Eugène ROY (1884-1949)

Diplômé de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne (entré en 1904 à l'Ecole, sorti en 1907). Ingénieur civil des mines.


D'après Henri Malcor : Un héritier des maîtres de forge, par Philippe Mioche et Jacques Roux, Editions du CNRS, 1988, Paris

Il entre à Pont-à-Mousson en 1907 et en est le directeur général en 1929. En 1931, il devient directeur général des Aciéries de Longwy à la demande de Paul Labbé. Il est, en 1931, président de la Commission patronale de la grosse métallurgie de Meurthe-et-Moselle. En 1936, il fait la première étude sur la fixation des prix de l'acier. Certains y ont vu le "début du dirigisme" (Extraits de la plaquette nécrologique de Eugène Roy, archives de l'IRSID). L'usine de Longwy est évacuée dès le 10 mai 1939 (elle est devant la ligne Maginot). Eugène Roy devient vice-président du Comité d'organisation. "Il a joué les diverses organisations allemandes les unes contre les autres. Il s'affilie au CNR (Conseil National de la Résistance) avant Stalingrad. Il s'efforce d'empêcher les bombardements alliés inutiles" (idem, plaquette nécrologique). Il est président de la Commission de modernisation de la sidérurgie du Plan Monnet et salué dans les mémoires de Jean Monnet comme un symbole du patronat résistant. Il est administrateur de Charbonnages de France et d'EDF, représentant des employeurs au Bureau International du Travail, membre de l'ACADI (association des cadres et dirigeants de l'industrie, créée en 1946 par Maurice Lacoin, dont le secrétaire général était Maurice de Longuevialle et qui compta notamment comme présidents René Perrin, Marcel Macaux et Noël Daum neveu de Léon) et de la Commission du Plan du CNPF.

Eugène Roy a joué un grand rôle dans le premier Plan.

Il préside longuement la Société amicale des Anciens Eleves de l'Ecole des mines de Saint-Etienne.


Revue des Ingénieurs, février 1955 :

Extraits de l'allocution prononcée par M. Louis de Mijolla

Personnellement j'estime n'avoir pas rencontré au cours de ma carrière une aussi grande figure de technicien et de chef que celle d'Eugène ROY, mise à part celle d'Henri FAYOL.

Technicien, Eugène ROY l'a été à un haut degré. Ce ne fût ni un homme de laboratoire, ni à proprement parler un savant créateur de théories nouvelles comme notre ami CHEVENARD dont nous venons de fêter avec tant de joie la Cravate de Commandeur, mais il eût très particulièrement le don de transposer de manière efficace dans l'industrie les progrès permis par l'évolution scientifique ou technique.

Dès son entrée à la Société de Pont-à-Mousson, à la veille de la guerre de 1914, il s'y fit remarquer par ses études sur l'influence de la régularité des charges dans les hauts fourneaux et, ce qui était moins connu, celle de la régularité hygrométrique du vent soufflé.

En 1915, ce fût lui qui fit introduire pour les creusements de tranchées et sapes le matériel pneumatique utilisé dans les mines.

Mais ce fût peut-être dans le domaine de la production de l'énergie qu'il donna pleinement sa mesure. En 1917, fatigué par un travail intense, fourni d'abord au front, puis à l'usine de St-Etienne-du-Rouvray, il dût prendre quelque repos à Néris, et entreprit les études sur la production d'énergie hydroélectrique dans le Massif Central, qui furent à l'origine du magnifique effort fait par la Cie de Pont-à-Mousson dans cette région, et tout particulièrement du barrage de la Diège.

Après 1918, ce fut sous sa tenace initiative que pût être réalisée dans l'Est la Société Electrique de la Sidérurgie Lorraine qui relie entre elles presque toutes les usines et les mines du bassin lorrain, permettant la meilleure production et la meilleure utilisation des gaz de fours à coke et de hauts fourneaux.

Il fut encore la base, à la veille de sa mort, de la magnifique réalisation d'Herserange qui permet la meilleure utilisation des gaz de hauts fourneaux de quatre grandes usines de la rétion de Longwy.

