Emile COSTE et la MICUM

Publié dans Annales des Mines, 1946-1, avril 1946

Emile COSTE est mort le 19 janvier 1945, âgé de 81 ans, dans sa propriété familiale du Mas-de-Coste, où il s'était retiré depuis de longues années.

C'est un périlleux honneur que d'être chargé de saluer ici la mémoire de cet inspecteur général des Mines.

Le souvenir de cette puissante personnalité est encore trop présent à l'esprit de ceux qui l'ont approché, la place qu'il a tenue dans le Corps des Mines, dont il restera l'une des figures les plus remarquables, est encore trop marquée pour que, dans sa stérilité, le bref exposé auquel il nous faut nous limiter, puisse être autre chose que décevant.

L'unité de cette vie, vouée tout entière à une même tâche, lucide et volontaire, la rigueur de cette destinée nette, directe, sans bavures, passeront peut-être à travers ces quelques pages qui prétendent en rassembler les événements. Nous souhaitons qu'elles en tirent un élan qui en rachètera l'insuffisance.


... Emile COSTE était issu d'une vieille famille protestante du Gard.

De faciles études le menèrent, à 19 ans, à l'École Polytechnique, il sortit major, puis à l'École des Mines qu'il quitta, également numéro 1, en 1889.

Il fit ses débuts administratifs à Paris et fut, à sa sortie de l'Ecole, attaché au secrétariat du Conseil général des Mines.

Les quelques mois qu'il y passa ne furent pas pour lui sans profit ; ils lui offrirent l'occasion d'étudier dans ses détails et son application la réglementation minière. Les affaires qui étaient évoquées au Conseil constituaient un résumé à traits essentiels de toute la vie du Service des Mines. Il découvrit, à travers elles, les grandes questions techniques et administratives qui absorbaient l'activité du Corps et put faire le point de celles qui, telle la sécurité dans les mines, étaient alors en pleine évolution.

Cette information préliminaire, cette vue d'ensemble du domaine qui lui était ouvert, devaient lui permettre d'aborder sans tâtonnement les problèmes concrets avec lesquels il n'allait pas tarder à prendre contact.

Le 1er avril 1890, il était chargé du sous-arrondissement minéralogique de Rodez et allait prendre possession de son poste.

Ainsi s'amorçait la première période de combat de cette longue existence : il devait rester près de vingt-cinq ans dans le Centre-Midi et consacrer aux exploitations minières de cette région le plus clair de ses années de jeunesse.

Les conditions dans lesquelles fonctionnaient à la fin du XIXe siècle ces entreprises étaient, dans l'ensemble, franchement mauvaises. Moins évoluées techniquement que les houillères du Nord, plus anciennes pour la plupart, partant, dotées d'un équipement souvent archaïque, et surtout victimes d'un individualisme forcené, les houillères du Centre-Midi formaient un ensemble anarchique sur lequel le contrôle administratif n'avait prise que dans des conditions particulièrement pénibles. Un sens de la responsabilité insuffisant chez les exploitants, des moyens matériels déficients, une technique peu sûre, paralysée souvent par les impératifs d'un empirisme étroit, l'indiscipline, au point de vue technique, d'un personnel ancré dans un mépris définitif des réglementations - trop peu éduqué d'ailleurs pour comprendre la nécessité et trop habitué au risque pour se donner la peine de prendre les sécurités les plus élémentaires, un climat social loin d'être excellent, tout contribuait à donner au bassin une vie quotidienne des plus inégales que bouleversaient de loin en loin quelques retentissantes çatastrophes.

La mise en ordre des exploitations du Centre-Midi allait constituer l'un des chapitres capitaux du grand oeuvre auquel s'était voué le Corps des Mines depuis le début du XIXe siècle : l'organisation de la sécurité dans les mines.

A cette tâche s'était attelée toute une élite d'ingénieurs dont la plupart sont restés obscurs, dont certains ont laissé un nom.

L'ingénieur en chef qu'Emile COSTE trouva à son arrivée à Rodez n'était pas le moins remarquable des membres de cette pléiade. De CASTELNAU était un homme d'une classe exceptionnelle. Dur, entier, énergique, d'une ténacité à toute épreuve, incapable de se laisser détourner du but qu'il s'était fixé par les obstacles et les revers de la vie quotidienne, il s'était voué à sa tâche avec une totale conviction.

COSTE rencontra en lui un conseiller, certes, en cas de besoin, un appui, toujours mais avant tout un chef qui, dès le premier jour, entendit lui donner le sens des responsabilités et exigea de son initiative ce qu'elle pouvait donner.

Emile COSTE dirigea effectivement son sous-arrondissement. Il eut tout de suite à faire face à des difficultés de tous ordres. Très jeune, encore, sans expérience technique, il eut à prendre d'emblée des décisions et des responsabilités qui eussent exigé une plus longue préparation. Il se forma en livrant ses premières batailles et cette méthode d'éducation administrative quelque peu brutale donna, en ce qui le concerne, un résultat étonnant.

Il se forma si vite et si complètement que, dès 1891, lorsque l'Administration appela de CASTELNAU à prendre, dans des conditions particulièrement critiques, l'arrondissement de Saint-Étienne, celui-ci demanda que son subordonné de Rodez le suivît et fût chargé du sous-arrondissement minéralogique de Saint-Etienne-Ouest.

