Notice Historique de l'Ecole des Mines de Paris, Louis Aguillon

CHAPITRE III.

L'ÉCOLE DES MINES A L'HOTEL DE MOUCHY.
(1794 - 1802).

Le Comité de Salut public, dans son désir d'utiliser toutes les ressources dont la France pouvait disposer pour sa défense, n'avait pas perdu les mines de vue. A la commission des armes et poudres ressortissant spécialement tout ce qui touchait à leur exploitation. Par sa situation au milieu des puissants du jour, Hassenfratz jouissait d'un grand crédit auprès du Comité. qui l'écoutait volontiers, notamment au sujet des mines. Il avait employé les anciens inspecteurs et fait envoyer notamment Monnet en mission sur des mines de houille. Ce serait, suivant Monnet, d'après les conseils d'Hassenfratz que le Comité de Salut public aurait créé l'Agence des mines qui allait réorganiser le corps des mines et l'École.

Par un arrêté du 1er juillet 1794 (13 messidor an II), le Comité de Salut public créait, sous l'autorité de la commission des armes et poudres d'abord, puis sous son autorité directe en vertu de la loi du 24 août 1794 (7 fructidor an II), une agence des mines qui devait être composée de trois membres nommés par le Comité de Salut public.

L'agence des mines avait sous sa direction immédiate le corps des mines composé d'inspecteurs, d'ingénieurs et d'élèves dans les conditions fixées par un arrêté subséquent du 6 juillet 1794 (18 messidor an II); l'agence pouvait correspondre directement avec tous les concessionnaires et exploitants de mines, ce qui lui assurait en quelque sorte une administration directe du service. Un arrêté du 24 messidor an II (12 juillet 1794) mit à la disposition de l'agence des mines, afin d'y établir ses bureaux et dépendances, l'hôtel de Périgord, ou pour employer le langage du temps la maison Périgord, située rue de l'Université et contiguë à l'hôtel de Mouchy, en même temps qu'un arrêté du même jour lui remettait cet hôtel pour y établir l'École des mines et la conférence des ingénieurs. L'agence fut constituée immédiatement avec Gillet de Laumont, Lefebvre d'Hellancourt et Daubancourt qui, un mois après, était remplacé par Adet, remplacé lui-même, le 22 septembre 1794, par Lelièvre.

Lelièvre, Gillet de Laumont et Lefebvre d'Hellancourt allaient pendant de longues années jouer un rôle prépondérant dans l'administration des mines. Nous dirons leur rôle spécial dans la création et le fonctionnement de l'École. Comme membres de l'agence des mines, puis comme membres du conseil des mines, qui remplaça l'agence, sous le Directoire, à partir de la loi du 22 octobre 1795 (30 vendémiaire an IV), ils ont tous trois administré en réalité directement le département des mines jusqu'à ce que le gouvernement ait repris quelque autorité sous le Consulat; leur influence est ensuite restée prépondérante auprès de l'administration supérieure jusqu'à la réorganisation du service qui suivit la loi du 21 avril 1810 et le décret du 18 novembre 1810. Si à partir de cette réorganisation, ils n'ont plus eu une part aussi directe dans l'administration, ils ont conservé jusqu'au début du gouvernement de Juillet une influence prépondérante dans le conseil général des mines, et surtout dans le conseil de l'École rétabli à Paris à partir de 1816, conseil qui, pendant toute cette période, administrait directement l'École. Lefebvre d'Hellancourt, mort en 1813, a été remplacé par Guillot-Duhamel fils, qui, autant par lui-même que par les traditions qu'il tenait de son père, mérite d'être réuni à Lelièvre et Gillet de Laumont. Tous trois restèrent à la tête des deux conseils jusqu'en 1832; Lelièvre, qui les présidait depuis leur création, et Gillet de Laumont se retirèrent à cette date, après y avoir siégé pendant 38 ans, et tous deux s'éteignirent, presque nonagénaires, dans la même année 1835. Tous ceux qui ont été à même de connaître ces trois ancêtres, de recueillir des témoignages directs et autorisés sur leur administration, ont été unanimes à proclamer le souci profond de la justice et l'intégrité scrupuleuse avec lesquels, sans se laisser détourner par aucune influence étrangère, ils s'acquittèrent de leurs délicates fonctions au milieu des intrigues et des malversations du Directoire. Hommes de bien, modestes, sans ambition aucune, tous trois ont rendu les plus grands services ; ils ont été tous trois, dès l'aurore de l'organisation de notre administration, les dignes modèles de tous les sentiments qui ont fait depuis l'honneur et la force du corps des mines.
Monnet [ms. : Essai historique sur les mines] pense que le choix du Comité de Salut public s'était fait sur les indications de Hassenfratz qui, en plaçant dans l'agence deux de ses anciens élèves, Lelièvre et Lefebvre, espérait la dominer. En quoi, fait observer Monnet, il s'est bien trompé. Mais aussi quelle différence entre la modestie et la droiture des uns, l'agitation bruyante et la bassesse de l'autre !

Monnet, devant qui personne ne semble avoir trouvé grâce dans ses manuscrits, n'a pas un mot dur ou amer contre les trois membres de l'agence, encore qu'il leur fût subordonné.

