Pierre Marie François ANGOT (1902-1945)


Pierre Angot, élève de Polytechnique
(C) Photo Collections Ecole polytechnique

Fils de Charles Hippolyte Emile ANGOT, receveur de l'enregistrement, et de Marie Jeanne Victorine VERDIER. Né le 25 avril 1902 à Montréjeau. Mort pour la France le 1er février 1945 dans les mines de sel de Weimar, de dysenterie et de pleurésie (décoré de la Légion d'honneur à titre posthume).

Epoux de Jacqueline MASSON (mariage le 17/2/1927). Père de :


Frère de Édouard Marie Émile François ANGOT (1899-1969 ; X 1918).
Grand-père de Pierre Marie Louis ANGOT (né en 1957 ; X 1976)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1921 A, sorti major) et de l'Ecole des mines de Paris (entré en 1924 classé 1 et sorti en 1926 classé 1 sur 6 élèves corpsards). Corps des mines. Voir le bulletin de notes de Pierre Angot à l'Ecole des mines.

PIERRE ANGOT et le pétrole du Sud-Ouest,

par René Samuel Lajeunesse (rédigé en 1948 et publié dans "GRANDS MINEURS FRANCAIS" édité par Dunod)

Si Pierre Angot n'a pas directement accru le patrimoine minier de la France, il s'est sacrifié pour sa défense. Il mérite ainsi pleinement de figurer parmi les grands mineurs de la patrie.

Elevé dans le Midi toulousain, Angot sut se cultiver harmonieusement, en alliant aux disciplines scientifiques le sens des valeurs artistiques et littéraires qui se révèle si aisément au pays de Clémence Isaure.

A Polytechnique, où il entre troisième en 1921, il ne néglige point ses auteurs préférés, tous chantres d'harmonie et de clarté. Ses poètes : Racine et les Parnassiens; son prosateur : Barrés.

Peut-être est-ce sa dévotion pour l'auteur de Colette Baudoche qui pousse ce Méridional à choisir la résidence de Metz, où, neuf ans durant, il se consacre à la tutelle administrative des mines de fer et de houille.

Il attire l'attention sur son nom pour la première fois à l'occasion d'un accident survenu à la carrière de Barrois-en-Moselle.

A la suite d'une enquête minutieuse, et après de nombreuses expériences, il arrive à découvrir la véritable cause de l'accident : la chute d'une cartouche d'explosif.

Le ministre des Travaux publics lui écrivait, dans une lettre de félicitations : " Ainsi, grâce à vos efforts qui ont mis en lumière un danger jusqu'alors méconnu, est-on en mesure d'orienter utilement des recherches, et l'on peut dès maintenant définir certaines précautions et prescrire certaines mesures en vue de prévenir de nouveaux accidents de cette nature.

" En faisant progresser la technique,  vous avez contribué à assurer la sécurité du personnel... "

Entre temps, Angot étudiait activement la structure géologique du gisement de fer lorrain. Son travail, joint à celui de l'ingénieur chargé des mines de fer de l'arrondissement de Nancy, aboutit à la publication d'un gros ouvrage, doublé d'un atlas très détaillé, qui constitue le premier document complet sur l'une des plus importantes richesses minérales de la France.

Cependant, en 1936, Angot quitte l'Administration pour prendre la direction technique de la Steaua Roumana, affaire pétrolière où Meny avait fait ses premières armes.

Il envisageait, à la suite d'un voyage d'études aux Etats-Unis, de rénover l'industrie roumaine du pétrole.

Il n'en eut pas le temps : en septembre 1939, la guerre éclate, les divisions motorisées d'Hitler envahissent rapidement la Pologne, on peut craindre qu'elles ne tarderont pas à se diriger vers l'abreuvoir du pétrole roumain.

Dès lors, Pierre Angot songe beaucoup plus à détruire qu'à perfectionner.

Sur instructions du gouvernement français, il étudie, discrètement d'abord, les mesures à prendre. Quand les plans sont au point, le gouvernement roumain en est avisé. D'accord sur le principe, il négocie pour monnayer la destruction éventuelle des puits.

Les pourparlers duraient encore en mai 1940. Les notes échangées avec la Roumanie sont retrouvées par les Allemands dans le  fameux train d'archives bloqué à La Charité-sur-Loire. Le nom d'Angot figure sur ces documents.

L'Allemagne, c'est de bonne guerre, utilise cette occasion de faire pression sur le gouvernement roumain. Celui-ci est amené à désavouer les auteurs du plan. Angot est arrêté. Finalement expulsé, il rentre en France par Istamboul.

Bien que dangereusement repéré par les Allemands, il n'hésite pas à prendre un poste qui doit l'amener à poursuivre contre eux la lutte économique dans le domaine particulièrement sensible de leurs intérêts pétroliers.

Président de la Société nationale des Pétroles d'Aquitaine, qui recherche le pétrole, et de la Régie autonome qui exploite déjà le gaz de Saint-Marcet, Angot a pour objectif exclusif de soustraire ces entreprises à la mainmise de l'ennemi.

Celui-ci se présente à lui sous la forme de la Kontinental Oel, qui prétend le mettre en tutelle. Fidèle à la tactique allemande dans le domaine économique, elle veut lui arracher un contrat commercial, difficile à désavouer au cas où la guerre aboutirait à une paix de compromis.

Angot cherche d'abord à gagner du temps... " Il discutait, réfutait, précisait, contestait, menait ses adversaires par trente-six chemins à seule fin de les perdre, déployait devant eux mille arabesques de l'esprit dans le seul but d'écarter ou de dissocier leurs exigences massives. Cette tactique, il la résumait dans une note écrite à la suite d'un entretien officiel : " Le ministre me demande si oui ou non je suis capable de faire la ballerine et d'amuser les Allemands sur ce thème. " Mais les dirigeants teutons ne devaient être charmés qu'un temps par la finesse de ces discussions. Après deux mois d'atermoiements, ils proposaient un contrat brutal. Angot refusa net. Les Allemands décidèrent alors d'agir directement sur le gouvernement français. " (Annales des Mines)

Le général Michel, chef du département économique de l'administration militaire allemande en France, ne pouvant obtenir la signature d'Angot en dépit des plus violentes pressions dont il est capable, doit renoncer à l'idée d'un contrat entre la Régie autonome des Pétroles et la Kontinental Oel.

