TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.IX (1995)

Jan Houghton BRUNN
A la poursuite des mystères de l'orogenèse. Souvenirs géologiques.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 21 juin 1995)

Je tiens à remercier les collègues et amis du Comité français d'Histoire de la Géologie de m'avoir invité à égrener quelques souvenirs géologiques. Lorsqu'on a, comme moi, entamé sa neuvième décennie et que l'on regarde en arrière, on a l'impression que tout ce qu'on a pu écrire est bien peu de chose en comparaison de tout ce qu'on a vu et observé sans le fixer sur le papier et qui sera bientôt définitivement perdu. En outre, j'aime toujours évoquer mes premières années d'explorations solitaires dans les superbes montagnes de la Grèce du Nord où je ne rencontrais que des bergers ou des villageois indemnes de tout contact avec la civilisation moderne et parfaitement hospitaliers. C'est pourquoi j'avais dédié ma Thèse "Au peuple Grec".

Vous m'avez demandé des souvenirs, mais aussi un titre. Celui que je vous ai proposé, A la poursuite des mystères de l'orogenèse, peut paraître bien ambitieux. Pourtant, c'est bien ainsi, a posteriori, que je vois le sens de mes recherches. Je n'en avais évidemment aucune idée lorsqu'au mois de mai 1937 je voguais vers l'Est sur le Cairo City, un vieux rafiot sur le pont duquel, sans nourriture, on pouvait aller de Marseille au Pirée pour une livre sterling. J'avais fait ce merveilleux voyage (trois jours sur la mer bleue, trois nuits sous les étoiles : maudits soient les avions !) avec des copains l'année précédente. Aussi mon maître Jacques Bourcart, qui avait fait sa thèse en Albanie du Sud, m'avait dit : "Si la Grèce vous intéresse, il y a un beau sujet de thèse au Nord du pays, une région que personne n'a jamais étudiée". Je ne pensais donc, sur le pont du Cairo City, qu'à ce pays inconnu que j'allais découvrir.

A Athènes, je rencontrai, sur les conseils de J. Bourcart, le Professeur Mitzopoulos, patron du laboratoire de Géologie. Il m'offrit un accueil chaleureux et paternel, puis son soutien tout au long de mes recherches. Je tiens à rendre à sa mémoire un hommage reconnaissant. Mais je ne peux oublier l'aide que m'a apportée aussi l'Institut de Géologie et de Recherches Minières (l'actuel I.G.M.E.), notamment le Docteur Zachos, le Professeur Papastamatiou et, plus tard, le Docteur J. Bornovas. J'y ajouterai mes remerciements au M.T.A. (Service géologique turc), ainsi qu'au Geological Survey of Iran.

Le terrain de thèse que m'avait proposé Bourcart était le Pinde septentrional. Il s'est étendu finalement à la région représentée sur ma carte géologique à 1/200 000, qui va des abords de la ville de Jannina à ceux de Kozani, en Macédoine occidentale, soit près de dix mille kilomètres carrés, entièrement parcourus à pied et sac au dos. D'Athènes, je dus me rendre à Jannina. Cette capitale de l'Epire n'était pas, à l'époque, reliée par route au reste du pays. Pour s'y rendre, il fallait reprendre un bateau qui partait du Pirée le soir, remontait le long du canal et du golfe de Corinthe, longeait les côtes de la Grèce en s'arrêtant dans des îles aux noms mythiques, Ithaque, Leucade, jusqu'au petit port de Preveza d'où un vieil autobus nous amenait à Jannina. Je traversai ainsi la zone ionienne, suite d'anticlinaux calcaires séparés par des vallées de flysch éocène-oligocène. Jannina était une ville charmante, médiévale, avec des rues assignées aux divers métiers dont les batteurs de cuivre étaient les plus impressionnants et assourdissants. Des cafés ombragés s'alignaient au bord du lac dans lequel s'avançait une presqu'île portant le château d'Ali Pacha et ses gracieux minarets. Sur l'autre rive se dresse comme un mur une longue montagne calcaire, haute de 1800 mètres environ, le Mitzikéli. Je n'avais aucune expérience montagnarde et elle ne me paraissait pas terrible. Je décidai donc d'en faire la coupe et de la gravir tout droit ; en fait, cette ascension me prit deux jours sous un soleil écrasant. J'y affrontai pour la première fois une quinzaine de chiens féroces. Plus tard, je sus comment les tenir en respect avec de grosses pierres, mais cette fois-là, armé du seul bâton qu'on m'avait conseillé de prendre, j'ai bien cru que j'allais y laisser ma peau. Je passai ma première nuit avec les bergers qui m'avaient secouru. Le lendemain, j'atteignis le sommet.


Fig.1 - Schéma de localisation et esquisse géologique de la Grèce septentrionale, de la mer Ionienne à la mer Egée.

Panorama des zones du Pinde septentrional

De là-haut, j'avais une vue magnifique sur le versant occidental du Pinde septentrional, mon futur terrain de thèse (fig. 1). A mes pieds une vaste dépression de flysch, boisée et ravinée, dite Zagoria, sur le pourtour de laquelle se trouvent de nombreux et beaux villages. Au fond, vers le Nord-Est, la vue était barrée par de hautes montagnes sombres dans lesquelles je reconnus les Roches Vertes, comme on les appelait alors, et dont Bourcart m'avait entretenu. A ma gauche, c'est-à-dire au Nord, j'apercevais une grande montagne, le Tymphé, faite de calcaires visiblement non plissés, qui s'élève vers le Nord-Est en pente douce coupée de gradins (immenses failles dont celle d'Astraka qui me montra plus tard un miroir haut de plus de cent mètres et long de quelques kilomètres), d'un ravin profond de mille mètres, le Vikos, que je voyais, et d'un autre, plus profond encore, celui de l'Aoos, que je ne pouvais que deviner. Ces calcaires (dont je découvris plus tard qu'ils comprennent le Mésozoïque et montent jusqu'au Lutétien inclus) sortaient visiblement de sous le flysch de Zagoria, le "flysch ionien", éocène supérieur-oligocène inférieur, dont on voit des placages tranquilles au pied oriental des failles. Autant dire tout de suite que je distinguais cette série calcaire, plus épaisse, plus néritique et plus rigide que celle de la zone ionienne, sous le nom de "zone du Tymphé", devenue plus tard "zone du Gavrovo". (En effet, le massif du Tymphé est si vaste que ses calcaires sont bien néritiques à l'Est, mais pélagiques et de type ionien à l'Ouest).

Vers le Sud-Est la dépression de Zagoria était barrée par une autre chaîne très différente d'aspect. Elle n'était coupée d'aucune grande vallée mais ses sommets déchiquetés évoquaient une mer agitée. C'était le Pinde méridional, futur terrain de thèse de J. Aubouin. Son aspect est dû (j'anticipe encore) à sa série pélagique formée de calcaires en bancs minces et de radiolarites, du Trias au Maastrichtien - "la zone du Pinde" - surmontée du "flysch du Pinde", ainsi qu'à sa structure en écailles. J. Aubouin (1959) a montré que les radiolarites dominent dans la partie axiale de la zone tandis qu'à l'Ouest de celle-ci les calcaires deviennent relativement plus abondants. J'y ai découvert, en bordure de Zagoria, des andésites dans des calcaires du Trias supérieur ou du Lias (Jean Marcoux y a récolté en 1972, des débris de Megalodon).

J'entamai la descente du flanc oriental du Mitzikéli. Je ramassai mes premières Nummulites, des débris de Millecaput de dix centimètres de diamètre. Puis j'eus ma première surprise : les calcaires chevauchent le flysch vers le Nord-Est (thèse, pl.VII, fig. 2). C'était contraire à tout ce que m'avait dit Bourcart : selon lui, dans toute cette chaîne dinarique - hellénique, les charriages vont vers le Sud-Ouest, vers les mers Adriatique et Ionienne. Ici le chevauchement vers le Nord-Est était incontestable. Je le suivis tout le long de la chaîne et je constatai qu'il s'atténue et disparaît vers le Nord, à la racine du massif du Tymphé, là où le soubassement calcaire du flysch remonte. Il s'agit donc d'un phénomène simple : l'anticlinal calcaire a été déversé et charrié vers la fosse où s'était déposé le flysch. Je venais de découvrir une loi générale, à savoir que les chevauchements et les charriages se font toujours vers ce qui est plus bas. Elle sera encore valable lorsqu'il s'agira des ophiolites et de leur "obdudion".

Vers le Sud, le chevauchement cesse brusquement comme la chaîne du Mitzikéli elle-même qui fait place au modeste anticlinal du Driscos, encore recouvert par le flysch. C'est que, je le voyais parfaitement de ce point de vue, la zone du Pinde est ici charriée vers le Sud-Ouest sur le flysch ionien et a ainsi absorbé le raccourcissement. Le rebord septentrional de cette nappe correspond à une déchirure marquée de grands lambeaux d'arrachement.

Je descendis alors dans le flysch et remontai ses vallées encaissées vers le Nord-Est. (Incidemment, j'y subis un orage terrible qui transforma le fond de la vallée en un torrent furieux et passai deux heures, transi, accroché aux pentes glissantes du flysch, ce qui m'obligea à retourner à Jannina pour reprendre le blouson que j'y avais laissé). Je découvris un grand contact anormal, le flysch ionien étant chevauché vers le Sud-Ouest par le flysch du Pinde (fig.2). Je passai un dimanche de fête - musique, danses, mouton à la broche -, à Grévéniti, l'un des plus beaux villages de Zagoria (hautes maisons, rues dallées, jolie place autour d'une fontaine), qui fut en grande partie détruit pendant la guerre.


Fig.2 - Coupe du versant occidental du Pinde septentrional (extrait de Brunn, 1956, fig. 59).

La coupe passe au Nord-Ouest du Metsovitikos ; de gauche à droite : le Mitsikéli, déversé vers le Nord-Est (T : calcaire de la zone de Tymphé) ; le flysch ionien (fi) ; les écailles de flysch du Pinde (fp) ; la nappe ophiolitique (an : serpentines, péridotites). Sous les écailles de flysch du Pinde, les formations mésozoïques du Pinde-Olonos sont représentées hypothétiquement écrasées contre la faille de Gamila : leur présence sous le flysch du Pinde est de toute manière indiscutable.

La nappe ophiolitique

Enfin, au-delà d'une belle ancienne surface pliocène - douces prairies, ruisseaux à écrevisses - j'atteignis le front des Roches Vertes. Elles ne sont pas vertes mais noires, grises, très variées et je les appelai par la suite "ophiolites" du vieux nom créé en 1821 par Alexandre Brongniart. Leur puissance est énorme. Elles constituent tous les sommets du Pinde septentrional - quatre-vingts kilomètres de long sur une quinzaine de large -, culminant à 2636 mètres, au mont Smolika et sont toujours présentes au fond des ravins, vers 700 mètres. Au point de vue tectonique, elles forment une nappe charriée sur le flysch du Pinde. Je m'en assurai en suivant le contact sur plus de cent kilomètres, pénétrant dans des ravins en demi-fenêtres. Des klippes de calcaires très variés ourlent le contact. Celui-ci devient subvertical vers le Nord. Le flysch y est également très redressé : il est serré entre le front des ophiolites et l'immense faille orientale (au moins deux mille cinq cent mètres de rejet) du massif de Tyrnphé. Cette "faille de Gamila" est donc juste antérieure à l'arrivée de la nappe car, je l'ai dit plus haut, le flysch sur le massif est tout à fait tranquille. Des pointements de calcaires de faciès pindique jaillissent du flysch (thèse, pl.V, fig.2) : sous le flysch il y a donc la zone du Pinde, elle-même charriée sur le compartiment oriental effondré de la zone du Tymphé-Gavroro. Celle-ci plonge aussi vers le Sud, ce qui permet au flysch du Pinde de chevaucher le flysch ionien et, plus loin, à la série mésozoïque d'en faire autant.

Pénétrant dans le massif ophiolitique, j'y découvris des fenêtres tectoniques où Je flysch est associé à des pointements pindiques, calcaires et radiolarites allant du Trias au Crétacé supérieur (thèse pl.VI). Mais il y a aussi des pointements calcaires très variés, certains de faciès néritique - Polypiers, Brachiopodes, Rudistes -, d'autres cristallins qui sont des "blocs exotiques" dont on ne connaît pas exactement l'origine. Aucun doute n'est possible : on a bien ici deux vastes nappes empilées l'une sur l'autre, celle du Pinde et celle des ophiolites. J'ajouterai que la présence de ces deux nappes dans le Pinde septentrional tient à une puissante flexure transversale à la chaîne, certainement antérieure à l'Eocène supérieur, qui fait plonger, au niveau du Haut Pénée, la partie orientale du Pinde méridional vers le Nord, sous les ophiolites. Nous verrons cette flexure, parfois faillée, se poursuivre vers l'Est, mais décalée vers le Nord tout en obliquant vers le Nord-Est, jusqu'à la mer Egée. Des accidents transversaux semblables coupent régulièrement la chaîne dinaro-hellénique.

En étudiant les roches du massif ophiolitique, j'eus ma seconde et ma plus grande surprise : j'y trouvai certes beaucoup de péridotites plus ou moins serpentinisées, mais aussi des gabbros de toutes sortes, sombres ou clairs, souvent lités. Leur grain était aussi très varié. Certains montraient des pyroxènes longs de plusieurs centimètres. D'autres étaient de grain très fin, passant à des roches de texture doléritique ou ophitique. Enfin, il me semblait que celles-ci passaient insensiblement à des roches microlitiques, à des basaltes. J'avais peine à y croire, tant cela était en contradiction avec tout ce qu'on m'avait enseigné à la Sorbonne sur la nécessaire séparation entre les roches intrusives, de profondeur, les roches de semi-profondeur et les roches volcaniques de surface. Je voyais aussi pour la première fois des entassements de pillow-lavas ou laves en coussins dont j'avais lu qu'elles représentent des coulées sous-marines. Je rencontrai aussi, de-ci de-là, des paquets de radiolarites rouges (différentes de celles du Pinde) toujours très plissotées. Mais tout cet ensemble était très tectonisé, très disloqué et en outre couvert de forêts. J'y travaillai pendant des semaines sans parvenir à aucune certitude, encore moins à une explication cohérente.

Panorama vers l'Est

Cependant, du haut de ces montagnes, j'avais une vue superbe vers le Nord-Est, sur l'autre versant, encore ignoré, de la chaîne. Je voyais d'abord, sur quelque vingt à vingt-cinq kilomètres de large, une succession de crêtes allongées Nord-Ouest-Sud-Est d'aspect sableux ou gréseux. C'étaient les formations transgressives oligomiocènes du sillon molassique que Philippson et Haug avaient appelé "transégéen", ce qui est inexact, et Bourcart "albano-thessalien", ce qui est géographiquement factuel. J'ai estimé que "méso-hellénique" exprimait précisément sa position géologique dans l'axe de la chaîne hellénique. J'ai fait plus tard la coupe de cette série dans les monts Voïon, au Nord, où l'Aquitanien est porté à 1802 mètres, en numérotant les bancs à la peinture pour y mettre en évidence les rythmes sédimentaires. Je constatai qu'elle a une puissance de cinq mille mètres et traduit, par des récurrences de conglomérats qui atteignent cent mètres d'épaisseur, les reprises des mouvements tectoniques, les surrections répétées, au cours de l'Oligocène et du Miocène, de la rive Nord-Est du sillon, la "zone pélagonienne" d'où provenaient les galets.

