L'illustre Malesherbes honora aussi le jeune Monnet de sa protection et de son amitié, et il le choisit pour l'aider dans l'exécution du projet qu'il avait formé, de s'instruire à fond de la pratique de la chimie. Une maison fut louée dans ce but; M. Monnet y fut établi par son protecteur, et il y fit, en 1766, un cours de chimie, qui, ainsi qu'il le dit lui-même dans ses mémoires manuscrits, fut le commencement de sa petite fortune et de son élévation. Le Traité des Eaux minérales et celui de la vitriolisation, qu'il publia en 1768 et 1769, lui acquirent une réputation méritée. Il fut présenté à M. de Trudaine, comme un des hommes les plus propres à remplir les vues du gouvernement, qui s'occupait alors de former des sujets instruits dans l'exploitation et l'administration des mines ; et ce ministre l'envoya en Allemagne, en 1770, pour y visiter les établissemens de mines les plus célèbres, comme MM. Jars et Duhamel y avaient été envoyés en 1756. Avant ce voyage , M. Monnet avait traduit en son entier la Minéralogie de Cronstedt; mais trouvant, à son retour, une autre traduction déjà imprimée, il publia seulement, en 1772, sous le nom d'Exposition des mines, une traduction libre de la partie de cet ouvrage, qui avait rapporta l'exploitation des minéraux utiles. En 1773, il fit paraître un Traité de l'exploitation des Mines, rédigé en grande partie d'après l'ouvrage publié en 1769 par le conseil des mines de Freyberg, en partie aussi d'après d'autres ouvrages allemands, et enfin en partie d'après les propres observations de l'auteur. Les commissaires de l'Académie des Sciences, nommés, quelques années après, en 1778, pour l'examen de la traduction du Traité de l'exploitation des Mines de Delius, firent, dans leur rapport sur ce dernier ouvrage, quelques reproches à M. Monnet, d'avoir ainsi mélangé ses idées avec celles des auteurs qu'il traduisait ; mais il n'en est pas moins vrai que le Traité de l'exploitation des Mines, tel que M. Monnet l'a donné au public, a été très-utile, dans notre patrie, aux progrès de l'art dont il offrait le premier ensemble écrit en français.
Les travaux de M. Monnet obtinrent la récompense qui leur était due. Il fut nommé, en 1776, inspecteur-général des mines, avec MM. Jars et Duhamel. Il remplit, en cette qualité, un grand nombre de missions importantes, dans lesquelles il porta aux exploitans français d'utiles conseils et de sages leçons ; et chargé spécialement par le Gouvernement de continuer le travail de M. Guettard sur la Minéralogie de la France, il fit, pour cet objet, de nombreux voyages, avec un zèle qui ne s'est jamais ralenti. En 1779, M. Monnet publia un nouveau Système de Minéralogie, 1 vol. in-12; et en 1780 parurent les premières parties de son Atlas minéralogique de la France, formant un vol. in-fol. de texte, avec 45 cartes géographiques; plusieurs autres cartes y ont été ajoutées par lui en 1790. Ces deux ouvrages, et sur-tout le second, renferment une foule de faits curieux et d'observations géologiques très-intéressantes encore aujourd'hui, par la précision et l'indépendance de toute idée systématique avec lesquelles elles sont souvent présentées. Le Journal de Physique contient, en outre , un grand nombre de mémoires de M. Monnet, sur différens objets minéralogiques, géologiques, chimiques et métallurgiques. Enfin, il a publié un Traité de Chimie, un Traité de la dissolution des métaux, qui est encore consulté avec fruit par les chimistes, la traduction des Voyages minèralogiques de De Born, et un Mémoire historique sur les mines de France. Ces travaux multipliés sont loin d'être les seuls auxquels il ait consacré sa vie active, et la bibliothèque de l'Ecole royale des Mines renferma de lui vingt volumes manuscrits. [Outre de très nombreux manuscrits dont a bénéficié la bibliothèque de l'Ecole des Mines, Monnet a laissé une oeuvre imprimée qui ne comprend pas moins de onze volumes, dont aucun n'a grande valeur.]
M. Monnet peut être regardé comme l'un des hommes qui, avec MM. Jars et Duhamel, ont le plus contribué à répandre en France, des connaissances positives sur l'art des mines, et à faire sentir la nécessité d'appliquer à cet art les principes des sciences exactes et des sciences physiques. M. Monnet réunissait d'ailleurs, à un haut degré, toutes les qualités essentielles qui font l'homme estimable; il y joignait une grande indépendance d'opinions, et une franchise poussée quelquefois jusqu'à la rudesse, qui se faisaient remarquer dans ses manières et dans ses discours, comme on les remarque dans tous ses écrits, et qui ont quelquefois éloigné de lui les hommes dont-il aurait eu le plus d'intérêt à se ménager l'affection. Parvenu à un âge très-avancé, M. Monnet ne perdit rien de son activité, ni de l'espèce d'originalité de ses manières. Conservé, en 1794, comme inspecteur, dans la réorganisation du corps des mines, il s'occupait incessamment à rédiger ses observations multipliées, et il apportait fréquemment aux conférences , des mémoires sur ses voyages. [Il fut mis à la retraite par Chaptal, en 1802, lors de la nouvelle organisation donnée au Corps des Mines.]
