Denis Jean Léopold BICHELONNE (1904-1944)
Résumé de carrière
- Né à Bordeaux le 24/12/1904. Fils d'un médecin de Bordeaux, mort Médecin-colonel le 13/7/1939.
- Promotion 1923 de l'Ecole polytechnique, major d'entrée et de sortie de sa promotion (il aurait obtenu au concours d'entrée la moyenne de notes la plus élevée depuis la création de l'Ecole : 19,75 sur 20, battant le record de 19 sur 20 de François Arago, X 1803) ; sort de Polytechnique dans le Corps des Mines.
- Promotion 1925 de l'Ecole des Mines ; là encore, il obtient des notes exceptionnelles, sauf en langues allemande et anglaise [ce qui ne l'empêchera pas d'être en 1943 l'interlocuteur privilégié d'Albert SPEER].
Il s'y fait 2 grands amis : Roger Gaillochet et Wladimir Tiraspolsky (deux ingénieurs civils des mines, le premier fit partie de son cabinet ministériel de 1942 à 1944).
Roger Gaillochet (1904-1991), élève de l'Ecole des mines
Archives MINES ParisTech
Gaillochet devint ingénieur civil des mines, membre du cabinet de Bichelonne, et plus tard PDG d'une société d'assurances
Wladimir Tiraspolsky, élève de l'Ecole des mines
Archives MINES ParisTech
Tiraspolsky devint ingénieur civil des mines et fit carrière dans l'extraction du pétrole
| |
- Bichelonne fait partie en 1927 d'un cercle de discussion organisé chez Léon Daum, dans lequel il introduit notamment Henri MALCOR
- Affecté en service ordinaire des mines en Lorraine. Il travaille à la réalisation d'un recueil géologique et d'un atlas du bassin ferrifère lorrain, en liaison avec Pierre ANGOT qu'il essaiera de protéger des griffes nazies en 1943 et 1944.
- Professeur de sidérurgie à l'Ecole des Mines de Paris (1935-1937) après Paul Nicou. Il participe à cette époque au groupe "X-Crise" créé en 1931 par Gérard Bardet et André Loizillon (X 1922) et par John Nicoletis (X 1913), qui s'intéressait aux répercussions de la crise économique qui avait éclaté dès 1929 aux Etats-Unis.
- Secrétaire de la Commission centrale des machines à vapeur (1935).
- Chargé par Lambert Blum-Picard en 1936 de faire une enquête sur le marché charbonnier, conjointement avec Philippe Coste. Trois autres jeunes ingénieurs des mines collaborèrent à cette étude : Fischesser, Allais et Turquet de Beauregard.
- Adjoint au directeur général des chemins de fer, ministère des travaux publics (1/1/1937). Le 8 juillet 1937, une commission est constituée pour la nationalisation des chemins de fer ; plusieurs haut fonctionnaires se désistent ou bien sont mis à l'écart du dossier car trop proches des administrateurs des Compagnies. Bichelonne est chargé du projet qu'il mène tambour battant, face à René Mayer qui représentait les réseaux : la SNCF est créée le 31 août 1937.
- Nommé au cabinet du ministre des Travaux publics, le 15/10/1937.
- Directeur général des aciéries de Senelle-Maubeuge (vers 1938) suite à son mariage en 1934 avec Raymonde DONDELINGER, fille de l'Administrateur Délégué,
Auguste DONDELINGER, qui meurt le 28/3/1940.
- Début 1939 : directeur du contrôle des chemins de fer au ministère des travaux publics.
- Directeur de cabinet du Ministre de l'Armement Raoul Dautry (X 1900) du 13/9/1939 au 16/6/1940 pendant le gouvernement Reynaud ; en cette qualité, il transfère en Angleterre le stock d'eau lourde. Il travaille alors avec Robert Lacoste et avec Jacques Barnaud.
- Membre de la délégation française de la commission d'armistice à Wiesbaden fin juin 1940; arrêté par les allemands fin août 1940, pour avoir refusé l'envoi de matériel en Allemagne, libéré après quelques jours sur intervention du général HUNTZIGER chef de la délégation.
- Devient un des deux secrétaires généraux au Ministère de la Production industrielle (Belin,
Pucheu,
puis Lehideux étant ministres). Selon l'historien W.H. Ehrmann (La politique du patronat français, A. Colin, 1969), il est l'inventeur des Comités d'organisation. Il s'occupe de la répartition des matières premières industrielles.
- Secrétaire d'Etat de la Production Industrielle en avril 1942 (lors du retour au pouvoir de Pierre LAVAL) ; rencontre le ministre allemand Speer en septembre 1943, Bichelonne étant un adepte de l' intégration économique franco-allemande. Prend comme chef de cabinet Pierre COSMI, ingénieur en chef des ponts et chaussées, et informateur important de la Résistance.
- Novembre 1943 : remplace Lagardelle au Ministère du Travail, avec le titre de ministre-Secrétaire d'Etat à la Production Industrielle, aux Communications et au Travail ; participe à partir de février 1943 à l'organisation du Servivce du Travail Obligatoire (STO), en tant que Ministre du Travail par intérim. Négocie avec Albert Speer le statut des usines à main d'oeuvre protégée mais qui fournissent d'importantes commandes aux allemands.
- Victime d'un accident de voiture début avril 1944 ; un genou complètement broyé.
- Signataire de la déclaration pro-allemande du 5/7/1944, dénonçant la "politique de lâchage des intérêts allemands menée par Pétain et Laval"...
