DE L'IRRESPIRABILITÉ DE CERTAINES CAVITÉS SOUTERRAINES ARTIFICIELLES
et des conséquences qui en découlèrent quant au développement des appareils respiratoires autonomes
1ère partie

Par Gilles Thomas et Philippe Haillecourt

Ce document est extrait du Bulletin de l'Association ABC-Mines n° 37, Décembre 2013.

Le sous-sol de Paris, si l'oeil pouvait en pénétrer la surface, présenterait l'aspect d'un madrépore colossal. Une éponge n'a guère plus de pertuis et de couloirs que la motte de terre de six lieues de tour sur laquelle repose l'antique grande ville. Sans parler des catacombes, qui sont une cave à part, sans parler de l'inextricable treillis des conduits du gaz, sans compter le vaste système tubulaire de la distribution d'eau vive qui aboutit aux bornes-fontaines, les égouts à eux seuls font sous les deux rives un prodigieux réseau ténébreux; labyrinthe qui a pour fil sa pente.

Là apparaît, dans la brume humide, le rat, qui semble le produit de l'accouchement de Paris. (« Les Misérables », de Victor Hugo ; 5e partie : Jean Valjean / Livre 2e : L'intestin de Léviathan / La terre appauvrie par la mer)



Sgt Sébastien Asensio BSPP coupe de Paris
Célèbre maquette au l/50e montrant une coupe des sous-sols de Paris, réalisée pour l'Exposition internationale de 1937

Concernant les catacombes / carrières souterraines, la Ville de Paris a entrepris depuis les années 80's, une politique de fermeture de la majorité des accès, après avoir tenté de fragmenter par la création de murs le Grand Réseau Sud, rassemblant les 5e, 6e, 14e et 15e arrondissements. Une des conséquences secondaires en est une modification de la circulation de l'air, certains tampons et autres trappons d'accès n'étant pas uniquement soudés mais ayant été remplacés également par un bouchon de béton hermétique.

Jusqu'à présent cela a été peu dommageable pour la fréquentation des cataphiles.

Les seules répercussions l'ont été au niveau de la population des « déjà morts » : les ossements de l'Ossuaire des Catacombes. Les os translatés à partir de 1786 pour les plus anciens (fin des transferts en 1933 !), et en parfait équilibre avec l'atmosphère de ce milieu souterrain, ont commencé à souffrir d'une modification du climat des Catacombes, due à la création de ces murs de confinement en 1982. Cette politique irréfléchie a eu en effet pour résultat un ralentissement de la circulation de l'air, dont le taux de CO2 s'est accru avec l'augmentation concomitante du nombre de jours d'ouverture et donc de visiteurs. Ajoutons à ceci une stagnation de l'humidité bloquée entre les murs d'isolement, et une lumière qui plus est blanche, désormais maintenue en permanence (et non plus se déplaçant avec le visiteur ayant apporté sa bougie ou sa lampe de poche) et même 24/7, et l'on obtient un développement d'algues et de moisissures néfaste à la conservation des ossements. D'où moins de 15 années plus tard l'installation d'une climatisation pour essayer d'enrayer la propagation du mal. Ce musée souterrain a en effet été climatisé en 1995 pour la modique somme de 6 millions de Francs (et oui c'était une autre époque, un autre millénaire, ce qui équivaut donc selon la référence monétaire actuelle à peu près à 1 M d'Euros), soit environ un franc du squelette puisque l'on estime que dans ce lieu ont été regroupés les ossements d'environ 6 millions d'individus, population 3 fois plus importante que celle du Paris de surface actuellement.

Mais qu'ils se rassurent, pour l'instant les amateurs qui circulent sous Paris risquent tout au plus de se tordre le pied, ou de s'assommer en se cognant le front sur un ciel non pas « si bas » mais parfois tout simplement trop bas ; une chute dans un puits à crampons au moment de la pénétration ou de la sortie est bien sûr possible avec les conséquences dramatiques que l'on imagine. Et l'on peut aussi écarter de nos jours la possibilité de s'égarer dans les carrières sous Paris (de très nombreux plans sont maintenant disponibles gratuitement grâce au réseau des réseau : la toile Internet), mais cette fréquentation facilitée ne permet malheureusement pas d'assurer la permanence d'un « réseau net »... à cause d'un manque de respect par des visiteurs indélicats. L'autre des risques majeurs inhérents à certains milieux souterrains, l'asphyxie, est pour l'instant exclu pour Paris intra-muros ...

Mais ce ne fut pas toujours le cas, comme l'on va voir. Et l'une des conséquences les plus surprenantes, ou tout le moins les plus inattendues d'un air pas toujours respirable sous terre, fut le développement d'appareils autonomes pour y suppléer, utilisés également depuis pour la plongée, et aux performances sans cesse améliorées pour la plongée spéléoLorsque l'on évoque les problèmes d'air nauséeux, nauséabond, méphitique comme l'on disait autrefois, voire irrespirable car mortel, on pense principalement à des rejets toxiques dans les égouts, éventuellement aux mines de charbon de l'Est lointain (avec les fameux et dramatiques coups de grisou ou de poussières), mais pratiquement pas aux sous-sols de la Ville de Paris, au sens d'anciennes carrières souterraines, et pourtant, et pourtant...