L'agence créée et constituée, un arrêté du Comité de Salut public du 6 juillet 1794 (18 messidor an II), en conformité de celui pris cinq jours auparavant, organisa le corps des mines et posa les bases de l'institution d'une nouvelle École des mines. Il devait y avoir, sous l'autorité de l'agence des mines, huit inspecteurs, douze ingénieurs subordonnés aux inspecteurs, et quarante élèves attachés aux inspecteurs et ingénieurs pour leur servir d'aides. La liste des premiers inspecteurs et ingénieurs devait être dressée par l'agence et approuvée par le Comité de Salut public ; ils devaient être choisis parmi les anciens inspecteurs ou ingénieurs, ou parmi les directeurs des travaux de mines ou autres personnes ayant les connaissances nécessaires pour en remplir les fonctions (art. 2)
Cette première liste était ainsi constituée à la date du 6 octobre 1794 :
Inspecteurs : Guillot-Duhamel père, Monnet, Hassenfratz, Faujas de Saint-Fond, Schreiber, Vauquelin, Baillet du Belloy (1 place restée vacante que paraît avoir occupée Picot de la Peyrouse).
Ingénieurs : Guillot-Duhamel fils, Lenoir, Miché, Laverrière, Odalin, Giroud, Blavier, Anfry, Muthuon, Mathieu (de Valenciennes), Mathieu (de Moulins), Brongniart (Alexandre).

Les élèves devaient être nommés à la suite d'un examen public où l'on devait faire preuve de connaissances relatives à la métallurgie, à la docimasie et à l'exploitation des mines (art. 2).

En réalité, l'Ecole que prévoyait l'arrêté n'était pas instituée à proprement parler pour les élèves déjà entrés dans le corps ; ceux-ci étaient appelés à s'y former sous la conduite et la direction des ingénieurs et inspecteurs; l'École paraissait destinée plutôt aux personnes qui voulaient se familiariser avec les connaissances de l'art des mines et de la métallurgie et notamment aux jeunes gens qui désiraient concourir pour les places d'élèves des mines. En effet, d'après l'art. 17. les inspecteurs, qui devaient passer à Paris quatre mois d'hiver à partir du 30 vendémiaire, devaient, du 16 brumaire jusqu'au 14 pluviôse, faire dans la maison destinée à l'agence et à la conférence des mines, c'est-à-dire aux réunions bidécadaires des inspecteurs et ingénieurs ( Monnet (ms. : Essai historique sur les mines) dit que la conférence se réunissait les mercredi et dimanche et qu'on était mis à l'amende quand on manquait aux séances ), des cours publics et gratuits sur :

  1. la minéralogie et la géographie physique ; Sous ce nom apparaît pour la première fois la science, encore à l'état plus que rudimentaire, qui allait bientôt devenir la géologie et dont la moindre trace ne paraît pas avoir existé dans l'école de Sage.
    Le mot de géologie avait bien été employé antérieurement en France, mais avec un sens différent de celui qu'il devait avoir plus tard. Dans le mémoire des officiers du Jardin des Plantes annexé à la séance du 20 août 1790 (Arch. parlement., t. XVIII, p. 185) de l'Assemblée constituante, on relève parmi les douze chaires dont on proposait la création, une chaire « pour un cours de géologie et pour l'instruction de naturalistes voyageurs ayant pour objet : la théorie générale du globe et plus particulièrement celle des montagnes, les notions topographiques nécessaires aux voyageurs pour reconnaître et recueillir les productions naturelles des divers pays du monde, les instructions relatives aux gîtes de minerais, le dénombrement des richesses minérales propres aux quatre-vingt-trois départements de la France, et enfin l'art de préparer et de conserver toutes les productions de la nature ».
  2. l'extraction des mines;
  3. la docimasie ou l'essai des mines;
  4. la métallurgie ou le travail des mines en grand.

Il devait y avoir deux leçons par décade de chacun de ces cours. Ces cours étaient si peu faits pour les élèves entrés dans le corps, qu'il était spécifié (art. 18) que, pendant les quatre mois d'hiver passés à Paris par les inspecteurs et ingénieurs, les élèves devaient être envoyés sur une exploitation de mines pour y prendre des leçons de pratique. Les cours paraissaient donc destinés plutôt à ceux qui voulaient passer l'examen nécessaire pour être nommés élèves. L'agence, on le verra, comprit et appliqua l'arrêté sur un plan bien différent, à la fois plus ample et plus rationnel.

Pour établir l'École et la conférence des ingénieurs, l'arrêté du 24 messidor an II (12 juillet 1794) qui avait remis à l'agence l'hôtel Périgord pour son service propre, lui remit l'hôtel contigu de Mouchy, 293, rue de l'Université, affecté plus tard au dépôt de la guerre.
Au milieu de 1814 seulement, comme nous le dirons par la suite, l'administration des mines abandonna l'hôtel de Mouchy. Il formait le no 71 de la rue de l'Université avant le percement du boulevard Saint-Germain qui l'a fait disparaître. Sur la partie de son emplacement restée à l'administration de la guerre a été partiellement élevé le bâtiment du ministère en façade sur le boulevard.

L'agence devait y installer une bibliothèque, un laboratoire d'essais, des collections de modèles, un cabinet de minéralogie « contenant toutes les productions du globe et toutes les productions de la République rangées suivant l'ordre des localités » (art. 19).
Il faut voir là l'origine des collections statistiques départementales qui figurent encore à l'Ecole des mines avec un si grand développement.