Lorsque la direction de la Société de Longwy lui lut confiée, il tint à assumer personnellement la direction technique de sa société, et le redressement de l'usine de Thionville.

Ses qualités de Chef, furent encore plus grandes et plus rares.

Je viens de faire allusion à l'œuvre magnifique réalisée par la coordination de l'utilisation des gaz dans les grandes usines de l'Est. L'action d'Eugène ROY s'exerça, en effet, non seulement à l'intérieur de la société de Pont-à-Mousson, puis à la tête de la puissante société des Aciéries de Longwy, mais sur le plan professionnel parfois national.

Ce fut grâce à lui que pour une large part il fut possible, lors de l'occupation de la Ruhr, d'opérer le déstockage du coke, puis l'exploitation des cokeries abandonnées par les Allemands, œuvre d'audace, de courage, mais aussi d'humaine compréhension, dans laquelle il fut aidé par certains de nos Camarades, et plus spécialement par notre ami GUILLERMIN.

Sous l'occupation, il fut Vice-Président du Comité d'Organisation de la Sidérurgie, après la guerre l'animateur de la Commission d'organisation du Plan, en même temps qu'il représentait l'industrie aux Charbonnages de France, à E.D.F. ; il joua un rôle considérable dans les milieux d'ingénieurs, et aussi dans la création de l'Association de Cadres dirigeants de l'Industrie pour le Progrès Economique et Social.

Ce rôle joué par ROY en dehors des affaires industrielles qui lui étaient confiées souligne ce qui fut sans doute sa plus haute qualité, celle d'un Français profondément patriote, et particulièrement soucieux de rassembler toutes les énergies françaises et de rétablir dans la mesure la plus large possible l'union de tous les Français.

Admirateur inquiet de de GAULLE, apparenté et ami du Général GIRAUD, il avait un haut souci d'efficacité et une volonté passionnée de rétablir l'union de tous les Français.

Sans avoir peut-être le panache d'Aimé LEPERCQ, ce fut avec un désintéressement exceptionnel qu'il fut un serviteur très actif de la Résistance et une aide efficace pour plusieurs de ceux qui furent pris injustement dans les remous de la Libération.

C'est beaucoup dans ce sens qu'à une époque où nous aurions un besoin si urgent d'établir une cohésion nationale, j'ai pensé qu'il était bon de ramener la pensée de ceux qui l'ont connu et aimé sur la grande mémoire de celui qui cumula sous l'occupation, avec la tâche difficile de Délégué Général du Comité d'Organisation de la Sidérurgie, celle de responsable patronal pour la Sidérurgie de l'« Union des Cadres Industriels de la France Combattante », action à laquelle il associa plusieurs de nos camarades et notamment Marcel LACROIX, a St-Etienne.

Il s'est su condamné à une mort prochaine et peut-être imprévue dès 1945, et il maintint cependant durant plus de trois ans son activité avec une rare sérénité. Il était astreint à un régime sévère et à de multiples précautions de santé mais jamais, cependant, on ne vit s'altérer son affabilité et son affectueuse compréhension pour tous ceux qui avaient recours à lui. Seul un retour à une pratique religieuse beaucoup plus active fut le résultat de la connaissance de son état cardiaque.

Lors de ses obsèques, le 3 septembre 1949, à une époque où je m'étais installé à Tarbes pour décentraliser un service de l'Etat et maintenir dans une région défavorisée une activité industrielle (fabrications de matériel de forage), je fis le voyage aller et retour de Tarbes pour assister à la cérémonie à Ste-Clotilde, et je fus très ému de constater la variété des amis qui se pressaient autour de son cercueil et la qualité de leurs sentiments.

