Publié dans la Notice historique sur le troisième fauteuil de la section de minéralogie lue dans la séance publique annuelle du 17 décembre 1928 par Alfred LACROIX, Secrétaire perpétuel.
Avec Hébert, successeur de Charles SAINTE-CLAIRE DEVILLE à l'Académie des sciences [section de minéralogie, 3ème fauteuil], le 19 mars 1877, la stratigraphie faisait son entrée dans la section de Minéralogie.
Edmond HÉBERT fut le fils de ses oeuvres; il naquit en 1812 (12 juin) à Villefargeau ( Yonne), où son père, ancien soldat de la République et de l'Empire, régissait une exploitation agricole. L'enfant était intelligent et studieux, la collaboration de l'instituteur et du curé du village le prépara à entrer au collège d'Auxerre, où il fît de brillantes études, interrompues par la mort de son père. Venu à Paris auprès d'un frère aîné, il fut conduit au doyen de la Faculté des lettres; sur la vue d'un certificat élogieux délivré par le principal d'Auxerre, V. Leclerc lui lit passer, séance tenante, un bref examen et le consacra bachelier ès-lettres; à cette époque lointaine, les formalités universitaires étaient moins rigides que de nos jours, moins nombreux, il est vrai, étaient les candidats.
Mais un diplôme de bachelier ne nourrit pas son homme; afin de pouvoir se préparer au concours de l'École Normale supérieure pour les sciences, Hébert dût se faire maître d'études, enseigner le latin et bien d'autres choses encore.
Après sa sortie de l'Ecole (promotion de 1833), il passe deux ans au Collège de Meaux comme régent de mathématiques et de physique; puis il revient à la maison mère, où, pendant 19 ans, il va occuper des fonctions diverses : préparateur de chimie - tout en étant répétiteur de physique à l'Ecole Centrale -, maître surveillant - il est reçu agrégé pour les sciences en 1840 -, préparateur général et conservateur des collections de physique et de chimie - et en même temps chargé du cours de physique au Collège de Saint-Louis - enfin, sous-directeur des études (1841) ; en cette qualité, il a la charge de l'installation de nouveaux laboratoires créés à la rue d'Ulm.
Entre temps, il avait consacré plusieurs années à la préparation d'une thèse de physique; elle lui causait quelques déboires et n'était pas achevée, quand, au cours d'une excursion en Normandie, dirigée par Elie de Beaumont, et qu'il suivait par agrément, il change brusquement de direction scientifique et se convertit à la géologie, à laquelle il va désormais se donner tout entier.
Delafosse l'enseignait à l'Ecole normale, en même temps que la minéralogie. Volontiers, il abandonne à Hébert cette partie de son domaine l'intéressant fort peu et voilà le nouveau géologue de parcourir avec ardeur le Bassin de Paris, se prenant d'une belle passion pour les fossiles, classant et développant les collections; organisant des excursions géologiques, où il entraîne jusqu'aux élèves littéraires de l'Ecole, tant il sait rendre intéressantes et agréables ces courses en plein air.
Des travaux personnels étaient un dérivatif puissant aux préoccupations et aux tracas de toutes sortes que les événements politiques, la révolution de 1848 d'abord, mais surtout la réaction de 1850, faisaient naître sous les pas du sous-directeur d'une école profondément troublée et menacée. Ces difficultés augmentèrent encore quand, en 1852, il fut chargé des fonctions de directeur des études, au moment où le ministre de l'Instruction publique, Fortoul, infligeait à l'Ecole normale un règlement fourmillant de dispositions tracassières. Malgré ses efforts pour rendre la maison habitable à la jeunesse ardente dont il avait la direction, Hébert se trouvait placé entre les élèves mécontents et une administration supérieure lui reprochant, sans répit, sa tiédeur. Aussi un jour, excédé par les exigences du ministre, se laissa-t-il aller à lui déclarer : « Monsieur le Ministre, permettez-moi de vous dire que vous prenez toutes les mesures capables de détruire l'enseignement supérieur en France ».
La chute du ministre vint à point pour éviter quelque catastrophe au courageux professeur et le nouveau titulaire de l'Instruction publique, Rouland, eut la sagesse de retirer les mesures fâcheuses édictées par son prédécesseur.
