Publié dans le LIVRE DU CENTENAIRE (Ecole Polytechnique), 1897, Gauthier-Villars et fils, TOME III ainsi que dans Notice historique de l'Ecole des Mines de Paris, Louis Aguillon, 1889.
LELIÈVRE, né à Paris le 28 juin 1752, est mort le 18 octobre 1835. Il faisait partie de la première promotion de l'Ecole des mines en 1783.
Le 24 juin 1784, il sortait breveté. Au moment de la réorganisation du corps, en 1794, avant d'être placé dans l'agence, il était chargé d'essais au laboratoire de la Monnaie, et faute de charbon il lui arrivait parfois de n'y pouvoir procéder; mais son extrême habitude de la minéralogie lui permettait souvent de faire connaître son opinion d'après les caractères minéralogiques de la substance. Son habileté pour la détermination des minéraux était exceptionnelle; Haüy, qu'il a beaucoup aidé à ce point de vue, s'est fait un plaisir de le reconnaître. Dès la réorganisation de l'Institut, en 1795, il fit partie de la classe des sciences mathématiques et physiques, et plus tard de l'Académie des sciences.
A l'Agence, puis au Conseil des Mines, il était plus spécialement chargé de la partie administrative proprement dite et de tout ce qui pouvait concerner les substances métalliques. La fermeté de son caractère lui donna une place à part dans les difficultés que l'Agence et le Conseil des Mines eurent à traverser. A la mort de Lefebvre, en 1813, il prit la vice-présidence du Conseil général des Mines qu'il garda vingt ans jusqu'en 1832, date à laquelle il fut mis à la retraite à l'âge de 80 ans.
Lelièvre était un chimiste et surtout un minéralogiste des plus distingués. Il a laissé de très nombreux travaux sur la détermination et la description des espèces minérales. Il avait été de l'Institut, et il passa à l'Académie des Sciences à sa réorganisation.
Le texte qui suit a été publié dans ABC Mines, bulletin 29, mai 2008, pp. 41 à 46 :
Ce voyage pyrénéen entrepris s'inscrit dans un contexte d'exploration des grandes chaînes de montagnes. Les scientifiques du siècle des Lumières dressent des cartes, en apprécient les reliefs et recherchent les ressources minérales potentielles que ces montagnes renferment.
Sur les traces,du naturaliste toulousain Picot de Lapeyrouse (Notice de quelques minéraux des Pyrénées, Journal de physique, juin 1785) et du baron de Dietrich (Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées, 1786), nos deux minéralogistes Gillet de Laumont et Lelièvre empruntent routes et chemins muletiers aidés par une ou deux mules qui assurent le transport de leur matériel et des échantillons minéralogiques récoltés. Ils font étapes dans les châteaux situés sur leur trajet. Les cartes qu'ils utilisent pour se repérer sont celles des ingénieurs militaires Roussel et La Blottière Carte générale des Monts Pyrénéens, établie à 1/330000e et éditée en plusieurs feuilles dans les années 1730, ainsi que celle de Cassini venant juste d'être commercialisée pour le secteur des Pyrénées qui les intéresse. Nos deux inspecteurs des Mines vont ramener de ce voyage de nombreux échantillons qui, pour un grand nombre d'entre eux, seront consignés dans les catalogues des collections minéralogiques privées constituées par Gillet de Laumont et Lelièvre, conservés pour le premier au Muséum et pour le second à l'Ecole des Mines, permettant de préciser les secteurs pyrénéens qu'ils ont parcourus.
Gillet de Laumont «nommé inspecteur des mines en 1784, [...]fit aussitôt une première reconnaissance générale des mines [...] des Pyrénées (notamment celles de Baigorry dans les montagnes du Pays Basque) ». En 1786, [...] en parcourant la chaîne des Pyrénées avec son collègue Lelièvre, ils découvrirent ensemble le dipyre [...], les fossiles des tours de Marboré et de la Brèche-Rolland, fossiles qui depuis ont servi à déterminer les diverses révolutions que ces hautes montagnes ont éprouvées » (Héricart de Thury, Annales des Mines, 1834, p. 523).
