Robert DOUVILLE (1881-1914)

Marié, 2 enfants (une fille née en septembre 1909, un fils né le 19 novembre 1914).

Outre les fonctions à l'Ecole des mines mentionnées ci-dessous, Robert Douvillé était collaborateur au Service de la carte géologique et Préparateur à l'Ecole des Ponts et chaussées.


Notice biographique par J. Blayac, lue à la séance générale annuelle du 22 avril 1918 de la Société Géologique de France. Manuscrit remis au secrétariat le 5 février 1919.

La mémoire de nos malheureux confrères morts au champ d'honneur doit être célébrée dans les annales de la Société géologique avec toute l'ampleur dont ils sont dignes. Notre regretté président de 1914, A. Thevenin, a bien rappelé en fort beaux termes, dans son discours du 15 avril 1915, les grands traits de la carrière scientifique de Robert Douvillé tué à l'ennemi, le 4 novembre 1914, à l'âge de trente-trois ans; mais son oeuvre géologique est assez féconde pour qu'une notice spéciale lui soit consacrée. Ainsi en a décidé, à juste titre, le Conseil de 1917. On ne saurait en effet assez témoigner aux familles éprouvées, aux jeunes générations qui viennent, au monde savant, combien vif est notre culte pour les défenseurs de notre sol.

Quand les morts que nous pleurons s'appellent Robert Douvillé, Jean Boussac, Marcel Longchambon, tous doués d'une belle intelligence et déjà, malgré leur jeune âge, l'espoir de notre Société, nous leur devons ici une place d'honneur.

Sans nul doute, cette notice eût beaucoup gagné à être écrite par un des intimes, ami et collaborateur de Robert Douvillé ; mais sa présence aux armées en aurait retardé la publication et m'a fait un devoir d'accepter la mission de ce pieux devoir.

Robert Douvillé naquit le 26 juillet 1881 à Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Son père, l'éminent paléontologue que nous vénérons tous et dont tout éloge en ce lieu serait superflu, était, à cette époque, professeur à l'Ecole des Mines. Il lui apprit, dès l'enfance, à observer les choses de la nature.

C'est à Ville-d'Avray et surtout, au bord de la mer, à Villers, où la famille Douvillé allait souvent passer l'été, que la vocation de Robert commença à s'affirmer. Tout gamin, il suivait déjà son père dans ses promenades géologiques, le long des falaises ou sur la plage. Schlumberger, le regretté savant dont le souvenir est encore bien vivant parmi beaucoup d'entre nous, était très lié avec M. Henri Douvillé ; il a, lui aussi, beaucoup contribué à orienter les goûts du jeune Robert vers l'histoire naturelle. Il passait la belle saison à Villers-sur-Mer où il possédait un beau chalet. Les deux savants recueillaient sur la plage des fossiles et aussi des Algues et des animaux vivants abandonnés par la marée. Dans la notice nécrologique consacrée, ici même, à son ami, M. Henri Douvillé raconte que le chalet Schlumberger était un véritable jardin botanique et zoologique ; on y voyait réunies la plupart des Fougères du pays, à côté de plantes alpines. Une petite ménagerie y était installée qui attirait la curiosité de Robert; il y avait des Tortues exotiques, des Souris valseuses, des Caméléons. Un aquarium où flottaient des Algues vertes abritait les récoltes d'organismes vivants recueillis dans les flaques d'eau de la plage. De bonne heure Robert s'initie de la sorte, et avec passion, à la connaissance des êtres microscopiques ; mais la recherche des fossiles jurassiques dont il devait un jour décrire de nombreux spécimens l'attirait par-dessus tout.

