Fils de Pierre Marc Benjamin TAUZIN, docteur en médecine, et de Jeanne Louise CAPONNEL. Catholique. Marié à Marguerite MARSAUT, fille de Jean-Baptiste MARSAUT et soeur de Cécile MARSAUT qui épousa Frédéric NICOLAS (1860-1929 ; X 1879, un beau-frère de Henry LE CHATELIER).
Père de Pierre TAUZIN, mort sur le front de bataille brancardier en Lorraine en 1914, cité à l'ordre de l'armée.
Père de Georges TAUZIN, classe 1915, qui franchit tous les grades jusqu'à devenir sous-lieutenant au 118e d'infanterie en 1918, lorsqu'il meurt pour la France.
Polytechnique (promotion 1874, entré classé 117 et sorti classé 3 sur 252 élèves), Ecole des Mines de Paris (entré classé 3 sur 3 élèves, sorti classé 2). Corps des mines.
Professeur à l'Ecole des mines de Saint-Etienne à l'âge de 27 ans, il occupe est brièvement directeur adjoint en 1891 puis, après un passage à Rodez comme ingénieur en chef des mines, devient directeur de l'Ecole des mines de Saint-Etienne en 1896. Il conservera cette fonction jusqu'en 1907, quand il sera élevé au grade d'Ingénieur général des mines. Il eut l'honneur, en mai 1898, de recevoir à Chantegrillet le Président de la République Félix Faure. Il fut également Président de la Société de l'industrie minérale de 1898 jusqu'à sa mort en 1921. Il fut nommé inspecteur général des mines en 1906 et vice-président du CGM en décembre 1915.
Publié dans Annales des Mines, 1921 (11e série tome 12).
I. - DISCOURS DE M. DOUGADOS,
Inspecteur général des Mines,
AU NOM DU CONSEIL GÉNÉRAL DES MINES.
C'est avec une profonde douleur que le Conseil général des Mines a reçu la fatale nouvelle de la mort de M. l'Inspecteur général Tauzin, qui présidait ses séances il y a quelques jours à peine. Le Corps des Mines tout entier, quand il apprendra cette disparition si soudaine de celui qui était hier à sa tête, partagera la même émotion.
Sorti de l'École polytechnique en 1876, Louis Tauzin avait choisi la carrière des mines. En 1880, il quittait l'École des Mines de Paris pour aller occuper le poste d'ingénieur des Mines à Privas. Mais il ne fit là qu'un court séjour et il fut appelé, au bout de peu de temps, dans cette ville de Saint-Étienne où il devait passer la plus grande partie de sa carrière. D'abord professeur à l'École des Mines, plus tard chargé en outre d'un sous-arrondissement du service ordinaire des mines, il montra de bonne heure les plus solides qualités de jugement et d'activité et des aptitudes administratives qui attirèrent bientôt sur lui l'attention de ses chefs. Fait chevalier de la Légion d'honneur en 1891, il devait être, l'année suivante, chargé des fonctions d'ingénieur en chef à Rodez. Dans les derniers mois de son séjour à Saint-Étienne survenait la terrible explosion du puits de la Manufacture. Le courage et le dévouement dont il fit preuve dans cette circonstance lui valurent une citation à l'ordre du Corps des Mines, prononcée par décision présidentielle.
L'administration, qui avait apprécié toutes ses qualités dans le bassin houiller de la Loire, lui avait confié la direction de ce bassin houiller de l'Aveyron où les difficultés d'exploitation, pour être différentes, ne sont pas moindres. Mais, dès que le poste d'ingénieur en chef à Saint-Étienne devint vacant en 1896, l'administration rappela dans ce bassin comme ingénieur en chef celui qui y avait si bien fait ses preuves comme ingénieur ordinaire. En même temps, et en sus du service ordinaire des mines, l'administration confiait à M. l'Ingénieur en chef Tauzin la direction de l'École des Mines, qu'il connaissait si bien pour y avoir si longtemps professé.
Il devait conserver ces fonctions durant dix années, pendant lesquelles son autorité ne fit que grandir. Il fut, bientôt élevé à la Présidence de cette grande Société de l'Industrie minérale dont Saint-Étienne fut le berceau et qui groupe aujourd'hui tous les représentants de l'industrie française des Mines. Le développement de l'École des Mines de Saint-Étienne, le développement de la Société de l'Industrie Minérale furent dès lors au premier rang de ses préoccupations et l'on sait avec quel succès il poursuivit cette double tâche.
