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NOTICE NÉCROLOGIQUE extraite des ANNALES DES MINES, 1834, pages 523 et suiv.
Francois-Pierre-Nicolas Gillet de Laumont naquit à Paris le 28 mai 1747. Il était le fils de Pierre Gillet, célèbre avocat, ancien échevin de la ville de Paris, y jouissant dans le barreau d'une haute considération.
Gillet de Laumont se livra d'abord à l'étude des lois. Il fut reçu avocat au parlement le 8 août 1868 ; mais lors de l'exil de cette cour et de la formation du nouveau parlement, il quitta le barreau, et subit des examens de mathématiques pour être admis à l'École militaire.
Il entra en 1772 dans les grenadiers royaux, et il s'y distingua de manière si brillante, qu'il parvint en moins de cinq ans, du grade de simple enseigne, à celui de capitaine-commandant.
Entraîné vers les sciences et les arts par un goût dominant, il abandonna en 1784 la carrière militaire, malgré les promesses les plus avantageuses et les plus séduisantes, pour se livrer entièrement à la minéralogie, avec Sage, de Bournon, de la Manon, Daubenton, Romé Delille, de la Metherie, Haüy et Saussure.
Il avait déjà fait, avant cette époque, plusieurs découvertes intéressantes, qu'il avait communiqué à ces divers savants ; c'était lui qui avait découvert les grès cristallisés de la forêt de Fontainebleau, et la véritable nature des lignites ou bois bitumino-pyriteux des argiles, alors regardés comme des indices de mines de houille dans les environs de Paris.
Nommé inspecteur des mines en 1784, il fit aussitôt une première reconnaissance générale des mines de Bretagne et des Pyrénées. C'est dans ce voyage qu'il découvrit, dans les mines de Huelgoat, le plomb phosphaté vert jusqu'alors inconnu, et cette belle zéolite effervescente, que le célèbre Haüy désigna sous le nom de Laumonite [NDLR: Laumontite], lorsque les analyses de Vauquelin eurent démontré que cette substance était une espèce minérale particulière.
L'année suivante, en parcourant la chaîne des Pyrénées avec son collègue, M. Le Lièvre, ils découvrirent ensemble le dipyre de Basten, les fossiles des tours de Marboré et de la Brèche-Rolland, fossiles qui depuis ont servi à déterminer les diverses révolutions que ces hautes montagnes ont éprouvées.
En 1787, M. Gillet de Laumont fut chargé par le ministère de visiter les différentes recherches de houille entreprises dans les environs de Paris. C'est dans cette reconnaissance qu'il détermina le gisement, l'étendue et la véritable nature des lignites pyriteux de Verberie, de Soissons, d'Urcel, de Dormans, etc.
En 1789, il présenta au gouvernement un mémoire sur les mines de France, alors en exploitation, et sur la nécessité de concéder celles qu'il avait reconnues, dont il remit un état général et détaillé au comité des domaines et de l'agriculture.
Il avait formé dans ses voyages une riche collection de minéraux ; en 1792 il y réunit le magnifique cabinet de minéralogie et de cristallographie de Romé Delille.
Ses nombreux travaux, son activité, ses connaissances variées, son amour pour les sciences et les arts le firent charger, en août 1793, de l'inventaire des objets d'art et de science provenant des dépôts et des collections des académies, des sociétés savantes et des congrégations ou établissemens supprimés, mission délicate et de confiance, dont Gillet de Laumont s'acquitta avec un désinteressement et une probité qui furent si bien appréciés, qu'en février 1794 il fut nommé membre de la commission temporaire chargée de recueillir partout les objets d'art et de science disséminés dans la vente des biens des proscrits.
Cette mission importante, et les recherches auxquelles il se livra, le firent connaître des chefs du terrible gouvernement de 1794 ; mais franc, loyal, bon, courageux et ami jusqu'au dévouement le plus absolu, jusqu'à la plus entière abnégation de lui-même, il ne craignit point d'aborder ces audacieux tribuns ; il osa leur demander plus d'une tête qu'ils avaient proscrite ; et, par ses instances énergiques et réitérées, il parvint à les arracher à une mort trop certaine.
C'est à cette honorable et courageuse conduite, c'est au zèle, à l'activité et au désinteressement qu'il montra dans les missions dont il fut alors chargé, qu'il dut, en juillet 1794, d'être nommé membre de l'agence des mines et usines, avec MM. Lefebvre d'Hellencourt et Le Lièvre ; il organisa avec eux et Foucroy la nouvelle École des mines, où ces savans s'empressèrent d'appeler les plus illustres professeurs du temps, Haüy , Dolomieu, Vauquelin, Baillet du Belloy, Hassenfratz, Faujas de Saint-Fond, etc.
Les ingénieurs de ces premières années ne peuvent avoir oublié tous les témoignages de bonté et d'intérêt que Gillet de Laumont prodiguait aux élèves de l'école, qu'il regardait comme ses enfans, et auxquels il donnait les soins les plus assidus et les attentions de la véritable sollicitude du père de famille.
En 1798, il fut nommé membre du jury de la première exposition, heureuse innovation dûe au génie de François de Neufchâteau, et depuis répétée avec tant de succès pour la prospérité de notre industrie.
En 1801, Gillet de Laumont présenta à la société royale et centrale d'agriculture des tableaux statistiques des principales substances minérales du département de la Seine, avec l'indication de leur utilité dans l'agriculture et les arts.