Pour aider à former les collections de la nouvelle institution, on mit à sa disposition la collection de minéralogie de Guettard, par arrêté du Comité de Salut public du 26 fructidor an II (12 septembre 1794); les modèles et la bibliothèque de Dietrich, par arrêté du 28 fructidor an II (14 septembre 1794). Un arrêté de la commission temporaire des arts du 28 brumaire an III (18 novembre 1794) avait également attribué à l'agence des mines une partie de la bibliothèque de Lavoisier sur la physique, la chimie, la minéralogie et la métallurgie; mais on sait que Mme Lavoisier put se faire restituer peu après tous les biens de son mari (V. Lavoisier, par Ed. Grimaux, p. 312 et suiv.). La collection de minéralogie de Joubert fut, en outre, acquise après décès, par autorisation du Comité de Salut public du 9 frimaire an III (29 novembre 1794). Les collections de l'agence des mines avaient également reçu une part de divers cabinets saisis par le Comité de Salut public ou la commission temporaire des arts.

Les vieux catalogues de l'École portent la trace de ces acquisitions. On y voit notamment une suite de 500 échantillons indiqués comme provenant du cabinet du séminaire de Saint-Sulpice. Nous n'avons pu savoir si la collection de Guettard n'avait pas été restituée comme celle de Lavoisier. Celle de Dietrich, en tout cas, paraît avoir été retenue d'après les anciens catalogues conservés à l'Ecole.

Toutefois les collections vraiment scientifiques ne paraissent pas avoir été jamais bien riches à l'hôtel de Mouchy. Le nombre des échantillons a fini par être relativement considérable, quelque 100.000 échantillons ou objets en 1814; mais ces collections consistaient presque exclusivement en suites assez peu méthodiques de roches, de produits de mines et d'usines, réunis par les inspecteurs dans leurs tournées ou envoyés parles exploitants et usiniers.

Le premier concours pour le choix des élèves eut lieu, suivant un arrêté du Comité de Salut public du 16 fructidor an II (2 septembre 1794), du 20 au 30 fructidor (6-26 septembre).

Les connaissances exigées étaient :

  1. les éléments de géométrie jusque et y compris les sections coniques;
  2. les éléments de statique ;
  3. l'art des projections, le levé et le dessin des plans ;
  4. des notions de physique générale et de chimie.
L'arrêté rappelait cette règle, appliquée également aux examens de l'École polytechnique, que l'examinateur devait s'attacher moins à reconnaître les connaissances actuelles du candidat qu'à s'assurer de son intelligence. On voit, en tout cas, combien ce programme de culture scientifique générale différait du programme d'enseignement spécial sur lequel, d'après l'arrêté du 18 messidor précédent, auraient dû être interrogés les aspirants aux places d'élèves. L'École, suivant un plan différent de celui de cet arrêté, mais plus rationnel, allait, en effet, fonctionner pour eux.

A ce premier concours de septembre 1794 deux élèves seulement furent admis : Brochant de Villiers et Trémery. Mais, ainsi du reste que l'arrêté de convocation l'avait déjà indiqué, des examens successifs eurent lieu chaque mois jusqu'à la fin de l'hiver, de façon à compléter le nombre réglementaire d'élèves.
Le classique Répertoire de l'Ecole polytechnique, dû à Marielle, donne, p. 283, la liste de ces quarante ou, d'après ce répertoire, de ces trente-neuf élèves.

Les trois dignes membres de l'agence crurent, en effet, devoir ouvrir largement les portes de la maison qu'ils administraient de façon à en faire un lieu de refuge et d'abri pour beaucoup à qui la vie matérielle devenait singulièrement difficile au milieu de la tourmente. Ils eurent ainsi l'honneur, en les faisant admettre dans le corps des mines, d'abriter des savants tels que Vauquelin, Dolomieu, Faujas de Saint-Fond, Picot de La Peyrouse. En donnant à l'École une organisation plus complète que celle primitivement prévue, ils purent faire une place à Haüy, Tonnelier, Mocquart, Coquebert de Montbret, Silvestre, Beurard, Clouet. Ceux qui, plus jeunes, voulaient s'instruire, trouvaient à titre d'élèves, dans l'hospitalière maison de la rue de l'Université, comme les savants qui devaient les former, non seulement une protection que leur assurait le crédit des membres de l'agence auprès du tout puissant Comité de Salut public, mais encore des facilités d'existence matérielle qui n'étaient pas à dédaigner dans de pareils temps. Un arrêté du Directoire exécutif du 15 mai 1796 (26 floréal an IV) assurait aux inspecteurs, ingénieurs et élèves des rations de vivres, de bois, un habit complet, une paire de bottes et une paire de souliers.

Ainsi s'explique, tout à l'honneur des membres de l'agence, le développement du personnel groupé autour d'eux ( De Bonnard (Annales des mines, 4e série, t. VII, p. 513) rapporte que ce fut à dessein que les membres de l'agence fixèrent au chiffre exorbitant de quarante le nombre des élèves afin de pouvoir abriter plus de monde). Ils se montraient pour lui, et surtout pour les jeunes gens, pour les élèves, pleins d'une sollicitude vraiment paternelle. Lelièvre et Gillet de Laumont rivalisaient particulièrement de soins et d'attentions pour eux.