Appelé en 1906 à siéger, comme inspecteur général, au Conseil général des Mines, il y apportait la haute valeur d'une expérience acquise dans la pratique des difficiles questions qu'il avait eu à traiter dans la direction des grands bassins houillers de la Loire, du Tarn et de l'Aveyron. Après la mort de M. l'Inspecteur général Zeiller, survenue au cours de la guerre, il lui succéda à la présidence de cette Assemblée. Il était en même temps président du Conseil d'administration de la Caisse Nationale autonome des retraites des ouvriers mineurs. Plus récemment, il recevait la croix de Commandeur de la Légion d'honneur.
D'une extrême bienveillance dans toutes les questions de personnel, ayant toujours le souci de sauvegarder les intérêts des ouvriers sans leur sacrifier ceux de l'industrie minière, traitant toutes les affaires dans le plus parfait esprit de juste mesure et de conciliation, il paraissait fait mieux que personne pour les hautes fonctions dont il avait la charge.
On pouvait penser qu'il les remplirait encore pendant plusieurs années, jusqu'au moment où viendrait pour le fonctionnaire l'heure de la retraite. Durement éprouvé pendant la guerre par la perte de deux de ses fils tués à l'ennemi, il avait supporté ce double malheur avec un courage et une fermeté admirables. Sa santé, qui avait été un moment chancelante il y a quelques années, s'était raffermie grâce aux soins dévoués qui l'entouraient. Sa famille, ses amis pouvaient espérer le conserver longtemps encore.
Une mort imprévue a tranché ces espérances et nous venons aujourd'hui dire un dernier adieu à M. l'Inspecteur général Tauzin. Il laisse à tous ceux qui l'ont connu le souvenir d'une carrière et d'une vie qui ont été conduites tout entières par le plus haut sentiment du devoir.
Puisse l'unanimité de nos regrets et de nos sympathies adoucir la douleur d'une famille si cruellement frappée, à qui le Conseil général des Mines apporte ici par ma voix l'hommage de son respect.
II. - DISCOURS DE M. CHIPART,
Ingénieur en chef des Mines, Directeur de l'École Nationale des Mines de Saint-Etienne,
AU NOM DE CETTE ÉCOLE.
MESSIEURS,
Nous sommes encore plongés dans la stupeur de cette heure tragique. Tandis que s'achevaient les fêtes du centenaire, que s'éteignaient les échos des derniers discours et que s'évoquaient les hauts faits de tant de jeunes héros, la mort devait ajouter un nom nouveau à la liste funèbre.
Et ce nom, c'est celui de l'homme dont près de la moitié de l'existence a été consacrée à la prospérité de notre École des Mines, de l'ingénieur éminent qui, parvenu aux plus hautes fonctions administratives, est demeuré si attaché à l'École de Saint-Étienne que son coeur s'est brisé au choc des souvenirs et sous le fardeau de tant de commune gloire.
Dans ce domaine de Chantegrillet où, successivement professeur et directeur de l'École des Mines de Saint-Étienne il avait, pendant vingt-deux années, donné la mesure de ce que peut, pour la formation des intelligences et des caractères, la science la plus désintéressée unie à la bonté la plus paternelle; au jour même où, célébrant son centenaire, l'École proclamait tout ce qu'elle doit à un tel maître, M. l'Inspecteur général des Mines Tauzin est venu mourir.
Né en 1855, issu d'une ancienne et honorable famille de Damazan, dans le Lot-et-Garonne, il acheva à Paris de solides et brillantes études qui laissaient prévoir son avenir.
Reçu à l'école polytechnique en 1874, élève-ingénieur des mines en 1876, il était nommé ingénieur de 3e classe en 1880 et affecté au sous-arrondissement de Privas.
Deux ans plus tard, tout en conservant l'intérim de Privas, M. Tauzin était nommé à l'École des Mines de Saint-Étienne où il professa pendant onze ans les cours de Machines, Constructions, Chemins de fer, Législation des Mines.
De 1890 à 1892, il joignit à ses fonctions de professeur celles d'ingénieur du sous-arrondissement de Saint-Étienne-Est.
