[Fils d'un notaire qui travailla à Niederbronn à partir de 1864].
Publié dans la Notice historique sur le troisième fauteuil de la section de minéralogie lue dans la séance publique annuelle du 17 décembre 1928 par Alfred LACROIX, Secrétaire perpétuel.
Le 19 mai 1917 seulement, Emile Haug fut élu au Troisième fauteuil [de la section de minéralogie de l'Académie des sciences]. Sa mort prématurée (28 août 1927) m'impose le douloureux et rare devoir de vous rappeler, au moins dans ses grands traits, l'oeuvre de mon successeur.
Né sur la terre d'Alsace, à Drusenheim (19 juin 1861), Gustave-Emile HAUG fut élevé à Niederbronn.
Passionné pour la géologie et collectionneur de fossiles dès son enfance, il fit ses études à Strasbourg. Docteur de l'Université de cette ville, il y devint préparateur de géologie dès 1885. Vice-président d'une association d'étudiants alsaciens fort surveillée par la police allemande et souvent lui-même molesté par elle, à la suite des élections protestataires de 1887, il jugea bon de franchir la frontière et de venir réclamer la nationalité française à Paris, ou l'attiraient, son ami W. Kilian et Hébert, appréciateur de son jeune talent. Désireux de superposer à sa culture germanique une instruction vraiment française, il ne rechercha pas de faciles équivalences; tout docteur qu'il était, il se fit à nouveau étudiant; bientôt licencié es sciences, il prépara et soutint brillamment une nouvelle thèse de doctorat, devint chef de travaux d'Hébert, puis maître de conférences de Munier-Chalmas, avant de recueillir sa succession comme professeur à la Faculté des sciences. Dès l'origine, et jusqu'à sa dernière heure, il fut l'un des plus actifs des collaborateurs de la Carte géologique de France.
Dans son long labeur, nous devons faire la part du paléontologiste et celle du stratigraphe et du tectonicien, bien qu'elles n'aient cessé d'être étroitement unies.
Il a été essentiellement le paléontologiste des Ammonoïdés. Il a consacré d'importants efforts à l'étude des Harpocératidés secondaires, les décrivant avec le souci d'établir entre eux des relations génétiques. Avec la même préoccupation, les Ammonites déroulées, puis celles du Trias ont été étudiées par lui. Remontant ensuite dans la série des temps, il s'attaque aux Goniatites dont il suit l'évolution et les relations philétiques, se servant des données ainsi acquises pour établir une classification des formations dévoniennes et permiennes, où il fait jouer à ces Céphalopodes le rôle imparti aux Ammonites dans les terrains secondaires. Ces études l'ont amené plus tard à prendre une part importante dans la mise en oeuvre des matériaux paléontologiques rapportés du Sahara par les hardis explorateurs, grâce auxquels ces vastes espaces, hier encore complètement inconnus ont été ouverts à la science.
La thèse de Haug le conduisit dans les Alpes, où allait se développer la partie principale et la plus brillante de son oeuvre de géologue. Dans les chaînes subalpines, entre Gap et Digne, et au voisinage de cette montagne de Lure si bien décrite par son compatriote Kilian, il trouva une série sédimentaire comprise entre le Trias et le Miocène; il en fit une étude remarquable par sa précision, portant surtout son effort sur le Jurassique, du Lias à l'Oxfordien. Puis il s'élève à des considérations paléogéographiques sur le bassin du Rhône, en se basant sur la notion de faciès des sédiments jurassiques et il esquisse une explication de la structure de la région étudiée par lui, explication complétée plus tard par l'établissement d'une zone delphino-provencale, à structure imbriquée.
C'était là le début d'études plus spécialement tectoniques sur la structure des Alpes occidentales dans quoi il allait avoir pour émules nos confrères P. Termier, Kilian et Lugeon. Il y a entraîné nombre des élèves qu'il a su grouper autour de lui dans son laboratoire qui fut toujours très vivant.
Le temps et la place me manquent pour un exposé des principales questions étudiées par notre confrère : charriages de l'Ubaye, de l'Embrunais et surtout des Préalpes, par exemple. Mais je dois dire que toutes, Haug les a traitées en apportant à sa tâche de tectonicien le poids de ses connaissances approfondies de stratigraphe et de paléontologiste averti, possédante merveille tous les faciès de ces montagnes. Plus tard, il devait se retrouver avec son ami Lugeon dans l'étude des Alpes orientales.
