Charles-Philippe-Ernest MUNIER (1843-1903) dit MUNIER-CHALMAS


Publié dans la Notice historique sur le troisième fauteuil de la section de minéralogie lue dans la séance publique annuelle du 17 décembre 1928 par Alfred LACROIX, Secrétaire perpétuel.

La fantaisie! Elle régna en souveraine maîtresse et dans la vie et dans la carrière de Munier, qui se fit appeler Munier-Chalmas, en adjoignant à son nom patronymique celui de sa mère.

Charles-Philippe-Ernest MUNIER est né le 7 avril 1843, à Tournus (Saône-et-Loire). La mort de son père, pharmacien en cette ville, et la perte de son petit avoir, emporté par un notaire indélicat, conduisirent sa mère à venir chercher fortune à Paris, alors qu'il avait 9 ans; elle installa au Quartier Latin une pension pour étudiants. Il semble bien que l'enfant, de caractère indépendant et difficile, à peine sorti de l'Ecole primaire, fut abandonné à lui-même. Mais il était possédé par le démon de l'histoire naturelle; dès sa jeune enfance, il collectionnait pierres et fossiles. Cependant il fallait vivre; il trouva un emploi, le plus humble, dans le service de minéralogie du Muséum dirigé par Delafosse. Il n'y resta point. Il entra alors, comme employé, dans l'entreprise de sondages Mulot. Il n'y resta guère.

Entre temps, il court les carrières de la région parisienne et suit avec zèle les excursions géologiques et botaniques du Muséum et de la Sorbonne. C'est dans l'une d'elles qu'il fut distingué par Hébert. Son esprit éveillé, son entrain, sa verve gouailleuse de gamin de Paris, son habileté à découvrir et à extraire de leur gangue les coquilles pétrifiées, charmèrent le professeur de la Faculté des Sciences qui l'attira chez lui, pour l'employer à l'aménagement des collections. Bien vite, il s'y rendit utile, et déjà il était devenu indispensable. Quelques années plus tard, en 1864, il recevait une place de préparateur. Il avait le pied à l'étrier. Dans ce laboratoire, il était fixé pour toujours, il allait escalader tous les obstacles, occuper toutes les fonctions et un jour devenir le maître des lieux.

Les moins jeunes d'entre vous, Messieurs, n'ont certainement pas perdu le souvenir de ces vieux laboratoires de la Sorbonne, où nous passâmes des jours si studieux. Celui de géologie occupait deux hautes et branlantes maisons dont les portes sur la rue Saint-Jacques avaient été obturées. On y accédait par une cour intérieure, fort délabrée, enserrée entire de sombres murailles, marbrées de moisissures et de mousse. Des chimistes y travaillaient sous des auvents, voisinant avec le petit personnel qui y lavait et faisait sécher son linge en famille. A chaque étage, des ouvertures pratiquées dans les murs salpêtres faisaient communiquer les deux immeubles dont les étages ne coïncidaient pas et ce n'était qu'escaliers boiteux et borgnes, couloirs étroits et sans fin, petites pièces biscornues, le tout éclairé en plein jour par la lumière jaunâtre du gaz tremblotant, le tout encombré par des rayons ployant sous le poids des livres, par des caisses et des meubles disparates, gorgés de fossiles et ouatés de poussière. Étrange demeure, en vérité, ne ressemblant en rien au somptueux palais d'aujourd'hui, et cependant il était bon de s'y isoler, d'y bien travailler, sans confort, certes, mais dans le bienfaisant silence et le recueillement !

Tel était le nouveau domaine de Munier; désormais, il ne quittera plus Hébert, il l'assistera à Paris, lui rendant de multiples services; il l'acccompagnera dans toutes ses excursions géologiques, proches ou lointaines. Leur association fut extrêmement intime, mais combien traversée par de fréquents, violents et passagers orages ! En toutes choses, Munier tient tête au patron qui se fâche, mais ne peut se passer de lui. A tout instant, il le lui faut, et sur l'heure. On le cherche sans succès, de la cave au grenier, ou encore dans un petit café de la place de la Sorbonne. Enfin il arrive. A peine a-t-il franchi la porte et déjà Hébert, tout rouge, de s'écrier : « Monsieur Munier cela ne peut plus durer, je vous chasse! allez-vous-en! » Et Munier, placide, de partir dans une pièce lointaine où, en compagnie de quelque Ammonite, il attend patiemment la fin de l'orage; puis il va reprendre sa place dans une pièce voisine du cabinet du maître. Et la vie continue; elle continua ainsi pendant trente années, en dépit de l'extraordinaire disparité de caractère des deux hommes. Hébert, bourgeois autoritaire et prompt à la colère, pontifiant volontiers mais avec bonhomie, respectueux de toutes les hiérarchies et de l'ordre établi en toutes choses - y compris la stratigraphie. Munier, bohème, fantaisiste, bon enfant, mais frondeur, à la langue aussi acérée que spirituelle, ne respectant ni dieux ni maîtres. Pour être paradoxale, une telle symbiose n'est pas aussi exceptionnelle qu'on pourrait le penser; il arrive que certains hommes admirent implicitement chez les autres toutes les audaces dont ils sont dépourvus et deviennent ainsi les inconscients esclaves de cette étrange fascination.