L'habileté et le dévouement dont il fit preuve lors de l'accident survenu en 1891 au puits de la Manufacture lui valut d'être cité à l'ordre du Corps National des Mines en même temps que MM. de Castelnau et Coste. Cette même année, il avait été promu chevalier de la Légion d'Honneur.
C'est pendant ce premier séjour à Saint-Étienne qu'il rencontra dans la fille de M. Marsaut, l'éminent directeur de la Compagnie des houillères de Bessèges, la compagne dévouée dont l'affection éclairée devait embellir son existence, et l'aida plus tard à supporter les souffrances physiques ainsi que les deuils cruels qui devaient assombrir les dernières années de sa vie.
Il quitta Saint-Étienne en 1892, nommé ingénieur en chef d'abord à Rodez puis à Toulouse; il revint à Saint-Étienne en 1896 pour recueillir la double succession de M. de Castelnau à la direction de l'École des Mines et à l'arrondissement minéralogique de Saint-Étienne. Il devait y demeurer jusqu'en 1907, quelques mois après sa nomination au grade d'Inspecteur général.
Chargé successivement de la division du Centre et de celle du Sud-Ouest, il fut nommé en décembre 1915 vice-président du conseil général des Mines. Depuis quelques années déjà il était président de la Caisse autonome des mineurs. Les honneurs continuaient à récompenser une carrière si bien remplie : à la promotion de chevalier, avait succédé en 1909 celle d'officier, puis en janvier 1919, celle de Commandeur dans l'ordre National de la Légion d'Honneur.
Atteint par la maladie depuis plusieurs années, il lui fallait un courage sans égal pour supporter sans plaintes toutes les fatigues de ses multiples fonctions. Président de la Société de l'Industrie minérale depuis 1898, ayant accepté avec un inlassable dévouement d'assumer encore cette charge sans cesse renouvelée, il se faisait un devoir de se rendre chaque année à Saint-Étienne pour y présider l'assemblée générale.
Malgré les avertissements de son mal, il tint à venir donner une fois de plus un regard attendri à sa vieille école de Chantegrillet, et assister à ce centenaire qui représentait pour lui rassemblé en un jour tant de souvenirs, le meilleur de son existence.
Et c'est dans son ancienne demeure que, malgré les soins les plus empressés, il rendait le dernier soupir le dimanche 8 mai, vers deux heures du matin, assisté à ses derniers moments par un de ses anciens élèves, M. l'abbé de Saizeray.
MESSIEURS,
La carrière que nous venons de retracer est un bel exemple de continuité harmonieuse et calme d'une vie de devoir. Une ascension constante a mené le jeune ingénieur à travers tous les postes jusqu'à la fonction la plus haute dans le corps National des Mines.
Le sens du devoir, des grandes responsabilités professionnelles attachées à la fonction a été, peut-on dire, la caractéristique dominante de cette carrière si bien remplie. Rien qui cherche l'éclat; seul, le modeste, patient, formidable labeur qui accumule les préoccupations administratives du directeur, les tournées et les rapports de l'ingénieur en chef d'un arrondissement minéralogique.
Pour une tâche qui eût suffi à l'activité de plusieurs, M. Tauzin seul suffisait.
Devoir, abnégation, désintéressement, sacrifices, toutes ces austères vertus s'incarnent en sa personne !
Ce n'est pourtant pas encore là que se trouve la cause de ces ovations, de cette affection filiale que tous ses anciens élèves lui témoignèrent. Une vertu rayonne de lui, illumine son sourire. Sa bonté !
Comme professeur il s'attache à chacun d'eux pour mettre sa science à la mesure de leurs facultés ; plus tard comme directeur il étudie leurs aptitudes, il intervient sans cesse pour assurer leur avenir ; il les suit dans leurs carrières, n'épargnant ni ses conseils ni son appui.
Ce n'est pas seulement un maître qu'aujourd'hui pleurent tous ceux qui l'ont connu, qui l'ont approché, qui ont pu apprécier les qualités éminentes et délicates de ce grand caractère; c'est un ami; tous nous nous inclinons vers sa tombe avec respect, avec vénération.