Sur le trajet qui les mène dans les Pyrénées, près d'Orthez, à la limite des départements des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, Gillet de Laumont et Lelièvre observent que les calcaires du Bassin aquitain de ce secteur renferment des veinules et des géodes de bitume associées à du soufre. Un échantillon de calcaire lamellaire imprégné de bitume est prélevé. Gillet de Laumont s'était déjà intéressé aux roches combustibles bien avant son admission au Corps des Mines ; il mit en évidence « la véritable nature des lignites ou bois bitumino-pyriteux des argiles, alors regardés comme des indices de mines de houille dans les environs de Paris » (Héricart de Thury, Annales des Mines, 1834, p. 523).
Au cours des premières semaines du voyage, ils effectuent la reconnaissance d'un nouveau minéral, le dipyre, un silicate calco-sodique. Le Nouveau dictionnaire d'Histoire naturelle de 1817 relate cette découverte, je cite : « substance pierreuse [...] qui a été observée pour la première fois, en 1786, par MM. Lelièvre et Gillet de Laumont, sur la rive droite du Gave de Mauléon, dans les Pyrénées. Elle est blanche [...], assez dure pour rayer le verre, et ordinairement en petits prismes rectangulaires accolés ou fascicules, disséminés dans une gangue (de) schiste argileux, tendre, d'un gris noirâtre, renfermant quelquefois du fer sulfuré ».
Lelièvre réalise l'examen des caractères chimiques sur des échantillons ramenés et en fait une espèce minérale particulière. « Le Citoyen Lelièvre vous a donné la description d'un minéral nouveau trouvé entre Mauléon et Lybarins (Libarrenx), département des Basses-Pyrénées. Cette substance avait été mal-à-propos confondue avec une autre pierre qui se trouve dans les mines Altenberg, appelée par le citoyen Lametherie leucolithe : mais l'examen et l'analyse de ces deux substances ont prouvé au citoyen Lelièvre qu'elles différaient beaucoup entre elles [...]. Le citoyen Lelièvre propose de donner à celle de Mauléon le nom de dypire » (Rapport général des travaux de la société philomathique de Paris, 1799, p. 44).
Nos deux minéralogistes parcourent ensuite la haute vallée du Gave de Pau. Entre Bains-Saint-Sauveur et Barèges, puis sur la route menant au cirque de Gavarnie, proviennent un ensemble d'échantillons dont une variété d'asbeste que le naturaliste de Saussure avait appelé bissolite et que l'on a ensuite nommée amianthoïde, au sein d'une roche composée de feldspath et de quartz récoltée à Barèges, des marbres dont un blanc avec tâches d'un gris clair laiteux prélevé à Gèdre et un autre noir veiné de blanc à Gavarnie. Lelièvre a également observé des grenats d'une couleur jaune pâle « dans une roche granitique des Pyrénées, près Gavarnie » identifiés à l'époque comme amphigène ou leucite de par leur couleur et leur cristallisation en « dodécaèdre » (Dictionnaire de Sciences naturelles, 1816). L'identification de roches calcaires riches en coquilles marines fossiles au cirque de Gavarnie leur a permis de prouver l'existence de terrains secondaires au cœur de la chaîne pyrénéenne, une révélation pour l'époque.
De la vallée de Luchon en Haute-Garonne sont originaires des échantillons de grenat en cristaux extrêmement petits mais bien prononcés rouge purpurino dans une roche feldspathique appartenant à la formation des granites et que le minéralogiste saxon Werner nomme Weistein, de pegmatite blanchâtre et rose avec mica palmé, de pyrite magnétique...
Au cours de ce même voyage, « [...] en compagnie de son collègue Lelièvre, membre de la Section de minéralogie de la Première Classe de l'Institut, il [Gillet de Laumont] fouille le Couserans. Ils y rencontrent la roche décrite d'abord par Lelièvre, puis par Picot-Lapeyrouse et bientôt connue sous le nom de lherzolite que lui donnera de la Métherie » (Lacroix, figures de savants, 1932, p. 196).