COSTE y fut appelé le 25 mai 1891. Il devait conserver ce service jusqu'au 16 octobre 1900.

La situation dans le bassin de Saint-Étienne était, aux environs de 1890, très grave.

Des accidents retentissants venaient de s'y produire coup sur coup. Ils avaient eu des conséquences particulièrement tragiques et s'étaient entourés d'une notoriété qui avait valu aux mines de la Loire une triste réputation.

C'est à la suite de deux dernières catastrophes : celle des puits Verpilleux et Saint-Louis qui, le 3 juillet 1889, avait fait 207 morts, et celle de Villeboeuf, survenue le 29 juillet 1890, et où l'on compta 116 morts et 40 blessés, que l'Administration des Mines décida de réagrir avec toutes les armes que la réglementation lui donnait, et que de CASTELNAU fut chargé de mener à bien l'oeuvre de rénovation qui s'imposait. Le nouvel ingénieur en chef prit d'emblée des mesures radicales : usant du pouvoir conféré aux ingénieurs des Mines par le décret du 3 janvier 1813, il prit personnellement, dès son arrivée, la direction des travaux.

Emile COSTE fut ainsi amené à exercer dans le secteur qui lui incombait le métier d'exploitant, avec les charges et les responsabilités qu'il comporte. Les travaux étaient fort délicats et demandaient la présence presque constante des ingénieurs des Mines. Ceux-ci, pour faire face à la tâche impartie, durent faire preuve d'une activité et d'une abnégation à toute épreuve. Il arrive à COSTE de passer jusqu'à 36 heures de suite dans les travaux dont il avait la charge.

Le 6 décembre 1891, un nouvel accident se produisit au puits de la Manufacture. Il causa la mort de 63 ouvriers et en blessa 10 autres. Coste fut chargé d'organiser le sauvetage et de conduire l'enquête. Quoique les travaux ne fussent pas placés sous sa surveillance régulière, il avait été amené, dès les premières heures, à y prendre une part active. Ultérieurement, il y avait remplacé l'ingénieur titulaire tombé malade et il les connaissait fort bien.

La tradition garde le souvenir des conditions brillantes dans lesquelles Emile COSTE conduisit son enquête. Usant de l'autorité qu'il inspirait, de sa connaissance de l'exploitation et de son habileté à prendre en défaut les témoins les mieux prévenus, il réussit en un quart d'heure à mettre les coupables en contradiction avec eux-mêmes, à dégager les causes initiales de l'accident - (arrêt des ventilateurs au poste de nuit en infraction aux consignes) - et à situer les responsabilités.

Le dévouement et le courage avec lesquels Emile COSTE s'était conduit dans ces tragiques circonstances lui valurent le rare honneur d'une citation à l'ordre du Corps des Mines.

Dès lors, COSTE fut l'agent le plus actif et le plus efficace de l'incessante surveillance qui s'exerça sur les mines de la Loire.

Peu à peu, les erreurs furent réparées et les années qui suivirent 1891 ne furent marquées par aucun accident collectif important. L'énergie et l'exemple d'Emile COSTE amorcèrent d'ailleurs une rénovation de la mentalité générale des exploitants dans le domaine technique. A échéance lointaine, cette évolution est peut-être à l'origine des remarquables initiatives qu'ils prirent, quelques années avant la guerre, pour introduire et développer chez eux, avec un succès qui leur fait honneur, dans des conditions de gisements délicates, les nouvelles méthodes d'exploitation par foudroyage dirigé ou remblayage partiel.

L'action d'Emile COSTE ne se fit pas seulement sentir sur le plan technique. Lors des grèves qui, à plusieurs reprises, éclatèrent dans le bassin, il appuya son ingénieur en chef de l'autorité que lui conféraient à la fois sa puissante personnalité et sa fréquentation continuelle des travaux. Il fut même appelé à intervenir personnellement, et il apporta, à résoudre les questions qui lui furent soumises, un sens indestructible de l'équité en même temps que la plus remarquable habileté.


Ces années de lutte mûrirent un esprit déjà naturellement apte à aborder les problèmes que posent la conduite des affaires industrielles et le maniement des hommes.

Sa réputation s'était rapidement étendue hors du bassin, et avait débordé le cadre de l'Administration. Il avait été l'objet de diverses sollicitations qu'il avait déclinées, quand en octobre 1900, il fut appelé à la Direction de la Société des Mines de Blanzy. Il accepta et quitta l'Administration pour exercer le métier d'exploitant dont les dix années qu'il venait de vivre lui avaient enseigné, dans des conditions particulièrement fructueuses, les éléments, et qu'il était si bien préparé à remplir.