La mort inopinée de M. l'Inspecteur général des Mines Tauzin en ces glorieuses fêtes du centenaire leur ajoute une beauté tragique. Cette mort en pleine apothéose apparaît comme un enseignement, une dernière leçon, la plus haute et la plus noble d'une carrière si bien remplie. La vie prend toute sa grandeur dans l'accomplissement sans faiblesse du devoir quotidien, et ceux-là seuls ont su vraiment vivre qui ont su regarder la mort en face, qui ont vécu pour bien mourir.
Au cours de la grande guerre, la mort a fauché autour du maître éminent tant de généreux élèves, espoirs du pays au salut duquel il devait donner deux de ses fils tombés au champ d'honneur eu 1914-1918.
MADAME,
Nous partageons votre immense douleur, nous pleurons avec vous, avec vos enfants, sur cette tombe trop tôt fermée, sur l'homme de devoir trop tôt enlevé à votre affection. Redisons-nous que la mort ne l'a pas surpris ; qu'il s'est endormi dans la paix d'une conscience sereine, dans la foi où il est né, où il a fidèlement vécu.
III. - DISCOURS DE M. PETIT,
Président de la Société amicale des anciens élèves de l'Ecole Nationale des Mines de Saint-Etienne,
AU NOM DE CETTE SOCIÉTÉ.
MESSIEURS,
MES CHERS CAMARADES,
La pensée que j'ai là, devant moi, entré dans le repos éternel, le maître vénéré qu'il y a trois jours à peine j'associai, au milieu de vos acclamations enthousiastes, à la gloire de notre École, pour l'éclat, que son nom illustre lui a valu et pour le long dévouement des vingt-deux années qu'il lui a consacrées, est de celles que l'esprit et le coeur repoussent à cause de leur trop cruelle invraisemblance. Eh! quoi! c'est hier que nous le vîmes rayonnant de joie devant les milliers de mains tendues vers lui; c'est hier qu'il exaltait avec ferveur les grands souvenirs du passé de cette école à qui il avait voué les meilleures années de sa vie ; c'est hier qu'il magnifiait devant nous la mission de l'ingénieur et son rôle civilisateur dans la société contemporaine ; c'est hier qu'il nous montrait d'un geste large de confiance les routes de l'avenir ; et le voilà, abattu dans la mort, après ce superbe et dernier élan, par un mal qui l'a foudroyé en un instant! Prédestination étrange et profondément émouvante qui avait marqué sa dernière heure au milieu de la Société amicale des anciens élèves de Saint-Étienne, sa grande famille, dans la splendeur des fêtes du centenaire de la vieille école de Chantegrillet où son coeur était resté.
Résignons-nous, Messieurs, et qu'une consolation apaise un peu notre profonde et si brutale douleur : celle de savoir qu'il s'est endormi, enveloppé de notre respectueuse et chaude affection, dont les manifestations répétées au cours de ces fêtes lui mirent si souvent les larmes aux yeux, et que son dernier regard a emporté la vision de la gloire, saluée par l'élite de la nation, des générations d'ingénieurs dont vingt-deux se formèrent à son magistral enseignement.
Des voix autorisées viennent de vous rappeler en termes éloquents les phases de sa carrière si rapide et si brillante, grâce aux incomparables facultés intellectuelles qui le conduisirent jusqu'aux fonctions administratives les plus élevées : la vice-présidence du Conseil général des mines où s'affirma son autorité hors de pair.
Pourquoi faut-il que de telles intelligences, de telles forces nationales, s'évanouissent si tôt et surtout en un moment où leur influence serait si précieuse pour le relèvement du pays, pour l'immense travail de reconstruction économique à accomplir ! Mais, Messieurs, pour tragique qu'apparaisse cet événement si douloureux à nos coeurs, il porte en soi un enseignement qu'il nous faut retenir. Travailler jusqu'au bout, lutter tout au long d'une laborieuse existence pour arracher ses secrets à la matière, ses lois à la nature, se donner tout entier à la grande tâche de guider les intelligences vers le plus haut idéal de progrès, se consacrer sans réserve à la gestion des intérêts nationaux les plus considérables, et, au soir radieux d'un beau jour, tomber debout, en passant l'éclatant flambeau de la science, de la vérité, de la vie, à des mains plus jeunes et plus vaillantes.