Au-delà de la molasse, j'apercevais, en effet, une autre chaîne, comprenant les Monts Askion culminant à plus de 2000 mètres et se poursuivant vers le Sud par la chaîne un peu moins haute du Vourinos. A leurs deux extrémités, au Nord-Est comme au Sud-Est, elles se réduisaient à des croupes molles : c'était le soubassement cristallin et cristallophyllien du Mésozoïque de la zone pélagonienne. Par-dessus venaient, en effet, des calcaires d'un gris si pâle que je les aurais à peine distingués de l'horizon brumeux s'il n'y avait eu les grandes ombres des nuages qui les parcouraient lentement. Ces calcaires étaient conservés grâce à une inflexion d'axe ancienne que j'ai appelée "Détroit de Kozanï". Elle est limitée au Sud par l'accident transversal mentionné plus haut et se poursuit vers l'Est jusqu'à (et y compris) la plaine de Macédoine. J'y ai trouvé des Diplopores triasiques, ce qui mettait un terme à une controverse - Trias ou Crétacé ? - qui durait depuis qu'Ami Boué avait décrit en 1840 cette longue chaîne calcaire qui va de la Thessalie à la Yougoslavie. J'ai longtemps cru qu'ils se poursuivaient jusqu'au Jurassique supérieur. C'était une erreur sur laquelle je reviendrai. Par-dessus encore, vers le Sud, je voyais une montagne noire, longue d'une trentaine de kilomètres : c'était la masse ophiolitique du Vourinos (1800 mètres) qui devint, trente ans plus tard, l'un des premiers sites célèbres pour les ophiolites.

Le Vourinos

Je m'y rendis et trouvai un ensemble beaucoup plus simple que la nappe du Pinde. Les ophiolites s'appuient sur le versant occidental d'un grand anticlinal formé de calcaires triasiques. Elles plongent donc, comme ces derniers, vers le Sud-Ouest (thèse, pl.II, fig.3), ainsi qu'on peut le vérifier par le litage des roches de la série éruptive. Sur les calcaires reposent, par l'intermédiaire de quelques schistes, la grande masse des péridotites vaguement litées : dunites, harzburgites, gisements de chromite, Iherzolites. Suivent des pyroxénites à grands cristaux. Puis viennent les gabbros lités, d'abord très basiques - olivines, orthopyroxènes, bytownites -, puis moins basiques - augites, andésines -, enfin, au sommet, diorites-quartzifères et autres roches très claires - amphiboles, albites et quartz. Par-dessus celles-ci viennent les dolérites noires dont des morceaux sont tombés dans le magma, formant ce que j'ai appelé des "brèches magmatiques", très spectaculaires (thèse, pl.XVII, fig.3), et enfin les basaltes recouverts de radiolarites assez minces passant à des calcaires pélagiques du Jurassique supérieur. Le tout est surmonté, dans les collines de Krapa, par des calcaires légèrement discordants et plongeant vers l'Ouest sous la molasse. Ils vont de l'Albien et du Cénomanien à Orbitolines au Crétacé supérieur néritique, très différent de celui du Pinde. L'épaisseur des roches éruptives est de l'ordre de dix kilomètres.

Fort de cette succession, de ce "cortège ophiolitique" incontestable, je suis retourné dans le Pinde. C'est ainsi que je me suis trouvé au sommet du Smolika, à 2636 mètres, par une calme et pure matinée de septembre. Le silence était absolu : ni vent, ni insectes, ni torrent. Tout près de moi il y avait un champ de neige et un petit lac glaciaire ; beaucoup plus bas, entre 2000 et 2200 mètres, les croupes sombres du Pinde. A soixante kilomètres au Sud-Est, j'apercevais la masse noire du Vourinos qui se poursuivait vers le Nord-Ouest par des affleurements plus réduits, mais qui sont dans la même position par rapport aux calcaires triasiques. Vers le Nord-Est, les grands escarpements gréseux de la molasse s'élevaient ici jusqu'à 1800 mètres tandis qu'au Sud-Ouest la vue était barrée par la grande face orientale - la grande faille frontale - du massif du Tymphé. Elle était entaillée par le ravin de l'Aoos, profond de près de deux mille mètres (thèse, pl.l). Vers le Nord, mon regard portait jusqu'à l'Albanie, avec d'autres montagnes calcaires et ophiolitiques. Contemplant ce paysage sublime, je restai longtemps immobile, sentant sourdre la conception du phénomène orogénique grandiose qui pouvait rendre compte de l'ensemble des observations surprenantes que j'avais faites au cours des mois précédents : une phase de distension, antérieure aux compressions tectoniques crétacées et tertiaires, avait dû ouvrir une large déchirure (un "rift" dit-on aujourd'hui) dans la lithosphère, à la limite de la zone pélagonienne, avec son vieux socle, et de la fosse orogène de la future zone du Pinde, donc sur l'emplacement de l'actuel sillon molassique oligo-miocène. Cette ouverture avait permis au magma simique (rnantellique) de s'épancher sur le fond de la mer - ce dont témoignent les pillow-lavas -, à la fois vers la fosse et vers les parties effondrées du vieux massif. Cet épanchement d'épaisseur kilométrique dut être tout de suite enfermé dans la poche formée par les roches consolidées de la surface. A l'intérieur de cette chambre, le magma avait pu se différencier lentement, de bas en haut, en péridotites, gabbros lités, etc. Les fluides, enrichis en silice et en alcalins, s'étaient rassemblés sous la croûte - d'où les diorites quartzifères, etc. - et avaient percolé à travers les dolérites et les basaltes par d'innombrables filons et filonnets jusqu'à la mer. Celle-ci s'était ainsi enrichie en silice, d'où le foisonnement des Radiolaires et le dépôt des radiolarites. L'absence totale de calcaire dans ces dernières suggère que la mer était rendue acide par les émanations de CO2. La formation tardive de la nappe ophiolitique s'expliquait aisément par la dysharmonie entre la masse rigide des roches éruptives et la série pélagique souple du Pinde. Le soubassement de celle-ci avait nécessairement subi un raccourcissement considérable, un "avalement" ("Verschluckung" d'Amstutz ; on dirait aujourd'hui "subduction"), que démontrait la relative proximité du Crétacé supérieur, si différent, de la zone pélagonienne.

Je passai les quelques semaines de beau temps qui me restaient à parcourir à nouveau la nappe ophiolitique (muni de deux bâtons, comme à skis, pour aller plus vite), à en revoir les affleurements les plus marquants afin de vérifier si la réalité correspondait au modèle et si celui-ci pouvait apporter de l'ordre dans ce qui m'était apparu si confus. Effectivement, je retrouvai des successions comparables à celles du Vourinos. A la base des paquets de radiolarites, il y avait bien des basaltes, parfois, comme au Tsouca Tsina, des pillows entre lesquels des jaspes à radiolaires s'étaient infiltrés. Dans le ravin en contrebas de la masse de basaltes et de pillows-lavas proche du village d'Avdéla, je découvris même des brèches magmatiques.

Une étude de G. Jones (Ph.D. inédit, 1990, et publications avec A.H.F. Robertson, Patrick de Wever et autres, 1991, 1992), réalisée avec les moyens modernes de datation - radiochronologie, Radiolaires - suggère qu'il y eut, dans cette région particulièrement compliquée, jusqu'à trois périodes de volcanisme sous-marin et de dépôts de radiolarites, soit au Trias moyen-supérieur (il y eut en effet, nous le verrons, un volcanisme sous-marin pré-ophiolitique), au Jurassique moyen-supérieur, enfin au Crétacé. J'ai, moi-même, dans ma thèse, signalé, au-dessus du village voisin de Périvoli, des éruptions tardives "anormalement acides".

La succession des roches grenues, tout en étant dans le bon ordre, est assez différente de celles du Vourinos : quasi-absence de gisement de chromites, apparition précoce de plagioclases dans les péridotites, formant des troctolites et des allivalites plutôt que des pyroxénites. Les conditions de cristallisation et de différenciation n'avaient pas été identiques de part et d'autre de l'ouverture du rift. Pourtant, il s'agit bien d'un même ensemble car, je le savais par la carte de Bourcart, la faille transversale de Kortça, un peu au-delà de la frontière gréco-albanaise, permet de voir le soubassement ophiolitique de la molasse oligo-miocène.

Le problème majeur qui subsistait était celui du soubassement initial des ophiolites, donc de leur mise en place première, par opposition à la mise en place tardive de la nappe ophiolitique du Pinde. La concordance d'ensemble que j'avais observée dans le Vourinos entre le litage des roches éruptives et celui des calcaires sous-jacents me donnait à penser qu'il pouvait s'agir d'un contact primaire. J'en entrepris l'étude l'année suivante, en 1938.

J'ai noté plus haut la présence d'un niveau schisteux entre les calcaires triasiques et les ophiolites. Il donne toujours lieu à un ravin ou plutôt à quatre ravins successifs dont les pentes sont alternativement vers le Nord et vers le Sud. Je les suivis donc du Nord-Ouest vers le Sud-Est, sur plus de trente kilomètres. Les schistes sont toujours présents et sont eux-mêmes entrelardés de calcaires. Mais le long de ce front oriental de la masse ophiolitique où tout est subvertical, le contact présente des traces d'écrasement qui confinent parfois à un mélange, ce qui peut résulter de la dislocation des niveaux calcaires au sein des schistes. Cependant, à l'extrémité méridionale du massif, j'ai découvert une séquence remarquablement régulière qui présente le double intérêt de mettre en évidence la logique orogénique du phénomène ophiolitique et de révéler la présence d'un puissant métamorphisme thermique sous-ophiolitique.

Le contact est ici emprunté par une portion Sud-Ouest-Nord-Est du cours très zigzaguant du fleuve Aliakmon qui, venant du sillon molassique, traverse ainsi la chaîne en gorges dans le niveau schisteux puis, après avoir contourné, par un méandre très encaissé, le piton sur lequel se dresse le beau monastère de Zabordas, repart vers le Nord avant de s'orienter enfin vers l'Est pour rejoindre, à travers d'autres gorges, la lointaine mer Egée. Sur sa rive méridionale, se dressent les calcaires triasiques formant une montagne appelée Vounassa. Ils plongent vers le Nord-Ouest sous les schistes et sous les ophiolites : il s'agit de la continuation de la grande flexure transversale qui fait, plus à l'Ouest, plonger la zone du Pinde vers le Nord sous la nappe ophiolitique. A l'extrémité Sud-Ouest de la montagne, un ravin et une route permettent de faire la coupe de l'ensemble.

Elle comprend, du Sud-Est au Nord-Ouest :

a) les schistes cristallins paléozoïques, base de la zone pélagonienne, qui forment toute la région des Kamvounia, jusqu'à l'Olympe ;

b) des conglomérats transgressifs rouges dont j'avais déjà noté la présence dans la même position au Nord des monts Askion et que Kossmat (1924), en Albanie, n'avait pas hésité à rapporter au Permien ;

c) des calcaires marneux jaunes et rosés que j'avais attribués au Trias inférieur, diagnostic confirmé en 1972 par Jean Marcoux, grand connaisseur du Trias alpin, de l'Autriche au Tibet ;

d) un millier de mètres de calcaires en gros bancs analogues à ceux dans lesquels j'avais trouvé des Diplopores du Trias moyen. Vers leur sommet, ils prennent un cachet pélagique, avec des calcaires fins en bancs minces et des lits siliceux. Des Conodontes du Norien y ont été découverts par A. Mavridis (1980) ;

e) brusquement, au début du ravin de l'Aliakmon, apparaissent en concordance des tuffites noires auxquelles j'ai donné, dans ma thèse, le nom trop anodin de "niveau e". Elles sont entrelardées de radiolarites rouges et de récurrences calcaires. J'y avais déjà constaté, en 1938, la présence de basaltes altérés (thèse, pl. XVI, fig.1) mais, en 1972, l'oeil acéré de Jean Marcoux y a repéré, sur les roches polies de la berge droite de l'Aliakmon, les traces de grands pillows, de grands coussins ayant plus d'un mètre de diamètre, donc beaucoup plus grands que ceux qu'on trouve à la surface des ophiolites.

Ainsi, la subsidence, d'abord lente et qui s'était accentuée à la fin du Trias, avait abouti à l'ouverture d'une fissure donnant lieu à des projections pyroclastiques sous-marines, puis à des coulées de laves. Pour que les énormes coussins, qui ne peuvent que rouler sur le fond, soient arrivés où nous les avons trouvés, il faut que la fissure ait été assez proche. Elle avait donc dû se produire, comme je l'avais pensé l'année précédente, sur l'emplacement du futur sillon molassique. Effectivement, des études postérieures y ont révélé, compte tenu de l'épaisseur des sédiments, une forte anomalie positive de la gravité qui doit correspondre à la racine de l'épanchement ophiolitique.

Sur la rive gauche, plus abrupte, du fleuve, on rencontre d'abord des schistes verts avec, par endroits, des traces de varioles témoignant de leur origine au moins partiellement éruptive. Quelques lits de radiolarites indiquent que le litage, de même que la schistosité, plongent vers le Nord-Ouest, sous les ophiolites. Quelques niveaux de brèches d'un à deux mètres d'épaisseur sont parfaitement interstratifiés. Les schistes sont affectés de petits plis décimétriques, d'axes approximativement Sud-Est-Nord-Ouest (P. Vergely, 1976) qui révèlent des mouvements relatifs Sud-Ouest-Nord-Est. De tels plissotements sont inévitables dans ce niveau incompétent situé entre deux masses relativement rigides qui ont subi plusieurs phases tectoniques depuis la mise en place des ophiolites. L. Faugères a même noté leur présence dans le Plio-Quaternaire de la vallée Sud-Nord de l'Aliakmon, légèrement chevauché vers l'Est par les péridotites de la base des ophiolites du Vourinos. Mais il n'y a rien là qui soit comparable aux puissantes brèches d'écrasement et aux bouleversements qui affectent le soubassement de la nappe ophiolitique dans le Pinde.

Plus on monte vers la base des ophiolites, plus le métamorphisme s'intensifie jusqu'à atteindre le faciès amphibolite à quelques dizaines de mètres sous le contact avec les péridotites serpentinisées de la base du cortège ophiolitique. Cette description tient compte des observations que j'ai faites ultérieurement en compagnie de P. Vergely et J.-F. Pichon (Pichon et Brunn, 1985). J'avais bien décelé la présence du métamorphisme thermique dans le "niveau e" et signalé, dans ma thèse, la présence de grenats, d'idocrase, d'amphiboles, de muscovite mais j'avais sous-estimé son importance. L'Aliakmon était en crue et le sentier descendant dans les gorges se trouvait naturellement sur une faille. Les quelques géologues qui, après 1965, sont venus dans la région où l'on pouvait alors accéder en voiture (Moores 1969, Zimmermann, Bortolotti, Karamata), ne l'ont pas signalé non plus, à l'exception de Spray et Roddick (1980) qui ont prélevé des échantillons et daté les "sub-ophiolitic metamorphic rocks" de -170/180 Ma, ce qui correspond au Lias (au lieu du Jurassique supérieur). L'arrivée des matériaux volcano-clastiques et des laves est évidemment bien antérieure, remontant peut-être à la fin du Trias. Cette datation a été confirmée par la découverte due à A. Mavridis (1980) d'Orbitopsella praecursor (Domérien) à quelques kilomètres au Nord du Vourinos, dans des calcaires insérés entre une langue de serpentines et les schistes sur lesquels est installée la petite ville de Siatista, célèbre pour son bon vin. Ainsi, le phénomène ophiolitique (y compris le volcanisme sous-marin pré-ophiolitique) devient contemporain de l'apparition des radiolarites dans la zone du Pinde et même des venues andésitiques sur le bord occidental de celle-ci, peut-être un arc insulaire avorté.

Ces serpentines sont ici directement recouvertes par le Crétacé transgressif. Elles sont un reste d'un cortège ophiolitique beaucoup plus mince que celui du Vourinos parce que situé hors de la gouttière transversale où le second s'était accumulé. Le rôle du relief pré-ophiolitique fut confirmé par l'observation, sous une pluie torrentielle, d'une butte-témoin ophiolitique, appelée Dastak Lophos (lophos=colline), reposant sur les calcaires du rebord oriental des monts Askion, au Sud-Est du village perché de Galatini. On y voit une sole de serpentines surmontée directement par des dolérites et des basaltes. Nous trouverons une succession analogue dans le Vermion.