La Société des Mines de Blanzy, primitivement constituée sous forme de société en commandite, venait, au moment où Emile COSTE fut appelé à conduire ses destinées, d'être transformée en société anonyme. Cette transformation était la conséquence d'une crise ouvrière aiguë qui s'était ouverte au milieu de 1889. Une grève qui avait éclaté le 6 juin, avait donné lieu à des manifestations particulièrement violentes, et, si un mois plus tard elle était en apparence terminée, il s'en était fallu de beaucoup que le travail reprît normalement. Au cours des mois qui avaient suivi et pendant toute l'année 1900, l'agitation et le désordre avaient continué de régner, à l'état chronique. Les motifs politiques s'étaient greffés sur les revendications d'ordre social et le conflit avait rapidement pris un tour et une ampleur qui laissaient peu d'espoir aux tentatives de règlement amiable. La Direction impuissante à rétablir la situation avait dû se retirer. Au moment de l'arrivée de COSTE, la production n'était que de 1.400.000 t pour 9.300 ouvriers.

Dès sa prise de pouvoir, Emile COSTE entreprit de remettre de l'ordre dans l'entreprise dont on lui avait confié le sort. Il le fit avec le caractère et la méthode dont il ne devait jamais se départir au cours de son existence.

Dès l'abord, il se heurta à des prises de position d'une regrettable intransigeance, et il eut à faire face à l'hostilité systématique d'un syndicat des plus puissants. L'épreuve de force était inévitable. Elle ne se fit pas attendre. Trois mois après son arrivée à Montceau, en janvier 1901, une nouvelle grève éclata. Elle devait avoir une répercussion considérable dans la région et susciter un déchaînement de passions d'une rare violence.

Décidé à liquider définitivement la question et à faire toutes les concessions possibles pour revenir au plus tôt à un état de choses sain, Emile COSTE prit l'initiative de faire au syndicat des propositions particulièrement avantageuses pour celui-ci. Acceptées tout d'abord, elles étaient rejetées quarante-huit heures après par les éléments violents qui considéraient ces propositions comme une preuve de faiblesse. Cette initiative d'Emile COSTE devait lui être âprement reprochée, comme devait lui être reprochée, par d'autres ennemis, la fermeté dont il fit preuve dans les mois qui suivirent cet échec. L'erreur des extrémistes fut de méconnaître la personnalité du nouveau directeur. Voyant épuisées toutes les possibilités d'accord amiable, il décida d'aller jusqu'au bout de la voie à laquelle on l'acculait.

Malgré les menaces dont il était l'objet, et l'ampleur que la crise prit de jour en jour, COSTE ne céda pas à l'intimidation et sans se départir de la politique d'autorité qui restait la seule efficace, il entreprit, avec un rare courage, de remettre les choses et les hommes à leur place.

La grève dura 105 jours. Pendant ces 105 jours, COSTE eut à faire face aux pires difficultés et courut journellement d'incontestables dangers. Soutenu par les pouvoirs publics, décidé malgré tous les avis contraires à différer la reprise de l'exploitation jusqu'au moment où il aurait la certitude de devoir réussir son entreprise, il eut, au bout du compte, le dernier mot. L'ordre qu'il rétablit devait durer.

L'état des finances de l'entreprise l'obligea à supprimer toutes les industries annexes qui étaient l'orgueil de la société en commandite. Ces industries, très onéreuses, n'étaient pas appréciées par le personnel. Il consacra tous ses soins à la réorganisation du service technique de la houillère et à l'amélioration systématique de l'outillage et des méthodes d'exploitation. Mettant à profit son expérience passée, il réalisa en peu d'années un équipement remarquable et mit au point des méthodes dont les chiffres traduisirent rapidement l'efficacité.

Parallèlement, il restaura complètement le commandement et n'eut, après les durs débuts qui avaient marqué son entrée à la compagnie, que peu de mal à rétablir avec les ouvriers, dont il avait la charge, des relations mieux que satisfaisantes.

Sa valeur personnelle, son sens aigu de l'équité, sa connaissance des hommes, et son expérience de leurs besoins et de leurs réflexes, firent qu'au bout de peu de temps il s'acquit le respect et l'estime du personnel. Les relations entre la direction et le syndicat redevinrent très rapidement normales et le retour des crises qui avaient ébranlé la Société fut définitivement conjuré.

Au départ d'Emile COSTE, en 1913, l'extraction était remontée à 1.840.000 t.

Sa largeur de vue se traduisit de façon particulièrement éclatante dans les tentatives, parfois fort audacieuse pour l'époque, qu'il essaya au cours de ces années. Sur son initiative et sous sa direction, la Société de Blanzy essaya, par exemple, de faire participer le personnel aux bénéfices. Ce fut cette fois-là un échec, mais un échec inhérent à la nature des choses, et qu'on ne peut imputer à celui qui l'avait tenté.

En mai 1914, Emile COSTE abandonna Blanzy et fut réintégré dans les cadres de l'Administration des Mines. Une mission de la plus haute importance venait de lui être confiée et sollicitait son activité. Mis à la disposition du Ministre dès Affaires étrangères, il partit, toutes affaires cessantes, au Maroc, en qualité de conseiller technique du MAGHZEN pour y suivre les opérations de la Commission arbitrale des Mines.

Son habileté et sa haute valeur technique servirent de façon capitale, dans cette épineuse question, la cause de la prépondérance française au Maroc. Il achevait sa mission au moment où éclata la guerre de 1914.