Au lieu d'un contrat commercial, il doit se contenter d'une convention passée avec le gouvernement de Vichy, de valeur légale nulle.

Cependant, Angot, bien que définitivement compromis, reste à son poste pour contrecarrer le travail des Allemands.

Un sondage ayant décelé des indices de pétrole, Angot s'efforce de cacher la chose à l'ennemi. Celui-ci ayant finalement appris la nouvelle, la Kontinental Oel décide de s'installer à l'emplacement prometteur. Angot réussit à retarder l'affaire pendant neuf mois.

Les Allemands comprennent fort bien d'où leur viennent tous les obstacles et, en septembre 1943, le docteur Jehle, adjoint de Michel, qualifie Angot de "saboteur", ce qui équivaut à la plus terrible des menaces.

Son bureau fait l'objet d'une perquisition. Il s'attend à une arrestation qui suivrait celles de Meny et de Coutard.

La sagesse serait alors pour lui de " prendre le maquis " ou de traverser les Pyrénées pour rejoindre les Forces françaises libres, ce qui lui serait relativement aisé grâce à ses contacts avec la Résistance de la région de Toulouse.

Cependant, Angot estime qu'il ne peut céder à un autre, peut-être moins coriace, la défense des intérêts pétroliers français.

Il réussit à tenir jusqu'en juin 1944. Son arrestation est provoquée par son attitude lorsque les troupes des F.F.I., par un raid audacieux, réussissent à enlever une abondante provision de carburant sur le chantier de Saint-Marcet.

Accusé justement de complicité, Angot est arrêté. Après le séjour habituel à Fresnes. il est déporté le 15 août 1944, peu avant la libération de Paris.

Cinq jours durant, il supporte avec un calme et une dignité qui font l'admiration de ses compagnons de misère, la torture du voyage au cours duquel, entassés à quatre-vingts par wagon, les hommes finissent par délirer d'étouffement, de faim et de soif.

Angot connaît les affres et les humiliations du bagne de Buchenwald.

Vers la fin de septembre, il part en " transport " pour la mine de sel de Plömnitz.

Levés à 3 h. 30, les déportés travaillent au fond de 5 heures à 18 heures, sous la surveillance des " kapos " et des SS, qui les matraquent au moindre relâchement.

Angot, comme l'a écrit un de ses camarades rescapés, réussit dans cet enfer " à conserver toute sa dignité d'homme policé et à rester lui-même ".

Il souffre de plaies aux pieds qui s'enveniment, il est rongé par la vermine, il dépérit à vue d'oeil. En janvier 1945, il ne pèse plus que 42 kilos et sent sa fin prochaine.

Une pleurésie le terrasse; la dysenterie aggrave son cas. Le 6 février, son corps épuisé trouve dans la mort l'éternel repos.

Il est jeté nu dans une fosse, d'où les habitants, contraints par les Américains, l'exhumeront pour l'enterrer au cimetière de Praezlitz.

C'est là que repose encore ce grand Français.

Le gouvernement lui conféra la Légion d'honneur à titre posthume, en le citant à l'ordre de la nation dans les termes suivants :

" A donné une vive impulsion aux recherches de pétrole entreprises dans la région de l'Aquitaine par la Régie autonome des Pétroles. Ardent patriote animé du plus admirable esprit de résistance, a toujours déployé une grande activité pour soustraire cet organisme au contrôle de l'ennemi. Arrêté et déporté en Allemagne, est mort d'épuisement dans une mine de sel de la région de Weimar. "

 

  Certains éléments du papier de R. Samuel Lajeunesse ont été tirés de l'article de Victor de Metz et Jean Duroc-Danner, Annales des mines,  136° année, n°  7 que nous reproduisons ci-dessous.


PIERRE ANGOT (1902-1945)
par Victor de METZ, Ingénieur des Mines, Président-Directeur général de la Compagnie française des pétroles,
et
Jean DUROC-DANNER, attaché à la Direction de la Compagnie française des pétroles.

Publié dans Annales des Mines, juillet-août 1947.

Le 6 février 1945, Pierre ANGOT, Président-directeur général de la Société nationale des Pétroles d'Aquitaine, Président de la Régie autonome des Pétroles, mourait d'épuisement sur un misérable lit d'infirmerie après cinq mois passés au camp de déportation de Buchenwald et dans une mine de sel de la région de Plömnitz. Il avait à peine 43 ans.


Pierre ANGOT était né le 25 avril 1902 à Montréjeau dans le midi toulousain. Par son père, il se rattachait à une ascendance normande, par sa mère et ses aïeux, il se trouvait être à la fois méridional et lorrain. Les contrastes de ses diverses hérédités devaient s'harmoniser et s'épanouir dans les richesses exceptionnelles de son tempérament. Il appartenait à une lignée de serviteurs de l'État, qui avait commencé au XVIIIème siècle et s'était continuée sans interruption jusqu'à lui. La longue tradition de fidélité et de droiture qui, deux siècles durant, s'était accumulée de génération en génération, allait s'élever en lui jusqu'au sacrifice total consenti avec la simple grandeur des âmes en qui l'habitude du devoir est devenue une seconde nature.

C'est dans le midi toulousain qu'il passa les années de sa première jeunesse et de son adolescence. A l'école Ozanam et au lycée de Toulouse où, malgré une santé d'abord un peu fragile, il fit de faciles et brillantes études, et aussi dans la campagne toulousaine qu'il aimait et qu'il devait aimer toute sa vie. Il trouvait là, beaucoup plus qu'entre les murs austères du lycée ou dans les abstraites études de mathématiques pour lesquelles il était pourtant remarquablement doué, le climat de son goût, de sa pensée, de sa sensibilité. Dès qu'il fut à même de s'exprimer et de se faire prêter attention, il se plut à faire admirer, de mieux en mieux chaque été, les perspectives mesurées des paysages, les lignes longues et harmonieuses des coteaux et des vallons, la limpide douceur d'une lumière qui rappelait souvent celle des ciels de Toscane. Il pratiquait le dessin et l'aquarelle, s'adonnait à la lecture et formait peu à peu, presque seul tant il était indépendant, son goût et sa culture. La rigueur de son esprit scientifique s'alliait ainsi avec cette finesse dont il attribuait plus particulièrement l'origine à ses ascendances méridionales.

