Epoux de Jeanne TERMIER, fille de Pierre TERMIER.
Concernant Jean BOUSSAC, voir aussi :Histoire du laboratoire de géologie de l'Institut catholique de Paris
En m'appelant à rapporter sur l'attribution du prix Fontannes pour 1913, la Société géologique de France me fait un bien grand honneur et me cause une bien grande joie.
Un grand honneur, puisque je dois parler d'un des jeunes géologues de France sur lequel l'avenir de notre science peut compter, quand on sait ce qu'a été son court passé, une grande joie, car je revendique Jean Boussac comme étant un peu mon élève, et il ne protestera pas si je l'accapare un peu comme un des miens, quand je lui rappellerai les heures inoubliables, lorsque, des grandes faîtières des Alpes du Wildhorn, j'avais le bonheur de lui montrer les robustes constructions de ces immenses remparts, ou lorsque, plus loin, juchés dans les parois, sous le feu du soleil d'août, nous mesurions méticuleusement les séries des couches nummulitiques, ou encore quand battus par les rafales de neige, nous allions, malgré le froid, dans les montagnes de Derborence, chercher, sous les bastions géants des Diablerets, les masses écrasées des Préalpes.
Quand deux hommes ont eu de telles heures communes il se crée entre eux une amitié qui ne se perd plus, et voilà pourquoi je suis si heureux de parler d'un ami.
Je crois qu'aucun de vous qui m'écoutez ne protestera quand je dirai que Jean Boussac est né sous une heureuse étoile. Déjà la gloire le côtoie, et preuve en est ce que me disait de son œuvre le grand maître Suess, il y a quelques mois, à Vienne : « C'est une œuvre superbe, féconde, que celle de ce jeune Français. Il est digne de la grande lignée de ses prédécesseurs » .
Comment donc Jean Boussac est-il arrivé de si bonne heure à accomplir une tâche aussi immense ?
Il faut dire, tout d'abord, qu'il a possédé dès son entrée dans les sciences géologiques une qualité extraordinairement acérée, celle d'un esprit très clair, très calme, peu jeune je dirais, comme stérile, et sa mutabilité s'est transmise aux espèces dérivées qui donnent à leur tour des espèces nouvelles douées de mutabilité et meurent à leur tour après une période stérile de longueur variable. Voilà bien un moyen de transmission du pouvoir évolutif dont l'importance n'échappera pas à l'esprit de celui qui cherche à s'éclairer dans ces problèmes passionnants de la variation de la vie.
Mais arrêtons-nous. Ces quelques phrases suffisent pour montrer le penseur à côté de l'observateur.
Cependant voyons l'auteur quand il discute de la méthode. Peut-être que ceux qui ont lu les pages qu'il a écrites sur cette question de la méthode stratigraphique se seront dit qu'il n'y avait là rien de bien nouveau parce que, sans avoir spécialement abordé cette matière, ils avaient toutefois, au cours de leurs travaux, réfléchi sur la valeur des subdivisions et pensé comme lui, car l'on ne peut guère penser autrement semble-t-il. Mais ceux qui connaissent pourquoi Jean Boussac a écrit ces lignes savent qu'elles ont été un instant nécessaires.
Il venait d'être commis dans un pays voisin une grosse erreur par un esprit brillant, par un puissant travailleur dont l'influence sur des confrères actifs et de son âge était considérable. Il pouvait en résulter un retard immense. Il était donc nécessaire d'arrêter de suite la marche de l'erreur. On sait ce que furent d'Allemagne, de France et même de Suisse les nombreuses protestations. L'affaire est aujourd'hui réglée.
Le combat, du reste, ne fut pas long. La défaite de l'adversaire n'est cependant pas un triomphe,en quelque sorte,car on n'appelle pas triomphe les résultats d'une lutte si inégale, lorque l'un des combattants a été momentanément aveuglé pendant qu'il était encore en champ clos.
Mais d'une aventure semblable, il y a toujours des fruits à récolter.
Elle a obligé celui qui sort victorieux à perfectionner sa tactique, à parfaire sa stratégie. Et je crois que sans cette lutte nous n'aurions pas aujourd'hui une précision aussi impeccable, aussi méticuleuse dans les descriptions de Jean Boussac sur le Nummulitique des Alpes suisses. Qu'un dernier regard jeté sur cette période nous montre bien qu'elle appartient déjà à l'histoire ; que les uns comme les autres, le vaincu surtout, doivent tout oublier, et même se réjouir, puisque la lumière est maintenant plus resplendissante.
Du trio cité plus haut, sortons un des hommes et prenons le paléontologue.