En 1870, Munier est nommé sous-directeur du laboratoire des recherches géologiques à la Sorbonne. L'année suivante, notre confrère Delesse, vieilli, ne peut plus assurer complètement la direction des exercices pratiques de l'École Normale supérieure, où il enseigne la géologie, Hébert lui donne Munier comme aide, et celui-ci s'acquitte si bien de ses fonctions, intéresse à tel point les élèves que, deux ans plus tard, quand la maîtrise de conférences devient vacante, Bonnier et Dastre songent à lui pour l'occuper et s'emploient à la lui faire obtenir. Mais un obstacle se dresse dans cette maison, où les concours sont en honneur, Munier n'a pas le moindre grade universitaire. Qu'à cela ne tienne, un arrêté ministériel lui donne la dispense du baccalauréat. D'un voyage à Caen, où professe l'un de ses anciens élèves, il revient licencié. Et le voilà maître de conférences à l'Ecole Normale, sur la promesse d'être bientôt docteur ! Ce bientôt devait durer neuf années. Il ne fallut rien moins que la mort d'Hébert et la vacance de sa chaire pour que Munier songeât à s'exécuter.

D'intéressantes observations géologiques sur le Vicentin avaient été faites, les roches et les fossiles recueillis étaient étudiés. Mais il fallait les décrire, or Munier était atteint d'une incoercible inappétence pour la plume, d'une horreur farouche du papier blanc. A la ténacité et au dévouement de ses élèves il dût de pouvoir franchir ce cap redoutable. Tous se mirent à l'oeuvre. Je vous laisse à penser que l'extraction de cette thèse ne se fit ni sans efforts ni sans clameurs !

Il n'en fut pas de même pour la soutenance ; elle fut brillante, tout en ne manquant pas de pittoresque. Les étudiants en géologie de mon âge, et beaucoup d'autres, y vinrent en foule. Ce fut le mardi gras de l'an 1891, et je crois encore entendre Dastre, son ami des bons et des mauvais jours, les yeux pétillants de malice, dire au candidat, de sa voix mordante : « Monsieur, vous êtes, paraît-il, l'auteur d'une classification des Échinides; il en a été beaucoup parlé sur le boulevard Saint-Michel; nous allons enfin l'entendre exposer dans son ensemble. Vous avez la parole! »

Aussitôt docteur, Munier était nommé, sans concurrent, professeur de géologie à la Faculté des Sciences. Il n'avait pas été étranger à la récente introduction à la Faculté de l'enseignement de la géographie physique confié à Charles Vélain, son compagnon de jeunesse, depuis de longues années maître de conférences d'Hébert.

En choisissant Munier-Chalmas, l'Université avait fait une heureuse affaire. Jamais elle ne trouva défenseur plus sincèrement convaincu de la nécessité des études classiques régulières - de l'obligation, pour un futur géologue, de collectionner une grande variété des multiples certificats qu'elle confère - du caractère, en quelque sorte sacré, des parchemins qu'elle dispense.

Parvenu à ce haut sommet où sont situées les chaires de la Sorbonne, Munier se prit à considérer l'Académie sous un jour tout nouveau et d'un pas lent, mais sur, il s'engagea sur la route de Damas. D'ailleurs, n'y était-il pas en bonne compagnie ? nombreux n'ont-ils pas été ceux qui, comme lui, après avoir murmuré, - voire même crié - : « Ils sont trop verts!... », un jour, tout surpris - ou plutôt pas surpris du tout - se trouvent à votre porte et y frappent avec insistance ?

L'Académie, grande dame que l'expérience de l'âge a rendue avisée et tolérante, en souriant, parfois leur ouvre la maison.

C'est ainsi que, le 25 mai 1903, Munier-Chalmas devint votre confrère dans la section de minéralogie.

« Votez pour moi, disait-il au cours de ses visites de candidat, mes concurrents n'attendront pas longtemps ma succession, je suis très malade. » Il ne pensait pas être aussi bon prophète, soixante-quinze jours après son élection, il n'était plus.

