La série Responsabilité & Environnement publie trimestriellement des dossiers thématiques sur des sujets concernant les risques, le développement durable ainsi que l’énergie et les matières premières. Piloté par un spécialiste du secteur sous l’égide du Comité de rédaction de la série, chaque dossier présente une large gamme de points de vue complémentaires, en faisant appel à des auteurs issus à la fois de l’enseignement et de la recherche, de l’entreprise, de l’administration ainsi que du monde politique et associatif. Voir la gouvernance de la série
Par Anneliese DEPOUX Directrice du Centre Virchow-Villermé de Santé publique Paris-Berlin de l’Université de Paris, membre de l’initiative Lancet Countdown, membre du comité d’organisation du Global Consortium on Climate and Health Education de Columbia University Robert BAROUKI Directeur de recherche Inserm, Unité 1124 Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs (Inserm/Université de Paris). Coordinateur du programme européen HERA (Health Environnement Research Agenda for Europe)
Et Maud DEVÈS Maître de conférences en environnement, risques et catastrophes, Université de Paris ‒ Institut de physique du globe de Paris & Centre de recherche psychanalyse
La pandémie de Covid-19 a été l’occasion brutale de prendre conscience des conséquences sanitaires des perturbations environnementales et de leur dimension planétaire (la déforestation, l’élevage intensif, et même, selon certaines études, la pollution atmosphérique, qui favoriserait la propagation du virus). D’ici peu, la destruction des écosystèmes, le dérèglement climatique, la perte de biodiversité et la diminution de la qualité de l’air et de l’eau pourraient compter parmi les premières causes de morbidité dans le monde. Il est donc essentiel d’appréhender désormais les questions de santé publique au prisme des enjeux environnementaux. Dès 2009, un rapport publié par la revue médicale The Lancet lançait l’alerte en décrivant le changement climatique comme la plus grande menace du XXIe siècle en matière de santé publique. En 2016, l’initiative Lancet Countdown a été lancée pour mesurer les impacts sanitaires du changement climatique (Watts, 2017). Ce champ de recherche est aujourd’hui en pleine expansion. Il s’articule désormais autour du concept de Planetary Health qui s’est imposé comme un paradigme particulièrement fécond pour penser l’action publique à l’aune des liens entre santé et environnement. Élaboré pour mieux comprendre et aborder les manières dont l’homme, en modifiant son environnement, affecte la santé humaine, ce concept permet corrélativement d’envisager les bénéfices globaux de mesures favorables à la santé des individus (Horton et Lo, 2015 ; Halonen et al., 2020). Les défis sanitaires actuels obligent à traiter de questions qui, par structure, dépassent les habituels silos de la pensée académique comme de l’action publique. Ce numéro de Responsabilité & Environnement vise à illustrer combien ces sorties de cadre, parfois difficiles, sont nécessaires et fructueuses.
Introduction : Les ONIEA : un domaine sous-exploré et délicat à exploiter, mais prometteur
Par Dominique DRON et Ilarion PAVEL
Conseil général de l’Économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET)
Les ondes non ionisantes électromagnétiques et acoustiques (ONIEA) naturelles sont utilisées par les organismes vivants, végétaux et animaux, qu’ils en émettent ou les perçoivent et les interprètent. En outre, les fréquences des ondes produites par les activités humaines s’étendent sans cesse. La connaissance et les utilisations des ONIEA se développent rapidement, ainsi que la découverte d’effets insoupçonnés. Malgré une recherche publique reconnue, la France semble sous-estimer les potentialités médicales, industrielles et agroalimentaires de ces champs en pleine expansion.
Mathématicien, spécialiste d’économie et de finance
Je ne voudrais pas commencer cette présentation sans remercier les auteurs qui ont accepté de collaborer à ce numéro, en partageant avec un public non spécialiste leur expérience professionnelle et leurs travaux académiques. Je remercie tout particulièrement Stéphane Voisin, dont le livre récent dresse un tableau très complet des initiatives actuelles, et qui m’a aidé à concevoir un numéro à la hauteur des enjeux.
Les enjeux écologiques sont connus ‒ dérèglement climatique, perte de biodiversité, imprégnation chimique des sols et des océans ‒ et font actuellement l’objet d’un consensus scientifique, même si, comme le montre l’article de Laurent Clerc, le monde économique et financier a tardé à en mesurer l’importance. Je rappelle ici que ce ne sont pas les seuls dangers qui nous menacent. Outre les trois précédents, la communauté internationale en reconnaît quatre autres, sous le nom de « limites planétaires » : les cycles de l’azote et du phosphore, déjà gravement perturbés, l’eau douce, la préservation de la couche d’ozone stratosphérique et l’acidification des océans.
