Fils d'Anselme SCHWARTZ, chirurgien des hôpitaux de Paris, membre de l'Académie de chirurgie, et de Claire DEBRÉ, fille du professeur Robert DEBRÉ et de Jeanne DEBAT-PONSAN, et soeur du premier ministre Michel DEBRÉ.
Frère de Bertrand SCHWARTZ (né en 1919 ; X 1939 corps des mines) et de Daniel SCHWARTZ (1917-2009 ; X 1937 ; gendre de Raymond BERR).
Marié le 2/5/1938 à Marie-Hélène, fille de Paul LEVY.
Père de Marc-André (mort suicidé en 1971 après avoir été enlevé par l'OAS en 1962) et de Claudine, ép. de Raoul ROBERT, professeurs de mathématiques à l'Univ. de Grenoble.
Voir aussi :
Citation du site web de l'Institut de France :
Correspondant de l'Académie des sciences le 2 mai 1973, puis Membre le 24 février 1975, section Mathématique
Professeur émérite à l'université Denis Diderot et à l'Ecole polytechnique
Ancien élève de l'École Normale Supérieure, le mathématicien Laurent Schwartz, premier Français à avoir obtenu la prestigieuse médaille Fields, a apporté une contribution fondamentale dans plusieurs domaines mathématiques, notamment en établissant la célèbre théorie des distributions. Mais Laurent Schwartz ne s'est pas contenté d'être cet exceptionnel scientifique, il a également pris une part majeure dans la défense des droits de l'homme ainsi que dans la réforme des universités et des grandes écoles.
Laurent Schwartz a profondément influencé les mathématiques du XXème siècle par l'invention de la théorie des distributions (1944). En généralisant la notion classique de fonctions, il a formulé clairement et mis au point un concept nouveau permettant d'utiliser la dérivation et la transformation de Fourier dans des situations inaccessibles au calcul différentiel de Newton et Leibniz. La pureté, la simplicité et la généralité étonnantes de ses idées nouvelles leur ont assuré une fécondité incomparable. La théorie des distributions pour laquelle il a reçu la médaille Fields en 1950 des mains d'Harold Bohr est devenue un outil essentiel dans des domaines aussi variés que la théorie des équations aux dérivées partielles - où ses élèves J.L. Lions et B. Malgrange ainsi que L. Hörmander l'ont merveilleusement illustrée- en physique et en particulier dans la théorie des champs quantiques où elle joue un rôle essentiel, dans la théorie des représentations des groupes, et même en théorie des nombres où joue un rôle clef l'analogue de l'espace de Schwartz dû à F. Bruhat, un autre de ses élèves.
La découverte en mathématique d'un concept nouveau alliant à ce point simplicité, ubiquité et fécondité est un phénomène rare qui donne à l'uvre mathématique de Laurent Schwartz un éclat difficile à égaler.
Son uvre, son talent légendaire de conférencier et d'enseignant, son engagement incessant pour la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, font de Laurent Schwartz l'un des plus grands mathématiciens de son époque. Il restera un modèle pour nous tous.
La Jaune et la Rouge, décembre 2002
LAURENT SCHWARTZ est décédé le 4 juillet dernier à l'âge de 87 ans des suites d'une courte maladie. Sa vie durant, il a mené des batailles sur de nombreux fronts avec la même détermination et la même persévérance. Ces engagements légitiment complètement le titre Un mathématicien aux prises avec le siècle donné à son autobiographie.
Si Laurent Schwartz fut d'abord un scientifique, insistant toujours sur la nécessité d'une symbiose étroite entre enseignement et recherche, il fut aussi un militant résolu de la décolonisation et des droits de l'homme, un citoyen exigeant pour son pays et un des plus grands collectionneurs de papillons du monde. Cette liste étonnante ne donne pourtant pas une idée adéquate de l'homme qu'il fut car elle ne rend pas compte du charme qu'il dégageait et de l'assurance tolérante qu'il savait communiquer. Un entretien avec lui était toujours une occasion de voir comment on peut prendre de la distance par rapport à un problème, qu'il soit d'ordre général ou personnel.
