Philippe Edouard POULLETIER de VERNEUIL (1805-1873)


 

COLLECTION PALÉONTOLOGIQUE
de M. EDOUARD DE VERNEUIL LÉGUÉE A L'ÉCOLE DES MINES DE PARIS
NOTICE par M. Joachim BARRANDE.

Annales des Mines, 7eme série tome IV, 1873.

Pour apprécier la valeur scientifique de la collection de M. de Verneuil, il est indispensable de se reporter à environ cinquante ans en arrière, car il faut fixer le point de départ pour pouvoir mesurer l'espace parcouru.

Il y a cinquante ans, quels étaient les documents paléontologiques qui représentaient à Paris et en France la faune des terrains dits de transition, et aujourdhui connus sous le nom de terrains paléozoïques?

Ces documents, que nous avons eu l'avantage de consulter pour nos études, étaient contenus dans quelques tiroirs. Ils consistaient dans une série de fossiles numériquement très-restreinte, mais composée de formes bien caractérisées, provenant de la Suède, de l'Angleterre, de la France et de la Bohême. Les trilobites prédominaient par leur nombre relatif. Les autres classes étaient très-faiblement représentées.

Ces documents avaient été rassemblés par l'un des savants qu'on pourrait nommer précurseurs dans la paléontologie des terrains anciens, et dont les autres mérites sont assez connus dans diverses sciences. Cet initiateur, Alexandre Brongniart, publia en 1822 son Histoire naturelle des crustacés fossiles, et posa les premiers fondements de la classification des trilobites, en établissant dix genres, représentés par vingt-deux espèces. Parmi celles-ci, dix étaient nouvelles et neuf avaient été antérieurement nommées, mais seulement en 1821, par Wahlenberg, en Suède. Les trois autres étaient plus anciennement connues.

Ces dix espèces nouvelles étaient celles dont nous venons de signaler l'existence dans la collection Brongniart. Les savants peuvent étudier ces types originaux dans la collection paléontologique de la Sorbonne, à laquelle M. Adolphe Brongniart a généreusement donné toute la série de fossiles de son père.

Voilà tout ce qui nous semble nécessaire pour bien fixer le point de départ de la paléontologie des terrains, à Paris et en France.

Par contraste, il existe aujourd'hui à Paris une vaste collection qu'on pourrait nommer un musée paléozoïque, occupant six à sept cents tiroirs et présentant le plus grand nombre des formes connues dans toutes les contrées explorées sur les deux continents. Les espèces qui ne s'y trouvent pas sont presque exclusivement celles dont il n'existe que des spécimens uniques ou très-rares, disséminés dans diverses localités et très-difficiles à acquérir.

Cette collection, qu'on pourrait nommer universelle, est celle qui a été rassemblée à grands frais par M. de Verneuil ; c'est celle qu'il a de tout temps destinée et finalement léguée à l'École des mines, où elle vient d'être transportée. Elle y est placée dans un local particulier, où elle doit être maintenue dans son ensemble, suivant les intentions bien motivées du testateur.

Il n'a été distrait de cette collection que quelques ossements de vertébrés des âges géologiques les plus récents, destinés au Jardin des plantes, et la série des fossiles siluriens de la Bohême léguée à la Sorbonne, parce que l'École des mines était déjà pourvue directement d'une série semblable.

Il y a cinquante ans, et même durant une bonne partie de ce demi-siècle, tout savant qui jetait un coup d'oeil sur la collection paléozoique de Brongniart, en la comparant aux collections des terrains tertiaires et même des terrains secondaires du grand bassin de Paris, pouvait penser et aussi enseigner légitimement que les faunes primitives devaient être relativement très-pauvres en représentants de la vie animale.

Aujourd'hui, après avoir consacré plusieurs heures à jeter un seul coup d'oeil rapide sur chacun des tiroirs de M. de Verneuil, tout savant est forcé de reconnaître d'abord que l'étonnante variété des êtres qui ont existé durant l'ensemble des âges paléozoïques dépasse notablement le nombre des formes connues dans les faunes tertiaires, et, à plus forte raison, celui des faunes secondaires. Il est aussi entraîné à concevoir que les trois faunes primitives, c'est-à-dire les trois faunes siluriennes, primordiale, seconde et troisième, pourraient presque soutenir à elles seules une confrontation numérique de leurs espèces avec celles que les mêmes terrains tertiaires nous ont livrées jusqu'à ce jour.

C'est un des plus grands enseignements acquis par les recherches paléozoïques relativement à l'histoire de la vie animale sur le globe. Il faudrait s'étendre beaucoup pour en faire ressortir toute l'importance, surtout à l'époque où nous écrivons. Nous nous bornons à faire remarquer que M. de Verneuil a été l'un de ceux qui ont le plus contribué à cette conquête de la science, dont les plus beaux fruits restent encore à recueillir.

Le contraste que nous exposons entre la collection Brongniart et la collection de Verneuil, pour donner une mesure des progrès de la paléontologie, en ce qui concerne particulièrement les faunes paléozoïques, mérite surtout d'être remarqué, parce que cette mesure s'applique également à tous les pays. Il y a seulement deux observations importantes à ajouter.