En rien, sa vie n'avait ressemblé à celle de l'Académicien moyen. Jusque dans la mort, il devait conserver son originalité. Venu à Aix-les-Bains, pour s'y soigner, il s'était installé dans une modeste hôtellerie du voisinage, à Saint-Simon. Le lendemain matin, le 9 août 1903, il était trouvé dans son lit, mort de la rupture d'un anévrisme de l'aorte. Il avait négligé de donner son adresse, il n'était porteur d'aucun papier. Son corps fut relégué dans un dépôt funéraire. Aucun parent ne s'étant fait connaître, l'Académie pourvut à son inhumation provisoire; la piété de ses élèves fit le reste, en lui assurant le suprême asile dans le petit cimetière de province, où il repose en paix.

J'ai cherché à vous donner, d'une façon aussi fidèle - et aussi académique - que possible, un aperçu de la vie de notre confrère, voyons quelles furent les causes d'une aussi rare fortune.


Munier avait un merveilleux tempérament de naturaliste, servi par un exceptionnel don d'observation, une merveilleuse mémoire, mémoire cérébrale et surtout mémoire visuelle, accompagnés d'une promptitude et d'une sûreté de coup d'oeil extraordinaires. Se trouvait-il en présence d'un objet pas encore vu, et mélangé à une foule d'autres, l'inconnu lui sautait immédiatement aux yeux et comme il avait vu beaucoup, cet objet était généralement rare ou nouveau. Ainsi s'explique le nombre des découvertes, ou des trouvailles, faites par lui dans les directions les plus diverses.

Un jour, un de ses élèves, revenant de la Montagne Noire, déballe des débris de fossiles sur la table du laboratoire. Munier entre : « La faune première! s'écrit-il, avant d'avoir touché un échantillon, et c'était, en effet, cette faune à Paradoxydes du Cambrien, jusqu'alors vainement cherchée dans le midi de la France.

Mais une fois en possession d'une certitude, bien souvent il était arrêté dans son exploitation. La remarque était perdue si un spécialiste ne venait à son aide, ou s'il ne se trouvait quelqu'un pour la recueillir, à moins que généreusement il n'abandonnât à l'un de ses élèves le soin d'aller plus loin; ce qui a fait dire que, « comme le coucou, il pondait ses oeufs dans le nid des autres ».

A ces qualités précieuses, il faut ajouter que Munier était doué d'une habileté manuelle hors pair pour l'extraction et la préparation des fossiles. Il faisait peu de cas de son élégant cabinet de la Sorbonne; chaque jour, dès son arrivée à son laboratoire, il descendait à l'atelier, se mettait à l'établi et là, sculptant une pierre pour en dégager une coquille ou s'évertuant à rassembler des débris pour quelque reconstitution paléontologique, il était vraiment heureux. Son chef-d'oeuvre en ce genre furent les moulages de fleurs et d'insectes qu'il fit sortir des travertins de Sézanne avec les détails les plus délicats de leur organisme, poétique évocation de la vie dans la région parisienne, à l'aurore de l'ère tertiaire.

J'ai parlé plus haut de son horreur de la plume. Son ami Albert de Lapparent a dit de lui que, n'aimant pas les livres, il n'en a pas écrit; on peut ajouter qu'il ne les lisait pas davantage. Il feuilletait les périodiques, en regardait avec attention les planches et les figures et, dès lors, elles étaient, à tout jamais, enregistrées dans son cerveau. Quand Haug entra dans son laboratoire, il lut pour Munier, et son érudition fut la source intarissable où son chef puisa pour ses cours.

Autodidacte ingénieux, Munier tirait sa science de l'observation ou bien il interrogeait les spécialistes, et d'une originale façon, sorte de méthode euristique à l'envers. Il les criblait de paradoxes, les mettant hors d'eux. Oserai-je dire, au risque de scandaliser jusqu'aux murs de cette Coupole, qu'il les « faisait marcher », déterminant ainsi une violente réaction dont, habilement, son oreille attentive extrayait le renseignement désiré?

Pour étrange que cela puisse paraître, la principale oeuvre imprimée de Munier-Chalmas est la notice sur ses travaux scientifiques publiée, en 1903, à l'occasion de sa candidature à l'Académie. La liste bibliographique comprend 149 numéros, mais pour la plupart ils ne couvrent que des prises de date de quelques pages ou même de peu de lignes, scénarios d'études promises et jamais données. C'est dans cette notice que nous allons trouver des indications sur ce qu'il aurait voulu écrire au sujet de ses recherches, remarquables, du reste, à la fois par leur extrême variété et par leur incontestable originalité. Elles comprennent surtout des observations paléontologiques et stratigraphiques, avec quelques bribes de pétrographie et de minéralogie, le violon d'Ingres de notre confrère.