Après de solides études au Lycée Condorcet qui se terminèrent par une année de Mathématiques spéciales, il renonça à préparer l'examen d'entrée à l'Ecole polytechnique où sa famille aurait peut-être aimé lui voir suivre la trace de son père. Il vint alors plein d'ardeur à la Sorbonne ; le meilleur accueil lui fut fait par Munier-Chalmas et M. Haug. A vingt ans, il avait déjà conquis, et avec la plus grande facilité, son diplôme de licencié es sciences naturelles. Malgré son vif désir d'entreprendre sans retard une thèse de doctorat, il n'hésita pas à préparer les certificats de minéralogie et de physique générale que Munier-Chalmas lui conseillait d'acquérir afin de parfaire sa culture générale. D'autre part, il s'instruisait régulièrement des choses de la géologie au laboratoire et dans les collections de l'Ecole des Mines ; ici, il était guidé par la haute expérience et la science inépuisable de son père et aussi par les idées qui s'échangent entre savants venus de partout dans ce sanctuaire de la paléontologie. Nous savons tous avec quel profit on y fait appel au profond savoir du maître si paternellement accueillant.

Ainsi admirablement préparé à entreprendre des travaux personnels, Robert, déjà confiant en lui-même, se met en quête d'un sujet de thèse.

Doué d'un esprit énergique et résolu, il était bien décidé à aller au loin étudier une région mal connue pour en faire une monographie géologique. Les Monts Aurès, en Algérie, l'avaient séduit tout d'abord ; mais après entente avec ses maîtres, il choisit un sujet moins vaste, dans le Sud-Est de l'Espagne.

Marcel Bertrand et M. W. Kilian, dans leur beau mémoire publié par la «Mission relative aux tremblements de terre d'Andalousie», ont désigné sous le nom de « zone subbétique » la large bande de terrains secondaires et tertiaires comprise entre la Sierra Nevada et la Meseta. D'après eux, cette zone aurait joué vis-à-vis de la zone bétique « le même rôle que les Préalpes par rapport aux Alpes Suisses ». Les conditions stratigraphiques et tectoniques y sont fort mal connues. Le sujet, surtout pour un débutant, est des plus difficiles, des plus délicats à traiter si on le compare à son homologue franco-suisse. Robert n'hésite pas à s'y consacrer. Il avait à peine vingt-deux ans; tous ceux qui le fréquentaient étaient frappés de l'originalité et de la précocité de son esprit critique. Nous le vîmes partir pour l'Espagne bien assurés qu'il mènerait rapidement à bien son sujet de thèse.

Sur la recommandation de M. Haug et de M. Vélain, il obtint une mission du Ministère de l'Instruction Publique. Il parcourut, pendant deux années consécutives, l'Andalousie, entre Martos, Jaen et Jodar ; il dressa une carte géologique au 50 000e dont il a donné une excellente réduction au 200 000e. Le père qui l'accompagna durant une vingtaine de jours, se rendit vite compte que son fils pouvait et tenait à voguer de ses propres ailes. Robert lui témoigne dans la préface de sa thèse une vive et touchante reconnaissance. Mais ses maîtres et aussi tous ses amis comme moi qu'il tenait au courant de ses recherches savent que l'oeuvre de Robert en Andalousie est toute originale et toute personnelle. Elle doit être ici rappelée dans ses grandes lignes, quoiqu'elle ait fait l'objet d'un court rapport spécial de M. Gentil, à propos du prix Viquesnel dont l'a honoré si justement la Société.

L'« Esquisse géologique des Préalpes subbétiques », sous son titre modeste, est un chapitre des plus importants de la géologie de la Péninsule Ibérique et aussi de l'histoire de la Méditerranée occidentale. Ecrite dans une langue sobre et claire, artistement illustrée de nombreux croquis, de vues panoramiques, de belles photographies accompagnées de profils explicatifs, elle fait honneur à l'Ecole française. Son auteur s'y révèle déjà très conscient des rapports de la géologie et de la géographie physique, paléontologue averti et tectonicien prudent. C'est surtout la région nord de la zone subbétique qui fait l'objet de ce travail.