Constamment et entièrement livré à ses travaux, M. Monnet avait toujours été trop peu occupé de ses intérêts privés. La pension dont il jouissait, comme inspecteur vétéran des mines, était presque, dans ses dernières années, son seul moyen d'existence [Voir le décret de Napoléon du 16 mars 1811 octroyant la retraite de 3400 F à Monnet, Journal des Mines, 1811, p. 240]. Il est mort, à Paris, le 23 mai 1817.
Un son de cloche différent sur Monnet extrait de Notice historique sur l'Ecole des mines de Paris, 1889, par Louis Aguillon :
D'abord employé de pharmacie, Monnet sut capter la faveur de Malesherbes et institua pour lui un cours de chimie, et entra ensuite dans le service des Mines. Le rôle que joua Monnet à cette époque fut certain, mais son esprit de médiocre élévation ne lui permit jamais d'être considéré comme un véritable homme de science. Il brouillait volontiers les dates, de telle sorte que ses indications se montraient souvent erronées et ses renseignements se montraient souvent sujet à caution. L'oeuvre imprimée de Monnet comprenait quelque onze volumes traitant surtout de chimie et de minéralogie. En 1767, Lavoisier qui avait accompagné Guettard dans ses premières tournées, avait énergiquement réclamé contre l'indélicatesse de Monnet qui avait obtenu de Bertin de faire cette publication, avait cherché à s'approprier les travaux de Guettard et les siens. Cependant, loin d'améliorer les travaux de ceux-ci, Monnet n'avait même pas su comprendre ce que Guettard avait entrevu : la continuité et la superposition, c'est-à-dire les deux lois sur lesquelles la géologie allait se constituer comme science.
Monnet fut le premier qui reçut, par brevet du roi en date du 17 juin 1776, le titre d'inspecteur général des mines, sous le ministère Bertin. Auparavant il n'existait que des commissaires pour les mines, par commission émanée du contrôleur général des finances.
Monnet ... était une sorte de paysan du Danube, quelque peu passionné, à l'humeur chagrine, et non dénué de prétentions, quoique esprit de médiocre élévation; ses manuscrits ne le font pas connaître à son avantage. Ses renseignements sont souvent sujets à caution; il brouille volontiers les dates, de telle sorte que ses indications se montrent immédiatement comme matériellement erronées. Nous nous sommes efforcé de ne répéter que les renseignements que nous avons pu contrôler par ailleurs. L'École des mines possède de Monnet vingt-quatre manuscrits volumineux. Les uns appelés par l'auteur : Passe-temps de la science, au nombre de 6 à 7, contiennent sur la minéralogie, la chimie et la métallurgie des observations historiques ou scientifiques d'un intérêt médiocre quant au fond, et insignifiant comme sources historiques. D'autres manuscrits sont les journaux des divers voyages ou missions de Monnet, contenant tous, au milieu d'un remplissage sans valeur, des détails intéressants sur la vie à cette époque; il faut citer en particulier : l'Histoire d'un voyage politique et minéralogique dans les départements du Puy-de-Dôme et de la Loire en 1794, dont le titre que nous rapportons exactement à dessein suffit pour jeter un jour sur le personnage; ce manuscrit a été publié par M. Henry Mosnier. (Le Puy, Marchessou, 1875, 1 vol. in-12). Des manuscrits beaucoup plus précieux pour notre histoire sont : 1° un Essai historique sur les mines, où Monnet expose les faits auxquels il a été mêlé ou qui sont parvenus à sa connaissance; d'après les renseignements contenus dans ce manuscrit, il est certain qu'il a été écrit après le transfert de l'École des mines à Pesey, c'est-à-dire après 1802 et avant la nouvelle loi sur les mines du 21 avril 1810; 2° un État des mines, recueil de documents divers rédigé par Monnet de 1772 à 1780, contenant notamment les rapports faits par lui, comme inspecteur des mines, soit à Bertin, soit à ses successeurs. Monnet, qui avait une singulière démangeaison d'écrire, bien qu'il ne fût pas très littérateur, avait laissé, en outre de ses 24 manuscrits, des Mémoires, en quatre volumes au moins, auxquels il renvoie souvent, mais que l'Ecole ne possède pas. Parmi ceux qu'elle a nous citerons encore comme intéressants sur la vie au XVIIIe siècle : le Cours de chimie de Vaugirard, et la copie des lettres écrites par Monnet à ses amis pendant trente ans. Outre le voyage en Auvergne ci-dessus cité, M. Henry Mosnier a publié la partie d'un manuscrit relatant un voyage au Mont-Doré en 1786 (Mém. de l'Académie de Clermont-Ferrand, t. XXIX, publié à part : broch. in-8°, Clermont, Ribou-Collay, 1887), en y ajoutant une notice sur Monnet et la bibliographie complète de son oeuvre.
