Polytechnique (promotion 1895, entré classé 4ème, sorti classé 3ème sur 222 élèves), Ecole des Mines de Paris (diplômé le 22/8/1901, classé 3ème). Corps des mines.
Fils de Claude-Paul TAFFANEL, chef d'orchestre à l'Opéra de Paris, et de Marie Etiennette Geneviève DESLIGNIÈRES.
Claude-Paul TAFFANEL (1844-1908) est souvent considéré comme le créateur de l'Ecole française de flûte.
Né le 20 mai 1875 à Paris 2ème, décédé le 6 mars 1946. Décrit dans le registre matricule de Polytechnique comme : cheveux chatains - front étroit - nez moyen - yeux gris - bouche moyenne - menton rond - visage ovale - taille 170 cm.
Jules Lucien Jacques TAFFANEL épouse Mlle Marie CHANCEL en 1919 ; elle meurt en août 1924.
Il commence sa carrière dans le service des mines, à Clermont-Ferrand puis à Saint-Etienne.
Sensibilisé, à la suite de la catastrophe de Courrières, par les problèmes de sécurité dans les mines, il est envoyé pendant 7 ans dans une station d'essais à Liévin, où il met au point deux procédés de sécurité concernant l'inflammation des poussières : la schistification des galeries, les arrêts-barrages qui portent son nom.
Au début de la guerre, en 1914, il organise la fabrication industrielle d'obus à Saint-Nazaire. Il fit partie de la mission militaire technique française en Russie de 1915 à 1918, pour développer la fabrication d'obus, de gaz asphyxiants, d'explosifs, ... (avec Pyot, Poncet, Gravier, Vagneux, Boyard, Mimey, Denis). Chassé par les révolutionnaires, il reçoit la responsabilité de la reconstruction industrielle de régions dévastées. En 1918, il est promu officier de la Légion d'honneur à titre militaire. Peut-etre découragé par la révolution russe, il préfère reprendre ses recherches.
Sidérurgiste, il entre en 1919 à la Compagnie des forges de Châtillon, Commentry et de Neuves-Maisons dont il est d'abord directeur des établissements du Centre, puis directeur général adjoint en 1922, directeur général en 1924. Il devient vice-président du comité des Forges de France.
Citation de L. Blum-Picard :
Taffanel, cet homme à l'esprit si original, cet expérimentateur si précis et si ingénieux, avait été chargé, après la catastrophe de Courrières, de l'ensemble des recherches sur la sécurité dans les mines et en particulier de l'étude des dangers que présentent les poussières de houille, phénomène sur lequel l'attention des mineurs avait été peu attirée avant ce terrible accident.
Taffanel, grand ingénieur dont peut s'enorgueillir aussi le Corps des Mines, avait su délimiter le problème par une série d'études admirables. Ses travaux à la station d'essais de Liévin, ses études des coups de poussières dans la galerie expérimentale sont présents à tous les esprits. Les mémoires de Taffanel déterminent les bases des grands problèmes de sécurité de l'exploitation.
Immédiatement après la guerre, au grand regret de l'administration, de l'industrie et de la science, Taffanel avait abandonné ses recherches pour diriger une grande société sidérurgique et le choix de son successeur s'avérait difficile. [Etienne Audibert fut désigné pour lui succéder].
En 1911, la Société de l'industrie minérale remet à Taffanel sa grande médaille d'honneur, pour travaux particulièrement remarquables sur les mesures préventives contre les poussières de houille. La même année, il reçoit la croix de la Légion d'honneur. En 1917, alors qu'il est en Russie, il est nommé officier de la Légion d'honneur.
Publié dans le Bulletin de l'Association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, juin 1925 :
Puisque j'ai le grand honneur de présider cette année votre Assemblée générale et que j'ai ainsi la précieuse occasion de dire quelques mots à mes camarades mineurs, j'en profiterai pour vous entretenir d'un sujet qui, pendant sept ans, a rempli ma vie, celui de la sécurité des mines, spécialement à l'égard du danger d'explosion généralisée par la présence des poussières de houille.
