Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1924 ; entré 17eme, sorti 3eme, le major de sortie était Georges Parisot), et de l'Ecole des mines de Paris. Corps des mines.
Publié dans La Jaune et la Rouge, avril 1999.
Henri Malcor nous a quittés le 13 novembre 1998. Né en 1906 à Madagascar où ses parents ont séjourné quelques années, il fit ses études à Marseille jusqu'en 1924 date de son entrée à l'École polytechnique dont il sortit dans le corps des Mines en même temps que Louis Armand avec lequel il avait noué des liens de très grande amitié. À sa sortie de l'École des Mines il fut nommé au Service des Mines de Caen où il est resté dix-huit mois. [Henri Malcor a retracé la carrière de Louis Armand dans l'ouvrage Louis Armand, quarante ans au service des hommes, Assoc. des amis de Louis Armand, présidée par Henri Malcor, Lavauzelle, 1986, 172 p.].
Dès 1931 il " pantoufla " à la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et Homécourt (dont le nom a été modifié à plusieurs reprises, au fur et à mesure des fusions auxquelles elle a participé) dans laquelle il a effectué toute sa carrière industrielle.
À cette époque " Marine-Homécourt" exploitait d'une part directement un certain nombre d'usines, implantées essentiellement en Lorraine (Homécourt) et dans la Loire (Saint-Chamond, Onzion et Assailly), d'autre part avait dans la sidérurgie et les mines de fer des participations communes avec "Pont-à-Mousson" et "Micheville" en Lorraine (Rombas), au Luxembourg (Differdange) et en Sarre (Dilling), enfin contrôlait un certain nombre de filiales productrices d'acier, soit en amont, soit en aval.
Henri Malcor passa ses premières années dans "Marine-Homécourt", d'abord à Homécourt puis dans la Loire à Saint-Chamond et Assailly comme ingénieur d'exploitation et en partie au laboratoire. Il en garda une expérience technique assez exceptionnelle parmi ses pairs. Puis il vint à Paris en 1937 où il dirigea un certain nombre de filiales [après la mort subite de deux dirigeants].
Mobilisé fin août 1939 comme instructeur à l'École d'application d'artillerie de Fontainebleau, il est appelé dès le 15 septembre au Cabinet du ministre de l'Armement, Raoul Dautry, qui le chargea de s'occuper des aciers spéciaux et décida en avril 1940 de l'envoyer aux États-Unis pour négocier l'achat de ces produits. Henri Malcor s'embarqua le 18 mai pour New York où se trouvaient les missions d'achat française et anglaise. Au cours de ses contacts avec les industriels américains il eut l'occasion de leur apprendre à fabriquer des blindages moulés. Revenu en France, où se trouvaient sa femme et ses quatre jeunes enfants, en octobre, il fut chargé de gérer une filiale située dans la région parisienne, Saint-Chamond-Granat, la coupure de la France en différentes zones lui interdisant d'aller à Homécourt et compliquant les contacts avec les usines de la Loire.
Pendant cette période, il eut par ailleurs à plusieurs reprises l'occasion d'aller en Hollande et en Allemagne, en particulier dans la région d'Aix-la-Chapelle où " Marine-Homécourt " possédait une mine de charbon. Ces voyages lui permirent de recueillir diverses informations, en particulier en 1941 sur les préparatifs d'une attaque en Russie. Il put ainsi transmettre des renseignements à la Résistance par son beau-frère et par Louis Armand.
Par ailleurs, le Comité d'organisation de la sidérurgie se préoccupait de la préparation de l'avenir de cette industrie et son président Jules Aubrun fit nommer Henri Malcor président du Centre de documentation sidérurgique en 1943 puis le chargea de prendre la présidence du Centre de recherche qui devint l'IRSID (Institut de recherche de la sidérurgie). Lorsque Louis Armand, qui dirigeait la Résistance-Fer, fut arrêté fin juin 44, Henri Malcor consacra l'essentiel de son temps à aider la famille de celui-ci et à obtenir le maximum d'information sur son sort jusqu'à sa libération le 18 août.