Boussac a abordé une tache bien difficile, celle d'une revision partielle, mais déjà fort considérable, des Nummulites. Par ces premiers travaux dans ce domaine, où l'influence du maître Douvillé est reconnaissable, le professeur actuel de l'Institut catholique montre une maîtrise immédiate. Dans ces êtres que tant d'hommes ont scié, poli depuis près d'un siècle, il réussit encore à découvrir un détail anatomique nouveau, la lame transverse, ainsi qu'il le nomme, ce qui l'amène à une classification nouvelle des subdivisions du genre. Je ne sais pas très bien si la nouvelle classification rendra les services que paraît attendre son auteur. J'aurais désiré un peu plus de clarté, et je parle peut-être comme un profane, mais n'est-ce pas justement pour des gens comme moi, qui doivent occasionnellement déterminer de ces Foraminifères, que ce livre est un peu fait ? Et ainsi, malgré ce que dit Jean Boussac, je regrette un peu la disparition des deux noms spécifiques. La nomenclature binaire n'aurait peut-être pas été si rigoureuse si en la créant on avait connu les générations alternantes.
Mais malgré cette critique, que je sais peu défendable, combien devons-nous nous féliciter de posséder un tel mémoire. Quel énorme service rendu, quelle lumière apportée dans ce chaos de synonymes. Et quelle merveilleuse illustration !
La suite de l'œuvre paléontologique de Jean Boussac est formidable. Quel coup d'oeil ne démontre-t-elle pas? Que les géologues alpins, en particulier, sont heureux de pouvoir s'appuyer sur une aussi solide étude ! Moi qui ai connu nos vieilles collections nummulitiques, je puis bien m'apercevoir de l'énorme portée de ce travail paléontologique. Combien les déterminations n'étaient-elles pas approximatives ! Il est vrai que les fossiles alpins sont souvent si frustes, il est vrai que l'on a tant de peine à les trouver, que l'on désire presque coûte que coûte leur donner un nom, les assimiler à ces beaux échantillons des gisements extra-alpins. Boussac n'est pas tombé dans ce piège, peut-être parce qu'il mettait moins de prix à ces pauvres débris récoltés avec amour par des inconnus. Il faut lui savoir gré d'avoir agi ainsi.
En dehors de la valeur intrinsèque des déterminations, les résultats qui découlent de son enquête sont considérables.
L'étude approfondie à laquelle il s'est livré, dans le bassin anglo-parisien, à Biarritz et dans les Alpes, l'ont conduit à des résultats nouveaux concernant l'évolution et la migration dans les mers nummulitiques.
Dans les temps lutétiens, la mer plus largement ouverte, ainsi que pendant l'Auversien, permet une grande uniformité, tandis que dans les temps priaboniens les faunes évoluent séparément et se différencient. Dans le bassin anglo-parisien l'évolution semble être le seul facteur en jeu et donne la faune du Ludien sans apporter d'éléments nouveaux. Tout autre est le régime méditerranéen. Des migrations constantes modifient la faune. C'est là que se prépare la faune oligocène qui plus tard émigrera, par la fermeture du géosynclinal, dans le bassin parisien et jusqu'en Allemagne.
Si nous devons être profondément reconnaissants à Jean Boussac de ce qu'il a fait avec tant de maîtrise en paléontologie pour nous faciliter notre besogne à nous, travailleurs d'occasion dans le Nummulitique, si nous devons admirer le soin avec lequel il a su figurer merveilleusement ces faunes de Mollusques et de Foraminifères, nous ne devons cependant pas oublier celui qui a décrété l'impression de cette œuvre paléontologique. Et nous devons exprimer notre gratitude à l'ancien directeur du Service de la Carte géologique de France d'avoir imprimé une œuvre aussi volumineuse et coûteuse.
Pour pouvoir suivre utilement les variations de faciès du Nummulitique alpin, Jean Boussac devait connaître par le menu toutes les dislocations des Alpes. Il devait donc se faire tectonicien. Il le devait d'autant plus qu'il avait à aborder certains territoires, comme ceux de la Suisse allemande, où les jeunes auteurs se sont plu à débaptiser et rebaptiser ces pauvres nappes qui n'en peuvent mais, où ils se sont mis à créer des noms chaque fois qu'ils rencontraient la moindre digitation, de sorte que dans la bonne intention d'éclairer les choses, à la longue elles furent tellement obscurcies sous cette pluie de noms que c'était à désespérer d'y jamais rien comprendre. Ce fut comme une période sportive non encore éteinte: la course aux nappes, jeu olympique d'un nouveau genre. Et dans ce fouillis Jean Boussac a dû se débattre.
Dans le premier chapitre de son mémoire sur le Nummulitique alpin, l'auteur donne une vue d'ensemble des grandes unités tectoniques de la chaîne. Il cherche, comme il le dit lui-même, à faire une introduction aussi simple, aussi schématique que possible, car il écrit pour les stratigraphes. Je crois, sans me tromper, que cette introduction sera tout aussi utile à de nombreux tectoniciens.