D'abord, si quelques pays ont possédé, vers 1822, une collection paléozoïque rudimentaire et comparable à la collection Brongniart, aucun pays ne possède encore aujourd'hui une collection qui puisse être mise en parallèle avec celle de M. de Verneuil, considérée sous le double rapport de l'étendue de son ensemble et de sa richesse en types originaux.

En second lieu, si l'on se rappelle l'extrême libéralité avec laquelle M. de Verneuil a accueilli, pendant de longues années, quiconque se présentait chez lui pour étudier ses fossiles, on peut affirmer qu'il n'existe au monde aucune collection, soit particulière, soit publique, qui ait versé dans la science une telle effusion de lumières. Ces lumières n'étaient pas seulement celles qui jaillissaient des fossiles, mais encore celles qui dérivaient de l'expérience de M. de Verneuil, et qu'il communiquait sans réserve à tout venant.

Ces paroles ne doivent pas être considérés comme l'expression isolée de notre reconnaissance personnelle. Il nous semble qu'elles doivent aussi exprimer la reconnaissance des savants qui ont puisé à la même source et qui sont aujourd'hui disséminés dans toutes les contrées : en Russie, Suède, Norwege, Angleterre, Allemagne, Belgique, Suisse, Italie, Espagne, Portugal, Amérique, etc. Si la liste de ces visiteurs, avec l'expression de leur admiration et de leur gratitude, avait été tenue, comme dans certains établissements publics, elle constituerait aujourd'hui un document très-instructif.

La prééminence de la collection de Verneuil, sous les divers rapports que nous indiquons, est due à un concours particulier de circonstances.

En première ligne, il fallait le feu sacré de la science, et d'une science complètement désintéressée, pour entreprendre et poursuivre, durant plus de quarante ans, l'exécution d'un plan préconçu et tendant à réunir les représentants des faunes paléozoïques sur toutes les parties explorées du globe. Il fallait en même temps les ressources d'une belle fortune pour permettre les longs voyages, répétés à grands frais chaque année et l'acquisition de tous les fossiles qui se présentaient aux yeux du savant explorateur.

Il fallait aussi une circonstance extérieure, ou une coïncidence de recherches, pour ainsi dire providentielle, qui, presque dès les débuts de M. de Verneuil, l'institua comme le complément indispensable de deux éminents stratigraphes anglais, en voie de conquérir pour la science le domaine obscur des terrains de transition.

Sedgwick et Murchison avaient déjà circonscrit dans le pays de Galles les contrées présentant les types stratigraphiques des terrains qu'ils distinguaient sous les noms de système cambrien et de système silurien. Les relations amicales, établies avec ces savants, entraînèrent M. de Verneuil à visiter les régions qui étaient l'objet de leurs études. Ce fut pour lui la première occasion de connaître les faunes paléozoïques d'Angleterre, et il s'appliqua avec toute l'ardeur de la jeunesse à en réunir les fossiles.

Il serait difficile de rencontrer ailleurs que dans sa collection, et même en Angleterre, des séries aussi nombreuses et aussi variées des espèces qui caractérisent les divers étages paléozoïques des Iles-Britanniques ; car le nombre et la concurrence des collecteurs anglais produit un incommode éparpillement des richesses locales. On peut en juger par ce fait que, pour décrire et figurer les brachiopodes siluriens d'Angleterre, Davidson a dû puiser ses types dans plus de soixante-quinze collections privées, indépendantes de la grande collection qu'il possède.

Les premières relations scientifiques établies entre M. de Verneuil et les classificateurs anglais des terrains paléozoïques firent naturellement comprendre à ces derniers combien la coopération du paléontologue français pourrait leur être utile et efficace pour faire sur le continent la première application de leurs nouveaux systèmes.

Cette application fut tentée et exécutée de concert dans les contrées rhénanes. On sait qu'elle réussit selon tous les voeux des exploiteurs réunis.

Pour le but général de M. de Verneuil, cette exploration l'entraîna à recueillir tous les fossiles qui pouvaient être acquis, soit dans l'Eifel, soit dans la Belgique, soit dans les contrées voisines. Cette collection, embrassant les faunes dévoniennes et carbonifères, s'est successivement accrue durant plusieurs voyages depuis cette époque, et elle présente une rare richesse. Elle a surtout l'avantage de renfermer tous les types du grand mémoire publié en anglais, en 1842, par MM. de Verneuil et d'Archiac, comme complément du travail stratigraphique de Sedgwick et Murchison sur les mêmes contrées. Les planches, exécutées à Paris sous les yeux des deux paléontologues français, se font remarquer par une perfection jusqu'ici non dépassée et rarement atteinte.

1840. Après ce fructueux essai, Murchison, poursuivant les conquêtes de sa classification sur tout le nord de l'Europe, c'est-à-dire sur la Russie et la Scandinavie, voulut partager les travaux et les honneurs de cette expédition scientifique avec M. de Verneuil. Le comte de Keyserling, digne représentant de la science russe, fut adjoint aux deux explorateurs étrangers.

C'était à cette époque le plus grand hommage que la stratigraphie , avec ses tendances souveraines, pouvait rendre à la paléantologie. Le fait, c'est-à-dire le succès, prouva encore une fois que cet hommage, établissant l'égalité entre les deux ordres de recherches et l'indispensable concours de leurs lumières mutuelles, était très-bien mérité. On voit en effet, dans chacun des chapitres du texte relatif aux systèmes silurien, dévonien, carbonifère et permien, étudiés en Russie, qu'aucune détermination importante ne fut prise par les explorateurs qu'après avoir dûment consulté les documents paléontologiques.