Vers le même temps, il communiqua à l'Institut ses recherches sur la conversion de l'argent muriaté en argent massif par le seul contact du fer et du zinc, et la suite de ses travaux sur la trempe des aciers et sur les meilleurs moyens de reconnaissance de la qualité du fer, etc.
C'est à lui que nous devons la connaissance exacte du gisement des mines d'étain de Vaury dans la Haute-Vienne.
En 1803, nous l'avons vu, oubliant son âge et ses infirmités, diriger lui-même les élèves de l'Ecole pratique des mines du Mont-Blanc, en parcourir avec eux les hautes vallées, et gravir les rochers les plus abruptes de la Tarentaise, du Chablais, du Faucigny et de la Maurienne ; enfin, rivaliser avec eux dans l'exploration de ces montagnes, où nos ingénieurs et savans français, après les de Saussure, les Deluc, les Pictet, ont encore fait tant de découvertes importantes en minéralogie et en géologie.
Toujours bon, toujours indulgent et communicatif, Gillet de Laumont était le guide des artistes ; aussi, nul que lui ne sut jamais leur inspirer une confiance plus entière et plus absolue.
S'oubliant entièrement, pourvu qu'il fût utile à la science et aux arts, on le trouvait partout où il y avait du bien à faire, des malheureux à soulager, des artistes à protéger, des expériences à faire, de la science à approfondir ; enfin, partout où il pouvait donner ce désir de voir, de découvrir la vérité, de cet indicible besoin du rerum cognoscere causas.
Ainsi, nous l'avons vu partager simultanément son temps, ses veilles et ses travaux entre le corps des mines, l'académie des sciences, la société d'histoire naturelle, la société philomatique, la société royale et centrale d'agriculture, la société d'encouragement et la société d'horticulture, dont il fut un des plus zélés fondateurs, et à laquelle, peu de jours avant sa mort, il apportait encore le tribut de sa longue pratique et des expériences nombreuses qu'il avait entreprises dans son domaine de Laumont.
Gillet de Laumont fut long-temps un des principaux et plus zélés collaborateurs de divers ouvrages priodiques sur les sciences et les arts.
Il a inséré un grand nombre de mémoires, d'observations et de rapports :
Toutes les sociétés des sciences, arts et agriculture s'étaient empressées de lui adresser des diplômes d'associé ou de correspondant. Il faudrait les nommer toutes, pour dire toutes celles auxquelles il appartenait.
Il était membre du comité consultatif du ministère et du conseil des arts et manufactures.
Il avait été décoré par Napoléon de l'ordre de la Réunion en 1813.
Juste appréciateur des hommes de talent, Louis XVIII le nomma chevalier de la Légion d'Honneur en 1815, et l'admit dans l'ordre de St.-Michel en 1819.
Bon père, excellent époux, accablé d'infirmités, alors que des soins assidus et empressés lui étaient devenus plus nécessaires que jamais, il eut la souleur de perdre une épouse chérie, le modèle des femmes, la meilleure des mères, et, peu de jours après, son fils aîné, déjà avancé dans le service.
Les soins empressés de ses enfans et la tendresse d'une fille chérie, elle-même frappée dans ses plus chères affections, ne purent apporter qu'une faible diversion à sa douleur.
L'ardent amour qu'il avait pour les sciences et les arts fut sa seule consolation. L'étude devint pour lui un besoin plus pressantet qu'il ne pouvait satisfaire. Enfin, lorsque les infirmités multipliées vinrent le priver des dernières ressources que pouvait lui offrir la tendresse de ses enfans et de quelques amis fidèles, calme, religieux et résigné, il s'éteignit en philosophe chrétien, à l'âge de quatre-vingt-huit ans, ayant la douce satisfaction de pouvoir dire à ses enfans que dans sa longue carrière il ne laissa passer aucune occasion de bien faire et de faire le bien.
Sa bibliothèque, ses manuscrits, ses recherches, ses expériences, ses riches collections, étaient à tous ; jamais on ne les consulta en vain ; jamais savant ne fut plus communicatif. J'en appelle à tous ceux qui l'ont connu, à ses nombreux élèves, à ses amis, à vous tous, mes chers confrères et collègues. Bénissons sa mémoire, n'oublions jamais ses vertus, sa bonté, son caractère, enfin le beau modèle qu'il nous laisse.
Le minéral laumontite (Ca(Al2Si206)2. 4 H2O), zéolithe monoclinique calcique de la série natrolite-skolécite (Rösler, 1987, p. 617), est bien connu de tous les pétrographes du métamorphisme, puisqu'il désigne l'un des principaux «subfacies» du début du métamorphisme régional (laumontite-lawsonite). Le minéral fut identifié et baptisé par R. J. Haüy dés 1808, mais bien peu connaissent la personnalité de son dédicataire, François-Pierre-Nicolas Gillet de Laumont, qui joua pourtant un rôle essentiel dans la création et l'évolution de l'Agence, puis du Corps des Mines. Avec René-Just Haüy, dont il fut l'élève, il réussit à traverser sans trop d'encombres tous les régimes qui se succédèrent entre Louis XV et Louis XVIII, membre de la commission chargée de récupérer les objets d'art et de sciences des proscrits sous la Révolution, administrateur -fondateur de l'Agence des Mines sous le Directoire, décoré par Napoléon en 1813, puis par Louis XVIII en 1815 et 1828. Rare exemple de continuité politique qui ne manqua pas de susciter les opinions les plus contradictoires, son contemporain Antoine Grimoald Monnet le qualifiant d'«un homme de bien, modeste et sans ambition aucune ...», alors qu'un historien moderne, A. Birembault, voit au contraire en lui l'exemple-type du parfait arriviste. La vérité se situe sans doute quelque part entre ces deux extrêmes, mais il est intéressant de retracer les grands traits d'une carrière «entièrement dévouée au service des mines» (Héricart de Thury, 1834) qui avait pourtant commencé de façon trés différente, par une charge d'avocat au Parlement en 1768.