En quelques lignes, nous voyons défiler l'avant-pays alpin, puis les massifs hercyniens, puis les nappes helvétiques, réduites à juste titre au nombre de trois, puis cette fameuse zone des Aiguilles d'Arves. L'auteur insiste avec raison sur sa grande importance. Il la montre naissant, très développée, sur les bords riants de la Méditerranée entre Vintimille et Albenga, se prolongeant dans les régions sauvages à l'Est du Mercantour, dans ces hauts créneaux des Aiguilles d'Arves, puis plus loin dans les régions neigeuses du Simplon. C'est bien la première fois que l'on démontre l'unité si constante de cette nappe singulière. Déjà, en traitant de cette unité alpine, le brillant successeur d'Albert de Lapparent ne se contente plus de résumer et de synthétiser les travaux de ses devanciers et contemporains. En chemin il démêle les complications des terrains tertiaires autochtones et charriés dans l'arrière-Pelvoux. Ailleurs d'importantes découvertes faites entre Gesso et Savone font enfin comprendre la structure obscure jusqu'alors de ces territoires italiens.
En ce qui concerne les Préalpes suisses, nous voyons avec plaisir que l'auteur n'hésite pas à rattacher les plus élevées aux nappes à racines internes.
Ainsi donc en abordant la géologie tectonique dans la seule préoccupation d'être guidé dans ses recherches stratigraphiques, l'auteur ne s'est pas contenté des faits jusqu'alors connus ; il synthétise l'ensemble et il réussit, en outre, à faire des découvertes de premier ordre.
Il ne nous reste plus à parler que du stratigraphe. C'est le principal du trio.
Ce qui va résulter de l'immense enquête à laquelle s'est adonné Jean Boussac sera le plus beau monument qui fut jamais élevé à la stratigraphie alpine.
Mais à côté de cette œuvre considérable qui domine, qui brille comme un phare, tel un de ces phares tournants qui scrutent tous les recoins obscurs, qui apportent la lumière que le navigateur errant de la science voit arriver sur la houle des Alpes connue un secours inespéré, apparaissent encore d'autres lumières placées sur d'autres anciennes mers.
Dans le bassin anglo-parisien, le jeune géologue exerce ses yeux, affine sa méthode, réglemente son esprit d'ordre. D'innombrables subdivisions ont été distinguées. Il s'agit de les mieux grouper en zones paléontologiques ayant une valeur réelle. En se basant sur les transformations des faunes, en se basant sur l'évolution des Cérites, il montre l'individualité paléontologique des zones auversienne, bartonienne et ludienne. Il arrive ainsi par la comparaison des êtres qui furent, à démontrer réellement l'âge auversien des couches supérieures de Bracklesham.
Un autre phare est construit là-bas, aux confins des Pyrénées. A lui seul il suffirait à faire la réputation du bâtisseur. Un pinceau lumineux dirigé entre les rochers de la Gourèpe et la Côte des Basques, vers la villa Marbella, fait apparaître, sans contestation possible, les couches auversiennes certaines, celles où l'on trouve les plus anciens Clypeaster.
Puis le phare tourne et voilà que l'on voit qu'il faut identifier le Priabonien dont on faisait deux étages distincts, puis voici que les couches de Cachaou se différencient et que c'est au Ludien qu'il faut les faire correspondre.
Le mémoire sur Biarritz aura une répercussion féconde dans le nouveau théâtre d'action du jeune savant. Il lui aura fait comprendre donc que le Bartonien et le Priabonien ne sont pas deux étages distants, mais deux sous-étages et que le Priabonien est l'équivalent, dans l'Europe méridionale, de l'ensemble du Bartonien et du Ludien de l'Europe occidentale. Et maintenant, à l'assaut des Alpes.
La guerre est déclarée. Le guerrier d'un nouveau genre a bien aiguisé et fourbi ses armes ; pour son entraînement rien n'a été négligé durant quatre ans.
Quand il entre dans la nouvelle arène on peut dire qu'aucune assise n'est déterminée avec certitude, à part les couches de Kressenberg et d'Einsiedeln. Et en outre, à peine a-t-il abordé les bastions de l'immense forteresse, qu'il trouve un occupant et celui-ci place des retranchements qu'il va falloir abattre.
C'est le chaos, chaos des noms locaux, chaos de listes de fossiles mal déterminés et tout cela par la faute des hommes, chaos des superpositions anormales où, de par une volonté qui n'est plus la nôtre, la nature s'est plue à placer des embûches devant chaque pas.
Seule, apparaît une grande vérité sans laquelle rien n'aurait pu être compris. L'énorme édifice a livré son architecture. On connaît sa charpente et ses assemblages. Venu dix ans plus tôt, Boussac aurait été vaincu. Je disais bien qu'il était né sous une heureuse étoile.
Essayons de dégager les grandes lignes de l'œuvre fondamentale du jeune savant.
Dans la stratigraphie stricte, Boussac montre que les couches de Palarea sont auversiennes, de même que celles du Hohgant avec les faunes célèbres des Ralligstöcke, du Niederhorn et du Schimberg. Ce sont bien les couches de Ronca.