Laurent CLERC Directeur d’étude et d’analyse des risques à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
Quarante-trois ans séparent le premier Sommet de la Terre de l’Accord de Paris. Entre ces deux dates, la communauté scientifique n’a cessé d’alerter l’opinion sur les conséquences du dérèglement climatique et la nécessité d’agir au plus vite. Un débat persiste toutefois au sein de cette communauté avec les tenants d’une vision ancrée sur les temps géologiques. Depuis au moins deux millions d’années, le climat de la Terre alterne entre périodes glaciaires et interglaciaires, suivant une périodicité d’environ
100 000 ans. Le clivage principal porte sur la responsabilité de l’homme et son incidence sur la dynamique du climat.
En effet, on observe une tendance nette au réchauffement climatique depuis la Révolution industrielle. Selon Météo France, la température moyenne du globe a augmenté d’environ 0,6 °C et celle de la France métropolitaine de plus de 1° C depuis 1850. Cette tendance s’est accélérée au XXe siècle, avec une hausse de la température moyenne en France de 0,1° C, puis de 0,17° C par décennie depuis le milieu des années 1970. Si corrélation n’est pas causalité, l’activité humaine est susceptible de perturber les régularités géophysiques et d’alimenter une dynamique chaotique, dangereuse pour l’homme et son environnement. C’est cette dynamique, non linéaire et potentiellement irréversible à partir de certains seuils, qui donne au changement climatique sa dimension systémique.
Nous savons désormais que nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène, ère dans laquelle l’Homme est capable de transformer et d’altérer durablement la Terre, son atmosphère, ses océans, ses sols, sa biodiversité... Ce nouvel âge représente une menace pour nos sociétés complexes qui reposent, toutes, sur des écosystèmes riches et fonctionnels.
C’est aussi un défi sociétal, technologique et, bien sûr, épistémologique. Car la transition écologique nous invite à repenser également notre rapport à la science et à nous éloigner de la conception de la science comme outil de domination de la nature qui nous entoure, pour nous tourner vers une science plus éthique, au service des générations actuelles et futures, de l’humain comme du non-humain.
L’enseignement et la formation sont au coeur de cette éthique de responsabilité nouvelle vis-à-vis de la nature. Outils de réflexion, de transmission, ils sont également l’enceinte naturelle pour construire les consensus, oeuvrer à l’adaptation de tous les pans de nos existences à la nouvelle réalité environnementale de notre siècle. Oui, les sciences du vivant comme celles de l’humain peuvent apporter des réponses aux défis que nous devons relever ensemble. De la biologie aux mathématiques en passant par la médecine, l’économie, le droit, l’architecture ou encore l’histoire et la géographie, toutes ces disciplines doivent contribuer à relever cet immense défi qu’est la transition écologique.
Ce rôle qu’elles ont à jouer est aujourd’hui plus nécessaire que jamais auparavant. Sensibiliser, éduquer, communiquer, donner à voir et à comprendre, sont des enjeux majeurs de la bataille écologique à l’ère de la fausse science, de l’immédiateté des réseaux sociaux. Un enseignement organisé est vital pour former les citoyens de demain, pour lutter contre les discours qui nient l’urgence climatique ou en contestent l’origine humaine, pour encourager à l’action libre et éclairée plutôt qu’à l’insouciance aveugle.
Professeur de philosophie au Centre Sèvres (Faculté jésuite de Paris) et enseignante à l’École des Mines de Paris, à l’ESSEC et à Sciences Po
et
Rémi BEAU
Chargé de recherche au CNRS en philosophie à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris, Sorbonne Université
Le présent numéro des Annales des Mines est publié sur fond de grandes incertitudes planétaires, à la fois sanitaires, écologiques, sociales et économiques. La crise de la Covid-19 a des conséquences dramatiques pour des millions de personnes privées d’emploi ou basculant dans la misère, en plus des détresses suscitées par la maladie elle-même. Le Haut Conseil pour le climat a publié en septembre 2020 son rapport annuel sur l’évolution des engagements de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique : les baisses des émissions en 2018 et 2019 (- 0,9% par an) sont très insuffisantes au regard de la réduction de 3 % par an attendue dès 2025 afin de contribuer efficacement aux objectifs fixés par l’Union européenne suite à l’Accord de Paris. Les rédacteurs de ce rapport soulignent que la baisse des émissions liée aux mesures de confinement mises en oeuvre en 2020 est temporaire et ne traite pas les problèmes structurels, tels que le maintien du soutien accordé aux secteurs carbonés. Des rapports récents émanant des organes internationaux d’experts sur le climat et la biodiversité, le GIEC et l’IPBES, indiquent pourtant une dégradation très rapide des conditions favorables au maintien adéquat des milieux vivants et à une vie de qualité sur Terre pour les générations futures.
Ces crises écologiques, sociales et économiques ne sont pas indépendantes les unes des autres. Elles manifestent avec force la vulnérabilité constitutive de la vie humaine et du vivant, et soulèvent une interrogation radicale quant aux façons appropriées d’envisager les formes du travail et de la vie quotidienne du « monde de demain ». Nos manières de produire, d’échanger et de consommer, qui sont liées à un accroissement inédit des richesses et du confort dans l’histoire de l’humanité, sont mises en question par les catastrophes actuelles et à venir qu’elles entraînent.