Le 28 Mai 1747, nait à Paris François Pierre Nicolas, fils de Pierre Gillet, homme de lois. Selon le registre des baptèmes de l'Eglise Saint Etienne du Mont, daté du lendemain de la naissance, il est baptisé dans le culte catholique et reçoit pour parrain Maitre Nicolas Marin Gillet, bourgeois de Paris, (sans doute un oncle) et pour marraine Dame Jeanne Geneviève Francoise Hodouard de Vaujouar, Vve de M. Jean Le Jouir, Chevalier et Seigneur de Chamberjot. Son père est un célèbre avocat de la place de Paris, reçu au Parlement en 1716, appartenant au banc du Palais de Justice n° 9, inscrit au Tableau des Avocats au Parlement de Paris. En 1754, il est en outre échevin, jouissant dans le barreau d'une haute considération.
Epoux de Dame Marie Jeanne Develo, il habite d'abord à l'Hôtel de Nesmond au quai des Miramionnes, puis rue des Noyers. On lui connait au moins trois autres enfants, un frère qui porte pratiquement les mêmles prénoms (François Pierre) et deux filles qui seront plus tard domiciliées au Cloitre St Benoit.. Pierre Gillet décède en 1773.
Aprés avoir probablement reçu une formation élémentaire dans une école de quartier, François, Pierre,Nicolas, comme son père, se tourne vers l'étude des lois. Il obtient sa licence en droit le 21 juillet 1768 et,le 8 Août de la même année, est reçu au Parlement où il restera jusqu'à l'exil de celui-ci. Il est intéressant de signaler que, sous l'Ancien Régime, seuls les hommes figurant au Tableau des Avocats au Parlement de Paris, publié chaque année dans l'Almanach Royal, avaient le droit d'exercer la profession d'avocat à Paris. Ces avocats au Parlement se distinguaient des avocats en Parlement, qui étaient des bacheliers en droit qui ayant prété serment devant le Parlement. Leur titre purement honorifique ne leur permettait pas de plaider.
Les soubresaults qui devaient conduire à la Révolution s'étaient amorcés trés tôt au sein du Parlement. Peu après 1760, il va s'opposer à l'absolutisme royal, n'enregistrant les édits qu'avec réticence, au vu de lettres de jussion [Jussion: lettre adressée par le Roi et portant commandement d'enregistrer une ordonnance] en présence du Roi, ou en refusant carrément leur enregistrement. En 1770, une véritable «révolution royale» est menée par un «Triumvirat» composé du Chancelier René Charles Maupeou, appartenant à la vielle noblesse de robe, du Duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères et de l'Abbé Joseph Terray, Conseiller général des finances. Le triumvirat royaliste impose le 7 décembre 1770 un édit précisant les limites de l'action parlementaire, et l'enregistre de force. Quelques semaines plus tard, une tentative de décentraliser l'instance parlementaire, pour essayer de rapprocher la justice d'appel du justiciable, et surtout une initiative visant à supprimer la vénalité des charges de justice, rendant ainsi la justice gratuite, entrainent la grève immédiate de tous les tribunaux.
Apres cinq jussions le Roi recourt à la force, et le 20 janvier 1771, l'Instance parlementaire est dispersée. Ses membres sont exilés. Des 540 avocats officiels inscrits au Tableau en 1770, à peine la moitié reprendra son travail. Les premiers à cesser la grève resteront dans l'Histoire comme les «Vingt Huit». En Novembre 1771, le Roi gagne l'épreuve de force et le nouveau «Parlement Maupéou», avec des pouvoirs nettement amenuisés, est mis en place. Il durera jusqu'à sa dissolution par Louis XVI en 1774. De nombreux avocats n'accepteront pas cette situation et donneront leur démission. Il semble bien que Gillet, dont on ne trouve pas trace au Tableau des Avocats de 1769 et 1770, fit partie de ceux qui donnèrent leur démission, mais à qui le Roi promit de rembourser les offices.
Peut-être y eut-il aussi un simple désir de s'éloigner de toute cette agitation, qu'il tenait probablement pour assez futile. Mais Gillet selon sa propre expression, ne ressent plus alors aucun goût pour une profession de juriste et ambitionne une carrière militaire. Il veut devenir officier, mais dans un corps savant : le génie, l'artillerie ou la marine. Il opte alors pour la préparation du concours d'entrée à l'Ecole de Mézières, qui formait les officiers d'Artillerie et du Génie et qui sera, plus tard, le berceau de la future Ecole polytechnique.