Charrette transportant des ossements dans les rues de Paris pour les déverser dans les carrières de la Tombe-Issoire (dessin de Robert Chardon pour Liaison Sehdacs n°6 1986)
Voir www.seadacc.com et http://picar-treuildechatillon.lutecia.fr/spip.php?articlel6
Dessin d'après une photo de Félix Tournachon dit Nadar, prise en 1861, montrant le rangement des ossements dans l'Ossuaire des Catacombes.

Passons en revue quelques articles (liste bien évidemment non exhaustive) évoquant ce problème de respiration lors d'intervention en ce milieu devenu toxique.

Egouts et sous-sol (caves et carrières) : même lutte contre l'asphyxie

Si ceci est un lieu commun pour les égoutiers, la présence d'odeurs désagréables est aussi parfois manifeste pour les visiteurs du musée des égouts, situé place du pont de l'Aima, car celui-ci est rappelons-le tout simplement une portion active du réseau d'égouts, ouverte à la curiosité du public.« Se figure-t-on une telle mort ? si l'enlisement est effroyable sur une grève de la mer, qu'est-ce dans le cloaque ? Au lieu du plein air, de la pleine lumière, du grand jour, de ce clair horizon, de ces vastes bruits, de ces libres nuages d'où pleut la vie, de ces barques aperçues au loin, de cette espérance sous toutes les formes, des passants probables, du secours possible jusqu'à la dernière minute, au lieu de tout cela, la surdité, l'aveuglement, une voûte noire, un dedans de tombe déjà tout fait, la mort dans la bourbe sous un couvercle ! l'étouffement lent par l'immondice, une boîte de pierre où l'asphyxie ouvre sa griffe dans la fange et vous prend à la gorge ; la fétidité mêlée au râle ; la vase au lieu de la grève, l'hydrogène sulfuré au lieu de l'ouragan, l'ordure au lieu de l'océan ! et appeler, et grincer des dents, et se tordre, et se débattre, et agoniser, avec cette ville énorme qui n'en sait rien, et qu'on a au-dessus de sa tête ! »


Gravure extraite du roman de Élie Berthet « Les Catacombes de Paris » (1854)

De même dans les carrières sous Paris, à plusieurs reprises dans leur histoire, et pour différentes raisons, les ouvriers furent de temps en temps confrontés à de tels désagréments, pouvant se révéler parfois mortels. « Malgré l'épaisseur visqueuse de la boue, malgré les odieuses émanations des miasmes soulevés par mes mouvements, malgré les nausées, le soulèvement d'horreur de ma poitrine révoltée, je me sentais transporté par une joie qui me donnait des ailes ; l'espoir me soulevait. »

Contrairement aux apparences, dans ce second récit, nous sommes bien dans les anciennes carrières de la Ville de Paris, très exactement dans le réseau principal du 16e arrondissement, là où se sont réfugiés deux insurgés tentant d'échapper aux Fédérés pendant la Commune. Cette histoire est un peu romancée, voire même beaucoup, mais on peut la rattacher à des faits réels ou du moins avérés. Ainsi Charles-Axel Guillaumot, premier Inspecteur général des carrières de Paris, dans son mémoire publiée en 1797 évoque la présence d'air vicié au fonds de ces cavités parisiennes. Après avoir rappelé que « dans les premières années, aller aux carrières, c'étoit aller à la tranchée », Guillaumot en donne l'explication : « L'avant dernier entrepreneur de ces travaux, M. Charpentier, a été tué en messidor an 6, dans une carrière à Charenton ; un commis, le sieur Barthélémy, a été tué l'année dernière à l'atelier de la barrière du Maine ; M. Henry, l'un des Inspecteurs, et M. Bellet, qui a succédé dans cette entreprise à M. Charpentier, sont aussi morts, l'année dernière, des suites de maux de poitrine gagnés dans le méphitisme de l'air qu'on respire dans ces souterrains. Moi-même enfin, je relève d'une pareille maladie qui m'a tenu pendant une année entière au bord du tombeau, et dont les suites m'y entraîneront infailliblement, avant le moment où j'y serois descendu, sans ce dangereux travail, mais du moins je mourrai avec la consolation d'avoir prévenu de bien plus grands malheurs que celui-là, par ma surveillance et celle de mes coopérateurs. »

On le voit les carrières le disputaient aux égouts quant à la première place au hit-parade des lieux insalubres et malsains pour le personnel amené à y travailler. Les Catacombes de Paris, notre ossuaire général (et municipal) de la Ville de Paris n'étaient pas encore imaginées (cela viendra en 1782) que les premiers réceptacles d'eaux usées, lieux dignes du cloaqua maxima de Rome avaient déjà fait parlé d'eux.

