Gabrielle, fille de Emile COSTE, épouse Robert PIEYRE LACOMBE de MANDIARGUES (1885-1952) frère de David (1879-1916 ; EMP 1901).
Voir le détail des ascendants et descendants d'Emile COSTE sur le site généalogique Ph Coste.
Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1883, entré et sorti major) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.
La carrière particulièrement remplie d'Emile Coste nous
donne l'occasion d'évoquer la situation charbonnière de
la France au cours et à l'issue de la première guerre mondiale
et notamment l'occupation de la Ruhr, entreprise politiquement discutée
mais réussite technique indiscutable à l'actif des mineurs
français. Emile Coste est en effet, en partie, responsable de la
mise en place du dispositif d'occupation et du succès remporté
contre l'attente non seulement des Allemands, mais aussi de nos Alliés,
sceptiques et hostiles à notre action.
Emile Coste, issu d'une vieille famille protestante du Gard, sorti major de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole des mines, commença par se consacrer un quart de siècle durant à la remise en ordre des houillères du "Centre-Midi".
Ces exploitations, qui jouèrent un rôle essentiel en 1914-1918, étaient assez mal en point à la fin du XIXe siècle.
Exploitées depuis un temps très reculé, elles étaient en général dotées d'un équipement archaïque et menées selon des règles plus ou moins empiriques, au mépris des données de la technique moderne et même des impératifs réglementaires. Le rendement était médiocre, la sécurité mal assurée. Conséquence inévitable, le climat social y était détestable. De longues grèves, des catastrophes minières perturbaient périodiquement les exploitations.
Coste fit partie, au début de sa carrière, de l'équipe d'ingénieurs au Corps des mines qui se mit à l'œuvre en vue de redresser cette déplorable situation.
Placé tout d'abord à la tète du sous-arrondissement minéralogique de Rodez, sous l'autorité de l'ingénieur en chef de Castelnau, il suivit son patron lorsque celui-ci, en 1891, fut appelé à Saint-Etienne.
La situation du bassin stéphanois était particulièrement critique. C'est à la suite de catastrophes retentissantes, celle des puits Verpilleux et Saint-Louis qui, le 3 juillet 1889, avait fait 207 morts, celle de Villeboeuf survenue le 29 juillet 1890 et où l'on compta 116 morts et 40 blessés, que l'Administration des mines décida de réagir énergiquement, avec toutes les armes que la réglementation lui donnait. Castelnau, désigné pour cette mission, prit d'emblée des mesures radicales. Usant du pouvoir conféré aux ingénieurs des mines par le décret du 3 janvier 1813 : " Lorsque la sécurité des exploitations ou celle des ouvriers pourra être compromise par quelque cause que ce soit... ", il prit personnellement, dès son arrivée, la direction des travaux.
Emile Coste fut amené ainsi à exercer, dans le secteur ouest de Saint-Etienne, le métier d'exploitant, avec une responsabilité d'autant plus lourde que toute erreur eût fait " perdre la face " à l'autorité administrative qu'il incarnait.
Il se donna avec ardeur à sa mission. Il lui arriva de passer jusqu'à trente-six heures consécutives au fond de la mine.
Le 6 décembre 1891, un nouvel accident se produisit au puits de la Manufacture, où le grisou causa la mort de soixante-deux ouvriers. Ce puits n'était pas dans le secteur de Coste, mais il fut chargé d'organiser le sauvetage et de conduire l'enquête, l'ingénieur titulaire étant indisponible.
Coste prit une part active aux délicats et dangereux travaux de sauvetage et conduisit son enquête avec brio.
Il réussit en un quart d'heure à dégager les causes initiales de l'accident (arrêt des ventilateurs au poste de nuit, en infraction aux consignes), à mettre les coupables en contradiction avec eux-mêmes et à situer toutes les responsabilités.
Une citation à l'ordre du Corps des mines récompensa le courage et l'habileté dont il fit preuve à ces tragiques circonstances.
Peu à peu, l'action de Castelnau, de Coste et des autres agents du Service des mines porta ses fruits.
