Louis Marie Edmond LEPRINCE-RINGUET (1901-2000)

Louis LEPRINCE-RINGUET, né en 1901 à Alès, est le fils de Félix LEPRINCE-RINGUET, qui fut directeur de l'Ecole des mines de Paris, et de Mme née Renée STOURM, fille de René STOURM (1837-1917), inspecteur des finances, cofondateur de l'École libre des sciences politiques, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques.

Après 7 mois de mariage, Louis perd sa première épouse (Denise PAUL-DUBOIS, qu'il avait épousé le 13/4/1926, est morte le 20/11/1926) et se remarie en 1929 avec Jeanne MOTTE. 7 enfants.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1920 N), il devient l'un des plus éminents "atomistes" du monde, professeur à Polytechnique (1936-1969) et au Collège de France (1959-1972), membre de Académie des sciences (1949, siège de Marcel BRILLOUIN) et de l'Académie française (1966), et joue fort bien au tennis notamment avec son ami Jean BOROTRA (1898-1994, X 1920 S). Passionné de sport, il est membre de l'Académie des sports (à partir de 1976) ; passionné de musique, il préside les Jeunesses musicales de France (1972) ; passionné de peinture, il expose ses toiles régulièrement.

Après un début de carrière en 1925 au service des câbles sous-marins aux PTT, il rejoint en 1929 l'équipe du duc Maurice de Broglie au laboratoire de physique des rayons X. Il travaille beaucoup aux observations sur le rayonnement cosmique. Il crée un laboratoire à Chamonix. Il est nommé professeur à Polytechnique en 1936, en remplacement de Charles FABRY (1867-1945 ; X 1885). En 1969, lorsque Polytechnique refuse de le garder comme professeur, il obtient de conserver la direction de son laboratoire ; en outre, il dirige un important laboratoire au Collège de France.

Il préside l'Union Catholique des Scientifiques français à partir de 1947.

Grand Officier de la Légion d'honneur.


Les 3 enfants de Félix LEPRINCE-RINGUET en 1924 : de gauche à droite, Renée-Marie, Jean, Louis.
(C) Archives familiales ; reproduction interdite.


Sur l'enseignement de la physique nucléaire à l'Ecole Polytechnique
Causerie de Louis Leprince-Ringuet au dîner du Groupe X-Nucléaire du 26 octobre 1959

Publié dans La Jaune et la Rouge, no 35, février 1960.
Cet article est reproduit sur ce site en raison du nombre important d'ingénieurs des mines cités.
Mis sur le web par R. Mahl.

Au cours du dîner inaugural du groupe X-Nucléaire, du 26 octobre 1959, M. Leprince-Ringuet, professeur de physique à l'Ecole Polytechnique, a relaté d'une manière très vivante quelques-uns de ses souvenirs sur l'enseignement de la physique nucléaire à l'Ecole.

M. Leprince-Ringuet a rappelé tout d'abord la série de circonstances qui l'ont amené à faire de la physique nucléaire auprès du Duc de Broglie quand la chambre de Wilson commençait à peine à avoir une forme à peu près moderne. Puis il a mentionné comment, quelques années plus tard, par suite d'un décret du Comité de la " hache ", les professeurs, membres de l'Académie des sciences de plus de 70 ans ont été mis à la retraite et comment il a été amené à remplacer brusquement M. Fabry.

Il reprit le cours de M. Fabry en y développant photons, relativité restreinte, quanta, etc... et rédigea son cours pendant l'été de 1937 à la campagne. C'est ainsi qu'en 1937, le cours de seconde année commença à comporter un peu de physique nucléaire. Beaucoup de gens n'ont cru à la physique nucléaire qu'après Hiroshima et cependant il faut bien voir, comme le dit le conférencier, qu'il est nécessaire d'enseigner la science, non seulement celle d'il y a cinq ou dix ans, mais aussi celle d'aujourd'hui et si possible celle de demain ! Cette opinion pénétra tous ceux qui entouraient M. Leprince-Ringuet en 1938, et chaque année depuis 1945, l'ancien cours fut partiellement remanié. Le conférencier cite parmi ses collaborateurs, Jacques Winter, Charles Peyrou et Pierre Lapostolle ; mais une réfection complète, une rédaction nouvelle s'imposaient. Un nouveau cours est alors rédigé et c'est l'oeuvre des toutes dernières années. Ce cours a eu la sanction de l'expérience, à l'amphi comme dans les petites classes où enseignent les Maîtres de conférences, MM. Grégory, Astier, Lagarrigue, Muller qui ont été les collaborateurs de M. Leprince-Ringuet dans ce travail et un référendum parmi les élèves a recueilli une approbation chaleureuse.