Il y distingue deux régions : a) un Bas-Pays, la plaine du Guadalquivir, où affleure le Trias à faciès lagunaire, le Crétacé et le Miocène et où les alluvions quaternaires du fleuve forment la partie la plus riante, la plus fertile ; b) le Haut-Pays, d'une altitude dépassant 2000 m., est surtout fait de sédiments calcaires des terrains secondaires. Les chaînons y sont orientés E-W. A leur pied nord, et en bordure du Bas-Pays seulement, s'échelonnent les villages. La région est elle-même à peu près inhabitée, désertique, dépourvue d'eau. De-ci, de-là, nous dit notre regretté confrère, on y rencontre quelques rares troupeaux de chèvres. En été, les chevreaux y meurent souvent de faim, leur mère n'ayant pas de lait pour les nourrir. Robert ne nous dit pas les difficultés matérielles qu'il a rencontrées dans ces hautes chaînes où il a vécu plusieurs mois ; mais on les devine sous les remerciements cordiaux qu'il adresse dans sa préface à son fidèle ânier. Combien doux et reposant devait cependant lui apparaître le souvenir des cimes dénudées de l'Almaden et de ses chèvres étiques, aux jours tragiques d'août 1914, alors qu'il cheminait vers la frontière, sac au dos, résigné et conscient de son devoir !

Limité au Nord par la grande faille de la Meseta que suit le Guadalquivir, le Bas-Pays forme, du point de vue tectonique, un contraste saisissant, d'une part avec la région hercynienne, de l'autre, avec le Haut-Pays. Tous les terrains y sont en place, alors que des charriages très importants sont localisés dans le Haut-Pays. Les terrains de la plaine se superposent presque tous en transgression ou en régression sur le Trias. Le Jurassique n'apparaît pas dans cette partie basse de la zone subbétique ; les différents termes du Crétacé s'y montrent seuls en discordance sur les dépôts triasiques. Mais Robert Douvillé nous démontre que ces phénomènes ont seulement affecté le bord du détroit nordbétique au voisinage immédiat de la Meseta et ne se sont pas manifestés en son centre.

Le Haut-Pays est d'une structure très compliquée. Entre Jaen et Grenade, les chaînes subbétiques offrent de nombreux témoins d'une nappe charriée venue du Sud et dont les racines sont à rechercher peut-être aux environs de Grenade. Cette nappe est formée de tous les terrains jurassiques, crétacés et tertiaires de la région. Le Jurassique et le Crétacé constituent le gigantesque anticlinal de l'Almaden, couché et charrié vers le N, dont la tête est encore bien visible à la limite S de la plaine. Le flanc renversé de l'anticlinal s'est fortement étiré ; ses strates vont du Vracomen au Portlandien. Quant au flanc normal, ses couches, du Cénomanien au Crétacé supérieur inclus, ont continué à se déplacer et sont venues reposer sur le Bas-Pays, en avant de la tête anticlinale du noyau jurassique.

Cette portion de la masse charriée a donc son autonomie ; l'auteur la considère comme une deuxième nappe ou nappe supérieure.

Tout cela, bien exposé et appuyé de documents photographiques, entraîne favorablement la conviction du lecteur. D'ailleurs, à côté des preuves d'ordre tectonique, on apprécie beaucoup celles qui découlent de la paléontologie et de la lithologie. Ainsi, le Lias, le Jurassique moyen et supérieur ont un faciès différent, suivant qu'ils se trouvent en place ou charriés. Le Jurassique autochtone comprend des calcaires blancs où se trouvent quelques Ammonites néritiques ; les Phylloccras n'y ont jamais été signalés. Le Jurassique des nappes est formé de calcaires gris-foncé très pauvres en fossiles ; ils ont seulement fourni quelques traces de Phylloceras.

Ces phénomènes tectoniques se voient d'ailleurs confirmés par ceux signalés en 1904 par le regretté Nicklès, dans la Sierra Sagra, un peu au NE de Jaen.

Tous les étages secondaires et tertiaires étudiés par l'auteur lui fournissent matière à de nouvelles découvertes paléontologiques. Il signale des faunules d'Ammonites pyriteuses dans divers étages éocrétacés et mésocrétacés, semblables à celles étudiées par Nicklès dans la province de Valence ; il démontre que les calcaires à Orhitolincs et à Rudistes de Jodar sont bien de l'Aptien supérieur comme beaucoup de ceux d'Algérie ou des Pyrénées.