Par exemple, en date du mercredi 14 juin 1780 («de la Lune le l2 ») dans «Le quotidien», dans sa rubrique Événement, (page 2 du n°166), on lit : « L'événement de Narbonne vient de se renouveler avant-hier à Paris. Deux Maçons ètoient occupés à la reconstruction d'une fosse dans une maison de la rue Saint-Honoré, près celle des Frondeurs. On en relevoit la terre, lorsqu'un des deux ouvriers voulant sonder un mur qu'il soupçonnait, en détacha un moellon, ce qui donna le jour à la matière contenue dans une fosse voisine et répandit une vapeur méphitique qui suffoqua les deux ouvriers. Personne n'osa descendre pour les secourir ; il fallut avoir recours aux ouvriers du Ventilateur qui retirèrent les deux Maçons, le Toiseur ayant eu le temps de se sauver ; [...] La Garde de Paris a été appelée pour administrer les secours. On n'a pas idée du courage et de l'activité qu'elle met dans ces circonstances. Le premier a été secouru efficacement ; le second n'a pas pu être rappelé à la vie. Cet événement prouve toute l'intensité des vapeurs, et combien sont sages les précautions que le Gouvernement a ordonné de prendre pour en arrêter les effets. » Intoxication isolée, mais Paris notre grand'ville, fut plusieurs fois victime d'épidémies de choléra et autres pandémies, ce qui eu pour résultat le développement et l'amélioration de son réseau d'égouts.

En pensant aux carrières de la capitale, certains ont aussitôt en tête les champignonnières ; pourtant les sous-sols de la capitale n'hébergeront des « jardiniers de la nuit » qu'à partir du début du XIXe siècle et le champignon blanc prendra alors la dénomination de Champignon de Paris (le stratotype parisien n'a donc pas uniquement donné naissance au Lutécien géologique !).

Mais les balbutiements artisanaux de cette (agri)culture souterraine ne furent pas sans soubresauts aux conséquences mortelles. Par exemple en 1784, le dénommé Laurent, « marchand de Bierre » (sic) à l'entrée de la Villette, avait prêté sa cave depuis trois jours à un jardinier pour y faire des couches de champignons. Beaucoup de fumier y avait été descendu, qui y fut imbibé d'une assez grande quantité d'eau, et quand le jardinier y descendit, il fut fort étonné de voir sa chandelle s'éteindre. Laurent y alla voir à son tour et tous deux furent suffoqués. La servante de Laurent ne les voyant point revenir, alla les rejoindre et subit le même sort. Secourus par des voisins, le jardinier et la servante purent être extraits de ce piège asphyxiant, mais mirent quelques temps à revenir à eux. Pour essayer de sortir la troisième victime, un Suisse de bonne volonté s'encorda afin de pouvoir être retiré en cas de nécessité. Il resta quatre minutes dans la cave, réussit à porter Laurent sur les premières marches, mais se sentant défaillir sorti en courant dans la rue et fut secouru à grand renfort de vinaigre et d'eau de vie. Un autre homme robuste se présenta à son tour, qui réussit à attacher Laurent, mais frappé des mêmes symptômes que le Suisse, il remonta rapidement pour s'écrouler dans la rue et entrer dans des convulsions épouvantables pendant plus d'une demi-heure. On réussit néanmoins à tirer Laurent hors de son piège, mais trop tard, étant depuis plus d'une heure dans la cave, sa mort n'étonna personne, « puisque deux minutes avoient manqué faire périr les autres ». Cet article du Journal de Paris se termine par une note des rédacteurs stipulant que « Là où les lumières s'éteignent, la vie est en danger ». Cette proposition est « si facile à saisir, le Gouvernement a tant fait pour la propager, en publiant des avis, en faisant imprimer et distribuer à ses frais des milliers d'exemplaires du Catéchisme sur les Asphyxies, qu'on a tout lieu de s'étonner de la multiplicité de ces événements. Les lumières s'éteignant dans la circonstance dont il s'agit, il falloit ouvrir les soupiraux, brûler de la paille, ou introduire dans les cave un vaste brasier bien ardent pour détruire le méphitisme, et établir des courons et une circulation de l'air atmosphérique ».

Amateur de champignons à la grecque, en truffade, en salade ou autres préparations évoquées par Gaspard de Montfermeil dans « Les Gaspards » film de Pierre Tchernia (co-scénarisé avec l'aide de René Goscinny), songez la prochaine fois que vous assouvirez votre penchant pour ce cryptogame, que la mise au point de sa culture dans les sous-sols de Paris ne se fit pas sans drame !

La goutte d'eau des Innocents qui fait déborder le vase des voisins incommodés


Cimetière des Innocents avec une vue de détail sur les charniers

En 1780, le Cimetière des Innocents fut fermé, en vertu d'un arrêt de la Cour du Parlement. Dans la rubrique Variétés du «Journal de Paris » (n°349 du jeudi 14 décembre 1780, de la Lune le 19), on ne peut être plus explicite : « ... Un pareil amas de cadavres ne pouvait que répandre l'infection dans cette enceinte, et conséquemment, exciter les plus vives réclamations de la part des habitants qui environnent le cimetière. Aussi rendirent-ils plaintes en 1724, 1725 et en 1737... Les plaintes furent renouvelées en 1746 et 1755 et cependant, on a osé avancer dans des Mémoires particuliers et dans des Papiers publics que non seulement cet air n'étoit pas nuisible, mais même que c'était un air plus vital que tout autre.