La qualité de ses dons faisait de lui un être nuancé, désireux sans doute de sociabilité, mais avide également de délicatesse et de silence. C'était déjà l'appel d'une vie intérieure qui allait s'approfondir avec les années. Sous cet aspect réservé, il cachait une vive sensibilité, mais il en contrôlait toutes les manifestations par une volonté qui, tout en demeurant discrète, était déjà inébranlable.

Ainsi s'écoulèrent une enfance et une adolescence intelligentes sans avoir été appliquées, indépendantes sans avoir manqué de déférence, assez secrètes et cependant remplies d'affection pour les siens, ouvertes à quelques solides amitiés que la mort seule a rompues.

En 1921, Pierre ANGOT était brillamment reçu à l'École Polytechnique. Il quittait son cher midi et devenait pour quelques années parisien.

Entré troisième à l'École, ANGOT eut très vite la conviction qu'il était capable d'en sortir major. Cet absorbant souci du rang dirigea nécessairement son travail. Sans doute avait-il beaucoup de facilités. Il devait, néanmoins, se contraindre, car son goût naturel le portait vers de multiples domaines. Pour un temps, il lui fallut renoncer à s'adonner aussi intensément qu'il l'eût désiré à ses lectures et à ses distractions favorites. Mais dès qu'il fut libéré de cette préoccupation, on le vit à nouveau s'épanouir. Il aimait le bridge, le théâtre et la danse. Il avait, à l'époque, la passion de Barrés dont il récitait par coeur de longs passages extraits d'Un jardin sur l'Oronte ou de La colline inspirée. Lorsque la poésie pure fut à la mode, il recherchait dans Racine et les Parnassiens les vers les plus harmonieux et y prenait un plaisir que les sciences exactes ne paraissaient point lui donner.

Et pourtant il réussissait admirablement dans l'étude de ces sciences. Il allait sortir de l'École, Major de sa promotion. Le jeune polytechnicien, après un an de service militaire comme sous-lieutenant d'artillerie, entrait à l'École des Mines et devenait élève-ingénieur du corps des Mines. Sa carrière était désormais toute tracée. En 1926, l'ingénieur des Mines Pierre ANGOT prenait possession de son premier poste en qualité d'adjoint à la Direction des Mines. Quelques mois plus tard, il était envoyé à Metz. Il devait y demeurer neuf ans, successivement chargé des sous-arrondissements minéralogiques de Metz-Nord et de Metz-Sud. Évoquer ce que fut sa vie et son travail durant ces années dépasserait le cadre de ces pages. Il faut cependant mentionner deux études qui, l'une et l'autre resteront des témoignages du travail et de la remarquable compétence de Pierre ANGOT.

La première est une mince plaquette relative à un accident survenu en septembre 1933 à la carrière de Barrois-en-Moselle. Après avoir écarté à la suite d'un examen critique serré, les diverses explications qui paraissaient normalement se présenter, ANGOT s'était attaché à déceler la vraie cause de l'accident. Il avait réussi à la découvrir. L'importance de la découverte parut telle que le Ministre des Travaux publics lui adressa une lettre de félicitations. Le Ministre résumait d'abord le travail d'ANGOT :

" L'examen attentif des expériences sur lesquelles avait été basée la technique de l'emploi des cartouches et votre esprit de clairvoyance, vous avaient mis en garde contre des résultats expérimentaux dont le processus vous paraissait devoir soulever quelques critiques. Reprenant donc les essais, et en tenant compte de certains éléments précédemment négligés, et les poursuivant avec une persévérance et un esprit scientifique auxquels il me plait de rendre hommage, vous êtes parvenu à établir que, dans certains cas, la chute d'une cartouche pouvait provoquer la détonation. "

Puis il concluait :

" Ainsi grâce à vos efforts, qui ont mis en lumière un danger jusqu'alors méconnu, est-on en mesure d'orienter utilement les recherche, et l'on peut, dès maintenant, définir certaines précautions et prescrire certaines mesures en vue de prévenir de nouveaux accidents de cette nature. En faisant progresser la technique, vous avez contribué à assurer la sécurité du personnel. J'ai tenu à vous en féliciter et à vous exprimer, à l'occasion du travail remarquable dont vous êtes l'auteur et des précieux résultats que vous avez obtenus, toute ma satisfaction. "

Entre temps, ANGOT s'était attelé à un véritable travail de Romain. Il n'existait aucune étude d'ensemble des conditions géologiques du bassin lorrain. Il n'y avait que des ouvrages particuliers. Encore ceux-ci n'étaient-ils plus à jour, le développement des travaux miniers apportant constamment de nouvelles données. Enfin sur la partie de Lorraine qui en 1918 était redevenue française, les renseignements étaient rares et souvent même sujets à caution. C'était un travail considérable que de réunir et de présenter la somme des connaissances ayant trait au bassin lorrain. Le Ministère des Travaux publics, pressenti par les collectivités minières lorraines, autorisa MM. BICHELONNE et ANGOT, alors respectivement chargés des services minéralogiques du bassin lorrain, à entreprendre ce travail. Il fallut, plusieurs années pour le mener à bien. C'est en 1939 seulement qu'il devait paraître sous forme d'un imposant ouvrage doublé d'un volumineux atlas. L'ensemble intitulé Le bassin ferrifère de Lorraine constitue pour longtemps, aussi bien pour ceux qui recherchent les renseignements de détails que pour ceux qui désirent prendre une vue générale de notre bassin de Lorraine, le document le plus précieux et le plus sûr. ANGOT n'était plus en France quand l'ouvrage fut imprimé. De nouvelles fonctions l'avaient appelé à l'étranger.