Première page du manuscrit concernant le voyage de Monnet en Auvergne (C) MINES ParisTech Notice historique sur l'Ecole des mines de Paris, Louis Aguillon, 1889, page 12 : Employé de pharmacie successivement à Paris et à Nantes, Monnet sut capter la faveur de Malesherbes, fils du chancelier, et alors premier président de la Cour des aides, pour lequel il institua et fit, en 1766, aux frais de celui-ci, à Vaugirard, ce que l'on appelait alors un cours de chimie, c'est-à-dire une série d'expériences, sans lien méthodique entre elles, exécutées d'après les recettes alors connues; l'Ecole des mines possède, en manuscrit, la relation de ces expériences sous le titre à la fois pompeux et naïf de : Cours de chimie fait par Monnet à Malesherbes, en 1766, en trente-cinq opérations dont plusieurs des eaux de senteur; ce titre suffirait à peindre l'homme qui, dans un moment de franchise, déclare dans un de ses manuscrits savoir à peine le français et ignorer le dessin et les langues. Ce fut sur la recommandation de Malesherbes que Trudaine le prit pour le service des mines et l'envoya d'abord s'initier en Allemagne. L'oeuvre imprimée de Monnet comprend quelque onze volumes traitant surtout de chimie et de minéralogie. Il faut citer à part un Traité d'exploitation (1778, 1 vol. in-4), composé par adaptation d'ouvrages allemands, et 1'Atlas et description minéralogique de la France, « entrepris par ordre du roi par MM. Guettard et Monnet et publiés par M. Monnet » (1780, 1 vol. de texte et atlas, in-fol.). Lavoisier (V. Lavoisier, par Grimaux, p. 26) qui avait accompagné Guettard dans ses premières tournées de 1767, a énergiquement réclamé contre l'indélicatesse de Monnet, qui, ayant obtenu de Bertin de faire cette publication, a cherché à s'approprier de cette manière les travaux de Guettard et les siens. Monnet, loin d'améliorer les travaux de ceux-ci, n'avait même pas su comprendre ce que Guettard avait entrevu : la continuité et la superposition, c'est-à-dire les deux lois sur lesquelles la géologie allait se constituer comme science. En chimie, Monnet ne fit pas preuve de plus d'intelligence; il fut, avec son ennemi Sage, un des derniers soutiens de la théorie du phlogistique ; en 1798, il publiait une soi-disant Démonstration de la fausseté des principes des nouveaux chimistes. En minéralogie, Monnet, comme Sage également, ne sut comprendre les conception s d'Haüy contre lesquelles il s'élève vivement dans ses manuscrits.
Maintenu dans le corps des inspecteurs lors de leur réorganisation, Monnet fut mis à la retraite en 1802, avec les trois autres plus anciens titulaires, quand Chaptal songea à diminuer les dépenses du service. Ce coup paraît lui avoir été particulièrement sensible et explique, sans les justifier, les aigreurs des manuscrits écrits dans les loisirs de la retraite.
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Fils de François CALMELET, administrateur des hospices de Langres, ancien avocat au parlement et au bailliage et présidial, magistrat, et de Anne AUBERTIN. La grande oeuvre cartographique du bassin de la Sarre si précise et complète de Guillot-Duhamel, Beaunier et Calmelet fait l'objet d'un discours de Sainte-Claire Deville (1924).
Notice nécrologique parue en 1817 dans les Annales des Mines, auteur inconnu.
Le Journal des Mines renferme de nombreux mémoires statistiques et minéralogiques, qui attestent, avec l'étendue des connaissances de M. Calmelet, le zèle constant qu'il apporta dans l'exercice de ses fonctions; mais ils ne pourraient donner qu'une faible idée du mérite de leur auteur. Particulièrement remarquable par la variété de ses connaissances, la brillante facilité de son imagination, et la piquante originalité de ses idées, M. Calmelet aurait pu acquérir, comme littérateur et comme écrivain, une réputation méritée. Ses titres a cette réputation sont restés ensevelis dans des papiers, que sa crainte du jugement du public et sa mort prématurée l'ont empêché de publier, où ils ont été cachés sous un voile que nous ne tenterons pas ici de soulever. Nous indiquerons seulement l'hommage touchant qu'il a rendu aux vertus et aux talens de M. Lezay de Marnésia, à l'époque de la mort de ce magistrat recommandable, comme un indice de ce qu'il pouvait faire.