[...] Or, des analyses ont été faites à plusieurs reprises, entr'autres par Mr.l'Abbé Fontana, célèbre Physicien du Grand Duc de Toscane ; ce travail a été soumis à la Société Royale de Médecine ; mais le Magistrat ne crut pas devoir en permettre alors la publicité, tant le résultat avoit quelque chose d'inquiétant. Enfin, au mois de juin dernier, les caves de trois maisons de la rue de la Lingerie se trouvèrent méphytisées au point que les locataires effrayés des accidents auxquels ils étaient exposés, rendirent plainte... Deux tonneliers et un jeune-homme manquèrent d'y périr pour y avoir séjourné quelques instants. Trois maisons voisines commencèrent à être atteintes de méphytisme, qui, gagnant de proche en proche, aurait pu s'étendre beaucoup plus loin et infecter toutes les caves des maisons de la rue de la Lingerie... sans la cessation subite des chaleurs.

On fit déménager les caves par les moyens du Ventilateur ; cet appareil commandait en quelque sorte au méphytisme ; mais au moment où on le retiroit, il reparaissait avec violence ; cet événement étoit trop frappant pour ne pas fixer l'attention du Parlement et hâter le moment de fermer le cimetière des Innocens qui l'a été définitivement le 1er décembre de cette année. »

Le grand mot est lâché : le méphitisme ! Sachons nous méfiez du méphitisme ... qui est défini comme suit : c'est « cette propriété par laquelle certaines vapeurs agissent sur les animaux, de manière à suspendre subitement l'exercice de leurs fonctions vitales ». En 1783 à la demande de l'Académie, deux chimistes de renom, Claude Louis Berthollet et Antoine Laurent Lavoisier, furent chargé de rédiger un compte rendu sur le mémoire de Cadet de Vaux, traitant du méphitisme des puits de Paris, et sur les moyens pour y remédier.

Cadet cite deux exemples de puits méphitiques, pour lesquels il a été consulté, l'un rue de Bourbon-Villeneuve, l'autre au faubourg de Gloire.

« Il paraît que la vapeur qui infectait ces puits, et qui en rendait l'accès mortel pour ceux qui y descendaient, était principalement de l'air fixe. Ayant été appelé pour désinfecter l'air du premier de ces puits, il commença par en renouveler l'air par le moyen d'un dégagement considérable d'esprit de sel. Il fit descendre, à cet effet, avec une ficelle, une capsule qui contenait du sel marin ; il versa dessus, par le moyen d'une fiole à laquelle était adaptée une bascule, de l'acide vitriolique ; bientôt le puits fut rempli de vapeurs blanches, et, quand elles se furent dissipées, l'air du puits, sans être entièrement rétabli, avait été cependant amené à un point de salubrité tel qu'on pouvait y descendre, et y rester quelque temps sans être incommodé. Pour achever d'en désinfecter entièrement l'air, M. Cadet se servit d'un fourneau de réverbère garni de son dôme. Au conduit était adapté un long tuyau qui descendait dans le fond du puits. Il est sensible qu'en allumant un grand feu de charbon dans ce fourneau, il devait s'établir un courant d'air, que celui qui était au fond du puits devait être aspiré par le fourneau, et qu'il devait être remplacé a mesure par de l'air salubre. L'effet a répondu à ce qu'on devait en attendre; mais M. Cadet de Vaux remarque que le renouvellement de l'air se fait lentement : l'air salubre tombe le long des parois du puits, et il reste au milieu un noyau d'air méphitique, s'il est permis de se servir de cette expression, qui ne se renouvelle qu'à la longue.

Le dégagement d'acide marin en vapeur ne suffit pas toujours pour rendre, même momentanément, respirable l'air méphitique des puits, et M. Cadet de Vaux en a fait l'expérience dans le puits du faubourg de Gloire. Il essaya de même, inutilement, le dégagement de l'alcali volatil du sel ammoniac, par la chaux. L'air de ce puits était tellement nuisible qu'il fut obligé, pour le rendre accessible, d'y faire descendre un grand brasier de charbon, au moyen duquel il parvint à renouveler l'air. Cette première opération donna aux ouvriers la facilité d'y descendre ; après quoi, pour empêcher le retour du méphitisme, M. Cadet de Vaux y fit appliquer le fourneau dont nous avons déjà parlé, avec ses tuyaux d'aspiration et les travaux se continuèrent ensuite sans aucune difficulté. Il remarque, à cette occasion, qu'il est dangereux de placer le fourneau trop près du puits, parce qu'alors l'air rendu méphitique par la vapeur du charbon est réabsorbé et rentre dans le puits. Il est donc nécessaire que le fourneau soit placé à plusieurs toises de son embouchure. [...] »

Même motif, même punition : lors de l'usage d'un groupe électrogène à l'extérieur d'une cavité souterraine (il va de soi !), se méfier qu'il ne soit pas trop proche du puits d'accès à la dite cavité... et pas uniquement pour des raisons de discrétion en cas de fête.

Des cieux éthérés aux sous-sols méphitisés, même motif, même punition

Une première méthode consiste donc à essayer de ventiler la cavité posant problème, procédé qui sera aussi utilisé à plusieurs reprises lors des travaux d'aménagement des Catacombes de Paris par Héricart de Thury, mais aussi lors d'autres travaux de consolidation des carrières dans la capitale. Lorsqu'il y a nécessité d'intervenir dans un site à l'air irrespirable (parce que par exemple un individu y est inconscient et ne peut donc en sortir par ses propres moyens), n'ayant plus le temps de réaliser une aération qui n'est pas un processus immédiat, loin de là, il convient d'assurer une intervention en toute sécurité des individus afin de ne pas créer un sur-accident et d'augmenter le nombre de victimes. D'où la réflexion faite de créer un « Respirateur ou appareil, par le moyen duquel on peut descendre dans les lieux infects », que va nous décrire un spécialiste de l'aérostation dans « [sa] Vie et [ses] Mémoires, écrits par lui-même » en 1786 : Jean-François Pilâtre de Rozier.