Par ces explorations répétées durant trois années sur de si vastes surfaces, les récoltes directes de fossiles par M. de Verneuil, et les additions indirectes qu'elles reçurent de divers côtés, enrichirent de beaucoup ses trésors.

Sa collection renferme tous les types principaux qui ont été figurés dans le volume II de la Géologie de la Russie et de l'Oural. A ces types des quatre systèmes paléozoïques sont joints ceux des faunes secondaires qui ont été décrits par Alcide d'Orbigny dans le même volume et figurés dans la même suite des planches. La réunion de tous ces types originaux donne aux séries russes de M. de Verneuil une valeur inappréciable, rehaussée, comme dans le mémoire sur l'Eifel, par la perfection des figures.

Les mêmes voyages dans le Nord et les relations établies à cette époque permirent à M. de Verneuil de rassembler en Suède de nouvelles séries de fossilles siluriens, qui représentent très-largement les faunes de cette contrée, surtout ses trilobites et ses brachiopodes. Parmi ces derniers, il pourrait encore se trouver des formes inédites.

1846. Après avoir ainsi parcouru toutes les principales contrées paléozoiques d'Europe, M. de Verneuil, en comparant leurs faunes dans ses collections, pouvait être satisfait de reconnaître à la fois leurs harmonies et leurs distinctions locales. Mais il sentait en même temps que l'extension indispensable et la confirmation finale de ses études lui imposaient le devoir d'entreprendre une exploration semblable sur le continent américain. Il se mit donc courageusement en route, seul, sans autre recommandation que le titre de président de la Société géologique de France, et sans autre guide que ses connaissances acquises en paléontologie. A l'aide de ces connaissances, il se trouva immédiatement initié aux grandes divisions des faunes paléozoïques de ces contrées lointaines. Son autorité scientifique, reconnue d'après ses oeuvres par les géologues américains, lui attira toutes les communications désirables. Chacun s'empressa de partager avec lui les fossiles qui pouvaient jeter quelques lumières sur le parallèle entre les dépôts anciens d'Europe et d'Amérique. En outre, suivant ses habitudes, M. de Verneuil, en visitant toutes les localités célèbres par leurs richesses, fit l'acquisition de tout ce qui pouvait être utile à ses travaux.

On sait que les types originaux des espèces américaines, et principalement des faunes siluriennes, sont ceux qui ont servi pour le grand ouvrage intitulé Palaetology of New-York, par le professeur James Hall. Ces types devaient donc rester sur le sol américain. Mais on sait aussi que le plus grand nombre des espèces de ces contrées est représenté dans la collection de M. de Verneuil par de très-beaux et de très-nombreux exemplaires, outre ceux qu'il a libéralement distribués à ses amis.

Au fait, c'est par l'étude de cette collection américaine et par celle de la notice publiée par M. de Verneuil, en 1847, sur le Parallélisme des depôts paléozoïques de l'Amérique septentrionale avec ceux de l'Europe, que nous avons tous été informés de l'admirable harmonie qui existe entre l'ancien et le nouveau continent, en tout ce qui concerne les faunes paléozoïques.

C'est un nouvel enseignement, comparable par son importance à celui que nous avons signalé ci-dessus, comme résultant de l'ensemble des collections paléozoïques de M. de Verneuil, comparées aux faunes tertiaires. Cet enseignement a été recueilli non-seulement par les géologues français, mais encore par tous les savants d'Europe et par tous les géologues américains, pour qui cette lumière ne s'était pas suffisamment manifestée jusqu'alors, faute d'un initiateur compétent.

Ainsi, l'exploration de M. de Verneuil en Amérique lui a fourni l'occasion d'acquérir un de ses plus grands mérites envers la science. Les collections qu'il a rassemblées sur le nouveau continent dérivent de ce mérite une très-haute valeur.

A peine revenu en Europe et après avoir publié la notice que nous venons de rappeler, M. de Verneuil éprouvait des satisfactions sceintifiques encore incomplètes. Il était, pour ainsi dire, constamment importuné par la grande lacune géologique que la péninsule espagnole présentait à cette époque. Il se fit donc ce que nous pourrions nommer une vocation personnelle , pour dissiper l'obscurité qui couvrait ce beau pays, sillonné par tant de chaînes de montagnes indiquant plus de bouleversements que sur toute autre surface comparable en Europe. Fidèle à cette vocation qui le condamnait souvent à la plus grande abnégation des aises de la vie, M. de Verneuil a successivement fait douze campagnes dans les diverses régions espagnoles. Mais là, il ne pouvait songer à aller droit aux localités renfermant des fossiles paléozoïques, premier et principal but de toutes ses explorations antérieures. Il devait nécessairement prendre tout terrain comme il se présentait, étudier sa structure stratigraphique, recueillir ses fossiles et à l'aide de ses documents, le classer sur l'horizon correspondant dans la série générale. C'est le travail que M. de Verneuil, secondé tantôt par l'un, tantôt par l'antre de ses amis, surtout par M. Edouard Collomb et par feu Casiano de Prado, a exécuté avec une rare patience, durant le cours des années 1849 à 1862.