L'examen d'entrée était réputé difficile, et demandait une préparation soignée. Gillet suit des cours de mathématiques à la pension de M. de Longpré, également connue sous le nom d'école de mathématiques et de dessin, située rue de Reuilly. M. de Longpré était lui-même un maître connu et l'un de ses professeurs, l'abbé Bossu (ou Bossut) examinateur à l'Ecole du Génie. Médiocrement classé au concours d'admission, qu'il passe en 1772 et 1773, Gillet ne peut intégrer l'Ecole de Mézières. Il fait alors agir ses relations familiales, et obtient, après avoir fait valoir un vague degré de cousinage avec les nièces de Charles Alexandre de Calonne, Contrôleur général des Finances, une intervention auprès de l'examinateur, (l'abbé Bossut), qui ne reviendra toutefois pas sur ses notations. Gillet ne désespère pas, et, toujours sur recommandation de Calonne, bien que n'ayant passé aucune école militaire, se retrouve nommé le 5 mai 1772 enseigne au Régiment Provincial de Paris. Le «sort» en ayant ainsi décidé pour lui, il se résigne à faire carrière dans l'infanterie. Trés rapidement, il gravit les échelons et se retrouve successivement le 1er mai 1773 lieutenant de Fusiliers, puis le 25 mars 1775 lieutenant en second de la Compagnie des Grenadiers et de Fusiliers Royaux.
S'il n'avait eu jusque là qu'à participer à des joutes verbales, notamment lors de sa profession d'avocat, il va bientôt devoir affronter des situations plus sérieuses. En 1775, la situation se détériore à Paris et le nouveau lieutenant va devoir participer à la répression de la «guerre des farines». Les crises frumentaires ne cessent de se succéder tout au long du XVIII° siècle, et, après les grandes famines du début du siècle, puis celle de1769, Paris retombe dans la disette. Le peuple, qui ne désarme pas contre les boulangers, est à bout. En mai 1775, une nouvelle augmentation du prix du pain déclenche des émeutes, les émeutiers ne voulant pas dépasser un tarif de deux sous la livre de pain. La répression sera sanglante, et il semble bien que Gillet, à la tête de ses troupes, y ait participé à la satisfaction de ses supérieurs. En effet, le 1 juin 1778, il passe au grade de lieutenant de Fusiliers dans la Compagnie de Richemond. En 1779, il fait la campagne du Havre avec le Régiment de Paris, lors d'un projet d'invasion de l'Angleterre. Le 10 mars 1782, il est nommé capitaine dans la Compagnie du Régiment de Richemond, « passant en moins de cinq ans du grade de simple enseigne à celui de capitaine-commandant» (Héricart de Thury, 1834).
Vers les années 1775, ayant opté de façon apparemment définitive pour la carrière militaire, Gillet prend le nom de Gillet de Laumont, moins pour se donner une apparence de noblesse que pour se distinguer de son frère, François Pierre Gillet de la Renommière, qui avait également embrassé la carrière des armes. On retrouvera ce dernier en 1786, major du régiment d'artillerie de Strasbourg, puis Premier Lieutenant de la Capitainerie Royale des Chasses de Fontainebleau.
C'est à ce moment que Gillet, devenu Laumont, s'intéresse à la minéralogie. Il fait la connaissance de Sage et de Romé de L'Isle et vient suivre les cours à l'Ecole Royale des Mines, qui venait d'être fondée par Sage. De nouveau, il s'épargne les tâches fastidieuses de l'étude et, une fois de plus, fait appel à Calonne, qui, sans autre formalités, lui délivre le 7 janvier 1784 une commission d'inspecteur des Mines. A partir de ce moment, il va cumuler deux traitements et deux états: officier et inspecteur. Lors de ses tournées pour le Service des Mines, il revêt son uniforme de capitaine et fait annoncer ses divers passages par le bureau du contrôle général des finances dont il relève. Il semble bien avoir cherché à se donner de l'importance. Sur les actes notariés, il se donne à tort la qualité d'écuyer, fils d'un écuyer et ancien échevin de Paris. En fait, il joue sur l'homonymie avec Jean Daniel Gillet, conseiller du Roi en l'Hôtel de Ville, demeurant rue des Lombards. Cette situation ambigüe ne durera toutefois pas trés longtemps. Après la réforme du régiment de Paris du 20 mars 1791, Gillet de Laumont revient définitivement à la vie civile.
Dans le cercle de l'Ecole Royale, Gillet cotoie la plupart des grands minéralogistes de l'époque: de Bournon, Romé de l'Isle, de la Métherie, de la Manon, Haüy. Il a pour amis proches Claude Hugues Lelièvre, agé de 31 ans, breveté en 1784, et Alexandre Charles Besson, agé de 58 ans, nestor (doyen) de la promotion 1783, compagnons qu'il retrouvera ultérieurement. Dès 1784 l'inspecteur Laumont effectue des missions sur le terrain, faisant une première reconnaissance générale des mines de Bretagne et des Pyrénées.
A Huelgoat, il remarque un minéral vert que Haüy va déterminer comme «zéolithe efflorescente». Il proposera en 1808 d'appeler ce minéral laumonite puis laumontite, assurant une notoriété durable à son inventeur. Il faut remarquer que, à cette époque, il n'était pas courant de baptiser un minéral à partir d'un nom propre. Werner avait inauguré cette tendance, qui devait par la suite se généraliser, en appelant «prehnite» le minéral trouvé en Afrique du Sud par le Colonel Prehn, déclenchant une assez vive controverse.