Les années qui suivirent 1891 ne furent plus marquées par aucun accident collectif important. Parallèlement, les troubles sociaux s'apaisèrent. Coste contribua personnellement, avec un sens très net de l'équité et une habileté certaine, à mettre fin aux grèves qui éclataient de plus en plus sporadiquement.
Sur le plan technique, il amorça une rénovation technique. L'idée de progrès fit son chemin dans le bassin de la Loire.
Il est curieux de constater que, trente ans plus tard, il devait appartenir au fils d'Emile Coste de poursuivre dans la même voie en faisant adopter par les exploitations stéphanoises, en dépit de conditions de gisement délicates, la séduisante et économique technique du foudroyage dirigé.
En 1900, Emile Coste, conscient d'avoir bien accompli une tâche qui débordait singulièrement le cadre des habituelles missions administratives, accepte de quitter Saint-Etienne pour exercer en titre le métier d'exploitant.
Il prend la direction des mines de Blanzy dans des conditions difficiles.
Une grève avait éclaté le 6 juin 1890 et s'était prolongée un mois durant, accompagnée de manifestations particulièrement violentes. Depuis cet événement, l'agitation et le désordre avaient continué de régner à l'état chronique. La production s'effondrait. La direction, impuissante à redresser la situation, avait démissionné.
Coste arrive en pleine crise. Trois ans après son arrivée, en janvier 1901, une nouvelle grève éclate, qui porte les passions au paroxysme.
Décidé à assainir complètement la situation, Coste prend l'initiative de faire au syndicat des propositions particulièrement généreuses.
Acceptées tout d'abord, elles sont rejetées quarante-huit heures plus tard par les éléments violents, qui les considèrent comme une preuve de faiblesse.
Coste maintient fermement sa position. Pendant cent cinq jours, au cours desquels sa vie même est en danger, il reste inébranlable.
En fin de compte, il a le dernier mot.
Le travail reprend. Ses relations avec le syndicat et les ouvriers, qui reconnaissent son sens de l'équité et sa connaissance des hommes, deviennent rapidement excellentes.
Mais à la suite de ces événements, les finances de Blanzy sont dans un tel état qu'une réorganisation s'impose. Coste n'hésite pas à supprimer toutes les industries annexes, onéreuses et justement critiquées par le personnel. Il consacre tous ses soins à la réorganisation technique des travaux souterrains. Il améliore l'outillage et les méthodes d'exploitation. En peu de temps, la production est rétablie au niveau antérieur, puis le dépasse.
Lorsqu'il abandonne la direction de Blanzy, en mai 1914, c'est une mine prospère qu'il laisse à son successeur.
Réintégré dans l'Administration, il commence par partir au Maroc, en qualité de conseiller technique du Maghzen, pour y suivre les opérations de la commission arbitrale des mines.
Il prépare ainsi les bases techniques et juridiques de l'essor minier de ce jeune pays. Sa mission s'achève lorsqu'il est mobilisé comme lieutenant-colonel d'artillerie et affecté à la Manufacture d'armes de Saint-Etienne. Il y développe les fabrications, notamment des mitrailleuses, dont la puissance de feu s'était révélée lors des premières batailles.
Cependant, au début de 1917, le gouvernement prend conscience du caractère industriel de la guerre moderne et s'avise qu'un mineur de la classe de Coste doit être utilisé à d'autres tâches qu'à la fabrication des armes légères.
La guerre ne pourra être gagnée sans charbon. Or, les mines du Nord sont occupées par l'ennemi. Dans les quelques mines du Pas-de-Calais non envahies, on travaille dans des conditions difficiles. A Béthune, on exploite des puits à moins de 3 kilomètres du front, en dépit des efforts des Allemands qui vont jusqu'à émettre des gaz toxiques dans les travaux souterrains par des puits débouchant au jour dans leurs lignes.