Partout où il a enseigné, que ce soit à l'Université, à l'École normale supérieure, son alma mater, ou à l'École polytechnique, Laurent Schwartz a laissé le souvenir d'un grand professeur. Il était lumineux, sachant manier la redondance avec justesse. Pendant qu'on l'écoutait, tout semblait facile, et lui-même semblait improviser. Il n'en était pourtant absolument rien, et tous ses cours étaient minutieusement préparés à partir de " boîtes " parfaitement calibrées, et parfois la confrontation de l'étudiant avec le cours après la présentation orale montrait à quel point cette impression de facilité était passagère.
Plusieurs de ses enseignements ont marqué leur temps : son cours de " Méthodes mathématiques de la physique" est resté longtemps une des références de l'enseignement de mathématiques avancées pour des ingénieurs et des étudiants d'autres sciences ; les cours qu'il a donnés dans les années cinquante au " Tata Institute of Fundamental Research" à Bombay ont été un témoignage de son engagement pour la communauté des mathématiciens des pays en voie de développement ; son cours monumental à l'X enfin a été un des signes scientifiques concrets de l'entrée de l'École dans le monde moderne, un monde où sciences fondamentales et applications s'interpénétrent de façon inextricable et féconde.
Les polytechniciens issus d'une vingtaine de promotions ont été marqués par son enseignement et son contact. Au moment de son décès, des témoignages les plus divers ont été le signe de la forte permanence de ces souvenirs. Comme tous les élèves des promotions rouges jusqu'à la banalisation des enseignements, je n'ai personnellement pas eu le privilège de l'avoir pour professeur mais, en tant que responsables des questions d'enseignement pour la promotion 1966, Yves Bamberger et moi avons eu de nombreux contacts avec lui sur " La Réforme ", l'aggiomamento fondamental de l'enseignement de l'École polytechnique pour lequel il s'est battu dès son arrivée à l'École et qui était la raison profonde de sa candidature à un poste de professeur. Comme il le décrit fort bien dans sa contribution au livre du Bicentenaire de l'X, intitulée Ma bataille pour moderniser l'École polytechnique, il a mené, avec le soutien et la complicité de Louis Leprince-Ringuet, une campagne persévérante pour changer les bases d'organisation de l'enseignement et l'ambition des cours dispensés à l'X. Le général de Guillebon ne l'avait-il pas accueilli en 1958 en lui disant "Je voudrais que vous changiez tout dans cette maison, et je vous y aiderai " ? Leur programme était la mise en place de véritables départements d'enseignement, l'introduction de diversification des enseignements et la remise en cause du classement comme mode unique de recrutement dans les corps de l'État, à cause de ses répercussions négatives sur les méthodes de travail des élèves. Il a fallu les événements de Mai 1968, et la mise en place des conclusions de la Commission Lhermitte sous la houlette de Jean Ferrandon, pour qu'une étape décisive dans ces directions soit enfin franchie.
Au nom de l'absolue nécessité de lier l'enseignement à la recherche, il a organisé année après année un "séminaire des élèves", activité fréquentée librement par les X qui a joué un rôle prépondérant pour attirer des élèves dans la recherche scientifique.
Son impact dans l'enseignement de l'X a donc été bien au-delà des cours qu'il a professés, et nombreux sont les collègues enseignants qui l'ont côtoyé à cette époque qui lui rendent un hommage appuyé pour l'inspiration et le modèle qu'il a représenté pour eux.
"Je suis un mathématicien. " C'est par ces mots qu'il ouvre son autobiographie, mais quel mathématicien! L'oeuvre mathématique de Laurent Schwartz est considérable et le place parmi les grands du XXe siècle. Il n'a pas hésité à changer de domaines d'étude plusieurs fois dans sa carrière, passant de l'analyse aux probabilités pour la dernière partie de sa vie. Son rayonnement mathématique fut immense, au point que très souvent des mathématiciens rencontrés dans les pays du monde les plus divers m'ont demandé de lui transmettre leurs amitiés respectueuses.
Sa théorie des distributions est bien entendu ce qui l'a rendu célèbre et lui a notamment valu d'être le premier Français à recevoir la médaille Fields en 1950. Mais il ne faut pas oublier que plusieurs objets mathématiques portent son nom comme les espaces S de fonctions (les fonctions réelles d'une variable réelle indéfiniment différentiables tendant vers 0 à l'infini ainsi que toutes les dérivées).