Et les couches à Cerithium Diaboli, ces pauvres couches que l'on hisse jusque dans le Stampien et que d'autres font descendre dans le Lutétien. Par des arguments péremptoires, elles deviennent priaboniennes. Dans les environs de Castellane, jusqu'à Barrême, d'autres couches déterminées comme priaboniennes deviennent lattorfiennes. Dans les Alpes de Bavière et d'Autriche, le Nummulitique des environs de Salzbourg est exclusivement priabonien, tandis que les affleurements plus internes, qui s'étendent de Reit in Winkel à Haring, sont oligocènes.
Dans le Nummulitique des Aiguilles d'Arves, où l'on ne voyait que du Bartonien, ne se montrent que le Lutétien et l'Auversien. Et comme à la base se trouve du Crétacé, il y a là, pour Jean Boussac, une série compréhensive. Et dans les régions plus internes encore, dans celles où régnent les schistes lustrés, le Nummulitique ne serait que le terme supérieur d'une autre vaste série compréhensive. Nous ne sommes pas tous d'accord sur cette manière de voir, c'est vrai, mais en tout cas cette argumentation aura pour elle l'avantage de forcer l'attention des chercheurs.
Un fait considérable ressort des recherches de Boussac, la migration de faciès semblables dans le temps et l'espace. Au premier abord il n'y a rien qui doive surprendre dans cet énoncé, car on sait que des faciès semblables peuvent se répéter plusieurs fois dans une même série avec des faunes très voisines chaque fois que le même dépôt se répète. Mais dans le cas particulier il fallait bien une grande sagacité pour mettre en lumière cette migration, et preuve en est les fautes commises et que redresse notre auteur. En s'avançant, la mer nummulitique possédait souvent des grèves constituées par des sables. Les grès qui en sont dérivés subsistent souvent à la base de la série et ils sont si semblables entre eux qu'il paraissent être synchroniques. Or la recherche montre que cette grève a été mobile et que sa migration a été si lente que la faune a pu se modifier plusieurs fois, en donnant lieu à de nouvelles zones paléontologiques. En ce qui concerne les Alpes helvétiques, ce phénomène prend une ampleur considérable.
Un autre fait important apparaît encore, c'est que les faciès ne sont pas parallèles aux fronts des nappes. Aujourd'hui, on oublie parfois que la nappe de recouvrement est un phénomène d'ordre strictement géométrique et qu'en conséquence seule sa forme doit être prise en considération pour la déterminer. Or l'on a vu dernièrement, que l'on essayait de définir des nappes en se basant sur les variations de faciès, posant en sorte de dogme que dans une nappe ne pouvait régner qu'un faciès. L'enquête si bien conduite par Boussac et qu'illustrent les merveilleuses cartes de son mémoire montre combien on ne saurait être trop prudent dans les relations entre nappes et faciès.
Il semblerait qu'après de telles recherches tous les secrets des temps nummulitiques, dans les Alpes tout au moins, devraient être effacés. Et cependant en ce qui concerne deux phénomènes importants Boussac n'a pu conclure. Ce sont deux questions qui se sont posées avec la naissance de la géologie alpine. D'où viennent les éléments du grès de Taveyannaz ; d'où viennent et comment sont venus les fameux blocs exotiques ?
En ce qui concerne le grès de Taveyannaz, Boussac restreint le cadre des hypothèses, c'est déjà considérable. On peut dire avec certitude que leurs éléments ne viennent pas du Nord, mais du Sud ; d'où viennent-ils exactement, eux et ces fameux morceaux de calcaires à Alvéolines trouvés par notre auteur dans les environs d'Altorf ? Maintenant qu'il semble bien qu'il y a eu dans le Sud, non loin de la ligne tonalitique, des roches éruptives postalpines, n'y en a-t-il pas eues d'un peu plus anciennes qui auraient alimenté de leurs débris certains courants de la mer nummulitique mourante ?
Et les blocs exotiques ? On sait qu'eux aussi viennent du Sud mais aucune hypothèse pour expliquer leur venue n'est plausible. On doit rejeter toute explication qui cherche les moteurs dans les glaces flottantes, on doit également rejeter l'hypothèse par laquelle on considère que ces blocs sont des fragments des nappes avançantes dans la mer, puisque ces blocs ne sont pas constitués par les éléments pétrographiques de ces nappes. Peut-être un jour verra-t-on une liaison entre ces blocs et les masses avançantes des Dinarides, si celles-ci ont vraiment avancé sur les Alpes, mais non point alors des Dinarides postalpines, mais bien anté-alpines.
Le problème semble avoir comme effrayé l'auteur et cependant qui mieux que lui était à même d'essayer de le résoudre ? Il m'est consolant cependant de savoir que tous les problèmes ne sont pas épuisés et que celui qui en a résolu un si grand nombre a encore de l'ouvrage pour demain. Il nous doit de poursuivre des recherches dans cette direction.
Nous pourrions parler pendant des heures des découvertes nombreuses faites par notre confrère, mais quittons ces simples faits positifs, simples maintenant, mais si compliqués hier, et cherchons avec lui la synthèse. Essayons de nous faire une idée des conditions géographiques et océanographiques de ces temps écoulés. Alors viennent les belles heures, celles de la récompense, celles pendant lesquelles l'imagination peut jouer.