Trés rapidement, Gillet va se montrer sous un jour assez peu favorable, étant manifestement envieux de deux de ses collègues, Frédéric de Dietrich et Barthélémy Faujas de St Fond. Ceux-ci sont nommés les 11 janvier et 1er mai 1785 commissaires l'un pour les mines de métaux, l'autre pour celles de charbon. Gillet aurait manifestement voulu avoir l'un de ces postes et, le 25 janvier 1787, il sollicite à nouveau Calonne, son généreux mentor, pour le poste de Commissaire du Roi au département des mines. Mais Calonne, lui même en disgrâce et à la veille de s'exiler depuis la disparition de son propre protecteur, le Comte de Vergennes, ne donne aucune suite à sa requête. En dépit de cette déconvenue, Gillet poursuit ses campagnes, et en cinq tournées successives il parcourt pratiquement toute la France. En 1789, il fournit le résultat de ses recherches sous forme d'un mémoire sur les mines de France, dans lequel il formule des recommandations sur de possibles concessions. Il poursuit jusqu'en 1794 son activité à l'inspection des travaux des mines.
Bien que directement issu des cadres de l'Ancien Régime, Gillet, qui à partir de la Révolution se fait subtilement appeler non plus de Laumont, mais dit Laumont, va négocier adroitement un virage politique qui aurait pu être périlleux pour l'ancien répresseur de la révolte des farines. Comme Dolomieu ( voir l'article sur l'Ecole des Mines à l'Hôtel de Mouchy, ce volume), il embrasse avec fougue la cause révolutionnaire.
En 1793, il est nommé commissaire du Ministère de l'Intérieur pour l'inventaire des objets d'art et de sciences provenant des dépôts et collections des Académies, Sociétés Savantes et Congrégations. En fait, il est chargé de récupérer pour le nouveau régime l'essentiel des biens et meubles de l'ancienne noblesse. Bien que les hagiographes de l'époque aient salué « le désintéressement et la probité dont il fit preuve dans l'exercice d'une mission si délicate et de confiance», il semble bien qu'il ait effectué son travail avec efficacité et sans état d'âme. Dans une lettre adressée à Lelièvre le 25 frimaire 1793, il écrit par exemple qu'il est convoqué à la maison d'arrêt des Madelonnettes pour y prendre des renseignements du nommé Pocquelin , concierge à l'Hôtel de Montbarey, «dont la découverte est intéressante». Il s'agissait en fait du cabinet appartenant au secrétaire d'état à la guerre de Louis XVI, Alexandre de Saint Maurice, prince de Montbarey, domicilié à l'Arsenal.
Une véritable organisation se met ainsi en place et, en février 1794, Gillet est nommé, avec Lamarck, Thouin, Desfontaines, Besson et Lelièvre, membre de la Commission temporaire chargée de recueillir les objets d'art et de science ayant appartenu aux proscrits . Avec Besson et Lelièvre, il est plus spécialement chargé de constituer la «Collection de Minéralogie n° 3». Il s'agissait en fait de mettre en place la nouvelle Ecole des Mines installée à l'Hôtel de Mouchy dans le cadre de la nouvelle politique minière décrétée par le Comité de Salut Public (voir l'article sur l'Ecole des Mines à l'Hôtel de Mouchy», ce volume). Les collections de référence étaient alors le support indispensable de l'enseignement de la minéralogie et surtout de la prospection minière, et tout minéral un peu exotique, ou d'origine lointaine, se négociait alors chèrement. Sans parler des catalogues luxueux réalisés pour certaines ventes comme ceux de Romé de L'Isle, par exemple. On peut citer le cas d'échantillons de malachite, acquis par Martinus Van Marum pour le Musée Teylers, de Haarlem, en 1790. Pour trois échantillons qui, actuellement, seraient estimés comme communs, il paya plus, que ce que les administrateurs du Musée déboursèrent à la même époque pour acquérir la collection unique de plusieurs centaines de dessins de grands maîtres italiens ayant appartenu à la Reine Christine de Suède, signés par MichelAnge, Raphaël et quelques autres.
L'activité de Gillet est débordante, et il profite de sa connaissance unique de tout le territoire pour agir en dehors de Paris. Le 18 pluviose an II ( 1794), on le retrouve ainsi, membre de la Commission temporaire des Arts, en compagnie du conventionnel Romme, envoyé par le Comité de Salut Public en Dordogne. Fidèle à son habitude de s'accorder des titres ronflants et plus ou moins factices, paut être pour impressionner un peu plus les survivants de l'Ancien Régime, il n'hésite pas à se donner la qualité de «Commissaire du Comité de Salut Public pour la grosse Artillerie» (!). Au total, une politique de redistribution efficace se met en place. Gillet confisque, Haüy aidé de Tonnelier classe, détermine et inventorise. On voit ainsi arriver à la nouvelle Agence les cabinets, comportant en général échantillons, modèles cristallographiques, éventuellement bibliothèque de Guettard, Dietrich, du séminaire de Saint Sulpice, de Lavoisier, etc.. Tous ces échantillons ne resteront cependant pas dans les collections de l'Ecole. Lors des Restaurations successives, certains seront rendus à leurs anciens propriétaires ou ayants droit, d'autres trouveront de nouvelles affectations.