Est-il un plus beau destin ? Ce fut le vôtre, illustre et vénéré maître. Puissions-nous comprendre la noble leçon qui s'en dégage et nous montrer à notre tour dignes de vous !
Au nom de la Société amicale des anciens élèves de l'École nationale des Mines de Saint-Étienne qui, avec une émotion infinie, s'exprime par la voix d'un de vos premiers élèves, je dépose sur votre cercueil l'hommage de notre reconnaissance et de nos sentiments d'inexprimable douleur. Le souvenir de M. l'Inspecteur général des Mines Tauzin, dont nous avons recueilli pieusement la dernière pensée et le dernier souffle, vivra éternellement dans nos coeurs.
Que la compagne de cette noble existence, si brusquement, si douloureusement frappée, que tous les siens, dont les noms sont particulièrement connus et aimés, trouvent quelque adoucissement à leur déchirement cruel dans les marques de notre respectueuse et ardente sympathie pour la mémoire de l'être cher qui repose maintenant au sein de cet au-delà où tendait sa foi profonde et où vont nos suprêmes espérances.
IV. - DISCOURS DE M. GRUNER,
Vire-Président du Comité Central des Houillères de France. Administrateur honoraire de la Société de l'industrie minérale,
AU NOM DE CE COMITÉ ET DE CETTE SOCIÉTÉ.
MESDAMES ET MESSIEURS,
Le Comité central des Houillères de France ne saurait laisser partir la dépouille mortelle de M. Tauzin sans saluer respectueusement la mémoire de l'éminent ingénieur qui a consacré toute sa vie au développement de la prospérité minière et métallurgique de la France.
Hier, d'un mouvement unanime, nous saluions de nos chaleureuses acclamations le maître qui, après vingt-deux années de rude labeur à l'École et à l'Arrondissement minéralogique de Saint-Étienne, continuait, comme Président du Conseil général des Mines, comme Président de la Société de l'Industrie minérale et comme Président de la Caisse autonome des ouvriers mineurs, à consacrer sa belle intelligence, son infatigable activité et son noble coeur à la défense des intérêts des ouvriers et des patrons qu'il entourait d'une même sollicitude.
Vingt générations d'élèves qui l'avaient connu comme professeur et comme directeur sanctionnaient hier, par leurs applaudissements, l'hommage rendu à leur vénéré maître par le Ministre des Travaux Publics et par les représentants les plus éminents des exploitants de la région.
L'émotion fut trop vive pour sa santé déjà gravement atteinte et c'est dans ce Chantegrillet où il aimait à se retrouver chaque année entouré de ses anciens élèves devenus ses collaborateurs et ses amis qu'il s'est endormi, calme et confiant dans le Père qui l'a recueilli dans les demeures célestes.
Ce n'est ni le lieu, ni le moment de passer en revue les travaux de l'éminent ingénieur. Qu'il me soit cependant permis, comme Administrateur honoraire de l'Industrie minérale, de dire, pour en avoir été, dans ces derniers mois, le témoin quotidien, avec quel intérêt M. Tauzin avait suivi, jusque dans ses menus détails, la transformation des publications de l'Industrie minérale, et la satisfaction avec laquelle il avait salué les premiers numéros de la Revue qu'il voyait devenir, pour la Patrie agrandie, la grande publication minière où s'affirmerait, chaque quinzaine, la haute valeur des travaux et des découvertes des ingénieurs sortis de nos grandes écoles techniques.
Tant de travaux, tant de préoccupations et les sacrifices si cruels qu'il avait été appelé à faire à la Patrie de deux fils bien-aimés ont usé prématurément celui dont, Madame, vous ne suiviez qu'avec une muette et affectueuse inquiétude l'infatigable activité.
N'est-ce point pour un homme d'action comme M. Tauzin, la plus belle des fins terrestres que celle qui le surprend en plein rayonnement de sa belle intelligence.
Mais il n'est pas exact de dire que la mort a surpris cet homme de bien qui ne doutait point que le Dieu, en qui il avait mis sa confiance, serait à côté de lui dans ses derniers moments pour en éclairer les obscurités.
A vous, Madame, à vous tous, ses enfants, ses parents et amis, j'exprime, du plus profond de mon coeur, au nom de tous ceux qui ont apprécié les mérites et l'inépuisable bienveillance de celui que vous pleurez, notre plus cordiale sympathie.