En mars 1936, ANGOT avait obtenu sa mise en congé hors cadres. Il quittait provisoirement l'Administration pour prendre un poste dans l'industrie pétrolière roumaine. Dans plusieurs de ces Compagnies étaient gagés d'importants intérêts français. C'était le cas de la Steaua Romana, où ANGOT prenait ses nouvelles fonctions : il devait y être successivement directeur central technique, directeur général adjoint et enfin administrateur la Société. Deux directeurs français l'avaient précédé, MM J. MENY et V. DE METZ, et avaient solidement implanté l'influence française. Par ailleurs,plusieurs ingénieurs français occupaient divers postes dans l'industrie du pétrole roumain. ANGOT ne se trouvait donc guère dépaysé. Il allait au surplus trouver en la personne des Roumains des collaborateurs très avenants et devait rapidement s'imposer à eux et s'attirer leur sympathie. Autant que le technicien, les Roumains admiraient l'homme " au caractère naturellement enjoué et optimiste ". La Revue Pétrolière roumaine qui trace de lui ce portrait ajoute : M. ANGOT est aussi un grand ami de la nature et ce penchant l'a déjà porté sur tous les sommets de nos Carpathes et dans les coins les plus pittoresques de notre pays. Elle se plait enfin à noter sa droiture et son amabilité : Dans la discussion avec M. ANGOT, l'interlocuteur est mis dès l'abord en confiance. Il est toujours prêt à s'entendre avec cet homme qui tout en défendant avec une rare énergie et un grand savoir faire les intérêts de sa Compagnie, sait aussi ne pas perdre de vue les droits de la partie adverse.

ANGOT entendait appliquer à l'industrie roumaine les méthodes les plus modernes. Un voyage d'études aux États-Unis lui permit de voir sur place les techniques pétrolières américaines. Il n'eut, hélas, guère le temps de faire profiter la Roumanie de ces précieux enseignements : en 1939, la guerre éclatait en Europe, grevant l'avenir de redoutables incertitudes et modifiant totalement les perspectives de travail. Au lieu de construire il fallut songer à détruire.

On savait l'Allemagne avide de pétrole : elle pouvait être amenée à porter ses regards vers les richesses de la Roumanie. Il était sage de prévoir une invasion possible et de parer à cette éventualité. La campagne de Pologne venait de démontrer avec quelle rapidité une armée motorisée peut s'emparer d'un pays. Il fallait agir vite.

ANGOT qui déplorait d'être mobilisé sur place alors que les armées françaises étaient au contact de l'ennemi, s'appliqua avec plusieurs autres ingénieurs français également maintenus en Roumanie, à l'élaboration d'un plan de destruction de l'industrie pétrolière roumaine. M. WENGER fut officiellement chargé par le Gouvernement français de la préparation technique de cette opération. Il prit ANGOT comme adjoint. Dès le 1er octobre, M. WENGER envoyait un rapport à Paris. Trois semaines plus tard, le général GAMELIN demandait que l'attaché militaire français à Bucarest mette sur pied un programme d'ensemble. Les études et les échanges de notes se poursuivirent. Quant tout fut prêt le Gouvernement roumain fut mis au courant des projets alliés. Il approuva chaleureusement et promit son concours. Mais il s'avisa également qu'il était prudent de prévoir dès l'immédiat les indemnisations qui reviendraient à la Roumanie en compensation des dommages causés par l'exécution éventuelle du plan. Des pourparlers furent engagés entre les Gouvernements français, anglais et roumain.

Les pourparlers duraient encore quand, en mai 1940, les Allemands déclenchèrent leur offensive foudroyante en France. Quelques semaines plus tard, dans le désarroi général, l'armée allemande s'emparait à La Charité-sur-Loire, des archives du G.Q.G. français. Parmi ces papiers se trouvait le plan de destruction de l'industrie pétrolière roumaine, ainsi que la correspondance échangée à ce sujet entre la Roumanie et la France. Des noms figuraient sur ces documents, parmi eux celui de Pierre ANGOT.

L'occasion était unique pour un chantage international. La presse allemande se saisit de l'affaire et lui donna la plus large publicité : on avait la preuve que les alliés étaient prêts à sacrifier la Roumanie à leurs intérêts La presse roumaine fit écho à cette campagne. A Bucarest, ce fut un gros émoi. Le gouvernement qui ressentait déjà les premiers effets d'une impérieuse attirance vers le vainqueur du jour, et qui au surplus entamait des négociations au sujet de la Transylvanie, désavoua publiquement les auteurs du plan. ANGOT était arrêté à Bucarest, ses collègues sur leurs lieux de travail respectifs. Finalement tous se retrouvèrent au siège central de la Police. Là, on leur intima l'ordre de quitter le pays.

Après un rapide voyage à travers la Bulgarie, ils arrivaient à Istamboul. ANGOT comptait y demeurer. Il voulait rester à proximité de la Roumanie, car il espérait toujours sinon diriger, du moins conseiller la Steaua Romana. Il comprit rapidement que c'était une illusion. Après un bref séjour à Beyrouth en octobre 1940, il s'embarquait pour Marseille.


Peu de temps après son retour en France, il reprenait un poste dans l'industrie du pétrole. Durant quelques mois, il fut adjoint au Directeur du Comité d'organisation des Combustibles liquides. En même temps, son attention s'orientait plus vivement vers cette Aquitaine qui était demeurée le coin de France préféré de son coeur. Sa chère province suscitait alors de grands espoirs parmi les producteurs de pétrole. Les regards se tournaient avec insistance sur la région de Saint-Gaudens. Dès 1941, une loi créait une Société pour l'exploitation des pétroles d'Aquitaine. Le 1er décembre, elle faisait appel à Pierre ANGOT qui devenait Président-Directeur général de la Société nationale des Pétroles d'Aquitaine. Quelques temps plus tard, on lui confiait également la présidence de la Régie autonome des Pétroles. Ces deux entreprises se partageaient l'ensemble des concessions. Désormais Pierre ANGOT avait la sollicitude des pétroles de tout le bassin d'Aquitaine.

Singulière et préoccupante sollicitude quand il fallait entreprendre et mener à bien des recherches alors que les restrictions de monnaie matière, le ralentissement des fabrications, les difficultés de transport, la séparation d'avec les principaux fournisseurs handicapaient tout travail. Tâche combien périlleuse quand il fal1ut ruser et finalement lutter de front avec les exigences d'un vainqueur décidé à briser tout obstacle sur sa route. Les risques d'une telle lutte, ANGOT les connaissait. Il savait qu'il ne disputerait pas impunément les richesses pétrolières françaises à l'Etat allemand et à ses organisations annexes. Il savait que contre un adversaire disposant de la puissance économique, politique et militaire, il s'engageait avec ses seules qualités individuelles, son intelligence, sa compétence et son sa droiture.