La réputation scientifique d'Hébert était à ce moment solidement établie, aussi, lorsqu'en 1857, la mort de Constant Prévost rendit vacante la chaire de géologie de la Sorbonne, se hata-t-il de soutenir sa thèse de doctorat et de poser sa candidature à la succession du maître que déjà il avait suppléé. Mais, à une grande majorité, les professeurs de la Faculté des sciences désignèrent en première ligne d'Archiac, membre de cette Académie, alors que le Conseil académique, à la presque unanimité, plaçait Hébert en première ligne et Delesse en seconde. Le ministre était encore Rouland; par ce conflit, il était plongé dans un cruel embarras qui, dans des circonstances semblables, n'a pas toujours été épargné à certains de ses successeurs. Il prit pour arbitre un géologue réputé, J.-J. D'Omalius d'Halloy, et, sur la réponse de celui-ci, il nomma Hébert dont Pasteur prit la place à l'École normale. Dans la première chaire de géologie de France, à laquelle il allait donner un grand éclat, Hébert enseigna pendant 32 ans.
Avant d'indiquer quel fut son rôle comme professeur, je voudrais esquisser en quelques mots son oeuvre scientifique. Elle a été en grande partie consacrée au Bassin de Paris, où les mémorables recherches de Cuvier et d'Alexandre Brongniart avaient tracé la voie.
L'une de ses thèses de doctorat a été consacrée à l'étude du Coryphodon, Mammifère amblypode de l'Eocène inférieur.
Particulièrement importants sont ses travaux sur le Crétacé supérieur; le premier, il a fait voir qu'en dépit de son apparente uniformité la craie du nord de la France est susceptible de subdivisions et il les caractérisa par leurs Echinides, par leurs Micraster.
En discutant les altitudes des affleurements des diverses zones de la craie blanche, Hébert a découvert ce fait inattendu que le Bassin de Paris est une région plissée - une ébauche de chaîne de montagne ! - ; une première série de plis, les principaux, sont orientés sensiblement NW-SE, alors que dans une seconde série, les plis possèdent une direction perpendiculaire. La réalité de ces ondulations, contre-coup lointain, et considérablement atténué, des grands mouvements alpins, a été plus tard confirmée et précisée par les recherches de M. G. Dollfus et de Marcel Bertrand.
La première thèse de doctorat d'Hébert, a pour titre significatif « le Terrain jurassique dans le Bassin de Paris; classification de ce terrain en rapport avec les oscillations du sol pendant sa formation. En dehors de la description détaillée des couches, l'auteur mit en évidence deux grandes périodes, l'une, d'affaissement, qui va de l'Infralias à la Grande Oolite, l'autre, d'exhaussement, comprise entre l'Oxfordien et le Purbeckien et qui a débuté par l'obstruction des détroits bourguignon et poitevin. Je citerai une appréciation d'un bon juge en la matière, celle de son élève Haug, sur le caractère de généralité des conclusions de cet ordre de recherches.
« La comparaison entre elles des extensions marines aux époques successives fournit à Hébert les preuves de déplacements fréquents dans les lignes de rivage, en particulier dans le Bassin de Paris. Il attribua ces déplacements, non pas, comme on le fit souvent dans la suite, à des oscillations du niveau des mers, mais à des oscillations lentes du sol. Il fut à même, le premier, de mettre en évidence une sorte de compensation qui existe entre les invasions marines dont certaines régions ont été le théâtre et les soulèvements qui se sont produits au même moment dans d'aulres régions. Les idées que professe actuellement l'Ecole française sur la cause des transgressions et des régressions des mers sont en germe dans cette constatation fondamentale ».
Il faut rappeler encore qu'en cherchant à reconstituer l'extension des mers à diverses époques dans le Bassin parisien, Hébert a été conduit à tracer des cartes paléogéographiques, ébauches de celles que, bien plus tard, de Lapparent devait perfectionner et populariser.
En outre de ces travaux, il a mené à bien des recherches sur le terrain dans diverses parties de l'Europe, en Belgique, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, dans le Vicentin, en Scandinavie, dans le but de découvrir des termes de comparaison avec la France ou bien de répondre à des objections faites à ses interprétations. De nombreux efforts ont été consacrés aussi aux mêmes questions en Provence et dans les Pyrénées.