Ce nouveau cours est plus spécialement un cours de physique expérimentale moderne comportant moins de leçons magistrales et davantage de petites classes afin d'éveiller l'intérêt des élèves pour le laboratoire. Depuis cette année, annonce le conférencier, l'école possède un troisième professeur de physique dans la personne du camarade Grégory (1938) et il insiste sur ce qu'il y a de très heureux dans cette nomination excellente et aussi dans le travail fait en équipe par des collaborateurs travaillant tous ensemble, se voyant tous les jours et - ce qui n'est pas sans intérêt - utilisant les mêmes notations dans l'étude des diverses parties du cours !

Mais la question des laboratoires est primordiale ; l'Ecole n'en avait pas suffisamment en 1937 et M. Leprince-Ringuet relate l'effort entrepris. Très peu de monde au départ, avec Nageotte et Jean Crussard. Puis trois élèves de la promotion 1936 viennent consacrer leur activité à des travaux de physique : Charles Peyrou, Richard-Foy et Lhéritier, ingénieur des Fabrications d'armement. Richard-Foy s'occupe aujourd'hui d'Auxiatom et Charles Peyrou qui a été nommé professeur à l'Université de Berne, est maintenant un des éléments français les plus essentiels du C.E.R.N. (Centre européen de recherche nucléaire) et c'est lui qui a les responsabilités de la grande Chambre à bulle à hydrogène du C.E.R.N.

Cette première équipe est celle d'avant 1939. Vient la guerre. Pendant que l'X n'est plus à Paris, mais à Villeurbanne, M. Leprince-Ringuet va s'installer à l'Argentière, grâce à la compréhension et à l'aide extrêmement efficace de la Société Péchiney et de M. Raoul de Vitry. Puis, retour à Paris. Vers 1950, Peyrou avait beaucoup travaillé dans le domaine des chambres de Wilson avec champ magnétique et Grégory qui avait été aux Etats-Unis est revenu avec une bonne connaissance des chambres de Wilson à plaques multiples. De l'union de ces deux techniques devait naître notre installation du Pic du Midi de Bigorre, qui apporta des résultats importants.

En quittant le petit laboratoire de l'Argentière et celui de Chamonix dans lequel avaient été installés des appareils avec l'aide de Chanson et ultérieurement de Treille, M. Leprince-Ringuet dirige donc ses recherches au Pic de Midi de Bigorre ; c'est là, avec un équipement qui est sans doute le meilleur et le plus puissant de son espèce, que pendant cinq ans, jour et nuit, de 1953 a 1958, les physiciens d'un groupe essentiellement polytechnicien, composé de Peyrou, Grégory, Lagarrigue, Muller, ont travaillé sans relâche. D'autres chercheurs sont venus qui n'étaient pas tous polytechniciens et c'est avec ce groupe qu'ont été faites des observations intéressantes sur les mésons, sur les hypérons et notamment la découverte du méson lourd Kp2. Parmi les travaux qui ont été exécutés par la suite, le conférencier cite des observations sur les mésons lourds négatifs, sur les hypérons que l'on appelle les hypérons " cascades ", sur les bilans énergétiques des désintégrations des mésons lourds et des hypérons neutres, etc.

Le groupe des chambres de Wilson du Pic et celui des émulsions nucléaires dirigé à l'X par Jean Crussard ont puissamment contribué à donner au laboratoire de l'X une réputation internationale.

Quittant, comme à regret, les régions cosmiques, M. Leprince-Ringuet décrit ensuite le caractère astreignant du travail qu'il faut faire maintenant auprès des machines, un peu comme des esclaves, travail dur, pénible où tout dépend des caprices d'un synchrotron extrêmement complexe mais d'une merveilleuse efficacité lorsqu'il fonctionne parfaitement.

C'est à Saclay que les travaux sur les particules fondamentales vont se poursuivre. Le conférencier remercie ici M. Pierre Couture (1928), administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique, au nom de tous ceux qui utilisent l'installation " Saturne " qui est une magnifique réussite et qui se place parmi les quatre premières machines du monde pour l'accélération des particules.

Un des groupes de l'Ecole polytechnique dirigé par Lagarrigue va y amener prochainement une très grande chambre à bulle dont on termine la construction. Ce sera la première chambre à bulle de grandes dimensions qui fonctionnera avec le nouvel accélérateur et quelques mois plus lard, avec l'accélérateur géant du Centre européen des Recherches nucléaires à Genève.