Lieutenant-colonel d'artillerie, il fut affecté dès le début des hostilités à la Manufacture d'armes de Saint-Étienne, au développement et à la rationalisation de laquelle il prit la part la plus active. Il y monta notamment, à peu près à lui seul, un atelier de fabrication en grande série de canons de mitrailleuses.

Mais son passé et ses qualités personnelles allaient le faire très rapidement appeler à des fonctions de portée plus générale. Rendu au secteur civil, il fut, au début de 1917, nommé Directeur des Mines.

La production nationale traversait, à cette phase critique de la guerre, une crise dont l'expérience des années que nous venons de vivre illustre l'inquiétante gravité. Le pays se trouvait alors en plein effort de guerre. Les départements miniers du Nord et du Pas-de-Calais étaient pour la plus grande partie envahis, et il devait tirer l'ensemble de ses ressources charbonnières des bassins dispersés et secondaires du Centre-Midi. L'importation charbonnière, quant à elle, rencontrait des difficultés considérables. Parmi les fournisseurs habituels de la France, une partie était contrôlée par l'ennemi. La Grande-Bretagne était en guerre et, contrainte de satisfaire aux besoins sans cesse croissants de ses fabrications, ne pouvait nous apporter toute l'aide nécessaire.

La gerre sous-marine, d'autre part, apportait dans le trafic maritime des perturbations tragiques et la crise des frets atteignait à ce tournant de la guerre une importance aiguë. La production française était tombée au chiffre redoutablement faible de 21.300.000 t/an.

Emile COSTE prit la charge de la Direction des Mines avec mission de porter, dans les plus brefs délais et par tous les moyens possibles, la production nationale à son niveau maximum.

Il s'y employa avec la clarté de vues et la vigueur d'exécution dont il avait déjà donné tant de preuves. Sa connaissance des bassins du Centre-Midi lui permit de décider des mesures propres à développer et à rénover les vieux bassins de Saint-Etienne et du Gard. D'autre part, il provoqua la réouverture d'une multitude de petites mines abandonnées en raison de leur prix de revient trop élevé et de la qualité inférieure de leur combustible. Les réformes qu'il décida, étayées sur une rationalisation et un développement massif de l'emploi de la main-d'oeuvre qu'il accrut considérablement grâce à l'emploi systématique des prisonniers, donnèrent des résultats frappants par leur importance et les délais dans lesquels ils intervinrent. En 1917, la production autochtone française atteignait le chiffre particulièrement remarquable de 28.900.000 t.

COSTE avait un caractère entier. Conscient de la lucidité avec laquelle il envisageait les problèmes qui lui étaient posés, jaloux de pouvoir, pour les résoudre, arrêter en toute indépendance les solutions qu'ils paraissaient comporter, il avait peine à s'accomoder des contingences que la politique imposait à la technique. Au bout d'un an, jugeant que la liberté d'allure qu'il estimait indispensable à l'exercice de ses fonctions ne lui était pas garantie, il se démit de son poste et reprit du service comme ingénieur en chef des Mines.

Il fut chargé par son successeur de diverses missions dont la plus importante fut sans doute l'étude, qu'il effectua en 1918, sur les conditions d'intégration du bassin de fer de la Moselle dans l'économie française. L'issue de la guerre se dessinait et l'on s'inquiétait de savoir selon quelles modalités ces mines feraient retour à la mère patrie. Emile COSTE résolut le problème de leur réintégration technique et économique dans le complexe français de l'Est. Il étudia, notamment, la convention destinée à régir le retour de ces mines à la France, et régla, de concert avec les mines françaises, les difficiles problèmes que posait l'organisation de l'exhaure générale du bassin. C'est sur l'arbitrage de COSTE que le bassin de fer lorrain a vécu à ce point de vue depuis 1918.


Dès l'armistice, Emile COSTE entra en Alsace. Il y était nommé, à la résidence de Strasbourg, Directeur général de l'Industrie et des Mines pour les départements recouvrés.

Son rôle au cours des deux ans qu'il passa à Strasbourg fut capital. Il négocia notamment toutes les questions que posait la reprise des mines et des usines sidérurgiques d'Alsace-Lorraine, et poursuivit avec l'Office des biens ennemis de très délicats règlements que son habileté et sa connaissance industrielle lui permirent de faire aboutir au mieux des intérêts du Pays.

Parallèlement, il fut l'animateur de la reprise industrielle dans tout cette région. Doté de pouvoirs très étendus en matière minière et industrielle, il prit en main toute l'activité des départements libérés. Grâce à une politique prudente et réaliste de répartition des ressources énergétiques et des matières premières, il assura une remise en route progressive et en moins de deux années parvint, sans à-coups notables, à restaurer le potentiel de ces riches provinces, et à les rendre à une vie industrielle normale. Il fut là l'essentiel artisan d'un succès dont on ne saurait trop souligner l'importance du point de vue français.


Aux environs de l'année 1920, Emile COSTE pouvait regarder sa tâche à Strasbourg comme achevée. Il envisageait un retour dans l'industrie privée. Il n'avait jamais considéré qu'il y eût un fossé entre l'Administration et le secteur privé. C'était à ses yeux deux champs complémentaires où l'on pouvait avec une égale efficacité servir le bien public. Le Gouvernement l'empêcha de réaliser son intention.