Certains petits organismes calcaires, appelés Dactylopores et Ovulites, étaient considérés comme des Foraminifères. Munier en fit des préparations microscopiques. Guidé par Bornet, qui considéra ce travail comme un petit chef-d'oeuvre de perspicacité, il démontra qu'il s'agissait là non d'animaux, mais de plantes, d'Algues siphonées, ce qui, en dehors de l'intérêt paléontologique, aida à préciser les conditions de dépôt des couches renfermant ces curieux fossiles.

Les Nummulites se rencontrent en extraordinaire abondance dans certains niveaux tertiaires parisiens. En cherchant à déterminer leurs associations et leur mode de répartition, Munier constata que leurs formes se groupent par couples, dans quoi l'un des individus est petit et possède une grande loge initiale, alors que l'autre est grand avec une petite loge. De là à imaginer l'hypothèse d'un dimorphisme, il n'y avait qu'un pas. Le travail, fait en collaboration avec Schlumberger, spécialiste des Foraminifères, expert dans l'art de préparer ces petits êtres, permit de suivre cette même question par le développement des Miliolidées et de donner la démonstration de l'hypothèse, plus tard appuyée par l'étude des Foraminifères vivants, bien que l'explication donnée par les deux collaborateurs n'ait pas été confirmée.

Avec son élève, Félix Bernard, notre confrère a établi un schéma des dents de la charnière et étudié l'évolution des Mollusques lamellibranches. Les données recueillies ont servi de point de départ à des travaux qui ont permis de fixer les homologues des dents et de grouper celles-ci en un certain nombre de types importants pour la systématique.

En se basant sur une appréciation de la valeur morphologique des organes offrant le plus de fixité, il a proposé une nouvelle classification des Échinides, celle-là même exposée au cours de la soutenance de sa thèse de doctorat, mais elle n'a été publiée que dans les Éléments de Paléontologie de Félix Bernard.

La découverte du prosiphon dans la loge initiale des Spirules vivantes, et en même temps dans celle des Ammonites, l'a conduit à ranger ces dernières parmi les Céphalopodes dibranchiaux. Munier a aussi émis une hypothèse ingénieuse sur leur dimorphisme sexuel.

On lui doit un prodrome de classification des Rudistes et encore des observations sur les Céphalopodes et les Mollusques; elles ont été recueillies par Fischer dans son Manuel de Conchyliologie.

Nombreuses et importantes aussi sont les recherches stratigraphiques de Munier. Elles sont intimement liées à la paléontologie et ont fait de lui le digne continuateur de son maître Hébert. Il n'aimait pas étudier les fossiles en pur zoologiste; il cherchait surtout à rattacher ces animaux à leurs conditions de vie. Aussi tenait-il grand compte de la nature lilhologique des dépôts où ils gisent; à ce point de vue, les faciès saumâtre et lacustre, si abondamment réalisés dans la région parisienne, l'ont spécialement occupé.

Enfin, ses observations personnelles ont joué un grand rôle dans l'établissement d'une nomenclature des terrains sédimentaires publiée en collaboration avec Albert de Lapparent.

Ses travaux ont pointé principalement sur les formations secondaires et tertiaires. Il a employé beaucoup de temps à l'étude du Jurassique de la Normandie et du Boulonnais. Dans le Vicentin, il a consacré son attention à la répartition des Nummulites, des Alvéolines et des Orbitoïdes de l'Eocène et de l'Oligocène, ainsi qu'à la position stratigraphique des couches de lignite et des tufs basaltiques intercalés au milieu des sédiments.

Mais c'est surtout dans le Bassin de Paris que Munier a excellé; il n'est pas téméraire de dire que nul ne l'a mieux connu que lui. Il le parcourait depuis son enfance, il suivait avec soin tous les travaux, publics ou privés, susceptibles de fournir des coupes géologiques. Il y a fait nombre d'observations et de découvertes intéressantes; malheureusement il ne les consignait pas par écrit; les roches et les fossiles qu'il recueillait, il ne les étiquetait pas, de telle sorte qu'à sa mort cet effort de près d'un demi siècle a été en grande partie perdu et ceci est irréparable, car beaucoup des affleurements fouillés par lui sont aujourd'hui ensevelis sous des constructions.