Si l'on tente de trouver une " signature " à l'oeuvre mathématique de Laurent Schwartz en analyse, on ne peut manquer d'évoquer Bourbaki, le groupe multicéphale auquel il a appartenu jusqu'à la retraite obligatoire à 50 ans. En effet sa façon de mettre en oeuvre les résultats abstraits et généraux de l'analyse fonctionnelle, cette gigantesque opération de géométrisation des objets traditionnels de l'analyse, pour étudier les équations aux dérivées partielles est dans la plus pure tradition bourbakiste, à savoir travailler au niveau de généralité le plus grand pour que les propriétés fondamentales apparaissent et permettent une résolution simple du problème qu'on se pose.
La théorie des distributions est un superbe exemple de ce que peut permettre une telle démarche entre les mains d'un visionnaire comme Laurent Schwartz. Grâce au choix de la bonne topologie, toutes les opérations dont on rêve deviennent licites, et on dispose ainsi d'un contenant effectif pour chercher la solution de nombreux problèmes. Si l'on n'y prend garde, on peut croire qu'un enchanteur est passé par là.
À partir de la fin des années soixante, il s'est consacré à l'étude de la géométrie des espaces de Banach, ce qui s'est révélé une transition toute naturelle vers la théorie des probabilités à laquelle il a consacré ses derniers travaux autour de la théorie des martingales.
Mais prenons garde, cette description schématique cache beaucoup d'ouvertures vers d'autres sujets, de la théorie des courants (la version "formes différentielles " des distributions) en passant par la théorie des champs et la géométrie analytique. Laurent Schwartz était toujours curieux de ce qui se passait dans le monde des mathématiques, et il a repris avec une énergie renouvelée son défrichage de l'analyse globale dès qu'il a pris sa retraite comme enseignant.
Il a été un directeur de thèses prolifique et nombreux sont ses élèves qui ont atteint la notoriété internationale. Il faut dire que la lignée commençait bien avec Jacques-Louis Lions, Bernard Malgrange et François Trêves.
Dans son combat pour moderniser l'École polytechnique, la création en 1966 du Centre de mathématiques joue un rôle à part. Une fois de plus c'est le soutien du Général commandant l'Ecole, le général Mahieux, qui lui a permis de franchir une étape importante dans la présence de la recherche sur le site de l'École. Louis Michel, qui, de son côté, venait de créer le Centre de physique théorique, l'a aussi beaucoup aidé ce qui a fait naître entre eux une amitié très forte et des relations scientifiques intenses entre les deux centres qui ne se sont affadies que récemment.
Tout au long des presque dix-huit années de sa direction, il a veillé sur le Centre avec une grande attention, s'assurant que les collaborations nouées l'étaient au plus haut niveau, que les échanges entre les " chambres " des spécialistes (c'est ainsi qu'il désignait les bureaux) y étaient suffisamment intenses, et donnant toujours la priorité aux jeunes chercheurs dans l'attribution des crédits. Pour ne donner qu'un exemple de cette ouverture, c'est au Centre qu'Heisuke Hironaka, un professeur de Harvard qui allait recevoir la médaille Fields un peu plus tard, a pu créer en France une école de théorie des singularités vers la fin des années soixante.
Laurent Schwartz a su créer au Centre une ambiance très stimulante qui a indiscutablement joué un rôle déterminant dans le succès de ce laboratoire, dont le format était une sorte de " première " en France. Chacun se souvient aussi de l'attention et de la considération qu'il avait pour le personnel technique qui lui portait en retour une affection particulière.
Comme il le dit très explicitement, bien que son appartenance au mouvement trotskiste ait été de courte durée, il en est resté marqué. Son combat inlassable contre les guerres coloniales ou postcoloniales n'a pas manqué d'interférer avec sa vie professionnelle : ce n'est en effet que grâce à des interventions très pressantes d'Henri Cartan qu'il a pu se rendre à Boston en 1950 pour recevoir la médaille Fields ; on doit aussi mentionner bien sûr sa révocation de l'École polytechnique en 1960 après sa signature de "l'Appel des 121" proclamant le droit à l'insoumission pour les appelés du contingent envoyés en Algérie, et l'interdiction pour lui de se rendre aux États-Unis à la suite de son engagement contre l'intervention américaine au Vietnam et sa participation au Tribunal international présidé par Bertrand Russell.
La soutenance in absentia de la thèse de son élève Maurice Audin et la persistance de son combat jusqu'à nos jours pour que le mystère de sa disparition soit enfin éclairci sont des jalons dans son combat pour le refus de l'indifférence devant la torture.