Dans sa leçon inaugurale à la Sorbonne, Haug a fait remarquer qu'Hébert n'avait jamais levé de carte géologique, mais fait seulement des coupes, alors que d'autres géologues font des cartes et pas de coupes et il ajoutait que la bonne méthode consiste à se servir des deux méthodes. Telle était, en effet, sa règle, à lui. Son oeuvre cartographique est fort importante, sa dernière manifestation a consisté à faire, avec quelques-uns de ses élèves, le levé géologique au 1/10000, publié au 1/50000, d'une partie de la basse Provence, de cette région des nappes de charriage illustrée par les mémorables travaux de Marcel Bertrand, notamment à la Sainte-Beaume. De cette carte, accompagnée d'un gros volume de texte, sortent confirmées et complétées les conceptions de son illustre et regretté devancier.
Haug n'était pas seulement un observateur, un chercheur tenace et habile; il avait aussi la vocation de l'érudition et la hantise de la bibliographie précise. Il suivait avec le plus grand soin toutes les publications parues à l'étranger sur tous les sujets géologiques et paléontologiques. Il se plaisait à les faire connaître dans de nombreuses revues. L'accumulation des documents recueillis pour ses travaux et pour ses substantiels cours de la Sorbonne l'a conduit à la rédaction d'un monumental ouvrage didactique, où sont exposées ses conceptions personnelles sur l'évolution du globe et la répartition des êtres vivants dans le temps et dans l'espace.
Son Traité de Géologie, paru de 1907 à 1911, est, sans doute, la pièce capitale de son oeuvre. Ce n'est plus un livre, à facture élégante, à lecture facile, où tout paraît simple en géologie, comme celui d'Albert de Lapparent, c'est une construction massive, aux fondations puissantes et solides. D'une quantité énorme de matériaux souvent disparates, intelligemment digérés, dégagés de l'accessoire et de l'inutile, Haug a fait un ensemble homogène, où apparaissent clairement les richesses et les misères de nos connaissances sur la constitution du sol dans tous les temps et dans tous les pays.
A travers ces pages, se développent certaines idées générales qui lui étaient chères, par exemple, la notion de géosynclinaux de James Hall, précisée et généralisée, et l'opposition existant entre le régime des régions géosynclinales qui vont devenir plus tard des chaînes de montagnes, mais sont d'abord le siège d'un enfoncement lent avec formation de sédiments bathiaux, épais et monotones, et celui des régions à régime continental séparées les unes des autres par les précédentes.
Sur les aires continentales, Haug suit, à travers le vaste monde, les transgressions et les régressions, les incursions intermittentes de la mer déposant des séries stratigraphiques, à faciès néritique, parfois interrompues par des lacunes.
Il a cherché aussi à établir la réalité de compensations entre les mouvements des océans sur les aires continentales et la profondeur des géosynclinaux, opposant ainsi les mouvements verticaux des premiers aux mouvements tangentiels des seconds.
Vous avez tous connu ce confrère, encore bien vivant parmi nous, il y a peu de mois, mais l'avez-vous bien connu? Ce grand laborieux, véritable bénédictin de la géologie, cet amoureux des belles montagnes, violemment passionné pour les idées qui lui tenaient à coeur, prisait fort le travail solitaire, il vivait dans son laboratoire et pour lui. Il ne se livrait pas facilement. Ceux qui, pour la première fois, étaient introduits dans son intimité, ou faisaient avec lui de la géologie sur le terrain, étaient surpris et charmés de rencontrer, sous son écorce un peu rude, une nature délicate et sensible, un homme épris de littérature, de musique, de belle peinture.
Il a eu le réconfort de pouvoir s'éteindre au milieu des siens, à Niederbronn, dans sa petite patrie redevenue française.
Les efforts des minéralogistes qui étudient la lithologie avec les précieuses méthodes modernes s'étaient surtout attachés, en France, aux roches éruptives et aux roches métamorphiques. L'étude si complexe des sédiments avait été jusqu'ici fort négligée par eux.
Le successeur de Haug [à l'Académie des sciences] (23 janvier 1928), M. Lucien CAYEUX, nous a apporté une compétence hors pair sur tout ce qui concerne leur composition, leur histoire et aussi sur leurs minerais de fer, l'une des richesses de notre pays.
Voir aussi : La loi de Haug (1900) revisitée : un paradoxe qui s'évanouit au sujet des transgressions et des régressions marines, par Georges BUSSON et Annie CORNEE, Travaux du COFRHIGEO, 1995.