J'ai décrit le cortège ophiolitique et il n'est pas nécessaire d'y revenir. On se souvient qu'à son sommet, malgré ses dix kilomètres d'épaisseur, ce sont encore des sédiments pélagiques, radiolarites puis calcaires à Calpionelles (Pichon et Lys, 1976), qui se sont déposés sur les laves, comme si, à la sortie du magma, la subsidence s'était transformée en un véritable effondrement, telle une gigantesque caldeira.

Ainsi, du Permien au Jurassique supérieur, cette vaste séquence exhibait une logique tectonique, sédimentaire et magmatique parfaitement cohérente. Elle démontrait que, contrairement à la nappe ophiolitique du Pinde dont la mise en place est tardive et tectonique, les ophiolites se trouvent, dans le Vourinos, approximativement à leur emplacement initial, qu'elles reposent en concordance sur leur soubassement, lequel est affecté par un métamorphisme thermique inverse et qu'elles ont donc été mises en place non à l'état solide, mais à haute température et, compte tenu des faibles déformations de leur soubassement, à l'état de magma, ce que confirme la ségrégation et le litage de leurs différents termes. Néanmoins, mes observations et leur interprétation se heurtaient encore, en France, à un scepticisme certain - un épanchement d'épaisseur pluri-kilométrique, on n'avait jamais vu ça ! - et je me souviens des discussions animées que j'avais avec Madame Jérémine qui m'avait initié à l'emploi du microscope polarisant et avec qui j'étudiais mes échantillons. Malgré tout, en 1940 alors que j'étais - ou croyais être - sur le point de rejoindre l'armée, j'ai rédigé deux notes, l'une décrivant le cortège et l'autre sa mise en place. Je les portai à Alfred Lacroix pour qu'il les présente à l'Académie. Après les avoir lues très longuement il me fixa de ses yeux bleus rendus plus sévères par les pince-nez et me dit "Jeune homme, votre affaire me surprend beaucoup, mais elle tient debout et je présenterai vos deux notes à l'Académie". Si elles n'eurent pas l'écho mondial que j'attendais de notes à l'Académie des Sciences, elles constituent une prise de date dont je suis un peu fier car j'y mentionnais des distensions de grande envergure, une notion encore étrangère à la Tectonique, et l'ouverture d'une "large déchirure" près de vingt ans avant la découverte du "rift".

Ce ne fut qu'après le Congrès géologique international d'Alger, en 1952, que l'existence de puissants cortèges ophiolitiques allant des péridotites aux basaltes fut reconnue. En effet, d'autres auteurs avaient fait des observations similaires, notamment Dubertret en Syrie et Routhier en Corse et en Nouvelle-Calédonie, ainsi que Kundig aux Célèbes (Sulawesi). En 1959, avec la parution du livre de Heezen, Tharp et Ewing dans lequel ils relataient leur découverte du rift médio-atlantique, les notions de distension, d'ouverture de rifts et d'épanchements sous-marins - d'où la formation de la lithosphère océanique - devinrent fondamentales dans les Sciences de la Terre.

Dès lors, la thèse de l'épanchement ophiolitique fut adoptée par la plupart des auteurs : en France, par J. Aubouin (1959,1965) et J. Mercier (1968), qui faisaient déjà partie de notre équipe, ainsi que par A. Nicolas (1966), mais aussi outre-Atlantique. Le Vourinos était devenu mondialement connu. J'y ai conduit une excursion de la Commission internationale de Tectonique et je l'ai revisité en compagnie du célèbre pétrographe américain H. H. Hess, du professeur J. C. Maxwell qui avait adopté la notion d'épanchement (Maxwell et Azzaroli, 1962). Comme je n'avais pas trouvé un pétrographe volontaire pour l'étude du Vourinos, j'ai dû accepter que E. M. Moores en entreprenne l'étude pour sa thèse. Celle-ci parut en 1969 et reprend ma description des péridotites aux basaltes. Il conclut à un épanchement sur place en forme d'éventail, alors qu'à mon avis, on l'a vu, il venait du Sud-Ouest. S'étant focalisé exclusivement sur les ophiolites, il n'a pas cherché à situer celles-ci dans le cadre de l'évolution orogénique de la chaîne hellénique.

Structure et évolution de l'orogène hellénique

Or c'est toute l'histoire de cette chaîne encore mal connue que s'était proposé d'étudier le groupe qui fut appelé, dès la fin de la décennie 1950, "l'Equipe grecque". A cet effet, nous avions disposé nos sujets de thèse selon deux directions. L'une était longitudinale et comprenait, au Sud de mon terrain, celui de Jean Aubouin, puis celui de P. Celet, qui enjambait le Parnasse et le Sud du Pinde jusqu'au Golfe de Corinthe, enfin celui de Jean Dercourt, dans le Péloponnèse. L'autre était transversale. Elle s'avançait vers le Nord-Est, vers les zones plus internes, sur un front comprenant, du Sud au Nord, l'Olympe, étudié par I. Godfriaux, la chaîne du Vermion, que j'avais atteinte après ma thèse ; enfin, le long de la frontière yougoslave, l'ensemble complexe étudié par J. Mercier et correspondant à ce que F. Kossmat (1924) avait appelé, au-delà de cette frontière, la zone du Vardar, et les géologues grecs "zone de l'Axios", nom antique du même fleuve. Deux thèses de troisième cycle, celles d'O. Monod et de L.-E. Ricou, avaient abordé, plus à l'Est, le domaine serbo-macédonien, marge du Rhodope.

Nos travaux - thèses, articles collectifs et individuels - ont contribué à démontrer qu'une chaîne plissée n'est pas issue d'un (géo)synclinal mais d'un domaine sous-marin varié, tant par la bathymétrie que par la nature du tréfonds. Ils sont si connus qu'il suffit de rappeler qu'ils ont conduit à distinguer dans la chaîne une succession de zones correspondant (du Sud-Ouest au Nord-Est) à la marge pré-apulienne, au sillon ionien, à la ride du Tymphé-Gavrovo, au sillon du Pinde. Ce dernier fut sans doute le plus profond, celui, en tout cas, dont les dépôts furent les plus pélagiques du Trias au Maastrichtien, sans doute parce qu'il était abrité des apports détritiques par les rides sous-marines voisines. Il s'agissait bien d'un sillon car les radiolarites, prédominantes dans son axe, sont entrelardées de calcaires vers le Sud-Ouest, tandis que vers le Nord-Est apparaissent, comme l'a montré J. Aubouin, des olistolithes calcaires arrachés sans doute à une zone de bordure dont on a un témoin dans la longue crête du Kerketion qui domine la plaine de Thessalie, ainsi que dans divers pointements qui surgissent le long du bord Nord-Est du Pinde jusqu'en Albanie. Par-delà cette bordure s'élevait la ride pélagonienne qui devait être dans sa position relative actuelle, malgré les immenses translations qu'elle a subies en même temps que les deux nappes pindique et ophiolitique. En effet, son émersion temporaire au Crétacé inférieur puis sa surrection au cours de l'Eocène, prélude aux charriages, ont fait déferler des turbidites dans le sillon du Pinde, d'où les deux "flyschs", le premier modeste, le second puissant et conglomératique vers son sommet. Enfin, c'est dans le domaine intermédiaire entre le sillon et la ride que s'est ouvert, au cours du Lias, le rift générateur des ophiolites que J. Aubouin a très justement nommées "sub-pélagoniennes". Le lien entre ces ophiolites et la zone du Pinde est indéniable car nous le retrouverons concernant des zones homologues jusqu'au Sud du Zagros, voire jusqu'en Oman.

Pour compléter cette brève traversée, j'ajouterai que, de la zone du Vardar à la plaine du Danube, le domaine de la future chaîne alpine eut une paléogéographie encore plus diversifiée et une évolution tectonique plus agitée que celles qui viennent d'être rappelées. C'est en partie (il faut y ajouter les déversements opposés) ce qui avait conduit Eduard Suess à distinguer le rameau alpidique (ici, le Balkan, la Sredna-Gora, le Nord du Rhodope) du rameau dinaro-taurique (ici, les Hellénides). Cependant, les deux rameaux du Système alpin, loin d'être symétriques, sont profondément différents et j'aurai l'occasion d'y revenir.

Les reliefs sous-marins, qui s'expriment par les faciès, ont aussi imprimé leur marque aux styles tectoniques et reflètent donc des propriétés profondes de la lithosphère. En gros, on constate que les anciennes rides ont eu un comportement tectonique plus rigide (pendage monoclinal et immenses failles du Tymphé) tandis que celui des anciens sillons fut beaucoup plus souple : c'est le cas de la zone ionienne -plis à flancs raides ou chevauchants -, mais surtout, évidemment, de la zone du Pinde. Non seulement sa série mésozoïque, finement litée, est affectée d'écaillés, voire de plis couchés, mais elle est en outre entièrement charriée, ce qui signifie (le Mesozoïque pélagonien étant très différent) que le sillon qui fut son berceau originel a été fermé et son tréfonds écrasé, "englouff" dans les profondeurs (thèse, p. 274). On y retrouve donc certaines des propriétés de souplesse et de mobilité qui avaient conduit à définir un géosynclinal. Cependant, étant donné les lourdes connotations de ce terme, je lui avais préféré celui de fosse ou sillon orogène qui traduisait à la fois sa nature première et son destin d'être intensément plissé. Plus tard, j'utiliserai, d'après le grand géologue autrichien Kober, le terme orogène comme substantif pour désigner des domaines marins mobiles évoluant vers des chaînes plissées, mais qui diffèrent par leur relief et leur dynamique autant des aires continentales que des plaines abyssales des véritables océans. Ils ressemblent, en revanche, aux systèmes d'arcs et de fosses que l'on connaît de l'Indonésie orientale au Japon et à la Nouvelle Zélande.

Enfin, toutes les zones de la future chaîne ont évolué sur place en conservant leurs caractères spécifiques pendant des dizaines de millions d'années. Elles furent atteintes par les mouvements tectoniques de l'intérieur (actuellement le Nord-Est) vers l'extérieur. Ceux du Crétacé inférieur, qui affectèrent la zone pélagonienne, paraissent avoir été bloqués par le rift ophiolitique, ce qui donne à penser qu'il était encore profondément enraciné dans le manteau (Brunn, 1948, 1956). Les déplacements tangentiels affectèrent les zones plus externes à partir de î'Eocène supérieur et se propagèrent vers l'extérieur, vers la mer Ionienne. A chaque étape, les mouvements dans une zone étaient précédés par la surrection de la zone antérieurement plissée, ce qui se traduisait par un déferlement de turbidites (Brunn, 1957) et le dépôt d'un flysch concordant comme toute la série sous-jacente depuis (au moins) le Trias inclus. Cela me parut exclure une origine externe des déplacements, autrement dit les sous-charriages (thèse, p. 211 ).

Il n'y avait là que faits d'observation, sans la moindre polémique. En effet, tous les géologues alpins, tous ceux qui s'occupaient de chaînes plissées, savaient que celles-ci s'étaient développées sur place et connaissaient la complexité spécifique de leur paléogéographie comme de leurs structures. Ces évidences furent remises en question lorsque survint la théorie des plaques. Celle-ci fut présentée avec l'assurance et même l'arrogance propres aux dogmatismes. Certes, la nouvelle théorie était portée par les extraordinaires découvertes faites dans les océans, d'abord par celles de Heezen et al. déjà signalées, celle des épanchements successifs de basalte sur le fond de l'Atlantique par Frederick Vine et Drummond Matthews, puis par les forages profonds, les études sur les arcs insulaires (déjà engagées avant la guerre par les géologues hollandais, Vening Meinesz, Van Bemmelen, etc.), encore que l'explication des arcs par la seule subduction fût, à mon avis, contestable, et j'y reviendrai. En revanche, en ce qui concerne la genèse des chaînes plissées, la nouvelle théorie fut simplificatrice à l'excès. Elle n'apportait rien de bien nouveau par rapport à la dérive des continents de Wegener, ni à l'affrontement Eurasie-Gondwana, et notamment à l'emboutissement de l'Asie par l'Inde d'Emile Argand, qui n'est pratiquement jamais cité. L'abandon de la notion de géosynclinal ou d'orogène entraîna une simplification excessive des problèmes de l'orogenèse. On ne voulut plus y voir que des zones de subduction qui aboutissaient à des collisions continent-continent, voire entre micro-plaques : on s'ingénia, en effet, à imaginer des modèles où la tectonique se réduisait à des relations entre plaques rigides, négligeant ou sous-estimant ainsi la complexité des courbes que dessinent les arcs insulaires et les chaînes plissées. Il s'y ajouta des modes terminologiques : on préféra parler de subductions ou de sous-charriages que de charriages, toute faille décrochante ou coulissante devint transformante (transformant quoi ?), tout fossé d'effondrement, tel le fossé rhénan, avait une chance d'être appelé rift, etc. Mais surtout on vit dans l'expansion des océans l'origine de toute la dynamique terrestre et le seul moteur de l'orogenèse, occultant ainsi la dynamique propre aux chaînes plissées en cours de formation. L'ennui était que, comme nous l'avons vu en traversant les Hellénides et les Alpides, on ne trouvait pas dans ces chaînes les séries sédimentaires dont les faciès témoigneraient de l'existence de ces océans qu'exigeait la théorie. C'est alors, vers 1970, que l'on découvrit l'intérêt des ophiolites que j'avais, pour ma part, délaissées depuis quelques années car elles me semblaient monotones malgré leur diversité dans le détail. On voulut y voir en effet la trace de lithosphères océaniques, de ces fameux "océans perdus", dont tout le reste aurait disparu, engouffré dans la subduction. Encore fallait-il expliquer pourquoi elles se trouvent dans la position haute qu'elles occupent. C'est ainsi qu'on s'engagea dans la voie erronée, selon moi, de l'obduction, comme je le découvris en 1973, lorsque je fus invité à participer au Colloque international de Moscou sur les ophiolites.

L'obduction : fausse route !

Je dois faire ici un petit retour en arrière. Dès 1959, dans une analyse, que j'avais cosignée avec J. Bourcart, du livre de Heezen et al. sur les fonds atlantiques, ainsi que dans une note à la Société géologique de France, j'avais signalé l'identité de nature entre les roches qui avaient été draguées le long du rift, représentant donc la lithosphère océanique, et celles du cortège ophiolitique. Mais je soulignais en même temps les différences géotectoniques entre les deux ensembles : le rift médio-atlantique occupe une position axiale (ou plus ou moins telle dans les autres océans) dans un océan en constante expansion, tandis que les rifts qui ont donné naissance aux ophiolites se sont ouverts au voisinage de marges ou de zones à socle continental, dans des domaines orogènes évoluant, à travers de multiples vicissitudes tectoniques, vers des chaînes plissées.

L'identité des roches océaniques et ophiolitiques fut redécouverte dix ans plus tard, mais les différences géotectoniques furent ignorées. Les ophiolites étant alors purement et simplement assimilées à de la lithosphère océanique, leur mise en place ne pouvait être que tectonique. Cette interprétation fut proposée par Davies (1971) pour les ophiolites de Papouasie, par Dewey et Bird (1970) pour celles de Terre-Neuve, enfin par Coleman (1971) qui présenta une théorie générale de ce qu'il appela "obduction", terme qui répondait habilement au terme de "subduction". Comme la notion d'obduction est encore aujourd'hui dominante au point d'être acceptée quasiment comme un postulat et qu'elle bloque ainsi toute autre interprétation du phénomène ophiolitique et de son rôle dans l'orogenèse, il n'est pas inutile de revenir à sa source et de voir comment elle a évolué.

