Fils de Saint-Ange Pierre Félicien JULHIET, président de cour d'appel, et de Marie Huberte Flavie Clémence GRAND. Né le 13/7/1870, mort le 26/5/1931.
Marié à Madeleine LEDUC (1877-1965). 6 enfants :
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1889, entré classé 98 et sorti classé 99 sur 180 élèves). Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1892). Ingénieur civil des mines.
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1930 :
Ce fut, parmi nous, une bien douloureuse surprise lorsque se répandit, le 26 mai dernier, la nouvelle inattendue dé la mort d'Edouard Julhiet.
Nous l'avions vu, quelques jours auparavant, plein de vie et d'entrain. Cependant, la mort avait fait son œuvre. Etait-ce possible? Hélas ! une embolie l'avait emporté à la fin d'un séjour de courte durée à la clinique des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, dans la nuit qui précédait le jour où il devait rentrer chez lui.
Chef très aimé d'une famille profondément unie, il laissait une veuve, cinq enfants et cinq petits-enfants. Nous nous inclinons respectueusement et avec une profonde sympathie devant leur douleur.
Edouard Julhiet était né le 13 juillet 1870, à Nantes, où son père était Procureur impérial. Sa famille était originaire de la Côte Saint-André, en Dauphiné, où elle possédait une demeure ancestrale. Ses parents s'y retirèrent à la chute de l'Empire.
En 1875, son père fut rappelé à l'activité par le Gouvernement du Maréchal de Mac-Mahon et nommé Président de Chambre à la Cour d'appel de Dijon. C'est ainsi qu'Edouard Julhiet fit ses études à Dijon, d'abord à l'Ecole Saint-François-de-Sales (1880-87), puis au Lycée (1887-88). Ses parents l'envoyèrent ensuite faire une année de mathématiques spéciales au Collège Stanislas à Paris (1888-89); et il était admis en 1889 à l'Ecole Polytechnique (1889-1891). Après une année de service militaire, il entrait à l'Ecole des Mines en 1892. Il en sortait en 1895 avec le numéro 3 et obtenait la Médaille d'Honneur de l'Association (note 19) pour son journal de voyage.
Dans ce voyage, il avait étudié l'exploitation des Mines et la Métallurgie. Il avait visité en France les bassins du Nord et du Pas-de-Calais, notamment les Mines de Lens, et ensuite, en Belgique, le. bassin de Liège. Il avait aussi étudié les Ciments de Voreppe, près de Grenoble, non loin de sa propriété de famille.
Le rapporteur de la Médaille, en parlant de son journal de voyage, indique déjà les qualités qui feront d'Edouard JULHIET, dans la suite, un Ingénieur-conseil particulièrement apprécié. « Le journal de voyage de notre jeune camarade, dit-il, en dehors de la somme de travail qu'il dénote, a pour caractéristique une extrême sobriété de style; on n'y trouve ni phrases, ni mots inutiles à ses descriptions; il a réalisé le talent de dire beaucoup de choses en peu de mots et de les dire clairement, de façon à être compris sans peine. » Et les commissaires qui avaient noté l'ordre et la méthode remarquable de ses rapports de voyage n'avaient éprouvé aucune hésitation à le mettre au premier rang », malgré trois redoutables compétiteurs, qui avaient obtenu la note 18 et dont l'un a été le Directeur éminent d'un de nos plus grands charbonnages du Pas-de-Calais.
Dès sa sortie de l'Ecole des Mines, il entrait au Crédit Lyonnais, dans le service des Etudes financières, et était charge, deux ans après, d'une mission en Amérique du Sud et en Amérique Centrale jusqu'en juin 1899.
Après une mission en Espagne, en 1901, il fut envoyé aux Etats-Unis, comme chef de mission, de mars 1902 à mars 1905.
En novembre 1905, la Banque de l'Union Parisienne se l'attacha d'abord comme Ingénieur-conseil adjoint et Chef des Etudes financières, puis comme Ingénieur-conseil. Il devait y rester jusqu'à sa mort, c'est-à-dire pendant vingt-cinq ans et demi. Durant cette longue période, il étudia de nombreuses affaires présentées à la Banque de l'Union Parisienne, collabora à la création de diverses sociétés industrielles et représenta sa Banque dans un certain nombre de Sociétés.