L'exécution du traité de Versailles commençait de soulever de sérieuses difficultés. L'Allemagne s'appliquait à en tourner systématiquement les prescriptions et, des le début de 1920, l'exécution des clauses relatives aux réparations en nature donnait lieu à des difficultés et à des réticences qui s'avéraient plus opiniâtres de mois en mois. En ce qui concerne le charbon en particulier, la situation était particulièrement critique. En mai, les livraisons atteignaient à peine 30 p. 100 des tonnages que la Commission des réparations, apportant aux obligations du traité de paix des atténuations déjà très sensibles, avait mis en demeure l'Allemagne de livrer aux Alliés. Cette carence était particulièrement désastreuse pour la France, que les dommages subis par les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais privaient pour de longs mois de l'essentiel de ses ressources nationales. La production était tombée à la cessation des hostilités par suite du départ prématuré des prisonniers de guerre, du reflux trop hâtif dans le Nord et le Pas-de-Calais de tous les mineurs de ces régions qui travaillaient dans les Mines du Centre-Midi, et également d'une interprétation fâcheuse de la loi sur la durée du travail dans les mines. En 1919, la production nationale, en dépit du retour de la Moselle, n'avait atteint que 22.400.000 tonnes contre 26.250.000 tonnes en 1918, Moselle non compris. Il était donc d'une nécessité vitale pour la France que les livraisons allemandes prévues au titre des réparations et qui devaient atteindre plus d'un million et demi de tonnes par mois, fussent rigoureusement effectuées. Malheureusement, il était loin de régner, au sein des Alliés, une unité de vue satisfaisante à ce sujet. Les grands producteurs de charbon alliés ne voyaient pas en effet sans inquiétude se réaliser la fourniture, par fer et par eau, à leurs clients essentiels, de combustibles à bas prix en provenance des mines allemandes, auxquelles la dépréciation du mark accordait une prime de jour en jour plus considérable et qui venaient se substituer à eux sur des marchés qui leur étaient traditionnellement réservés.

Jouant de ces divergences d'intérêt, et sentant qu'une partie de ses ex-adversaires étaient prêts à la soutenir dans sa résistance, l'Allemagne manifestait une volonté d'opposition chaque jour plus marquée.

En août 1920, une conférence se réunit à Spa, qui réduisit encore les impositions globales de l'Allemagne à 2 millions de tonnes par mois. Il fut décidé que la Commission des réparations serait chargée d'assurer l'exécution de l'arrangement ainsi conclu. Les livraisons de charbon à effectuer à la France, à la Belgique, au Luxembourg et à l'Italie devaient être prélevées sur les tonnages de houille que l'Allemagne extrayait dans les Bassins de la Ruhr et d'Aix-la-Chapelle et même dans la Haute-Silésie. Une délégation permanente siégeant à Berlin représenterait la Commission des réparations et aurait pour rôle d'établir les programmes de livraison et d'en surveiller l'exécution.

La présidence de cette délégation, qui comprenait un Anglais, un Américain, un Belge et un Italien, revenait à un Français. Le Gouvernement désigna Emile COSTE et lui enjoignit de partir sur-le-champ pour Berlin pour assumer ces fonctions délicates.

COSTE ne se dissimulait pas les difficultés qui l'attendaient. Il souligna entre autre, véhémentement, les difficultés que ne pouvait manquer de rencontrer un organisme aussi hétérogène que la Délégation permanente ; on avait prévu une commission là où il fallait un organisme d'exécution ayant une tête responsable. Comment espérer mener à bien l'oeuvre qui lui était confiée, s'il lui était impossible, faute de pouvoirs suffisants, d'imposer à la Délégation une unité de vues, opposable à ses interlocuteurs allemands? Dès son arrivée à Berlin, il se trouva placé dans une situation fort délicate. Des dissensions ouvertes ne tardèrent pas à éclater au sein de la Commission qu'il était appelé à présider. Le désaccord des points de vue des membres de la Délégation permanente, la suspicion dans laquelle, manifestement, la Commission des Réparations tenait cet organisme, les complications administratives de tous ordres, qui servaient de paravent à la manifestation des intérêts divergents des différentes puissances représentées, n'échappèrent pas aux Allemands qui en jouèrent avec toute l'habileté qu'on pouvait craindre.

Durant plusieurs mois, Emile COSTE eut à mettre en oeuvre toutes ses facultés manoeuvrières. Son obstination, sa connaissance approfondie des questions, l'information qu'il réussissait, dans les circonstances les plus difficiles, à réunir à l'appui de ses thèses, lui permirent de convaincre ses adversaires, de réduire les oppositions et d'imposer finalement sa volonté. Quand il quitta Berlin, la livraison imposée à Spa avait été exécutée en totalité.

Mais les problèmes posés par les relations franco-allemandes n'avaient pas fini d'accaparer l'activité d'Emile COSTE.

A mesure que la carence anglaise devenait plus manifeste, l'opiniâtreté de l'Allemagne dans la lutte qu'elle menait pour la non-application des clauses du traité de paix s'affirmait. Conférence de Gênes, Conférence de Londres, Conférence de Paris, se succédaient sans qu'il en sortît d'autre résultat tangible que d'affirmer les divergences créées entre les Alliés par leur souci de poursuivre leur intérêt purement immédiat et que d'affermir, par là même, la volonté de résistance de nos adversaires.