Il semble que, par un sentiment bien digne d'âmes aussi élevées, leur protection se faisait d'autant plus effective que ceux sur qui elle s'étendait en avaient un plus grand besoin. Ainsi furent logés dans la maison même de l'agence Haüy, Tonnelier et Clouet, qui étaient tous trois dans les ordres : Haüy, comme conservateur des collections ; Tonnelier, comme garde du cabinet de minéralogie ; Clouet, comme bibliothécaire. Les membres de l'agence n'auraient-ils contribué qu'à éviter à Haüy le triste sort dont Monge, Fourcroy et Hassenfratz ne surent pas préserver Lavoisier, cela suffirait pour qu'on honorât leur mémoire. Il n'est pas jusqu'au nom officiel donné par eux à leur institution : Maison d'instruction de l'agence des mines, qui ne reflète la modestie et le grand coeur de ses fondateurs. Monnet (ms : Essai historique sur les mines) porte à quatre cent cinquante le nombre total des personnes qui dépendaient de l'agence et qui, l'hiver, se trouvaient donc réunies dans la maison d'instruction. Il faut croire à quelque forte exagération.

L'ouverture des cours fut annoncée pour le 1er frimaire an III (21 novembre 1794); l'agence faisait connaître qu'il serait fait deux fois par décade pour chaque cours des leçons publiques et gratuites : de docimasie, par Vauquelin ; de minéralogie et de géographie physique, par Hassenfratz, les leçons de cristallographie de ce cours devant être faites par Haüy ; d'extraction des mines, par Guillot-Duhamel père, et, en son absence par Laverrière; de métallurgie, par Schreiber, et, en son absence, par Giroud, Miché et Muthuon.

Les cours devaient avoir lieu à 11 heures du matin : la docimasie, les primidi et sextidi; la minéralogie, les décadi et septidi; l'exploitation, les tridi et octodi; la métallurgie, les quartidi et nonodi.

Indépendamment des quatre cours relatifs à l'enseignement spécial, officiellement prévus dans l'arrêté d'organisation, l'agence annonça qu'il serait fait des leçons et conférences sur d'autres matières d'enseignement général. Haüy devait professer publiquement et gratuitement la perspective et la physique générale; Tonnelier, garde du cabinet de minéralogie, les éléments de mathématiques; Hassenfratz, la coupe des pierres et des bois, ayant pour adjoint Brochant de Villiers ; Clouet, bibliothécaire-adjoint, devait enseigner les principes de l'allemand.

Les leçons de perspective et physique générale devaient avoir lieu les quintidi et décadi, à 11 heures ; celles de mathématiques, les duodi, quintidi et octodi, à 9 heures du matin; celles de coupe des pierres et des bois, le décadi, à 9 heures.

Il ne paraît pas que ce programme ait été entièrement rempli. D'après une note du Journal des mines, les seuls cours professés en l'an III auraient eu pour objet les mathématiques et la mécanique, la minéralogie, la docimasie, la physique, le dessin et l'allemand; ils auraient été faits par Hauy, Tonnelier, Vauquelin et Clouet, etc.

En même temps que s'organisait, par les soins de l'agence des mines, cet enseignement spécial sur les mines, que se fondait, en fait, l'Ecole des mines, la Convention s occupait de créer et d'organiser l'École polytechnique. Ces deux institutions étaient appelées à se donner l'une à l'autre un tel appui, leurs destinées se sont tellement pénétrées respectivement dès leur origine, de façon à exercer une telle influence sur leur avenir, qu'il est indispensable de rappeler ici les modifications successives de l'enseignement de l'École polytechnique à ses débuts. Le décret de la Convention du 11 mars 1794 (21 ventôse an II), qui avait créé la commission des travaux publics, l'avait chargée (art. 4) d'étudier l'établissement d'une école centrale des travaux publics, école destinée à acquérir une telle célébrité sous le nom d'École polytechnique à elle donnée par la loi du 1er septembre 1795 (15 fructidor an III). Le 30 novembre 1794 (10 frimaire an III) entra, dans les bâtiments du palais Bourbon à ce destinés, la première promotion de 400 élèves (nous laissons de côté l'École préparatoire dans laquelle Monge instruisit auparavant ceux destinés à devenir les brigadiers-moniteurs de leurs camarades ; parmi ces brigadiers se trouvait Brochant de Villiers) ; presque simultanément avait lieu l'entrée de la première promotion à l'École des mines située tout à côté (C'est ce voisinage qui permettait plus facilement aux élevés de l'École des mines de se glisser fréquemment dans l'amphithéâtre pour suivre les cours de l'École polytechnique, dont les élèves, on le sait, n'étaient pas casernes et ne portaient pas d'uniforme à l'origine. L'uniforme fut imposé en l'an VI, en partie pour éviter ces abus). Dans sa première organisation de 1794, sous l'influence de Monge, l'École polytechnique, avec des cours d'une durée de trois ans, devait être à la fois une école de haute théorie et une école d'application pour toutes les constructions civiles et militaires, y compris la conduite des mines, qui devait y faire l'objet d'un cours spécial. On voulait, en quelque sorte, avoir en une seule école les Écoles polytechnique et centrale, telles que nous les connaissons aujourd'hui. Dans cette organisation, les écoles spéciales de théorie appliquée, comme celles des ponts et chaussées et des mines, n'auraient plus eu leur raison d'être.

Mais, un an après, en donnant à la nouvelle institution le nom d'École polytechique, la loi du 1er septembre 1795 (15 fructidor an III) revenait déjà partiellement sur cette organisation; l'École polytechnique ne devait plus se substituer aux écoles spéciales; elle devait au contraire leur servir plutôt de substratum commun, en donnant à leurs futurs élèves le haut enseignement théorique qui pouvait effectivement être commun à toutes les professions civiles et militaires.