Le but apparent de toutes ces pénibles investigations était de produire la carte géologique d'Espagne. Ce but a été réellement accompli. Mais suivant nous, ce résultat graphique de tant d'efforts a été loin de compenser tous les sacrifices de M. de Verneuil. Il aura peut-être reconnu lui-même qu'il s'était fait une illusion, le jour où sa carte d'Espagne, exposée au palais de l'industrie, en 1867, à côté de celle que lui opposait la concurrence nationale espagnole fortement excitée, n'a été honorée que d'une semblable distinction. Mais si le même jury avait eu à prononcer son verdict sur les documents paléontologiques qui ont servi de base à ces deux cartes de l'Espagne, la prééminence de M. de Verneuil aurait été maintenue en cette occasion, comme elle le méritait.

Pour nous, nous considérons comme un véritable monument scientifique l'ensemble des séries de fossiles qu'il a recueillis en Espagne et qu'il a exactement classifiées dans sa collection, à partir de la faune primordiale silurienne jusqu'aux faunes tertiaires et quaternaires. Si le temps et les forces humaines avaient pu lui suffire pour décrire et pour faire figurer tout ce que ces séries renferment de nouveau ou d'intéressant, l'Espagne serait élevée dans la littérature scientifique au niveau de la plupart des contrées illustrées jusqu'à ce jour. L'émulation nationale s'est à peine manifestée dans cette voie. Au lieu d'un grand ensemble systématique, M. de Verneuil s'est borné à quelques publications isolées, qui restent dans la science et qui se rapportent principalement aux terrains paléozoïques, indiquant ainsi ses impulsions primitives. Tout le reste des documents paléontologiques, recueillis par lui en Espagne, attend un interprète digne du maître que nous regrettons. Il nous resterait à apprécier les nombreuses séries de fossiles paléozoiques de la France qui ont été recueillies par M. de Verneui, et qui se sont successivement accrues presque jusqu'au jour de sa mort. C'est une tâche qui nous est personnellement difficile, d'abord parce que nous n'avons pas visité les collections particulières dans les diverses localités, pour reconnaître l'étendue des découvertes, et ensuite parce que, depuis le Prodrome de d'Orbigny, aucune publication n'a offert une énumération quelconque des espèces qui caractérisent nos terrains anciens.

Dans tous les cas, nous connaissons dans la collection de M. de Verneuil beaucoup de fossiles de France qui nous semblent inédits, principalement parmi les trilobites, les gastéropodes et les brachiopodes. La description de ces formes nouvelles fournirait des éléments très-instructifs, surtout à cause de leurs affinités avec les formes de la Bohême.

Convaincu comme nous de la grande utilité de ces publications, M. de Verneuil nous proposa dans un temps de nous associer à lui pour les exécuter en commun. Notre assentiment lui fut aisément accordé; mais, par l'effet d'une influence étrangère, notre savant ami ne donna aucune suite à sa proposition.

Comme il est très-vraisemblable que, dans le cours de quelques années, les principales collections locales des faunes paléozoïques de la France seront incorporées à celle de l'École des mines, cette réunion permettra d'apprécier finalement l'étendue numérique des contingents, que notre pays peut fournir dans l'énumération générale de ces faunes, embrassant tout le globe. Malheureusement, dans les parties déjà exécutées de cette énumération, la France est très-faiblement représentée, tandis qu'elle brille par ses richesses, en tout ce qui concerne les faunes secondaires et tertiaires.

En somme, le don fait à l'École des mines par M. de Verneuil est un don vraiment princier et d'une valeur inestimable. Sa collection, représentant richement les principales faunes paléozoïques de toutes les contrées explorées sur les deux continents, constitue la base la plus large qu'on puisse désirer pour la série monumentale des collections d'un musée paléontologique national, comme celui de l'École des mines.

Ainsi, ce don ne peut manquer d'exciter la sincère admiration et la reconnaissance de tous les savants qui sont appelés par les intentions du noble testateur à participer aux fruits des travaux et des sacrifices de toute sa vie.

Personne n'ignore qu'à l'École des mines, les faunes mésozoïques et, en particulier, celles de France, sont très-grandement représentées. On sait aussi qu'elles ont acquis un nouveau lustre par les admirables préparations dues à M. Bayle et surtout par l'élaboration de la famille de rudistes, qui a révélé tant de formes inattendues.

Enfin, les collections tertiaires de notre maître, M. Deshayes, couronnent noblement ce majestueux ensemble de documents paléontologiques.

L'École des mines peut donc être considérée comme pourvue de tous les éléments nécessaires pour exercer l'une des puissantes influences sur la propagation des sciences géologiques et paléontologiques dans notre patrie.

Paris, 28 juillet 1873.


 

Notice nécrologique sur Edouard de Verneuil,
par M. Daubrée.

Le confrère, aussi éminent par le caractère que par l'intelligence, dont les travaux vont être brièvement rappelés, nous offre l'exemple, trop rare parmi nous, d'une position indépendante consacrée avec ferveur à la Science et couronnée par d'importantes découvertes.

Philippe-Edouard Poulletier de Verneuil, né à Paris le 13 février 1805, se destinait à la magistrature et venait d'atteindre vingt-cinq ans, quand les événements de 1830 l'arrêtèrent dans la poursuite de ses projets.