Le but des Allemands était clair. Les moyens préconisés par eux pouvaient paraître plus étonnants. N'avaient-ils pas une façon très simple de s'approprier les Pétroles d'Aquitaine : la force ? Sans doute, et les dirigeants de l'économie allemande comptaient bien s'en servir. Mais ils étaient trop prudents pour ne pas chercher à la parer des apparences du droit. Ils estimaient avec raison qu'une politique est habile quand elle prévoit les pires éventualités et ils étaient trop bien informés pou croire encore en une victoire totale de l'Allemagne. Dès cette époque, leurs voeux allaient à ce qui leur paraissait l'issue la plus favorable de la guerre : une paix de compromis. Il importait dans ces conditions que les affaires organisées sous le régime de l'occupation fussent en possession de titres authentiques. L'apparence d'honnêteté qu'ils voulaient à leurs contrats les obligeait à laisser aux contractants une apparence de liberté. C'est de cette faible marge qu'ANGOT sut profiter durant un an pour contrecarrer 1eurs ambitions.

Le prétexte de l'intervention allemande fut facile à trouver. La manoeuvre était connue ; elle avait déjà servi en d'autres occasions. On étranglait une affaire, puis on la sauvait et le sauveteur exigeait en retour un solide tribut de reconnaissance. C'est ce qui s'amorça pour les Pétroles d'Aquitaine, quand, au printemps de 1943, il fut décidé que les demandes de matériel de recherches seraient désormais honorées, non par le contingent français mais par le contingent européen. Sur les 4.000 t de besoins exprimés pour le deuxième trimestre de 1943, les Allemands livrèrent 150 t. C'était rendre impossible tout effort nouveau. En même temps, le gouvernement allemand faisait pression auprès des autorités françaises pour que les recherches soient activées dans le plus bref délai possible. Deux géologues de la Kontinental Oel se rendaient en Aquitaine, visitaient les concessions, puis revenaient à Paris munis d'un volumineux programme de forages. La Kontinental Oel se déclarait prête à secourir la Régie autonome des Pétroles ; elle comptait s'implanter de la sorte dans les intérêts français.

ANGOT avait discerné les intentions et les faiblesses de ses adversaires. Il riposta d'abord sur le plan technique. Le programme des sondages de la Kontinental Oel lui paraissait hors de proportion avec les renseignements recueillis à ce jour sur les concessions. Il suffisait pour continuer les recherches d'assurer à la Régie les moyens qu'elle avait réclamés. Au cours d'une série de conférences, les délégués français et allemands confrontèrent leurs opinions. Les Allemands se heurtaient en la personne d'ANGOT à un adversaire à la fois subtil et catégorique; prompt à déceler la moindre fissure, outrageusement pointilleux sur le sens exact des mots et des obligations du droit. Il discutait, réfutait, précisait, contestait, menait ses adversaires par trente-six chemins à seule fin de les perdre, déployait devant eux mille arabesques de l'esprit dans le seul but de dissocier leurs exigences massives. Cette tactique, il la résumait dans une note écrite à la suite d'un entretien officiel : " Le Ministre me demande si oui ou non je suis capable de faire la ballerine et d'amuser les Allemands sur ce thème." Capable il l'était, et il eût pu continuer longtemps cet effort. Mais les dirigeants teutons ne devaient être charmés qu'un temps par la finesse de ces discussions. Après deux mois d'atermoiements, ils proposèrent un contrat brutal. ANGOT refusa net. Les Allemands décidèrent alors d'agir directement sur le gouvernement français.

Deux jours plus tard, on apprenait que le gouvernement français prenait acte de ce que le gouvernement allemand désirait faire participer une société de recherches de pétrole allemande aux travaux de la Régie autonome des Pétroles. Le contrat liant ces deux compagnies serait valable pour la durée des hostilités. Le gouvernement français se voyait obligé de demander à la Régie autonome des Pétroles d'établir et de signer un tel contrat avec la Kontinental Oel.

Le Dr. HERRIGER, Directeur commercial de la Kontinental Oel, espérait cette fois réussir à s'implanter dans la Régie autonome des Pétroles. Sans doute, était-il un peu gêné par la netteté du texte qui semblait limiter l'objet et la durée du contrat. Mais il comptait bien dépasser le sens des mots, profiter de l'appui clairement exprimé du gouvernement allemand et extorquer un contrat commercial apparemment consenti en toute liberté. Il dut vite déchanter. Car de, son côté, ANGOT avait su lire le texte et apprécier l'avantage considérable qu'il pouvait en tirer. Il lui suffisait en effet de s'en tenir fermement au sens littéral des mots.

Plusieurs réunions eurent lieu; des notes furent échangées. Il était clair que la Régie ne céderait pas. Le 1er septembre, le Général MICHEL, chef du Département économique de l'administration militaire allemande en France, convoquait au Majestic les négociateurs français et allemands et les Ministres français des Finances et de la Production industrielle. Après que le Général MICHEL eut violemment pris ANGOT à partie, les Allemands signifièrent aux Ministres qu'ils entendaient ne plus avoir à négocier avec la Régie. Il fut entendu qu'il n'y aurait pas de contrat entre la Régie autonome des Pétroles et la Kontinental Oel, mais un contrat entre le gouvernement français et la Kontinental Oel. Celui-ci fut signé le 3 septembre. Il n'avait aucune valeur légale, les textes qui réglementent la Régie autonome des Pétroles n'accordant nullement aux Ministres le pouvoir de signer un accord commercial sans l'approbation du Conseil de la Régie autonome des Pétroles. ANGOT avait réussi à écarter une participation égale des Allemands dans les intérêts français.

Sans attendre la fin des pourparlers, la K.O. avait entrepris des recherches sur les futurs emplacements de forages. Le gouvernement allemand pressait ces travaux. Un sondage heureux pouvait en effet mettre à jour une forte production et celle-ci serait d'un utile appoint pour l'effort de guerre allemand. ANGOT estima également de son devoir de contrecarrer jusque dans le détail ces projets. Son attitude officielle l'avait pourtant déjà notoirement compromis. Une sagesse ordinaire eu conseillé de s'abstenir de heurter davantage les préventions allemandes. Il pensait quant à lui, qu'il n'y avait pas de mesure dans l'accomplissement du devoir. Il était de ces hommes qui estiment n'avoir rien fait tant qu'ils n'ont pas tout fait.