Toutefois, sous l'influence de Monge qui l'emportait sur celle de Laplace, l'enseignement ne devait pas être exclusivement théorique ; il ne devait pas consister uniquement dans la culture des hautes théories mathématiques, physiques et chimiques; une large part devait être faite à l'application de la théorie et aux sciences appliquées dans leurs diverses branches des ponts et chaussées, des mines et des fortifications. Cet enseignement, dans sa partie pratique, ne devait sans doute pas être une véritable préparation immédiate à une profession déterminée, préparation réservée à des écoles spéciales plus pratiques que théoriques; il devait principalement porter sur les généralités de l'application qui sont en quelque sorte communes à toutes les professions, sans toutefois reculer devant l'étude d'applications déjà un peu spécialisées. Le système exclusivement théorique de Laplace devait aller l'emportant toujours davantage sur le système mixte de Monge. En 1806, on supprimait les cours spéciaux sur les ponts et chaussées, les mines et les fortifications ; mais il restait des cours généraux sur les éléments des constructions et des machines, et sur l'art militaire. En 1811, on supprimait le cours de constructions publiques. Le système de Laplace finit par prévaloir à la réorganisation faite par la Restauration suivant l'ordonnance du 14 septembre 1816; tous les cours de travaux civils furent supprimés, sauf celui d'architecture.

La loi du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795) vint confirmer cette organisation en réglant les relations de l'École polytechnique avec les diverses écoles spéciales, et notamment l'École des mines qui se trouve nommée officiellement ici pour la première fois dans la période intermédiaire. Le titre VI, en onze articles, de cette loi était consacré spécialement à l'École des mines ; en même temps, il décidait (art. 1er) que l'agence des mines devenait le conseil des mines, placé auprès du ministre de l'intérieur pour donner son avis sur toutes les questions relatives aux mines. Ce titre VI de la loi du 30 vendémiaire an IV devait, comme nous le verrons, produire entre le conseil des mines et le ministère, pendant plusieurs années, des divergences d'interprétation et de vues dont les conséquences devaient finir par être fort importantes, puisqu'elles contribuèrent à entraîner la disparition de l'École des mines de Paris et son transfert à Pesey-Moutiers.

L'article 2 du titre VI de la loi du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795) stipulait, en effet, qu'il serait établi une École pratique pour l'exploitation et le traitement des substances minérales près d'une mine appartenant à la République et déjà en activité ou dont on pût commencer et suivre l'exploitation avec avantage ; et il semble bien que le texte de la loi doit s'entendre en ce sens que cette école serait la seule École des mines qui pût exister; elle devait recevoir « pendant un an, et plus s'il le faut », les élèves du gouvernement ayant passé par l'École polytechnique, déjà classés dans le corps, venant y prendre l'instruction pratique ou l'habitude du métier. Les auteurs de la loi semblaient admettre que l'enseignement de l'École polytechnique, entendu suivant la conception de Monge, devait suffire pour tout ce qui pouvait se rattacher directement ou indirectement à la théorie et aux généralités des constructions; qu'il suffiraitr d'apprendre la pratique du métier, c'est-à-dire les connaissances relatives, d'une part aux travaux d'exploitation, et d'autre part à la docimasie ou métallurgie, les deux seules matières, en effet, pour lesquelles l'article 8 prévoyait la nomination de professeurs à l'École pratique. Toutefois des élèves, dits externes, pouvaient être admis à suivre l'instruction de l'École, à leurs frais, pendant un an. A l'article 9 du titre VI de la loi du 30 vendémiaire an IV se trouvent, pour la première fois, l'idée et le nom d'une classe d'élèves de l'Ecole des mines qui s'est perpétuée jusqu'à ce jour, sous cette appellation, avec une importance sans cesse croissante. Les élèves du gouvernement étaient entretenus, c'est-à-dire appointés, bien que non logés ni nourris.

Cette conception, l'expérience l'a du reste amplement démontré, n'était pas exacte, et l'on s'explique bien la résistance motivée du conseil des mines qui, mieux que personne, pouvait sentir qu'entre l'École polytechnique, avec son enseignement de théorie pure plus que de théorie appliquée, et l'École pratique avec ce seul enseignement de la pratique directe du métier, il fallait une école théorique des mines, une école de théorie appliquée. Le système de la loi du 30 vendémiaire an IV n'aurait pu être admissible qu'avec l'organisation première de l'École centrale des travaux publics telle que Monge la concevait à l'origine. Dès qu'on eut dévié de ce type, en admettant qu'il eût été pratiquement réalisable même à la fin du siècle dernier, dès que, sans faire prévaloir encore le système exclusivement théorique de Laplace, on eut appliqué le système mixte de Monge, qui ne laissait plus de place ou ne laissait qu'une place insuffisante à des sciences telles que les sciences naturelles, la minéralogie et la géologie, ou aux sciences appliquées, l'ensemble fixé par la loi de vendémiaire an IV devenait réellement insuffisant. On conçoit donc que le conseil des mines, en même temps qu'il s'occupa immédiatement et très activement de l'organisation des écoles pratiques, n'eut pas un instant l'idée que l'École théorique de Paris devait disparaître ; on comprend qu'il se soit efforcé au contraire d'y rendre l'enseignement plus complet, plus étendu et mieux approprié.