Après la guerre, l'influence d'Henri Malcor sur le plan professionnel s'exerça essentiellement dans les deux directions suivantes :
1) la recherche à caractère collectif c'est-à-dire l'IRSID ; il créa le laboratoire de Saint-Germain-en-Laye, puis la station d'essais de Maizières-les-Metz, assura le recrutement de cet organisme et les liens contractuels avec des laboratoires universitaires. Le développement des agglomérations de minerais, la dimension des hauts-fourneaux et l'utilisation de la coulée continue étaient ses principaux objectifs ;
2) les regroupements et les rationalisations des entreprises sidérurgiques ; Henri Malcor a été membre de la Commission de la modernisation de la sidérurgie dès le 1er Plan Monnet. Il était persuadé de la nécessité d'une part de grouper, pour les moderniser, les usines qui avaient beaucoup souffert depuis une quinzaine d'années de la crise économique puis de la guerre et de l'occupation, et d'autre part de construire en France des grands ensembles modernes tels qu'ils existaient aux États-Unis, notamment des trains continus à bandes. C'est ainsi qu'il joua un rôle essentiel dans la création en 1949 de Sollac dont les laminoirs étaient destinés à remplacer les installations productrices de tôles minces et de fer blanc des usines lorraines et de Dilling, puis dans celle de Sidélor, constituée en 1950 autour des Aciéries de Rombas auxquelles " Marine-Homécourt ", " Micheville " et "Pont-à-Mousson" apportèrent leurs usines sidérurgiques de Lorraine ainsi que les mines de fer qui y étaient liées.
Lorsqu'en 1952 Léon Daum fut nommé représentant de la France à la haute autorité de la CECA, Henri Malcor lui succéda à la direction générale de " Marine-Homécourt " dont le président était alors Théodore Laurent. Cette même année vit l'absorption des Aciéries de Saint-Étienne par " Marine-Homécourt ", première étape du regroupement des usines de la Loire.
Dès l'année suivante furent engagées les négociations relatives à la constitution de la Compagnie des ateliers et forges de la Loire (CAFL) qui aboutit à l'absorption au 1er janvier 1954 par les Établissements Jacob-Holtzer (Unieux) de toutes les usines de " Marine-Saint-Étienne " (nom qui résultait de la fusion de 1952) et de l'usine de Firminy (apportée par les Aciéries de Firminy). Henri Malcor fut nommé président de CAFL dont " Marine-Saint-Étienne " était le principal actionnaire.
Dans un second temps, en 1960, les Aciéries de Firminy apportèrent à CAFL leurs deux autres usines, les Dunes à proximité de Dunkerque et Saint-Chély-d'Apcher en Lozère, et simultanément fusionnèrent avec " Marine-Saint-Étienne " qui devint ainsi " Marine-Firminy " dont Henri Malcor prit la présidence.
Dans l'intervalle, en 1958, Henri Malcor avait été nommé président du Conseil de surveillance de Dilling, société dans laquelle il intervenait déjà très directement depuis plusieurs années et qu'il marqua fortement de son empreinte. Cette nomination intervint au moment de l'introduction dans cette société de la cogestion, à la suite du rattachement de la Sarre à la République fédérale d'Allemagne.
Les années 1960, très difficiles dans l'ensemble pour la sidérurgie, virent successivement des rationalisations dans les produits longs en Lorraine avec la création de l'usine de Gandrange (Sacilor) et la fusion Wendel-Sidélor en 1967.
Enfin en 1970, pour des raisons financières et sous la pression du gouvernement, Henri Malcor, sans enthousiasme, eu égard aux avatars franco-belges du groupe Schneider, réalisa la fusion de CAFL et de la SFAC dans Creusot-Loire dont il fut le premier président.
Henri Malcor quitta la présidence de " Marine-Firminy " et de Creusot-Loire en 1972, et celle du Conseil de surveillance de Dilling en 1976.
Ses dernières années furent attristées par plusieurs deuils familiaux dont le décès de son épouse survenu en 1995.
Henri Malcor frappait ses interlocuteurs par sa simplicité, sa modestie, sa capacité d'écoute de ceux qui venaient lui demander conseil, sa discrétion, son désintéressement, son souci de l'intérêt général, et sa grande clairvoyance.
Servi par une excellente mémoire, une forte capacité de travail et une grande rapidité d'analyse et de décision, il savait saisir les occasions qui se présentaient, sans aucun à priori, pour faire avancer les problèmes qu'il voulait résoudre.
Enfin, très cultivé, il lisait beaucoup, surtout depuis qu'il avait quitté la vie professionnelle active et s'intéressait particulièrement à l'Histoire.
C'est le souvenir que conservent de lui tous ceux qui, à titres divers, ont eu la chance de travailler auprès de lui.
D'après Henri Malcor, un héritier des Maitres des forges, par P. Mioche et J. Roux, Editions du CNRS, 1988 :
Qui est Henri Malcor ? Comment est-il devenu PDG ? Sa carrière comporte sa dose commune d'éléments nécessaires et d'événements contingents.