Coleman avait intitulé son article fondateur de 1971 "Plate tectonic emplacement of upper mantle peridotites along continental edges". Le parrainage de la tectonique des plaques était donc explicitement invoqué et cela impliquait la mise en place tectonique de plaques rigides sur des marges continentales. Dans son résumé et dans son introduction, il précise qu'il s'agit de la mise en place tectonique, du charriage ("overthrust") ou obduction d'une dalle froide ("a cold slab") de peridotites rnantelliques. Cette définition était fondée sur l'opinion, généralement admise et enseignée à cette époque, selon laquelle il n'y a pas d'auréoles de métamorphisme thermique au contact des ultrabasites. Cette opinion était erronée, j'en avais la conviction à partir de deux exemples : celui du Vourinos et celui de Tan e Ana, que nous avions découvert, L.-E. Ricou et moi-même dans le Sud-Zagros, où l'on voit un beau skarn de wollastonite, de diopside, etc., entre des harzburgites et des calcaires massifs. Ce fut d'ailleurs largement reconnu quelques années plus tard. Ainsi fondé sur une erreur, le modèle de l'obduction ne pouvait qu'orienter la réflexion sur l'orogenèse dans des directions également erronées - c'est pourquoi j'ai souligné plus haut "fausse route" - et conduire à des invraisemblances quand il s'est agi de l'expliciter.

La première conséquence négative fut que la genèse des roches ophiolitiques ne fit plus partie des processus orogéniques. Ceux-ci étaient assimilés à une zone de subduction tandis que les roches du cortège ophiolitique étaient censées s'être formées dans un lointain rift médio-océanique. Coleman précisait en effet que la lithosphère océanique avait subi une longue migration avant d'atteindre la zone de subduction et que c'était pour cette raison qu'elle était froide. On arrive ainsi tout de suite aux invraisemblances : il admet qu'il y eut à la fois subduction et obduction (p. 1218) mais il n'explique pas pourquoi ces roches denses, qui doivent se trouver, en raison de l'isostasie, à plus de quatre mille mètres en contrebas de la surface de la croûte continentale, seraient montées sur celle-ci au lieu de poursuivre leur cours naturel vers la subduction ; ni comment un rebord continental mince ("thin continental edge") aurait pu ainsi cisailler horizontalement le manteau à la profondeur de dix ou douze kilomètres, épaisseur moyenne des ophiolites sous leur surface basaltique. L'obduction aurait donc été un phénomène bien plus monstrueux que l'epanchement, et il n'en fait pas l'économie, comme nous le verrons avec Davies. Enfin, non seulement la lithosphère océanique est dédoublée (subductée et obductée), mais la dalle obductée est elle-même double parce qu'elle comporte des basaltes et des cumuiats d'origine magmatique reposant sur une sole ultrabasique qui est censée représenter le manteau appauvri ("depleted mantle") mis en place tectoniquement. Il aurait été caractérisé par la déformation à haute température (subsolidus) des divines. J'avais noté ces déformations dans ma thèse et expliqué qu'elles avaient dû se produire dans la sole précocement consolidée de l'epanchement alors qu'elle était maintenue à haute température par le magma sus-jacent. En outre, Coleman lui-même y décrit des alternances harzburgite-dunite, comme le font aussi Moores et Vine (1971), à Chypre, pour leurs "tectonites".

Toutes ces questions ont été débattues à Moscou en 1973, lors du Colloque international sur les ophiolites dont j'ai été le premier président étranger. Coleman était présent, ainsi que Dewey, Davies, Moores et bien d'autres. Les discussions se sont poursuivies au cours de très belles excursions où l'on n'avait, malheureusement, aucune chance de trouver des ophiolites en place : ni dans les Tian Shan, où les ophiolites sont ordoviciennes, appartenant à une chaîne hercynienne remobilisée à l'alpin, ni dans le Petit Caucase, où l'on se trouve à l'apex de l'arc zagro-taurique et où on peut être assuré que rien n'est en place. Dans les conclusions de ma communication, j'avais développé la distinction que j'avais établie en 1959 entre, d'une part, la création continue de lithosphère dans les rifts océaniques et, d'autre part, les phénomènes ophiolitiques qui seraient spécifiques des systèmes d'arcs insulaires dont la dynamique est très différente de celle de l'expansion océanique. Elle est en effet proprement orogénique, procédant, comme on le sait, par l'alternance de phases tectoniques relativement violentes et de longues périodes de calme dont témoigne la concordance de la sédimentation. J'étais en cela implicitement rejoint par Coleman qui spécifie (p. 1218) que l'obduction est un phénomène beaucoup plus court que la subduction, sans autrement s'intéresser à cette singularité ; mais aussi par Davies qui, partant de ses observations en Papouasie, décrit superbement dans sa thèse (1971, p. 39) un épanchement ophiolitique sous-marin de douze kilomètres d'épaisseur et souligne, tout de suite après, que la régularité de la différenciation et de la ségrégation suggère que cet épanchement a eu lieu en une seule fois.

J'attendis pendant des mois la parution des comptes rendus du Colloque et du texte que j'y avais laissé, mais en vain. Entre temps, les fondements de la discussion sur l'obduction avaient complètement changé. En effet, on découvrait progressivement et un peu partout un intense métamorphisme thermique dans les roches sédimentaires en contact avec les ultrabasites de la base des massifs ophiolitiques : dans le Sud du Zagros, déjà mentionné (Ricou, 1971a), à Terre-Neuve (Williams et Smith, 1973, Dewey, 1976), ainsi qu'en Ecosse (Dewey et Shackleton, 1984). Dans ce dernier cas, les auteurs spécifient que, pour atteindre le faciès amphibolique du métamorphisme, la sole des ophiolites avait dû être à une température d'environ 1200°. Ce serait à peu près la température qu'aurait la sole précocement consolidée d'un épanchement. Des découvertes analogues furent faites en Yougoslavie (Pamiç et al., 1973, Karamata, 1979), dans le Vourinos revisité (Pichon et Brunn, 1985) et dans son prolongement en Albanie (Turku, 1987), où le métamorphisme sous-ophiolitique a plusieurs centaines de mètres d'épaisseur, à Chypre (Lapierre, 1972) et en Oman. On pourrait croire que ces découvertes auraient conduit à l'abandon du modèle de l'obduction fondé sur ia mise en place d'une dalle froide, donc à un réexamen total du problème. Il n'en fut rien. L'adhésion à la tectonique des plaques dont se réclamait l'obduction était telle que l'on s'ingénia à imaginer des modèles compliqués et peu vraisemblables permettant de conserver le terme "obduction" et la notion de la mise en place d'une plaque lithosphérique solide, fût-elle à haute température, ce qui était contraire au modèle initial. En premier lieu, le rift générateur des ophiolites ne fut plus médio-océanique mais contigu à un socle continental, comme je l'avais indiqué depuis 1940. Cependant, pour que la nouvelle lithosphère fût encore chaude au moment de sa mise en place tectonique sur la marge continentale, il fallait que la distension qui avait ouvert le rift fût suivie très rapidement par la compression qu'exige l'obduction, ce qui est contraire à tout ce qu'on sait des grands rythmes de l'évolution orogénique. Je rappelle que, dans la thèse de l'épanchement sur une zone ayant un socle métamorphique de type continental, la mise en place initiale, celle qui provoque le métamorphisme thermique, est contemporaine de la distension qui a ouvert le rift, tandis que la mise en place secondaire des nappes ophiolitiques, accompagnées d'autres nappes, soit sédimentaires, soit de socle, et ne provoquant pas de métamorphisme, est contemporaine de la phase (ou des phases) de compression majeure qui survient quelques dizaines de millions d'années après la phase de distension. C'est là le rythme normal de l'orogenèse.

L'intérêt pour les ophiolites a suscité de remarquables études, notamment en Oman (paradis des ophiolitomanes !), sur les roches du cortège ophiolitique, sur leurs relations réciproques, leurs déformations, leur rapport avec la lithosphère océanique (Juteau et White Church, 1989 ; Nicolas et Boudier, 1995). Mais le postulat de l'obduction a empêché d'intégrer le phénomène ophiolitique dans le cadre des phénomènes orogéniques. Il reste pourtant là bien des problèmes à résoudre. Ils se manifestent par exemple par la présence très fréquente - en Oman et ailleurs comme dans le Pinde - des blocs exotiques. J. Marcoux a abordé ce problème armé de sa grande connaissance des formations du système alpin, des Alpes Orientales au Tibet.

Retour au terrain : la zone pélagonienne et la zone broyée

1) Vue d'ensemble.

Après cet intermède théorique, je vais revenir aux études de terrain et aux découvertes qu'elles m'ont apporté. Je ne pourrai pas suivre un ordre strictement chronologique car les travaux en Grèce, en Turquie et en Iran, ainsi que les thèmes de recherches se sont enchevêtrés au cours des vingt années qui ont suivi ma soutenance de thèse. Après celle-ci, l'irrésistible attrait de l'inconnu m'a incité à aller plus loin vers l'Est, au-delà de la limite arbitraire que je m'étais fixée le long de la bordure occidentale de la zone pélagonienne. Poursuivant vers l'Est, je me suis limité à la grande inflexion d'arc transversal où sont conservées les formations mésozoïques. Elle représente la continuation vers le Nord-Est, par-delà le sillon mésohellénique, de la profonde inflexion d'axe dans laquelle se sont empilées les nappes du Pinde septentrional. Je rappelle que je l'ai appelée "détroit de Kozani" parce que divers indices montrent que sa subsidence relative est ancienne et s'est manifestée à plusieurs reprises, probablement dès la fin du Trias et la mise en place des ophiolites. Au Crétacé moyen, par exemple, de puissants conglomérats s'y sont accumulés. Leurs matériaux provenaient des régions en cours de surrection qui bordaient la dépression au Nord comme au Sud et où, encore aujourd'hui, les schistes cristallins affleurent largement. Celle du Sud, où le Paléozoïque s'élève à près de 2000 mètres dans les Hautes Piérias et est dominé par les calcaires de l'Olympe (2997 mètres), a été étudiée par I. Godfriaux ; celle du Nord, où le Paléozoïque culmine à 2800 mètres dans le Kaïmaktchalan et qui se prolonge vers l'Est par l'ensemble très complexe que Kossmat a appelé "zone du Vardar" ("zone de l'Axios" pour les géologues grecs), a été étudiée par J. Mercier (1966a, 1968).

Pour ma part, estimant la zone pélagonienne relativement simple, je m'étais axé, avec l'accord de l'Institut géologique d'Athènes, sur l'étude de sa bordure orientale - le flanc Est de la chaîne du Vermion - où il semblait y avoir un passage brutal et singulier à un domaine totalement différent. J'ai abordé cette région par l'Est en venant par le train jusqu'à la plaine de Macédoine. Entre celle-ci et la haute chaîne du Vermion, j'ai trouvé une région de collines boisées ou plantées de vergers comprenant trois villes charmantes et prospères, soit, du Sud au Nord : Verria, Naoussa et Edessa. Elles sont installées sur des plateaux de travertins qui dominent la plaine et ont été déposés par de fortes rivières qui sortent telles quelles de la haute chaîne calcaire du Vermion. La géologie est d'une complexité infernale et je l'ai appelée plus tard (1959 à 1960) la "bande (ou zone) broyée". J'ai consacré plusieurs campagnes à tenter de la tirer au clair sans y parvenir complètement, bien que j'en aie dressé la carte à 1/50 000 avec l'aide de mes élèves J. Braud, J. Didelot, J. P. Lemaître, D. Fourmaintraux et G. Campion. Néanmoins, cette zone s'est révélée du plus grand intérêt, comme on le verra plus loin.

Il y a une injustice inévitable dans les différences de difficultés auxquelles sont confrontées les études de terrain. Ainsi, lorsque j'atteignis les hauts sommets dénudés de la chaîne du Vermion qui s'étagent entre 1800 et un peu plus de 2000 mètres, il ne m'a fallu que quelques jours pour reconnaître et délimiter la "nappe du Haut-Vermion", Cette nappe, venant de l'Est, est composée essentiellement de conglomérats crétacés sans calcaires à Rudistes mais avec des calcaires cénomaniens noirs à petites Nérinées. Elle a été charriée, traînant à sa base des lambeaux de serpentines, pardessus le flysch maastrichtien, les calcaires à Rudistes et les conglomérats de la série crétacée pélagonienne. Celle-ci est transgressive à l'Albien-Cénomanien, soit (dans le Vermion) sur des formations continentales rouges provenant de l'érosion des ophiolites, soit directement sur ces dernières, parfois même sur les formations sous-jacentes, c'est-à-dire sur les calcaires et marbres pélagoniens, épais d'un millier de mètres. Ceux-ci reposent sur les schistes cristallins, comme nous l'avons vu en faisant la coupe du soubassement des ophiolites à l'extrémité méridionale du Vourinos. On voit que la sédimentation relativement néritique a prédominé dans la zone pélagonienne, malgré de longues périodes de subsidence lente qui n'a connu qu'une accélération pré-ophiolitique et marginale.

En dépit des nappes qui la surmontent, la structure d'ensemble de la zone pélagonienne est simple. Elle consiste en une vaste voûte anticlinale, large de près de quatre-vingt kilomètres, dont l'axe est effondré, ce qui a déterminé un long fossé NNW-SSE où se sont déposées des formations d'eau douce horizontales mio-pliocènes contenant les riches gisements de lignites de Ptolémaïs, surmontées par le Plio-Quatemaire. Au Sud d'un "isthme" où affleurent les terrains mésozoïques sur lesquels est installée la ville de Kozani, ce fossé s'élargit pour former le bassin pliocène de Servia limité au Sud par la faille de Servia, continuation de la flexure du Vounassa. Ce fossé sépare deux chaînes qui ont la même orientation : à l'Ouest, celle des monts Askion et du Vourinos, où les calcaires pélagoniens plongent vers le Sud-Ouest sous les ophiolites du Vourinos, sous des lambeaux plus ou moins importants qui se poursuivent jusqu'en Albanie, puis sous des restes de Crétacé et enfin sous les molasses du sillon méso-hellénique ; à l'Est, la chaîne du Vermion où les mêmes calcaires plongent d'abord modérément vers l'Est, surmontés par les ophiolites, la série crétacée et la nappe décrites plus haut, tandis que, vers le rebord de la chaîne, tout cet ensemble - et, nous le verrons, des restes d'autres nappes plus élevées -plonge de façon spectaculaire sous la bande broyée.

Cependant, par-delà cette simplicité apparente, la zone pélagonienne nous a permis de faire des découvertes de grande portée. Et d'abord celles qui concernent les ophiolites qui, bien que sub-pélagoniennes par leur origine, ont, comme je viens de l'indiquer, traversé toute cette zone, du moins dans le détroit de Kozani.

2) Les ophiolites pélagoniennes et leur logique horizontale.

J'ai montré, grâce à la coupe des ophiolites et de leur soubassement à l'extrémité méridionale du Vourinos (fig. 3), que le phénomène ophiolitique s'insère dans une logique orogénique et temporelle, c'est-à-dire qui s'inscrit dans une section verticale : subsidence lente du Permien à la fin du Trias puis plus rapide, début de l'ouverture du rift avec l'arrivée des pyroclastiques sous-marins et des laves, puis de l'énorme masse du magma ophiolitique qui s'est accumulée dans le Vourinos sur dix kilomètres d'épaisseur, cette sortie déclenchant une nouvelle subsidence qui a fait que les dépôts supra-ophiolitiques sont encore pélagiques : ce sont d'abord des radiolarites puis des calcaires pélagiques. Seule une légère discordance sans traces d'émersion nette précède la transgression crétacée. Or, la traversée d'Ouest en Est de la zone pélagonienne va nous montrer une autre logique, horizontale celle-là et non moins significative.


Fig.3 - Coupe à travers le massif du Vourinos le long du bord occidental de la zone pélagonienne, mettant en évidence la logique des événements ayant conduit à l'épanchement ophiolitique (d'après Brunn, 1956 ; Pichon et Brunn, 1985). Du Sud-Est au Nord-Ouest, on a : a) socle cristallin érodé ; b) conglomérat rouge et c) calcaire marneux jaune et rosé du Trias inférieur marquant le début de la subsidence ; d) 1000 mètres de calcaire néritique devenant pélagique à leur sommet (Norien), témoignant d'une longue subsidence s'accélérant à la fin du Trias ; e) tuffites schisteuses et laves (grands pillows de plus d'un mètre de diamètre, ce qui prouve que le rift était proche, sous l'actuelle molasse du sillon méso-hellénique) témoignant de la première ouverture du rift ; le métamorphisme s'intensifie en montant vers les péridotites de la base des ophiolites, passant des schistes verts à des amphibolites très cristallines mais bien litées avec quelques lits de brèches d'un à deux mètres d'épaisseur ; f) cortège ophiolitique, épais de dix kilomètres environ (réduit sur cette figure) comprenant la séquence complète : péridotites, gabbros lités, diorites quartziques, dolérites et laves ; g) couverture sédimentaire encore pélagique : radiolarites passant à des calcaires à Calpionelles témoignant de la subsidence accentuée par un effet de caldeira ; h) crétacé transgressif à partir de l'Albien, légèrement discordant, plongeant vers l'Ouest sous la molasse oligomiocène.