La production française, limitée à ces quelques mines et aux bassins du Centre-Midi, et bien que la durée du travail ait été portée à neuf heures, n'est plus que de quelque 21 millions de tonnes par an. Il n'est plus question d'importations par voie de terre et la Grande-Bretagne, qui accomplit elle-même un grand effort industriel, ne peut nous envoyer tout le tonnage nécessaire. D'ailleurs, la guerre sous-marine perturbe le trafic maritime et la crise des frets est aiguë.
Non seulement les industries de guerre sont freinées par la pénurie de charbon, mais encore, et à l'époque les pouvoirs publics y sont sensibles, la population civile souffre du froid. Notons, à titre anecdotique, qu'en février 1917, les canaux étant gelés, le ministre des Travaux publics, Edouard Herriot, touché par la détresse des Parisiens, envoya mille camions charger du charbon dans le Pas-de-Calais. Mais ces " camions de Marles " n'auront pas accès à la légende comme les " taxis de la Marne ", car six cents d'entre eux tombèrent en panne au cours du voyage !
C'est à Emile Coste que songe le gouvernement pour redresser la situation charbonnière. Il est nommé directeur des mines, avec mission de porter de toute urgence et par tous moyens la production nationale à son niveau maximum.
Sa connaissance des bassins du Centre-Midi lui permet de décider des mesures propres à développer leur extraction. Les mineurs repliés du Nord de la France, les prisonniers de guerre sont affectés en masse à ces exploitations. D'autre part, Coste ordonne la réouverture d'une multitude de petites mines à conditions difficiles. En moins d'un an, la production remonte de plus de 30 %.
Cependant, Coste, dont la personnalité se heurte à celle de Loucheur, se plaint d'ingérences politiques dans sa besogne technique, se démet de son poste et reprend du service comme ingénieur en chef des mines.
Il est alors chargé de diverses missions, dont la plus importante est l'étude qu'il effectue, en 1918, des conditions d'intégration des mines de fer de Moselle dans l'économie sidérurgique française. C'est sur l'arbitrage de Coste que le bassin lorrain a effectivement vécu par la suite.
Dès l'Armistice, Emile Coste entre en Alsace avec Millerand, en qualité de directeur général de l'industrie et des mines pour les départements recouvrés. Au cours des deux ans qu'il passe à Strasbourg, il règle, en liaison avec l'Office des biens ennemis, tous les problèmes que pose la reprise des mines de fer et de potasse, ainsi que des usines sidérurgiques de Moselle.
En même temps, il assure la vin économique de sa région et parvient à restaurer rapidement son potentiel industriel.
Cependant, aux environs de 1920, la France, qui a encore du mal à comprendre que la victoire ne suffit pas à son rétablissement, a bien des sujets d'inquiétude.
Si le pain ne manque pas aux Français, qui ne connaîtront pas alors les soucis alimentaires provoqués par les remous démoralisateurs d'une occupation totale et spoliatrice, la houille fait défaut aux industries françaises.
Les mines du Nord et du Pas-de-Calais, volontairement saccagées par l'ennemi en retraite, en sont au stade du déblaiement, mais les mineurs affectés aux bassins du Centre-Midi ont prématurément reflué vers leurs foyers détruits.
La production, qui était de 28.900.000 tonnes eu 1917, est retombée en 1919 à 22.400.000 tonnes, y compris les 2.500.000 tonnes des mines de Moselle recouvrées.
En 1920, la production ne remonte qu'à 25.260.000 tonnes. " Or, écrit Coste, à cette époque, les besoins de la France en houille allaient constamment en croissant : chemins de fer, usines électriques, usines à gaz reprenaient partout leur activité. Le désir de tout remettre en marche le plus tôt possible, le désir de faire disparaître rapidement toutes les traces des destructions allemandes créait des besoins excessifs de matières premières. Enfin, la question "dépense" n'arrêtait aucune initiative. " Le Boche paiera tout " était en effet, à l'époque, une maxime que personne n'avait le droit de mettre en doute, et la largesse avec laquelle le ministère de la Reconstitution distribuait ses ressources, surtout à la veille des élections et dans le département du Nord en particulier, ne le prouvait que trop. C'était l'époque où le journal Le Matin mettait en vedette, en tête de ses colonnes (6 septembre 1919) : " M. Klotz s'engage à ce que l'Allemagne nous donne 463 milliards ", et personne ne paraissait songer à ce que pouvait représenter cette somme, même avec des francs ne valant plus que 0,35 franc-or.