V. - DISCOURS DE M. LANGE,
Directeur de la Caisse autonome de retraite des ouvriers mineurs
AU NOM DU CONSEIL D'ADMINISTRATION ET DU PERSONNEL DE LA CAISSE AUTONOME.
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
Votre disparition si brusque, si inattendue, n'a pas permis à vos collègues du Conseil d'administration de la Caisse autonome de se concerter et de désigner l'un d'eux pour vous adresser en leur nom un suprême adieu.
M. François, le seul membre du bureau qui fut à Paris n'a pu, en raison de son état de santé, se déplacer et c'est ainsi que m'est échue la pénible mission d'être l'interprète du Conseil d'administration de la Caisse autonome.
Désigné par vos collègues, à l'unanimité des suffrages, pour assurer la présidence du Conseil, vous avez exercé ces hautes et délicates fonctions avec une amabilité souriante, alliée à une fermeté de caractère qui avaient fait de vous, l'arbitre indiscuté.
Dans ce conseil, qui réunissait des patrons, des ouvriers et des fonctionnaires, vous avez su, Monsieur le Président, par la conception élevée de vos fonctions, par la rectitude et la probité de votre jugement, par votre impartialité, créer une atmosphère de confiance et de cordialité où les représentants d'intérêts parfois opposés, pouvaient confronter, sans les heurter, leurs conceptions particulières. De ces discussions, vives quelquefois, mais toujours courtoises, vous saviez dégager, avec tant clé sagacité, la solution juste, que les débats se terminaient toujours par l'adoption unanime de vos propositions.
Présider les séances du Conseil d'administration ne suffisait pas à votre activité. Ayant pendant les premières années de la guerre consenti, en mon absence, à guider les premiers pas de la Caisse autonome, vous aviez pour elle un attachement tout particulier.
Vous aviez à coeur de la conduire d'une main sûre et experte non seulement parce qu'elle représentait à vos yeux le premier essai de collaboration entre le travail et le capital, mais aussi, et surtout, parce que ayant été « mineur », comme vous aimiez à le dire, pendant quarante ans, vous aviez pour ceux qui travaillent dans les profondeurs du sol, une affection singulière. Vous vous considériez, si je puis dire, comme leur tuteur naturel. Aucun projet tendant à améliorer le régime de retraites des mineurs n'a été préparé sans votre concours, aucune décision importante n'a été prise sans étude préalable de votre part; et lorsqu'il s'agissait d'assurer l'application des textes dont le sens pouvait être douteux, vous avez toujours soutenu, non l'interprétation littérale, mais l'interprétation la plus libérale, la plus conforme à vos sentiments de bienveillance.
Tout en parlant au nom du Conseil d'administration, je ne puis oublier que je suis aussi le porte-parole du personnel de la Caisse autonome, dont vous avez su, au cours de vos vérifications périodiques des services, conquérir non seulement l'estime, mais la sympathie la plus vive, par la bienveillance toute paternelle que vous lui témoigniez. Aussi, lorsqu'hier matin la triste nouvelle se répandit dans nos bureaux, ce fut une consternation générale.
Je suis donc sûr d'être l'interprète du personnel tout entier, en vous assurant que la noble figure de M. le Président Tauzin vivra dans la mémoire de tous comme un symbole de loyauté et de bonté.
Il me reste maintenant, Monsieur le Président, - et c'est le devoir le plus pénible que j'aie à remplir, - à vous dire adieu à mon tour.
Pendant ces cinq années où j'ai eu l'insigne honneur de collaborer quasi quotidiennement avec vous, j'ai pu apprécier le charme de votre commerce, constater et admirer votre haute valeur morale, la droiture et la fermeté de votre caractère, votre admirable force d'âme soutenue par un ardent patriotisme, lorsque la guerre vous enleva brutalement deux de vos fils.
Vous n'avez pas été seulement pour moi, un guide précieux, vous m'avez encore témoigné une confiance et une affection dont je m'honore et dont j'ai été profondément touché. Aussi est-ce le coeur serré que j'adresse à Madame Tauzin et aux vôtres mes douloureuses condoléances et que je vous dis, Monsieur le Président, adieu.
VI. - DISCOURS DE M. GUILLAUME,
Directeur des Mines, au Ministère des Travaux Publics,
AU NOM DU GOUVERNEMENT.