Je serai ainsi amené à vous parler, avec un peu de cette sereine philosophie que donne le recul de l'âge et du temps, de mes travaux personnels à Liévin, ce qui ne sera guère faire preuve de modestie ; mais je passe outre à ce scrupule, parce que j'ai la faiblesse de croire que lorsqu'un sujet me passionne, il doit intéresser mes auditeurs ; et surtout parce que je suis certain qu'à raison de votre qualité de mineurs, même dévoyés comme je le suis moi-même, votre cœur ne peut que s'émouvoir quand vous songez aux grands risques qui planent sur les travailleurs de la mine, votre esprit ne peut que s'intéresser quand se discutent les moyens d'écarter cette terrible menace.
De toutes les branches de l'activité humaine, en est-il une où le travailleur soit entouré de tant de risques, et si divers, où, en dehors même de ces grandes explosions souterraines qui prennent des allures de catastrophes, les chances d'accident soient si multiples ?
Accidents courants du travail, facilités par le défaut d'éclairage ; chutes dans les voies et chantiers inclinés, ou dans les puits ; accidents de circulation, favorisés par l'étroitesse des voies, et l'obscurité ; chutes de pierres, éboulements, inondation, feux, risques inhérents à l'emploi des explosifs, et j'en passe, tous ces risques, par leur ensemble, font de la vie du mineur une de celles pour lesquelles la lutte contre les forces hostiles de la nature est la plus âpre, la plus difficile.
Mais précisément parce que la lutte pour la vie est, pour le mineur, préoccupation dominante, tant d'efforts intelligents et méthodiques se sont combinés pour améliorer la sécurité du travailleur, qu'en temps normal — il est remarquable de le constater — la mortalité par accident s'abaisse, dans la mine, à un chiffre du même ordre de grandeur que celui que l'on constate dans des professions beaucoup moins exposées.
Il fut même un temps où le risque de grandes catastrophes a pu paraître définitivement écarté ; c'est le jour ou, grâce aux travaux, découvertes et ingénieux appareils de camarades, de maîtres, dois-je dire, tels que Mallard, Le Chatelier, Chesneau, Lebreton, grâce à l'application stricte et méthodique d'un règlement sévère, le grisou, ce fléau, a été vaincu. De 1891 à 1906, nous n'avons eu à déplorer, en France, aucune grande explosion, aucune catastrophe minière, et la mortalité par accident s'est maintenue, dans les mines françaises, aux environs du chiffre très bas de un tué par mille ouvriers et par an.
La nature hostile devait prendre une terrible revanche. Un danger formidable couvait, se développait même, méconnu. Par une singulière fatalité, non seulement l'évolution normale des exploitations, mais encore les progrès même réalisés dans les diverses branches de la technique minière, concouraient à créer, à entretenir, à multiplier ces dépôts de poussières inflammables dont on n'avait pas encore compris qu'ils étaient capables de porter, en quelques secondes, la dévastation et la mort sur des kilomètres et des kilomètres de galeries, indéfiniment. A mesure que les mines s'approfondissaient, elles devenaient, souvent, plus grisouteuses et on les ventilait davantage, et comme elles étaient aussi plus chaudes et plus sèches, l'air échauffé, donc desséchant, achevait de rendre les poussières absolument sèches, donc plus inflammables et cela d'autant plus facilement que la ventilation était meilleure. On avait réalisé de beaux progrès : on traçait de grandes artères rectilignes, pour le roulage, — et l'on préparait ainsi des voies bien plus favorables à la propagation des coups de poussières, que les galeries étroites ou sinueuses du temps passé ; on y faisait circuler rapidement les trains de berlines par traction mécanique, on augmentait la vitesse des cages d'extraction, — et, comme les berlines pleines vont, le plus souvent, à l'encontre du courant d'air, on accentuait la vitesse relative de l'air par rapport à la surface du charbon transporté, et le courant soulevait et entraînait le poussier, dans une mesure proportionnelle au carré de cette vitesse relative ; on muraillait ou bétonnait les artères principales, — et l'on empêchait ainsi que la désagrégation des terrains encaissants ne laisse filtrer à travers le garnissage des fragments et particules incombustibles, propres à diminuer l'inflammabilité du gisement de poussières ; on cherchait à développer l'abatage mécanique - et on accroissait la quantité de poussières charbonneuses formées au chantier.