En raison de l'anéantissement des deux tiers de notre principal bassin, le redressement français est alors lié, plus encore qu'aujourd'hui, aux importations de charbon et singulièrement aux livraisons de la Ruhr.
A cet égard, le traité de Versailles avait entendu réparer " l'oubli fatal " de la convention d'armistice du 11 novembre 1918 qui n'avait prévu aucune livraison de charbon, de sorte qu'à part un faible tonnage obtenu par voie d'échanges commerciaux (protocole de Luxembourg), nous étions restés dépourvus pendant un an.
Tout d'abord, l'article 45 du traité donnait à la France la propriété des mines du bassin de la Sarre. Leur extraction était de 13 millions de tonnes en 1913, ce qui, avec les 4 millions de tonnes du bassin de Moselle, ne faisait que couvrir quantitativement les besoins de l'Alsace-Lorraine et de la Sarre. La cession des mines sarroises ne pouvait donc améliorer la balance charbonnière de la France, d'autant moins que l'extraction était retombée en 1919 à moins de 9 millions de tonnes en Sarre et 2,5 millions de tonnes en Lorraine, par suite d'une chute de 40 % du rendement individuel.
C'est en son annexe V, à la partie VIII, que le traité de Versailles entendait dédommager la France pour le sabotage volontaire par les Allemands de son bassin le plus productif. La France devait recevoir à titre de réparations, pendant dix ans, un contingent annuel de 7 millions de tonnes, augmenté d'une quantité égale au déficit de production des mines sinistrées.
Cependant, si la Commission des réparations jugeait que la satisfaction complète des obligations allemandes était de nature à peser d'une façon excessive sur les besoins industriels allemands, elle pouvait les différer ou les amender !
En fait, les Allemands ne cessèrent d'invoquer cette clause, et le déficit dans l'exécution des programmes devint rapidement chronique.
A cet égard, la France n'était que trop desservie par ses propres Alliés. L'Angleterre, en particulier, jugeait contraires à ses propres intérêts les livraisons de charbons allemands à la France; celles-ci nous étaient pourtant d'autant plus nécessaires qu'elle avait réduit ses propres expéditions. Mais celles-ci lui rapportaient des bénéfices importants, car, tout en maintenant des prix intérieurs normaux, elle avait haussé considérablement ses prix extérieurs, déjà affectés pour nous par la dénonciation des accords de change qui avaient permis de maintenir le cours du franc pendant toute la guerre. Le prix F.0.B. moyen d'exportation, qui était de 13 shillings en 1913, s'élève à 45 shillings en 1919, dépasse 80 shillings en 1920.
Si la France avait reçu en suffisance des charbons allemands au titre des réparations (il n'était pas question alors de les payer en dollars!), la position commerciale britannique en eût été momentanément affaiblie.
Les Allemands n'avaient pas été longs à profiter de ce désaccord fondamental entre les Alliés et à opposer une volonté de plus en plus marquée à l'exécution des réparations.
En mai 1920, les livraisons allemandes ne dépassent pas la moitié des tonnages que la Commission des réparations avaient fixés à un niveau déjà très inférieur à celui prévu par le traité de paix.
C'est dans ces conditions qu'en juillet 1920 les Alliés rencontrent les Allemands à Spa. Ceux-ci, venus en accusés, y connaissent un notable succès, dû tant à l'attitude britannique qu'à l'habileté négociatrice de l'ouvrier mineur Hue, député au Reichstag.
Celui-ci obtient notamment le paiement d'une prime calculée à la tonne de charbon livrée destinée à alimenter un fonds de bien-être pour les mineurs allemands.