Les terrains tertiaires de la zone subbétique sont aujourd'hui, grâce à lui, parfaitement définis. Le Miocène inférieur et l'Eocène avaient été presque partout confondus ; les horizons à Lépidocyclines y étaient totalement inconnus.

Digne élève de son père, il recueille patiemment, avec méthode, de nombreux Foiaminifères des genres Orthophragmina, Alveolina, Operculina, Nummulites, Lepidocyclina, etc. Dans l'Eocène, à côté de formes très répandues comme Num. irregularis et 7V. scaber, il indique la présence de formes nouvelles, N. Montefriensis. Ses découvertes paléontologiques mettent en évidence des lacunes considérables dans le détroit nordbétique, entre le Maestrichtien et le Nummulitique seulement représenté par le Lutétien, entre celui-ci et l'Aquitanien supérieur. Au Miocène supérieur le détroit est exondé. L'Aquitanien remarquablement transgressif y est formé de dépôts bathyaux où les Globigérmes voisinent avec les Radiolaires et les Diatomées et par quelques sédiments néritiques à Lépidocyclines. Au Burdigalien, il y a prédominance de mollasses et de calcaires à Lilhothamnium.

Les communications entre l'Atlantique et la Méditerranée ont dû se faire au Sud de l'emplacement actuel de la chaîne bétique, aux diverses époques qui ne sont pas représentées dans la zone subbétique. M. Gentil nous a dernièrement montré, à propos de ses controverses sur le détroit Sudrifain, tout l'intérêt qui s'attache aux travaux de Robert Douvillé. L'histoire du détroit nord-bétique a donc fait de grands progrès par les minutieuses recherches de Robert Douvillé.

La géologie de l'Espagne lui était ainsi devenue familière ; il était de ceux qui la connaissaient le mieux. Aussi accepta-t-il, en 1911, de rédiger une monographie géologique de ce pays, pour le recueil dirigé par Steinmann et Wilckens.

Ce mémoire qui n'a pas moins de 180 pages lui fait encore beaucoup d'honneur ; il y résume très succinctement la géologie de l'Espagne, d'après les meilleurs travaux parus jusqu'à ce jour. La stratigraphie et la tectonique de la péninsule ne pouvaient être mieux présentées au public. Son livre est d'une lecture agréable, remarquablement soutenue par des cartes, des profils, des diagrammes ; on y trouve aussi des chapitres intéressants sur les tremblements de terre, les richesses minières, les régions naturelles et enfin une précieuse bibliographie.

Le nom de Robert Douvillé est désormais attaché à la Géologie de l'Espagne, avec ceux qui ont illustré la science française dans ce pays, de Verneuil, Barrois, Nicklès, Dereims et les savants de la Mission d'Andalousie.

A ce seul titre, il méritait bien d'être particulièrement honoré dans notre Bulletin ; mais l'oeuvre de paléontologie qu'il laisse nous fait tout autant regretter sa disparition. Il était un des rares d'entre nous qui paraissait disposé à consacrer toute sa carrière aux études paléontologiques, à suivre le sillon si fécond tracé par son père.

Après sa thèse, soutenue à vingt-six ans, à un âge où tant d'autres sont encore des néophytes, il passa deux années à la Faculté des sciences de Caen, en qualité de préparateur au laboratoire de géologie. Son goût pour la paléontologie s'est encore développé au contact des admirables collections si bien organisées par E. Deslongchamps et M. Bigot. A loisir, il a pu examiner les belles séries du Jurassique et particulièrement celles de l'Oxfordien de Villers dont il avait lui-même recueilli de nombreux exemplaires. Plus tard, il est appelé au laboratoire de géologie de l'Ecole des Mines au titre de préparateur, puis de chef des travaux ; il y retrouve avec joie les splendides collections de cet établissement où désormais il puisera les nombreux documents qui vont servir à ses travaux de paléontologie. [Il sera remplacé dans ce poste après sa mort par M. JODOT, vice-président de la Société géologique de France]