Au moment où il cherchait quel emploi il donnerait à son activité, la Géologie prenait un essor considérable. Non-seulement on avait reconnu que l'écorce terrestre, loin d'être toujours restée dans l'immutabilité, comme l'avait admis l'école de Werner, avait subi des ploiements et des fractures que révélaient des transformations de structure et de relief, mais on était même venu à déterminer l'âge relatif de ces phénomènes. C'est dans de telles circonstances que M. de Verneuil se sentit entraîné vers la géologie et qu'il suivit avec une ardeur assidue les leçons élevées où M. Élie de Beaumont développait les idées nouvelles.

Bientôt l'attrait des grandes questions qui se rattachent à l'histoire du globe passionna l'intelligence distinguée de M. de Verneuil, qui résolut de ne pas rester simple spectateur des découvertes d'autrui.

Reconnaissant qu'en géologie, comme en toute autre science d'observation, la vue de la nature peut seule donner une compréhension nette des phénomènes, il voulut voyager. Il choisit d'abord le pays de Galles, qu'à ce moment même les recherches de deux géologues célèbres de l'Angleterre, Sedgwick et Murchison, rendaient classique; car ils parvenaient à établir des divisions ingénieusement motivées et un ordre certain de superposition, dans le groupe très-épais des couches les plus anciennes, que jusqu'alors on avait confondues sous le nom général de terrains de transition. Comme il est arrivé plus d'une fois, ce premier voyage, qu'il exécuta en 1835, eut une influence décisive sur la direction ultérieure des recherches de M. de Verneuil et sur la nature des services par lesquels il devait marquer.

Son besoin de voir et de comparer l'entraîna l'année suivante en Orient. Il se dirigeait vers la Turquie, en suivant le Danube, sur lequel on inaugurait la navigation à vapeur, quand la rencontre de compagnons de voyage sympathiques le conduisit, par la Moldavie et la Bessarabie, à Odessa, en Crimée, jusqu'aux frontières de la Circassie et, plus tard, vers le Bosphore. Dans le mémoire qu'il publia alors sur la Crimée, l'un des premiers travaux géologiques relatifs à cette péninsule, M. de Verneuil fixa la position véritable du terrain nummulitique du Sud de l'Europe, qu'il prouva être supérieur à la Craie blanche avec Belemnites mucronatus et Terebratula carnea. Il a de plus découvert une série de coquilles ayant un caractère particulier et qu'il a considérées comme les restes de la faune d'une mer intérieure qui aurait occupé le bassin de la Caspienne et de la Mer Noire. Il a nommé terrain des steppes les couches caractérisées par ces fossiles, dont les espèces nouvelles et les plus intéressantes ont été décrites par M. Deshayes. Ce savant, qui dès lors venait au secours de la stratigraphie par sa connaissance approfondie des coquilles fossiles, voulut bien initier M. de Verneuil à cette étude importante, dans un enseignement privé, qui recevait un lustre particulier de l'assistance d'auditeurs d'élite, bientôt eux-mêmes géologues célèbres.

Après avoir fait, en 1838, une étude spéciale des couches inférieures du Bas-Boulonnais et y avoir démontré l'existence de deux calcaires, l'un carbonifère, l'autre plus ancien, M. de Verneuil avait déjà acquis de l'autorité dans la détermination des fossiles des terrains anciens. Aussi, en 1839, lorsque Sedgwick et Murchison voulurent comparer les formations les plus anciennes des contrées du Rhin et de la Belgique avec celles de l'Angleterre, désirèrent-ils que M. de Verneuil les accompagnât dans leurs explorations. Absorbés comme ils l'étaient par leurs combinaisons stratigraphiques, ils avaient besoin de cette coopération, qui devait leur être d'autant plus utile que, de son côté, M. de Verneuil avait déjà parcouru et étudié les mêmes pays. Dans le mémoire qu'ils ont publié, les deux savants anglais rendent hommage à l'appui que leur compagnon leur a fourni, en mettant généreusement à leur disposition les riches collections qu'il avait personnellement recueillies. En collaboration avec M. d'Archiac, M. de Verneuil publia, en 1841, la description des fossiles des plus anciens dépôts des provinces Rhénanes, et fixa ainsi, avec netteté, les caractères du terrain dévonien, groupe dont l'existence devint dès lors incontestée en Allemagne. Le travail dont il s'agit est précédé d'un aperçu général sur la faune des terrains dits paléozoïques, et suivi d'un tableau des restes organiques jusqu'alors rencontrés dans le système dévonien de l'Europe.

Ce voyage dans les contrées Rhénanes avait fait ressortir l'utilité, j'allais dire la nécessité, pour diriger sûrement de telles explorations, d'avoir sans cesse à côté de soi un paléontologue aussi exercé que M. de Verneuil ; à cette époque, il était à peu près le seul, en Europe, initié aux faunes paléozoïques. Aussi, lorsque Murchison, désirant poursuivre au loin le domaine géologique qu'il avait si bien défini dans le Nord-Ouest de l'Europe, conçut le projet d'explorer la Russie, il pria de nouveau M. de Verneuil de s'adjoindre à lui. Le coup d'œil de Murchison, pour apprécier rapidement la disposition et les caractères des strates, quelque puissant qu'il fût, n'aurait pu arriver seul à des distinctions certaines dans une si vaste région, où, d'ailleurs, le sous-sol est en général peu visible. Les lumières des deux savants se complétaient de la manière la plus efficace et la plus heureuse.