En outre, le programme mensuel est à nouveau réduit.
L'exécution de ce programme doit être surveillée par une délégation permanente de la Commission des réparations, siégeant à Berlin et dont la présidence revient à un Français. Emile Coste est désigné par le gouvernement français pour assumer cette fonction.
Il raconte dans son journal très détaillé les difficultés que rencontre cette délégation, qui comprend avec lui un Anglais, un Belge et un Italien (l'Américain ne fut jamais désigné par son gouvernement).
On avait prévu une commission là où il eût fallu, selon lui, un organisme d'exécution avec un chef responsable.
De ses collègues, il ne rencontre qu'entraves plus ou moins ouvertes.
" Le Britannique, un lieutenant-colonel, écrit-il, était très peu instruit, très peu intelligent; l'étude et la discussion d'une question étaient très difficiles avec lui. Il suivait mal un raisonnement et revenait indéfiniment sur des points que l'on croyait réglés depuis longtemps. L'intérêt anglais immédiat le préoccupait toujours. Comme ou parlait un jour devant lui des économies de charbon que les industriels allemands pouvaient réaliser dans leurs usines par des aménagements convenables, ce qui était peut-être de nature à remédier à la pénurie de combustibles dont ils se plaignaient : " C'est vrai, dit-il, mais s'ils le font, leurs prix de revient seront plus avantageux que ceux de l'Angleterre, où on ne fait rien dans ce sens, et ce sera fâcheux pour nous. " Par contre, je ne pus jamais lui faire comprendre que l'Allemagne, avec la Ruhr et la Silésie, pouvait devenir, si elle le voulait, un concurrent redoutable pour l'Angleterre au point de vue du charbon. Ce n'était pas de réalisation immédiate, c'était donc sans intérêt ... Il ne fut parfois possible de lui expliquer certains points qu'en chargeant Névejans (collaborateur immédiat de Coste doté d'un charme personnel certain) de faire la leçon à sa dactylographe anglaise, car il écoutait cette dernière plus volontiers que Névejans ou que moi. "
Des discussions ne tardèrent pas à éclater au sein de la délégation permanente; le désaccord de ses membres, les complications administratives de tous ordres, qui n'étaient le plus souvent que le reflet des divergences d'intérêts entre Alliés, n'échappèrent pas aux Allemands, qui en jouèrent au mieux.
Il fallut toute l'obstination de Coste et l'énergie du directeur des mines Guillaume, avec qui il restait en étroit contact, pour surmonter de telles difficultés. Lorsqu'il quitte Berlin, malade et épuisé, en novembre 1920, les livraisons imposées à Spa avaient été exécutées en totalité, à la satisfaction de tous les pays bénéficiaires.
Cependant, la tâche de Coste n'était pas achevée.
En dépit d'une tentative hardie de rapprochement direct entre France et Allemagne (accord Loucheur-Rathenau, Wiesbaden, 7 octobre 1921), les livraisons de charbon s'effectuent relativement mal. Les conférences internationales se succèdent à Cannes, à Gênes, à Londres ; chaque fois, les divergences entre Alliés s'accentuent et fortifient la volonté de l'Allemagne de se soustraire à ses obligations.
Dès 1920, le gouvernement français avait envisagé la nécessité de mesures de coercition et en particulier l'occupation de la Ruhr à titre de gage.
Coste avait été chargé, en sus de sa mission officielle à Berlin, d'étudier les modalités de cette éventuelle action.
De 1920 à 1923, il participa à l'élaboration de plans successifs, au cours de multiples conférences où siégeaient notamment Le Trocquer pour les Travaux publics, Maginot, Foch, Weygand, Degoutte pour la Guerre, Seydoux pour les Affaires étrangères, Lasteyrie et Tannery pour les Finances, le haut commissaire Tirard, que présidait parfois Poincaré lui-même et qu'animait toujours Guillaume, directeur des mines.