C'est vers la fin de l'année 1781, que Pilâtre de Rozier fonda, avec le concours de quelques grands seigneurs de la cour, un musée des sciences à Paris, où il donna pour les gens du monde une série de cours qui obtinrent un très grand succès. Il se livra à l'étude des gaz et imagina un appareil respiratoire ingénieux pour pénétrer dans les fosses remplies de gaz méphitiques, appareil qu'il expérimenta lui-même avec un rare dévouement. Si l'homme est un loup pour l'homme, il sait aussi être son propre cobaye. De l'élévation dans les airs à la descente dans des « fosses d'aisances méphitisées », ce ne sont en fait que deux approches d'un même centre d'intérêt, celui de l'étude de l'air.

« Suite à des expériences avec des poissons, des animaux aquatiques et en général tous ceux qui n'ont besoin que d'une très petite quantité d'air pour respirer et qui peuvent vivre très longtemps au milieu des gaz, on peut en conclure que les grands plongeurs et tous ceux qui pourront s'abstenir de respirer autant de tems qu'ils resteront dans le gaz méphitique ne courront aucun danger, d'où l'idée qu'un procédé mécanique qui établiroit une communication entre les poumons et l'air respirable permettrait à l'homme de rester au milieu de ces fluides inhospitaliers et offriroit conséquemment un moyen d'arracher à la mort les infortunés qui auroient été surpris dans des lieux infects. »

De ces observations découlèrent des machines inventées pour permettre à l'homme de demeurer mais aussi d'agir dans des milieux anoxiques sans être pour autant privé de respirer. Par exemple, dans le cas d'un plongeur l'usage d'une cloche, artifice qui présente plusieurs inconvénients dont une préparation trop longue ainsi qu'un volume trop important. Pilâtre de Rozier essaya alors les tuyaux légers que les plongeurs anglais avaient tenté de mettre en usage et qui véhiculaient de l'air atmosphérique depuis la surface de l'eau dans la bouche du plongeur. Il essaya avec deux tuyaux, l'un pour aspirer, l'autre pour expirer; il inventa aussi entre autres de nouvelles soupapes. Ne cessant de penser à une solution à ce problème, nuit et jour, finalement la solution lui vint en songe : se croyant au milieu d'émanations toxiques, il prit un tuyau qu'il plaça à l'ouverture de son nez pour respirer et rejeta l'air par la bouche. Il essaya dès son réveil et constata l'efficacité du procédé. Suite à cela, il est descendu ainsi équipé dans un puits où un ouvrier était inconscient, y est resté % d'heure. Puis le 21 mars 1785, il s'est même couché au fond d'une telle cuve sous 3 pieds d'acide méphitique au dessus de la tête (expérience en présence de MM. Macquer, Leroy Cadet et Berthollet de l'Académie royale des Sciences), et y resta 34 minutes pendant lesquelles il parla sans paraître le moins du monde fatigué.

Buste du préfet de police Lenoir
Cippe dans les Catacombes commémorant les combats de la manufacture Réveillon en avril 1789, mais installé au moment des travaux d'aménagement instigués par Héricart de Thury à partir de 1809.

Il imagina alors un appareil propre à garantir des effets du méphitisme et cette utile invention lui mérita des encouragements du fameux lieutenant général de police Lenoir (personnage immortalisé entre autre sur la plaque commémorative située dans le vestibule des Catacombes). Pilâtre était occupé à de nouveaux essais quand les travaux sur les aérostats par les frères Montgolfier étonnèrent la France entière et vinrent le détourner de ses recherches premières. Le 5 juin 1783, ils effectuèrent leur première expérience publique à Annonay après plusieurs essais en privé. Puis ils firent leur première ascension parisienne au Champ de Mars le 25 août 1783, suite à quoi Pilâtre annonça (par une lettre insérée dans des feuilles publiques dont le « Journal de Paris ») qu'il s'élèverait lui-même dans les airs. Il effectua alors des expériences (au moins trois ascensions) au préalable dans le jardin de la Manufacture Réveillon (marchand de papiers peints au faubourg Saint-Antoine, lui aussi passé à la postérité dans le microcosme des Catacombes) ; son ballon était alors retenu par des cordes.

Revenons, non pas à nos moutons, mais à notre cobaye souterrain. Pilâtre tint un jour ce discours à un ami : « j'ai fait des expériences importantes sur les gaz, [...] j'ai inventé un masque anti-méphitique ; je suis resté ignoré, & ma découverte a été négligée : maintenant que j'ai navigué dans les airs, j'ai des honneurs & des pensions, & l'on daignera peut-être profiter de mon utile invention. » ... Et d'ailleurs, ce que l'Histoire populaire a retenu de lui est son élévation dans les airs ; de ses expériences sous des ciels qui finalement étaient plus cléments que les cieux qui lui causèrent une mort prématurée, peu en avaient eu vent !