Un sondage Gensac I venait de déceler des indices de pétrole. ANGOT s'efforça de cacher la chose aux Allemands. Il multiplia les prétextes pour écarter la K.O. de cette région. Finalement, les Allemands eurent vent de la chose et s'attribuèrent ces locations. D'autres escarmouches du même genre mirent encore aux prises les deux adversaires. L'exécution du programme établi par les Allemands en fut sensiblement retardée. Leur projet initial était de commencer les forages au début du mois de juin 1943. En fait, ils attaquèrent le premier forage le 19 février 1944 ; ils avaient perdu neuf mois. Ils savaient fort bien à qui ils devaient, pour une bonne part, attribuer ce retard. Dès le 19 septembre 1943, ils avaient écrit une lettre pleine de colère et de menaces :

Monsieur,

Nous nous sommes aperçus ce jour, au cours d'une visite, que vous avez procédé à un commencement d'exécution de certains travaux au futur point de forage nommé Genzac n° 3.

Nous vous rappelons qu'à trois reprises différentes, les 6, 9 et 11 septembre 1943, nous vous avons informé ce que vous deviez connaître par vos informations personnelles, que le gouvernement français et le Militär Befehlshaber ont accordé d'un commun accord cette location à la firme soussignée.

Nous protestons contre votre occupation du terrain dénommé Genzac n° 3 et nous vous demandons de bien vouloir arrêter immédiatement les travaux commencés sur notre terrain de travail.

D'autre part, nous prenons d'autres mesures pour assurer la parfaite exécution des directions données par les autorités françaises et allemandes.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, nos salutations distinguées.

KONTIKENTAL OEL, Aktiengesellschaft,

Oelfeld Sud - Frankreich.

Pour qui savait lire entre les lignes des rapports allemands, le dernier paragraphe, celui qui annonçait d'autres mesures pour assurer la parfaite exécution des directions, était lourd de menaces. Les Allemands ne cachaient d'ailleurs pas leurs sentiments. Au cours d'un entretien avec un haut fonctionnaire français du Ministère de la Production industrielle, le Dr. JEHLE, vice-chef du département économique de l'Administration militaire allemande en France, s'était violemment élevé contre l'attitude de M. ANGOT, attitude qu'il qualifiait de freinage et de sabotage et il avait laissé entendre que les autorités allemande se verraient obligées de prendre des mesures de contrainte. Ce que signifiaient de telles mesures, ANGOT le savait : le 10 août 1943, alors que les pourparlers avec la K.O. traînaient en longueur, plusieurs hauts fonctionnaires du Ministère de la Production industrielle, dont le Directeur des Carburants, avaient été arrêtes et déportés en Allemagne. Cette mesure devait servir d'avertissement à ceux qui s'entêtaient à freiner et saboter l'effort de guerre allemand. ANGOT ne modifia en rien son attitude. Il se savait pourtant surveillé. Son bureau avait été perquisitionné. Il se doutait bien qu'une fiche à son nom se trouvait entre les mains de la Gestapo. Il risquait sans cesse d'être arrête. C'est avec un calme, fait de volonté, de foi et d'héroïque sens du devoir qu'il envisageait cette éventualité. Dans une note manuscrite, il résume ainsi, dans un style volontairement impersonnel, l'ensemble de cette affaire.

Discussions franco-allemandes au sujet des recherches françaises de pétrole.

Depuis les premiers jours de mai 1943, des négociations sont en cours au sujet des gisements hypothétiques de pétrole du Sud-Ouest. Le but officiel est l'accélération des travaux. Le moyen est l'aide de la Kontinental-Oel A.G.

Après une première phase de négociations gouvernementales, où M. BICHELONNE a employé comme expert M. ANGOT, Président de la Régie autonome des Pétroles, s'est ouvert une phase de négociations commerciales où M. ANGOT représente les intérêts de la Régie en face de la Kontinental.

M. ANGOT s'est efforcé, en cette qualité, de sauvegarder la propriété du patrimoine français détenu par la Régie, en défendant un thème de contrat de forage à l'entreprise où la liberté de détermination de la Régie demeurerait entière sous la seule réserve des dispositions gouvernementales. Ainsi les opérations indésirables que pourrait effectuer le partenaire allemand sous le couvert d'un diktat des Autorités allemandes - ou que la Régie serait contrainte d'opérer dans les mêmes conditions - se trouveraient dépouillées de toute portée juridique.

Les propositions allemandes tendent, au contraire, à introduire le diktat parmi les clauses contractuelles, et par là conduisent juridiquement à un régime de co-propriété de nos biens miniers, aggravé par une mise en tutelle de la Régie. Les conséquences durables pourraient être désastreuses quelle que soit la tournure des événements.

Pour peser sur les pourparlers, les Allemands affirment, en dehors des négociations, que les recherches françaises ont déjà porté leur fruit - alors que seules nos espérances sont importantes - et que l'absence de production d'huile est volontaire, et dirigée contre la puissance occupante.

Dans ces conditions, et en raison de son attitude, M. ANGOT s'attend à son arrestation.

Plusieurs de ses amis s'émurent de cette situation. L'un d'eux offrit à ANGOT le moyen de s'évader du pays et de continuer hors de France la lutte contre l'Allemand. ANGOT refusa. Il estimait de son devoir de sauvegarder jusqu'au bout, fut-ce au prix d'une arrestation et d'une déportation, les interêts qui lui étaient confiés : Il ne pouvait envisager, ni de céder à un autre le poste dangereux où le sort l'avait mis, ni d'exposer les siens à des représailles.

Cette arrestation, l'affaire de Saint-Marcet allait en être le prétexte. Cet incident se place le jour même du débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944. ANGOT se trouvait dans le train qui, de Paris, l'amenait à Toulouse. Quand le 8 juin, il parvint à destination, ce fut pour apprendre que, depuis 2 jours, les chantiers et l'usine de Saint-Marcet étaient occupés par les F.F.I. Il y avait à Saint-Marcet un puits qui fournissait du gaz en quantité industrielle. Une petite raffinerie extrayait de ce gaz de l'essence légère. Les F.F.I. comptaient trouver là une intéressante source d'approvisionnement. ANGOT savait que, parmi eux, se trouvait un grand nombre d'ouvriers et de cadres du chantier. Il savait aussi que si les Allemands étaient mis au courant de cette situation, ils réagiraient et enverraient d'importantes forces sur les lieux. Le maquis n'était pas armé pour résister à des troupes appuyées par des blindés. Il fallait donc s'évertuer à cacher la chose le plus longtemps possible aux Allemands.