Des hautes vallées de cette contrée, du Salat et du Garbet, sont originaires de la première, des échantillons de marbre brèche violet en provenance d'une carrière au lieu nommé Pont de la Taule « susceptible d'être exploitée avec avantage » d'après les propos relatés par le baron de Dietrich dans son ouvrage consacré aux mines et forges des Pyrénées publié en 1786 ; de la seconde, des échantillons de plomb carbonate (cérusite) et de lanorkite aciculaire en provenance de la mine de Laquorre située au Sud du bourg d'Aulus-les-Bains. « Lelièvre avait trouvé en 1786 dans [cette] mine de plomb des Pyrénées » ouverte « sur la montagne d'Esquerre » {Dictionnaire classique d'Histoire naturelle, 1822), « une substance d'un aspect particulier, qui lui parut d'abord une sorte de calcédoine », puis de par l'analyse qu'en a faite le chimiste français Berthier « la nomme alumine hydratée silicifère » (Cuvier, Histoire des progrès des Sciences naturelles, 1837). Enfin, sont issus de la mine de Sem, près de Vicdessos, en Pays de Foix des échantillons d'hydrate de fer concrétionné (hématite brune) et de chaux carbonate ferrifère (sidérite).
Sur le parcours menant aux mines de la vallée du Vicdessos, nos deux minéralogistes mettent en évidence une nouvelle roche, une péridotite du nom de lherzolite, roche magmatique originaire du manteau terrestre que Lelièvre identifie comme une « chrysolite des volcans ». « En 1787, M. Lelièvre fit la découverte d'[une] substance minérale dans les montagnes qui environnent le port et l'étang de Lherz, dans les Pyrénées, où elle se trouve en abondance. M. Delamétherie l'a nommée Lherzolite » {Nouveau dictionnaire d'Histoire naturelle, 1817).
Le minéralogiste saxon de Charpentier qui identifie cette roche comme un « pyroxène en roche » nous en fait part dans un de ses mémoires publié au Journal des mines en 1812 en ces termes : « [...] nous en devons la première reconnaissance à M. Lelièvre, inspecteur-général au Corps impérial des Mines, qui dans une lettre à M. de Lamétherie, insérée dans le Journal de Physique, pour le mois de mai 1787, fit part de sa découverte aux minéralogistes » (de Charpentier, Journal des mines, 1812, pp. 323-324).
Ingénieur des Mines de France,
A M. DE LA METHERIE,
SUR LA CHRYSOLITE DES VOLCANS.
« La chrysolite des volcans citée par MM. Sage et Faujas comme se rencontrant en assez grande quantité dans les basaltes, embarrasse beaucoup les Naturalistes pour établir sa véritable origine. Quelques uns la regardent comme étant de la nature de la pierre gemme connue sous le nom de chrysolite [...]. D'autres, au contraire, considérant la manière dont elle est disposée dans les laves, [...] croient que cette substance est d'une nature particulière, [...] Dans le voyage des Pyrénées que je viens de faire avec M. de Laumont, Inspecteur Général des mines en France, nous avons rencontré une espèce de pierre ollaire d'un jaune tirant un peu sur le vert, entremêlée de parties calcaires et d'une substance en grains d'un vert d'émeraude, transparente, mais plus dure que le reste de la roche ; [...] Cette disposition m'a fait croire que l'origine des chrysolites des volcans pourrait être attribuée à cette roche [...]. Dans l'analyse que M. de Laumont et moi avons commencée des différentes substances que nous avons rapportées des Pyrénées, nous nous proposons de faire les expériences nécessaires pour constater si ma conjoncture est vraie ou fausse. Si quelques Naturalistes désirent connaître cette pierre, ils pourront la voir dans la suite des diverses productions des Pyrénées que nous avons déposées au Cabinet de l'Ecole Royale des Mines ».
Larges extraits reproduits de la lettre du minéralogiste Lelièvre sur la chrysolite des volcans qui évoque son voyage effectué avec son collègue et ami Gillet de Laumont dans les Pyrénées, insérée dans le Journal de physique de mai 1787. |
Dans une lettre que Gillet de Laumont adresse au recteur de l'académie de Genève en Suisse en 1803, ce dernier fait allusion à ce voyage quand il nous dit : « avoir visité avec soin les Pyrénées et les environs de l'Ariège. [la rivière] Ariège n'est aurifère que dans les lieux où elle trouve des amas considérables de galets [...] au bas de la grande chaîne des monts pyrénéens » (Extrait d'une lettre manuscrite conservée dans le fonds ancien de la bibliothèque de l'Ecole des Mines de Paris).
