Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1943). Ingénieur civil des mines. Docteur es Sciences (1955, sous la direction de Frédéric Joliot-Curie). Prix Nobel de physique (1992).
Hommage à Georges Charpak (P43)
par Yves QUÉRÉ
Tel était Georges Charpak
C'est un merveilleux privilège que d'avoir travaillé, presque quotidiennement depuis 1996 (sauf ces dernières années où il ne pouvait se déplacer que difficilement), aux côtés de Georges.
Arrivé en France à 7 ans de sa Pologne natale, 1931, élève de cette «école de la République» envers laquelle il estimait avoir une dette énorme, reçu aux Mines en 1942 mais aussitôt entré en Résistance, arrêté sous le faux nom de Charpentier, déporté à Dachau, revenu de là profondément marqué, il avait repris ses études à l'École après la guerre, s'était bientôt dirigé vers la physique des particules et avait inventé, l'améliorant sans cesse, ce détecteur génial qu'était la «chambre multi-fils proportionnelle» qui avait détrôné la chambre à bulles - au CERN, Genève, comme ailleurs - et lui avait valu en 1992, un an après Pierre-Gilles de Gennes, le Prix Nobel de physique.
C'est alors que je l'ai rencontré. Consterné d'apprendre que la science, du moins les sciences de la nature, avait déserté l'école primaire, il avait décidé de l'y réintroduire tout en en rénovant l'enseignement, façon pour lui de payer sa «dette». Nous l'avions rejoint, l'astrophysicien Pierre Lena et moi, dès le début de l'aventure, forts tous trois d'un vote unanime de l'Académie des sciences soutenant l'initiative. Celle-ci consistait à faire en sorte que les enfants apprennent la science en la faisant plutôt qu'en la lisant sur un tableau noir, un livre ou un écran : question, hypothèses, réflexion, observations, expérience (infiniment simple), et rédaction sur le «cahier de science», tout cela n'est autre, en échelle réduite à l'extrême, que la démarche du chercheur dans son laboratoire.
Sous le nom de La main à la pâte, nous avions proposé au Ministre d'alors, François Bayrou, une sorte d'opération-commando où quelques centaines de professeurs se lanceraient avec nous dans l'aventure à la rentrée 1996. Aventure multiforme qui, les années passant, aboutit à ce que, partant de près de zéro en 1996, une quasi-moitié des instituteurs font désormais de la science en France et que La main à la pâte (souvent en français dans le texte) se décline maintenant dans toute l'Amérique latine, en Chine, en Malaisie, au Cameroun, au Vietnam, en Turquie... et dans la plupart des pays européens.
Que ce soit bien clair : rien de tout cela n'aurait été possible sans l'extraordinaire allant de Georges, sans sa générosité, son intelligence, sa force de conviction et son charme. Pense-t-on à toute la persuasion qui est nécessaire pour investir cette énorme maison qu'est le Ministère de l'Education nationale, franchir les obstacles de toute nature, persuader celui-ci, obtenir de celui-là accord ou crédits, enrôler telle bonne volonté, circonvenir tel opposant, y-inclus parfois le Ministre ? Il avait fait de cette opération un impératif absolu de la partie de sa vie qui avait suivi le Nobel. Auteur, dans cette période, de plusieurs best-sellers, personnalité plus que reconnue, il aurait combien pu se reposer sur ses lauriers ! Il n'en fut rien et il se battit jusqu'au bout pour une cause à ses yeux prioritaire : donner à l'enfant le goût de ce qui est vrai en regard de ce qui est faux, lui apprendre la curiosité devant les objets et les phénomènes de la nature, la modestie face à une réalité des faits qui le dépasse et l'ouverture à tout ce qui n'est pas lui.
Inlassable pourfendeur des sectarismes et de l'intolérance, Georges Charpak - humour, gentillesse et volonté confondues - était passionné par la vie, la musique, la science, les idées, la littérature, la vérité... : un très grand Monsieur.
Yves Quéré (P51)