Ces pensées étaient sages. Lorsque, quelques jours plus tard, les allemands enfin prévenus de la situation envoyèrent une colonne à Saint-Marcet, ils trouvèrent l'usine et les chantiers débonnairement gardés par des gendarmes français. Le maquis s'était volatilisé non sans avoir eu le temps d'emporter une abondante provision de gazoline. Les Allemands, une de plus, eurent l'impression d'être joués. Leur colère se reporta sur les dirigeants de la Régie autonome des Pétroles. ANGOT avait évité d'informer trop rapidement de cette affaire les services administratifs dont il dépendait. Ceux-ci, à leur tour, avaient mis la même mauvaise volonté à transmettre au Ministre. Un coup de téléphone colérique de l'hôtel Majectic avertit le Ministre que le Commandement allemand ne pouvait admettre que le maquis fut ainsi officiellement protégé. Le soir même on arrêtait Pierre ANGOT.

Désormais, après une vie de travail et de dévouement, un calvaire de souffrances allait commencer.

C'est a Fresnes qu'il passa les premières semaines de captivité. Pendant que jour après jour, les mois de juin et juillet s'écoulaient et que les troupes libératrices se rapprochaient de plus en plus de la capitale, ANGOT attendait dans sa cellule les décisions des geôliers. De nombreuses démarches avaient été faites auprès des autorités allemandes pour obtenir sa libération. Les allemands reconnurent que l'affaire de Saint Marcet ne justifiait pas une sanction aussi sévère. Ils refusèrent cependant de libérer ANGOT. Les motifs de HERRIGER étaient clairs : les dirigeants de la Kontinental Oel n'avaient pas pardonné à ANGOT son opposition à leurs exigences.

Le 15 août, quelques jours avant la libération de Paris, il fut mis en route sur l'Allemagne. C'était un des derniers convois. Les hommes étaient entassés à 70 ou 80 par wagon. Cinq jours durant ils vécurent ainsi serrés, exaspérés par les piétinements, la chaleur, la faim et la soif. Un témoin rapporte que dans cette cohue affolante, ANGOT gardait un calme et dignité apparemment surhumaine. Cette dignité dans l'épreuve devait être son attitude constante. Elle était le fruit d'un dur effort de volonté car, par nature, il était doué d'une sensibilité prompte à s'émouvoir. Au delà du monde sensible, c'est dans son intense vie intérieure et dans sa foi qu'il puisait cette sérénité.

Le convoi finit par arriver à destination: Buchenwald. ANGOT fut, comme les autres détenus, déshabillé, rasé, douché. On leur remit des vêtements qui avaient déjà été portés par d'autres prisonniers. Rien ne devait leur rester qui put leur rappeler leur personnalité.

Ils furent d'abord mis en quarantaine médicale, subissant de nombreuses piqûres sans jamais savoir de quelle nature elles étaient. Les conditions matérielles étaient des plus primitives. Ils étaient nu-pieds, sans couverture, sans paillasse, et souvent obligés de coucher en plein air. L'inaction à laquelle ils étaient acculés permettait au moins de longues conversations. " ANGOT, rapporte un témoin échappé de cet enfer, était trop intelligent et trop perspicace pour ne pas réaliser pleinement quel handicap représentait pour lui sa faible santé dans une telle épreuve. Non point qu'il fut malade à cette époque, mais il prévoyait d'avance que les rudes travaux manuels auxquels il serait contraint, dépasseraient la limite de ses forces et que les conditions climatiques, le froid, la pluie et l'humidité, seraient sans cesse un danger pour ses bronches si sensibles. Il parlait de tout cela en toute simplicité, acceptant d'avance ces épreuves avec sa résignation si chrétienne, sa foi profonde, son courage si calme. "

Ces appréhensions étaient justifiées. Vers la fin de septembre, ANGOT recevait le classique costume rayé des détenus et passait dans les blocs d'où s'effectuaient les départs pour le travail. Au début du mois d'octobre, il partait avec cinq autres détenus. Leur bagage individuel consistait en une gamelle, une cuillère, une fourchette et un morceau de savon. Aux pieds, il portait des claquettes en bois, car il n'avait toujours pas reçu de chaussures.

Après une journée de voyage, les prisonniers débarquaient à Balberg. De là, ils se rendirent à pied sur les lieux de leur travail : la mine de Plömnitz.

Ils eurent tout loisir de contempler ce paysage désolé. Aucune installation n'était prévue pour eux. Ils devaient commencer par construire les baraquements du camp. Dès le lendemain matin, ils furent mis à l'ouvrage : à coups de pelle et de pioche, ils entreprirent de creuser des fondations, trois semaines durant, ils furent ainsi successivement terrassiers, menuisiers, charpentiers et couvreurs. Fin octobre, ANGOT et ses compagnons purent enfin emménager.

Le nombre des prisonniers avait considérablement augmenté, il y avait des Polonais, des Russes, des Italiens, des Yougoslaves, des Slovènes et des Français. Ils étaient tous entassés dans les baraques. Les lits étaient à trois étages. Il n'y avait ni banc ni table. Pour manger la soupe, on allait dans un réfectoire.

Les rations étaient nettement inférieures à celles de Buchenwald et le travail beaucoup plus pénible. Dès 3 heures 1/2 du matin les prisonniers étaient debout. Ils partaient à la mine et se trouvaient à pied-d'oeuvre vers 5 heures. A 9 heures, une courte pause interrompait le travail. Vers 12 h 30, ils disposaient d'un maigre répit pour avaler une soupe bien souvent inconsistante, puis le travail reprenait et durait jusque vers 18 h. Ils étaient constamment surveillés par les SS de garde; au moindre relâchement, ceux-ci matraquaient les défaillants à coups de manche de pelle ou de crosse de fusil.

ANGOT qui, à son arrivée à Plömnitz était encore relativement solide, faiblit rapidement à ce régime. Il se sentait de plus en plus fatigué, souffrait beaucoup des pieds, car les chaussures qu'il avait fini par obtenir et qu'il portait sans chaussettes lui avaient cruellement blessé les pieds et provoqué des plaies qui ne se fermaient plus. Enfin, la vermine dans laquelle il fallait vivre lui était extrêmement pénible.