Enfin on étendait les champs d'exploitation desservis par les siéges d'extraction, on les reliait les uns les autres ; on y voyait même un gage de sécurité pour le personnel : amère dérision ! C'était étendre d'autant le champ des dévastations possibles.
Tout cela nous paraît aujourd'hui presque évident. Bien peu soupconnaient alors la realite tragique, et quand, au lendemain du 10 mars 1906 on connut qu'une explosion souterraine avait fait 1.099 victimes en dévastant 110 kilomètres de galeries, ce fut une véritable stupeur.
La catastrophe de Courrières (1906) vue à travers le Petit Journal
Aussi, quand le Comité des Houillères eut décidé de créer la station d'essais de Liévin, pour chercher, par voie expérimentale, un remède à ce formidable danger, la première tâche fut de vérifier expérimentalement qu'une explosion initiale très restreinte, une flambée de grisou ou un coup de mine fonctionnant irrégulièrement, pouvaient, par le seul fait de légers dépôts de poussières semées le long des voies, se transformer en une explosion généralisée.
La démonstration ne fut, hélas, que trop facile.
La difficulté commença quand il s'agit de déterminer les lois du phénomène, afin de pouvoir en devenir maître.
Ne convenait-il pas d'appliquer consciencieusement les saines méthodes scientifiques dont le principe nous a été enseigné sur les bancs de notre chère école ? Rechercher quels sont les facteurs du problème, les variables indépendantes ; puis, les faire varier chacune à son tour, en laissant aux autres certaines valeurs constantes, puis certaines autres, etc.
Or, on n'eut point de peine à découvrir ces variables indépendantes : le malheur fut qu'on en trouva beaucoup trop. A ne prendre que les principales, j'en trouvais au moins 12. En supposant qu'on se bornât à donner à chaque variable quatre valeurs distinctes, le nombre d'expériences théoriquement nécessaires était 4
Nos amis anglais, qui, dans le domaine de la pratique, ne s'embarrassent pas des subtilités et qui réservent l'esprit scientifique pour les travaux de leurs universités, ont abordé et résolu le problème d'une manière qui, dans son genre, est vraiment remarquable. Ils ont commencé par étudier ce que l'on pouvait pratiquement réaliser au fond de la mine et en ont chiffré le revient : arroser les poussières n'est pas pratique ; mais, mêler aux poussières charbonneuses des poussières incombustibles est réalisable et pas trop coûteux, si l'on ne s'astreint pas à maintenir la teneur moyenne en cendres du mélange à un taux trop élevé : un taux de 50 % serait pratiquement raisonnable. Or, il se trouve que dans les conditions où ils ont expérimenté, avec les poussières qu'ils ont employées, avec leur disposition de galerie et leur méthode de tir, la teneur en cendres, limite d'aptitude à la propagation, fut comprise entre 40 et 50 %. Ainsi, en un petit nombre d'essais fut résolue la question et furent fixées les conditions d'application. N'est-ce point remarquable ?
Entre la méthode plutôt simpliste, pratiquée par les Anglais, et la méthode théorique qui promet la solution du rébus, pour un de ces très lointains numéros des Annales des mines qui continueront à paraître quand les mines de houille seront épuisées et que la question n'aura plus d'intérêt, n'y a-t-il pas place pour une méthode qui satisfasse notre esprit français, à la fois épris de mesure et de clarté, qui réponde à notre besoin d'aller au fond des choses et qui cependant demeure praticable ?
Nos maîtres nous ont enseigné les rigueurs de la pure méthode scientifique, mais ils ne nous ont pas interdit d'avoir du bon sens, bien au contrai re. Ils nous ont appris que l'expérimentation n'est vraiment féconrde que lorsqu'elle est vivifiée par une idée directrice, qui éclaire la route, trace la voie, sélectionne les observations, retient particulièrement celles qui révèlent les lois principales et laisse au second plan les Phénomènes accessoires.