Sa production scientifique ne se ralentira jamais. D'année en année, ses amis, ses confrères qui appréciaient en lui un tempérament loyal et d'une rare franchise, constataient combien son jugement allait se perfectionnant. Nous aimions à discuter avec lui sur les questions de géologie à l'ordre du jour. Rapidement les honneurs vinrent à lui sans qu'il s'en souciât. Secrétaire de la Société en 1906, il ne tarda pas à en être lauréat (1910) et puis, en 1914, vice-président, en la bonne compagnie de son camarade et ami Jean Boussac. N'est-ce pas là une satisfaction pour nous tous de voir leurs deux noms à la tête du bureau de la Société à la veille du jour où ils devaient mourir pour la France !

Quand la paix sereine sera revenue, nous resterons longtemps encore en deuil et tout au regret de ces morts affreuses.

Mais que ces sentiments qui m'oppressent au souvenir de nos chers disparus ne me fassent point oublier que j'ai le devoir de vous donner un aperçu de l'oeuvre paléontologique du regretté Robert Douvillé.

Elle a trait à deux groupes zoologiques : les Foraminifères et les Ammonoïdés.

Parmi les premiers, il s'est particulièrement attaché à l'étude des Lépidocyclines. En collaboration avec son ami Paul Lemoine, il a publié sur ce groupe un mémoire des plus intéressants; c'était la première fois qu'il était l'objet d'une étude spéciale et son importance est fondamentale. Les auteurs se sont attachés à décrire avec précision les espèces précédemment connues et ils nous font connaître plusieurs formes nouvelles. Mais surtout ils ont pu suivre la répartition et l'évolution du groupe depuis Panama et la Floride jusqu'à Madagascar ; ils ont montré ainsi qu'il était possible, au moyen de ces fossiles, de caractériser plusieurs niveaux ; ils distinguent un niveau inférieur à grandes Lépidocyclines qu'ils attribuent à l'Aquitanien inférieur et deux autres plus élevés où les espèces sont de taille moyenne ou petite et qui appartiennent à l'Aquitanien supérieur et au Burdigalien. Sans doute, on a été amené plus tard à modifier ces attributions, le niveau inférieur a dû être subdivisé ; on a reconnu que les Lépidocyclines remontaient dans le Stampien et qu'elles apparaissaient en Amérique dès l'Eocène supérieur, mais l'importance de ces formes au point de vue de la détermination des niveaux n'en restait pas moins démontré.

Suivant l'exemple de Schlumberger, les auteurs avaient largement utilisé les caractères tirés des préparations en lames minces.

C'est ainsi qu'ils avaient reconnu l'importance de la constitution de l'appareil embryonnaire mégasphérique et qu'ils avaient pu en faire le fondement de leur classification. Ils avaient pu ainsi distinguer trois groupes suivant que cet appareil est en forme de haricot, ou bien à loges tangentes intérieurement ou enfin formé de deux loges demi-circulaires accolées. Le premier groupe ne comprend que de petites formes et le second des formes moyennes ou de grande taille ; ils correspondent aux groupes établis par Verbeck d'après la forme des loges équatoriales, en ogive ou en spatule. Le troisième groupe est spécial aux espèces américaines.

Il faut signaler aussi l'importance, pour la distinction des espèces, des caractères tirés de la disposition et de la forme des piliers latéraux.

Ce travail très original, ne tarda pas à être combattu dans ses conclusions. Des savants italiens nièrent la valeur stratigraphique des Lépidocyclines. La discussion, toujours courtoise, ne paraît pas avoir tourné au désavantage de Robert Douvillé. Elle aboutit, lors de la Réunion extraordinaire de la Société géologique à Turin, à une entente cordiale entre M. Prever et lui, en ce qui concerne les horizons à Lépidocyclines du Piémont.