Voici la description qu'il donna de son respirateur : « Nous venons de parler d'un tube ou conduit, qui s'adaptoit au nez & facilitoit la respiration, en établissant une communication entre l'air atmosphérique & la personne qui se trouve au fond d'un cloaque. Ce tube est en taffetas gommé, garni d'un fil de laiton qui serpente intérieurement, & qui le maintient dans la forme cylindrique, quelque détour qu'on soit obligé de lui faire prendre. Par ce moyen, on ne craint point que ce léger conduit puisse se fermer dans ses contours & intercepter l'air atmosphérique. Il est divisé en parties égales par de petits cercles de cuivre qui permet de visser l'un à l'autre ; ce qui en facilite le transport & en accélère la disposition.

[...] Toute l'attention de celui qui se revêt de l'appareil, doit être d'aspirer par le nez & d'expirer par la bouche, en laissant échapper l'air au milieu des gaz.

Si l'on vouloit opérer dans les fluides aqueux, il seroit alors nécessaire d'ajouter à ce premier appareil un habit ou scaphandre en taffetas impénétrable à l'eau, du même que celui dont nous venons de parler, & par ce moyen on se garantirait du contact de tous les fluides. »

Descriptif technique de l'appareillage : « Au dehors du cloaque, à une distance où l'on juge que l'air est respirable, on arrête le bout supérieur du tube, dont la suite se continue et descend à travers les émanations, dans un petit réservoir d'air, ou boîte de fer-blanc, que celui qui opère porte derrière le dos. Par un des côtés de ce réservoir, sort un autre conduit, semblable au premier, & qui va s'adapter, à l'aide d'une vis, au nez d'un masque, dont les yeux sont garnis de verre & les bords de pur velours, afin qu'il ne puisse blesser celui qui le porte. »

Il est aisé de comprendre que cet appareillage offre les moyens de se plonger aussi sous l'eau, et permet alors de secourir les noyés tout comme les asphyxiés. Et d'ailleurs des essais ont été conduits qui donnèrent entière satisfaction. Combien de personnes secourus depuis savent ce qu'ils doivent à ces travaux préliminaires mais néanmoins estimables, de Pilâtre de Rozier, à la toute fin du XVIIIe siècle ?

La flamme de ce siècle qualifié « des Lumières », vacilla de temps en temps, et permit à quelques opportuns de sombrer dans l'obscurantisme le plus débridé. Ainsi principalement du 2 au 4 septembre 1792, des tueries eurent lieu dans les prisons parisiennes, sous le fallacieux prétexte qu'un complot contre-révolutionnaire était en train de s'ourdir du fin fond de ces geôles. Ces massacres furent perpétrés non seulement à Paris, mais aussi dans quelques villes de province, avec une ampleur moindre il est vrai. Dans la capitale, on s'était débarrassé précipitamment des corps des victimes dans les Catacombes et autres carrières souterraines; à défaut de leurs esprits ou de leurs mânes, leurs restes en état de décomposition vont se manifester près de six mois plus tard.

Quand les massacres des septembriseurs ont des conséquences l'année d'après

Parmi les prisons victimes de ces exactions, celle de l'Abbaye vit ses cadavres transportés au cimetière de Vaugirard, ceux du Châtelet iront à Clamart et Montrouge (dans les Catacombes), tandis que les 160 victimes de la prison de la Force seront déversés dans une carrière à Charenton, carrière qui fit à nouveau parler d'elle le 29 janvier 1793 (2e de la République) : le médecin Michel Augustin Thouret alors se porta à son chevet.

Deux documents, autant manuscrits qu'inédits, extraits d'archives nous narrent la chose. Le premier, du 20 décembre 1792 au matin, est signé d'un dénommé Quinot. Il rappelle qu'un citoyen propriétaire d'une carrière « se plaint de ce qu'on y a inhumé une quantité prodigieuse de cadavres des prisonniers massacrés dans les journées excécrables des 2,3 et 4 septembre ; les instruments de ces ouvriers, plusieurs charettes... ont été aussi ensevelis sous ces monceaux de morts, neuf pieds de terre mise par dessus mettent la carrière hors de travail ; les ouvriers répugneroient d'y travailler quand bien même on enlèvereoient ces cadavres. » Ce propriétaire, refusant le rachat par la municipalité en dédommagement, tient à ce que sa carrière retrouve son état d'origine ; une seule solution, y faire exhumer les corps, mais comme on ne fait pas d'omelette sans casser des oufs, même avec les meilleurs champignons de Paris qui soient, cela pose quelques problèmes plus que métaphysiques... car méphitiques là aussi. En effet on peut aisément imaginer le fumet moins que délicat qui devait alors régner dans ce site confiné, où se décomposaient près de 200 cadavres depuis quelques mois.


Localisation de la carrière de Charenton ayant servi de substitut aux Catacombes.


Portrait d'Augustin Thouret

Le médecin Thouret est celui-là même qui était devenu un spécialiste de la décomposition des corps, suite aux études qu'il réalisa lors des travaux d'exhumation du cimetière des Saint-Innocents en 1786, dont il fut l'un des commissaires désignés par le gouvernement, sous l'impulsion de Thiroux de Crosne. C'est à cette occasion qu'il distingua la transformation de certains corps de morts inhumés en momies sèches ou grasses. Il profita en effet de ces travaux pour faire des études sur l'adipocire (ou « gras de cadavre », matière obtenue par la décomposition des corps enfouis dans la terre ou l'eau), et sur les diverses transformations dont les substances animales sont susceptibles.