Il faut convenir, du reste, que la plupart de ces échantillons n'avaient pas la valeur esthétique que l'on recherche dans les échantillons modernes. Les échantillons de Lavoisier, par exemple -restitués à Madame Lavoisier-, dont la plupart se trouvent aujourd'hui au Musée Lecoq de Clermont-Ferrand, ne sont pour la plupart que des poudres, dont le seul intérêt ne réside guère que dans l'enveloppe, magnifiques ampoules de verres d'époque, ornées d'étiquettes calligraphiées.
Il ne faudrait toutefois pas voir Gillet sous les traits uniques d'un rapace ayant trahi ses premiers engagements pour se mettre aux pieds du nouveau régime. Certes, il y a un certain nombre d'éléments, en particulier une tendance immodérée à se parer de titres ronflants,et à se faire aider qui vont à l'appui du jugement peu flatteur porté par certains historiens modernes, en particulier A. Birembault. Il fut un très efficace récupérateur des biens de l'Ancien Régime, qui il faut le reconnaître purent être préservés. Mais, il est également indéniable que, dans ses importantes fonction d'administrateur- fondateur de la nouvelle Agence des Mines, aux côtés de Lefevre d'Hellencourt, Daubancourt puis Lelièvre, il eut un rôle extrêmement positif en nommant au Corps des Mines et en protégeant toute une pléiade de savants qui, sinon, risquaient fort de connaître le triste sort réservé à Lavoisier. Cette action est décrite de façon assez détaillée dans l'article consacré aux débuts de l'Ecole des Mines à l'Hôtel de Mouchy (ce volume), et il n'est pas nécessaire de la rappeler ici. Disons simplement que bon nombre de professeurs de la nouvelle école y en fait, les seuls qui tinrent leurs engagements en matière d'enseignement! - étaient, soit des anciens nobles (Dolomieu), soit des éclésiastiques (Haüy, Tonnelier, Clouet). Tous risquaient beaucoup en ces périodes troublées , et il est indéniable, comme le dit P. Aguilhon dans sa notice historique sur l'Ecole des Mines, qu'ils trouvèrent à l'Agence protection et conditions matérielles convenables. Sans aller jusqu'au dithyrambe de P. Aguilhon, on ne peut que constater l'efficacité des administrateurs de l'Agence, qui non seulement protégèrent ces savants pendant leur court séjour à l'Ecole des Mines, mais qui leur permirent aussi, pour Dolomieu et Haüy, de prendre un essor national dans les postes les plus prestigieux de l'époque, au Museum.
Tout ceci dans un contexte assez difficile, car les débuts de la nouvelle structure furent marqués de vives controverses avec les tenants de l'ancien système, notamment Sage. Certes, celui-ci ne jouissait pas d'une très grande estime auprès de ses collègues, indépendamment de toute considération politique. Mais il ne se laissa pas évincer de son ancienne Ecole de la Monnaie, par d'anciens élèves, sans protestations véhémentes : « Ce..triumvirat, lequel me doit l'état opulent dont il jouit, s'était emparé de l'Hôtel du Maréchal de Noailles-Mouchy... y a fait transporter dans le repaire de l'Agence des mines...»
Il faut bien reconnaître que Sage, qui avait dans son Ecole une attitude très paternaliste envers des élèves qui étaient presque tous des hommes murs, d'un âge moyen frisant la quarantaine, avait quelques bonnes raisons d'être amer. Suspecté pour avoir «reçu à plusieurs reprises la femme Capet et son fils», il fut incarcéré sur dénonciation, par le Comite de Sureté Général et ses biens confisqués. Les attaques que Sage adresse dans un article intitulé «..sur les personnages qui m'ont dépouillé de ma fortune», qui vise explicitement « les membres du triumvirat» c'est à dire Gillet, Lelièvre et Lefebvre, ne sont donc pas totalement dénuées de fondement. En fait, Sage fut rapidement bientôt libéré, échappant de peu à la mort après avoir dû toutefois payer la somme de 1000 louis. Il termina sa vie sans être autrement inquiété, en continuant de donner quelques cours et de travailler à sa collection, qui ne fut donnée à l'Etat en 1826 aprés son décès.
Si on pouvait s'attendre à juste raison que toute sa collection, qui passait pour une des plus riches de l'époque, allât à l'Ecole des Mines,il n'en fut malheureusement rien; l'institution officielle: le Museum fit opposition et s'attribua les meilleures pièces. Toutes les pièces furent malheureusement reversées dans les collections de travail sans mention d'origine, si bien qu'il est aujourd'hui impossible d'en retrouver la trace.
L'épisode Sage est bien vite oublié et Gillet de Laumont, personnage important du Directoire, puis de l'Empire, tire le meilleur parti du succès indéniable de l'Agence des Mines, qui donnera à la République, puis à l'Empire, les matières premières dont les armées, puis l'industrie naissante ont un si pressant besoin. Il va rester l'un des premiers, puis le premier personnage du Corps des Mines jusqu'à sa mort en, à l'âge de 88 ans, après 48 ans et 4 mois de service au Corps des Mines. Il aura alors traversé l'Ancien Régime, la Révolution, l'Empire et la Restauration en réussissant ce prodige: garder les faveurs de tous ces régimes si contradictoires. Preuve s'il le fallait de ce que, à cette époque, les mines, source première de la puissance matérielle, transcendaient toute politique. Mais preuve aussi d'une souplesse de caractère, pour ne pas dire de versatilité, et d'une quête permanente des honneurs de toute sorte, que l'âge ne fera qu'amplifier.