Le Comité des Mathématiciens, qu'il a animé pendant de longues années avec Henri Cartan et Michel Broué, a à son actif plusieurs succès spectaculaires dans la défense des Droits de l'Homme comme les libérations de Leonid Plioutch des hôpitaux psychiatriques soviétiques et de José Luis Massera des geôles uruguayennes.
Laurent Schwartz n'a eu de cesse toute sa vie de prendre position sur tous les fronts où l'intellectuel engagé qu'il était ne pouvait accepter de se taire. Il faut relever le soin qu'il a mis dans les nombreuses pétitions qu'il a signées à respecter le principe éthique selon lequel la fin ne justifie jamais les moyens, ainsi que le rappelle Michel Demazure. Tout récemment encore, il prenait position de façon très déterminée pour défendre le droit du peuple palestinien à disposer effectivement d'un État. Pour lui, dont un des grands-pères avait été rabbin, c'était une obligation morale très forte à laquelle il ne pouvait se soustraire.
Il a inscrit son combat pour changer l'École polytechnique dans une perspective large englobant l'Université pour laquelle il a toujours milité pour la mise en place d'une certaine forme de sélection. Ceci n'a pas manqué de provoquer des polémiques quelquefois violentes avec ses compagnons de route de la gauche.
En 1981, il s'est jeté avec passion dans la préparation du "Rapport du bilan" qu'avait commandé François Mitterrand à une commission de sages. Il était plus spécialement chargé des questions d'enseignement et de recherche. Après avoir très largement consulté, il n'a pas hésité à " mettre les pieds dans le plat " sur les inégalités dans l'accès au savoir, et sur l'importance de leur réduction dans la vie démocratique de la société. Il a aussi été le premier président du Comité national d'évaluation, organe chargé de donner au système d'enseignement supérieur les moyens de progresser en étant confronté à un regard extérieur.
Laurent Schwartz a assumé ces diverses tâches d'intérêt national avec un engagement total et en refusant toute compromission. Il a fallu la pression personnelle et insistante de François Mitterrand pour qu'il accepte finalement d'être décoré de la Légion d'honneur, seule exception à son refus des honneurs officiels.
Sa collection de papillons, forte de quelque 15 000 boîtes, est une des plus extraordinaires du monde. Pas moins de 6 espèces portent son nom. Pour lui, cette ouverture sur la richesse de ce monde naturel a pendant longtemps associé le plaisir aventureux de la capture au travail minutieux que nécessite l'éclosion des cocons les plus divers dans sa salle de bains. Très régulièrement il offrait le bonheur d'une visite guidée de ses trésors à des visiteurs choisis. Ceux-ci ne savaient trop s'ils devaient plus admirer la beauté à couper le souffle de certains des spécimens ou la subtilité de la connaissance de la sociologie des papillons de leur hôte.
Suivant ses dernières volontés, cette collection va être confiée à des institutions en France et en Colombie, manifestant dans ce domaine aussi son souci de partager les ressources patiemment accumulées.
Si la vie de Laurent Schwartz offre un exemple de plénitude, les épreuves n'ont pourtant pas épargné sa famille. La chasse aux Juifs de la période de l'occupation nazie a forcé le couple qu'il avait déjà formé avec son épouse Marie-Hélène à vivre sous une fausse identité pendant plusieurs années. Quelque vingt ans plus tard, l'enlèvement de leur fils Marc-André par l'OAS leur a fait vivre des jours d'angoisse renforcés par les menaces de mort précédemment reçues ; son suicide, quelques années plus tard après plusieurs alertes traumatisantes, a été une blessure terrible que Laurent Schwartz évoque dans le long entretien radiophonique.
Laurent Schwartz a fortement marqué tous ceux qui ont eu le privilège de le côtoyer. Son assurance tranquille, souvent empreinte de naïveté, et l'écoute qu'il savait offrir généreusement étaient pour ses proches un exemple. On ne pouvait rester indifférent à sa personnalité.
Pour tout ce qu'il m'a appris au cours de nombreuses et longues conversations, j'ai personnellement une dette immense envers cet homme d'exception. Qu'il me soit permis de dédier ce bref témoignage de gratitude à son épouse, Marie-Hélène, et à sa fille, Claudine, pour tous les moments de bonheur partagés et pour l'inspiration.