Il rédigea un mémoire concernant le procédé à employer pour vider la carrière de son encombrante population nauséabonde recouverte pour encore complexifier la chose d'une « grande quantité de terres jetées, même avec des masses de pierre sur les corps ». Le puits d'accès fait 100 pieds de profondeur pour 15 de diamètre.

Extrait du « Rapport sur l'exhumation de la carrière de Charenton » rédigé par le docteur Thouret :

« L'enlèvement des corps et leur grand nombre devant exiger qu'il soit creusé, pour les déposer dans le voisinage, une grande fosse qui occasionera des frais, il paroit sage, avant d'en faire la dépense, et pour s'assurer qu'elle n 'aura pas été inutile, de faire quelques essais pour reconnaître si l'exhumation pourra se pratiquer. On disposera à cet effet le local pour commencer l'opération. On doit ouvrir un puits sur chacune des deux galeries de la carrière, pour établir un courant d'air qui communique avec le fonds du puits principal. On placera sur ces deux nouvelles ouvertures un vaste fourneau, chargé de charbon de terre bien allumé, pour faire l'office de ventilateur. On jettera de la paille enflammée au fonds du puits, pour savoir quel est l'état de l'air. Les ouvriers seront liés sous les bras d'une forte corde, tenant à une brassière, et à l'aide de laquelle on pourra les retirer, s'ils se trouvent mal. Pour être prévenu de ce danger, il y aura à l'ouverture du puits une sonnette, au moyen de laquelle les ouvriers pourront avertir des accidens qu'ils éprouveront. L'air méphitique, qui en se dégageant de certains corps, frappe d'asphyxie les personnes environnantes, n'occupant pas pour l'ordinaire un espace très considérable et ne s'élevant jamais qu'à la manière de l'eau, en conservant son niveau, il serait utile, si le lieu et les manoeuvres le permettent, de placer une personne intelligente en observation, vers les deux tiers de l'arbre, qui sert d'échelle pour descendre dans la carrière. Placé ainsi près des ouvriers, et hors de la sphère d'action du méphitisme, elle avertirait plus sûrement des dangers dont les travailleurs seroient menacés. Cette précaution même sera indispensable, si, comme on peut le présumer, l'étroitesse du lieu ne permet de descendre au fonds du puits qu'un seul ouvrier, qui pourroit être frappé trop promptement d'asphyxie, pour avoir le tems ou la présence d'esprit de tirer le cordon de la sonnette. Le premier soin, en fouillant les terres, sera de débarasser l'ouverture des galeries souterraines, pour établir le courant d'air, qu'entretiendront les deux fourneaux servant de ventilateur. Le déplacement des cadavres pouvant altérer l'air au fonds du puits, au point de le priver de la faculté d'être respirable, on employera la détonation du nitre projetté sur des charbons ardens, qui a l'avantage de produire une grande quantité d'air vital ou d'air pur, et qui, comme on l'observa dans les exhumations de Dunkerque, ranime et rafraichit les ouvriers ; [...] On procurera aux ouvriers, en les descendants du vinaigre, dont ils pourront se frotter les mains et le visage, et imbiber un linge, dont ils se couvriront le nés et la bouche. Un nouveau moyen contre l'infection de l'air, que l'on vient de recommander, est de placer dans les narines de petits morceaux d'éponge pénétrés d'une huile essentielle très odorante quelconque. Les ouvriers d'ailleurs fumeront du tabac en travaillant. Il leur sera accordé quelques rations d'eau de vie. Enfin pour porter du secours en cas d'accident, on fera choix d'un homme de l'art intelligent, qui sera chargé de surveiller l'opération jour et nuit, si elle se fait de cette manière, et qui à cet effet sera tenu de ne point s'éloigner du lieu de travail. »

Les travaux de Pilâtre de Rozier remontaient à à peine une dizaine d'années, et leur diffusion n'avait pas atteint un tel rayonnement que l'on comprend que leur mise en application n'ait aucunement été envisagée ici, ni précédemment lors de l'aménagement des Catacombes de Paris où se fut l'aération qui prévalut pour régler le problème d'air irrespirable. Il faut dire que dans ce dernier cas il fallait assainir définitivement le lieu pour l'ouvrir au public par la suite, alors qu'à Charenton on aurait pu envisager que des ouvriers travaillent avec un appoint d'air particulier au milieu d'une atmosphère délétère, puisque leur activité était transitoire et donc leur présence temporaire.

À l'ombre de nos Catacombes, le même combat se perpétuait inlassablement

« Pendant les premiers mois, le nouvel atelier, établi dans les Catacombes, ne fut occupé qu'à déblayer les anciennes galeries, à en percer de nouvelles dans les masses mêmes d'ossemens qui, dans quelques endroits, avaient plus trente mètres d'épaisseur, et à faire circuler dans tout l'ensemble de cet immense ossuaire un courant d'air libre et facile, qui peut être activé ou ralenti à volonté, suivant le besoin.