C'est une grande figure qui vient de disparaître d'entre nous, pour entrer dans l'histoire où sa place était marquée au milieu de la pléiade d'ingénieurs fameux dont s'enorgueillit justement notre Corps national des Mines, parmi les savants illustres, parmi les professeurs éminents qui ont été les artisans de l'épanouissement de l'École nationale des Mines de Saint-Étienne, de cette école à laquelle Tauzin a consacré une large part de sa carrière si féconde, à laquelle il était attaché par les fibres les plus intimes de son être, et dont quarante promotions d'anciens élèves l'acclamaient hier dans un élan unanime de respect et d'affection.
Profondément incliné devant ce cercueil, j'apporte le salut suprême du Gouvernement de la République à l'ingénieur émérite, à l'homme de bien, au parfait serviteur du pays que fut Tauzin ; je salue respectueusement l'épouse qui l'a si magnifiquement assisté au milieu de ses labeurs et soutenu aux jours cruels de deuil, et pour qui la rude étape de la vie est devenue le plus douloureux des calvaires, les enfants brutalement séparés du meilleur et du plus vénéré des pères; j'accompagne ces regrets de toute l'émotion susceptible de jaillir du coeur d'un homme qui est redevable envers le grand disparu d'un lourd tribut de gratitude et qui a eu le rare privilège de recueillir durant ces deux dernières années les conseils inestimables de son savoir et de son expérience.
Presque à l'origine de sa carrière administrative, Tauzin prenait contact avec le hassin de Saint-Étienne qui, constituait pour ses remarquables facultés un merveilleux champ d'action; son esprit assoiffé de connaissance et de progrès y poursuivait opiniâtrement l'étude de ces problèmes si complexes où il s'agit d'arracher aux forces de la nature une partie de leur secret, problèmes d'autant plus attachants que leur solution, constamment entrevue, se dérobe sans cesse, problèmes poignants aussi puisqu'il s'agit de vies humaines à sauvegarder. Mais le service ordinaire ne suffisait pas à absorber son activité et le jeune ingénieur prenait place dans le corps enseignant de l'École des Mines où s'affirmaient ses éminentes qualités pédagogiques, qu'il professât le cours de Machines, de construction, de Chemins de fer ou de Législation des mines.
Désormais le nom de Tauzin est indissociablement lié à toute l'histoire des mines et de l'École de Saint-Étienne, histoire où, hélas ! les pages funèbres, lourdes de deuil et de sacrifices, sont trop nombreuses. Chevalier de la Légion d'honneur en 1891, Tauzin est cité à l'ordre du Corps des Mines à la suite de l'accident du puits du Treuil. Quelques années après, sa nomination au grade d'Ingénieur en chef l'enlevait à Saint-Étienne, mais son absence devait être de courte durée et, après trois années passées à Toulouse, il venait en 1896 recueillir le lourd héritage de l'éminent de Castelnau, assumant la double tâche d'Ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique et de Directeur de l'École des Mines.
Comment Tauzin s'est acquitté de ses écrasantes fonctions, est-ce à vous, Messieurs, qu'il faut le dire, vous qui, en si grand nombre ici, l'avez vu à l'oeuvre, qui vous honorez de vous dire ses élèves, qui en toutes circonstances lui prodiguiez avec empressement les marques de votre gratitude et de votre affectueuse vénération.
Mais la place de Tauzin était marquée dans les Conseils du Gouvernement et, nommé Inspecteur général des mines, il quittait, avec combien de regrets, vous le savez, le bassin de Saint-Étienne et sa chère École des mines. Sa science de mineur, sa compétence si étendue et indiscutée, lui assignaient, au sein du Conseil général des mines, un rôle prédominant dans les importants travaux qui aboutirent à la modification et à l'unification de nos règlements sur la police des mines de combustibles et des mines métalliques, et à la mort du grand Zeiller, il était appelé à la vice-présidence du Conseil général des Mines. Est-il nécessaire de dire, Messieurs, avec quelle autorité, quel souci et quelle compréhension de l'intérêt général il a dirigé les travaux de la haute assemblée?