Le géosynclinal alpin vient de subir une crise. Il a essayé de se fermer. D'aucuns pensent qu'il s'est fermé tout à fait, qu'il n'y a pas de séries compréhensives. Lorsque l'on éloigne ce désaccord, il n'en reste pas moins qu'un singulier phénomène s'est accompli. Il semble que d'immenses territoires aplanis se sont formés, presque parallèlement aux dernières couches déposées, ou ne faisant avec elles qu'un angle très faible, non mesurable. Et la mer va reprendre peu à peu possession de ces vastes domaines.
Mais pour voir ainsi la vague avancer, il a fallu se livrer à une spéculation presque nouvelle. On a dû dérouler les nappes empilées, les placer les unes derrière les autres. Quelle joie, pour celui qui vous parle, de savourer les fruits de l'arbre dont Marcel Bertrand planta la graine ! Quel triomphe croissant d'une hypothèse glorieuse !
Comme un Titan, mais un Titan de la pensée, Boussac soulève les nappes, les reporte vers leur lieu d'origine, les cloue sur le sol. Il en manque des fragments que les fleuves ont grain par grain portés hier vers les molasses, portés aujourd'hui vers l'Atlantique ou vers la Méditerranée, mais l'esprit saura recimenter en un béton ces zones effritées par les frimas, et rien ne manquera de ces planchers jadis continus et actuellement morcelés, soulevés, amincis jusqu'à devenir virtuels, broyés.
Et maintenant, place à un autre que nous.
Vous figurez-vous un être pensant qui vivrait des siècles et pour lequel les années n'auraient pas même la valeur d'une seconde, qui serait placé sur un belvédère si haut qu'il dominerait la terre ?
Cet être aurait vu s'avancer, du lointain, vers la grande courbure d'une vaste mer arquée, un flot, un flot vert ou bleu sous un ciel des tropiques. Il semble qu'un ordre a été donné, la mer s'ébranle, déborde. Ce sont les temps lutétiens. Elle contourne là-bas l'îlot du Mercantour, marche vers Menton, vers Saorge. Elle pénètre là où seront les montagnes de la Suisse, et devant elle s'étend toujours une plage sableuse, vaste lande qu'elle chasse devant sa marche conquérante. Le fond plat de la mer se déforme. Des fosses se creusent dans les régions d'où proviendront beaucoup plus tard les territoires du Briançonnais et dans la Suisse orientale.
La mer avance toujours. Mais d'autres coquillages sont rejetés par les vagues, ce sont les temps auversiens. Le flot avance encore, il s'insinue dans de nouveaux golfes, l'un entre l'Estérel et le Mercantour, l'autre entre le Mercantour et le Pelvoux, un troisième encore entre ce dernier et le Mont Blanc naissant. Les masses calcaires de ces promontoires ne résistent pas à l'assaut des vagues et des marées, ici et là l'ossature cristalline est mise à jour et montre ses roches rutilantes.
Dans l'eau tranquille du golfe des Bauges, des sédiments calcaires dominent. Sur la plage helvétique la mer continue à battre des rives de sable. Au large, des pluies de globigérines tombent dans les grands fonds et préparent des calcaires plaquetés du Briançonnais. Là où se trouve aujourd'hui le col de Varbuche et jusqu'en arrière du Mont Blanc et plus loin au Sud de la côte de ce qui sera le massif de l'Aar, une sédimentation mystérieuse se développe. L'épaisseur des flots, le trouble des eaux empêchent notre observateur de bien comprendre ce qui se passe là. Mais plus tard, les hommes trouveront des brèches singulières qu'ils ne sauront guère expliquer, pas davantage que de gros blocs qu'ils appelleront exotiques.
Et la mer sans se lasser avance encore. Ce sont les temps priaboniens. Il semble que la terre vaincue ne résiste plus, elle semble s'abaisser comme pour faciliter l'immense inondation. Le Mercantour n'est plus qu'une île. Le Pelvoux, ébréché par le saut des vagues déferlantes, voit ses falaises de granit qui s'écroulent. Le Mont Blanc, le massif de l'Aar n'existent plus. A leur place s'étendent des marais, des lacs, puis des lagunes, et dans les eaux saumâtres grouille une nouvelle faune d'une grande richesse, venue du Sud.
Mais la fin approche. La mer dépasse encore ses limites septentrionales, mais au Sud, là où régnaient les grandes profondeurs, des terres émergent. Peut-être entend-il, notre témoin, le bruit sourd, le rombo des nappes naissantes qui se meuvent sous la masse énorme des boues. Tout au lointain, peut-être de là où les hommes parleront de zone tonalitique et de zone du Canavèse, quelques volcans lancent dans les airs des colonnes sombres de cendres. Et comme un flot qui fuit dans un étroit chenal incliné, la mer entraîne avec elle des sables qui seront les grès d'Annot et ceux de Taveyannaz.
Et c'est fini, tout se dessèche. Un autre acte de cette formidable tragédie va commencer, mais notre spectateur fatigué lentement s'éloigne, comme à regret.