Pour quelques points d'avance sur celui qui le suit, il entre dans le corps des Mines. Après avoir passé six ans en province dans les usines de la Compagnie de la Marine où il s'est fait embaucher en 1931, il est nommé ingénieur en chef au siège social à Paris car un double décès laisse une place à remplir. Après sa démobilisation en 1940, on le charge de la direction de l'usine de Courbevoie des Etablissements Saint-Chamond-Granat, filiale de Marine, rendue vacante par l'application des lois anti-juives (M. Granat, dirigeant de Saint-Chamond-Granat, était juif et dût se réfugier dans son chateau en province jusqu'à la fin de la guerre). Pendant cette période, il contribue à assurer la protection de Louis Armand et des siens ; celui-ci est un des animateurs de la résistance ferrovaire.
Prolongeant l'oeuvre de Jean Rist - qui est tué par les Allemands en 1944 - il devient, en 1946, le premier président et le promoteur de l'IRSID : il occupe de ce fait un rôle important dans l'histoire des mutations techniques de la sidérurgie française. En 1952, Léon Daum, numéro deux de Marine, qui a longtemps attendu le départ en retraite de l'inépuisable Théodore Laurent, accepte le poste de membre de la Haute Autorité de la CECA. En 1953 la mort de Théodore Laurent coïncide avec la création de CAFL. A quarante-six ans, Henri Malcor devient directeur général et numéro deux de Marine, premier président de CAFL.
En 1960, l'entrée inopinée de l'établissement des Dunes dans le patrimoine de CAFL provoque une nouvelle distribution des rôles. Marcel Macaux, ex-dirigeant des Aciéries de Firminy, devient président de CAFL, Henri Malcor prend simultanément la présidence de Marine. Ce nouvel équilibre ne dure que six ans. Il est interrompu par le décès brutal de Marcel Macaux à cinquante-neuf ans. Voici Henri Malcor président de CAFL et de Marine, concentrant dans ses mains tous les pouvoirs du groupe au moment où s'amorcent les discussions avec Schneider. Discussions qui débouchent sur la constitution de Creusot-Loire dont Henri Malcor assure la présidence pendant deux années, car il prend sa retraite en 1972, à soixante-six ans.
Cette énumération permet de souligner le poids du hasard. Hasard qui se traduit par la façon largement improvisée dont se règlent les problèmes de succession dans Marine. Jusqu'en 1950-1951, Henri Malcor n'est pas tenu au courant de tous les dossiers. Psychologiquement, il s'apprêtait à recueillir la direction générale du groupe, mais pas la présidence.
Son sentiment national trouve son expression dans ses sympathies à l'égard du gaullisme. Il approuve la construction européenne mais il considère que la France doit disposer d'un recours face au protectionnisme insidieux des pays concurrents. CAFL n'est pas devenue une entreprise internationale comme Pont-à-Mousson. CAFL, avec ses 13 600 salariés et ses 7 usines en 1953, lui paraît être à la bonne échelle. Creusot-Loire, ses 28 usines et ses 42 000 salariés en 1970, lui semble, dès ses débuts, d'un gigantisme démesuré. Henri Malcor n'adhère pas à l'idéologie du grand groupe de taille internationale qui était en vogue à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix.
Très classiquement - pour un industriel -, il n'apprécie guère la formation de l'Ecole Nationale d'Administration. Le regard qu'il porte sur le personnel politique est fait de scepticisme : fondamentalement, l'homme politique est dominé par les contraintes du court terme et les échéances électorales. Le jugement vaut, en dépit de ses sympathies politiques, autant pour la Cinquième République que pour la Quatrième. Inversement, des hommes politiques d'opinions et d'époques différentes bénéficient de son indulgence ; c'est le cas du socialiste Robert Lacoste, de Michel Debré et surtout d'Antoine Pinay. Les remarques qu'il fait sur les ministres communistes de la Libération et sur ses interlocuteurs syndicalistes communistes sont inattendues de la part d'un grand patron : ils ont le sens de l'avenir et ils respectent l'outil de travail.
La politique n'est pas son métier. Il n'est en rien comparable à François de Wendel ou à Roger Martin. Henri Malcor a été un des acteurs de la planification française. Il siège dans la Commission de la sidérurgie du Plan Monnet en 1946 et il demeure présent dans les commissions des quatre premiers Plans jusqu'en 1965. Il n'est pas associé au cinquième Plan lorsque s'affirme l'objectif général de constituer des grands groupes de taille internationale. La position de Henri Malcor face à l'Etat peut être définie par un triptyque : hostilité générale de principe ; pragmatisme dans l'action, en particulier au sujet du financement ; collaboration active dans le cas de la planification.
En 1968, Henri Malcor fut "éliminé" du conseil de perfectionnement de l'Ecole des mines de Paris, ce qui lui laissa un vif ressentiment.