Mais auparavant il eut à prendre une mesure qui dut singulièrement peser sur le coeur des trois dignes conseillers. En effet, l'article 3 du titre VI de la loi du 30 vendémiaire an IV avait stipulé la réduction à vingt du nombre des élèves actuels des mines, par voie de concours entre eux. Le résultat de ce concours fut officiellement proclamé le 18 nivôse an IV (8 janvier 1796). Brochantde Villiers était classé le premier. Par mesure transitoire les élèves éliminés purent, pendant les deux années suivantes, concourir avec ceux sortant de l'École polytechnique pour l'obtention des places d'élèves vacantes. En se reportant au Répertoire de l'École polytechnique de Marielle, p. 253, on peut retrouver ceux des ingénieurs des mines de l'origine provenant de l'École des mines de l'hôtel de Mouchy qui n'ont pas passé par l'École polytechnique, tels que : Beaunier, Brochant de Villiers, Collet-Descotils, Cordier et Lefroy que nous aurons occasion de retrouver au cours de cette notice ; ou comme Brochin, de Champeaux, de Cressac, Héricart de Thury, de Rozières, Trémery, qui ont servi dans le corps, quelques-uns avec éclat, sans avoir été jamais mêlés directement à l'École ; les autres ont immédiatement abandonné le service.

D'autre part, le conseil appliqua immédiatement aux élèves de l'École de Paris les diverses mesures sur les examens, les voyages et l'avancement, prévues par le titre VI de la loi de vendémiaire an IV. Un premier concours eut lieu au début de 1797 pour deux places d'ingénieurs surnuméraires. L'une fut attribuée à Brochant de Villiers et l'autre à un camarade, assez âgé déjà, ayant appartenu à l'École des mines de Sage, moins bien préparé que ceux de la nouvelle École et dont les élèves, à l'instigation de Brochant de Villiers, avaient demandé la nomination sans examen. En dehors des concours de fin d'année, les élèves passaient d'assez fréquents examens. Les voyages entre les cours étaient souvent entravés par le manque de fonds. Ceux que ces considérations n'arrêtaient pas, accompagnaient généralement les professeurs ou les inspecteurs dans leurs tournées.

L'enseignement continua à être donné essentiellement par des cours publics et gratuits conformément au système de l'arrêté d'organisation primitive du 18 messidor an II. Les cours de l'an IV (1795-1796) eurent pour objet la géométrie et la mécanique, la minéralogie, la métallurgie, la docimasie, l'exploitation des mines; les professeurs furent Tonnelier, Haüy, Miché, Vauquelin et Guillot-Duhamel fils. En l'an V (1796-1797) eurent lieu les cours suivants : minéralogie par Haüy et Alex. Brongniart; extraction des mines par Baillet du Belloy et Guillot-Duhamel fils; docimasie, par Vauquelin; métallurgie, par Miché; physique, par Haüy ; allemand, par Clouet; géographie physique et gîtes de minerais, par Charles Coquebert de Montbret. En l'an VI (1797-1798), on eut la minéralogie par Haüy et Tonnelier; la métallurgie par Hassenfratz ; l'exploitation des mines par Baillet ; la chimie et la docimasie par Vauquelin ; la géologie par Dolomieu; en outre, Cloquet donna des leçons de dessin.

A partir de cette époque, l'enseignement paraît s'être assis dans la maison d'instruction du conseil des mines, et l'organisation semble assez régulière pour qu'on puisse dire, qu'en fait, l'Ecole des mines de Paris était fondée et fonctionnait bien. Ce ne sont plus, en effet, comme au début et ainsi que semblait l'indiquer le décret de messidor an II, des leçons faites par des ingénieurs divers se remplaçant les uns les autres, comme s'il ne s'agissait que de conférences ; il y a un vrai professorat, avec des professeurs qui occupent une chaire effectivement et avec continuité ; l'enseignement n'a plus le caractère passager plus spécialement inhérent à la conférence; il devient didactique, et, pour chacun des quatre grands cours visés directement dès l'origine, l'enseignement dure deux ans.

A côté des professeurs titulaires, certains ingénieurs, ou même certains élèves, étaient désignés comme professeurs-adjoints, tels que Miché pour la métallurgie, Cordier et Picot de La Peyrouse pour la minéralogie. Ils pouvaient suppléer le professeur, donner des conférences ou répétitions, et surtout participer aux examens à faire subir aux élèves pour leur classement.

L'importance déjà prise par l'Ecole fit donner à l'ouverture des cours de l'an VII (1798-1799) une solennité particulière. Après une allocution prononcée au nom du conseil des mines, chacun des professeurs exposa son programme dans un discours inaugural, le tout reproduit dans le Journal des mines (t. IX). La docimasie, la métallurgie ou plus exactement la minéralurgie, et l'exploitation des mines étaient enseignées par les professeurs titulaires que nous avons déjà rencontrés : Vauquelin, Hassenfratz et Baillet du Belloy. Alex. Brongniart, qui avait déjà professé en l'an V, fit exceptionnellement le cours de minéralogie, mais en s'excusant, dans sa leçon inaugurale, de remplacer Hauy absorbé par la préparation de son Traité de minéralogie, et Dolomieu parti pour l'expédition d'Egypte.

En dehors de ces cours publics et gratuits, il y eut trois cours particuliers pour les élèves des mines : géométrie descriptive, par Lefroy, alors ingénieur surnuméraire ; allemand, par Clouet, bibliothécaire; dessin, par Cloquet.