Coste ne cessa de recommander la prudence. Il mit en lumière les risques et les difficultés de l'entreprise. Il fit substituer le principe d'une mission de contrôle à celui d'une mission d'exploitation, qui lui paraissait chimérique, tout au moins si elle devait prendre en charge la totalité du bassin.
En fait, le gouvernement français hésitait à accentuer, sans l'assentiment britannique, la politique dite " des sanctions ", inaugurée par le cabinet Briand avec l'occupation de Düsseldorf et de Duisburg-Ruhrort.
Cependant, l'échec de la Conférence de Paris, en janvier 1923, le décide à passer à l'action. " Une fois de plus, écrit Coste, ces grandes conférences, où des chefs de gouvernement s'abordaient directement et publiquement, sans qu'aucune préparation préalable eût rapproché les points de vue et sans leur laisser la possibilité de revenir sur de premières déclarations, se montraient incapables d'aboutir à une solution pratique. "
Le 10 janvier 1923, étayant juridiquement leur intervention sur un solennel procès-verbal de la carence allemande rédigé par la Commission des réparations, les gouvernements français et belge, en accord avec le gouvernement italien, notifient à l'Allemagne l'envoi dans la Ruhr " d'une mission de contrôle composée d'ingénieurs et dotée des pouvoirs nécessaires pour surveiller l'action du Kohlen-Syndikat. Ils déclarent que l'opération n'est pas d'ordre militaire ni de caractère politique. Seules entreront dans la Ruhr les troupes nécessaires pour sauvegarder la mission et garantir l'exécution de son mandat. "
Cette mission de contrôle des usines et des mines, ou M.I.C.U.M., est placée sous la présidence d'Emile Coste.
Le gouvernement français paraît avoir sous-estimé les difficultés de l'opération.
La réaction allemande est immédiate. Le Reich prescrit l'arrêt de toutes les livraisons de charbon aux puissances responsables de cette " violation du traité résultant de la mainmise par la violence sur le centre économique de l'Allemagne ".
Les chemins de fer allemands reçoivent l'ordre de dérouter les transports destinés à la France et à la Belgique.
De son côté, le Kohlen-Syndikat a embarqué, la veille de l'entrée des troupes françaises à Essen, son personnel et ses archives pour Hambourg.
Dès son arrivée à Essen, Coste réunit les principaux directeurs de mines et, en accord avec Tannery, qui l'accompagne, prend l'initiative de leur faire la seule proposition qui pourrait avoir quelque chance d'assurer une reprise immédiate des expéditions de charbon vers la France.
Il se déclare autorisé à leur dire que des dispositions seraient prises pour leur payer leurs livraisons comme le gouvernement allemand les avait réglées jusque là.
Le porte-parole des Allemands, Fritz Thyssen, paraît compréhensif et les bases d'un accord sont jetées.
Mais deux jours plus tard, la délégation allemande déclare que sur l'ordre de son gouvernement elle se voit contrainte de revenir sur ses déclarations. Coste écrit : " Le parti de la violence l'emportait donc sur le parti modéré, représenté par Thyssen et Krupp, et entraînait l'Allemagne tout entière dans une aventure qui devait lui coûter terriblement cher. "
C'était la résistance passive !
Coste veut alors appliquer une politique de fermeté inflexible. Il donne l'ordre écrit à chaque mine d'avoir à reprendre immédiatement ses livraisons aux Alliés sous peine de sanctions très sévères.
Il demande au général Degoutte d'appliquer les sanctions. Il le trouve hésitant. Coste écrit : " il paraissait craindre que des arrestations ne provoquassent la fermeture d'usines. Je lui fis remarquer que la situation actuelle ne pouvait se maintenir, l'entrée des Alliés dans la Ruhr ayant pour les Allemands l'avantage énorme de mettre à leur disposition les 160.000 à 180.000 tonnes de livraisons à l'Entente et leur permettant de constituer des stocks et d'éviter l'achat de charbons anglais. Il fallait donc des sanctions rapides. "
En fait, six exploitants furent traduits à Mayence en conseil de guerre. Celui-ci admit que l'obéissance aux ordres de Berlin constituait une circonstance atténuante au refus d'obtempérer aux ordres des autorités françaises.