Je crois qu'il n'est point indifférent de faire connaître ici le moyen que j'ai employé pour activer, modérer et régler ainsi à volonté, dans les Catacombes, et généralement dans tous nos souterrains, le degré de circulation de courant d'air atmosphérique. Rien de plus simple, de moins dispendieux, de plus actif, et en même temps d'une application journalière plus facile dans une foule de circonstances. Les puits domestiques, ou qui fournissent l'eau dans les maisons situées au-dessus des terrains excavés, descendent plus bas que nos carrières, en formant dans nos souterrains autant de tours isolées. J'ai fait percer la maçonnerie de ces puits de manière à établir une communication de l'intérieur de leur tour avec nos carrières ; un tube de verre (tout simplement un goulot de bouteille cassée), a été placé dans cette ouverture et luté tout autour avec de la terre grasse. Ce tube se ferme avec un bouchon de liège. Lorsque, dans sa tournée, le conservateur des Catacombes s'aperçoit que l'air des travaux est stagnant, qu'il est lourd, qu'il est mélangé de gaz azote, hydrogène ou acide carbonique, enfin qu'il n'a point cette pureté et cette élasticité nécessaires pour la respiration des ouvriers et la combustion des lumières, il débouche successivement un, deux, trois, et même tous ces tubes aspirateurs ; il s'établit aussitôt une circulation plus ou moins active, qui rafraîchit et assainit, en peu d'instans, l'air des travaux. Si la combustion des lumières des ouvriers, par l'effet de ces courons, devient trop prompte et trop active, et par conséquent l'éclairage trop dispendieux, le chef d'atelier ferme une partie des aspirateurs. Chaque chef conducteur a appris, par une série d'observations, les heures les plus convenables pour l'ouverture et la fermeture ; il connaît la marche qu'il doit suivre ; enfin il sait que, suivant la hauteur du soleil ou la situation et la force du vent, il doit ouvrir ou fermer tel ou tel puits, dont la bouche est dans un jardin, dans une cour, dans un hangar, ou dans un endroit abrité et fermé de toutes parts. À moins d'avoir suivi la marche de la circulation de l'air de nos travaux, il est difficile de se faire une idée de toutes les irrégularités qu'elle présente, et de concevoir comment tel tube, qui fournit un courant d'air actif quand on l'ouvre, aspire au contraire peu d'heures après l'air des travaux. Ces irrégularités, qui peuvent paraître extraordinaires aux yeux de la plupart des curieux qui visitent les Catacombes, n'ont rien que de naturel pour le physicien, qui en trouve la cause dans la situation de la bouche du puits et dans la dilatation de leur colonne d'air, suivant le vent et leur exposition au soleil ou à l'ombre, à telle ou telle heure du jour. »

Mais auparavant Héricart de Thury avait fait installer ce qui est considéré comme la première réalisation de ce monument souterrain que sont les Catacombes de Paris, ce « Monument du trépas », ce « monument digne de la vénération publique, des époques malheureuses de notre révolution et de tant de siècles précipités, ensevelis et confondus aujourd'hui dans la poussière de cet immense tombeau », ce « monument confié à la vénération des générations futures » : la lampe sépulcrale. « La nécessité de rendre plus active la circulation de l'air dans les Catacombes, nous avaient déterminés, lors de nos premiers travaux, à y faire placer une grande terrine de feu posée sur un bloc de pierre. La vue de cet appareil donna l'idée de lui substituer une lampe sépulcrale. Cette lampe, en forme de coupe antique, portée sur un piédestal, est le premier monument qui ait été élevé dans les Catacombes. »

En 1860, « des coupes taillées dans le tuf (sic), s'élèvent au milieu des carrefours » nous dit Paul Fassy dans son « Étude historique sur les Catacombes ». Quel était leur rôle ? Peut-être, comme dans le cas de la lampe sépulcrale, pour renouveler l'air délétère des Catacombespuisque les derniers transferts étaient tout récents, datant des nouveaux apports d'ossements associées aux travaux Haussmanniens de 1859-1860. Par la suite, les nombreux puits de service (i.e. pour le service de l'Inspection des carrières) rendirent obsolètes ce système rudimentaire, mais néanmoins efficace.

Lorsqu'on vida les divers cimetières parisiens, on créa en compensation trois cimetières à l'extérieur de la capitale : l'un à l'Est (le Père Lachaise), l'autre au Nord (Montmartre), le dernier au Sud (Montparnasse).

Ces localisations étaient conforme avec le modèle romain remis au goût du jour depuis la Révolution française, qui du « passé avait fait table rase » et qui préconisait en conséquence des lieux d'inhumation à l'extérieur des cités. En 1824 fut donc créé le cimetière du Sud dit du Montparnasse, en remplacement de ceux de Vaugirard et de Sainte-Catherine, à l'extérieur de l'enceinte des Fermiers généraux. Mais dans le cas de ce nouveau cimetière, la quasi totalité des terrains de ce champ du repos définitif étaient sous-minée par d'anciennes carrières... qui posèrent le même problème d'aération quand il fallut les consolider. « Il ne sera point encore possible cette année d'entreprendre l'exploration et la consolidation des vastes carrés consacrés aux sépultures. De grandes difficultés d'airage nécessitent l'emploi des procédés de l'Art des Mines. Il y a nécessité d'entretenir un foyer constant dans un de nos puits de service. »