A ce sujet, il me reste à rappeler une mémorable controverse. Bien qu'il ait été l'un des premiers a montrer le moyen de déterminer le synchronisme de deux formations différant à la fois par leur faune et par leurs caractères pétrographiques - il avait fait voir que le travertin de Champigny est l'équivalent du gypse de Montmartre, en démontrant que l'un et l'autre sont compris entre les marnes supra-gypseuses et les marnes à Pholadomya ludensis - à la fin de sa vie, Hébert manifesta une grande obstination à combattre la notion de faciès, c'est à dire celle des caractères différents que des assises synchroniques prennent suivant les conditions variables de leur dépôt, notion admise par tous les géologues contemporains. Toutes les fois que dans une succession stratigraphique manquait un terme à faune normale, il supposait l'existence d'une lacune. Telle fut son interprétation des couches du Midi de la France désignées sous le nom de Tithonique : il les rattachait au Crétacé inférieur et admettait l'existence d'une lacune correspondant au terme supérieur du Jurassique, lacune due, d'après lui, à une immersion postérieure à l'Oxfordien ou au Corallien, alors que pour la plupart des géologues, le Tithonique appartient au Jurassique supérieur et correspond au Portlandien.
Malgré leur importance, les travaux personnels d'Hébert ne constituent pas la partie principale de son oeuvre. Il fut essentiellement un chef d'école, le créateur d'une méthode d'observation; son action s'exerça surtout par l'inlluence rayonnant de lui.
Venu à la géologie à une époque où cette science ne se nourrissait plus guère que de théories, il l'a remise dans le vrai chemin de l'observation directe, où jadis l'avait placée Alexandre Brongniart, l'illustre fondateur de la stratigraphie paléontologique.
Il a été plus particulièrement le promoteur des études stratigraphiques de détail, montrant par son exemple, par son enseignement sur le terrain, par ses conseils, tout ce qu'il est possible de tirer des études paléontologiques minutieuses pour la détermination de l'âge des niveaux fossilifères.
Ce qui caractérise sa méthode, c'est le rôle capital qu'il a fait jouer aux coupes géologiques précises, allant parfois jusqu'à la minutie, et en cela il a fait oeuvre de novateur; il a recueilli lui-même et fait réunir par ses élèves une belle moisson de documents précieux et durables.
Certes, cette géologie n'avait pas la voix enchanteresse des sirènes ; les naturalistes de ma génération ne se souviennent pas sans un petit frisson des redoutables tableaux de synchronisme, aux multiples compartiments bourrés de noms de fossiles, qui servaient de base à son enseignement et en étaient à la fois la loi et les prophètes, tableaux que les candidats à la licence étaient impérativement invités à connaître d'une imperturbable manière.
On s'est quelque peu moqué de cette géologie méticuleuse, exprimée en centimètres, mais il faut reconnaître qu'elle a marqué de son empreinte bienfaisante la plupart des géologues actuels, en les pénétrant de la nécessité de connaître pertinemment les faits avant de chercher à les expliquer; de là découle l'impérieuse nécessité des observations de détail, permettant seules d'asseoir les tentatives de synthèse sur autre chose que de fragiles et fluctuantes vues de l'esprit.
Ses qualités de précision, d'honnêteté scientifique, expliquent l'influence qu'Hébert a exercée sur les géologues et sur la géologie de son temps. Pendant près d'un demi-siècle, le Bulletin de la Société géologique de France n'a été que l'illustration de ses méthodes, un champ clos, où luttèrent, sans merci, lui, ses disciples et ses adversaires, aux prises avec les thèmes qui lui étaient chers. Pour achever de caractériser Hébert, il faut bien rappeler sa ténacité dans ses opinions, son ardeur et son âpreté à les défendre envers et contre tous, contre les petits, aussi bien que contre les grands, et sans souci des retentissements possibles de tels combats. Il aimait la lutte, il en a peut-être même abusé, mais, en fin de compte, les discussions dont la Société géologique a été le théâtre, tout en laissant parfois derrière elles quelque amertume, n'ont pas été sans profit pour la Science.
Par ailleurs, son action s'étendit au delà de nos frontières. Il occupe une place importante dans l'histoire de la création des Congrès géologiques internationaux. On doit le considérer comme l'un de leurs fondateurs, sinon comme leur fondateur. Il fut le président du premier de ces congrès, tenu à Paris eu 1878, et où, grâce à lui et à ses élèves, la science française a fait bonne figure.