La sélection raisonnée permet d'éliminer un grand nombre d'essais ; l'idée directrice prévoit les lois ; l'expérimentateur n'accumule pas machinalement un ensemble touffu de documents non coordonnés : il vérifie les lois entrevues : sa tâche est bien moins longue, et combien plus élevée !
C'est dans cet esprit, puisé dons l'enseignement de nos grands maîtres, qu'ont travaillé les expérimentateurs de Liévin, progressant avec méthode, réfrénant leur impatience à faire de suite des essais en grand, dans des conditions arbitraires qui n'auraient permis, faute d'avoir défini les lois élémentaires, de tirer aucune conclusion générale : mais allant du simple au complexe, commençant par des essais simples et faciles à multiplier et ne passant qu'ensuite aux essais plus compliqués quand les idées directrices, les hypothèses, ont tracé la route. La recherche ainsi conçue s'est révélée, une fois de plus, comme étant la formule la plus sûre et en définitive la plus expéditive pour résoudre un problème aussi complexe que celui qui nous était posé.
Je voudrais maintenant, et c'est un des motifs qui m'ont fait désirer vous parler de ce sujet, jeter un coup d'oeil d'ensemble sur les résultats de ces recherches et l'esprit dans lequel il convient d'en suivre l'application pratique.
Les mesures préventives que l'on peut prendre contre le danger des poussières se classent en trois degrés : au premier degré, les mesures ayant pour but de supprimer le risque d'une explosion initiale : au second degré, celles par lesquelles les dépôts de poussières sont rendus impropres à propager, dans les galeries avoisinantes, une explosion locale éventuelle ; au troisième degré celles qui tendent à empêcher qu'un coup de poussières, ayant pu se développer dans un quartier de mine, s'étende aux autres quartiers.
Lorsqu'on cherche à se couvrir contre un risque de très grave accident, il est de bonne et constante règle de superposer deux sécurités, afin que, si l'une est défaillante, l'autre y supplée.
Si les circonstances favorables à un accident se présentent 10.000 fois par an et si la première sécurité a une probabilité de défaillance de 1/1.000, en l'appliquant seule, on aura 10 accidents par an : mais si on superpose une seconde sécurité, indépendante de la première, et de même probabilité de défaillance, on n'aura d'accident que tous les 100 ans, ce qui peut être considéré comme satisfaisant si l'accident n'est pas trop grave. S'il s'agissait d'un risque de catastrophe, on estimerait désirable de superposer une troisième sécurité qui, si elle est du même ordre, réduirait la probabilité à un cas de mise en défaut par 100.000 ans.
Dans le cas des coups de poussières, si l'on ne peut donner de précisions chiffrées, on a le sentiment, vu la gravité exceptionnelle de la catastrophe à redouter, que trois sécurités vaudraient mieux que deux. C'est pourquoi la tendance fut, à la suite des essaie de Liévin, d'appliquer simultanément, chaque fois que c'était possible, les mesures préventives des premier, deuxième et troisième degré.
Encore faut-il le faire judicieusement et examiner dans chaque cas, et étant donnée la possibilité pratique d'un certain effort, de quel coté cet effort doit principalement porter.
Les précautions du premier degré s'imposent en tous cas : il s'agit, en fait, d'éviter tous risques d'explosion de grisou et d'employer des explosifs qui n'enflamment ni le grisou, ni les poussières ; je reviendrai, dans un instant, sur ce dernier point.
Ce sont ensuite les mesures du deuxième degré qui, si elles sont présumées devoir être efficaces, s'imposent le plus ; car il est évident qu'il vaut mieux avoir coupé une explosion dès son début que de l'arrêter lorsqu'elle a dévasté tout un quartier et déjà causé de nombreuses victimes, non seulement dans le quartier ravagé, mais encore, par les gaz, bien au-delà.