Jean-Pierre Bourguignon (X 1966),
directeur de recherche au CNRS, professeur de mathématiques à l'École polytechnique, directeur de l'Institut des hautes études scientifiques
L'article de K. Chandrasekharan commente le livre : Laurent Schwartz, Un Mathématicien aux prises avec le siècle, Editions Odile Jacob, Février1997, 528 pages, 160 FF, ISBN 2-7381-0462-2. Nous donnons ci-après un résumé de cet article.
Le livre ouvre par une description de Autouillet (40 kilometres de Paris), propriété que son père a acquise en 1926 lorsque Laurent avait 11 ans et ses frères Bertrand et Daniel 9 et 7 ans respectivement. Autouillet laisse d'énormes et tendres souvenirs au jeune Laurent, vif intellectuellement mais physiquement fragile, avec notamment des chants d'oiseaux, des papillons, des arbres ou des poissons.
A l'école il avait d'excellentes notes en latin, grec et mathématiques. Sur le conseils de sa mère, il s'adonne aux mathématiques, entre à l'Ecole normale supérieure où il tombe amoureux de sa camarade de classe Marie-Hélène Lévy, respectivement fille et petite-nièce des grands mathématiciens Paul Lévy et Jacques Hadamard.
Dès cette époque, Schwartz s'insurge contre la politique de non-intervention du gouvernement français, dirigé par Léon Blum, qui laisse faire Hitler, Staline et Franco. Il reste indépendant d'un parti politique, mais croit aux idées de Trotsky, qu'il reniera après guerre.
Après avoir quitté l'ENS dans un excellent rang, Schwartz fait son service militaire comme officier (1937-1939) puis une année de guerre (1939-1940). Démobilisé en août 1940, il part à Toulouse où son père, médecin-colonel de réserve, travaillait comme chirurgien hospitalier militaire. Il obtient une bourse financée par Michelin qui lui permet de vivre jusqu'à la fin de la guerre, à l'Université de Clermont-Ferrand où les mathématiciens de l'Université de Strasbourg s'étaient installés. Il est alors en contact avec Cartan et André Weil (groupe BOURBAKI), et il termine sa thèse de mathématiques en janvier 1943 sur le Sommes réelles exponentielles. Son fils Marc-André naît en mars 1943.
Deux étudiants qui cotoient Schwartz à Clermont-Ferrand sont déportés : Feldbau à Auschwitz et Gorny à Drancy, où ils disparaissent. Bien que non-croyant et non-pratiquant, le couple Schwartz se sent menacé compte-tenu de ses origines juives et préfère changer de nom : Laurent-Marie Sélimartin et Marie-Hélène Lengé. Ils s'installent provisoirement à St. Pierre-de-Paladru, près de Grenoble. C'est l'époque où Schwartz a clairement l'idée que la fonction de Heaviside, renommée delta de Dirac, mérite un nouveau traitement mathématique. Il invente ainsi la théorie des distributions qui lui vaudra la médaille Fields en 1950.
Après un an à Grenoble, Schwartz part à l'Univ. de Nancy (automne 1945) à l'initiative de Delsarte et Dieudonné, où il attire des étudiants brillants comme B. Malgrange,J.-L. Lions, F. Bruhat, et A. Grothendieck. Il attire l'attention de Harald Bohr qui le présentera pour la médaille Fields. Ses 2 livres Théorie des distributions sont publiés en 1950-1951.
A cause de son passé trotzkiste, Schwartz a beaucoup de mal à obtenir des visas pour les Etats-Unis en 1950 et jusque vers 1962. Pendant toutes ces années-là, il multiplie les visites internationales en Inde, Brésil ou au Mexique, où il participe au développement des mathématiques. Il quitte Nancy pour la Sorbonne (Paris) en 1952 et est nommé professeur à Polytechnique en 1958.
Maurice Audin, un thésard de Schwartz, part pour son service militaire en Algérie mais y est soudain arrêté (11 juin 1957) et disparaît. Schwartz soupçonne qu'il ait été torturé à mort par l'armée française et crée un comité de soutien à Audin. Il va jusqu'a`organiser une soutenance publique de la thèse de Audin en l'absence de l'impétrant. Le ministre des armées le renvoie alors de l'Ecole polytechnique. Schwartz passe l'année 1961-1962 à l'Université de New-York. Il s'insurge contre la torture, quel que soit l'endroit où elle est pratiquée dans le monde.