Ces horizons se superposent au nombre de quatre, du Stampien au Burdigalien inclus. Néanmoins M. Sacco n'a pas admis cette localisation; il croit au contraire que les diverses Lépidocyclines ont en réalité une longévité beaucoup plus grande et caractérisent plutôt des milieux biologiques de divers âges que des étages géologiques.

Robert Douvillé ne s'en est point tenu là ; une étude des Lépidocvclines découvertes par M. Cottreau au Sausset, près Carry (Bouches-du-Rhône), lui a permis de préciser que le gr. L. marginata-Tournouerii caractérise, avec Myogpsina irregularis, l'Aquitanien supérieur ; que les mêmes espèces existent au sommet du Burdigalien, mais représentées par des individus plus vigoureux associés à une mutation de L. marginata : L. Cottreaui qui se retrouve en Andalousie, mais dans des gisements aquitaniens. Il fait aussi d'importantes observations du même genre sur des Lépidocyclines de Madagascar et fixe en une note très soignée les divers modes de variation de la coquille de ces curieux Foraminifères. Entre temps, M. Rispoli affirme avoir trouvé des Orthophragmina associées à des Nummulites lutétiennes et des Lépidocyclines oligocènes dans les argiles écailleuses de Palerme. Ces mélanges paraissent, à juste titre, d'après Robert Douvillé, tout à fait insolites.

Il se décida alors à visiter la Sicile, Malte et la côte italienne du canal d'Otrante ; il convia quelques-uns de ses contradicteurs à étudier avec lui, sur Le terrain, les questions en litige. Il fut ainsi constaté que dans les argiles des environs de Palerme des Lepidocyclina se trouvent associés à des Orthophragmina ; mais qu'on y voit aussi Nummulites crassus du Lutétien réunie à N. intermedius du Stampien. Robert conclut judicieusement que ces associations anormales étaient dues à des remaniements de terrains d'âge différent ; il émet l'opinion que la cause pourrait en être d'ordre tectonique. Les argiles écailleuses font, en effet, partie d'une nappe de recouvrement mise en lumière par les travaux de MM. Lugeon et Argand.

Tout en admettant l'existence de l'Eocène partout où M. de Stefano a cité des fossiles, il croit que les affleurements de terrains de cette époque ont été très exagérés. Il affirme, notamment, que la côte entre Tricase et Castro est formée de dépôts aquitaniens à Lépidocyclines.

Les Lépidocyclines sont-elles de bons ou de mauvais fossiles? Les travaux si consciencieux de Robert Douvillé et ceux de son père M. Henri Douvillé nous engagent à nous ranger vers l'affirmative. Quoi qu'il en soit, notre regretté et patient confrère était en tête de ceux qui connaissent le mieux ces Foraminifères ; il a contribué ainsi au bon renom de la Paléontologie française.

Ses travaux sur les Ammonoïdés sont encore plus importants que ces derniers. Il n'a pas publié moins de 45 planches relatives aux Ammonites. Ici encore, son oeuvre est des plus méritoires. Il a décrit et figuré un grand nombre d'espèces surtout jurassiques, discuté avec beaucoup de perspicacité leurs variations, suivi leur phyrlogénie d'un horizon à l'autre. Ses recherches ont porté sur des groupes très divers. Les Céphalopodes calloviens d'Argences des genres Keppleriles, Cadoceras, Perispliincles, puis, ceux du Jurassique supérieur et du Néocomien tle l'Argentine et du Pérou lui fournissent matière à des publications fort appréciées où sont étudiés les genres Viryalites, Polyptychites, Holcodiseus, Simbirskif.es, la famille si variée des Hopliidés et d'autres encore. Avec un soin minutieux, il figure les cloisons de toutes les espèces qu'il décrit. Ces monographies ne sont point seulement descriptives ; elles aboutissent prudemment à des conclusions sur la phylogénie et l'ontogénie des espèces les plus remarquables. Parmi ces diverses formes américaines, les unes sont autochtones, les autres sont immigrées parce que identiques à des formes européennes. Le genre Simbirskites que l'on croyait propre à la Russie est signalé par lui, le premier, en Argentine. Il y voit un argument en faveur de la théorie de Neumayr sur la distribution des zones climatiques perpendiculairement aux méridiens.