Dès 1920, le Gouvernement français avait compris la nécessité d'une mesure de coercition et envisagé l'occupation plus ou moins totale de la Ruhr.

A la fin de son séjour à Berlin - qu'il avait accessoirement mis à profit pour réunir une forte documentation sur plusieurs questions qui préoccupaient les responsables - Emile COSTE, en tant que spécialiste des affaires allemandes, fut appelé à étudier les modalités éventuelles de cette action. Entre 1920 et 1923, plusieurs plans d'occupation furent élaborés à l'établissement desquels il prit 3a plus grande part. Les données en varièrent à plusieurs reprises. Au vrai, le Gouvernement français hésitait à se lancer dans cette aventure, conscient qu'il était de l'opposition qu'il rencontrerait de la part des Alliés ; et, selon l'évolution de la conjoncture politique, il envisagea successivement les formules les plus diverses. COSTE fut appelé à intervenir dans la plupart des discussions que chaque renouveau d'actualité de la question ne manquait pas de susciter. L'échec de la conférence de Paris, en janvier 1923, mit fin à cette longue période d'hésitation et amena la France à décider de passer seule aux actes.

Étayant son intervention sur une nouvelle et solennelle constatation du manquement de l'Allemagne aux dispositions du traité de paix consacrées par la Commission des Réparations, le Gouvernement français décida l'occupation militaire de la Ruhr. Une mission de contrôle des usines et mines des territoires occupés, ou plus familièrement MICUM, reçut pleins pouvoirs pour effectuer tous contrôles utiles sur les mines et usines de la zone qui allait être occupée et pour effectuer toutes les répartitions, réquisitions et déroutements de combustibles que lui paraîtrait exiger la bonne exécution des clauses du traité de paix. Emile COSTE fut mis à la tête de ce mission le 5 janvier 1923.

La réaction de l'Allemagne fut immédiate. Enhardie par la carence du Gouvernement anglais, le Reich prescrivit l'arrêt de toutes les expéditions allemandes vers la France et lança à tous les industriels de la zone nouvellement occupée l'ordre de se refuser à exécuter toutes instructions des autorités françaises.

Dès son arrivée à Essen, où il se fixa, Emile COSTE réunit ces industriels et prit l'initiative de leur faire la seule proposition qui pouvait avoir quelque chance d'assurer une reprise immédiate des expéditions de charbon vers la France - la seule proposition, par ailleurs, qui plaçât la France vis-à-vis de l'Europe dans une position aisée à défendre : il informa les Allemands qu'il était autorisé à leur dire que des dispositions seraient prises pour que les livraisons qu'ils feraient leur fussent payées dans leurs conditions où elles l'avaient été jusque là par le Reich, et les invitait à reprendre leurs expéditions comme par le passé. Les négociations furent laborieuses. Il réussit à mettre sur pied un accord. Mais deux jours plus tard, les industriels allemands le dénoncèrent et déclarèrent que, sur l'ordre formel de leur Gouvernement, ils se voyaient dans l'impossibilité d'en exécuter les clauses. Le parti de la violence l'emportait et lançait l'Allemagne dans une aventure qui devait lui coûter relativement cher.

COSTE décida d'appliquer une politique de fermeté inflexible. Il donna l'ordre, sous peine de sanctions extrêmement sévères, à chacune des mines de la zone occupée, d'avoir à reprendre immédiatement ses livraisons aux Alliés. Il soulignait en même temps, avec toute la force désirable, au commandement militaire, que l'action de la MICUM n'était possible que si elle était immédiatement reconnue. Il importait donc que les premiers manquements fussent sanctionnés de façon exemplaire.

Le Chef de la MICUM jugea (comme en témoigne son journal) que le commandement, malheureusement, ne se résignait qu'avec beaucoup de lenteur et de réticences à engager les poursuites qu'il lui demandait et que les sanctions dont se virent finalement frappés les coupables n'étaient que de pure forme.

Ces hésitations et ce manque d'énergie furent considérés par les Allemands comme une preuve de faiblesse. La résistance s'en accrût d'emblée et l'opposition aux Français prit très rapidement une ampleur inquiétante. La grève des chemins de fer se greffa sur celle des P.T.T. Celle des hôtels suivit. Les sabotages se multiplièrent ainsi que les attentats. Durant des semaines, la Délégation vécut dans une ambiance d'insécurité et d'hostilité constantes. Isolée à Essen, à peu près sans protection, elle se trouvait aux prises avec les pires difficultés et la simple vie quotidienne posait pour elle des problèmes de jour en jour plus difficiles à résoudre.

Emile COSTE, dans ces mois difficiles, donna la pleine mesure de son énergie. La situation lui rappelait par plus d'un point celle à laquelle il avait eu à faire face 23 ans plus tôt à son arrivée à Montceau et il résolut, quelques critiques qu'il en reçut (et on ne les lui ménagea pas), d'adopter l'attitude qui lui avait semblé alors la seule possible et qui, seule, lui avait permis d'aboutir.