En septembre 1798, le ministre de l'intérieur, François de Neufchateau propose une nouvelle formule de Salon, qui jusqu'alors était réservé aux artistes. Il propose d'associer aux tableaux et sculptures les meilleurs produits de l'Industrie, en une grande exposition dont la première a lieu au Champ de Mars, et qui préfigure les grandes expositions universelles qui se multiplieront au XIXème Siècle. Les meilleurs produits étaient récompensées par des prix décernés par un jury de huit membres, dont Gillet de Laumont,. chargé d'évaluer les objets de la classe de minéralogie.
Le travail qu'effectue Gillet au sein de l'Agence, puis du Corps des Mines, dont il devient Inspecteur Général le 13 décembre 1810, est importante. Il administre, nomme et révoque les différents ingénieurs, attribue les concessions. Surtout, il participe activement à l'élaboration du Code Minier de Napoléon, instaurant le comité juridique qui formula « la Loi concernant les Mines» du 21 Avril 1810, jouant un rôle important dans la rédaction finale et y insérant bon nombre de considérations personnelles de Napoléon. Ce code sera appliqué dans tout l'Empire et, dans quelques pays, survivra à la chute de l'Empereur. Aux Pays- Bas, par exemple, c'était encore le code juridique en vigueur (la version française faisant autorité!) dans les années 60 (1960!), jusqu'à ce que la découverte de gisements d'hydrocarbures «off-shore» en impose la refonte.
Ces tâches administratives ne l'empèchèrent pas de poursuivre une certaine activité scientifique, publiant de nombreux mémoires, observations et rapports. Il fut bien entendu membre de multiples Sociétés Savantes, en particulier la Société d'Histoire Naturelle où, avec J. Tonnelier, le garde des Collections de l'Ecole des Mines, dans le cadre de laquelle il instaura des cours à domicile à partir de la collection de Romé de L'isle qu'il avait rachetée.
A vrai dire, cette activité scientifique ne dépasse guère le cadre de la vulgarisation, et ne lui permet guère de postuler à l'honneur suprême, l'Institut. Une fois de plus, Gillet va pourtant faire la preuve d'un art de l'intrigue exceptionnel. Le 5 germinal de l'An IX ( 25 mars 1799), l'Institut procède à l'élection de la place de membre non-résident, devenue vacante par le décès de Giroud. La concurrence est moindre qu'au sein du microcosme parisien, mais Gillet, qui en principe ne peut postuler, va vite trouver la parade. Il trouve immédiatement une résidence en proche banlieue et réussit à devenir «l'élu non résidant de la section d'Histoire naturelle de la Première classe de l'Institut national». A partir de ce moment les honneurs se succèdent:chevalier de l'ordre de la Réunion en 1813, Académicien libre en 1816 (couronnant ainsi une carrière de parfait arriviste, écrit A. Birembault) et finalement Ordre de Saint Michel en 1828, décerné par Louis XVIII. Les biographies officielles portent aussi la mention « Chevalier de l'Ordre de la Légion d'Honneur» en 1815, mais il est curieux de constater que les Archives de l'Ordre n'en conservent pas la trace. Par contre, dans le fond historique de la Bibliothèque de l'Ecole on trouve une lettre du Ministère datée du 9 Mai 1821, portant comme seule mention « Refusé à la Légion d'Honneur». Une fois au moins, la belle machine ne semble pas avoir très bien fonctionné.
Gillet eut également une correspondance importante, les archives de la Bibliothèque de l'Ecole renferme plus de 500 lettres manuscrites échangées avec diverses sommités de l'époque, parmi celles ci Werner, Heuland, Fergusson, Gibbs,de Saussure (fils), Cotte, Svedenstirnaÿ.
La fin de la vie de Gillet de Laumont va être assombrie par des problèmes familiaux. Bon père, bon époux, il avait eu trois enfants, une fille et deux garçons, qui embrasserons tous deux une carrière militaire avec cependant pour le second un changement d'orientation pour le plus jeune.
Pour ce second fils donc, reçu à Saint-Cyr après avoir échoué à La Flêche, Gillet père vise l'Ecole des Mines. Ne pouvant éviter de faire jouer une fois de plus ses relations, il intercéde en 1816 auprès du Comte Molé, directeur général des Ponts, pour le faire rentrer en auditeur libre . Cette «admission parallèle» ne figure nulle part dans le dossier Gillet Nicolas, que l'on retrouve inscrit comme élève normal dans les différents actes de l'Ecole.
Note de R. Mahl : François Lubin GILLET de LAUMONT est noté dans le registre matricule des ingénieurs civils des mines (anciennement élèves externes) comme suit : né le 12/7/1800 à Daumont (Seine et Oise), entre en classe préparatoire le 23/X/1820, admis en cycle ingénieur le 16/3/1821 (classé 8), sorti le 20/5/1823 (classé 2) et diplômé le 13/6/1823.
Le vieil administrateur aura la douleur à la fin de sa vie de perdre sa femme et son fils ainé en même temps. A sa mort, en 1835, le Corps des mines refuse le rachat de sa collection personnelle de minéraux, dont le prix a été fixé par L. Cordier et c'est le Museum, qui s'en porte acquéreur. Le seul regret pour l'Ecole dans cette opération est la perte du cabinet de Romé de l'Isle intégré dans la vente.