Pendant les quatre années suivantes, l'enseignement continua avec cette régularité qu'il avait acquise dès l'an VII (1798-1799) ; la dernière année, en l'an X (1801-1802), l'ouverture des cours le 17 frimaire (8 décembre 1801) fut également l'objet d'une annonce étendue dans le Journal des mines (t. XI). Haüy avait repris son enseignement; Vauquelin, qui avait donné sa démission le 4 juin 1801, était remplacé par Collet-Descotils, un de ses meilleurs élèves, qui venait d'être nommé à sa place conservateur des produits chimiques, directeur du laboratoire de l'administration et de l'École des Mines. Les leçons spéciales de mathématiques et de géométrie descriptive pour les élèves étaient devenues inutiles, puisque ceux-ci ne se recrutaient plus qu'à l'Ecole polytechnique.

Cependant, pour la première fois, l'École venait cette année de recevoir deux élèves externes, par une application à l'École des mines de Paris, de la disposition prévue dans la loi du 30 vendémiaire an IV pour l'Ecole pratique visée par cette loi. Ces deux élèves avaient été envoyés par le préfet de l'Aveyron, qui avait été autorisé par le ministre de l'intérieur à les entretenir aux frais du département.

On conçoit la satisfaction avec laquelle les membres du conseil devaient considérer leur oeuvre et le nombreux personnel groupé autour d'eux dans leur maison de la rue de l'Université. L'École polytechnique avait successivement envoyé : 5 élèves en 1797-1798 (dont Gallois, qui a laissé une si grande notoriété à Saint-Étienne) ; 4 en 1799 (dont Héron de Villefosse, le futur auteur de La Richesse minérale}; 8 en 1800 (dont de Bonnard, qui a été membre de l'Académie des sciences); 4 en 1801 (dont Berthier, que nous allons incessamment voir à l'oeuvre, et Migneron, que ses belles études administratives ont justement signalé). L'arrivée des premiers élèves externes montrait en même temps que l'enseignement donné dans cette Ecole, qui était bien l'oeuvre exclusive de nos trois conseillers, commençait à être connu et apprécié.

Elle méritait de l'être, en effet. On est frappé de voir, à quelques années seulement de distance, la différence profonde que cet enseignement élevé présentait avec les connaissances si rudimentaires données à l'École de Sage. Dans ce court espace de temps, les sciences venaient, il est vrai, de franchir un pas immense, et le haut enseignement venait de prendre un puissant essor sous l'influence de la création de l'École polytechnique.

Haüy, avec ses immortelles conceptions dont l'École des mines eut la primeur comme enseignement, venait de donnera la minéralogie une base rationnelle et scientifique ; complétée grâce à la chimie nouvelle de Lavoisier, la minéralogie allait pouvoir être définitivement assise. Dolomieu, pour les terrains éruptifs, et Alex. Brongniart pour les terrains sédimentaires, donnaient également à l'École des mines les premières notions rationnelles de la science qui allait se constituer sous le nom de géologie. Le cours de minéralogie et géologie ou géographie physique comprenait deux années, l'une pour la minéralogie proprement dite, l'autre pour la partie purement descriptive correspondant à notre géologie.

Vauquelin, avec l'autorité qui appartenait à un tel maître, enseignait, pour la première fois, une véritable docimasie fondée sur les principes que Lavoisier venait de dévoiler et non plus une série de procédés de praticiens. Vauquelin faisait son cours en deux années lorsque les élèves n'avaient pas encore passé par l'École polytechnique, parce que dans la première année il lui fallait insister davantage sur les généralités de la chimie. Ultérieurement la docimasie proprement dite ne comprit qu'une année.

Hassenfratz, en consacrant deux années à l'enseignement de la minéralurgie, suivant le nom alors admis et maintenu si longtemps, avait donné à ce cours un développement embrassant les connaissances qui pouvaient permettre de tirer parti de toutes les substances minérales. Dans la première année, il examinait les agents minéralurgiques, les détails des procédés, et décrivait les instruments ou appareils ainsi que les matériaux servant à leur construction. Dans la deuxième année on étudiait successivement : la pétrurgie, ou l'art de séparer les terres et les pierres utiles dans les arts, ou de les combiner intimement, c'est-à-dire l'art du verrier, du porcelainier, du potier, du briquetier, etc. ; l'halurgie, ou l'art d'obtenir les combinaisons salines ou le travail des sels ; l'oxyurgie, ou l'art de fabriquer les acides; la pyriturgie ou pyrurgie, ou l'art de fabriquer les combustibles, c'est-à-dire la carbonisation du bois, de la houille et de la tourbe; la métallurgie, ou l'art d'extraire les métaux; la chromurgie, ou l'art de fabriquer les matières colorantes. Ce cours, on le voit par ce programme dont nous avons tenu à conserver la terminologie, comprenait à la fois nos cours actuels de métallurgie et de chimie industrielle.

Dans le cours d'exploitation que Baillet du Belloy professait également en deux années, on voit déjà le programme du double cours dans lequel ce cours devait plus tard se partager rationnellement : l'exploitation et les machines. Outre, en effet, l'exploitation proprement dite et ses annexes de la préparation mécanique et du levé des plans souterrains (il faut arriver jusqu'en 1844 pour trouver des leçons de lever de plans distincts du cours d'exploitation dés mines), Baillet traitait, intercalées dans ce cours, un peu comme elles le sont dans le Traité si longtemps classique de Combes, son successeur, des machines motrices à moteurs animés, à eau, à vent, à vapeur, et, avec les machines à eau, de leurs dépendances : digues, étangs, canaux, en un mot de l'hydraulique appliquée dont le rôle était alors si considérable.