La loi du 29 février 1914 instituant la Caisse autonome des retraites des ouvriers mineurs allait imposer une nouvelle et lourde tâche à ce travailleur infatigable. Nommé président du Conseil d'administration, le 23 mai 1914, il voyait presque aussitôt la mobilisation mettre en péril l'oeuvre à peine ébauchée; il se refusait à envisager le moindre retard dans la mise en application d'une loi qui répondait aux aspirations les plus légitimes des travailleurs de la mine. Il réussissait à suppléer à l'absence du directeur mobilisé et son indomptable énergie là encore triomphait, au cours des années, malgré les difficultés fréquemment accrues par les modifications de la législation imposées par les circonstances. La haute autorité dont il jouissait dans le monde des mines, la réputation de paternelle bonté qu'il avait acquise dans les milieux ouvriers, lui ont permis de mener à bien une tâche particulièrement délicate, que bien peu auraient pu accomplir. Il a été le sage arbitre et le bon juge, comme il a été le grand ingénieur et l'administrateur éminent.
Cette double tâche si lourde de vice-président du Conseil général des Mines et de président de la Caisse autonome des ouvriers mineurs, Tauzin l'a inébranlablement poursuivie au travers des années tragiques : doublement atteint dans ses affections les plus chères, le coeur déchiré et meurtri, il demeurait debout, grandi encore par le malheur, dominant les épreuves qui le frappaient sans parvenir à le terrasser, vivante image du devoir et de la conscience.
Victime de la guerre, Tauzin l'a été par ses deux fils, tombés pour la patrie. Nos coeurs inscriront son nom en tête de ceux des cent quarante et un morts qui figurent au livre d'or du centenaire de l'École des Mines de Saint-Étienne. Il est entré avec eux dans la gloire. Quelle sublime fin que celle de ce grand lutteur qui est venu tomber dans ces murs qui lui furent si chers, subitement brisé par l'émotion, au moment où le représentant de la France lui disait la reconnaissance du pays, et où vous lui clamiez tout votre respect, toute votre vénération ! Cette atmosphère de respect et de vénération fait comme un halo de lumière idéale et de douceur à celui qui s'en est allé du monde des vivants et dont le souvenir demeurera eternel en les coeurs de tous ceux qui, l'ayant connu, l'ont aimé. Et cherchant par une vue de l'esprit à prolonger au-delà des espaces cette apothéose, ne nous est-il pas permis, Messieurs, d'imaginer qu'au moment où ses oreilles devenaient sourdes à vos acclamations, à la première heure de la première journée de Fête nationale de la bonne Lorraine, il a eu l'ineffable joie de voir la sainte héroïne se pencher vers lui et l'accueillir par le mot de Reims : « Tu as été à la peine, ta place est maintenant à l'honneur. »
Dans Entre l'Etat et l'Usine, l'Ecole des mines de Saint-Etienne au XIXe siècle, Anne-Françoise Garçon relate "l'affaire Tauzin" qui se produisit en 1891.
Tauzin, professeur de "machines, construction, chemins de fer et législation des mines" reçut en effet de son directeur, Louis Ernest LESEURE, la mission de rédiger un rapport sur la création d'une nouvelle chaire d'enseignement à Saint-Etienne. Tauzin n'était pas un homme de détour. Jugeant bon d'exprimer son opinion avec fermeté, il démontra qu'en rationalisant l'enseignement, la dotation d'une chaire supplémentaire rendrait sa force à l'enseignement de la métallurgie, et soutient cette position au conseil de perfectionnement de 1891
Certainement Tauzin exprimait l'opinion de tous, industriels et corps professoral. Mais on imagine aisément combien déplut en haut lieu un propos qui désavouait les décisions prises antérieurement. L'administration réagit comme à son habitude dans ce genre de situation. D'une part elle concéda la cinquième chaire, ce qui eut pour effet immédiat d'introduire un cours d'électricité industrielle. De l'autre, en 1892, elle envoya Tauzin exercer ses talents à Rodez -- comme Guéret l'exutoire des conflits -- après l'avoir promu ingénieur en chef. Le Conseil général des mines décida également qu'après le départ de Leseure (proche de la retraite), les fonctions de directeur de l'Ecole seraient couplées avec celles de responsable de l'arrondissement minéralogique, un retour en arrière synonyme d'une réduction de la charge professorale. C'était désavouer publiquement le directeur, qui avait pris fait et cause pour son professeur.