Voyons maintenant quel fut son rôle universitaire. Aussitôt installé à la Sorbonne, et bien avant que Duruy eut créé l'Ecole des Hautes Études, Hébert entreprit d'y renouveler en grand ce qu'il avait fait à l'École Normale. Il voulut y créer un laboratoire de géologie, car, étrange chose, s'il existait à la Faculté des Sciences des laboratoires de chimie, un cabinet de physique, l'enseignement de la géologie y était exclusivement oral et théorique. Le brillant professeur que fut Constant Prévost en avait fait un cours d'éloquence géologique où, dédaigneux des détails d'observation, il exposait de grandes questions générales, des considérations philosophiques sur la géologie, la géographie physique et la physique du globe, combattant avec beaucoup d'ardeur et de rectitude de jugement certaines théories défendues avec non moins d'opiniâtreté par Elie de Beaumont. Hébert eut l'idée de réunir dans les mêmes locaux des fossiles, des livres, - et aussi des géologues - qu'il entraînait dans de fréquentes excursions, parfois lointaines, prolongement infiniment utile de l'enseignement d'amphithéâtre et de laboratoire. Féconde était l'idée. Grâce à une inlassable activité, les collections s'accrurent à vue d'oeil et d'une façon impressionnante, alors que les disciples se faisaient de plus en plus nombreux.
Pour remplir la tâche qu'il s'était imposée, Hébert eut le talent de découvrir et de garder des collaborateurs compétents et dévoués. Ce fut d'abord Eugène Deslongchamps; ce furent ensuite Munier-Chalmas, le paléontologiste de la maison, et Charles Vélain, rentré d'une fructueuse mission aux îles Amsterdam et Saint-Paul, plus spécialement chargé d'exposer les théories et les méthodes nouvelles de Fouqué et de Michel-Lévy sur la pétrographie.
Le dévouement du maître pour ses élèves était sans limites et non moins grande était son autorité sur eux; une pléiade de géologues sortit de son laboratoire pour occuper presque toutes les chaires de géologie françaises et beaucoup de chaires étrangères, ou bien pour travailler en volontaires. Qu'il me soit permis de rappeler parmi eux les noms de Gosselet, de Munier-Chalmas, de Kilian, de Haug, d'OEhlert, de Vasseur, pour citer, parmi les morts, ceux-là seulement qui furent des nôtres.
Au cours de son long professorat, les collègues d'Hébert avaient été à même d'apprécier ses hautes qualités morales, son équité, sa droiture, sa pondération et aussi son esprit de conciliation - tant que la stratigraphie n'était pas en cause. Aussi, quand, en 1885, l'Université de Paris reconstituée, pour la première fois, eut à désigner elle-même ses doyens jusqu'alors choisis par le ministre, la Faculté des sciences porta-t-elle son choix sur lui. Ce fut pour sa robuste vieillesse un beau couronnement de carrière, un très enviable honneur dont il fut justement fier que d'avoir à présider à l'organisation et à la direction de ce grand corps enseignant, au début d'une ère nouvelle et féconde de liberté. Il a assisté à la reconstruction de la Sorbonne, mais il n'a pas eu la joie d'y installer son nouveau laboratoire, car il est mort, le 4 avril 1890, quelques mois après sa mise à la retraite.
Dans la salle du Conseil académique du palais de la rue des Ecoles, se trouve un tableau commémoratif de la création de l'Université de Paris. Sous une colonnade ensoleillée, son premier vice-recteur, Octave Gréard, est entouré des doyens des diverses Facultés; parmi eux, Hébert se fait remarquer par sa large et bonne figure épanouie, haute en couleur, encadrée de longs cheveux blancs, éclatants sur l'écarlate de sa cravate et de sa toge.
Aucun de ceux qui l'ont approché de près ne peut manquer de s'arrêter, avec un respect sympathique, devant cette image si vivante du vieux géologue qui a laissé après lui une traînée d'ardent enthousiasme pour la science et aussi le souvenir d'une grande bienveillance pour la jeunesse, et la bienveillance, c'est quelque chose dans la vie des hommes.
Le successeur du géologue Hébert à l'Académie des sciences fut l'ingénieur minéralogiste Mallard (15 décembre 1890).