Depuis long-temps, M. Calmelet résistait avec peine aux atteintes d'une affection de poitrine : l'espoir d'éprouver des effets salutaires du climat de l'Italie, lui fit entreprendre un voyage à Pise ; mais il y fut enlevé à ses amis, le 28 janvier 1817. Sa franche cordialité , son amabilité piquante, exciteront long-temps les regrets de toutes les personnes qui l'ont connu, et particulièrement ceux des membres d'un corps dont il promettait d'être l'honneur.
Adrien-Paul-François-Marie de Lezay-Marnésia (1769-1814), dont l'intervention personnelle avait permis à Calmelet de devenir ingénieur en chef à 28 ans, fut préfet du Bas-Rhin de 1810 à 1814. Ce préfet a beaucoup plus impressionné les strasbourgeois que ses successeurs, par son charisme et ses nombreuses idées fortes. Il est décédé brutalement au moment de la Restauration, dans sa voiture personnelle entre Haguenau et Strasbourg.
| Ci-contre : statue de bronze du préfet par le sculpteur Philippe Grass, érigée le 22 novembre 1853 devant la préfecture. Par décret impérial du 12 février 1810, Adrien de Lezay-Marnésia, préfet du département Rhin-et-Moselle à Coblence, Lezay-Marnésia, alors âgé de 40 ans, fut nommé préfet du Bas-Rhin.
| Né le 9 août 1769 à Moutonne (Jura) d'une ancienne famille noble d'extraction espagnole (son père est Claude-François (1735-1800) est marquis), liée d'amitié avec les Beauharnais, le nouveau préfet fit ses études successivement à l'école du couvent de Belley, au «Collegium Carolinum» de Brunswick puis, sous l'émigration, à l'Université de Goettingen. Alors qu'il vivait caché à Forges-les-Eaux en Normandie sous la Terreur, Lezay y rencontra son épouse, la jolie et spirituelle veuve Françoise de Briqueville, de vieille noblesse normande. La chasse aux émigrés sous le Directoire l'obligea à s'expatrier en Suisse et ce n'est que le 27 mai 1801, après avoir été rayé de la liste des émigrés, qu'il put revenir en France. En avril 1802 le Premier Consul lui confia une mission diplomatique en Hongrie et le 14 mai 1803 il le nomma ministre de France à Salzbourg. Parfait bilingue, (il avait été étudiant à l'Université de Goettingen, près de Hanovre), Adrien de Lezay-Marnésia était chargé depuis le 15 mai 1806 de l'administration du nouveau département rhénan Rhin-et-Moselle, où il eut l'occasion d'apprécier Calmelet, et d'où il est muté à Strasbourg. Comme préfet du Bas-Rhin, il réussit à faire réaliser un travail de terrain à des sous-préfets paperassiers, il s'appuya sur des notables locaux, il fit la chasse à la corruption, fit protéger les houblonnières, introduisit la culture du tabac en Alsace, fit reconstruire des routes et installer des bancs tous les 500 m sur les routes. Il s'oposa courageusement aux "colonnes mobiles" qui donnaient la chasse aux jeunes gens réfractaires à la mobilisation obligatoire. Grand ami du pasteur Oberlin du Ban-de-la-Roche, il ouvrit des soupes populaires et réduisit la mendicité et créa des classes et des écoles, notamment le lycée impérial Fustel de Coulanges à Strasbourg. Il était obsédé par l'objectif de rendre les alsaciens bilingues. Lezay-Marnésia mourut le 9 octobre 1814 à 11 h, dans des circonstances atroces : sans état d'âme il était passé sous les ordres du nouveau roi Louis XVIII. Le duc de Berry ayant été pressenti comme gouverneur de la France de l'Est, le préfet le recevait le 5 octobre à Landau. Il voulut ensuite précéder le prince pour le recevoir dans tous les honneurs à Strasbourg. Or, à la sortie de Haguenau, les chevaux qui tiraient son cabriolet léger s'emballèrent, et dans l'accident qui s'en suivit, le préfet fut poignardé dans le ventre par son épée d'apparat. Il put néanmoins être ramené d'urgence à Strasbourg où il règla les affaires d'urgence, et, restant lucide jusqu'au bout, et conscient de sa mort prochaine, il demanda à ses serviteurs de s'agenouiller autour de sa femme qui priait à son chevet, tout en entendant le confesseur réciter l'office des morts avec l'assistance. Adrien de Lezay-Marnésia se serait senti attiré irrésistiblement par une femme étrange, de confession orthodoxe : Juliane de Vietinghoff, baronne de Krüdener, originaire de Riga, une proche de la cour du Tsar Alexandre. |