Il eut à lutter de tout son pouvoir contre un mouvement d'opinion qui se dessinait dans certains milieux responsables et qui réclamait la réquisition et la mise en exploitation directe par les Français des mines et usines de la Ruhr. Il estimait que cette vue était utopique en raison notamment de l'insuffisance numérique en personnel d'ingénieurs français et s'opposa de tout son pouvoir à une tentative où eut risqué de sombrer définitivement le prestige de notre pays. Il était convaincu que seules des mesures d'isolement de la Ruhr finiraient par donner un résultat.

Après mille difficultés, il obtint la fermeture totale vers l'Est de la Ruhr pour le coke, la houille et les produits métallurgiques.

Dès lors, il ne s'agissait plus que de tenir. Les mines ne voulaient à aucun prix laisser chômer leur personnel car elles craignaient qu'un chômage n'entraînât des mouvements communistes ou encore que les ouvriers demandassent du travail aux Français. Les carreaux peu à peu s'encombrèrent à refus. Les tentatives pour percer le blocus Français furent déjouées; en grand nombre les rames chargées de charbon s'amoncelèrent sur les triages.

Emile COSTE organisa alors la surveillance systématique des stocks et transports. Quand le moment lui sembla venu, il procéda, avec l'aide d'entreprises de déchargement françaises, à des réquisitions et à des enlèvements massifs. Énergiquement et rapidement menées, ces mesures donnèrent les résultats que l'on en pouvait attendre. Les livraisons étaient tombées à 65.000 tonnes en février 1923. Les prélèvements atteignirent 450.000 tonnes en mai.

La lutte entre la mission et les industriels de la Ruhr se prolongea pendant 11 mois. L'opiniâtreté du Chef de la MICUM ne permit pas la défaillance des autorités responsables.

Au début du printemps, le dispositif complètement mis en place, il passa ses pouvoirs à Paul FRANTZEN - qui devait continuer et achever avec un rare bonheur l'oeuvre entreprise - , et quitta l'Allemagne.

Quelques mois après son retour à Paris, COSTE eut la joie de voir le puissant R. W. Kohlen Syndicat qui, à son arrivée à Essen, avait si dédaigneusement repoussé les avantageuses propositions qu'il avait pris l'initiative de lui faire, acculé à accepter une capitulation quasi-totale.

Emile COSTE était revenu d'Allemagne avec une santé complètement délabrée. Depuis plusieurs mois déjà, il n'assumait plus les lourdes charges qui lui incombaient qu'au prix d'un effort de volonté considérable. L'inconfort de la vie qu'il avait menée à Essen, le labeur opiniâtre auquel il s'était contraint, des déplacements perpétuels, en plein coeur de l'hiver, par des moyens de fortune, l'avaient achevé. Il dut penser très sérieusement à se ménager. Il était resté à son poste jusqu'à l'extrême limite de ses forces et ne l'avait quitté que lorsque, la période critique étant terminée, la mission dont il assumait la présidence était entrée dans la voie des réalisations pratiques.

Il a laissé de ses séjours à Berlin et en Ruhr un journal qui retracé au jour le jour l'évolution des événements et les difficultés avec lesquelles s'est trouvé aux prises. Ce document mériterait d'être publié. Il apporte des événements et des hommes une vision lucide, souvent sans indulgence, le témoignage d'une expérience qu'il serait particulièrement profitable méditer dans les circonstances présentes.

" Vous avez réussi, lui écrivait le Ministre des Travaux publics, par le prestige que vous assuraient votre haute valeur morale jointe à votre autorité technique et à votre expérience consommée des questions industrielles, à vous entourer d'un groupement important d'ingénieurs alliés dont vous avez su orienter l'activité et coordonner l'action de la manière la plus heureuse. Vous avez su notamment fixer avec sûreté la méthode à suivre pour assurer la conservation et l'exploitation des gages saisis. "

Il fut promu à son retour en France commandeur de la Légion d'honneur et Inspecteur général des Mines de 1re classe.

COSTE consacra la fin de sa carrière à son Inspection du Sud-Est. Il comprit son rôle d'Inspecteur général de la façon la plus complète, ne cessant de faire profiter les exploitants et ses subordonnés de son expérience technique et humaine. Rien ne lui était étranger des multiples bassins qu'il réunissait sous son contrôle et à la vie desquels il avait été si directement mêlé pendant 25 ans.

En 1929, à 65 ans, très éprouvé dans sa santé, il demanda sa mise à la retraite. Il se retira alors dans ses terres et y acheva paisiblement, au milieu des siens et dans le cadre d'une région à laquelle il tenait passionnément, une existence pleine de combats et d'efficience.


Emile COSTE était un homme d'une taille moyenne, au visage fermé, au front haut, le regard direct, une barbe exactement coupée, une parole concise. Son sérieux était proverbial; on comptait les fois où on l'avait vu sourire. Peu de ses collaborateurs se rappellent l'avoir vu rire.

Il a exercé sur tous ceux qui l'on approché - et il en est qui comptent parmi les hommes les plus remarquables - un ascendant extraordinaire.