Il suffit à MM. Murchison, de Verneuil et de Keyserling, de trois étés (1840 à 1842) pour explorer une superficie comprenant plus de la moitié de l'Europe. Il est juste de dire que l'empereur Nicolas favorisa de tout son pouvoir cette entreprise, dont il appréciait la grandeur et l'utilité; plusieurs savants russes ou étrangers avaient d'ailleurs publié des documents sur diverses parties isolées. Voyageant par des routes différentes et se réunissant de temps à autre pour comparer leurs observations, les trois savants purent ainsi agrandir le champ de leur action. La disposition à peu près horizontale des formations de tous les âges, en dehors de la chaîne de l'Oural, contraste avec la manière dont les mêmes groupes sont redressés et brisés dans l'Ouest de l'Europe ; de là des affleurements dont la grande dimension favorisait une rapide reconnaissance. L'ouvrage consacré à la Russie d'Europe et aux montagnes de l'Oural, et accompagné, comme on sait, de cartes géologiques représentant chacune de ces deux contrées, a paru en 1845. C'est un véritable monument élevé à la connaissance de l'immense région qu'il concerne, en même temps qu'aux faits fondamentaux de la Géologie. L'introduction du terrain permien dans la science fut un des grands résultats de cette exploration.

En appliquant à la Russie les divisions géognostiques adoptées dans l'Ouest de l'Europe, les auteurs ont élargi et consolidé la base sur laquelle se fondent ces divisions. Ils ont aussi prouvé que dans cette vaste région le terrain jurassique est presqu'entièrement représenté par sa partie moyenne, l'étage oxfordien, dont ce fait suffirait à faire ressortir l'importance.

Comme les conclusions reposent entièrement sur la détermination exacte des espèces fossiles, il était essentiel de donner à cette étude toute l'extension et tout le soin qu'elle mérite : aussi la description en a-t-elle pris un grand développement. Tout le second volume de ouvrage, qui contient, pour ainsi dire, les pièces justificatives, est l'œuvre personnelle de M. de Verneuil, assisté de M. le comte de Keyserling pour tout ce qui concerne les faunes paléozoïques. Le travail relatif aux faunes des terrains secondaires fut confié à M. Alcide d'Orbigny, le premier à cette époque pour cette partie de la science. Jetant un coup d'œil général sur la faune des quatre systèmes paléozoïques, les auteurs montrent que les êtres organisés s'y succèdent à peu près dans le même ordre que dans les autres contrées de l'Europe.

De nombreux travaux qui se poursuivaient avec activité dans l'Amérique du Nord avaient fait connaître le développement incomparable que présentaient les terrains stratifiés anciens dans cette partie du monde, tant par leur grande épaisseur que par les superficies considérables sur lesquelles on les rencontrait, superficies qui ne comprenaient pas moins de 35 degrés de longitude sur 15 degrés de latitude. Mais, dans une sage indépendance, les géologues américains ne s'étaient nullement préoccupés, pour les divisions qu'ils établissaient, de celles des groupes de l'Europe qui paraissaient analogues ; ils manquaient d'ailleurs tout à fait de données pour des rapprochements exacts. Quand on peut suivre les couches sans interruption d'une contrée à l'autre, on parvient facilement à voir quelles correspondances elles ont entre elles; mais il ne peut en être ainsi pour deux continents séparés par plus de 4,000 kilomètres.

Dès le printemps de 1846, la publication relative à la Russie à peine terminée, M. de Verneuil entreprend de combler cette lacune énorme dont il vient d'être frappé. Il s'agissait de suivre comparativement, sur les deux continents, les dépôts sédimentaires compris depuis les plus anciennes couches fossilifères jusqu'à celles qui renferment la houille. C'est la tâche à laquelle se voua l'intrépide et savant pionnier. Son travail eut exclusivement pour bases les espèces qu'il avait directement étudiées dans les collections locales ou qu'il recueillit lui-même sur le terrain. Il constata que, dans des contrées aussi distantes, les premières traces de la vie se manifestent par des formes à peu près semblables, et que les mêmes types se développent, successivement et parallèlement, à travers toute la succession des couches paléozoïques: il y a, de part et d'autre, accord frappant dans leur succession.

Ce qui caractérise la puissante série des terrains paléozoïques dans la région orientale des États-Unis, c'est qu'ils paraissent avoir été formés pendant une longue période de repos, et qu'ils ne présentent pas de discordance. Les 28 étages établis par les géologues de l'état de New-York sont tellement liés entre eux que ces savants ne voulaient d'abord en faire qu'un seul système, et qu'ils résistèrent assez longtemps à l'idée d'y introduire des divisions correspondant aux grands groupes qui venaient d'être admis en Europe. Grâce aux investigations de M. de Verneuil, à l'aide de considérations précises, ces divers étages furent rapportés aux systèmes silurien inférieur, silurien supérieur, dévonien et carbonifère. C'est surtout à l'égard du terrain dévonien que le savant français s'est écarté de l'opinion professée jusqu'alors par les géologues américains : il y fit entrer le Hamilton group, les schistes de Marcellus, le calcaire d'Onondaga et les grès de Schoharie et d'Oriskany, classification qui a été depuis lors adoptée.

