouragement à la lecture !
Le récit précis et détaillé de la carrière scientifique et de l’action de Jacques en faveur de la recherche française figure dans un livre qu’il a sorti en 1994. Il l’a appelé, de son propre chef ou à la pressante suggestion de son éditeur, je ne sais, « Graine de mandarin ». Ce terme de mandarin est souvent utilisé dans un sens péjoratif, celui de l’accaparement y compris par la manipulation des intelligences, des décisions, des budgets et des honneurs. Il est clair que Friedel, en affirmant ses convictions et en pilotant ses équipes, raisonnait beaucoup plus en termes de service à rendre à la science et au pays. Mais s’il assumait l’expression de mandarin, ou de graine de mandarin c’était d’abord pour lui une manière de rendre hommage, avec force, à la famille dont il était issu.
Nous avons tous notre propre opinion sur ce que nous devons à notre famille: nom, gènes, culture, convictions, codes, capacités financières, relations. Jacques Friedel, parfaitement lucide pour juger ce qu’il devait à lui-même, était aussi totalement convaincu qu’il était l’heureux descendant d’une exceptionnelle lignée et qu’il devait s’en montrer digne en toutes circonstances.
Digne du médecin et zoologiste Duvernoy, proche de Cuvier, dont la fille épousa un commerçant alsacien dégourdi, Charles Friedel I: nous sommes en 1830.
Digne de Charles Friedel II, chimiste et minéralogiste, qui mena sa carrière à Strasbourg puis Paris.
Puis de Georges, cristallographe et géologue, directeur des mines de Saint-Etienne, un des artisans de la refondation d’une université française à Strasbourg après 1918.
Puis d’Edmond, le père de Jacques, ingénieur des mines, directeur des mines de Paris.
Et après Jacques, vous le savez, d’autres Friedel continuent dans la voie de la recherche scientifique.
Cette courte énumération ne m’a pas permis de mettre l’accent sur les travaux de tous ces éminents savants, mais vous me pardonnerez à leur propos un dernier rappel : les Friedel sont une de ces dynasties alsaciennes d’exception, industrielles et/ou scientifiques, souvent alliées entre elles (pour les Friedel, ce fut avec les Koechlin ou les Berger-Levrault ou encore les Peugeot très proches), affirmant sans aucune hésitation la valeur du travail comme la fidélité à leur pays, et qui ont été capables d’affronter sans faiblesse les conséquences de l’histoire tourmentée de leur province. C’est aussi cela qui a conduit Jacques Friedel à être le grand homme que nous avons connu.
Je vous remercie.
par Yves Quéré, membre de l'Académie des sciences
Publié dans La Jaune et la Rouge, Octobre 2011, n°698
Dans la famille, on n'entre pas à l'X n'importe comment. Jacques déclarera, se comparant à ses ancêtres - eux majors -, qu'il dut se contenter, à l'entrée, du « rang peu époustouflant de quatrième ». Il aura pourtant été pour d'innombrables physiciens, chimistes, biologistes, etc., respecté de tous, un modèle d'esprit scientifique, de clarté pédagogique, de rigueur morale et de quête humaniste.
UNE CARRIÈRE DE PHYSICIEN
Jacques, ingénieur du corps des Mines, décidera à la sortie de l'École de se lancer, grâce au « décret Suquet », dans une carrière de physicien. C'est en Angleterre qu'il se rend, à Bristol, dans le laboratoire de Nevill Mott, futur Prix Nobel de physique, pour entamer de brillante façon sa carrière scientifique. Il y établit, entre autres, la présence dans les métaux d'oscillations de la densité des électrons autour d'un atome « étranger ». Ce seront les « oscillations de Friedel », enseignées depuis lors dans tous les cours de physique des solides de par le monde. Ainsi explique-t-on la formation de minuscules paquets d'atomes de cuivre dans les alliages Al-Cu (les « duralumins »), et donc la rigidité de cet alliage en regard de celle de l'aluminium pur.
LE « STYLE FRIEDEL»
Ce simple exemple illustre le remarquable exploit de Jacques Friedel : celui d'avoir illustré simultanément, comme très peu ont su le faire, ces deux grands domaines de la physique des solides : celui de leurs propriétés électroniques (cohésion, conduction, supraconduction, propriétés optiques, magnétisme) et celui de leur comportement moléculaire (théorie des dislocations, propriétés mécaniques, élastiques, rigidité, fragilité). Exploit qui devait faire de lui, avec les Messiah, les Bloch, les Dautray, tous ingénieurs du Corps des mines, et aussi les Horowitz, les Abragam, les Aigrain, les Kastler, l'un des refondateurs de la physique française d'après-guerre, à laquelle il allait conférer ce « style Friedel » si personnel, où une théorie subtile se construit sur des modèles analytiques simples captant l'essentiel.
UNE AUTORITÉ INCONTESTÉE
Ayant rejoint l'Université, qu'il ne cesserait de défendre et d'illustrer, professeur à l'université Paris-XI, fondateur avec André Guinier et Raymond Castaing du célèbre Laboratoire de physique des solides d'Orsay, conseiller au CEA, à l'IRSID et en d'innombrables instituts de recherche fondamentale aussi bien qu'industrielle, Jacques Friedel allait jouer un rôle considérable dans l'épanouissement de la science française des soixante dernières années. Médaille d'or du CNRS (1970), membre (1977) puis président (1992-1994) de l'Académie des sciences, membre de nombreuses académies étrangères, il exerçait une influence allant bien au-delà du périmètre de sa discipline. On le voit présider, chaque fois avec une autorité incontestée autant que souriante, des institutions aussi diverses que l'Observatoire national de la lecture (ONL) ou que le Comité Consultatif de la Recherche Scientifique et Technique (CCRST).
Très engagé dans la rénovation de l'enseignement des sciences dans notre pays, Jacques Friedel soutiendra sans réserve l'action menée à l'école primaire par Georges Charpak (P43), Prix Nobel de physique sous le nom de La main à la pâte.
PROCHE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Coauteur d'un rapport sur l'enseignement à l'X, il y prône précocement la formation par la recherche et le développement des stages de fin d'études. Membre du Comité de recrutement des professeurs de physique, il veille sans cesse au souhaitable équilibre entre théoriciens et expérimentateurs. Membre de son Conseil scientifique au moment du déménagement de l'X à Palaiseau, il ouvre inlassablement pour un renforcement de la recherche à l'École.
Lorsque Pierre-Gilles de Gennes, qui avait été son élève, apprit que le prix Nobel de physique venait de lui être décerné, sa première réaction fut de déplorer que Jacques Friedel ne l'ait pas reçu avant lui.
Jacques Friedel (X42), figure emblématique de la Science française
Publié également, à quelques variantes près dans Mines Revue des Ingénieurs, #475, Septembre/Octobre 2014
Grande famille que celle des Friedel, en lien fort avec l'Ecole polytechnique. En se cantonnant à une pure verticalité, nous rencontrons successivement Georges (1885) le génial découvreur des cristaux liquides, Edmond (1914) grand minéralogiste, directeur de l'École des mines de 1944 à 1963, Jacques (42), Paul (76) et nul ne sait comment Charles (la célèbre réaction de « Friedel et Crafts »), père de Georges, a pu échapper, dans les années 1850, à cette force du destin.
Jacques Friedel
(C) Collection personnelle de son fils, le Dr Jean Friedel
Paul Friedel, fils de Jacques
Dr Jean Friedel, fils de Jacques
Trois descendantes de Jacques Friedel (photo prise en 2014)