Incontestablement un pareil enseignement, donné par de tels maîtres, pouvait être avantageusement comparé à celui de toutes les écoles d'Allemagne. Cet enseignement devait être d'autant plus fructueux pour les élèves qu'il leur était donné dans un milieu éminemment favorable à leur entraînement. La maison d'instruction de l'agence des mines avait, dès l'an III, reçu d'assez belles collections minéralogiques qui s'étaient incessamment accrues par les échantillons que chaque année les inspecteurs et ingénieurs rapportaient de leurs tournées; elle possédait un laboratoire richement doté, pour l'époque, en appareils et en produits chimiques divers. D'autre part, à ce moment, tout le corps des mines avait sa résidence à Paris, et pendant quatre mois d'hiver, au retour des tournées, devait se réunir périodiquement en conférence autour des trois conseillers des mines, à l'hôtel de Mouchy.

Primitivement les élèves des mines devaient accompagner les inspecteurs et ingénieurs dans leurs tournées. Mais, plus tard, comme la durée de l'enseignement à l'École dépassait le temps du séjour des ingénieurs à Paris, les élèves furent astreints, pour compléter leur instruction, à faire un stage sur des établissements en activité. Un arrêté du ministre de l'intérieur du 15 prairial an IX (4 juin 1801), homologuant une délibération du conseil des mines, avait décidé que les élèves de lre classe, c'est-à dire ayant satisfait aux examens pour passer de la 2e classe, dans laquelle on débutait, à la 1re, ne pourraient être nommés ingénieurs surnuméraires qu'après avoir résidé sur des établissements en activité pendant au moins deux campagnes, et avoir été reconnus suffisamment instruits dans la pratique.

En somme, sous l'intelligente direction du conseil des mines, l'Ecole avait trouvé la formule de l'enseignement qui, sous réserve des progrès dans les sciences enseignées, devait être suivi à peu près inaltéré jusque vers la fin du gouvernement de Juillet.

Cette institution, si jeune encore, dont le passé déjà brillant était plein de promesses pour l'avenir, allait cependant s'effondrer subitement, et, par une singulière ironie, du sort, à la suite justement des efforts, qu'il nous reste à relater, que les fondateurs de cette belle oeuvre, les trois conseillers des mines, avaient déployés avec une longue persévérance pour la compléter et lui faire porter de meilleurs fruits.

Les cours de l'an X n'étaient pas encore terminés, en effet, qu'intervenait un arrêté des consuls du 23 pluviôse an X (12 février 1802), qui supprimait de fait l'École des mines de Paris pour transporter l'institution en Savoie. Il est curieux de constater que l'arrêté du 23 pluviôse an X ne s'est même pas donné la peine de prononcer la suppression de l'Ecole des mines de Paris. C'est qu'en effet, pour le gouvernement, elle devait être considérée, depuis la loi du 30 vendémiaire an IV, comme n'ayant plus d'existence légale, mais subsistant par mesure transitoire jusqu'à l'établissement de l'Ecole pratique, à installer sur une mine, seule école qui pouvait avoir une existence régulière.

Avant de la suivre dans cet exode, nous aurons à dire à la suite de quelles circonstances intervint cette mesure.

L'article 7 de cet arrêté du 23 pluviôse an X confirmait l'existence du conseil des mines, avec ses trois, membres, placé à côté du ministre de l'intérieur. Mais, quelques jours après, un autre arrêté du 18 ventôse an X (9 mars 1802), s'inspirant partiellement des mêmes idées, vint disperser le personnel jusque-là resté concentré autour du conseil, en organisant, comme il a subsisté depuis, le stationnement des ingénieurs dans leurs circonscriptions de service, au lieu du système de la résidence générale à Paris, qui avait été jusqu'alors la règle. On conserva toutefois à l'hôtel de Mouchy, où le conseil des mines continua à avoir son siège, le laboratoire de chimie avec ses dépôts de substances chimiques, la plus grande partie de la bibliothèque et des collections de modèles, et surtout la collection des roches et minéraux qui s'y trouvait réunie; le tout constitua le cabinet du conseil des mines. Postérieurement au départ de l'Ecole, le musée resté à l'hôtel Mouchy reçut de Freiberg une collection de quelque cinq cents échantillons de minéralogie classés suivant la méthode de Werner, et qui formèrent longtemps ce qu'on appela à l'Ecole des mines la collection allemande ou de Werner. Tonnelier resta comme garde de la collection de minéralogie, et en 1803 d'Aubuisson fut nommé conservateur adjoint. Collet-Descotils resta également comme directeur du laboratoire; en 1806, Berthier et Guenyveau lui étaient adjoints.

L'installation, où en 1810 s'établit le comte Laumond avec la direction générale des mines à lui confiée à cette date, resta assez vivante rue de l'Université ; en 1814, on se préparait à y abriter à nouveau l'Ecole et ses élèves chassés de Moutiers ; mais presque aussitôt toutes les installations durent être momentanément transférées au Petit-Luxembourg, ainsi que nous le verrons par la suite.