M. de Verneuil a donc eu le double mérite, d'une part, pour les États-Unis, d'y porter la connaissance intime des divisions établies en Europe dans les terrains paléozoïques; d'autre part, pour l'Europe, de lui rapporter la connaissance des travaux américains et la possibilité d'en tirer parti : par ses propres lumières, il a résolu cette question complexe. Sous une forme très-modeste, la notice sur le parallélisme des roches paléozoïques des deux continents, qui n'a rien perdu de son mérite, malgré les progrès incessants de la science, est un travail fondamental. Ce mémoire fait ressortir la place qui appartient à la Paléontologie dans les investigations relatives à l'Histoire du globe. C'est peut-être le plus beau titre de M. de Verneuil.

Cependant il est une autre entreprise qui témoigne plus hautement encore de son dévouement sans limite à la science et de son infatigable persévérance. L'Espagne avait été beaucoup moins étudiée que la plupart des autres parties de l'Europe, lorsque M. de Verneuil songea à tourner ses pas de ce côté. Il y fut d'ailleurs engagé par de Blainville, qui ne croyait pas à l'universalité des lois de la Paléontologie. Si la succession des terrains et des faunes qui les caractérisent lui semblait bien établie pour le Nord des deux continents d'Europe et d'Amérique, ce grand naturaliste supposait qu'en Espagne, dans le Sud principalement, l'ordre de succession des espèces fossiles devait être renversé ou au moins modifié : supposition qui fut loin de se réaliser.

De 1849 à 1862, M. de Verneuil n'a pas exécuté moins de douze voyages dans la Péninsule, tantôt seul, tantôt avec M. Ed. Collomb, qui s'était fait connaître par ses beaux travaux sur les anciens glaciers ; quelquefois aussi avec de jeunes naturalistes qui l'accompagnaient dans le but de s'instruire. Son arrivée était toujours accueillie avec un chaleureux empressement par les ingénieurs des diverses provinces, qui appréciaient l'importance de ces études; aussi cherchaient-ils à témoigner leur gratitude à l'explorateur dévoué et tenaient-ils à l'accompagner pour se former à son école. De très-nombreux fossiles ont été recueillis en Espagne par M. de Verneuil, et les lois de la Paléontologie ont naturellement reçu une éclatante confirmation, comme partout où s'étendent les observations des géologues. La Carte géologique de l'Espagne et les mémoires publiés à la suite de ces laborieuses excursions, entre autres celui qui signale la découverte de la faune primordiale, n'intéressent pas seulement l'Espagne, où ils ont produit une vive impulsion et provoqué d'autres travaux, mais tout le monde savant en général. On peut rappeler aussi la première constatation du terrain dévonien, et la distinction établie, dès 1849, au sud des Pyrénées, entre le terrain nummulitique et le terrain crétacé. On doit toutefois regretter que l'auteur de tant d'observations précieuses n'ait pas trouvé le temps de les mettre en ordre et d'en constituer un ensemble, comparable à celui dont la Russie avait été l'objet.

Dans les mémoires de M. de Yerneuil, on reconnaît toujours, à travers la forme essentiellement modeste de l'exposition, la sûreté d'appréciation de l'homme qui a parfaitement approfondi le sujet. Plus on étudie ses travaux, mieux on voit l'importance des services que ce savant a rendus en circonscrivant avec exactitude les groupes paléozoïques dans de nombreuses régions. C'est ainsi que, dès 1840, il établissait, d'après des caractères zoologiques, entre le calcaire carbonifère ou de montagne et les formations qui lui sont inférieures, une délimitation très-nette, et il suivait cette séparation par une série de jalons (n'ayant souvent pour se guider que des fossiles peu nombreux et mal conservés), d'abord dans le sol de la France, sur les frontières de Belgique, aux environs de Boulogne, dans la Sarthe, dans les montagnes de Tarare et à Régny (Loire), dans les Pyrénées, puis dans le reste de l'Europe, depuis le Spitzberg jusque dans la Russie méridionale, aux États-Unis et jusque dans l'Amérique du Sud, en Bolivie. Cette limite, poursuivie ainsi dans des régions très-distantes, acquérait un caractère de généralité qui en faisait ressortir toute la valeur. Les couches à anthracite de la Loire-Inférieure et des environs de Roanne, considérées longtemps comme appartenant aux terrains dits de transition, étaient dès lors rapportées au système carbonifère.

Depuis 1831, c'est-à-dire à peu près depuis la fondation, M. de Verneuil appartenait à la Société géologique de France. Chacun sait avec quel empressement il prenait part à ses séances et avec quelle attention il écoutait les communications relatives aux sujets les plus divers, qu'il faisait fréquemment suivre d'observations judicieuses et instructives. Son attractive bienveillance encourageait puissamment les jeunes géologues qui venaient présenter les résultats de leurs recherches. Le vif intérêt qu'il portait à la prospérité de la Société s'est manifesté dans bien des circonstances, et jusque dans l'expression de ses dernières volontés, par le legs qu'il a voulu lui offrir. Ses confrères lui ont témoigné leur haute estime en le choisissant trois fois comme président : en 1840, en 1853 et en 1867. Dans cette dernière année, où l'Exposition universelle devait appeler de nombreux étrangers à Paris pour y prendre part à la réunion extraordinaire de la Société, M. de Verneuil était naturellement désigné par la considération cosmopolite dont son nom était entouré. Plus récemment encore, le vœu général eût certainement désigné M. de Verneuil une quatrième fois pour la présidence, si, par suite de l'affaiblissement de sa vue, il n'avait cru devoir se soustraire à ce désir. On peut dire qu'aucune perte ne pouvait plus cruellement frapper la compagnie dont il constituait en quelque sorte le centre.