2a) Le Zygosti.

J'avais déjà traversé la chaîne des calcaires et marbres pélagoniens sur lesquels s'appuient les ophiolites du Vourinos grâce à une gorge étroite dite Vourilakkos. A l'amont, c'est-à-dire à l'Ouest, elle collecte deux des ravins qui suivent le contact de base des ophiolites. Les calcaires, en bancs minces avec des lits siliceux, y sont sub-verticaux, plongeant très fortement vers l'Ouest comme le contact de base des ophiolites et les niveaux schisteux. A l'aval, la gorge débouche sur une bande de péridotites serpentinisées, large d'un demi à deux kilomètres et longue de quinze kilomètres, orientée, comme la chaîne, NNW-SSE, au relief doux appelée Zygosti ("passage"). Sa limite avec les calcaires pélagoniens est une faille bien visible (thèse, pl.III, fig.3, montrant une chèvre glissant sur le miroir de faille) qui est l'homologue, décalé vers l'Ouest, de celle qui, plus au Nord, constitue la bordure occidentale du fossé mio-pliocène. Mais ici, l'effondrement est moindre - il dut cependant être de l'ordre de deux mille mètres - de sorte que c'est la base ultrabasique du toit de l'anticlinal qui se trouve ici à environ 800 mètres d'altitude. Du côté oriental, la bande ophiolitique est bordée et dominée par le chaînon essentiellement calcaire du Vigla. Il m'avait semblé très compliqué. De ce côté du Vourinos, tout était différent, tout était nouveau. J'y avais découvert des calcaires à Polypiers jurassiques surmontés d'une série crétacée beaucoup plus discordante que celle des collines de Krapa, à l'Ouest du Vourinos. Ses conglomérats de base moulent une topographie due à la tectonique infracrétacée et se poursuivent par des calcaires à Orbitolines, puis à Rudistes, Orbitoïdes, etc., passant à un flysch peu épais, partiellement conglomératique. Un épandage de conglomérats miocènes, d'aspect fluviatile, gêne souvent l'observation. En outre, d'autres formations comprenant des réapparitions insolites de serpentines qui se poursuivent vers le Nord-Est dans tout "l'isthme" de Kozani, me laissaient perplexe, comme je l'ai admis dans ma thèse. Plus de quinze ans plus tard, L. Faugères, géographe mais aussi géologue, auteur d'une très belle thèse sur la géomorphologie de la Macédoine occidentale (1975), et qui a dressé la carte géologique à 1/50 000 de la région de Kozani, a montré qu'il s'agissait là de lambeaux charriés sur le flysch et nous avons reconnu ensemble qu'on se trouve en présence de digitations extrêmes de la nappe du Haut Vermion qui se situent ainsi à quelque soixante-dix kilomètres de leur racine (Brunn, Faugères et Robert, 1970).

C'est le long du contact de ce chaînon de Vigla et des ophiolites du Zygosti que se situe l'erreur la plus grave de ma thèse. Ce contact est très encombré d'éboulis. J'ai cru pourtant avoir découvert et j'ai photographié (thèse, pl.III, fig.2) une langue de serpentines qui paraissait en parfaite continuité avec celle du Zygosti et qui reposait sur les calcaires jurassiques à Polypiers. J'ai cru ainsi avoir daté du Jurassique supérieur la mise en place des ophiolites et cette datation a été étendue à l'ensemble des ophiolites helléniques. Or c'est encore L. Faugères qui a reconnu que ces serpentines avaient été reconstituées à partir d'une portion des conglomérats miocènes comprenant exclusivement des galets de serpentine. On sait combien cette roche peut être friable et quasiment plastique. Effectivement, nous avons vu ensemble, les formes des galets apparaître peu à peu vers le haut et se mêler à des galets d'autres origines.

Un peu au Sud de cet endroit, nous avons découvert un petit affleurement n'ayant guère plus de dix mètres de large qui avait pu m'échapper lors de mon précédent passage, à moins que les éboulis n'aient été déblayés par les orages. Il montre (Brunn, Faugères et Robert, 1972) que la série ophiolitique, complète mais réduite, plonge sous les calcaires jurassiques. La coupe comprend ainsi, d'Ouest en Est : les péridotites (dont on ne voit pas la base à cause de la faille), de minimes traces de gabbros, des dolérites et des basaltes peu épais, quelques mètres de radiolarites passant - avec quelques traces de ravinement - à des calcaires bien lités, d'abord sans fossiles puis, environ dix mètres plus haut, la faune à Polypiers dont Lochmaeosmilia, qui n'est connu que du Jurassique moyen, enfin à deux cents mètres environ de calcaires contenant des Clypéines du Jurassique supérieur et au sommet, des Cladocoropsis et des Orbitolines de l'Aptien, sous le Crétacé discordant. La coupe est très claire et entraîne des conclusions importantes:

2b) Les ophiolites dans le Vermion.

J'ai donné plus haut un aperçu de la série autochtone du Vermion, la chaîne qui borde au Nord-Est la zone pélagonienne. Cette série comprend un liseré quasi continu de péridotites serpentinisées, épais de zéro à deux cents mètres environ, très visible, tout le long du versant ouest de la chaîne (Pichon, 1976). Elles reposent toujours au sommet des calcaires et marbres pélagoniens, par l'intermédiaire de quelques mètres de tuffites schisteuses. On peut donc dire comme au Vourinos, qu'elles sont concordantes sous les formations sous-jacentes qui étaient encore immergées à leur arrivée. Mais elles ont subi ici une émersion et une forte érosion anté-crétacée car elles sont recouvertes, sur quelques dizaines de kilomètres, du Nord au Sud de la chaîne, par des formations d'altération continentale rouges, ferrifères et légèrement nickellifères, sur lesquelles transgresse le Crétacé moyen.

Fort heureusement, au-dessus du village d'Agios Dimitrios, un synclinal transversal anté-crétacé, dont le bord septentrional est renversé, a conservé l'ensemble du cortège ophiolitique. On constate ainsi qu'il avait à peine trois cents mètres d'épaisseur et que les péridotites de sa base passent directement à des dolérites couronnées de basaltes. Cette disposition a déjà été notée à propos de la butte-témoin de Dastak-Lophos et elle rappelle celle du sill de Palissades, sur la rive droite de l'Hudson River, en face de New York, où l'on voit très bien les dolérites s'enrichir d'olivine vers le bas jusqu'à former une sole de péridotites.

Une dernière remarque s'impose, et son importance n'échappera à personne : les blocs exotiques et les percées du soubassement, si abondants et remarquables dans la nappe ophiolitique du Pinde, sont totalement absents dans les ophiolites de la zone pélagonienne. Tout concourt donc à démontrer que ces dernières sont encore dans leur emplacement relatif initial, à l'exception de quelques glissements de dysharmonie, et que leur mise en place n'a pas été tectonique mais tranquille : le magma issu du rift sub-pélagonien s'est accumulé dans les parties les plus subsidentes de ses marges, puis a débordé et s'est épanché sur la surface horizontale des sédiments telle une coulée de trapps ou de basaltes des plateaux sous-marins (Brunn, 1985)

2c) Les quasi-ophiolites du côté du Vardar (Axios).

La nappe du Haut Vermion est elle-même surmontée, vers sa racine orientale, par des fragments d'autres nappes et surtout, à l'extrémité nord de la chaîne, par celle qui constitue son dernier sommet dépassant 2 000 mètres et que J. Braud (1967) a nommée unité du "Kara Tass", d'après le nom turc de ce sommet, encore utilisé vers 1960. Il est aujourd'hui traduit en grec par "Mavrès Petrès", c'est-à-dire "Pierres Noires". Ce sont en effet des roches presque aussi sombres que les ophiolites, stratifiées comme elles mais différentes par leur chimisme, et qui ne sont jamais en contact direct avec les ophiolites d'origine sub-pélagonienne. Les péridotites, lorsqu'elles existent, sont réduites à une sole peu épaisse à la base du complexe. Celui-ci est constitué de gabbros puis de diorites quartziques dans lesquelles le quartz, qui peut constituer jusqu'à 40% de la roche, est automorphe alors qu'il est résiduel dans les diorites au sommet du cortège du Vourinos.

On retrouve la même série, mais plus complète, sur le versant septentrional de la montagne et notamment dans les profondes gorges, en partie infranchissables, de la rivière Livadidsa. Les diorites y sont surmontées non par des basaltes mais par des kératophyres quartziques contenant jusqu'à 72% de silice (Braud et Brunn, 1972), ce qui leur confère l'éclat gras caractéristique des roches riches en silice. L'abondance et la variété de brèches très dures témoignent de l'importance des volatils dans le magma originel.

On retrouve des roches analogues beaucoup plus à l'Est, dans la vallée et dans les gorges du Vardar (Axios), notamment à Guevguéli où elles sont surmontées de calcaires à faune du Jurassique supérieur (Kossmat, 1924 ; Mercier, 1968). Dans le Vermion elles sont recouvertes par des calcaires lités (et non conglomératiques comme dans la zone pelagonienne), au sommet desquels, sous un flysch peu épais, J. Braud a trouvé une microfaune semi-pélagique du Crétacé supérieur.

Les différences entre ces "quasi-ophiolites" et celles qui ont une origine sub-pélagonienne démontrent encore une fois que toutes ces roches ont bien une origine locale et sont liées à des zones particulières de la future chaîne plissée, alors qu'elle était encore un système d'arcs insulaires (cf. Bebien et al. 1980).

3) Le métamorphisme pélagonien.

La série sédimentaire pelagonienne antérieure au Crétacé est affectée par un métamorphisme assez général, mais d'intensité variable (d'où l'expression "calcaires et marbres pélagoniens"), qui m'a toujours intrigué. J'ai été tenté de l'attribuer à la superposition des ophiolites mais ai dû abandonner cette explication car il n'est pas inversé, comme au Sud du Vourinos, c'est-à-dire qu'il ne diminue nullement vers le bas. En revanche, on observe des variations géographiques : il est faible sur la retombée occidentale de l'anticlinal pélagonien au point, nous l'avons vu, que les microfaunes sont conservées. Au contraire, à partir du Nord-Est des monts Askion et surtout dans le Vermion, les calcaires pélagoniens sont recristallisés sur toute leur épaisseur. Il y a des interlits schisteux et le passage aux schistes sous-jacents n'est pas net. J. Mercier a attiré mon attention sur de longs microplis épais de quelques millimètres à l'intérieur des bancs. Nous avons beaucoup discuté de ces microstructures. Ce qui est certain, c'est que la calcite a subi une quasi-fusion et a flué à l'intérieur des bancs. Il n'est donc pas surprenant qu'on n'y trouve plus aucune trace de fossile. Par endroits, les calcaires sont devenus de beaux marbres qui sont exploités.

Or, à la différence du flanc occidental de l'anticlinal pélagonien, où le Crétacé est faiblement discordant et directement transgressif sur la couverture pélagique des ophiolites, on se souvient que dans le Vermion, les marbres pélagoniens sont surmontés par des restes de serpentines et par des formations continentales rouges, ferrifères et un peu nickellifères, qui attestent de l'émersion antérieure au Crétacé. Celui-ci, qui est transgressif, est, par endroits totalement recristallisé, mais il est indemne du métamorphisme général qui a affecté les calcaires-marbres sous-jacents. Ce métamorphisme général est donc incontestablement anté-crétacé. Il est plus intense là où il y a eu soulèvement, émersion sans plissement (accumulation sur place des produits d'altération), que sur la retombée occidentale de l'anticlinal pélagonien, et il est nul dans la zone du Pinde, qui était très subsidente, comme dans toutes les zones externes qui étaient restées immuablement immergées. Il paraissait donc lié au grand bombement qui avait affecté la zone pelagonienne - déjà relativement haute - lors de la phase du Crétacé inférieur. Ces constatations étaient plutôt troublantes à une époque où on ramenait aux géosynclinaux tous les phénomènes minéralogiques ou magmatiques particuliers aux chaînes plissées. Ce fut néanmoins l'amorce de réflexions qui ne se précisèrent qu'après ma première campagne en Turquie, concernant les rapports entre les surrections actives - c'est-à-dire provoquées par des compressions tangentielles sur une lithosphère relativement rigide - et la libération d'énergie à partir du manteau lorsque celui-ci est décomprimé (Brunn, 1961a, 1981b).

La zone pélagonienne a subi deux autres phases de surrection. La première eut lieu au cours de l'Eocène. Elle s'est traduite par le dépôt du flysch du Pinde, épais et en partie conglomératique, avec galets de Pélagonien. Elle a donné lieu à un métamorphisme qui a localement atteint le Crétacé. Nous verrons qu'elle préluda au décollement de la nappe de socle pélagonienne. La seconde eut lieu à l'Aquitanien. Elle s'est traduite par un dépôt de trois mille mètres de grès et de conglomérats dans le sillon méso-hellénique. Ce fut un anticlinal de nappe sans effet sur la lithosphère. Il s'affaissa au Burdigalien, d'où le dépôt des calcaires d'Ogria dans le même sillon puis l'effondrement du fossé miocène de Ptolémaïs.

On observe un métamorphisme différent et beaucoup plus récent sur lequel J. Mercier (1966b) avait également attiré l'attention. Il est limité au flanc oriental de la chaîne du Vermion, c'est-à-dire aux abords du grand pli en genou qui fait plonger vers l'Est toutes les unités pélagoniennes, tant l'autochtone relatif que les nappes et fragments de nappes qui le surmontent. Le flysch pélagonien peu épais, d'âge crétacé terminal, qui apparaît ici en fenêtres et qui, dans la demi-fenêtre d'Ano Séli (Fourmaintraux, 1966), est transformé en schistes. J. Braud (1967) y a reconnu une paragenèse de moyenne pression avec, notamment, du stilpnomélane. On observe par endroits un étirement intense des conglomérats de la nappe du Haut Vermion. J. Braud fut donc conduit à admettre que celle-ci avait été surmontée sur une courte distance par un empilement puissant d'unités provenant de la zone broyée qui a, à certains égards, l'allure de ce qu'on a coutume d'appeler une "zone de racine". On voit d'ailleurs l'amorce de ce charriage sur la rive gauche de la profonde gorge de l'Aliakmon avant son débouché dans la plaine de Macédoine. J'ai ainsi pu constater que c'est la zone antérieurement broyée qui est charriée.

4) La fenêtre de l'Olympe : la nappe de socle pélagonienne.

Ma deuxième grande surprise après la découverte du cortège ophiolitique, me vint d'I. Godfriaux lorsqu'il m'annonça par lettre que les calcaires de l'Olympe qui dominent d'un millier de mètres les schistes cristallins pélagoniens, plongent en réalité sous ceux-ci. Un peu incrédule, je le rejoignis sur le littoral de la mer Egée qui est ourlée d'une bande de schistes et de lambeaux de la zone broyée. Au-delà de cette bande, nous gravîmes les pentes raides du versant oriental de l'Olympe, dans des calcaires très redressés, pour atteindre, juste sous 3 000 mètres, les trois pics dont j'avais maintes fois, des hauteurs du Pinde, aperçu la silhouette mais toujours comme une vision éphémère au lever du soleil.