Mais il y a plus. La probabilité d'efficacité d'une mesure de sécurité se déduit des résultats expérimentaux, par voie de généralisation. Lorsqu'on étudie la phase initiale de l'explosion, le milieu expérimental consiste en un élément de galerie ; or, un élément de galerie expérimentale ressemble singulièrement, s'il est bien établi, à un élément quelconque de galerie de mine ; en tous cas, s'il y a des variantes, elles sont en petit nombre et accessibles à l'expérimentation. Alors la généralisation est légitime.
Au contraire, si l'on veut étudier les moyens d'arrêter une explosion qui s'est déjà développée dans tout un quartier de mine, le milieu expérimental devrait a priori être lui-même analogue à un quartier de mine. Mais il s'agit alors d'un ensemble complexe de galeries aux combinaisons infiniment variées. Les conclusions tirées d'essais exécutés sur un ensemble représenté par un certain schéma, sont-elles valables pour un autre schéma ? Et si le schéma expérimental se réduit à une galerie droite d'une certaine longueur, la généralisation est-elle vraiment valable pour un ensemble complexe de galeries ramifiées ?
C'est une grave question qui m'a toujours beaucoup préoccupé. C'est cette préoccupation qui m'a conduit à analyser, à la fois par des observations multipliées et des études théoriques, le mécanisme du développement des explosions. Cette analyse m'a malheureusement amené à la conclusion qu'à chaque instant l'allure de l'explosion est influencée non seulement par la constitution du milieu inflammable qui se présente devant la flamme, mais encore par le jeu infiniment complexe des ondes de compression ou de détente, engendrées par l'explosion elle-même, réfléchies ou amorties par les culs-de-sac ou les vides et diversifiées dans leurs caractères et leurs effets par toutes les particularités de forme et disposition des diverses galeries ou amorces, de galeries situées aussi bien en avant qu'en arrière de la flamme ; l'explosion ne s'affranchit de cette subordination que lorsqu'elle devient très violente. Ce n'est donc que dans ce cas-là que la généralisation d'un schéma à un autre est vraiment légitime.
Voilà pourquoi j'ai tenu à faire des vérifications expérimentales dans une mine véritable, à Commentry en 1913, à Montvicq en 1914. Ce sont des essais difficiles dont on ne peut réaliser qu'un petit nombre. Ils furent interrompus, par la destruction de la galerie, en 1913, par la guerre en 1914.
Il sera utile, un jour, de reprendre ce cycle de recherches ; mais les gisements français s'y prêtent mal. La mine expérimentale de Bruceton, près de Pittsburgh, aux Etats-Unis, aux travaux de laquelle j'ai eu l'honneur de collaborer en 1914, est, par ses dispositions naturelles et son équipement, le siège tout désigné de ces futurs travaux.
En attendant que soient apportées de nouvelles précisions, nous devons considérer que, d'une manière générale, la légitimité de la généralisation des résultats expérimentaux est moindre pour les mesures du troisième degré que pour celles du deuxième degré. L'efficacité en galerie d'essais est moins sûrement garante de l'efficacité dans la mine.
Précisons un peu.
Les essais ont mis en valeur, pour les mesures du troisième degré, deux méthodes d'application de ce qu'on a appelé la schistification concentrée. L'une, dite méthode des arrêts barrages, consiste à accumuler en un point, sur des planches que culbutera le souffle précurseur de l'explosion, une grosse masse de poussières incombustibles qui étoufferont la flamme. L'autre, celle des zones fortement schistifiées, consiste à maintenir, sur une certaine longueur de galerie, par apport de matériaux incombustibles, un gisement poussiéreux extrêmement cendreux et impropre à la propagation.
Les arrêts barrages se sont montrés remarquablement efficaces, en galerie d'essais, dans tous les cas d'explosions violentes : ce sont précisément les cas où la généralisation aux conditions de la mine est le moins contestable. Leur efficacité a paru moins certaine dans les cas d'explosions ralenties.