Les Céphalopodes jurassiques de Dives et de Villers avec lesquels il s'était familiarisé dès l'enfance l'ont aussi particulièrement intéressé. Les collections de l'Ecole des Mines lui ont fourni sur ce sujet de superbes échantillons. Les deux travaux qu'il a publiés dans les Mémoires de la Société, l'un sur les Cardiocératidés, l'autre sur les Oppeliidés sont parmi les meilleurs de sa production. De ses études morphologiques, il conclut à l'ignorance absolue de l'origine de Macrocephalites et par suite de la famille si homogène des Cardiocératidés. Il se rend compte que Cadoceras et Quenstedticeras se remplacent dans le temps, les plus anciens de ces derniers présentant même des caractères de Cadoceras. Il établit les différences entre Quenstedticeras et Cardioceras et précise les formes de passage des premiers aux seconds. L'un des principaux caractères des Cardioceras consiste dans l'incurvation des côtes très accentuée en avant ; ce caractère se manifeste, selon l'expression de l'auteur, dans des variations prémonitoires antérieures à la mutation.

Le développement ontologique des genres Stepheoceras et Pachyceras lui permet de croire que le second n'est qu'une mutation du premier.

L'une des dernières oeuvres de Robert Douvillé parue en 1914 concerne les Oppeliidés du Calvados. Les genres Hecticoceras, Oppelia, Lissoccras et ceux de position systématique douteuse comme Creniccras et Taramelliceras y sont décrits et discutés avec autant de mesure que les précédents. Chez les Oppeliidés l'irrégularité de l'évolution est remarquable ; la mutabilité est extrême à certains moments et s'exerce dans plusieurs directions. De nouveaux rameaux apparaissent et c'est à ce moment que prennent naissance les rameaux nouveaux, tandis qu'en dehors de ces périodes l'évolution suit une marche lente et régulière. C'est en général à la limite des étages que se produisent ces phénomènes.

L'Académie des sciences en 1912 a honoré tous ces travaux en accordant à Robert Douvillé le prix Delesse.

Au moment de la mobilisation, en 1914, Robert Douvillé avait rédigé un long mémoire sur les Cosmocératidés ; l'impression du texte était achevée et quelques-unes des planches étaient tirées avant la guerre. Il ne restait plus qu'à corriger les épreuves et à surveiller l'exécution des dernières figures. Cette tâche, M. Henri Douvillé l'a pieusement accomplie. Qu'il en soit ici profondément remercié! Grâce à lui le mémoire sur les Cosmocératidés publié par le Service de la Carte géologique a pu paraître en 1915, tout à l'honneur de la science française, comme l'a si bien dit M. Termier.

L'auteur définit les caractères de la famille des Cosmocératidés et des genres qui la composent, Garantia,Strenoceras, Kepplerites, Cosmoceras. Il étudie, pour chaque espèce, les variations ontogéniques et remarque que chez certains individus ces modifications se produisent de très bonne heure. Il constate dans la forme de la coquille et dans la ligne suturale des variations brusques qu'il explique par des changements du mode de vie de l'animal, celui-ci ayant pu habiter la haute mer ou sur les rivages. Enfin, il observe, que les caractères de quelques formes anciennes persistent dans le stade népionique de certaines formes récentes et cite quelques cas curieux de parallélisme entre Tontogénie et la phylogénie. Ce mémoire est accompagné de 24 planches en héliogravure remarquablement exécutées d'après les photographies de l'auteur.

Si la paléontologie absorbait de plus en plus le meilleur de son temps, il trouvait un dérivatif à ses travaux préférés en collaborant à diverses revues où il a rendu compte de nombreux ouvrages de géologie. Son esprit critique s'exerçait toujours avec courtoisie dans ces analyses empreintes de parfaite camaraderie. Quelques jours avant le 4 août 1914, il rédigeait un bon article paru depuis dans La Géographie où il résume avec beaucoup de clairvoyance les explications variées émises sur l'origine des sols polygonaux ou réticulés observés au Spitzberg.