Sans trop nous attarder à la splendeur de la mer et de la montagne, nous descendîmes le flanc ouest aux pentes douces, plus douces que le pendage. Nous remontions ainsi dans les calcaires dont I. Godfriaux montra (1962, 1968) qu'ils forment une série continue du Trias au Lutétien, passant alors à un flysch éocène supérieur légèrement métamorphique. Cette séquence est semblable à celle de la zone du Tymphé (donc du Gavrovo) dont on se souvient qu'elle est nécessairement sous-jacente, au Nord-Est de l'immense faille frontale du Tymphé, aux nappes du Pinde et des ophiolites.

Quand nous fûmes parvenus au contact, le doute n'était plus possible : la série de l'Olympe plonge vers l'Ouest sous une puissante masse de schistes cristallins, les mêmes qui forment le soubassement des séries mésozoïques du Vermion, des Monts Askion et du Vourinos. L'Olympe est donc bien une fenêtre perçant, grâce à son pli en genou très accusé, une vaste nappe de socle venue de l'Est à la fin de l'Eocène, la nappe pélagonienne portant sur son dos sa propre série mésozoïque, ainsi que la nappe du Haut Vermion et autres mises en place à la fin du Crétacé. Décollant - enfin! - le reste du rift ophiolitique de sa racine dans le manteau, elle avait poussé devant elle la nappe ophiolitique et celle du Pinde. Cette poussée de la zone pélagonienne m'était depuis longtemps apparue comme une nécessité (Brunn, 1948, 1956) mais, croyant que les vastes étendues de schistes cristallins et même de granites qui affleurent au Nord comme au Sud de la chaîne Askion-Vourinos-Vounassa étaient vraiment le socle, je l'interprétai comme une dérive lithosphérique et non comme une nappe décollée.

Nous avions donc dans notre chaîne une nappe de socle comme dans toutes les grandes chaînes du Globe, de l'Himalaya aux Alpes, de même qu'en Ecosse et en Norvège où, en 1880, eurent lieu les premières découvertes de nappes, tant il était extraordinaire de voir de vieilles roches cristallines surmonter des séries sédimentaires. Cette singularité, nous avons dû l'accepter, nous aussi, puisque les faits étaient incontestables.

Cependant, j'en pressentai une explication que je n'ai formulée avec précision qu'en 1980 et surtout en 1983, en m'appuyant sur les expériences de Kushiro et de Ringwood sur le rôle de l'eau dans la fusion des minéraux. Elle est fondée sur le lien entre le métamorphisme thermique et la surrection active de la lithosphère provoquée par des contraintes tangentielles, tel que je l'avais énoncé dans mes notes de 1961 publiées avant la découverte de la nappe pélagonienne. En effet, le déclenchement de toute nappe exige la surrection préalable et sous contrainte tangentielle de la partie qui sera charriée, généralement accompagnée de la subsidence (également forcée) de l'avant-pays, où se dépose soit un flysch soit une molasse, selon l'étape de la tectogenèse. Dans le cas d'une nappe de socle, cette surrection est lithosphérique et soulage donc l'asthénosphère d'une partie de la pression lithostatique. La décompression déclenche la séparation des volatils dissous dans la partie magmatique (admise sur des données géophysiques) de l'asthénosphère, leur montée en bulles, d'où un apport de solvants et de chaleur convective à la lithosphère qui commence à fondre, à devenir plastique. J'ai vu, avec J. Mercier, de très beaux exemples de plastifications de roches diverses dans la vallée de Kouru Déré en Macédoine centrale). Quand le front de fusion atteint le plan potentiel de cisaillement dû aux contraintes tangentielles, la nappe de socle se décolle et progresse vers son avant-pays. Une preuve de ce processus a été apportée par l'étude du métamorphisme dans l'Olympe (I. Godfriaux et L.-E. Ricou, 1991) : le métamorphisme va en se réduisant vers le bas comme vers le haut, à partir du plan de charriage. Son gradient est donc inverse dans la série de l'Olympe, soubassement de la nappe, ce qui signifie que cette dernière était chaude lorsqu'elle s'est mise en place. Ce phénomène a été constaté dans d'autres nappes du même type, et notamment dans l'Himalaya (P. Le Fort, 1975).

D'autres fenêtres ont été découvertes, notamment dans le massif de l'Ossa, au Sud de l'Olympe. Dans ma communication au Colloque d'Athènes de 1977 sur la géologie des régions égéennes, j'ai montré qu'on suit cette nappe longitudinalement depuis l'accident transversal Skutari-Petch au Nord jusqu'à l'Eubée moyenne au Sud. Elle définit, avec les nappes ophiolitiques qui sont au devant d'elle, ce que Kober avait appelé les Hellénides et moi-même leurs zones internes, sans soupçonner qu'il s'agit d'une unité étrangère venue de l'Est et charriée par-dessus les Dinarides qui disparaissent au niveau de Petch pour reparaître, à partir de la vallée d'Achladéri, dans l'Eubée méridionale.

5) La zone broyée et le grand coulissement.

Le plongement de la zone pélagonienne et de ses nappes sous la zone broyée est particulièrement majestueux au-dessus de la résurgence de la rivière de Naoussa comme on peut le voir de profil en suivant la route qui monte de cette ville au village de Séli. Cette route en lacets donne aussi des aperçus sur la zone broyée elle-même, et, mieux encore, la route qui va de Véria à Séli. On y voit des serpentines, souvent réduites à une poudre bleu clair, quelques paquets de conglomérats exclusivement serpentineux, des formations rouges, anciennes altérites ou radiolarites, des dolérites ou des schistes noirs ou gris (anciens flyschs?), des calcaires plutôt fins - lutites à calcarénites - touchés par un léger métamorphisme (d'où, sans doute, l'absence de microfaune), enfin des brèches très variées, localisées en pitons, dont certaines sont exploitées pour donner des marbres dignes des colonnes de Sainte-Sophie. Les étendues dénudées ont un aspect bariolé qui justifie le nom de "coloured mélange" donné par A. Gansser (1959) à ce type de formation que l'on suit tout le long de la chaîne jusqu'à l'Himalaya. Certaines unités ont des dimensions hectométriques ou kilométriques, surtout dans le Nord où la zone atteint dix kilomètres de large et où J. Braud (1967) en a dénombré une douzaine, toutes différentes et ayant, de toute évidence, subi des déplacements importants. En bordure de la plaine, des formations plus cohérentes, bien qu'encore variées, comportent du Crétacé supérieur fossilifère et ont donné naissance à une rangée de collines.

La zone broyée n'est pas limitée au pied du Vermion. On la retrouve au Sud de l'Aliakmon où elle constitue les basses Piérias, étudiées par I. Godfriaux et qui reposent sur le Crétacé parautochtone. Plus loin, on en trouve des affleurements isolés tout le long du rivage sub-rectiligne de la mer Egée, au pied de l'Olympe, de l'Ossa et du Pélion mais elles y reposent non sur les calcaires mésozoïques, mais sur les schistes cristallins pélagoniens ; le plan de contact plonge toujours fortement vers l'Est et a le caractère d'un plan de charriage ultérieurement redressé. J'ai indiqué qu'on en voit une avancée de l'ordre du kilomètre au débouché de l'Aliakmon dans la plaine et que c'est le mélange déjà broyé qui a été charrié. Vers le Nord, on le trouve au pied du Kaïmaktchalan dans la région étudiée par J. Mercier (1966a, 1969). On la suit, toujours rectiligne, jusqu'au Kosovo oriental et, plus loin encore, toujours dans la même direction, elle se prolonge par une zone de structures complexes jusqu'à la latitude de Belgrade.

Nous avons beaucoup cherché, les uns et les autres, à dégager la genèse et la signification de cette zone broyée. Certes il y a eu charriage, mais il est postérieur au broyage. Celui-ci est même antérieur au Crétacé supérieur qui est moins atteint. L'étude des traces de glissements et autres figures tectoniques nous a conduit à la conclusion qu'il a résulté de grands glissements longitudinaux dextres et répétés depuis le Crétacé inférieur. Nous y avons vu la trace de la grande translation des Dinarides (du "bélier dinarique" comme l'avait appelé Pierre Termier en 1906) qui avait d'abord embouti puis largement chevauché les Alpes orientales. Il y a une difficulté du fait du déplacement de la nappe de socle pélagonienne. Mais le Système alpin n'avait certainement pas au départ, la forme qu'il a aujourd'hui. Ce n'est qu'après ma première campagne en Turquie que j'ai commencé à envisager ces changements dans le dessin de la chaîne.

L'Asie alpine occidentale

1. La genèse des arcs.

J'ai abordé la Turquie en 1959, ayant participé aux côtés de L. Dubertret et à l'invitation du M.T.A. (Service géologique turc) au lever de la carte géologique à 1/500 000 de la Turquie. Nous avons été chargés des feuilles situées au Sud-Ouest de ce pays et couvrant donc une grande partie de l'extrémité occidentale de la chaîne taurique et de son arrière-pays. J'y trouvai, en quelque sorte, le prolongement de la chaîne dinaro-hellénique en passant par l'arc égéen, mais avec des modalités tectoniques différentes.

Mon attention a été attirée par une zone très disloquée, située à l'arrière (au Nord-Ouest) du massif cristallin du Menderès que C. Renz (1940) avait assimilé aux Pélagonides. Elle présente des ophiolites et des mélanges parfois comparables à ceux que j'avais vus dans la zone broyée en Grèce. Elle est rectiligne et on la suit de la région d'Izmir, vers le Nord-Est, jusqu'à celle de Bursa (Brousse). Elle oblique alors vers l'Est pour rejoindre le célèbre "Ankara Mélange". Etant donnée sa situation, j'y ai vu le prolongement de la zone broyée de Grèce, donc la trace de grands coulissements dextres antérieurs à la formation (éocène) de l'arc égéen. Au Nord de cette zone et un peu au Nord de la route d'Ankara à Istanbul, j'ai traversé une autre zone disloquée mais beaucoup moins large (de l'ordre du kilomètre) qui est la trace de la grande faille nord-anatolienne. Cette faille est encore fonctionnelle et elle joue en coulissements dextres comme l'ont montré les déplacements latéraux plurimétriques provoqués par des séismes récents (1939,1953...) qui ont jalonné son parcours.

L'Anatolie s'était donc systématiquement avancée vers l'Ouest. J'ai vu dans ce mouvement la cause probable de la formation de l'arc égéen (fig.4), comme une badine se courbe lorsque l'on presse sur ses deux extrémités. En même temps la corde de l'arc se raccourcissait, ce qui se traduisait par le grand charriage du bélier pélagonien suivi du charriage serbo-macédonien et d'autres structures dans le Rhodope. Il m'a semblé même qu'il y avait dans ces mouvements longitudinaux qui n'étaient guère pris en compte par la tectonique traditionnelle, notamment en ce qui concernait l'affrontement Afrique (Gondwana) - Eurasie, une explication possible des extraordinaires sinuosités du Système alpin. J'ai esquissé cette hypothèse dans une publication dès 1960. Elle portait sur les zones helléniques internes et leurs prolongements en Turquie, mais les conclusions s'étendaient au Système alpin, de l'Anatolie aux Alpes occidentales. Je tentais d'y montrer comment le raccourcissement longitudinal avait pu déterminer la formation d'arcs affectant de façon différente et relativement indépendante les deux branches, alpidique et dinaro-taurique, du Système alpin ; et comment les charriages étaient généralement divergents sur le pourtour des arcs (Carpates, arc égéen), mais pouvaient devenir convergents quand l'arc se fermait, comme c'est le cas de part et d'autre de l'Adriatique. Il y avait aussi des emboutissements, tel celui qui a pu créer l'arc rentrant du Banat (Carpates du Sud - chaîne du Balkan) par suite de glissements dextres au Sud de la plate-forme russe et de la Sibérie, dont l'exemple le plus connu est la faille de Douchanbé.

Il ne s'agissait que d'un modèle encore beaucoup trop simple, mais il a été une source d'inspiration pour la suite et je ne crains pas de dire qu'il a été largement vérifié.


Fig.4 - Genèse des arcs induits égéen (AE) et taurique (T) (extrait de Brunn, 1980,

Livre Jubilaire du Cent cinquantenaire 1830-1980 de la Société géologique de France).

Grosses flèches : mouvements des plaques ; petites flèches : expansion des arcs ; FZ : faille du Zagros interne ; FEA : faille est-anatolienne ; FNA : faille nord-anatolienne ; CS : arc calabro-sicilien ; A : plaque arabique.

2. Les effets de la surrection.

Nos feuilles incluaient le massif du Menderès. C'est un énorme anticlinal amygdaloïde de cent cinquante kilomètres de large du Sud-Est au Nord-Ouest, long de deux cent cinquante kilomètres du Sud-Ouest au Nord-Est. Il comprend un coeur de gneiss et de granites, une enveloppe de schistes et une couverture de calcaires en série continue du Trias au Paléocène (Poisson in Gutnic et al., 1979). Les schistes et les calcaires plongent à 45° vers le Sud-Est et presque à la verticale vers le Nord-Ouest. Ils sont recouverts de molasses oligo-miocènes qui plongent dans le même sens mais moins fortement. Elles sont marines au Sud-Est et lagunaires (gypse) au Nord-Ouest, ce qui prouve que l'anticlinal avait émergé. Entre le Paléocène et l'Oligocène, cet ensemble avait reçu une nappe ophiolitique originaire du Nord-Ouest dont l'érosion avait nourri l'énorme conglomérat de base de la molasse .

La série calcaire a subi un métamorphisme assez semblable à celui des marbres pélagoniens (marbres, chlorites, micas, émeri). Il décroît vers le Sud-Est, bien que les calcaires y soient encore surmontés de la nappe ophiolitique. Il paraît donc lié à la formation de l'anticlinal. Au coeur de l'anticlinal, la surface des vieilles formations est parsemée ou recouverte de tuffites ou d'ignimbrites témoignant d'un volcanisme récent. En outre, j'avais noté la présence de granites circonscrits dont la fraîcheur, contrastant avec l'aspect des gneiss et des granites anciens, suggérait une origine récente. Ces approximations ont été confirmées récemment par la radio-chronologie tant sur les tuffites (Bellon et al., 1979) que sur les granites (Seyitoglu et al., 1992). Les seconds se sont révélés d'âge miocène inférieur, comme ceux des Cyclades.

Ces observations confortaient les intuitions que j'avais eues au sujet de la zone pélagonienne. Aussi, après maintes lectures sur les granites, ai-je publié en 1961 les deux notes déjà mentionnées à propos de la zone et de la nappe pélagoniennes. J'ajouterai que l'une s'intitulait Origine et localisation de l'énergie de granitisation. J'y développais l'idée des relations entre les surrections et les transferts vers la lithosphère et la surface de l'énergie provenant du Manteau. L'autre, Les sutures ophiolitiques (première utilisation de ce terme, aujourd'hui dans le domaine public), s'appuyait sur les Hellénides pour aborder le problème des relations entre la tectonique - distensive ou compressive - et le magmatisme, basique ou acide. François Ellenberger (1976) a également attiré l'attention sur les rapports entre les mouvements verticaux de la lithosphère et les flux géothermiques.

3. Pause-enseignement.

Les quelques années qui ont suivi ont été consacrées à mon enseignement et à mon nouveau laboratoire car j'avais été nommé en 1962 professeur de Géologie historique à Orsay. Avant même d'avoir commencé mes cours, je fis un voyage au Pays de Galles. J'y visitai les terres classiques du Paléozoïque dont je n'avais que de lointains souvenirs. Je vis le superbe flysch et les serpentines du Précambrien d'Anglesey (preuve que l'histoire se répète), puis le Cambrien et toute la série jusqu'aux Vieux Grès Rouges et au Carbonifère. Ensuite, le long de la côte Sud, les Nouveaux Grès Rouges et tout le Mésozoïque de plate-forme. Ce fut nouveau et inspirant. Enseigner le fut aussi : esquisser les grandes structures du Globe à l'occasion du Précambrien, analyser et décrire l'histoire complète des deux chaînes, calédonienne et hercynienne, leurs mouvements précurseurs affectant une plate-forme continentale devenue singulièrement fragile et mobile, leurs paroxysmes tectoniques et volcaniques associés à une végétation foisonnante, enfin leurs derniers sursauts et leur mort, enfouies sous un linceul de terre rouge, leur transformation en plate-forme partiellement plus résistante qu'au départ, mais partiellement aussi reprise par la chaîne suivante.