Leur emploi s'impose donc particulièrement chaque fois que l'on peut redouter une défaillance accentuée des mesures du second degré, dans des conditions qui pourraient donner lieu à explosion violente, et notamment chaque fois que, pour le second degré, on a dû adopter la méthode d'arrosage, qui, par négligence, risque d'être inopinément inopérante ; leur emploi est également très indiqué dans les grandes artères de roulage du charbon, en raison de l'apport important de poussières charbonneuses et de la disposition générale favorable à l'accentuation de la violence de l'explosion.
Les zones fortement schistifiées ont, de leur côté, manifesté, en galerie d'essais, une efficacité douteuse dans le cas des explosions très violentes ; par contre, la théorie et les essais, notamment ceux de Commentry, sont d'accord pour les faire estimer efficaces dans les cas d'explosions ralenties, et spécialement en galeries présentant plusieurs coudes accentués. Cette méthode est donc à recommander spécialement pour les communications entre quartiers de forme sinueuse, où dans les régions où les gisements de poussières sont, d'une manière constante, très peu favorables à la propagation de la flamme, en sorte que l'explosion ne saurait y prendre l'allure violente.
Dans les cas intermédiaires, les pronostics d'efficacité de l'une ou de l'autre méthode sont moins sûrs ; cependant, l'application des mesures du troisième degré demeure désirable, comme appoint éventuel de sécurité, surtout si l'on a quelque difficulté à atteindre, pour les mesures du deuxième degré, un taux élevé de neutralisation, c'est-à-dire un haut degré d'efficacité.
Dans d'autres cas, il sera plus judicieux de porter principalement son effort sur les mesures du deuxième degré pour les rendre aussi efficaces que possible. Il vaut mieux, en effet, réduire de 1/100 à 1/10000 la probabilité de défaillance d'une certaine sécurité plutôt que de lui superposer une autre sécurité dont la probabilité de défaillance ne s'abaisserait pas au-dessous de 1/50 par exemple.
En ce qui concerne les mesures du deuxième degré, les essais de Liévin ont mis en évidence, dès le début, avant même la démonstration anglaise, l'influence très marquée de la teneur en cendres des dépôts de poussières, sur leur inflammabilité. Il apparaissait que, dans bien des cas, en ajoutant, tout le long des galeries, des poussières incombustibles aux poussières charbonneuses, on rendrait facilement le milieu impropre au développement initial de l'explosion sans qu'il soit nécessaire d'atteindre les taux très élevés des zones de schistification concentrée, nécessaires pour l'arrêt d'une explosion déjà importante : la " schistification " s'est ainsi manifestée comme une excellente mesure du second degré, très supérieure au simple dépoussiérage et mieux à l'abri des négligences accidentelles que l'arrosage.
Etait-elle pratique ? On en douta d'abord, en France, jusqu'à ce que quelques-uns de vous, mes chers Camarades, aient eu la résolution et la persévérance d'en faire l'essai à grande échelle. C'est à vous que revient l'honneur d'avoir montré que cette méthode était applicable, que l'effet était assez durable et le prix de revient non excessif.
Dès lors, la schistification généralisée s'impose, toutes les fois qu'elle est possible, comme le moyen le plus sûrement efficace d'arrêter une explosion de poussières dans sa phase initiale, dès son début, donc comme la meilleure des mesures du deuxième degré.
Si quelque flottement subsiste encore en ce qui concerne le contrôle de l'application de cette méthode, une heureuse solution vient d'être proposée par notre Camarade Audibert, qui se chargera, à la Station d'Essais de Montluçon, de faire l'essai d'inflammabilité des échantillons-types qui lui seront envoyés : ces tarages par une station d'essais permettront d'appliquer avec plus de précision que par le passé la formule générale résumant les essais de Liévin, compte tenu, s'il y a lieu, du correctif que suggèrent les essais de Pittsburgh, dans le cas des poussières grossières.
Si bien armés que nous soyons maintenant pour lutter contre le risque de propagation d'une explosion, il faut en outre, il faut surtout supprimer, si possible, tout risque d'explosion initiale.