Après cet article, il devait poser sa plume alerte et diligente pour prendre le fusil et gagner la frontière, en sa qualité de sergent d'infanterie.

Hélas ! Il n'en devait plus revenir. Le 4 novembre 1914, il arrive sur le front à Sapigneul, près Berry-au-Bac. A proximité de son poste, un obus de gros calibre vint éclater sur un arbre voisin. Robert est tué sur le coup par un éclat de bois.

Sa mort ouvrit à la Société la liste de nos confrères tombés à l'ennemi ; elle y a causé parmi nous tous de poignants regrets qui ne cessent encore de nous étreindre. Depuis lors, la géologie française a été durement éprouvée, et plus particulièrement la paléontologie dont les pionniers les plus savants viennent de disparaître : Zeiller, Grand'Eury, Robert Douvillé, Jean Boussac, Armand Thevenin. Pertes irréparables dans le présent dont le souvenir nous guidera pour préparer l'avenir.

Robert Douvillé, quoique mort tout jeune, à trente-trois ans, laisse une oeuvre solide, érudite, consciencieuse, copieuse, tout entière à l'honneur de notre pays et bien digne du nom qu'il porte. De toutes ces diverses monographies dont je n'ai pu donner qu'un faible aperçu, il commençait à se dégager des faits généraux du plus haut intérêt sur la marche de l'évolution et la variabililé de l'espèce, sur les mutations brusques. Il ne fait aucun doute qu'à la longue notre malheureux confrère aurait été à même d'établir une généalogie des Ammonoïdés basée sur des observations innombrables.

C est à l'heure où il commençait à entrevoir une première synthèse qu'il disparaît. C'est au moment où il allait avoir les plus belles satisfactions de carrière et de famille qu'il est tombé dans la mêlée. L'Ecole des Mines, reconnaissante des services rendus par lui, allait se l'attacher définitivement en qualité de conservateur des collections de paléontologie ; le directeur du Service de la Carte géologique lui avait confié la révision de la feuille au 80 000e de Besançon ; enfin, sa famille s'accroissait dans le calme d'un foyer où il était admirablement secondé et choyé.

Mais que ceux qui le pleurent se raidissent avec fierté. Selon les termes d'A. Thevenin, il n'a pas succombé en vain. Il est mort pour son pays, pour la défense du droit, de la justice, de la liberté dans le monde qu'il souhaitait ardemment devenir meilleur.

Il laisse une femme dévouée et deux enfants dont un qu'il n'a pas connu et qui a déjà plus de trois ans. Ces deux charmants enfants lui feront certainement un jour le plus grand honneur sous l'égide de celle qui, stoïquement, supporte, en vaillante Française, la cruelle séparation. Puissent notre vive affliction et le souvenir que nous gardons de la belle carrière de son mari alléger le poids de sa douleur !

A ses parents, à son frère, à ses soeurs va aussi notre pensée, émue et angoissée au souvenir des jeunes années de Robert. Que son vénéré père, qui nous est devenu doublement cher, veuille bien accepter ici, pour eux tous, l'hommage du chagrin de la Société tout entière !



Robert Douvillé caricaturé par un élève des Mines (Petite Revue des élèves, 1911, page 23)
(C) Photo collections ENSMP


Parti comme sergent au 28e de ligne, il a été tué le 2 novembre 1914 par un éclat d'obus, aux environs de Berry au Bac (faubourgs de Sapigneul).

Les documents ci-dessous nous ont été adressés par Vincent Le Calvez dont l'arrière-grand-père qui appartenait au même 28e RI fut tué en mai 1915 en Artois. Un grand merci, ils établissent que Robert Douvillé a été tué le 2 novembre 1914 et non pas le 4 novembre comme le croyait son entourage.