Dans la basse vallée du Lez, près de Saint-Girons, capitale du Couserans, nos deux conseillers des Mines font l'acquisition d'une grosse dent fossilisée qui a appartenu à un proboscidien du Miocène, le Deinotherium.
Rendant visite au marquis de Comminges en son château de « Las Tronques », à la fois pour se faire héberger et pour prendre connaissance des activités de mines, carrières et forges du Couserans, le marquis leur montre à cette occasion une grosse dent fossile trouvée dans ses jardins et devant l'intérêt que les minéralogistes portent à celle-ci, leur donne. Cette trouvaille n'est relatée que plus tard par le célèbre naturaliste français Cuvier (1769-1832) à l'époque napoléonienne. Ce dernier la décrit dans son important ouvrage Recherches sur les ossements fossiles faisant date dans l'histoire de la connaissance paléontologique, ouvrage publié en une première édition en 1812. Cuvier s'exprime ainsi : « le second morceau dont je donne la représentation [...], a été trouvé près de Saint-Lary en Couserans par Gillet-Laumont et Lelièvre, membres du conseil des mines ; il est conservé dans le cabinet du premier, qui a bien voulu me le confier » (Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, 2e éd., 1821-1824). Cuvier ajoute dans les additifs de la première édition de son grand ouvrage que « c'est [...], dans le jardin de M. de Comminge, que cette dent fut trouvée, dans les fouilles que l'on faisait pour disposer quelques parties de ce jardin. [...] Saint-Lary est en Couserans, petite contrée au sud-ouest du Comminges, arrosée par la rivière de Salat ».
Cette propriété a appartenu au XVIIIe siècle à la famille des marquis de Comminges las Tronques. Dans Histoire des Ariégeois, ouvrage de M.H. Duclos publié en 1881, il y est fait mention, dans une liste des membres de la noblesse de la vicomte du Couserans dressée à la veille de la Révolution pour les élections des représentants aux Etats généraux du royaume, d'un marquis de Comminges las Tronques.
En cette année 1787, le marquis faisait ou venait de faire agrandir ses jardins en terrasses, en créant un nouveau verger adossé à la butte sommitale d'une colline, qui sert d'assise à une forteresse féodale ruinée dominant le cours du Lez en un secteur rétréci de la vallée. La réalisation de ce verger en terrasse a nécessité de détacher des rochers. Entre les rochers de nature calcaire, est apparue aux ouvriers une crevasse évasée ou une poche de sub-surface remplie de terre graveleuse et une molaire fossilisée de grand animal, de par ses dimensions, s'en est détachée.
BONNARD, M. de. - Notice sur M. Lelièvre, inspecteur général des Mines, 1845 - (Extr. de : Annales des Mines, 1845, t. 7, 18 p.)
BUFFETAUT, E. - Les génies de la Science. Cuvier, un découvreur de mondes disparus. -Belin, 2002. - (Pour la Science, n° 2, 160 p.)
CUVIER, G. - Sur les ossements fossiles de tapir. - 1ere éd. - : Paris : Déterville, 1812. - (In : Recherches sur les Ossements fossiles de Quadrupèdes où l'on rétablit les caractères de plusieurs espèces d'animaux que les révolutions du globe paraissent avoir détruites, vol. 2, chap. VIII, pp. 142-167, pl. II - fig. 7.)
CHARPENTIER, J. de - Mémoire sur la nature et le gisement du Pyroxene en roche, connu sous le nom de Lherzolite - (Journal des Mines, 1812, t. 32, p. 321-340.)
DIETRICH, F. de - Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées. -Paris : Didot et Cuchet, 1786. - 597 p.
GOHAU, G. - Une histoire de la géologie. - La Découverte, 1990. - (Points Sciences, S 66, 284 p.)
HERICART DE THURY. - Notice nécrologique de François Pierre Nicolas Gillet de Laumont. - (Annales des Mines, 1834, p. 523 et suiv. )
LACROIX, A. - Figures de savants. - Paris : Gauthier-Villars, 1932. - T. 1, p. 195 et suiv.