Dans cette vie de forçat, où les hommes à l'esprit le plus ferme étaient lentement minés, anéantis et ravalés au rang de bête, AMGOT sut garder toute la maîtrise de lui-même. C'est un autre de ses camarades de détention qui note ce trait : " ANGOT était un des rares hommes qui, dans cet enfer, avait réussi à conserver toute sa dignité d'homme policé et à rester lui-même. "

Mais le travail au fond de la mine à 480 m de profondeur dans une chaleur épouvantable, un air sec, mal ventilé, sapait sourdement sa santé Il s'épuisait à manier la pelle et à pousser des wagonnets. Les plaies de ses pieds, loin de se fermer s'aggravaient sans cesse. Par moment, il ne pouvait plus marcher et ses camarades devaient le porter. Il refusait cependant d'entrer à l'infirmerie du camp. On y était admis, non pour guérir, mais pour mourir.

Malgré son énergie, malgré sa foi, ANGOT dépérissait à vue d'oeil. Il avait terriblement maigri et pesait à peine 42 kg. Dans les premiers jours de janvier 1945, il acquit la certitude qu'il ne résisterait pas, qu'il aurait le sort des nombreux camarades qui, chaque jour, mouraient d'épuisement. Sa pensée se reporta alors de façon plus pressante et plus exclusive vers sa famille. Il s'inquiétait du sort de ceux qu'il allait laisser derrière lui : sa femme et ses cinq enfants. Sa foi profonde et silencieuse lui inspira la force et la confiance pour affronter ces dernières épreuves. Il parlait très peu. La faim et la faiblesse lui interdisaient d'ailleurs tout effort prolongé.

C'est peut-être le trait le plus émouvant de ses dernières semâmes que cette réserve simple et grande avec laquelle il gardait jalousement ses dernières forces pour maintenir ardente une dernière flamme de vie intérieure.

Fin janvier, une pleurésie le terrassa. Ses camarades durent le ramener de son travail. Il fut porté à l'infirmerie. Il paraissait à bout de forces. Cependant, son étonnante volonté refusait encore le verdict du corps. La pensée des siens était pour lui un stimulant surhumain. Le mal décrut. Mais sa résistance physique était complètement épuisée. La dysenterie fit son apparition. Sa faiblesse devint extrême. Il perdit progressivement connaissance. Doucement, silencieusement, il glissait dans la mort. Le 6 février, il n'y avait plus en lui trace de vie.

Son corps complètement déshabillé fut sorti de l'infirmerie, étendu sur la terre derrière le baraquement avec trois ou quatre autres cadavres. Une corvée l'emmena au cimetière de Leau.

Quand les Américains, quelques mois plus tard, occupèrent cette région, ils obligèrent les habitants à déterrer de leurs propres mains les cadavres des détenus et à les enterrer au cimetière de Präzlitz. C'est là que repose à présent Pierre ANGOT.

Les commentaires les plus élogieux ne sont jamais à la mesure des sacrifices qu'ils voudraient exalter. Il faut cependant noter ici les témoignages qui consacrèrent la vie et la mort de Pierre ANGOT.

Dès le 25 septembre 1944, le Comité de Libération de la Régie autonome pétroles votait la motion suivante :

Considérant que M. ANGOT a mis tout en oeuvre pour empêcher d'abord la signature du contrat de travail entre l'État français et la Kontinental-Oel A.G. et retarder ensuite l'exécution du travail tel qu'il était prévu dans le contrat signé à Paris en septembre 1943 par le Ministre des Finances et le Ministre de la Production industrielle;

Considérant que M. ANGOT, par suite de son opposition continuelle aux exigences allemandes, a été incarcéré à Fresnes en juin dernier;

Considérant que sa courageuse attitude l'a conduit à Allemagne;

Le Comité de Libération, lui renouvelant sa confiance totale, formule ses vœux, pour son prochain retour.

Ces voeux ne devaient hélas pas se réaliser. Quand la nouvelle de la mort de Pierre ANGOT fut connue, les témoignages de condoléances affluèrent de toutes parts. Le Syndicat de la C.G.T. de la Société nationale des Pétroles d'Aquitaine, dans une lettre adressée à Mme ANGOT, rappelait la droiture et la justice si compréhensive de l'ancien Président-Directeur général. Le 11 octobre 1946, enfin, le Gouvernement citait Pierre ANGOT à l'ordre de la Nation en lui attribuant la croix de la Légion d'Honneur, dans les termes suivants :

Pierre ANGOT, Ingénieur en chef des Mines, détaché à la Régie autonome des Pétroles, a donné une vive impulsion aux recherches de pétrole entreprises dans la région de l'Aquitaine par la Régie autonome des Pétroles. Ardent patriote, animé du plus admirable esprit de la Résistance, a toujours déployé une grande activité pour soustraire cet organisme au contrôle de l'ennemi. Arrêté et déporté en Allemagne, est mort d'épuisement dans mine de sel de la région de Weimar.

Combien plus précieux et plus touchants étaient les témoignages de tous ceux qui l'avaient connu de près. Qu'ils aient approché l'Ingénieur, le Directeur général ou le déporté, tous avaient pressenti en Pierre ANGOT un homme d'une qualité d'âme exceptionnelle. Doué comme il l'était, il eut pu en toute justice, aspirer aux plus hautes ambitions. Mais la gloire vaine, les titres et les honneurs ne l'intéressaient guère. Il était trop intelligent pour y croire. Il était trop modeste pour les aimer. Sa profonde vie intérieure l'avait habitué à juger les hommes et les choses sous un aspect à la fois plus simple et plus complet. C'est à cette même lumière qu'il faudrait, pour être vrai, tenter de tracer son portrait. La complexité et la richesse de ses dons paraîtraient alors jaillir en son âme, d'une profondeur que n'atteignent plus les regards humains. ANGOT était plus qu'un croyant. Sa vie, comme sa mort, porte la marque de cette sublime aisance dans l'héroïsme qui est l'apanage des mystiques. Devant un témoignage, dont la grandeur et la simplicité dépassent tellement et nos éloges et notre admiration, nous ne pouvons que nous incliner.


Pierre Angot, élève à l'Ecole des mines


Edouard Marie Emile François Angot (1899-1969 ; X 1918), frère de Pierre, élève de Polytechnique
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