Les condamnations ne furent que de pure forme : des amendes qui n'avaient en fait aucune valeur dans un pays où le gouvernement émettait à jet continu des billets de banque.
Ceci équivalait à un inconscient désavoeu par les juges militaires français de la politique des sanctions engagée par leur gouvernement.
Coste était plus logique : après avoir déconseillé l'épreuve de force, il voulait la voir, une fois décidée, appliquée sans faiblesse.
La réaction allemande fut évidemment un raidissement. L'opposition aux Français s'amplifie rapidement. Les chemins de fer refusent d'exécuter aucun transport pour leur compte, les P.T.T. coupent leurs téléphones, le personnel des hôtels refuse de les servir.
Les sabotages et les attentats se multiplient. La M.I.C.U.M. se trouve aux prises avec les pires difficultés.
Composée de quarante techniciens (ce qui permit au " Witz " allemand de faire allusion aux quarante voleurs d'Ali-Baba), elle avait heureusement bénéficié de l'aide matérielle de l'Office des houillères sinistrées, organisme commercial installé à Essen, pour réceptionner les charbons allemands.
A une situation difficile, aggravée par les querelles avec les militaires et les journalistes, Coste fit face avec beaucoup de calme. Il se refusait à envisager la mise en exploitation directe par la M.I.C.U.M. des mines et usines avant d'avoir la certitude de voir réussir cette entreprise. Il était convaincu que seules des mesures rigoureuses d'isolement de la Ruhr aboutiraient à un résultat.
Il finit par obtenir des militaires la fermeture totale vers l'Est pour le coke, la houille et les produits métallurgiques.
Dès lors, il ne s'agissait plus que de tenir. Les mines ne voulaient à aucun prix laisser chômer leur personnel, car elles craignaient que celui-ci ne demande du travail aux Français. Les tentatives pour percer le blocus français furent déjouées.
Les stocks s'accumulaient sur le carreau des mines.
Quand le moment lui semble venu, en février, Coste procède à la réquisition de ces stocks et à leur enlèvement. Il utilise des équipes envoyées de France par les usines sidérurgiques qui avaient absolument besoin de combustibles.
Bientôt, cependant, Coste, très fatigué, et qui n'admet pas certains ordres que lui donne le général Degoutte, notamment de quitter Essen pour s'installer auprès de lui à Düsseldorf, abandonne la direction de la M.I.C.U.M. à son collaborateur Frantzen et rentre à Paris.
Que se passe-t-il alors dans la Ruhr ?
La lutte entre la M.I.C.U.M. et les industriels de la Ruhr devait se poursuivre jusqu'en novembre. Après le départ de Coste, la politique d'enlèvement des stocks se poursuit. Il est possible de constituer des équipes locales avec des Polonais et même des Allemands. Le transport des charbons est assuré par la Commission interalliée des Chemins de fer de campagne, puis par la Régie des chemins de fer des territoires occupés.
Le magnifique succès des cheminots français, qui se montrent capables de remettre en exploitation normale le réseau rhénan et celui de la Ruhr, aux mailles les plus denses de toute l'Europe continentale, impressionne vivement les Allemands.
Les mineurs français ne veulent pas être de reste.
Apres avoir créé une régie des cokeries, qui, sous la direction de Huchel, occupe et rallume des batteries de fours, la M.I.C.U.M. décide de passer à l'exploitation directe des mines.
La première, la Régie des Lignites, sous la direction de Bucher, prend possession d'exploitations à ciel ouvert dans le bassin de Cologne.
Enfin, le 26 août, une régie des mines, placée sous la direction de Ganière, qu'assistent Duby et Lafond, occupe les sièges Victor 1/2 et 3/4 Ickern.
Des spécialistes venus surtout de Lorraine, porions, machinistes, des équipes homogènes d'ouvriers du Nord et du Centre assurent la repris et l'extraction avec le concours d'ouvriers polonais, puis allemands de plus eu plus nombreux.