- Arrêté le 17 août 1944 par les allemands en même temps que les autres membres du gouvernement se trouvant à Paris. Il dit ce jour-là à son secrétaire particulier et camarade de promotion de Polytechnique, Roger Jean Gaillochet (1904-1991 ; X 1923) : "Souviens-toi que je laisse l'industrie française diminuée de 12 %, 5 % du fait des allemands et 7 % du fait des bombardements, et là, je n'y suis vraiment pour rien ". Enmené avec les autres membres du gouvernement et des fonctionnaires à Sigmaringen (Bade-Würtemberg) ; c'est là qu'il demande à Gebhardt, chirurgien en chef de Hohenlychen, de l'opérer du genou
- Mort à Hohenlychen, Prusse orientale, Allemagne, le 22/12/1944, probablement assassiné par d'anciens SS après son intervention chirurgicale (il était prisonnier de la police allemande). Albert SPEER a déclaré au procès de Nuremberg que Bichelonne n'était pas en mauvaise santé à son départ pour Hohenlychen, hôpital qui avait une très mauvaise réputation. Selon Albert SPEER, Bichelonne serait mort quelques semaines après l'opération, d'une embolie pulmonaire.
- Jugé le 5/9/1945 par la Haute Cour, mais il était mort avant le jugement.
Citation de Raymond Fischesser, qui, comme d'autres collaborateurs du ministre, était parfois convoqué par Bichelonne à son bureau en 1944 entre 1 heure et 3 heures du matin lorsque le ministre souffrait d'insomnies et d'états d'âme : "L'hypertrophie de Bichelonne dans le maniement de la logique et sa cécité à l'égard des facteurs passionnels et politiques le poussaient à l'abîme - mais avec quel talent !".
Citation de Guy Sabin : "Bichelonne, au bout de son périple, sentit que ses estimations politiques antérieures étaient erronées et que sa situation personnelle était quasiment désespérée. Mais son jugement gardait encore une partie de cette logique de technicien, sur le non-effondrement de l'Allemagne qu'il considérait sans doute comme une grande nation, ce en quoi il n'avait pas tort ... pour le futur."
Citation de Robert Aron : "Un mathématicien exceptionnel égaré dans la politique".
Citation de Claude Gruson : "Sa force intellectuelle était prodigieuse et il en tirait visiblement une confiance en soi hors du commun. C'était, poussé au suprême degré, le complexe du major de l'X".
Citation de Claude Paillat (Dossiers secrets de la France contemporaine, vol. 3, Robert Laffont éd.) :
Fils d'un ancien médecin militaire qui a ouvert un cabinet, un frère dans l'armée, un second qui épouse la fille d'un "X", Bichelonne ... impressionne par son physique -- une taille nettement supérieure à la normale, une allure imposante, un teint blanc qui tourne au blafard avec un peu de mauvaise graisse. Il parle beaucoup -- sans notes ni dossiers -- en fermant les yeux ou en regardant le plafond, se frottant les mains. Si d'aventure il a un papier, il n'arrive pas à retrouver le passage dont il a besoin. Sa mémoire prodigieuse stupéfie, car il affirme tant de choses précises, que personne n'est capable de répondre, ce qui incite les mauvaises langues à dire : "Bichelonne affirme mais il ne sait pas". Pourtant, on ne le prend jamais en défaut.
C'est un technicien discipliné, dévoué avant tout aux affaires publiques. Dès qu'on lui assigne une tâche, il fonce. Aussi est-il important de ne pas lui indiquer une mauvaise direction, ou si elle comporte des virages, de les lui signaler, car il va si vite qu'il risquerait de les manquer ! Pour Bichelonne, il n'est pas de problème qui ne mérite d'être résolu. C'est une mécanique entraînée à travailler dans la logique, sa puissance de concentration est considérable. S'il reste des dossiers en cours au moment où ses collaborateurs, surmenés, vont dormir, il en poursuit l'examen, prend encore le temps de lire un roman policier et apparaît, quelques heures plus tard, aussi reposé que s'il avait dormi douze heures durant ! Autour de lui, on l'admire : il suscite de réels dévouements.
Quand Bichelonne atteindra de hautes fonctions, ce respect se transformera en flatterie, cela à son désavantage, car il aurait besoin que -- de temps à autre -- on le remette sur le droit chemin. C'est un candide, plein de bonté, qui ne se rend pas compte de l'ampleur des décisions qu'on lui fait prendre (informations provenant de Paul Devinat, directeur de cabinet de Henri Queuille, ministre des travaux publics en 1937).
Voir aussi :
Guy SABIN.- Jean Bichelonne: ministre sous l'occupation, 1942 - 1944, Paris: Éd. France-Empire, 1991. [Guy SABIN est ingénieur civil des mines, promotion 1929 de l'Ecole des mines de Paris, et a été chargé de mission auprès de Bichelonne à partir de 1941]
Marcel DESHAYS .- A la recherche de la vérité sur Jean Bichelonne, La Jaune et la Rouge, janvier 1996. [Marcel DESHAYS fut camarade de promotion de BICHELONNE à Polytechnique, après avoir été son camarade depuis la classe de 4ème jusqu'au Lycée Henri IV, Paris 5ème]
Philippe MIOCHE, "Aux origines du Plan Monnet : les discours et les contenus dans les premiers plans français 1941-1947", Revue Historique, n° 538, avril 1981
Henry ROUSSO, "Pétain et la fin de la collaboration, Sigmaringen 1944-1945", Bruxelles, Editions Complexes, 1984, p. 42 et s.
Jean Bichelonne, élève de Polytechnique
(C)
Photo Collections Ecole polytechnique
Jean Bichelonne, élève à l'Ecole des mines de Paris
(C) Mines ParisTech