Il a su inspirer à ceux qui ont été appelés à travailler avec lui un mélange de respect et de confiance et également un attachement qu'il aurait méprisé de conquérir par des voies faciles, dont, peut-être, il ne se donnait pas la peine de penser qu'il pût l'inspirer. Il n'était pas homme à chercher à se rendre populaire. Détestant la facilité, méprisant les extériorations, ennemi de toute familiarité, se confiant peu, ne se livrant jamais, il avait de l'autorité une conception rigide - non sans grandeur - qui l'inclinait peu à avoir avec ses subordonnés des contacts personnels.

Il était naturellement enclin à ne communiquer de sa pensée que ce que ses collaborateurs avaient à en connaître. Mais lorsque ceux-ci avaient conquis sa confiance - ce qui était parfois long - il la leur accordait sans réserve et n'hésitait pas à solliciter leur avis sur maintes questions qui le regardaient seul.

Il avait un sens extraordinaire de la responsabilité. Maître de ses services, il n'admettait pas qu'un de ses subordonnés pût être mis en cause par qui que ce fût et entendait assumer personnellement la responsabilité de tout ce qui se faisait sous ses ordres.

Il donna de ce souci quelques preuves éclatantes, que ceux qui ont travaillé pour lui n'ont pas oubliées.

Il supportait mal l'indécision et la routine administratives. Ses jugements sur les hommes étaient lucides, sans romanesque ni indulgence. Il les gardait d'ailleurs en règle générale pour lui. Il n'entendait pas que sa bonté faussât son jugement. Il concevait qu'on fût bon avec quelqu'un qu'on avait jugé fût-ce défavorablement. Il ne concevait pas qu'on pût s'aveugler par bonté sur la réalité des êtres.

Sa personnalité intellectuelle était incontestable et incontestée. Il avait un esprit clair, prompt à saisir en toutes choses l'essentiel. Il savait lucidement ce qu'il voulait et le voulait avec opiniâtreté. Dans les important discussions que, sur le plan national ou international, il eut à présider auxquelles il fut appelé à prendre part d'un bout à l'autre de sa carrière, il s'avéra un antagoniste redoutable. D'un mot, il savait replacer le débat dans ses cadres, dénoncer le point faible d'une argumentation, souligner les évidences. Il se défiait de la logique, mais il savait user de la logique avec une implacable rigueur pour réfuter les erreurs auxquelles son abus même incitait ses adversaires.

Dans l'étude des grandes questions comme dans le maniement des hommes, il se révéla d'une prudence, d'une habileté et d'une compréhension étonnantes. Au fond, il était le moins systématique des hommes; il était pénétré de cette conviction que la vie est une aventure trop riche, le monde une création trop complexe pour qu'on entende les faire tenir dans le déterminisme dérisoire d'une formule. Sa sûreté de jugement était, en réalité, une faculté de juger des hommes et des choses d'un point de vue qui échappait aux esprits uniquement analytiques. Sa stabilité d'esprit semblait dénoncer qu'en toute circonstance, il restait en possession d'une vérité qui n'était pas à mettre en question : elle déterminait les solutions qu'il apportait aux problèmes qu'il avait à résoudre. Les vicissitudes du quotidien étaient pour lui des incidents. Elles restaient impuissantes à troubler la vision éminemment simple qu'il avait du réel.

Mieux que personne, peut-être, il savait que l'homme n'est que l'homme et que l'Histoire se compose à coups de compromis.

Emile COSTE restera incontestablement l'une des figures marquantes du Corps des Mines. Pendant toute sa vie, il n'eut d'autre inquiétude que de faire ce qui devait être fait. La tâche que le destin lui avait assignée, sans que, peut-être, il l'eût choisie en toute liberté, il entendit l'accomplir sans la moindre restriction mentale, lui prodiguant des dons, qui étaient grands, et sacrifiant sa liberté intellectuelle. Au fond, c'est la Justice qu'il poursuivit et servit d'un bout à l'autre de sa longue existence. Ce qu'il fut avant tout, dans ce siècle difficile : un Juste au sens éternel où l'entendent les Écritures.

Ses dernières années n'ont été remplies que du retentissement du drame où se jouait, entre autres choses, le sort d'une France dont il avait passé sa vie à préparer l'avenir et qu'il voyait envahie pour la troisième fois. Dans la débâcle qui se composait sous ses yeux, s'inscrivait, pour lui, la preuve de l'inutilité de toute une existence d'efforts. Parmi ce qui sombrait il y avait son oeuvre. Avec le reste, tout ce qu'il avait contribué à acquérir était remis en question. Sa sérénité n'en fut point affectée, car il savait que c'est le Spirituel qui mène le monde, et de la fatalité de la libération complète du sol national il n'avait jamais douté.

Il est mort trop tôt pour voir l'avènement d'une paix dont sa longue expérience savait qu'elle allait être plus dure à gagner que la guerre, qu'elle allait exiger de la France plus de luttes, plus d'opiniâtreté, un sens aussi réel de la grandeur, le sacrifice, peut-être impossible, d'une continuité et d'une unanimité dans l'effort. Son exemple demeure.

Le Corps des Mines salue la mémoire de celui qui fut véritablement l'un de " Ces Grands Messieurs qui firent la France ".