Analysant les structures tardives de la chaîne hercynienne, je distinguais du Nord au Sud, la plate-forme épicalédonienne, le sillon molassique frontal (houiller franco-belge), médian (Sarre), les bassins limniques internes, tardifs (stéphaniens), le sillon molassique arrière, précoce, débutant au Namurien, ou au Wesphalien A : Briançonnais et ses homologues en Suisse, dans les Tatras, le Balkan interne, Zonguldac, au Nord de la Turquie. Non loin au Sud de ces bassins d'eau douce se trouvait le domaine mésogéen dinaro-taurique et marin. Entre les deux s'élevait nécessairement une crête émergée, encore hercynienne qui fut, comme la zone précédente, reprise dans le Système alpin. Je l'ai appelée "rameau médian" et ai montré (1967) qu'elle est restée un haut-fond, porté à glisser en nappes rigides : Dent Blanche (avec sa couverture néritique du Mt Dolin), Austro-Alpin moyen de Tollmann (Silvretta - Oetzthal avec couverture comprenant des évaporites) et Véporides d'Andrusov (1963) dans les Carpates. Les nappes supérieures sont dinariques, externes dans les Alpes orientales, internes, avec ophiolites, dans les Carpates. Les premières nappes datent du Crétacé inférieur (comme me l'avait montré L. Kober en 1948), époque de la première phase importante dans les Hellénides. Tout l'ensemble carpato-pannonien est charrié, comme le montre la présence du Lias détritique à lits de charbon, faciès ultra-helvétique, dans le massif de Mecsek au coeur du bassin pannonien (Brunn, 1967).

4. Structures et forme de la chaîne.

C'est stimulé par ces synthèses que j'ai entrepris de revenir dans cette Turquie qui m'avait séduit, tant par ses vastes espaces ondulants qui évoquent déjà l'Asie centrale, que par l'ampleur des problèmes que j'y pressentais. Cela s'est fait peu à peu mais il serait trop long d'en conter le détail. Il y eut des négociations satisfaisantes avec le M.T.A. et la création de l'Equipe de Recherche "Asie alpine occidentale" associée au C.N.R.S auprès duquel j'avais fait valoir que la Turquie présente l'ensemble du Système alpin, de l'Eurasie à la plate-forme africaine, étalé sur huit cents kilomètres avec un minimum d'empilements de nappes. Entraînés par L.-E. Ricou, nous nous sommes installés dans des conditions analogues en Iran, plus précisément dans le Zagros interne qui avait été laissé de côté par les pétroliers. Ainsi, peu à peu, nous avons placé douze thèses de Doctorat d'Etat et sept de Troisième Cycle en des endroits stratégiques le long de la chaîne. Toutes s'appuyaient sur de solides études stratigraphiques. Nous avons commencé en bordure de la mer Egée avec la thèse de Perre-Charles de Graciansky dans l'espoir d'un raccord avec la Grèce. Puis nous nous sommes concentrés sur un point nodal important, l'angle (rentrant) d'Isparta avec, sur son côté occidental les thèses d'A. Poisson, J. Marcoux (et, pour un temps, de R. Lefèvre) ; sur son côté oriental celle de M. Gutnic et O. Monod, ainsi que les thèses de Troisième Cycle de J.-F. Dumont, Ch. Martin, N. Akbulut, S. Gôkdeniz, S. Ôver, et, plus loin au Nord, M. Servais (cf. Brunn et al., 1970). Très loin à l'Est, dans les plis bordiers turcs, il y eut aussi celle de M. Fontaine, jalon vers l'Iran ; dans les Pontides, le long de la Mer Noire, d'Est en Ouest, les thèses d'H. Bergougnan et Cl. Fourquin ; enfin, dans le Zagros, du Sud au Nord, les thèses de L.-E. Ricou, M. Taraz, de J. Braud et de Dj. Eftekhar-Nejad. En outre, I. Argyriadis a étudié le Carbonifère supérieur et le Permien mésogéen, de même que J. Marcoux s'est spécialisé dans le Trias, des Alpes orientales au Tibet.

Dans les Pontides, nous avons eu des difficultés dues à la complexité de la chaîne, à son morcellement, car elle est en grande partie recouverte de matériaux volcaniques, et à l'isolement des chercheurs (d'où un retrait). Néanmoins, grâce aux travaux d'H. Bergougnan (1975, 1976, 1986), de Cl. Fourquin (1975), ainsi qu'à leur étroite collaboration malgré la distance de leurs terrains (Bergougnan et Fourquin, 1980), nous avons obtenu bien des renseignements intéressants. Nous avons effectivement reconnu une série de type européen, avec un Houiller proche du Briançonnais, un Permo-Trias rouge (sans Werfénien), un Lias sombre, marin mais avec des passées houillères (faciès de Gresten - ultra-helvétique - ou de Shemshak en Iran) qui sont discordantes et parfois des roches volcaniques. Ces formations appartenant au Lias ou au Dogger cachètent parfois des mouvements importants, charriages et mélanges tectoniques. Le Jurassique supérieur à Ammonites a justifié plusieurs visites de R. Enay de Lyon. Il y a des indices de mouvements du Crétacé inférieur (conglomérats et olistostromes cénomaniens). Le Crétacé supérieur est souvent encombré de matériaux volcano-clastiques qui constituent une grande partie des montagnes qui bordent la mer Noire (d'où son nom). Il en est de même du Cénozoïque, à divers niveaux, et on les suit, à travers l'Iran, etc., jusqu'en Indonésie. Cela contredit l'idée qui fut parfois émise selon laquelle le Système alpin ne serait pas volcanique !

Dans les Taurides et les Zagrides, nous avons trouvé des chaînes très cohérentes, bien que loin d'être monotones. L'aspect général est marqué par l'abondance de calcaires. C'est ainsi que, ayant atteint, avec H. Bergougnan, un col dans les Pontides et ayant aperçu soudain, à quelque distance, une grosse montagne, presque blanche, je me suis écrié : "Tiens, voilà les Taurides !". C'était le Monzur Dagh, un des jalons septentrionaux des Taurides orientales.

Un élément de cohérence particulièrement remarquable est la présence assez constante d'une zone à radiolarites de type pindique. En Turquie, on l'appelle, depuis Blumenthal, la "zone des radiolarites" (cf. Marcoux, 1976). Elle se poursuit dans les Taurides orientales et je l'ai vue dans le Petit Caucase arménien. Nous l'avons retrouvée dans le Zagros interne à la frontière irano-irakienne, puis dans la région de Kermanshah étudiée par J. Braud, où l'on peut voir de grandes falaises de radiolarites pures. On la retrouve au Sud du Zagros dans la région de Neyriz étudiée par L.-E. Ricou qui l'a appelée "zone de Pichakun" (Ricou, 1971b, 1976). Elle y est bien développée, de sorte que l'on peut voir, comme dans le Pinde, que les radiolarites y sont de plus en plus interstratifiées de calcaires vers l'extérieur (vers la plate-forme arabique) tandis que, vers l'intérieur, les niveaux calcaires reparaissent mais sont plutôt bréchiques, parfois à gros éléments. Cela démontre, je l'ai déjà indiqué, qu'il s'agissait d'un chenal sous-marin et non d'un océan. La zone des radiolarites est toujours associée, du côté interne, aux ophiolites. J'en ai discuté à propos du Pinde et du Zygosti, mais cette association garde une part de mystère. Autre constante : les radiolarites et les ophiolites sont toujours charriées vers l'extérieur, vers la plaque arabique. Leur chenal (ou leurs chenaux) a été fermé et son tréfonds englouti dans le manteau - subducté ? - tandis que son contenu a été éjecté par dessus des dépôts flyschoïdes accumulés dans un nouveau sillon de la plate-forme. Cette disposition a quelque chose de fondamental. En effet, je l'ai retrouvée en Californie (Brunn, 1979b). Dans la chaîne côtière, au Nord de San Francisco, la formation franciscaine est pélagique avec des radiolarites, comme celle du Pinde. Elle est écaillée et charriée vers l'Ouest par des ophiolites. Cet ensemble plonge vers l'Est sous la molasse de la Great Valley. Celle-ci est étonnamment semblable, bien que plus ancienne, à celle du sillon méso-hellénique. Comme celle-ci, elle présente un pendage régulier vers l'Est où se dresse le batholite de la Sierra Nevada qui a subi de nombreuses surrections ayant alimenté la molasse, et qui fut ultérieurement charrié vers l'Ouest comme la zone pélagonienne.

Une partie des ophiolites a, comme dans le Vourinos, conservé sa place relative : c'est près de Neyriz que j'ai découvert avec L.-E. Ricou, le superbe contact thermique péridotites (harzburgites) et calcaires de plate-forme de Tan e Ana (Ricou, 1971a). Nous l'avons revisité l'année suivante avec A. Gansser et J. Stöcklin, alors directeur du Geological Survey of Iran. J'ajouterai qu'une branche d'ophiolites traverse l'Iran central du Sud-Ouest au Nord-Est en direction de Mashad. Tout cela démontre encore l'origine relativement locale des ophiolites, compte tenu des nappes tardives.

Ces zones quasi continues se suivent tout au long de la chaîne comme un ruban, épousant ses arcs, sur près de quatre mille kilomètres et même le double, car on retrouve les zones de type pindique à Karpathos et en Crète (zone de l'Etia), au Péloponnèse, puis, au-delà du Pinde, en Albanie (Tsoukali), au Monténégro (Budva), en Italie du Sud entre Bari et Naples (Lago Negro). Cette continuité dément radicalement les tentatives d'interprétation du Système alpin en plaques et microplaques, telles que celles de Dewey et al. (1973).

Nous avons trouvé de plus grandes différences sur cinquante kilomètres, entre les deux côtés de l'angle d'Isparta que sur huit cents kilomètres entre les deux extrémités du Zagros subrectiligne. Les deux côtés de l'angle présentent une géologie extraordinairement compliquée et il faut rendre hommage à ceux qui se sont acharnés à la tirer au clair, et surtout à Gutnic, qui nous a prématurément quittés, Monod, Poisson et Marcoux, qui a encore beaucoup à publier. On y trouve partout des séries parautochtones de plates-formes (marge africaine). On connaît celle de l'arc taurique à partir du Cambro-Ordovicien fossilifère, étudié par O. Monod et le Pr. Dean, de Cardiff, qui s'est déplacé à plusieurs reprises et a mis en évidence les affinités -faunes et faciès - avec les séries classiques de l'Europe (un jalon qui confirme la justesse des observations, si contestées en leur temps, de Deprat en Indochine). Pour la suite, et jusqu'au Maastrichtien, on peut souligner soit les similitudes entre les deux arcs, soit les différences - secondaires à mon sens -, selon la synthèse vers laquelle on tend.

A partir du Maastrichtien, ces domaines externes sont, dans les deux arcs, envahis par des formations allochtones très variées issues du coeur de l'orogène téthysien situé au Nord. Outre les ophiolites proprement dites, il y a de grosses accumulations de pillow-lavas parfaitement datées du Trias moyen-supérieur par des interlits fossilifères (Marcoux, 1970). Des laves sous-marines se trouvent également dans le Lias (Gutnic in Gutnic et al., 1979). Les radiolarites sont toujours présentes, mais il existe également des tuffites très fines qui leur ressemblent (série d'Uglu, Monod, in Gutnic et al., 1979). Certaines unités sédimentaires sont remarquablement condensées, telle que celle du Boyali Tèpè (colline colorée, série souvent renversée) ou du Gôk Gôl dans l'arc taurique (Monod, ibid.) ou celles du Domuz Dagh dans l'arc égéen (Poisson, ibid.). Des olistostromes parfois énormes illustrent la violence de ces mises en place. On ne peut reconstituer la disposition initiale de ces formations, car elles ont toutes subi des déplacements répétés, souvent sans doute par gravité, parfois avec un renversement à l'arrivée. Je ne mentionne que pour mémoire les nappes d'Antalya, découvertes par R. Lefèvre (1967), à dominante ophiolitique, qui se trouvent en position très externe au bord du golfe du même nom, car elles ont donné lieu à une discussion qui n'est pas close entre ceux (Ricou et al., 1974) qui leur assignent une origine interne et ceux (Monod et al., 1974 ; Monod et Poisson, in Gutnic et al., 1979) qui estiment qu'elles n'ont pu traverser des bassins où la sédimentation est continue jusqu'au Lutétien, et qui leur assignent donc une origine externe, méditerranéenne. La mise en place de ces unités allochtones témoigne d'une compression généralisée (avancée de la plaque africaine) qui a provoqué l'écrasement et la fermeture des zones axiales de l'orogène avec éjection de leur contenu. Elle fut suivie par un bombement dont l'érosion a déterminé, tant à l'Est qu'à l'Ouest, le dépôt de flyschs éocènes et peut-être de nouveaux glissements d'unités allochtones. Ces dépôts furent suivis dans les deux arcs par de nouveaux mouvements, mais, dès lors, les différences entre les deux arcs s'accentuent.

Dans l'arc taurique, la phase fini-éocène a donné lieu à de grandes dislocations de la plate-forme en lames qui se chevauchent largement les unes les autres. C'est à ce moment que s'est individualisé l'arc taurique - nous en verrons plus loin la raison -et c'est cette torsion d'une série très cohérente et rigide qui a donné naissance à ces dislocations. Enfin et surtout, c'est la phase terminale car le Miocène est transgressif dès l'Aquitanien et horizontal, sauf dans la bissectrice de l'angle d'Isparta où il est très redressé. Dans l'arc égéen, au contraire, les nappes lyciennes ont été remises en mouvement au Miocène, étant charriées par dessus le Langhien sur une distance d'au moins soixante-dix kilomètres, attestée par la fenêtre de Gôcek. Dans l'angle d'Isparta elles chevauchent des unités provenant de l'arc taurique qui se sont donc propagées presque en sens inverse et avaient pénétré dans le domaine lycien (égéen). Dans chaque arc, les nappes et les déversements sont radiaux, donc divergents. Ainsi, dans l'arc égéen, ils sont orientés vers le Sud-Est en Turquie, vers le Sud en Crète et vers le Sud-Ouest, au Péloponnèse. En outre, à l'intérieur de chaque arc, il y a eu des phénomènes de distension qui ont provoqué des effondrements (mer Egée, épais Quaternaire sous le lac salé de Tuz Gôlu).

Il paraît clair qu'on ne peut pas rendre compte de la genèse de ces grandes structures par la collision frontale de la plaque africaine, ni par la subduction, comme on pouvait le faire pour les phases précédentes. (Je dois dire, en passant, que la formation d'arcs convexes avec distension dans l'arrière-arc, grâce à la subduction qui est fondamentalement un processus compressif, m'a semblé choquante, au point de vue mécanique, dès le début de la tectonique des plaques). Dans l'arc taurique - ainsi que dans l'arc égéen mais, semble-t-il, un peu plus tard -, on est passé, avec la phase fini-éocène, de la compression africaine à la compression latérale due à l'avancée propre de la plaque arabique vers le Nord-Ouest.