En février 1962, son fils Marc-André est kidnappé par l'OAS, puis relâché. Très perturbé, le pauvre garçon, poète, écrivain et collectionneur de papillons, se suicidera plus tard (1971).
Schwartz retrouve en 1963 son poste à Polytechnique, aucun professeur n'ayant accepté le poste à sa place.
Par la suite, Schwartz continuera à se battre contre la guerre américaine au Vietnam, l'invasion des russes en Afghanistan et quelques autres guerres, et surtout la torture, les massacres, l'incarcération de Leonid Pliousch en clinique psychiatrique ou bien celle de Youri Chikanovitch.
[En 1962,] il y avait un problème grave pour l'enseignement [à Polytechnique]. Le professeur d'analyse, Laurent Schwartz, avait signé (en 1960) un manifeste (celui des « 121 » en raison du nombre des signataires) où des intellectuels engagés manifestaient violemment leur opposition à la politique du gouvernement en Algérie. Messmer, peut-être poussé par d'autres, avait estimé que signer ce texte était incompatible avec un poste d'enseignant dans une école de l'Etat, qui plus est dans une école militaire. Il avait donc relevé Laurent Schwartz de son poste. Celui-ci avait fait un recours au Conseil d'Etat, recours qui n'avait pas encore été jugé quand j'ai pris mon commandement. Mais quand on avait suscité des candidatures pour remplacer Laurent Schwartz, il y avait eu grève des candidatures par esprit de corps. Cette situation risquait d'être dommageable pour les élèves, privés d'un professeur prestigieux. Un X ingénieur des Ponts et Chaussées, Gilles Legrand, avait accepté de faire un cours aux élèves pour qu'ils aient dans cette matière le minimum indispensable de connaissances. Je lui en savais gré et lui en suis toujours reconnaissant car son attitude a été vivement critiquée par un certain nombre de ses « collègues ». A la demande de Gilles Legrand lui-même, nous souhaitions, Cheradame et moi, trouver une solution. Je m'en suis ouvert à Louis Armand et nous avons décidé de faire tâter Laurent Schwartz par son frère Bertrand qui, au contraire de Laurent, était un gaulliste convaincu et qui, à l'époque, dirigeait l'Ecole des mines de Nancy. La solution que nous envisagions était la suivante : Laurent Schwartz se portait candidat à sa propre succession et Messmer ne s'opposait pas à sa nouvelle nomination. Je suis allé en parler à Messmer qui m'a donné son accord, car il estimait que si Laurent Schwartz faisait acte de candidature, il abandonnait de ce fait son recours et justifiait la décision que Messmer avait prise contre lui. Avec cette réponse je suis allé retrouver Louis Armand qui, par Bertrand Schwartz, a obtenu l'accord de son frère. J'ai donc vu arriver une candidature de Laurent Schwartz qui a montré un certain humour en rédigeant cette candidature ; car à la rubrique « Relations antérieures avec l'Ecole polytechnique, il s'était borné à écrire qu'il lui paraissait inutile de s'étendre sur ce point.
Tout s'est donc terminé au mieux. J'ai reçu la visite de Laurent Schwartz qui m'a dit s'être toujours bien entendu avec les généraux commandant l'Ecole qu'il avait connus ; j'ai répondu que je souhaitais qu'avec moi il en soit de même ; et cela a été le cas. Laurent Schwartz était un personnage très séduisant ; de grande taille, élancé, il avait beaucoup d'allure, mais ce dont je me souviens le mieux, c'est son regard. Ses yeux étaient d'un bleu très clair et son regard respirait, si je puis dire, l'innocence, voire l'ingénuité. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de le recevoir. Je me souviens qu'un jour il a demandé à me voir parce que certains élèves lui demandaient de pousser son cours et qu'il estimait devoir faire ce cours « pour le cocon lambda », selon sa propre expression. Pour concilier ces deux objectifs, il ne voyait qu'une solution : organiser pour les volontaires une sorte de séminaire, il a employé l'expression de « laboratoire » qui m'a paru surprenante pour ces hautes mathématiques. C'est ce qui s'est réalisé, mais il nous a fallu nous ingénier Chéradame, Haffner et moi, pour dégager les quelques mètres carrés nécessaires pour cela.
Mis sur le web par R. Mahl