Parmi eux se trouvait un homme que beaucoup d'entre nous ont l'habitude de considérer comme un adversaire, mais auquel j'ai cependant demandé de m'apporter aujourd'hui son témoignage. Je vous donne lecture de la lettre qu'a bien voulu m'adresser Pierre Le BRUN, leader économique de la C.G.T. :

« Je n'ait fait la connaissance d'Eugène ROY qu'en 1943. Je venais alors d'être chargé par le Conseil National de la Résistance, avec Paul BERGERON (de l'O.C.M.) et Roger SCHWOB (M.L.N.), de rechercher, dans les différents mouvements de Résistance et autour d'eux, industrie par industrie et région par région, les chefs d'entreprise résistants en vue de coordonner leurs actions au service de la Résistance Nationale. C'est M. Jean RATY, chez qui m'avait conduit mon ami Jacques BOUNIN, qui établit notre premier contact avec Eugène ROY.

« Il s'imposa très vite à nous, par sa compétence, par sa détermination et par son courage, comme dirigeant de la résistance patronale dans la sidérurgie et dans la grande industrie métallurgique et mécanique. Je ne puis retracer ici dans le détail ce que furent dès lors nos relations ; je les résumerai fidèlement en disant qu'il sut toujours répondre intégralement et dans le minimum de délai aux nombreuses demandes que je lui présentai au nom de la Résistance Nationale, qu'il s'agisse d'aide financiaire, de mesures et actions contre la déportation, de renseignements industriels ou militaires, de préparation d'opérations militaires, de fabrication et de fourniture de matériel, et aussi de préparation des mesures à prendre lors de la Libération.

« C'est durant cette période que nous apprîmes à nous connaître. Nous découvrîmes, dans de libres entretiens, tout ce qui nous séparait sur le plan des conceptions philosophiques, économiques et politiques. Nous n'en appréciâmes que davantage tout ce qui nous rapprochait contre l'ennemi commun et nos relations s'établirent, je crois pouvoir le dire, sur le plan de l'estime, de la confiance et de l'amitié.

« J'eus encore l'occasion et la faveur de collaborer avec Eugène ROY après la Libération : d'une part à l'élaboration du 1er plan de modernisation et d'équipement, d'autre part au Conseil d'Administration d'Electricité de France, où il représentait les usagers industriels et moi-même la fédération C.G.T. de l'Eclairage et des Forces motrices. Dans ce Conseil nous n'étions pas toujours d'accord sur les problèmes posés, mais nous trouvions généralement le chemin de l'accord sur le plan du loyalisme à l'égard de ce qu'avait clairement voulu et librement décidé la Nation en la matière ; Eugène ROY y avait d'autant plus de mérite que sa position de principe était hostile aux nationalisations.

« Pour me résumer et conclure, je ne saurais mieux faire, que de reprendre les termes de votre lettre et de souligner après vous le « profond patriotisme » d'Eugène ROY, « sa volonté de rassembler les Français de toutes opinions, son souci de fierté nationale ».

« Les grands morts ont ce privilège que l'on est tenté d'invoquer leur témoignage, leur autorité dans les débats du présent, en préjugeant, parfois abusivement, des positions qu'ils auraient prises. Quelles que soient à cet égard mes convictions, je veux résister à cette tentation et simplement dire ici mon profond regret qu'Eugène ROY ne soit plus des nôtres alors que notre Patrie, la France, est de nouveau engagée dans des débats dont dépendent son existence et son avenir et qui requièrent, comme il y a dix ans, l'accord et l'action unie des Français dignes de ce nom.

« Combien dès lors je donne raison aux anciens élèves de l'Ecole des Mines de St-Etienne de vouloir entretenir et exalter le souvenir et l'exemple de ce grand ingénieur et de ce grand Français ! ».

A ce témoignage émouvant je n'ajouterai qu'un mot : en ce qui me concerne, lorsque j'ai une décision particulièrement délicate à prendre, j'ai l'habitude, en dehors de la consultation de ceux qui m'entourent, de penser à ce qu'auraient été les réflexes de deux ou trois de mes amis disparus, et parmi ceux-ci figure Eugène ROY. Je ne pense pas être le seul à lui rendre ce témoignage, et il me semble d'un grand prix.