M. de Verneuil était, depuis 1854, membre libre de l'Académie des sciences. La Société royale de Londres, l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, celle de Berlin et d'autres Académies avaient tenu à se l'associer.

M. de Verneuil était chevalier de la Légion d'honneur, grand'croix de l'ordre d'Isabelle-la-Catholique, commandeur des ordres de Saint-Wladimir et de Sainte-Anne de Russie, commandeur de l'ordre de Charles III d'Espagne, officier de l'ordre de la Rose du Brésil.

Entraîné par sa passion pour la géologie, il avait parcouru toutes les parties de l'Europe. Outre les explorations signalées par les découvertes que je viens de rappeler, il avait visité la Suède, la Norwége, la Grèce, Constantinople, ainsi que les environs de Smyrne et une partie de l'Algérie. Ceux qui ont eu la bonne fortune de l'accompagner se rappellent avec quelle conscience il s'empressait de consigner sur son carnet des observations circonstanciées, que, malgré les fatigues, il coordonnait chaque soir, après avoir déterminé les fossiles et autres échantillons qu'il avait recueillis.

Son goût pour les voyages, qui a été si fécond pour la Géologie, n'avait pas diminué lorsque la faiblesse croissante de sa vue en détruisait le charme principal. Les privations qu'il fallait endurer dans les pays les moins civilisés ou les plus inhospitaliers n'altéraient jamais ni son zèle ni sa bonne humeur. Plus d'une fois il s'est aventuré jusqu'à l'imprudence, par exemple lorsqu'il allait contempler de trop près quelque éruption volcanique, au Vésuve ou à l'île de Santorin.

Un jugement très-droit et une complète indépendance de toute idée préconçue le guidaient dans ses déductions.

Loin d'être absorbé dans ses occupations, il s'intéressait à des branches très-variées des connaissances humaines. Il possédait parfaitement plusieurs langues vivantes; c'est un des moyens qui ont assuré ses succès dans les pays qu'il a explorés. Les arts eux-mêmes n'étaient pas exclus de ses goûts; il avait poussé le talent de la musique jusqu'à devenir un habile improvisateur.

Sous le rapport du caractère moral, personne ne possédait plus de bienveillance naturelle. Son extrême bonté ne se manifestait pas seulement dans sa maison, où un accueil aussi affectueux que distingué était offert aux savants de tous pays, mais aussi par de nombreux actes de bienfaisance. Il discutait avec calme et douceur les opinions les plus opposées aux siennes. Une loyauté exquise et une modestie sincère étaient les traits dominants de ce noble caractère. Il trouvait bien plus de plaisir à s'entretenir des découvertes d'autrui que des siennes propres, et peut-être l'occasion aura-t-elle manqué à plus d'un de ses confrères d'apprécier l'étendue de ses mérites.

Pendant la maladie qui, durant trois mois, a mis des entraves à son activité, il continuait à s'intéresser très-vivement aux faits de la science. Son égalité d'humeur ne l'a jamais abandonné; il a conservé sa sérénité jusqu'au dernier jour. Il avait alors accompli soixante-huit ans et, entouré des soins les plus affectueux, il est mort chrétiennement le 29 mai 1873.

M. de Yerneuil avait appelé à son aide toutes les ressources de la paléontologie, particulièrement en ce qui concerne les faunes des terrains anciens. A ce point de vue, il peut être mis au premier rang parmi les géologues de l'un et de l'autre hémisphère; il a de plus été l'initiateur et le maître de tous ceux de l'Europe pour la connaissance de l'Amérique du Nord.

Ce n'est pas seulement par ses publications que M. de Verneuil a servi la science. Il lui a élevé un monument par ses collections qui réunissent les types de fossiles les mieux choisis dans les contrées qu'il a parcourues. Les étrangers de tous pays, non moins que les savants français, ont puisé dans ces ressources précieuses, qu'il mettait constamment à la disposition de tous, avec la libéralité la plus large, en y joignant le secours désintéressé de ses lumières. C'est ainsi que M. de Verneuil était un centre d'où les connaissances en paléontologie ont, pendant de longues années, rayonné de toutes parts.

Pour continuer, même après lui, l'exercice de sa générosité envers tous ceux qui étudient, il a voulu que cette collection, certainement unique, restât à leur disposition, et c'est dans ce but qu'il l'a léguée au Musée de l'École des Mines. La collection de M. de Verneuil a été, de la part du savant le plus autorisé pour l'apprécier, l'objet d'une notice qui fait ressortir les éminents services qu'elle a rendus et ceux qu'elle est encore appelée à rendre.

La mémoire de cet excellent confrère restera en vénération parmi les géologues et les paléontologistes de toutes les parties du monde; elle doit être pieusement conservée dans le sein de la Société géologique.