Compte tenu de tous les progrès depuis longtemps acquis dans la lutte contre le grisou, c'est l'emploi des explosifs qui demeure, dans ce domaine, le risque principal.
Cette question des explosifs de sûreté constitue peut-être le plus difficile des problèmes qu'a posés le souci de la sécurité des mines.
Trente-sept ans se sont écoulés depuis le magistral travail de Mallard et Le Chatelier, et, c'est à peine si, après maintes recherches françaises et étrangères, l'on entrevoit aujourd'hui la vraie solution.
Il y avait deux méthodes possibles.
L'une consiste à s'efforcer de comprendre le mécanisme de l'inflammabilité du grisou ou des poussières, à analyser le phénomène, à en déterminer les facteurs, à préciser quelles lois régissent leur influence, enfin à combiner la constitution de l'explosif, de manière à éliminer les influences nuisibles tout en laissant subsister les effets utiles.
C'est la voie qu'ont suivie presque tous les expérimentateurs français qui se sont occupés de la question. C'est celle où nous nous sommes engagés, mon regretté Camarade et Ami Dautriche et moi, quand, vers 1911, nous avons entrepris une étude systématique que la guerre a interrompue. C'est celle que n'a cessé de suivre notre Camarade Audibert, depuis qu'il a repris l'ensemble de la question.
Une autre méthode consiste à se placer dans des conditions de tir arbitraires, qui sont censées représenter celles de la mine mais en diffèrent nécessairement par quelques caractéristiques d'importance capitale. On fait alors des essais empiriques : on essaie si un explosif donné, tiré dans ces conditions, enflamme ou non grisou ou poussières et on classe les explosifs en bons ou mauvais selon la manière dont ils subissent cet essai de réception.
C'est la méthode qu'ont adoptée, d'une manière générale, les expérimentateurs étrangers.
Or, par cette méhode, non seulement on n'est pas en droit de généraliser aux conditions de la mine les conclusions de l'essai de réception, mais encore il arrive ceci : c'est qu'après quelques tâtonnements, les fabricants d'explosifs sont parvenus à combiner des produits bons pour tel ou tel essai de réception ; ceux qui sont meilleurs pour une formule d'essai peuvent être moins bons pour une autre, et les classements obtenus n'ont aucun rapport certain avec le classement qui conviendrait pour les conditions d'emploi dans la mine.
Ce m'est, au contraire, une grande satisfaction de constater aujour-d'hui que la méthode française, si ardue qu'elle put paraître au premier examen, a enfin permis d'y voir clair, et de féliciter notre Camarade Audibert, dont les belles recherches de ces dernières années nous ont récemment donné, sinon la solution complète du problème, du moins la définition précise des principales conditions à réaliser pour la constitution d'un explosif qui soit vraiment de sûreté.
Et maintenant, mes chers Camarades, si nous jetons un coup d'œil sur l'ensemble des travaux poursuivis en tous pays pour améliorer la sécurité du travail dons les mines, constatons sans fausse modestie que la France, et spécialement notre Ecole des Mines, tiennent bien leur place dans l'histoire des progrès accomplis. Et si j'en recherche les causes, je vois ceci : c'est d'abord que nous sommes Français, épris de vérité, de logique, de clarté, incapables de nous contenter de solutions conventionnelles et arbitraires, mais n'étant satisfaits que lorsque notre esprit a pénétré, aussi loin que possible, jusqu'au fond des choses : c'est aussi parce que nous avons puisé dans l'enseignement de nos maîtres, le culte de la pure et saine méthode scientifique vivifiée par l'imagination créatrice.
C'est pourquoi, — puisqu'il est d'usage de saluer par des applaudissements les derniers mots de l'allocution du Président de votre Assemblée, — je vous demande, mes chers Camarades, si vous ne croyez pas devoir déroger à cet usage courtois, de bien vouloir reporter l'hommage de vos applaudissements vers nos Maîtres vénérés.
M. Taffanel donne ensuite la parole à M. Julhiet, président de l'Association qui est, lui aussi, chaleureusement applaudi.
Taffanel, élève de l'Ecole des Mines de Paris
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