Le conférencier fait remarquer que dans la vie d'un chercheur la possibilité d'un tel essai représente une aubaine et qu'il convient de se féliciter de cette grande possibilité.

Du côté de l'enseignement, M. Leprince-Ringuet remercie ceux qui ont permis le développement des laboratoires et l'extension du goût de la recherche, en particulier les généraux commandant l'Ecole qui ont fait un effort extrêmement efficace, notamment après la libération : il cite le général Brisac et remercie vivement le général de Guillebon pour ce qu'il vient de faire concernant l'enseignement de la physique aux élèves.

Il y a aussi un enseignement de physique nucléaire en dehors de l'Ecole, auquel participent de nombreux polytechniciens. Le conférencier cite d'abord Louis Michel (1943), qui se trouve parmi les assistants ; après des séjours à l'étranger extrêmement fructueux, Louis Michel a participé à des études importantes de physique théorique ; il a étudié personnellement beaucoup de problèmes fondamentaux en physique nucléaire. Il est maintenant professeur à la Sorbonne. Bernard d'Espagnat (1942) a démissionné en sortant de l'X et est entré au C.N.R.S. Il vient de passer plusieurs années au C.E.R.N. à Genève, où il a fait des travaux théoriques importants sur les mésons lourds et les hypérons. Il vient d'être nommé également à la Sorbonne et commencera son enseignement incessamment.

M. Leprince-Ringuet cite également le groupe de Saclay, avec Claude Bloch, Messiah, Trocheris, Bussac, etc... ; ce sont d'excellents physiciens ayant la cote internationale. Messiah vient de sortir deux ouvrages sur la mécanique quantique et le conférencier remarque avec humour que ces deux livres sont cartonnés jaune et rouge, pour montrer leur origine !

Il y a aussi autour de l'X, dans le domaine de la recherche de base de la physique nucléaire d'autres polytechniciens, par exemple, Suzor et Solomon qui, au lieu de prendre le corps des Mines, a préféré démissionner pour faire de la physique.

Faisant le tour de tous les visages de l'assistance, le conférencier exprime sa reconnaissance pour tous ceux qui se sont lancés dans le domaine nucléaire avec une ardeur remarquable assumant souvent des charges très lourdes. Il cite d'abord Taranger, Robert, Piatier, aux responsabilités exceptionnellement lourdes ; il cite également Salesse, Vendryès, Pascal, Grison, Fréjacques qui sont au Commissariat à l'énergie atomique. En passant il souhaite que les groupes de polytechniciens soient bien mêlés dans le Commissariat aux autres chercheurs venus de diverses provenances, cette coopération lui paraissant très utile.

M. Leprince-Ringuet tient aussi à remercier ceux, parmi les directeurs des Corps, qui s'intéressent aux recherches et ont milité en faveur de la recherche en permettant à certains de leurs ingénieurs de passer une thèse en poursuivant des travaux pendant quatre ou cinq ans au laboratoire de l'X.

Enfin, il exprime sa très vive sympathie pour tous ceux qui, n'étant plus très jeunes, se sont lancés néanmoins dans la science nouvelle avec beaucoup d'ardeur et d'efficacité tout en assumant de lourdes charges industrielles. Il cite les dirigeants de l'Energie atomique, Pierre Couture et avant lui, P. Guillaumat, ainsi qu'Ailleret, à l'E.D.F. Il pense aussi à Gibrat, à Baumgartner et à beaucoup d'autres sans oublier le biologiste, celui qu'il appelle le " médecin " de la famille, Bugnard, qui s'occupe de l'action biologique des radiations et qui est un des camarades de promotion du conférencier.

Pour conclure, M. Leprince-Ringuet pense à tous ceux qui sont passés à l'X et dont beaucoup ont compris que l'enseignement de la science n'est pas définitivement terminé avec le cours qu'on leur enseigne, qu'une bonne science moderne bien développée, appuyée sur de bonnes techniques, a un immense intérêt pour l'avenir du pays et pour ses possibilités d'indépendance économique et politique.

" Si j'ai pu participer à éveiller dans l'esprit d'un certain nombre d'entre vous, dit M. Leprince-Ringuet, ces sentiments, c'est pour moi, déjà vieux professeur depuis vingt-deux ans, un des plus anciens professeurs de l'Ecole, la meilleure des récompenses. "

Quelques peintures de Louis Leprince-Ringuet : Site arplastix.polytechnique.org.


Louis Leprince-Ringuet avec son noeud papillon au centre d'une caricature des professeurs ayant enseigné à la promotion 1949 de Polytechnique. Il a l'air de discuter avec le directeur des études, l'ingénieur général Lamothe, qui est à sa gauche.