Si, connaissant l'infime détail des immenses charniers laissés par cette mer qui vient de mourir, si, connaissant le tumulte des vagues de pierres, qui ont remplacé celles qui furent liquides, nous fermons les yeux pour bien nous isoler, ce spectacteur que nous avons invoqué, qui a vécu des siècles, pour qui le temps ne compte jamais parce qu'il n'existe pas pour lui, ce sera aussi bien l'un d'entre vous que celui qui vous parle. Mais le magicien qui vous aura plongé dans un rêve aussi glorieux, un rêve que nous savons avoir été une réalité, aura travaillé des années pour nous le forger, ce beau rêve. Il aura passé de longues heures seul, patient dans les hauts rochers, auscultant les pierres qui lui ont parlé, et il nous aura dit ce qu'elles lui ont confié, ces pierres. Et voilà pourquoi encore nous devons vous être reconnaissant, à vous, Jean Boussac qui m'écoutez.
Vous êtes, Jean Boussac, lauréat de la Société géologique de France. C'est un grand titre quand on pense que c'est l'ensemble des géologues d'un grand pays, qui aujourd'hui, vous porte sur le pavois. Certes vous méritez cette haute distinction, car le monument que vous venez d'élever est considérable et superbe.
Selon un usage charmant, chaque année votre nom sera reporté sur la liste des couronnés. Considérez ce rappel non comme une satisfaction suffisante, car satisfait on aspire au repos, mais envisagez cette haute marque d'estime comme un encouragement, pas davantage, car l'avenir vous l'avez pour vous, et du reste nous savons bien, tous ici réunis, et tous ceux qui connaissent votre ardeur, que vous nous apporterez encore des fruits de vos labeurs.
Des champs qui ont été semés par vos devanciers et par vous-même, il y en a qui germent. Demain l'épi doré demandera la faucille. Allez, moissonnez encore, le jour est beau, la lumière se fait plus belle. Nous comptons sur vous, sur vous pour votre gloire naissante, sur vous pour la gloire de notre belle science.
Voilà ce que nous lisions le 19 juin 1913...
L'avenir semblait souriant. Chacun faisait des projets, poussé par le désir ardent d'agrandir le cercle de nos connaissances. L'orage semblait parfois gronder à l'horizon, mais, pacifiques, nous ne voulions point y croire.
Et aujourd'hui, celui de qui nous chantions la joie de vivre, celui à qui je disais : « Nous comptons sur vous, sur vous pour votre gloire naissante, sur vous pour la gloire de notre belle science», Jean Boussac n'est plus...
Il n'est plus. Il semble que cela ne soit pas possible. Il émanait de lui une telle puissance de vie que ceux qui l'ont connu ont encore dans l'oreille le son de sa voix si prenante, si captivante que l'on croit encore l'entendre. Il y avait un tel charme dans sa personne que je le vois vivant quand je le veux. Je le vois à la Sorbonne ou dans son laboratoire quand il expliquait tantôt la minutie du bâti d'une infime Nummulite, tantôt la grandiose charpente d'un tronçon des Alpes. Je le vois, cet homme de petite taille, me suivre dans les rochers de mes montagnes, toujours infatigable, avec la gaité délicieuse d'un être sain, d'un cœur droit. Je ne crois pas, et beaucoup seront de mon avis, que beaucoup d'hommes si complets, si harmonieusement construits de corps et d'esprit peuvent se rencontrer. Heureux ceux qui l'ont connu.
L'annonce de sa mort fut un coup terrible. Jamais peut-être, en apprenant cette terrible nouvelle, je n'ai senti bouillir en moi une haine plus impérissable contre les ennemis de la France !
J'avais eu la tâche charmante de parler de sa vie scientifique. Et moi, qui me sens vieilli chaque fois que je pense à l'ami tué en défendant sa Patrie, qui, lorsque ma pensée s'arrête sur des souvenirs communs, voudrais pleurer seul, cacher ma misère, il m'est demandé de jeter quelques fleurs sur la tombe, de poser la palme glorieuse sur le cercueil qui renferme sa dépouille mortelle...
Ton corps est mort, Jean Boussac, mais ton âme demeure. Le sillon laissé sur la terre par ton passage n'est point de ceux qui s'effacent. Ta pensée est là par ton œuvre féconde. Pieusement nous ferons mûrir les graines que tu as semées et, dans ton immortalité céleste, tu auras la joie de voir que tes efforts d'ici-bas, toi qui possèdes maintenant tous les secrets du passé de la terre, n'auront pas été vains. Que ton âme nous guide comme ton esprit nous a guidé.
Jean Boussac est né à Paris le 19 mars 1885, le second de jumeaux fort dissemblables l'un de l'autre, l'aîné aussi grand que le cadet était fluet. Jean montre de bonne heure un goût prononcé pour l'histoire naturelle. Il fait ses études, comme externe, à Montaigne et à Louis-le-Grand. Doué pour tout, il fut premier prix de philosophie.