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Personnage ambigü, contrasté, Gillet de Laumont a été sans conteste un de ceux qui ont le plus contribué à former un Corps des Mines qui, jusqu'à aujourd'hui, joue un rôle important dans la vie industrielle et économique de notre pays. Son appétit immodéré de rechercher les honneurs de tous ordres l'empêcha pas d'être un grand administrateur, qui a su donner un bon départ à la nouvelle Agence des Mines. Il a aussi le mérite d'avoir toujours défendu Romé de l'Isle, dont il avait racheté les échantillons en 1793. Ceci à l'inverse d'Haüy, le cristallographe et minéralogiste «en cour» à l'époque de Napoléon, qui utilise les échantillons de Romé pour vérifier ses théories de molécules intégrantes et illustrer son Traité, mais sans jamais citer les véritables sources. Il fut ce que l'on appellerait maintenant un grand serviteur de l'Etat, ou plutôt des Etats, puisque les pires bouleversements politiques ne l'empéchèrent aucunement de poursuivre imperturbablement une carrière que, en termes d'efficacité, d'aucuns pourraient sans doute qualifier de modèle.
Publié dans ABC Mines, n. 31, novembre 2009.
Le voyage de Gillet de Laumont et de Lelièvre dans les Pyrénées à la veille de la révolution française a été raconté par Franck Giraud dans le bulletin N° 29. Les deux pages qui suivent viennent compléter cette narration.
Connu pour ses découvertes minérales, Gillet de Laumont, conseiller des Mines, l'est moins pour celles relatives « aux restes et débris de corps organisés » qu'il a pu faire au cours de ces voyages d'inspection, notamment lors de son périple pyrénéen effectué à l'automne 1786 en compagnie de son confrère et ami Lelièvre, découvertes qui ont permis d'apporter des informations concrètes à la théorie de la Terre, chère aux naturalistes du siècle des Lumières.
Au cours de ce voyage, Gillet de Laumont remarque dans le Béarn que « [...] la grande montagne qu'on trouve en remontant [...] la vallée d'Aspe jusqu'au village qui est au pied de la magnifique chaussée qui mène à la forêt d'Etsaut [...], (est) toute entière de marbre jusqu'à son sommet, [...] (il s'agit d'une) pierre calcaire renfermant des coquilles ou d'autres êtres vivant dans la mer, pétrifiés » (extrait d'une note de Gillet de Laumont adressée au chimiste Darcet le 6 frimaire an 6 (en novembre 1797) conservée dans le fonds ancien de la Bibliothèque de l'Ecole des Mines de Paris) [Darcet s'est intéressé aux montagnes des Pyrénées en développant les causes de leur dégradation]. En Bigorre, à la houle du Marboré, plus connue sous le nom de Gavarnie, « Gillet-Laumont [...] rencontra dans l'intérieur du cirque un bloc de pierre calcaire compacte, contenant une grande quantité de débris de corps marins, dont il détacha des morceaux parmi lesquels il crut reconnaître une coquille pétrifiée » (Picot de Lapeyrouse, Voyage au Mont-Perdu, 1797, p. 44).
Dans un premier temps, « on lui contesta (l') existence (d'un calcaire fossilifère au cirque de Gavarnie) ; il démontra la vérité de son assertion, après avoir fait scier et polir (un) morceau (de roche) [...] ; on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'il renferme une huître avec plusieurs fragments, de l'espèce de celles qu'on nomme gryphytes » car cette « observation vint [...] infirmer celles qui l'avaient précédée, et donner lieu à des doutes sur l'origine de ces masses calcaires » (Picot de Lapeyrouse, Voyage au Mont-Perdu, 1797, pp. 43-44).
La communauté scientifique de l'époque considérait les terrains calcaires situés au cœur de la chaîne pyrénéenne comme primitifs et non secondaires, et ainsi dépourvus de vestiges d'êtres organisés, depuis que des savants naturalistes de notoriété l'ont constaté comme Dolomieu et Picot de Lapeyrouse au cours de leur escapade commune à l'été 1782 : « il n'est pas de voyageur instruit en minéralogie, qui, après avoir parcouru les Pyrénées, n 'ait été frappé de l'immense étendue de leurs montagnes calcaires [...], et qu'on n'y a trouvé ni restes ni débris de corps organisés » (Picot de Lapeyrouse, Voyage au Mont-Perdu, 1797, p. 43). Le célèbre géologue genevois Deluc arrive à la même conclusion dans ses lettres philosophiques et morales (t. 5, p. 479). Campmartin, un autochtone, apothicaire en la ville de Saint-Girons en Couserans et ami des sciences de la nature le confirme également : «dans tout ce que j'ai parcouru des Pyrénées [...], depuis Cauterets et Barèges, jusqu'à l'entrée du Couserans, je n'y ai trouvé aucun fossile [...], coquilles et bois pétrifiés [...], quoique j'aie examiné dans des creux de plus de cent pieds de profondeur opérés par les eaux » {Extrait du Mémoire de M. de Campmartin, sur la Minéralogie des Pyrénées).
Mais Gillet de Laumont est désormais convaincu que les masses calcaires trouvées pétries de débris d'antiques animaux marins qui composent certaines montagnes pyrénéennes, n'ont pu se former dans des temps reculés que dans une vaste mer.