Il a montré, par exemple, que le calcaire improprement appelé pisolitique ne doit pas sa structure à des pisolites, c'est-à-dire à des concrétions, mais à des Algues calcaires. On lui doit d'avoir mis en évidence la variation des caractères de la sédimentation du Bartonien, étage de l'Eocène.

Dans un domaine déjà exploré par Hébert, il a fait voir que le Bassin de Paris, bien que réputé pour sa régularité et sa stabilité, a été, par suite d'une constante déformation du fond de la mer, le siège de la production de dômes arasés par le flot au cours de leur surrection. La région parisienne a donc été, à plusieurs reprises, le théâtre de dislocations orogéniques en miniature. A toute époque, Munier y distinguait une ride périphérique, limite de la haute mer, et, par derrière elle, des rides secondaires, ayant permis la formation de lagunes marines ou saumâtres, puis, au delà, de lagunes lacustres et de lacs lagunaires. De telles conclusions étaient déduites de la nature de la faune des dépôts caractéristiques des divers modes de sédimentation, faune adaptée à des degrés inégaux de salure de l'eau.

Je terminerai par un travail minéralogique. Depuis longtemps, l'on connaissait dans les assises éocènes des environs de Paris, et de Paris même, des pseudomorphoses de gypse, de beaux cristaux bipyramidés de quartz, des concrétions d'opale et de calcédoine, des cubes de fluorine. Il revient à Munier d'avoir montré que ces minéraux sont localisés sur les bords des vallées, aux affleurements de niveaux stratigraphiques bien déterminés qui, loin de ces vallées, possèdent une composition et une structure normales, les cristaux de quartz en sont absents, le gypse s'y présente en lentilles et en cristaux intacts. La conclusion très juste tirée de ces remarques est que ces minéraux ne sont pas dus, comme, on l'avait admis jusqu'alors, à des apports venus de la profondeur, mais à un phénomène superficiel. Les eaux de circulation dissolvent le gypse et déposent à sa place les traces de substances minérales qu'elles tiennent en dissolution. Munier fît de très belles préparations microscopiques de ces minéraux, puis il les porta, celles de fluorine à notre confrère, M. Wallerant, qui a publié à leur sujet une attachante étude, celles des diverses formes de silice anhydre, à Michel-Lévy, avec qui il a signé une Note bien connue sur la calcédoine, la lutécite et la quartzine.

Ces pseudomorphoses siliceuses avaient été découvertes à Passy, en 1780, par Pasumot, le collaborateur de Desmarest. N'est-il pas piquant de constater encore qu'un naturaliste nommé Pralon publia, en cette même année 1780, une description des plâtrières de Ménilmontant, où se trouve exposée une théorie de la formation lagunaire du gypse parisien, rappelant celle dont Munier fut un ardent propagateur, mais Pralon était venu trop tôt et malgré la vraisemblance des interprétations de cet intuitif pourvu de beaucoup de sens commun, elles furent noyées par le flot des invraisemblances accumulées durant un siècle par les spécialistes autorisés.

Cette double rencontre méritait d'être notée, car Munier-Chalmas a présenté plus d'un point de ressemblance avec les naturalistes de la fin du XVIIIème siècle. Parmi eux, il en fut qui, comme lui, possédaient un remarquable talent d'observateur, une grande sûreté de coup d'oeil, un vif enthousiasme et qui eurent parfois des éclairs de divination. Mais eux, irrémédiablement réduits à leurs seules forces, ne purent percer la nuit dont ils étaient enveloppés, car l'enfance de la science la rendait trop épaisse.

Pour être complet, il faudrait rappeler encore la collaboration de Munier à la Carte géologique de France, la part très active prise par lui aux travaux préparatoires de la loi sur l'hygiène publique concernant les adductions d'eaux potables et plus tard aux recherches pratiques qui en ont été la conséquence et pour quoi les souvenirs de son apprentissage de jeunesse dans une maison de sondages ne lui furent pas inutiles.

Nous ne devons pas oublier, enfin, son rôle prépondérant dans le transfert, en 1894, des services géologiques de la Faculté des Sciences à la nouvelle Sorbonne, puis dans l'organisation du laboratoire de géologie le mieux outillé de notre pays.

Comme conclusion dernière, l'on peut dire de Munier-Chalmas, avec plus de justesse encore que de son maître Hébert, que le meilleur de son oeuvre consiste dans ses élèves. Il ne se bornait pas à les diriger, il collaborait effectivement à leurs travaux, il leur rendait service et, tout en les houspillant fort, il avait le talent de s'en faire des amis. Animateur, chef de laboratoire, directeur d'études incomparable, il était surtout lui-même dans son enseignement sur le terrain, où il possédait l'art de communiquer le feu sacré à son entourage.