Il fit de nombreux voyages aux Etats-Unis (il a traverse vingt-cinq fois l'Atlantique), au Canada, en Suède et Norvège, en Egypte, en Grèce, en Portugal, et récemment encore au Congo.
Il avait acquis, après tant de travaux et de missions, une compétence très étendue en matière d'affaires industrielles et financières. Se défiant toujours des impressions qui ne sont pas basées sur des faits, il étudiait chaque affaire avec une conscience professionnelle scrupuleuse et ne donnait son avis qu'après mûre réflexion, avec une loyauté et une droiture qui ne tenaient compte que des intérêts qui lui étaient confiés. Dans les difficiles fonctions d'ingénieur-conseil où il faudrait parfois avoir le don de divination ou de prophétie, il acquit la profonde estime de ceux dont il fut le collaborateur écouté; l'un d'eux, en me parlant de Julhiet, me disait encore dernièrement que sa caractéristique était d'être d'abord une conscience : éloge magnifique et mérité auquel s'associeront tous ceux qui l'ont connu.
La réputation qu'il s'était acquise comme ingénieur et financier avait amené la Direction de l'Ecole Spéciale des Travaux Publics à lui demander de professer un cours de de Comptabilité industrielle. Il fit aussi chaque année des Conférences sur le même sujet à l'Ecole des Mines de Paris. L'ouvrage qu'il a ainsi publié sur la matière est le plus remarquable, le plus clair et le plus complet que je connaisse. Un directeur d'affaire industrielle trouvera dans ce livre le guide le plus sûr dans toutes les questions de comptabilité financière qu'il pourra avoir à traiter.
Il professait cette opinion et affirmait cette vérité que « l'Industrie ne peut vivre et prospérer techniquement que si elle prospère financièrement » (Discours à l'Assemblée générale du 18 juin 1921) et, appelant sur ce point l'attention de nos jeunes camarades, il ajoutait : « Ne pas négliger le rendement financier, c'est bien plus que notre intérêt, c'est notre devoir ».
Nous prenons ainsi sur le vif l'une des pensées directrices de sa vie : le devoir. L'autre était la bonté.
Il eut l'occasion de la mettre en œuvre parmi nous, lorsqu'il fut nommé Président de notre Association amicale. Nous savons combien féconde a été l'impulsion qu'il lui a donnée. Il était très populaire parmi nos jeunes camarades qui aimaient ce Président au souriant accueil. Il pensait avant tout à ceux de nos camarades dont la vie était la plus rude et la plus modeste : témoin ce toast qu'il proposait de porter au Banquet du 8 décembre 1923 « à ceux de nos camarades qui font simplement et noblement à la mine, à l'usine tout leur devoir de simple ingénieur « et il rappelait à cette occasion la charmante pensée d'un poète anglais : « La vie d'un homme de bien inconnu est comme une nappe d'eau souterraine que personne ne voit, mais qui fertilise secrètement la terre et qui fait jaillir à la surface du sol les vertes prairies et les riches moissons! » Tout cela fut dit avec un charme d'expression et une chaleur qui soulevèrent les applaudissements.
Sa bonté se révèle encore dans l'ardeur et la ténacité avec lesquelles il se consacra à créer un mouvement d'opinion en France en faveur des Tribunaux d'enfants sur le modèle des « Juvénile Courts » créés d'abord à Chicago, dans l'Illinois en 1899. Il se trouvait aux Etats-Unis au moment des premiers essais de ces « Juvénile Courts ». Il les étudia, constata leurs résultats et décida de les faire connaître en France.