Il n'avait que quinze ans, lorsque, avec son ami Pierre Lecau, le successeur de Maspero à la tête du Service des Antiquités du Caire, il commence à parcourir le bassin de Paris, et bientôt les faunes tertiaires lui sont entièrement connues. Aussi, dès l'âge de dix-neuf ans, peut-il déjà entreprendre l'étude de la comparaison des faunes nummulitiques du bassin de Paris avec celles d'autres gisements classiques. C'est ce qui l'entraîne à Biarritz et, en 1904 déjà, paraît sa première note sur la découverte de Nummulites intermedius dans les couches du rocher Lou Cachaou.
Il accomplit son année de service militaire, puis il se rend en Italie et, de suite, il peut établir un parallélisme entre les couches éocènes supérieures de Biarritz et du Vicentin. Quelle précocité!
En se jouant, pour ainsi dire, il obtient le grade de licencié es sciences et, en 1908, il est nommé préparateur de géologie à la Sorbonne. De 1908 à 1911, il lui est attribué, durant trois années successives, les subventions du fonds Commercy. Attaché au Service de la Carte géologique de France il parcourt les Alpes, de la Méditerranée à la Savoie, puis il séjourne longuement dans les Alpes suisses et pousse très loin ses recherches dans les montagnes bavaroises et autrichiennes. Il s'arrête longtemps dans mon laboratoire en 1908, y revient en 1909 et nous faisons en commun bon nombre de journées sur le terrain « qui resteront, a-t-il écrit, parmi les meilleures que j'ai vécues ».
Préoccupé par l'énorme labeur que nécessite la rédaction de son grand mémoire sur le Nummulitique Alpin qui le rendra célèbre, il renonce, en 1911, à sa situation de préparateur. Cet abandon étonne plusieurs d'entre nous, mais esprit très réfléchi, Boussac avait son plan d'avenir déjà fait.
La chaire de géologie à l'Institut catholique de Paris était restée vacante depuis la mort, en 1908, d'Albert de Lapparent. Jean Boussac rompt définitivement avec les écoles officielles. Il pose sa candidature et a la satisfaction d'être agréé. Il pensait trouver tout le calme nécessaire dans la haute école de la rue de Vaugirard pour travailler sans relâche, sa vie durant, à élucider les problèmes de la terre.
La même année, en 1912, il épouse Mlle Jeanne Termier, cette femme d'élite, si digne d'être la compagne et le soutien constant du brillant géologue.
Avant d'ouvrir ses cours, le jeune professeur désire parfaire ses recherches sur le Nummulitique. Il séjourne dans ce but pendant plusieurs mois en Egypte. De suite, il met de l'ordre dans la série stratigraphique de ce pays, mais l'étude de ses matériaux devait rester inachevée.
C'est en 1913, le 20 janvier, qu'il soutient, en une journée triomphale, ses thèses de doctorat. Le voilà célèbre. Son œuvre restera unique. Chacun sait ce qu'elle est. La Société géologique de France puis l'Académie des Sciences couronnent les travaux du jeune savant.
Puis son enseignement commence. On revoit les beaux jours du temps d'Albert de Lapparent. Le jeune professeur attire à lui étudiants et amateurs. Il organise des excursions et celle qu'il dirige, en 1914, dans les Alpes françaises, a un tel succès que des géologues alpins de la Suisse y participent. Au laboratoire, il dirige lui-même les travaux pratiques. Il réorganise les collections qui n'avaient subi aucun changement depuis la mort de son prédécesseur. Sans doute, cette chaire de géologie de l'Institut catholique serait devenue une des plus célèbres de France, mais le Destin en avait décidé autrement.
La monstrueuse guerre éclate et vient interrompre le pacifique travail de la France. Elle se lève tout entière pour faire face aux violateurs des traités, aux incendiaires des maisons de Dieu, pour se défendre contre l'innomable attentat, pour défendre avec elle le Droit et la Liberté violés, pour défendre l'Humanité tout entière contre l'atroce fléau des hordes germaniques. Spectacle sublime ! Elle encore, la généreuse et immortelle France, allait sauver le monde, mais à quel prix ! Au prix des plus purs des siens, hélas! Gloire à eux !
Dans l'effroyable mêlée, le brillant savant, le professeur Jean Boussac, l'un des plus éminents d'entre nous, l'un des esprits les plus subtils et délicats, homme construit pour la paix, part, heureux de défendre le sol de la Patrie. Il n'est qu'un modeste sergent.
Le 8 septembre 1914, non loin de Verdun, deux éclats de fonte d'un schrapnel de gros calibre, qui éclate juste au-dessus de lui, lui font deux larges trous dans le bas du mollet. La cicatrisation est longue à venir. De son hôpital de Montpellier, il m écrit : « Avec quelle ardeur on se remettra à la géologie après la guerre. En attendant « faut bien durer », car cela promet d'être long. » Il guérit, passe quelques jours à Paris, reprenant son travail dans son laboratoire.