L'avancée indépendante et relativement récente de la plaque arabique vers le Nord-Ouest est démontrée par l'existence de la faille coulissante dextre du Zagros interne (Braud et Ricou, 1971) et, de l'autre côté, par celle de la faille du Levant dont on sait qu'elle est coulissante senestre. Cette avancée a été précédée par une phase de compression banale située, comme dans le Zagros, au début du Maastrichtien, et qui avait, comme ailleurs, éjecté le contenu des zones axiales de l'orogène téthysien vers la plaque arabique. Qu'il y eût là, en outre, de grands glissements sous-marins, est démontré par la présence de ces formations allochtones au niveau du Maastrichtien, fort loin au Sud, dans les "plis bordiers turcs", notamment dans l'anticlinal de Hazro, étudié par M. Fontaine. L'avancée supplémentaire, tel un coin, de la plaque arabique, s'est traduite d'une part par une poussée latérale sur l'Anatolie et la formation de l'arc taurique puis de l'arc égéen, d'autre part, au front de ce bélier arabique, par l'ernboutissement de la chaîne qui n'est plus large que de deux cent cinquante kilomètres et qui forme ainsi ce que j'ai appelé (1976) "l'arc concave zagro-taurique". En outre, des portions de séries de plates-formes ont dû être fortement soulevées avec leur socle. Ce soulèvement a certainement donné lieu à un métamorphisme (rappel : le métamorphisme pélagonien, la granitisation dans le Menderès). J'ai en effet observé, dans une position théoriquement comparable, sur le bord de l'Iran Central, avec N. Eftekhar-Nejad (terrain trop compliqué pour être évoqué ici) et avec J. Braud (zone de Sanandadj-Sirjan) un métamorphisme qui montait jusqu'au Crétacé inclus. Ce soulèvement et, à mon sens, ce métamorphisme qui ramollissait les parties profondes, a permis le décollement puis le glissement des grandes nappes de socle qui constituent aujourd'hui les massifs de Puturge et surtout de Bitlis, qui sont complètement coupés de leurs racines et sont charriés par dessus les formations qui contiennent les ophiolites et les radiolarites précédemment mises en place. Il faut souligner les dimensions de ce massif de Bitlis qui comprend de nombreux sommets approchant 4000 mètres. A son front, s'est déprimé un sillon molassique qui a été chevauché par lui. Il a dû aboutir à une fracture de la lithosphère car J. Braud y a observé des venues abondantes de gabbros, de dolérites et de basaltes, mimant quelque peu les ophiolites qu'il a suivies jusqu'en Iran, au front du massif de Sanandadj-Sirjan.

On voit (pour revenir au titre de cette quatrième section) que le domaine de la future chaîne était loin d'être rectiligne et que, selon les angles d'attaque des compressions (et cela depuis l'Inde jusqu'aux Alpes), il se produisait tantôt des effets de bélier donnant lieu à des emboutissements et à des nappes de socle (dont, en tout premier lieu, celles de l'Himalaya, cf. Argand, 1924), tantôt à des poussées latérales donnant naissance à des arcs induits de diverses dimensions, à commencer par le grand arc baloutche, entre la pointe Nord-Ouest de l'Himalaya et l'Iran (dont les ophiolites de l'Oman avec leurs radiolarites représentent, à mon sens, le bord extrême charrié sur la plaque arabique, pour dériver ensuite avec elle vers le Nord-Ouest).

Origine des orogènes

En 1976, j'ai perdu la vue, et j'ai eu dès lors le loisir de me pencher sur des problèmes théoriques auxquels le géologue confronté aux difficultés du terrain n'a guère le temps de se consacrer. J'ai d'abord rédigé mon livre Découverte des Sciences de la Terre dans lequel je m'efforçai toujours de montrer comment - à partir de quelles observations et de quelles réflexions - ont été élaborées les notions théoriques qui structurent les Sciences de la Terre. A partir de mes enseignements, et confronté à la nécessité d'expliquer les grands cycles de faciès, surtout dans les séries continentales (grès rouges avec évaporites ou niveaux sombres avec abondance de matière végétale), j'ai fait un détour par l'évolution de l'atmosphère en liaison avec la dynamique terrestre (Brunn, 1983a).

Revenant à celle-ci, je me suis posé le problème de l'origine et du développement des orogènes dans quelques articles synthétiques : "Origine et dynamique des orogènes" (1980), "Océans, continents and orogens" (1983b) et enfin "The sublithospheric mantle, the génération of magmas and tectonics" (1986). Au départ, il y avait la constatation, provenant tant de nos recherches que de l'approfondissement de mes enseignements, que toutes les chaînes plissées sont constituées par des portions de croûte continentale et par leurs couvertures sédimentaires très variées, les unes et les autres ayant subi des déformations intenses dont l'amplitude peut atteindre des dizaines, voire des centaines de kilomètres, et qui sont souvent accompagnées de métamorphisme et de phénomènes magmatiques. Ce sont donc les faits qui nous contraignent à récuser l'hypothèse selon laquelle les chaînes plissées auraient comporté dans leur passé de vastes "océans perdus" {"lapetus océan" pour la chaîne calédonienne, "océan téthysien" pour la chaîne alpine) dont la lithosphère aurait été engloutie dans le manteau par la subduction, ne laissant comme trace, comme cicatrice, que les alignements ophiolitiques. Je crois avoir assez montré que cette hypothèse ne s'appuie sur aucune observation précise de terrain puisque les ophiolites reposent toujours sur des séries sédimentaires et qu'elles proviennent de rifts internes aux orogènes, différents des rifts médio-océaniques.

Nous avons vu que les plissements et les nappes affectent, sur les bords des orogènes et en général tardivement, des ensembles sédimentaires qui ont tous les caractères des séries de plates-formes. C'est pourquoi, comme je l'ai indiqué, le terme "orogène", utilisé par L. Kober, m'a semblé préférable à celui de "géosynclinal", même subdivisé en "eu-" et "mio-géosynclinal", comme l'a fait Hans Stille, repris par Jean Aubouin. Mais les orogènes sont également caractérisés tout au long de leur histoire par des formations spécifiques. Les plus évidentes sont celles qui sont liées aux mouvements tectoniques et, en premier lieu, les formations détritiques non triées (en quoi elles s'opposent aux sables et argiles parfaitement triés des plates-formes, à l'exception des fluviatiles), mais grano-classées : ce sont les flyschs et les molasses qui témoignent de l'accumulation des contraintes sous la forme de la dénivellation saccadée du couple surrection-subsidence, processus qui s'arrêtera et même se renversera (affaissement) avec le déferlement des nappes ou même seulement des plissements (pour des exemples, cf. Brunn, 1977). Ce sont aussi les olistostromes qui résultent d'accidents sous-marins ou de l'avancée d'une nappe, auquel cas ils se transforment souvent en mélange tectonique. Mais nous avons vu qu'il y a des formations plus singulières et plus spécifiques car elles apparaissent précocement et persistent pendant la majeure partie de l'histoire paléotectonique des orogènes. Ce sont, contrairement aux précédentes, des séries relativement peu épaisses, parfois très minces, à dominante pélagique parce qu'elles sont à l'abri des apports détritiques, et souvent dépourvues de dépôts carbonates d'origine biogène. Les plus continues dans le temps sont les zones de type pindique où dominent les radiolarites. Nous avons vu qu'elles doivent correspondre à un sillon qui devait marquer la limite de la plate-forme arabo-africaine, avant la dorsale où s'est ouvert le rift ophiolitique. Dans l'angle d'Isparta, elles comportent, outre des lits calcaires, des niveaux détritiques indiquant qu'il y avait dans leur voisinage des émersions temporaires, probablement sur la dorsale. D'autres séries, tout en étant minces, sont plus variées dans le temps et l'espace. Elles comportent soit des séquences condensées, soit des lacunes de sédimentation sans émersion à divers niveaux. Telles sont les trois séries du massif du Domuz Dagh, apparentées mais différentes. L'une d'elles présente même des dépôts karstiques signalant une émersion temporaire. Ce sont aussi, dans l'arc taurique, les unités de Boyali Tèpè, du Gôk Gôl, d'Uglu (tuffites fines), de Deniz Pinar, etc. On peut rappeler ici la dizaine d'unités différentes décrites par J. Braud dans le Nord du Vermion où des mouvements longitudinaux et transversaux les avaient en quelque sorte accumulées. Allant plus loin, je mentionnerai le cas intéressant des klippes piénines qui ourlent le charriage majeur des Carpates comme une "moraine frontale tectonique" et qui sont toutes différentes, bien que très rapprochées. Plus près de nous, on peut citer aussi les unités très condensées ou variables que l'on trouve dans le - ou au voisinage du Briançonnais - (Jacques Debelmas, Marcel Lemoine et autres) et, d'une manière générale, la diversité des unités alpines. A partir du Balkan, les manifestations magmatiques et thermiques, précoces, diverses, récurrentes et erratiques ont été mentionnées à plusieurs reprises. Il en est de même des mouvements tectoniques qui commencent dès la fin du Trias, du côté des Pontides, comme l'ont montré H. Bergougnan et Cl. Fourquin, et au Nord-Ouest du Menderès (observations de L. Radelli : travaux du M.T.A). C'est la phase "éocimmérienne" de Stille. J'ai montré (1980) que, de l'Anatolie aux Dinarides yougoslaves, on peut retrouver toutes les phases distinguées par cet auteur, mais en des lieux différents, et séparées par des périodes de calme et de sédimentation marine. La phase majeure de la fin du Crétacé est la première à être générale, car elle correspond à la fermeture de l'orogène sous la pression de la plaque arabo-africaine. Encore n'est-elle pas ressentie dans le Pinde et les Hellénides externes. Les phases tertiaires sont à nouveau relativement locales dans la mesure où elles correspondent aux arcs induits qui ont, en quelque sorte, leur dynamique propre.

Ce qui frappe avec évidence dans les orogènes, c'est la topographie contrastée et souvent irrégulière de leurs fonds marins, leur mobilité longtemps restée locale, enfin leur vulnérabilité quant aux transferts d'énergie du manteau vers la surface. Il est clair que, par tous ces caractères, ils se différencient radicalement des océans et de leurs vastes étendues tranquilles, de leur lithosphère en expansion quasi permanente. La Téthys, que l'on continue trop souvent à qualifier d'océan, en est le meilleur exemple puisque son histoire mouvementée est à peu de chose près contemporaine de l'ouverture et de l'expansion de l'océan Atlantique. La tranquillité de cette expansion se traduit par ces vastes plaines abyssales où s'étalent des sédiments détritiques peu variés, contrairement aux séries évoquées plus haut.

J'ai indiqué à plusieurs reprises, après les géologues hollandais, Brewer, Venig Meinesz, Van Bemmelen, etc., que c'est dans les arcs insulaires et surtout dans le système d'arcs complexe de l'Indonésie orientale et des régions voisines que l'on trouve des homologues de ce qu'étaient les orogènes : fosses de quatre à six mille mètres de profondeur, séparées par des arcs insulaires, comportant des ophiolites dans leur concavité, les uns en cours de surrection et volcaniques, d'autres strictement sédimentaires avec des nappes de charriage, qui correspondent, par leur localisation, et leur environnement encore marin, aux nappes précoces de la paléotectonique. Celles de Timor, de Tanimbar, de Céram et de Buru impliquent des dépôts néritiques : en effet, entre l'Asie du Sud-Est et l'Australie (trois mille quatre cents kilomètres), la lithosphère est continentale mais amincie (Audley-Charles et al., 1974 ; Brunn et Burollet, 1979). Elle n'est océanique qu'à l'Ouest de Sumbawa, c'est-à-dire en avant de Flores, Java et Sumatra, où l'arc de la Sonde est beaucoup trop simple pour évoquer la formation d'une chaîne plissée complexe de type téthysien.

La présence, à l'Est de Sumbawa, d'arcs très accentués, presque fermés, comme l'arc de Banda et les petits arcs de Bismarck et de la Nouvelle Irlande, suggère qu'une croûte continentale amincie est douée de grandes possibilités de déformation et qu'il existe une déconnexion entre elle et le manteau supérieur. C'est ce qui peut expliquer les arcs induits et les bouclages de l'extrémité occidentale du Système alpin.

J'ai tenté de montrer (1980, 1983) que la formation des arcs insulaires exige des contraintes relatives obliques, sinon longitudinales. C'est le cas pour ceux du Pacifique occidental (raccourcissement de l'Asie par l'emboutissement indien, obliquité du rift sud-pacifique ; cf. résultats de la mission Keiko), de l'Indonésie (écartement par le coin indien, glissement et rotation de la Nouvelle Guinée, faille coulissante Est-Ouest de Sorong), des Aléoutiennes (dérive de l'Amérique du Nord), de l'arc des Sandwich-Orcades du Sud (dérive de l'Antarctique vers la Terre de Feu), etc. Ces courbures d'une lithosphère semi-rigide déterminent des gauchissements, donc des dénivellations quelque peu aléatoires, fosses et arcs en surrection (c'est en Indonésie que Tercier avait carotté des sédiments rythmiques, flyschoïdes). On a vu que les parties en surrection se trouvent renforcées par l'anatexie, la granitisation et qu'elles sont le siège d'un volcanisme acide ou calco-alcalin. J'ai souligné ce qu'a de paradoxal l'hypothèse selon laquelle la descente d'une plaque océanique froide pourrait avoir de tels effets thermiques. M'appuyant sur les travaux expérimentaux de Kushiro et de Ringwood, j'ai montré qu'au contraire la lithosphère des parties en subsidence forcée tend à devenir plus mince et plus souple car sa base fond par la réinjection sous pression des inclusions fluides dans les réseaux des minéraux. Cela expliquerait l'observation très ancienne de la relative souplesse des (géo)syndinaux.

Conclusion

J'ai été heureux d'évoquer ce long parcours géographique, humain et intellectuel. Certes, je garde une place à part dans ma mémoire pour les premières années de recherches, d'abord solitaires, puis avec ma femme, dans les montagnes de la Grèce, pour les nuits à la belle étoile, les premières questions, les premières intuitions de réponses, l'ardeur des vérifications et des approfondissements. Mais, par la suite, le travail en équipe, la confrontation des résultats et des idées, l'amitié qui naît sur le terrain, ont été également très enrichissants. Je me souviens tout particulièrement des discussions avec Marcel Gutnic auprès du beau lac d'Egridir, le seul lac d'eau douce de la région. Sa passion pour les problèmes intellectuels de la géologie faisait de lui un interlocuteur particulièrement pugnace et inlassable.

Et puis, nous sommes allés toujours plus loin, toujours vers l'inconnu, un peu comme, lors des premières années, je découvrais un paysage nouveau et de nouveaux problèmes à chaque passage d'un col. Nous avons ainsi révélé la constitution géologique de régions encore inconnues - ou à peine connues - dont certaines sont devenues aujourd'hui des exemples classiques dans le monde entier. Mais par-delà les découvertes factuelles, nous avons toujours cherché à poser, et, dans la mesure de nos moyens, à résoudre les problèmes fondamentaux de l'orogenèse, de ses extraordinaires bouleversements qui aboutissent à la formation des chaînes plissées. Nous sommes allés à la poursuite des mystères de l'orogenèse. Nul doute qu'il en reste beaucoup à résoudre.

REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui m'ont assisté au cours de la rédaction des pages qui précèdent : à J. Braud qui s'est occupé des figures et a dessiné certaines d'entre elles avec l'aide de Mme G. Roche, dessinatrice au laboratoire de Géologie historique d'Orsay, à Mme I. Steinberg, documentaliste dans ce même laboratoire, à ma voisine, Melle V. Wurz qui, bien qu'étudiante en lettres, a saisi ce texte ardu d'après mes enregistrements et à J. Gaudant qui l'a relu et corrigé avec minutie, enfin à mes anciens "thésards" dont les noms ont été cités mais que j'ai plaisir à nommer encore : I. Argyriadis, J. Aubouin, H. Bergougnan, Cl. Fourquin, I. Godfriaux, J. Marcoux, J. Mercier, O. Monod, A. Poisson et L.-E. Ricou, avec lesquels j'ai repris nos discussions d'antan et qui m'ont envoyé leurs tirés-à-part et des références bibliographiques. Qu'ils veuillent bien m'excuser si je ne les ai pas toutes citées mais le lecteur intéressé pourra les retrouver dans celles qui le sont. Ces "souvenirs" sont certes incomplets. La somme de tout ce que nous avons réalisé de la mer Ionienne à la mer Noire et à l'océan Indien reste à écrire. Ce ne pourra être qu'une oeuvre collective.

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N.B. : Les thèses de troisième cycle mentionnées par les noms de leurs auteurs peuvent être obtenues auprès de la :
Bibliothèque du Laboratoire de Géologie historique
Bâtiment 504
Université Paris Sud
91405 ORSAY Cedex