" Le meilleur moyen de répondre aux bruits tendancieux répandus largement sur notre compte, écrit M. Ganière, nous paraissait être de sortir rapidement du charbon et nous étions persuadés que les mineurs, impressionnés dès qu'ils verraient tourner les molettes, nous marchanderaient d'autant moins leur concours que nous leur donnerions plus l'impression de nous passer d'eux. "
Par ailleurs, la Régie des Mines inaugure un système de salaires qui garantit aux ouvriers un pouvoir d'achat constant.
L'unité de paiement est la ration alimentaire du célibataire, qui comprend, en grammes :
Pain, 1.000; farine, 100; pâtes ou légumes secs, 250; pommes de terre, 2.000; viande de conserve, 120; lard, 50; saindoux, 100; sucre, 100.
Le salaire de base de l'ouvrier du fond à l'abatage est de trois unités. Le personnel peut toucher son salaire partie en nature, partie en espèces. L'ouvrier marié ou chargé de famille peut percevoir en nature des rations très supérieures à celles du célibataire.
La régie est ainsi amenée à installer un important service d'économats, très apprécié par les ouvriers mineurs.
Le 15 octobre, la réussite de la prise de possession de la mine König-Ludwig a déclenché la rentrée en masse des ouvriers de Victor.
Le 20 novembre, c'est à la demande du personnel que sont saisies les mines Hansa et Westhausen.
Mais à cette date le succès des cheminots et des mineurs français entraîne l'effondrement de la résistance passive.
Le 23 novembre 1923 marque la capitulation du Kohlen-Syndikat devant la M.I.C.U.M. Il s'engage à reprendre l'exécution des programmes des réparations et à se soumettre au contrôle de la M.I.C.U.M. pour la répartition générale des combustibles.
Le 24 novembre, Coste écrit à Frantzen : " Au moment où les journaux m'apprennent l'acceptation définitive par les industriels de la Ruhr des conditions que vous leur avez fixées, je tiens à vous adresser, à vous d'abord et à tous vos collaborateurs ensuite, mes félicitations pour ce que vous avez fait depuis onze mois. Malgré les difficultés exceptionnelles auxquelles vous vous êtes heurtés, il n'y a jamais eu d'échec, si léger et passager d'ailleurs qu'il fût, dans les opérations que vous avez entreprises et dirigées, et, le temps aidant, vous avez fini par imposer votre volonté à ceux qui avaient si dédaigneusement refusé en janvier des propositions autrement plus avantageuses pour eux... "
Après la capitulation du Kohlen-Syndikat, seuls les puits Victor et König-Ludwig restaient exploités en régie.
Le 27 octobre 1924, à la suite des accords de Londres qui marquaient la fin de la politique des sanctions, ils étaient remis à leurs propriétaires.
L'occupation de la Ruhr avait été en définitive un succès technique dont pouvaient s'enorgueillir les cheminots et les mineurs français.
Il n'entre pas dans notre sujet de l'apprécier sur le plan politique.
Revenons à Coste, dont l'action était récompensée à son retour en France par la cravate de la Légion d'honneur et sa promotion à la première classe du grade d'inspecteur général des mines.
" Vous avez réussi, lui écrivait le ministre des Travaux publics, par le prestige que vous assuraient votre haute valeur morale jointe à votre autorité technique et à votre expérience consommée des questions minières et industrielles, à vous entourer d'un groupement important d'ingénieurs alliés dont vous avez su orienter l'activité et coordonner l'action de la manière la plus heureuse. Vous avez su notamment fixer avec sûreté la méthode à suivre pour assurer la conservation et l'exploitation des gages saisis. "
Coste consacra la fin de sa carrière à son inspection du Sud-Est. Il ne cessa de faire profiter les exploitants et les ingénieurs du Service des mines de son expérience technique et humaine.
En 1929, à soixante-cinq ans, il demanda sa mise à la retraite. Il acheva paisiblement, au Mas-de-Coste, " une existence pleine de combats et d'efficience " (Fischesser).