Il retourne au front. Le 13 juillet 1915, il participe à une affaire chaudement disputée, « à coup de gaz asphyxiant, m'écrivait-il, et avec un bombardement terrible de percutants, culbutants et autres charmants joujoux. Contre les gaz, j'étais prémuni par un bon masque et j'ai reçu un petit éclat d'obus dans le bras; c'était si peu de chose que je ne m'en suis pas même aperçu sur le moment. Ensuite leur infanterie s'est avancée, et nous contre eux. On se fusillait sous bois, à petite distance... avant d'être moi-même frappé par une balle qui a ricoché contre le fusil de mon voisin et est venue me labourer le côté à la hauteur des reins ». Il guérit en deux mois ; en décembre 1915, il est versé au 282e de ligne, et retourne au front, dans les environs de Berry-au-Bac.
Là, il fit la connaissance de M. l'abbé Robert Pinel. Je ne puis m'empêcher ici de transcrire en partie une lettre, écrite le 6 décembre 1915, que je lis dans la nécrologie que M. l'abbé H. Colin a consacré à Jean Boussac.
Voici ce qu'écrivait l'abbé Pinel à Mgr le Recteur de l'Institut catholique :
« M. Boussac eut vite fait de conquérir, au 282e, la sympathie de tous ses camarades soldats. Je crois que cela tenait surtout à sa parfaite modestie. C'était, chez lui, une vertu complexe, faite de charité surnaturelle, d'exquise politesse, de délicate serviabilité et de parfait oubli de soi. Tout cet ensemble, d'ailleurs, ne faisait que relever et rehausser, à son insu, sa forte personnalité et la rendre acceptable à tous. D'autre part, il n'est pas inutile de remarquer combien une telle modestie était méritoire chez un homme auquel la science, ses titres universitaires et sa haute situation pouvaient facilement inspirer une attitude toute différente.
« De tels dehors sont l'indice assuré de la grandeur de l'âme. L'âme de Jean Boussac était profondément religieuse, surnaturelle, intérieure. Il y avait en elle une soif constante et inassouvie de lumière, de vérité et de perfection, avec une attirance spéciale vers les formes antiques et traditionnelles de la piété catholique... »
Ce témoignage si touchant méritait d'être rappelé ici.
Du 282e régiment d'infanterie, Jean Boussac passe au 289e et le voici envoyé aux lignes avancées dans les environs de Verdun. Nous sommes en juin 1916. Il passe quelque temps dans les tranchées sans dommage pour sa compagnie et se repose en arrière pendant quelques semaines aux environs de Bar-le-Duc. Puis, au mois d'août, son détachement retourne au combat, dans les environs d'Esne, non loin de la fameuse cote 304.
Et nous sommes maintenant dans la terrible nuit du 11 au 12 août.
Le groupe dont il faisait partie revenait vers l'arrière au cantonnement de Montzéville. Un obus tombe ; sept hommes sont frappés, dont le sergent. Jean Boussac reçoit une dizaine d'éclats. Il est immédiatement conduit à l'ambulance de Ville-sur-Couzance. On a quelque espoir, mais une esquille d'acier qui a pénétré dans le poumon amène des complications et le 22 août, en présence de son beau-père, notre confrère Termier, vers minuit, les souffrances très douloureuses des derniers jours ont raison de notre ami. Il s'éteint et rentre dans l'éternité.
Il est mort décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palme.
Le lendemain, ce doux savant pacifique, au cœur tendre, s'en est allé reposer dans sa demeure provisoire, au milieu d'un appareil de guerre entouré de soldats en armes, au bruit du canon glorieux des défenseurs de Verdun.
O mystère de la destinée !
Là-bas, loin du front, où le héros est mort pour la défense des foyers ignominieusement attaqués, une jeune femme pleure. Un tout petit garçon, Christophe, voit, sans trop comprendre, la douleur de sa maman. Pauvre petit orphelin qui essaye de la consoler, pendant qu'une plus petite encore, Claire, dans un berceau, gazouille au printemps de la vie... cette petite que le père n'a jamais eu la joie de voir, et dont il demandait, sans cesse, qu'on lui parlât, alors que sur son lit de souffrance, lentement, la mort s'avançait...
Jeune famille bénie, faite pour descendre heureuse le fleuve de la vie, combien nous partageons votre douleur et celle des vôtres. Mais, courage ! En prenant votre chef, la France vous a demandé un bien grand sacrifice. Ce sacrifice, celui de milliers d'enfants de France ne sera point inutile. Il aura contribué au salut de la Patrie et au salut de l'Humanité.
Nous, nous conserverons le souvenir de ce brave ami, de cet homme si droit, sans peur ni reproche, de ce chrétien, de cette lumineuse intelligence qui était l'orgueil de notre science.
La science française a perdu en Jean Boussac un de ses porte-drapeaux. Puisse sa vie servir d'exemple bienfaisant et consolateur, et puisse la mort terrestre de ce soldat de la France et de l'Humanité nous rappeler à jamais ce que fussent devenus la Liberté et le Droit sans leurs défenseurs.