Le 6 février 1906, il donnait au Musée Social une conférence magistrale sur l'organisation des tribunaux spéciaux pour enfants. Il avait su réunir dans son auditoire beaucoup d'amis de l'enfance coupable et de spécialistes des questions de l'enfance. Cette conférence eut le plus grand succès et créa un mouvement immédiat dans l'opinion française. Quelques jours après, la Revue L'Enfant dirigée par MM. Rollet et Teutsch reproduisait son exposé, puis l'éditait dans un livre de propagande dont le sénateur Bérenger avait écrit la préface. Le septième congrès national du Patronage des libérés plaça la question au premier rang de son programme. La « Société Générale des Prisons » lui consacra plusieurs séances. Le « Musée Social » envoya M. Kleine étudier la réforme en Angleterre et en Allemagne. Le « Comité de défense des enfants traduits en Justice discuta le sujet à tout moment de 1907 à 1910. Les professeurs de Droit en parlèrent à leurs élèves, des thèses de doctorat s'en occupèrent. Dès le début de 1910, une proposition de loi déposée par M. Paul Deschanel fut soumise à la Chambre des députés. Mais la loi définitive, d'abord présentée au Sénat par M. Ferdinand-Dreyfus, ne fut votée qu'en 1912.
Pendant toute cette période, Julhiet se dévoua à cette belle initiative sans ménager ni son temps, ni sa peine. Il multiplia démarches et conférences; il publia deux articles très remarqués dans le « Musée Social » (1906) et dans le Correspondant (1911). Il avait accepté la Vice-Présidence du « Patronage de l'Enfance ». Enfin, il fut Président du Comité d'organisation et l'âme du 1er Congrès International de Tribunaux pour Enfants qui se tint à Paris du 29 juin au 1er juillet 1911 sous la présidence d'honneur de MM. Léon Bourgeois, Ribot et Bérenger, sous la présidence effective de MM. Deschanel et Ferdinand-Dreyfus, et réunit, avec les représentants de la France, ceux des Etats-Unis, de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Belgique, de l'Espagne, de la Grande-Bretagne, de la Suisse, de la Hongrie et de l'Italie. Il s'était donné à cette oeuvre avec tout son cœur et l'on est surpris qu au milieu de toutes ses occupations diverses il ait trouvé le temps de soutenir un pareil effort. En lisant les discours qu'il prononça et dont la forme impeccable luisait encore mieux goûter la conviction profonde et la force persuasive, on comprend mieux la générosité de son âme.
Nous rappellerons enfin quelle fut la belle conduite d'Edouard Julhiet pendant la guerre. D'abord mobilisé comme lieutenant d'artillerie de réserve, il fut envoyé à l'Inspection des Forges de Lyon et adjoint au Directeur dune usine, fabriquant, à Castel-Sarrazin, les douilles pour canons de 75. Il y développa cette fabrication dans des proportions très importantes. Mais il demandait d'être envoyé au front. On lui répondit en renvoyant aux Etats-Unis en septembre 1915 sous les ordres du Général Gosselin, avec d'autres officiers spécialistes pour organiser et surveiller les commandes aux Etats-Unis; il fut chargé du service du laiton et des douilles. Plus tard, à l'arrivée de la mission Tardieu, il fut choisi comme Secrétaire général à la résidence de Washington jusqu'en décembre 1917. Comme il suppliait toujours qu'on le renvoyât en France, il fut, en janvier 1918, affecté comme capitaine au 48e Régiment d'Artillerie sur le front de Champagne, dans la région du Mesnil et de Perthes-les-Hurlu. Enfin, en juillet 1918, il fut envoyé à l'armée américaine pour servir de liaison avec l'armée française. J'ai eu sous les yeux une lettre écrite par un de ses anciens canonniers et qui témoigne de sa tranquille impassibilité sous les bombardements les plus violents.
Chevalier de la Légion d'honneur au titre militaire, il fut promu officier en 1927.
Ces souvenirs sur Edouard Julhiet ne seraient pas complets si nous ne rendions pas hommage à ses convictions religieuses aussi sincères que profondes. Dans ses articles sur les Tribunaux d'Enfants, il parle à plusieurs reprises de la puissance de moralisation que renferme la religion; il la pratiquait sans respect humain comme sans ostentation.
Quant à nous, ses camarades, ses amis, nous garderons fidèlement le souvenir de son dévouement à notre Association et à notre Ecole, de la bonté de son cœur, de sa loyale amitié, de l'élévation de son esprit et de la générosité de sa belle âme.
Après une vie si droite et si bien remplie, que Dieu lui donne le repos éternel!
Forquenot de la Fortelle (EMP promotion 1888).
Note de RM en 2006 : Nous remercions Antoine de Moismont, arrière-petit-fils de Edouard Julhiet, pour les informations qu'il nous a transmis.